De l’aigle à l’humanité contemporaine : deux mots sur le logo de L’Ethnographie
Jean-Marie Pradier
Novembre -1
1À défaut d’une trace de patte, de quelques poils ou d’une odeur, l’humanité a inventé des graphismes souvent accolés à une devise pour marquer son territoire. Nous avons une dizaine de termes en français pour désigner ces signatures esthétiques, sociales et symboliques. Aux anciennes formes réservées aux élites, il est préféré aujourd’hui le terme logo, apocope de logotype, né de l’imprimerie et versé dans le tout-venant de la modernité industrielle.
2Aux premiers moments de son existence, la revue se disait organe de la Société d’Ethnographie Américaine & Orientale, fondée en 1859. Elle en adopta l’emblème : un aigle tenant un serpent en son bec, les griffes enserrant du feuillage. Le majestueux aquilidé survolait l’océan d’où se levait un soleil aux rayons impressionnants. Au premier plan se distinguait de la matière, roche ou végétal. En 1864, la Société choisit de définir l’ethnographie comme « l’étude physique, morale et intellectuelle de l’humanité ». Sous l’impulsion de Léon de Rosny (1837-1914), elle s’ouvrit au monde et à la pluridisciplinarité, alors que le célèbre docteur Pierre-Paul Broca bataillait, avec sa Société d’Anthropologie, en se fixant pour but « l’histoire naturelle de l’Homme, c’est-à-dire l’origine et la diversité biologique de l’espèce humaine », escamotant ce qui fait son unité. La Société abrégea son patronyme et devint la Société d’Ethnographie, tout court. Elle changea également d’emblème au profit d’une devise universaliste : « Corpore Diversi sed Mentis Lumine Fratres » - divers par le corps et frères par la lumière de l’esprit. Le logotype auréolait trois individus nus, à la morphologie masculine mais aux organes sexuels invisibles : le plus grand, un blanc, était flanqué d’un noir à sa droite et d’un grisé à la longue tresse sur sa gauche. Les trois se donnaient la main, le grisé portant la droite sur les lombaires du blanc. Une illustration originale polychrome de l’emblème de la Société d’Ethnographie, en date de 1896, redonne leur genre aux personnages qui apparaissent dans une virilité affirmée, bien membrée et barbue pour le personnage central blanc.
3Au cours de son histoire la revue a opté alternativement pour l’un ou l’autre de ces emblèmes. Héritiers émancipés, nous avons voulu rendre hommage à l’esprit des pionniers sans pour autant garder de l’image ce qu’elle devait aux canons de son époque.
Corpore Diversi sed Mentis Lumine Fratres
L. Burgholzer (2018)
4En 2018, Laurette Burgholzer, artiste plasticienne et chercheuse en études théâtrales l’a redessiné en accordant aux trois protagonistes une sexualité contemporaine plurielle et des organes génitaux enfin retrouvés. Formée à l’Université de Vienne (Autriche), L. Burgholzer enseigne depuis 2017 l’histoire et la théorie du théâtre à l’Université de Berne (Suisse) et à l’École supérieure d’art dramatique de Paris. Spécialiste des masques et du jeu masqué, elle a présenté en automne 2018 son travail graphique autour des rapports entre corps humains et ses avatars dramatiques.
Pour citer cet article↑
Jean-Marie Pradier, « De l’aigle à l’humanité contemporaine : deux mots sur le logo de L’Ethnographie », L'ethnographie, mis en ligne le , consulté le 13 décembre 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=431Jean-Marie Pradier
Maison des sciences de l'homme Paris Nord (USR3258)