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L'Ethnographie

Le théâtre contemporain et la secte

le cas de l’Odin Teatret

Jean-Marie Pradier

Octobre 2020

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.601

Résumés

Cet article est la première étape d’une étude sur l’interférence des biais perceptifs et de l’air lexical du temps dans le jugement porté sur les arts performatifs. En considérant l’évolution sémantique du terme secte en français, notamment à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, se manifeste l’importance du contexte national dans l’évaluation de la sectarisation. L’analyse diachronique du champ lexical montre l’effet retour de l’adjectivation dans un sens négatif sur la notion elle-même. L’étude de cas revient sur l’attribution de théâtre sectaire à l’Odin Teatret fondé par Eugenio Barba à Oslo en 1964. Elle met en évidence l’influence de l’héritage religieux dans le discours. Le souci constant d’Eugenio Barba d’éviter la sanctuarisation de ses écrits et de ses pratiques semble répondre à cette critique formulée jadis à propos de l’Odin et entretenue par certains commentateurs.

This article is the first step in a study on the interference of perceptual biases and vogue words in judging performing arts. The importance of the national context in the evaluation of sectarianization becomes clear when we consider the evolution of the term sect in French, especially from the second half of the 19th century. Diachronic analysis of the lexical field shows the return effect of the adjectivization in a negative sense on the notion itself. The case study examines the attribution process of the word sectarian to the Odin Teatret founded by Eugenio Barba in Oslo in 1964. It highlights the influence of religious heritage in the discourse. Eugenio Barba's constant concern to avoid the sanctuarisation of his writings and practices seems to respond to this criticism of the Odin that was once formulated and maintained by some commentators.

Texte intégral

Bien des notions en linguistique, peut-être même en psychologie, apparaîtront sous un jour différent si on les rétablit dans le cadre du discours, qui est la langue en tant qu’assumée par l’homme qui parle, et dans la condition d’intersubjectivité, qui seule rend possible la communication linguistique. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale1

1La locution « dérives sectaires » appartient-elle aux sociolectes contemporains pour désigner un phénomène local, une préoccupation propre à une société donnée à un moment de son histoire ? L’objet qu’elle désigne a été en France à l’origine de la création en 2009 au sein de la police nationale d’une « cellule d'assistance et d'interventions en matière de dérives sectaires », la CAIMADES, composante de l'Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes (OCRVP)2. L'Office entretient dans ce cadre des contacts suivis avec la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires)3. L’originalité de cette structure policière est de cibler un milieu particulier, non des conduites délictueuses qui lui seraient propres. Harcèlement moral, escroquerie, homicides, tentatives d'homicides, violences graves contre l'intégrité physique ou psychique de la personne, viols, agressions sexuelles et leurs tentatives, abus sexuels sur mineurs, séquestrations et enlèvements ne sont pas l’apanage d’une entité sociale. Dans le concret des enquêtes, la cellule ne limite pas son terrain d’investigation aux sectes – reconnues comme telles -, mais intervient au sein des institutions religieuses historiques4. L’évolution scientifique de la criminologie5 a mis en évidence le caractère systémique des facteurs, de telle sorte que si le terme « dérive » évoque justement un processus de passage à l’acte, en revanche celui de « secte » prête à confusion. Aussi, peut-on considérer l’absorption de la Miviludes par le ministère de l’intérieur dans le cadre d’une réflexion plus large sur la politique à mener en matière de prévention de la délinquance et de la radicalité (CIPDR), annoncée par la presse en octobre 2019, comme une meilleure intelligence d’un phénomène qui ne se réduit pas aux croyances associées à des orthopraxies6.

2Il est significatif que l’acception courante du mot secte en France conduise aujourd’hui à lui accorder une valeur juridique afférente à un type de délit de droit commun7. Cependant, la définition que donne à ce dernier la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires - la Miviludes8 - se rapporte à un phénomène à ce point étendu, commun, banal qu’il prête le flanc à de multiples interprétations. La citation de l’article 1 de la constitution française qui figure en exergue du site de la Mission donne une précision utile quant aux intentions des rédacteurs. Il stipule : « [l]a France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle respecte toutes les croyances. » L’adjectif « laïque » en est le repère sémantique essentiel pour notre propos. Il affirme initialement l’indépendance de la nation française à l’égard de toute autorité religieuse, qu’elle soit dogmatique, cultuelle, protocolaire, ou relative à un mode de vie quelconque. Par ailleurs, il manifeste la difficulté à envisager autrement que par la séparation du religieux et du politique la dynamique des imaginaires sans se référer implicitement aux orthodoxies historiques et leur survivance dans la culture9.

L’empreinte de la longue durée

3La connotation religieuse du mot secte en français contemporain, est le fruit d’un héritage compliqué et encombrant10 dont on peut saisir les fluctuations dans les éditions successives des dictionnaires. Le noyau sémique du mot, hérité du latin sequere, suivre quelqu’un, a conduit à s’interroger sur la qualité de celui ou de celle que l’on suit et des raisons pour lesquelles on le fait. Toutefois il se borne à décrire un fait, sans pour autant porter un jugement sur sa valeur. Partant du sens premier – « ensemble de personnes qui font profession d’une même doctrine » –, les lexicographes en ont rapporté l’infléchissement de la signification en fonction du contexte national, alors que le catholicisme loin d’être une doctrine parmi d’autres, était considéré comme l’institution doctrinale de référence11. C’est ainsi que Luther est nommé « sectateur », en raison de sa rupture avec l’Église Romaine. En 1850, l’abbé Bertrand, membre de la Société asiatique de Paris, rédacteur du Dictionnaire universel, historique et comparatif de toutes les religions du monde, énumère en titre « le judaïsme, le christianisme, le sabéisme, le magisme, le druidisme, le brahmanisme, le bouddhisme, le chamanisme, l’islamisme, le fétichisme, etc., avec toutes leurs branches.12 » Il mentionne en une formule significative – toujours en titre – les fractures survenues dans ces grands ensembles : « les hérésies et les schismes qui se sont introduits dans l’Église chrétienne ; les sectes qui se sont élevées dans les autres religions ». L’évolution sémantique du sème secte s’est produite dans la deuxième moitié du XIXe siècle lorsque l’adjectivation du substantif « sectaire » et sa péjoration ont opéré une nette différentiation avec le mot « sectateur » employé au sens de partisan.13 L’adjectif « sectaire » désignant un partisan fanatique et intolérant, le substantif secte a progressivement perdu de sa neutralité14.

4Les liens du lexème secte à l’histoire religieuse nationale ont contribué à estomper son appartenance au vaste ensemble conceptuel qui se réfère aux différents modes de relation interindividuelle exclusive. Marcel Proust y recourt pour décrire l’évolution fâcheuse et le ridicule du salon mondain de Madame Verdurin. Le narrateur en vient à parler de secte, après avoir banalement qualifié la coterie des « fidèles » de « petit clan », « petit cercle », « cénacle », « petit noyau »15. Pour l’éthologue et le psychosociologue, la secte est l’une des expressions du grégarisme inhérent aux espèces sociales, spontané ou généré par un leader. S’y combine la tendance à conforter la cohésion du groupe par l’adoption d’orthopraxies, de pratiques ritualisées dont l’engramme dans la personne maçonne un habitus mental et physique parfumé d’ostracisme. Phénomène qui peut aller jusqu’à la construction de sentiments identitaires exclusifs pour lesquels le psychanalyste psychologue du développement germano-américain Erik H. Erikson (1902-1994) a suggéré la notion de pseudo-spéciation :

Il ne faut jamais oublier que l’homme a développé (par quelque mode d’évolution et pour quelques raisons adaptatives que ce soit des pseudo-espèces (tribus, clans, etc.) qui se comportent comme des espèces indépendantes qu’une volonté surnaturelle aurait créées à l’origine des temps, et qui superposent aux données géographiques et économiques de leur existence une cosmogonie, une théogonie et une image particulière de l’homme. Chaque sous-espèce acquiert donc le sentiment de sa propre identité, qu’elle considère comme la seule identité réellement humaine et qu’elle défend contre les autres pseudo-espèces par des préjugés qui les stigmatisent comme extra-spécifiques et qui, en fait, s’opposent à la seule poursuite « authentiquement » humaine.16

5Controversable de l’aveu même de son auteur, la notion de pseudo-espèce se fonde sur l’observation des antagonismes idéologiques, culturels, raciaux, sexués vécus par Erikson en Allemagne lorsque, né d’un père inconnu danois et d’une mère juive, la montée du nazisme l’avait décidé à trouver refuge de l’autre côté de l’Atlantique. L’extrême de la pseudo-spéciation est la perception de l’autre comme non-moi, et à la limite comme non-humain ; les souffrances qu’il peut endurer ne rencontrent qu’indifférence affective17. Toutes les sectes n’atteignent pas ce paroxysme et bon nombre ronronnent une béatitude auto-satisfaite, de telle sorte que le sectarisme doit être situé sur une échelle d’intensité à la façon des phénomènes climatiques.

La religion (n)est (pas) une secte

6À la surface du discours, les termes « laïque » et « croyances » replacés dans l’histoire nationale ne prennent leur sens que par rapport à un contexte implicite, la place occupée pendant des siècles par l’Église catholique romaine – de façon moins accusée par le protestantisme –, et son corollaire le concept de religion. Or, ces deux entités – catholicisme et protestantisme – ne sont homogènes que par hypostasie des péripéties tumultueuses de leur histoire, l’hétérodoxie des croyances, la diversité des cultes, la multiplicité des familles spirituelles constituées en congrégations et ordres religieux. À l’intérieur même de ces communautés coexistent des sous-groupes marginaux, comme le souligne J.-P. Bayard dans un ouvrage sur les sociétés secrètes et les sectes : « [m]ême dans les groupes religieux les mieux établis, on peut entrevoir des pensées sectaires qui diffèrent selon leurs règles : franciscains, jésuites, religieuses cloîtrées et, bien entendu l’Opus Dei. Chacun d’eux peut avoir des extrémistes sans qu’on puisse faire rejaillir leur erreur sur l’ensemble de la communauté.18 » Du vaste chantier de l’anthropologie des religions, il convient de retenir avec Lionel Obadia que « le concept de religion, c’est désormais bien connu et largement débattu, s’est forgé dans le creuset culturel et linguistique du christianisme.19 » Pour Benson Saler, religion est une Western folk category20 que se sont appropriés les chercheurs. Encore faut-il inclure les variations nationales dans cet Occident et comment il a engendré à partir du monothéisme chrétien une polyphonie d’entités institutionnalisées.21

7Le journaliste et écrivain américain d’origine allemande Charles Nordhoff (1830-1901) se garde bien d’utiliser le mot sect dans son fameux ouvrage consacré aux Communistic Societies of the United States From personal visit and observation, publié en 187522. Les États-Unis d’Amérique n’ont-ils pas été terre d’accueil pour les communautés chrétiennes marginales qui fuyaient l’intolérance de l’Angleterre protestante ? Si la langue anglaise conserve à l’adjectif sectarian et au substantif sectarianism un sens normatif proche de celui du français « sectaire », elle affiche une proximité plus grande avec la définition initiale de la secte. Dans les études d’anthropologie religieuse, le mot est pris au sens de fragmentation lorsqu’il s’agit de repérer des groupes autonomes, notamment dans les sociétés qui ne connaissent pas une organisation centralisée de la doxa, le bouddhisme japonais, par exemple23. De même, George Young, alors deuxième secrétaire à l’ambassade d’Angleterre à Constantinople, dans son exposé du Droit Ottoman (1905), faute d’être en mesure de proposer un inventaire exhaustif des cultes propres aux populations non turques classe les Kurdes et diverses minorités dans les « sectes islamo-païennes »24. Aux classifications inclusives, le chercheur américain John W. Monroe préfère une description dense de la culture du merveilleux religieux, de la spiritualité et du paranormal dans la France du XIXe siècle, fertile en « laboratoires de la foi », ce qui l’amène – note Jean-Pierre Laurant dans sa préface – « à quelques développements aussi pertinents que savoureux sur les avatars contemporains de la « lutte antisecte ». Regard d’outre-Atlantique porté sur le débat religieux français plein d’intérêt qui « illustre la différence fondamentale dans le rapport à la légitimité des institutions garantes de l’ordre (intellectuel).25 »

8L’usage du terme secte en tant qu’insulte semble devenir banal dans les polémiques comme l’illustre un tweet de mars 2019, envoyé par Agnès Cerighelli, conseillère municipale non-inscrite à Saint-Germain-en-Laye pour fustiger le mouvement LGBT et l’assimiler au nazisme : « [e]n 1941, le nazi Heydrich impose à tout juif de plus de 6 ans de porter l’étoile de David sur son vêtement. En 2019, la secte #LGBT impose à tous ses membres de porter un pansement arc-en-ciel sur le visage pour afficher son prosélytisme et son communautarisme sexuels. Honteux !26 » Caricatural par son excès, ce type d’énoncé dessine l’image de la secte, telle qu’elle circule dans le discours au niveau courant de la langue. Elle trace un enclos mental dans lequel s’enferment des individus repliés sur eux-mêmes, confinés en un milieu étriqué, invaginé dans des certitudes arbitraires. Le sectarisme quant à lui se réfère à la psychologie des individus et aux traits de personnalité tels qu’ils se manifestent au quotidien, sans sous-entendre l’appartenance du sujet à une secte : rigidité mentale, fanatisme, intolérance, esprit de parti, esprit de clocher, chauvinisme, dogmatisme…

Le théâtre pratique inclusive

9Le phénomène d’inclusion sociale27 se vit doublement au théâtre dans la mesure où celle-ci se réalise en interne – la troupe, les partenaires – et dans l’événement spectaculaire lui-même qui implique un ensemble plus ou moins homogène de personnes en état de réception : les spectateurs, le public. Toutefois il n’est pas nécessairement sectaire, alors que les historiens du théâtre ont mis en évidence le mode d’organisation initial des troupes en petites collectivités mixtes structurées autour d’un homme, le chef, et rarement d’une femme28. Le viro-centrisme du milieu du spectacle vivant n’a pas disparu avec ce qu’il comporte de rapports d’allégeance et de hiérarchie entre genres29. Si l’éventualité d’un double processus de sectarisation est a priori envisageable selon qu’elle concerne le groupe des performeurs, ou que seule n’est prise en considération l’attitude des publics, toutefois il n’est qu’exceptionnel à la différence du phénomène communautaire des fans qui recouvre une nébuleuse d’attitudes et de comportements, dont l’envergure et le retentissement sont en grande partie redevables à la puissance des technologies actuelles de la visibilité30. Il s’en ressent une ambiguïté des termes pour les décrire, souvent emprunts d’une connotation religieuse dans les publications savantes et journalistiques31. Toutefois, à l’instar de la religion telle que l’on entend ce terme en occident, la « fanitude32 » se distingue de la secte par l’espace et le volume occupé dans le champ social. Les fans forment des foules en mouvement ; les sectaires des grappes solitaires. Encore que les codes de participation aux événements pour lesquels un public nombreux, une foule se rassemble porte en lui les prémices de l’émotion collective et de l’intensité de son expression. Les travaux sur les football fans suggèrent que la transformation des supporteurs en fanatiques est facilité par la capacité d’accueil des stades qui peuvent recevoir jusqu’à des dizaines de milliers de spectateurs33, ce qui n’est jamais le cas au théâtre dont les festivals composent un patchwork esthétique et social.

Le théâtre, la secte et la foi

10Les sculpteurs de la Grèce antique cherchaient dans le marbre à représenter la perfection du corps des dieux. Au théâtre, l’incarnation de l’imaginaire dramatique s’opérant dans le corps vivant des acteurs, cet art s’est prêté plus que tout autre avec la danse à tendre vers un art de la révélation34 au moment de sa réforme. Lors d’une conférence donnée en Roumanie, Louis Lavelle (1883-1951) avait exposé en métaphysicien ce qu’il entendait par là : « une activité qui dépasse la nôtre et qui, issue des ténèbres de l’inconscient, nous oblige à trouver dans le réel l’appel d’une vie profonde presque toujours masquée par l’expérience quotidienne. » La rupture de paradigme engendrée par les réformateurs majeurs du théâtre, en faveur d’un renouveau éthique du métier a eu pour conséquence de favoriser l’émergence d’un mouvement d’idéalisation de l’art allant jusqu’à la constitution de communautés animées par un idéal et organisées autour d’un maître35. En corollaire, des maîtres charismatiques se sont attachés à l’exploration d’un au-delà du théâtre en l’appariant aux rituels, entre occultisme, ésotérisme et exotisme. En Pologne, pour Juliusz Osterwa (1885-1947) fondateur de la Reduta : « Dieu a créé le théâtre pour ceux à qui l’église ne suffit pas »36. En France, déclarait A.-M. Julien dans les années cinquante, on apprend à l’École du Vieux-Colombier « que le théâtre trouve sa source dans le sentiment religieux et dans l’expression de ce sentiment »37. En refusant de reconstituer serait-ce avec virtuosité une réalité extérieure à lui-même – le personnage – l’artiste s’engage à relever un défi au prix d’une conversion radicale. Cet élan caractéristique des réformateurs porte en lui-même un idéal spiritualiste qui en raison de l’histoire occidentale est habité par le sentiment religieux. Ce que souligne Marie-Christine Autant Mathieu :

De Copeau à Grotowski, de Stanislavski à Vassiliev, la question du mystère de la création scénique, relais ou avatar de la création divine, reste posée. On l’aborde souvent en filant la métaphore d’une représentation assimilée à un rituel, d’un travail théâtral conçu comme une « mission » de la part du comédien-prêtre officiant devant des « disciples » rassemblés dans un théâtre-temple.38

11L’évolution d’un art ayant pour matériau le sujet dans son entièreté, aux sources les plus profondes de son être, conduit à s’interroger sur la nature de l’inconscient en un temps où ses conceptions anciennes sont renouvelées par la psychanalyse, puis les thérapies nouvelles qui s’en inspirent ou s’y opposent. L’inconscient est alors conçu, selon les familles d’esprit et les logiques, selon les connaissances et l’expérience culturelle comme organique, psychique ou spirituel, à moins d’être envisagé en tant que constituant d’un ensemble somato-psychique systémique. En mars 1987, lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion de la création à Pontedera du Grotowski’s Workcenter associé au Centre International de Recherche Théâtrale (CIRT) fondé par Peter Brook à Paris en 1971, le metteur en scène avait introduit Jerzy Grotowski en ces termes : « [d]ès le moment où l’on commence à explorer les possibilités de l’homme, qu’on le veuille ou non, qu’on ait peur de ce que cela représente ou non, il faut se mettre carrément devant le fait que cette recherche est une recherche spirituelle.39 » S’exprimant en français, Brook avait relevé la perplexité possible de ses auditeurs devant l’adjectif « spirituelle » : « un mot explosif, très simple mais qui crée ici des malentendus.40 »

12Si le discours normatif est porteur de l’histoire culturelle de ses locuteurs, il reste à s’interroger sur les signaux à partir desquels s’élabore le processus qui les conduit à le tenir. La question sera de savoir quelle est la part des biais perceptifs, et de l’air lexical du temps, les paresses du vocabulaire, lorsque le normatif finit par l’emporter sur le descriptif.

Eugenio Barba & l’Odin

13Jouissant d’un prestige international et d’une durée de vie exceptionnelle, l’Odin Teatret est l’un des phénomènes les plus remarquables de l’histoire du théâtre contemporain. Toutefois, constate le chercheur américain Ian Watson l’italo-danois Eugenio Barba son fondateur41, n’a guère gagné aux États-Unis un prestige égal à celui du Polonais Jerzy Grotowski. Qui plus est, note-il, le fondateur de l’International School of Theatre Anthropology (ISTA) a même reçu une volée de bois vert journalistique en 1986 à la suite de sa IVe session tenue à Holstebro dont le thème – The Female Role as Represented on the Stage in Different Cultures – avait motivé le voyage de militantes nord-américaines. De retour à New York, la critique et essayiste Erika Munk qui avait participé à la rencontre extériorisa son irritation en deux attaques au vinaigre publiées dans le Village Voice et le Performing Arts Journal. S’en prenant à Barba en personne, elle l’accusa d’antiféminisme et d’avoir mené des débats suffocants au gré de conférences/démonstrations qui ne servaient que ses propres intérêts au détriment des attentes des participants42. La violence du propos était à la hauteur du malentendu inévitable entre protagonistes situés de part et d’autre de l’Atlantique sur des positions théoriques et pratiques radicalement différentes. Il serait nécessaire de revenir à l’histoire du féminisme nord-américain, qui, loin d’être monolithique, avait bourgeonné dans les années quatre-vingt en fractions aux orientations politiques, esthétiques, sociales divergentes. Des querelles internes se jouaient au sein du Women Theatre Program (WTP) de l’Association for Theatre in Higher Education (ATHE)43. Bien que non affiliée au WTP, Erika Munk bataillait ardemment sur des points politiques qui n’étaient guère au centre des préoccupations de l’Odin Teatret. Enfin, à lire les comptes rendus des colloques et des journées d’études que tenaient aux États-Unis les mouvements féministes impliqués dans le monde du théâtre et de la performance, il s’avère que leurs codes d’interaction n’avaient rien de commun avec les usages du Nordisk-teaterlaboratorium où les disputes publiques n’ont pas lieu d’être.

14Né en 1936 à Brindisi dans les Pouilles, fils d’une famille de notables, orphelin de père à 9 ans, élevé à Gallipoli puis dans le célèbre lycée militaire de Naples La Nunziatella, Eugenio Barba a émigré en Norvège en 1954. Il y survécut en travaillant comme ferblantier, modèle, marin tout en poursuivant des études à l’université d’Oslo en français, littérature norvégienne et histoire des religions. Choisissant le théâtre comme métier il obtint en 1961 une bourse pour étudier en Pologne la mise en scène à l’École Nationale de Théâtre de Varsovie. Un an plus tard, il quittait l’institution pour rejoindre Jerzy Grotowski qui à l’époque dirigeait à Opole le Théâtre des 13 rangs. Il y restera trois ans.

15Dès ses années de Pologne, Eugenio Barba, avait entrepris de faire connaître à l’étranger – et par tous les moyens – les recherches et les créations de Jerzy Grotowski dont il avait été l’assistant. À son retour en Norvège en 1964, après un séjour en Inde au Kerala Kalamandalam, considéré comme le disciple du maître polonais, sinon son épigone, il parvint à réunir à Oslo de jeunes amateurs de théâtre qui avaient été refusés au conservatoire. Les conditions de travail étaient fort différentes de celles dont disposaient le Polonais, diplômé, fonctionnaire directeur d’un théâtre subventionné par l’État, à l’abri de soucis financiers44. Rien de cela en Norvège, sinon une volonté inébranlable, et une capacité de sacrifice exceptionnelle pour se consacrer totalement à la réalisation d’un projet artistique jusqu’à la limite des forces. Il s’agissait bien d’un « Rift-Theater », dont la traduction en « théâtre de fracture » estompe le sens que rift peut prendre pour un norvégien à qui a été enseigné la tectonique des plaques et le Oslo Rift. Au lieu de monter des spectacles, Barba proposa un entraînement si rigoureux que beaucoup abandonnèrent. Avec la poignée de passionnés qui persévèrent, il fonde en octobre 1964 une troupe à laquelle il donne le nom du dieu principal de la mythologie nordique : Odin Teatret. Une première création est montrée en 1965 : Ornitofilene (ornithologue). Il s’agit d’une interprétation libre et collective de la pièce de l’auteur libertaire norvégien Jens Bjørneboe, intitulée Fugleelskerne (les amoureux des oiseaux). L’auteur commentant l’adaptation de Barba parle de l’œuvre d’un chirurgien anarchique radical45, et s’en réjouit. La même année, Barba publie en Italie le premier livre sur le travail de Jerzy Grotowski : Alla ricerca del teatro perduto : Una proposta dell'avanguardia polacca46. Le spectacle provoqua une certaine stupeur. Il partit en tournée en Suède, Finlande et Danemark. C’est dans ce dernier pays que l’Odin s’établit le 1er juin 1966 à l’invitation de Kai K. Nielsen maire de Holstebro, une petite ville du Jutland Central.

Un théâtre sectaire

16Barba ajouta à l’Odin le nom de Nordisk Teaterlaboratorium for Skuespillerkunst – laboratoire nordique des arts de la scène et inaugura des ateliers de formation ouverts aux acteurs, professionnels ou non. La seconde création – Kaspariana –, dont la première eut lieu le 29 septembre 1967, produisit une forte impression et attira l’attention de la critique danoise et internationale. Marc Fumaroli (1932-2020), alors assistant à la faculté des lettres de Lille – futur professeur au Collège de France et élu à l’Académie française – publia un article au journal de Genève, qui par la suite fut repris à New York par The Drama Review47. L’article est remarquable. Déjà ouvert aux expérimentations de Jerzy Grotowski, Fumaroli évoque sans interpréter. Il fait apparaître la radicalité d’un spectacle où le corps des acteurs et des actrices est « une pierre de Rosette » biologique. À la même époque, Bent Hagested, écrivain engagé, réalisa avec Eugenio Barba un entretien qui fut repris dans plusieurs revues internationales, dont The Drama Review en 1969, sous le titre A Sectarian Theatre – Un théâtre sectaire48. La secte retrouve ici sa signification ancienne, à l’écart de toute péjoration. Le mot met en relief l’engagement des jeunes comédiens constitués en communauté d’artistes – « acteur saint » de Grotowski – à la différence des professionnels « papillons »49. En 1961, s’adressant aux étudiants d’Oxford Jean-Louis Barrault avait vomi sur les tièdes qui adoptent le théâtre par défaut :

Sur le plan individuel, huit fois sur dix, les jeunes gens qui croient se consacrer au théâtre se dérobent, en fait, à la vie ; ils obéissent à un réflexe d’impuissance ; ils ne vont pas au théâtre par excès, ils vont au théâtre par défaut.50

17Pour Barba, le choix du théâtre ne peut avoir pour fondation qu’une exigence d’absolu, comme il l’écrit en 1967 à l’un de ses acteurs. Lettre qui a bouleversé certains de ses lecteurs au point de les convaincre de rejoindre l’Odin, dans les catacombes : « Voilà la place de ceux qui, à notre époque, cherchent un engagement spirituel et n’ont pas peur de la confrontation difficile.51 » Hagested lance à Barba ce que l’on dit de l’Odin : des catacombes à la secte, il n’y a qu’un pas !

B.H. On dit que votre théâtre est un théâtre de sectaire.

Eugenio Barba : (…) Nous choisissons nos acteurs non pour leur talent, mais pour leur force d’âme, leur générosité, leur persévérance. Nous sommes conséquents dans le choix de notre répertoire et dans nos buts artistiques, nous essayons d’édifier un théâtre où chaque membre de la communauté ne se sente pas comme un pion qui est dirigé par un patron lointain comme dans une grande industrie culturelle mais où chacun sent qu’il a sa place particulière dans cette petite société et assume sa part de responsabilité dans tout le travail – physique, technique, administratif autant qu’artistique. Si la définition du sectarisme c’est une démarche cohérente, mais d’autant plus libre et ouverte qu’elle est disciplinée, eh bien, alors, nous sommes sectaires.52 »

18Suit un échange qui aborde les aspects prétendument religieux du théâtre de Barba. Non sans connivence, Bent Hagested revient sur les traits d’une esthétique qui font sujet de glose commune : « Prétendez-vous régénérer le théâtre ou fonder une nouvelle religion ? (…) Comment se fait-il que les gens qui ont été témoins de vos spectacles aient souvent parlé à leur sujet de mysticisme, de religion ? » Chaque fois, Barba déconstruit, relève les malentendus, précise et met en évidence les biais interprétatifs inévitables, dans la mesure où toute perception est une projection, au sens psychologique du terme :

Les gens qui assistent à nos représentations parlent en réalité d’eux-mêmes quand ils parlent du spectacle. Ceux qui parlent des « résonances religieuses » de nos spectacles parlent du fond religieux qui est en eux, qu’ils refusent de reconnaître, et qu’ils projettent sur le test de Rorschach que nous leur proposons. En parlant ainsi, ils nous apprennent davantage sur eux-mêmes que sur nous. (…) Vous avez parlé de rites religieux. Encore faudrait-il s’entendre sur le sens du mot. Aujourd’hui c’est devenu la tarte à la crème de la critique dramatique. Mais à l’origine, c’est un mot du vocabulaire de l’histoire des religions. Un rite, c’est un procédé technique lié à une foi religieuse. (…) Au moment où on détache ce procédé technique de la foi religieuse qui lui donne sens, il n’existe plus de rite, mais une formule vide que les critiques appliquent sur les phénomènes théâtraux quand ils n’ont plus d’autres étiquettes pour les cataloguer.53

19L’article est précieux. Sa reprise dans plusieurs publications sous le titre d’« Étrangers dans le théâtre », me paraît en finir avec le chiffon rouge de la secte que pendant longtemps une certaine critique a agité devant l’Odin. L’entretien résume clairement la manière de penser le théâtre, l’anthropologie, et le bon usage de la science – la psychophysiologie, par exemple – pour un metteur en scène qui n’a cessé de combiner l’action et la réflexion, l’engagement politique et social en se tenant à distance de tout doctrinarisme et posture magistrale : « [p]as plus qu’à la religion, le théâtre ne s’identifie à la science »54.

20À Holstebro, disposant désormais de locaux aménagés dans une ancienne ferme, Barba avait démultiplié ses activités : « séminaires, maison d’édition, enquêtes sociologiques, organisation de spectacles de l’étranger et réalisation de films pédagogiques »55. Les sessions pour lesquelles il avait invité Grotowski mobilisèrent jusqu’à la pléthore. Toutefois, le maître des lieux avait pris soin de marquer son propre territoire, et de ne pas figurer en tant qu’affidé au point de faire naître la rumeur d’une possible rupture avec le Polonais. Hasgested, dans son entretien, lui avait posé la question et reçu en réponse une leçon d’exégèse :

On est un disciple aussi longtemps qu’on s’avoue que le maître puisse toujours vous donner quelque chose, vous animer à un développement de votre personnalité vers une plus grande autonomie. Dans ce sens je suis toujours le disciple de Grotowski et je le serai encore longtemps.56

21Démonstration de la complémentarité des contraires – selon Niels Bohr –, ou de l’énantiodromie – selon Héraclite – dont se réclame Barba. Le maître est celui qui vous apprend à vous libérer de lui et à devenir vous-même ! Déclaration qui n’est pas une préciosité de jeune homme savant mais qui a été réitérée à plusieurs reprises, pour finalement conclure un adieu comme on va le voir dans les dernières lignes de cet article.

22Le troisième spectacle Ferai, créé en 1968 dans l’isolement à Holstebro, porta la renommée de l’Odin à son apogée lorsqu’il fut invité en 1969 à la Biennale de Venise. S’y trouve un brillant professeur d’histoire du théâtre de l’Université de Rome La Sapienza. De trois ans cadet de Barba, Ferruccio Marotti, futur fondateur et directeur du prestigieux Centro Teatro Ateneo, anime un groupe de jeunes universitaires devenus par la suite un noyau fidèle, attentif et actif de collaborateurs de l’Odin. Marotti ne connaît pas encore Barba. Mais il a lu dans le programme la retranscription de son entretien avec Bent Hagested. Aussi, l’interroge-t-il à son tour sur la rumeur de sa rupture avec Grotowski, et lui demande de lui narrer le récit de sa propre aventure57. Occasion pour Barba de rappeler l’enchaînement des circonstances à partir desquelles, en s’y adaptant, il a conçu un mode d’être et de travailler. Étranger, il a observé, communiqué, est entré en relation sans comprendre la langue de ses interlocuteurs et ses subtilités au point de devenir éthologue malgré lui, attentif aux gestes et aux mimiques, aux intonations de voix et au concret des actions. L’apprentissage pratique de l’interaction, en sa matière biologique, animale, écologique a eu pour conséquence de l’entraîner à saisir et à privilégier la réalité factuelle, souvent biaisée par le discours. Cette attitude de réalisme critique m’avait frappé le premier jour de notre rencontre en 1975, lorsqu’il m’avait dit trouver attention et bienveillance chez des personnes aux étiquettes sociales, politiques, religieuses dissemblables et parfois opposées58. Le caractère commun des sectes et des partis s’enracine moins dans le partage des idéologies que dans une communauté d’esprit. Le fanatisme – trait cognitif – trouve toujours hospitalité dans une famille qui ne lui sert qu’à le pratiquer. Marotti chercha à connaître les raisons qui avaient incité les jeunes à se joindre à lui. Il obtint la plus plate et la plus pragmatique des explications. Barba lui répondit : « Je ne m'interroge jamais sur la motivation personnelle qui anime les jeunes qui viennent à notre théâtre. Les anciens qui sont restés – Else Marie Laukvik et Torgeir Wethal – étaient venus parce qu'ils étaient dans la même situation que moi, c'est-à-dire qu'ils voulaient faire du théâtre et qu'ils n'en avaient pas la possibilité.59 »

L’archipel du théâtre

23La secte est une île ermite. Barba a conçu, habité, animé un archipel du théâtre60 d’une vastitude croissante. L’image géographique d’un groupement irrégulier d’îles, souvent d’origine géologique commune qui allie la terre, les eaux et la diversité du vivant est retenue par Barba lorsqu’il formule l’idée d’un tiers-théâtre en partant d’un constat : « [d]ans de nombreux pays du monde, il s’est constitué, ces dernières années, un archipel théâtral, méconnu, rarement exploré, qui ne donne lieu à aucun festival, à aucune critique.61 » Bouillonnant, ce mouvement avait pris naissance dans les années soixante en Europe, Inde, Japon et les Amériques. Inclassable il avait reçu et adopté le nom de Théâtre de groupe, teatro collettivo, teatro di gruppo en italien, teatro de grupo en espagnol et en portugais. Alors secrétaire général de l’ITI, l’acteur et metteur en scène Jean Darcante (1910-1990) demanda à Barba d’organiser une session de formation pour ces groupes dans le cadre du Belgrade International Theater Festival (BITEF) / Théâtre des Nations de 1976. Barba rédigea un document à l’intention des participants dans lequel il reconnaissait la valeur de la marginalité et d’une singularité pour laquelle il inventa une notion. Ces groupes n’appartenaient pas au monde du théâtre traditionnel, reconnu, protégé et subventionné, ni aux avant-gardes expérimentales :

Le Tiers Théâtre vit en marge, souvent en dehors ou à la périphérie des centres et des capitales de la culture. C’est un théâtre fait par des gens qui se définissent acteurs et metteurs en scène bien qu’ils n’aient que rarement reçu une formation théâtrale traditionnelle, ce qui leur vaut de ne pas être reconnus professionnels. Pourtant ce ne sont pas des amateurs.62

24L’écho fut à ce point retentissant qu’un organisme allemand demanda à Barba de reprendre l’opération en Allemagne de l’ouest. Fatigué d’en être réduit au champ de la pédagogie, celui-ci posa des conditions financières telles qu’il espérait que le projet tombe à l’eau. Hélas et/ou fort heureusement ( !) les Allemands réunirent les fonds qui permirent de mettre sur pied une équipe pédagogique et une équipe scientifique internationales, pour un ambitieux programme d’une durée de deux mois. L’International School of Theatre Anthropology ISTA était fondée, son argument théorique établi – l’anthropologie théâtrale63. La première session se tint à Bonn en 1980 et se poursuivit à Holstebro, Porsgrunn (Norvège) et Stockholm (Suède). Entreprise de recherche et de formation à la pratique théâtrale pluriculturelle unique au monde par son ampleur, Barba, a construit avec l’ISTA une société des nations théâtrale, pluridisciplinaire en fédérant les attentes et les besoins de praticiens et de théoriciens des divers continents. Stupéfiant projet capable de réunir dans des lieux de prestance stimulante, plusieurs dizaines de comédiens venus de partout pour travailler deux, trois, quatre semaines avec des maîtres des traditions indiennes, chinoises, japonaises, balinaises et autres ! Prodigieux travail de terrain et occasion de participation observante pour littéraires et scientifiques ! L’objectif visé est la transmission vivante de l’art en un rapport maître-élève qui ne repose pas sur le génie supposé du premier mais sa capacité de léguer dans toute sa verdeur aux générations suivantes l’héritage qu’il a reçu. Le modèle du gourou est alors à prendre au sens strict. C’est pour cette raison que le premier ouvrage né de la recherche entreprise de 1980 à 1985 à l’ISTA comporte un article qui en expose la nature et la fonction. Intitulé « Guru –Sisya – parampara (la vie de l’art du maître à l’élève) », il reprend le chapitre d’une thèse présentée à l’université de Toronto par une anthropologue de la danse et praticienne, la canadienne Rosemary Jeanes Antze. Fondement de la transmission de la tradition, ce rapport – écrivent E. Barba et Nicola Savarese – « est paradoxalement menacé par l’intérêt des érudits (…) et la présence massive d’élèves étrangers qui ne disposent que de quelques mois pour apprendre ce qui exigeait autrefois des années de travail. »64 Barba revient sur la thématique du gourou et son rôle dans un article écrit pour le symposium international « Tacit knowledge – Heritage and Waste » qui s’est tenu à Holstebro du 22 au 26 septembre 1999 à l’occasion du trente cinquième anniversaire de l’Odin Teatret65.

25Un an avant la fondation de l’ISTA, Barba avait rédigé pour la revue mexicaine Arte Nuevo un article qui, partant de l’expérience de Belgrade, proposait une dialectique dynamique greffant la liberté nomade sur l’éloge du ghetto. Juderias espagnoles, Judengasse allemands, Ghetti italiens avaient surgi de la discrimination, de la violence des goyim, brutale xénophobie de la majorité envers la minorité juive. Le tiers-théâtre sans faire secte n’avait pas à s’interroger sur son atypisme. Le théâtre, concluait l’article, est pour les comédiens une façon de vivre librement la marginalité et de la rendre socialement acceptable.

Miroir aux alouettes

26En ironisant le sérieux académique par l’adoption du terme School, École, et en inventant une discipline – l’anthropologie théâtrale – Barba avait tendu des pièges aux experts. « Sans appellation, impossible de présenter un projet admissible par les autorités, les financiers et les intéressés », m’a-t-il raconté en 2003. Pris au piège des mots et des images qui composent le premier ouvrage publié en 1987 sous le titre L’Anatomie de l’Acteur66, horrifiés par des termes qui n’appartenaient pas au vocabulaire conventionnel des études théâtrales de l’époque – le mot « biologie » par exemple – certains universitaires n’hésitèrent pas à travestir sans le connaître le projet et son auteur, comme en témoigne l’entretien de Michel Bernard avec Jean-Marie Brohm paru dans la revue Quel Corps en mai 198867. Le contre-sens de ceux qui assimilent la recherche esthétique et éthique de Barba à un scientisme vidé de toute substance se focalise sur les énoncés au lieu d’en revenir à l’expérience concrète d’un homme qui après avoir écopé de l’hystérie du fascisme italien, a horreur de tout ce qui peut évoquer la surenchère cabotine. L’article publié en 1968 par la revue de l’Odin Teatrets Teori og Teknikk TTT sous le titre « théâtre et révolution », me paraît poursuivre pour le théâtre ce qu’écrivait le militant anarchiste italien Camillo Berneri (1897-1937) sur les pantalonnades des démagogues fascistes68. Barba :

Nous avons tous vu des spectacles où les acteurs agissent dans un tourbillon physique incontrôlé – ils l’appellent spontanéité – avec des cris déchirants et des mouvements convulsifs. Au moment même où ils cherchent à exprimer leur être total, ils se brisent dans un néant informe. (…) Le théâtre, de même que toute activité artistique, est discipline. Toute explosion visionnaire doit être maîtrisée ; l’acteur doit chevaucher le tigre, il ne doit pas s’en faire déchirer (…) Ce faux déchirement, cette sensiblerie épidermique très proche de l’hystérie, cette singerie des plaies de l’homme de notre temps et surtout cette satisfaction personnelle et cet alibi de bonne conscience ressentie par les acteurs, nous révèlent la misère et l’hypocrisie de toute notre époque, de toute notre société et le théâtre devient alors le véritable reflet d’une condition qu’il faut détruire, en commençant par le théâtre.69

27L’exécration de Berneri pour l’histrionisme des chefs fascistes et l’idolâtrie de leurs publics se retrouve à l’Odin dans une culture de la distance qu’approvisionne l’autodérision, et l’ironie de gestes simples. La survie sur le long terme d’une troupe d’une exigence aussi radicale n’a pu être obtenue que par une science pragmatique exceptionnelle de la dynamique de groupe. Barba appelle « tremblements de terre » les ruptures volontaires épisodiques avec l’ordinaire des jours qu’il a provoqué avant que la crise, l’usure, l’essoufflement ne menace la communauté. En 1970, l’ensemble est dissout puis recréé avec de nouvelles conditions de travail. En 1974, l’Odin transhume à Carpignano Salentino dans les Pouilles italiennes ; même destination et la Sardaigne pour 3 mois l’année suivante au cours de laquelle l’Odin devient une SARL (anpartsselskab, en danois). En 1978, les acteurs choisissent de partir pour 3 mois entreprendre une recherche individuelle au Brésil, en Inde ou à Bali. En 1983, Barba s’accorde une année sabbatique et voyage.

Peuple secret de l’Odin

28Spectacles et tournées, sessions internationales de l’ISTA, publications, séminaires, ateliers ont procréé sur 56 années et plusieurs générations une société transnationale, confortée par la longévité exceptionnelle d’une troupe stable où chacun mène sa barque. La conscience de faire corps est confortée par les fêtes étonnantes, somptueuses, surprenantes par la richesse de leur esthétique, organisées à certaines occasions – Teatrum Mundi des ISTA, anniversaires de l’Odin, épousailles avec la ville de Holstebro… – et des événements exceptionnels – le décès de Jerzy Grotowski. Barba a composé pour le dire une expression qui court ses textes et ses interventions publiques : « le peuple secret de l’Odin ». L’étude d’Arianna Berenice De Sanctis sur le réseau politique, esthétique et de compagnonnage établi par l’Odin Teatret en Amérique latine70, rend compte de la nature de ce tissage entre les individus, qui protège la liberté de chacun, sans exclure les divergences et les querelles. Ayant en tête le temps idéal – ou imaginaire – lorsque les empires fédéraient les singularités, j’avais demandé à Barba quel était le secret de leur survie. Il m’avait répondu : « les relations entre les personnes. »

29Les spectateurs qui n’appartiennent pas au « peuple secret de l’Odin » sont souvent frappés par certaines de ses coutumes idiosyncratiques, et vont jusqu’à subodorer quelque protocole initiatique. Coutumes qui tendent à s’effacer, au fur et à mesure du vieillissement et de la disparition des premiers membres : les acteurs ne viennent pas saluer à la fin du spectacle ; les spectateurs « initiés » se gard(ai)ent bien d’applaudir ; ils quitt(ai)ent l’espace de la représentation en silence tels les fidèles d’une liturgie sacrée ; au préalable ils ont été placés par un membre de la troupe, alors que certains invités sont conduits par Eugenio lui-même, avant les autres. Il est vrai que la jauge restreinte, l’abandon de la scène à disposition frontale, la non numérotation des places, la cohue fréquente, troublent les codes habituels des salles ordinaires.

Iconoclasme & autodérision

30Particulièrement conscients des malentendus qu’il avait rencontrés, et des pics d’affects qu’il pouvait produire chez les admirateurs et admiratrices, Barba a multiplié dans ses écrits et par des actions spectaculaires les mises en garde contre le danger que courent les interprétations de sa pensée, lorsque le commentateur, serait-il un érudit, ne s’en tient qu’aux textes. Il conclut Le Canoë de papier par ces mots :

Le risque qui menace l’Anthropologie Théâtrale, ce sont ses lecteurs, dans la mesure où ils accorderont un poids excessif aux ailes et aux ombres des mots changeants. Et il faudra compter au nombre de ces lecteurs, celui-là même qui a écrit le livre.71

31Déclarations qui se sont incarnées dans des gestes dont j’ai pu être le témoin. Je n’en retiendrai que quelques-uns : à la clôture de l’ISTA de Blois, en France, en 1985, alors que Patrick Pezin vient d’éditer la version française de L’anatomie de l’acteur, face à l’assemblée des participants, Barba prononce l’admonition de clôture puis lentement, imperturbable, ouvre un exemplaire du bel ouvrage posé devant lui, et le déchiquette. Un silence de stupeur tombe dans la grande salle, alors, à ma grande surprise, je vois venir aux pages déchirées l’un, l’autre et d’autres encore pour recueillir avec gravité un lambeau de papier.

32En Suède, nous sommes en file indienne pour recevoir quelque chose – nous ne savons pas quoi – que Barba sans un mot puise dans une sorte de sac, placé à côté de lui. La main ouverte pour la réception nous découvrons que ce n’est que de la neige, qui bien sûr se met à fondre.

33Lors de l’éblouissant 40e anniversaire de l’Odin, en 2004, nous sommes invités à pénétrer dans une salle de travail. Y est exposé à mi-hauteur, dressé entre deux vitres un grand tableau de sables de couleur. Minutieusement composé grain par grain par un artiste brésilien du nord-est dont j’ai perdu le nom, se voit un vaste paysage de plaine et de montagne occupé en son centre par une cavalier casqué armé d’une lance, bouclier au côté qui fait face à un serpent gueule ouverte et les crocs menaçants. Au-dessus volent des oiseaux bleu ciel encadrant une légende : « Odin Teatret 1964-2004 ». C’est Odin, le dieu polymorphe dont le nom se compose de öd, fureur, poésie et esprit, mort et métamorphose, extase, devenu logo du théâtre à sa fondation. Au pied de l’imposante peinture sont disposées de petites fioles dont je ne distingue pas encore le contenu.

34Après un discours ironiquement grave, Barba souriant demande à deux personnes d’enlever les bouchons situés à la partie inférieure de l’œuvre. Nous assistons alors à son lent délitement, tandis que les grains s’écoulent comme d’un sablier troué. La scène représentée se déforme devient informe et disparaît en un tas cristallin qui monte à mesure comme une marée minérale. Restent, bien droites, les petites bouteilles vers lesquelles nous sommes invités à aller nous servir. Dans chacune d’elles a été réalisée une copie miniature du tableau de sable avec lequel nous repartons.

35Au 50e anniversaire, en 2014, après un teatrum mundi somptueux dans le parc de la ville, puis un parcours parmi les associations artistiques de Holstebro qui chacune offre un spectacle, un concert, nous assistons médusés à la destruction du chatoyant vestiaire des spectacles passés, jetés par dessus la rambarde d’une grande barque plantée sur une colline artificielle. Arrive une pelleteuse qui les enfouit dans la terre dans une mise en scène stupéfiante, à deux pas d’un temple construit en contrebas, où des shamans sont en oraison.

36Le 30 mars 2019, comme beaucoup d’autres, j’ai reçu un mail d’Eugenio Barba intitulé « adieux aux armes » : « Cher Jean-Marie. La saison des libertés s’approche. Je t’embrasse. Eugenio ». Le message était accompagné d’un texte : « Eugenio Barba quitte la direction du Nordisk Teaterlaboratorium ».

37Il se concluait par ces mots :

Je n’ai ni héritiers ni héritage à léguer. Mon enseignement ne peut ni se transmettre ni s’éteindre. Il s’évapore. Et retombe comme la pluie sur la tête de celui qui ne s’y attend pas.

La course des contraires

38À considérer l’histoire personnelle des gens du spectacle vivant, leur vie au quotidien et les raisons de leurs choix, s’aperçoivent des troupes, groupes, familles d’artistes, communautés, composés d’individus à la fois singuliers et grégaires, indépendants et pratiquant un métier de relations avec les publics les plus hétéroclites dont ils dépendent pour leur survie. Au moment du bilan, et considérant l’histoire de l’Odin Teatret, Eugenio Barba réitère le propos qu’il tenait des décennies auparavant sur le théâtre en lui reconnaissant un trait universel :

L’humain a une nature couplée, avec deux faces complémentaires. Une nature individualiste où certains besoins doivent être satisfaits, couplée à une nature d’agrégation sociale et collective. Quand quelqu’un entre dans un groupe de théâtre, il est stimulé, trouve des sollicitations auprès de celui ou de celle qui dirige le travail. Le travail en commun nourrit l’individu jusqu’à ce qu’il ne lui suffise plus. (…) Dans ce cas, si je ne permets pas à l’acteur de trouver l’espace pour sa faim personnelle, il quitte notre aventure commune.72

39La dérive sémantique du mot secte et l’inflexion péjorative de son adjectivation ne permettent guère de décrire la dynamique complexe et paradoxale du processus d’engagement et de création dans la pratique d’un art qui par excellence combine les deux faces complémentaires de la nature de l’humain. Sans doute vaut-il mieux s’exercer à décrire cette complexité, plutôt qu’à porter un jugement qui ne serait en grande partie que le fruit de la projection, banal mécanisme de défense inconscient par lequel le sujet projette sur autrui craintes, désirs et manques.

Notes

1 Benveniste Émile, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1966, p. 266.

2 Créé par décret du 6 mai 2006 « face à la recrudescence des atteintes graves aux personnes constatées au cours des dernières années », l’OCRVP, est une composante de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF) de la direction centrale de la police judiciaire. Site du ministère de l’intérieur en date du 11 décembre 2011, consulté le 10 juin 2020.

3 Ibid.

4 C’est à la demande du diocèse que le parquet de Paris a ouvert une enquête confiée à l’OCRVP en mai 2020 afférente à une accusation de harcèlement moral, subie au sein de l’établissement d’enseignement catholique associé par contrat d’État Saint-Jean-de-Passy.

5 Pour une introduction à son histoire, voir Mucchielli Laurent, « 8. Sociologie et criminologie », in Laurent Mucchielli (dir.), La découverte du social. Naissance de la sociologie en France (1870-1914), Paris, La Découverte, 1998, pp. 292-316.

6 Laurent Samuel, Vincent Élise, « La lutte contre les sectes dissoute dans celle contre la radicalisation. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires sera désormais rattachée au ministère de l’intérieur », Le Monde, 3 octobre 2019, p. 13.

7 Voir le site de la Miviludes, mission interministérielle instituée auprès du Premier ministre par décret présidentiel du 28 novembre 2002, en vue de faire face aux « dérives sectaires » par l’observation, et l’action (consulté en août 2019).

8 Site de la Miviludes (septembre 2019). « Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. »

9 Question qui se retrouve dans le rapport à l’Islam et à ses dérives, comme le montre les travaux de Farhad Khosrokhavar, et les réflexions de Régis Debray sur le fait religieux. Debray Régis, « Qu'est-ce qu'un fait religieux ? », Études, n°9, 2002, p. 169-180.

10 Braudel Fernand, « Entre les temps différents de l’histoire, la longue durée se présente ainsi comme un personnage encombrant, compliqué, souvent inédit », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°4, 1958, p. 733.

11 Voir l’entrée « secte » dans l’édition originale du Littré, Paris, Librairie Hachette, 1873, p. 1874 : « Particulièrement. Ensemble de ceux qui suivent une opinion accusée d'hérésie ou d'erreur ».

12 Bertrand (Abbé), Dictionnaire universel, historique et comparatif de toutes les religions du monde, Paris, publié par M. l’abbé Migne, aux ateliers catholiques du Petit-Montrouge, 1850.

13 « M. Villemain, dans un discours prononcé à l’académie le 30 juin 1842, a dit : « Sectaire des vertus de Port-Royal, mais juge indépendant des passions qui s’y mêlent, il… célèbre cet irréprochable asile de la science et de la foi. » Cet emploi de sectaire n’est pas juste ; il faut sectateur ou partisan. » Littré Émile, Op. cit., p. 1883.

14 Processus intéressant, à l’inverse de ce qui se produit lorsqu’un adjectif se nominalise : les riches, les noirs. Nominalisation propre au français qui, dans ce cas tend à substantifier une qualité comme le montre la place de l’adjectif dans la locution « un chat noir » quand l’anglais place la qualité avant l’objet : « a black cat ».

15 Flamenbaum Béatrice, « Madame Verdurin dans "un amour de Swann" : l'humour et l'inquiétante étrangeté pour transcender les limites du moi social », Romance Notes, University of North Carolina, vol. 55, no1, 2015, p. 51-59.

16 Erikson Erik H., « Ontogénie de la ritualisation chez l’homme », in Julian Huxley (dir.), Le comportement rituel chez l’homme et l’animal (A Discussion on Ritualization of Behavior in Animals and Man, Philosophical - Transactions of the Royal Society of London, Series B, vol. 251, n°772, p. 247-526), traduit de l’anglais par Paulette Vielhomme, Paris, Gallimard, coll. « NRF, Biliothèque des Sciences Humaines », 1971, p. 144.

17 Martin Laurent J., Hathaway Georgia, Isbester Kelsey, Mirali Sara, Acland Erinn L., Niederstrasser Nils, Slepian Peter M., Trost Zina, Bartz Jennifer A., Sapolsky Robert M., Syemberg Wendy F., Levitin Daniel J., Mogil Jeffrey S., « Reducing Social Stress Elicits Emotional Contagion of Pain in Mouse and Human Strangers », Current Biology, vol. 25, Issue 3, 2015, p. 332-326.

18 Bayard Jean-Pierre, Les sociétés secrètes et les sectes, Paris, Philippe Lebaud, 1997, p. 17.

19 Obadia Lionel, L’anthropologie des religions, Paris, La Découverte, 2007, p. 21.

20 « Religion is a western folk category - une catégorie occidentale triviale - that contemporary Western scholars have appropriated » - préface de la nouvelle édition : Saler Benson, Conceptualizing Religion: Immanent Anthropologists, Transcendent Natives, and unbounded categories (1993), New York, Oxford, Berghahn Books, 2000, p. ix.

21 Voir également Dubuisson Daniel, L’Occident et la religion, Bruxelles, Éditions complexe, 1998.

22 Nordhoff Charles, The Communistic societies of the United States: from personal visit and observation, including detailed accounts of the Economists, Zoarites, Shakers, the Amana, Oneida, Bethel, Aurora, Icarian and other existing societies, their religious creeds, social practices, numbers, industries, and present condition, New York, Harper Publishers, 1875.

23 Klautau Orion, « (Re)inventing "Japanese Buddhism": Sectarian Reconfiguration and Historical Writing in Meiji Japan », The Eastern Buddhist, vol. 42, n°1, 2011, p. 75-99. Voir Shimazono Susumu, From Salvation to Spirituality: Popular Religious Movements in Modern Japan, Melbourne, Trans Pacific Press, Japanese Society Series, 2004.

24 Young George, Corps de Droit Ottoman, vol. II, Oxford at the Clarendon Press, 1905, p. 161-162.

25 Laurant Jean-Pierre, « Préface », in Monroe John Warne, Laboratoires de la foi. Mesmérisme, spiritisme et occultisme en France de 1853 à 1914, traduit de l’anglais par Paul Veyret, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, p. 13. Voir en complément les travaux de Nicole Edelman, en particulier Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 2006.

26 Berrod Nicolas, « Des associations anti-homophobie portent plainte contre une adhérente LREM », Le Parisien, 30 mars 2019. En ligne, consulté le 25 juillet 2020 : https://www.leparisien.fr/yvelines-78/des-associations-anti-homophobie-portent-plainte-contre-une-adherente-lrem-30-03-2019-8042925.php.

27 L’emprunt à Niklas Luhmann de cette locution en tant qu’outil notionnel ne signifie pas l’adoption de son point de vue de philosophie sociale (Systèmes sociaux : Esquisse d'une théorie générale, traduit de l’allemand par Lukas S. Sosoe, Presses de l’Université de Laval, 2011), qui – de mon point de vue – tend à hypostasier la dynamique sociale et la tendance des individus à se constituer en groupes et familles d’esprit et d’action.

28 Taviani Ferdinando, Schino Mirella, Le secret de la Commedia dell’Arte. La mémoire des compagnies italiennes au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle (Il Segreto della Commedia dell’Arte, Firenze, la Casa Usher, 1984) traduit de l’italien par Yves Liebert, Contrastes Bouffonneries, 1984, p. 157.

29 Proust Serge, « La communauté théâtrale. Entreprises théâtrales et idéal de la troupe », Revue française de sociologie, vol. 44, 2003/1, p. 93-113. En ligne, consulté le 25 juillet 2020 : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-1-page-93.htm. PROUST Serge, « Directeurs artistiques et administratrices : une distribution sexuée des rôles dans les compagnies de théâtre indépendantes », Travail, genre et sociétés, n° 38, 2017/2, p. 95-112. En ligne, consulté le 25 juillet 2020 : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2017-2-page-95.htm.

30 Heinich Nathalie, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2012.

31 Segré Gabriel, Fans de... Sociologie des nouveaux cultes contemporains, Paris, Armand Colin, 2014. Lewis Lisa A. (dir.), The Adoring Audience : Fan Culture and Popular Media, Abingdon, New York,, Routledge, 1992. Guillet C., Sociologie du fan, Riga Latvia, Éditions Universitaires européennes, 2011. Le Bart C., Ambroise J.C., Les Fans des Beatles. Sociologie d’une passion, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000. Le Bart C., « Stratégies identitaires de fans. L'optimum de différenciation », Revue française de sociologie, vol. 45, no 2, 2004, p. 283-306. Le Guern, Philippe (dir.), Les cultes médiatiques. Culture fan et œuvres cultes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

32 Heinich, Op. cit.

33 Voir Brown Sean (ed.), Football Fans Around the World: From Supporters to Fanatics, Routledge, 2013, en particulier l’article de Floris Müller, L. van Zoonen and L. de Roode : « Accidental racists: experiences and contradictions of racism in local Amsterdam soccer fan culture », p. 173-188. Le stade de France, dans la banlieue nord de Paris compte 80.698 places en configuration football/rugby.

34 Lavelle L., « L'art comme révélation », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 2004/2, p. 319-332. En ligne, consulté le 25 juillet 2020 : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2004-2-page-319.htm.

35 Autant-Mathieu Marie-Christine (dir.), Créer, Ensemble. Points De Vue Sur Les Communautés Artistiques (Fin Du XIXe-XXe Siècles), Lavérune, L’Entretemps, coll. « Les voies de l’acteur », 2013.

36 Osterwa J., Przez teatr – poza teatr (Par le théâtre, au-delà du théâtre), Gracovie, TN Societas Vistulana, 2004, p. 109. Cité par Michel Masłowski (dir.), L’anthropologie théâtrale selon Jerzy Grotowski, Paris, Éditions de l’Amandier, 2013, p. 7.

37 Julien A.-M. « La théâtralité condition essentielle d’un théâtre actif », in André Villiers (communications présentées par), Théâtre et collectivité, Paris, Flammarion, coll. « Bibliothèque d’esthétique », 1953, p. 239.

38 Autant-Mathieu Marie-Christine, « Introduction », La Revue Russe, n°28 : Du spirituel au théâtre et au cinéma, 2007, p. 7.

39 Ibid.

40 Brook Peter, « Grotowski, l’art comme véhicule », conférence donnée en français en mars 1987 à Florence, in Centro di lavoro di Jerzy Grotowski workcenter of Jerzy Grotowski, Centro per la Sperimentazione e la Ricerca Teatrale, Sd., p. 51.

41 L’œuvre artistique, pédagogique et théorique de Barba a été récompensée par plus d’une dizaine de doctorats honoris causa et prix divers.

42 Watson I., Towards a Third Theatre – Eugenio Barba and the Odin Teatret, with a foreword by Richard Schechner, London, New York, Routledge, 1993. p. 160. Je n’ai pas échappé moi-même à quelques piques dans ces articles dans lesquels E. Munk me reprochait mon intérêt pour les sciences du vivant. C’était en 1986, alors que n’émerge la cognitive revolution.

43 Dolan J., Presence and Desire: Essays on Gender, Sexuality, Performance (Critical Perspectives on Women & Gender), Ann Arbor, University of Michigan Press, 1993, p. 69-84.

44 Voir à ce propos « Un théâtre de fracture », texte rédigé en 1964 par Barba (« The Creation of a Rift-Theater »), publié en français par Patrick Pezin, in Barba Eugenio, Théâtre solitude métier révolte, Saussan, L’Entretemps, coll. « voies de l’acteur », 1999, p. 30.

45 Odin Teatret Experiences, Holstebro, Odin Teatrets forlag, 1973, p. 11.

46 Barba Eugenio, Alla ricerca del teatro perduto : Una proposta dell'avanguardia polacca, Padova, Marsilio, 1965.

47 Fumaroli Marc and Bowman Frank Paul, « Eugenio Barba's "Kaspariana" », The Drama Review: TDR, vol. 13, n°1, 1968, p. 46-56. Un fonds Fumaroli comportant des inédits a été constitué dans les archives de l’Odin Teatret, à Holstebro (Danemark).

48 Propos recueillis par Bent Hagested en septembre 1967 : « Un théâtre de sectaire », Odin Teatret Experiences, Odin Teatret, 1973, p.161. Hagested Bent, Barba Eugenio and Hewitt James R., « A Sectarian Theatre: An Interview with Eugenio Barba », The Drama Review: TDR. vol. 14, n°1, 1969, p. 55-59.

49 Dans la version anglaise du texte, l'expression « holy actor » - traduit en français par « acteur saint » - ne comporte aucune signification religieuse, ni mystique. Le mot souligne l'engagement total de l'acteur par opposition à l'acteur « touriste » ou « papillon » qui désigne celui ne fait que passer sans s'attacher profondément à un lieu ou à un projet. Grotowski et Barba qui l'interroge étant de culture catholique, ils empruntent des métaphores d'usage courant en Pologne et Italie, de même que les Français parlent de « grand messe » à propos du journal télévisé de 20h. ou d'une manifestation. Grotowski précise dans ce même entretien: « [c]omme je l'ai déjà dit, il ne faut pas prendre le mot "saint" dans son sens religieux. C'est plutôt une métaphore pour définir une personne qui, par son art, monte au bûcher et accompli un acte d'auto-sacrifice. » (Vers un théâtre pauvre, 1971, p. 42).

50 Barrault Jean-Louis, « Le Phénomène théâtral », The Zaharoff Lecture for 1961, Oxford at the Clarendon Press, 1961, p. 5.

51 Barba Eugenio, « Lettre à l’acteur D. » Synspunkter om kunst, Köbenhavn, Brøndums Forlag, 1968. Repris dans Expériences, o.c. p. 9-10.

52 Expériences, p. 156.

53 Expériences, p. 157-158.

54 Expériences, p. 161.

55 Experiences, p.161.

56 Expériences, p. 156.

57 Marotti Ferruccio, « Intervista con Eugenio Barba e Torgeir Wethal », in Ferdinando Taviani (a cura di) Il libro dell’Odin – il teatro laboratorio di Eugenio Barba, Milano, Feltrinelli Editore, 1975, p. 9-10.

58 Barba revient sur ce point dans l’entretien de février 2020 donné au comédien Théophile Choquet à Holstebro, in MASSON-SÉKINÉ Nourit, Eugenio Barba et l’Odin Teatret. Nous avons tous deux vies, Strasbourg, les livrets d’Origine, 2020, p. 29-31. A propos d’Eigil Winje, le patron ferblantier qui l’avait engagé à Oslo. Alors que Barba était proche de l’idéologie communiste, lui – Eigil – « comme propriétaire et conservateur était un ennemi de classe ! Mais en même temps, il s’était battu contre le nazisme et dirigeait la ferblanterie au maximum de l’égalitarisme. Il m’a aidé à réfléchir sur le paradoxe qu’est l’être humain, une identité résultante d’attitudes contrastantes. »

59 Marotti, Op.cit., p. 16. Else Marie Laukvik née en 1944 ; Torgeir Wethal 1947-2010.

60 Voir « Étrangers dans le théâtre », in Eugenio Barba, L’archipel du théâtre, traduit de l’italien et du danois par Yves Liébert, Bouffonneries, coll. « Contrastes », 1982, p. 15-19.

61 Devenu manifeste, le texte a été publié dans International Theatre Information, Unesco, Paris 1976. Repris dans plusieurs publications : Barba Eugenio, Théâtre, solitude, métier, révolte…, p. 179.

62 Id., p. 180.

63 Barba Eugenio, « Anthropologie théâtrale : premières hypothèses », conférence prononcée à Varsovie en mai 1980, publiée dans la revue Dialog, avril 1981. Version française Barba Eugenio, L’archipel du théâtre, Carcassonne, Bouffonneries, coll. « Contrastes », 1982, p. 73-84.

64 Barba Eugenio, Savarese Nicola, Anatomie de l’acteur – Un dictionnaire d’anthropologie théâtrale, traduit de l’italien par Eliane Deschamps-Pria, Cazilhac, Bouffonneries, coll. « Contrastes », 1985, p. 143-149.

65 Barba Eugenio, « Tacit knowledge – Heritage and Waste », in John Andreasen, Annelis Kuhlmann (dir.), Odin Teatret 2000, Aarhus, Aarhus University Press, 2000, p. 17-21.

66 « Anatomie de l’acteur », Théâtre/Public, n°76-77, 1987, p. 35-44.

67 Bernard Michel, « Esthétique et théâtralité du corps », Quel Corps, n°34/35, 1988, p. 18. Sur ce malentendu voir Pradier Jean-Marie, « Barba : l’exercice invisible », in Carol Müller (coord.), Le Training de l’Acteur, Actes Sud-Papiers/CNSAD, coll. « Apprendre », 2000, p. 57-78.

68 Berneri Camillo, Contre le fascisme - Textes choisis (1923-1937), traduit de l’italien par Miguel Chueca, Marseille, Éditions Agone, coll. « Mémoires sociales », 2019.

69 Version française in Expériences, Op.cit., p. 167.

70 De Sanctis Arianna Berenice, L’Odin Teatret et l’Amérique latine. L’invention d’un réseau politique, esthétique et de campagnonnage, Thèse pour le doctorat en études théâtrales sous la direction de Jean-Marie Pradier, Université Paris 8, 2014 (en cours de publication).

71 Barba Eugenio, Le canoë de papier – Traité d’anthropologie théâtrale, traduit par Eliane Deschamps-Pria, Lectoure, Bouffonneries N° 28-29, 1993, p. 217.

72 Choquet T., Entretien, Op.cit., p. 39.

Pour citer cet article

Jean-Marie Pradier, « Le théâtre contemporain et la secte », L'ethnographie, 3-4 | 2020, mis en ligne le 26 octobre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=601

Jean-Marie Pradier

Jean-Marie Pradier est Professeur émérite de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheur à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (USR 3258 CNRS).