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L'Ethnographie

Retour aux sources par le détour en Occident : Jerzy Grotowski et le U-Theatre de Taïwan

Nathalie Gauthard

Septembre 2019

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.102

Résumés

Les recherches du metteur en scène polonais Jerzy Grotowski sur l’art de l’acteur l’ont conduit à explorer des techniques issues de pratiques asiatiques, ce qu’il enseigna lors d’un séjour aux Etats-Unis. Parmi ses étudiants, l’artiste taïwanaise Ruo-Yu Liu le suivit durant un an lors d’un stage intensif dans une ferme en Californie. Cette expérience bouleversa sa manière de concevoir la scène artistique et son attitude individuelle face à la vie. En 1988, elle fonde sa propre troupe à Taïwan. Retirée dans les collines, la vie du U-Theatre se fonde sur un mode de vie ascétique. La compagnie combine musique, théâtre, littérature, danse, mythologie et rituel avec des techniques de méditation, tai chi, arts martiaux et percussions conçus pour l’entraînement de leurs acteurs. Ils incarnent un renouveau des formes esthétiques contemporaines sur un fonds de pratiques traditionnelles.

Texte intégral

Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même. Confucius

1La pensée et les recherches du metteur en scène Jerzy Grotowski ont essaimé à travers la planète et produit des étincelles de créativité, des îlots de théâtre aux carrefours de multiples influences scéniques, musicales et géographiques. Parmi ces étincelles brille l’activité scénique de l’île de Taïwan qui s’appropria la parole et la pratique du maître pour faire naître une multitude de compagnies d’avant-garde devenues aujourd’hui incontournables sur les scènes internationales. Parmi celles-ci, le U-Theatre et sa fondatrice Liu Ruo-Yu, une disciple directe de Jerzy Grotowski, tiennent une place prépondérante.

2À la fin des années 1980, après une année de pratique intensive auprès de Jerzy Grotowski à l’université d’Irvine en Californie et trois ans de recherches de terrain sur les arts traditionnels à Taïwan, Liu Ruo-Yu fonde sa propre compagnie, inspirée par les préceptes du maître. Retirée dans les collines taïwanaises, la troupe U-Theatre observe un mode de vie ascétique où se combine la pratique de la méditation, des arts martiaux, de la danse, du théâtre et des percussions, sous la direction conjointe du chorégraphe-danseur et maître d’arts martiaux Huang Chih-Chun et de la directrice artistique Liu Ruo-Yu. Leur conception de la création consiste à fusionner la « culture de l’esprit » et la performance artistique. A Taïwan, la troupe incarne le renouveau des formes esthétiques taïwanaises et l’expression de dynamiques esthétiques contemporaines.

3Leur démarche, à la croisée de la création artistique, des préoccupations spirituelles et des revendications identitaires, interroge néanmoins. Elle est au cœur de plusieurs problématiques propre à l’histoire de Taïwan, de la Chine et du théâtre mondial au XXe et XXIe siècles. En effet, les extraits d’entretiens avec Liu Ruo-Yu illustrant la première partie de cet article lèvent un voile sur les entrainements menés par Jerzy Grotowski durant sa période californienne à l’Université d’Irvine, tout en suivant son parcours individuel d’actrice en rupture avec ses origines chinoises. Après un éclairage, en seconde partie, sur le quotidien et l’esthétique du U Theatre, il convient d’interroger si ce jeu d’imbrication complexe que constitue la création artistique, cet enchevêtrement de références et de pratiques, peuvent réduire le U Theatre à un « théâtre interculturel », « hybride » ou « métissé » ou si a contrario il met en lumière les dynamiques esthétiques et artistiques de la scène contemporaine mondiale au XXIe siècle.

Le rêve de Tchouang-tseu ou le récit d’un apprentissage

Tchouang-Tseu rêva qu'il était papillon, voletant, heureux de son sort, ne sachant pas qu'il était Tchouang-Tseu. Il se réveilla soudain et s'aperçut qu'il était Tchouang-Tseu. Il ne savait plus s'il était Tchouang-Tseu qui venait de rêver qu'il était papillon ou s'il était un papillon qui rêvait qu'il était Tchouang-Tseu.

4Le metteur en scène polonais Jerzy Grotowski1 est au coeur d’une recherche théâtrale et artistique entamée en 1959 à Opole au sein du « Théâtre des 13 rangs » fondé par l’écrivain Ludwig Flazen puis à Wroclaw dans son « Teatr Laboratorium ». Il quitte la Pologne en 1982 au moment de la proclamation de la loi martiale, et obtient l’asile politique aux États-Unis. Il y enseigne à l’université de Columbia en 1982-1983, tout en préparant son projet de recherche Objective Drama. Il est ensuite invité par Robert Cohen, le fondateur et directeur du département théâtre de l’université de Californie d’Irvine, à poursuivre ses recherches sur le campus où on lui attribue la jouissance exclusive d’une vieille grange comme espace de pratique avec la promesse qu’il pourrait y travailler durant trois ans. Financé par la Fondation Rockefeller, la National Endowment for the Arts et par quelques mécènes privés2, et après avoir recruté quelques étudiants, le Studio Théâtre d’Irvine démarre ses activités en 1983 sous le nom de Focused Research Program in Objective Drama. En 1984, le « Research and Development Report » décrit le projet de recherche comme suit :

Objective Drama est le terme employé par Jerzy Grotowski pour désigner les éléments des rituels ancestraux de diverses cultures du monde qui ont un impact précis, et donc objectif, sur les participants, indépendamment de leur signification théologique ou symbolique. M. Grotowski a l’intention d’isoler et d’étudier les éléments des mouvements performatifs, des danses, des chants, des incantations, des structures du langage, des rythmes et des usages de l’espace. Ces éléments sont recherchés au moyen d’un processus de distillation du complexe à travers le simple et à travers la séparation de ces éléments les uns des autres3.

5Dès octobre 1983, Jerzy Grotowski dirige plusieurs sessions sur le travail de la voix. Il invite Jean-Claude Garoute dit « Tiga » et Maud Robard pour transmettre les chants et danses vaudous d’Haïti. Il s’agit d’un apprentissage par imitation vocale et corporelle sans qu’aucune traduction ou signification ne soient données. Ces sessions ont lieu du soir jusqu’au matin. À partir de janvier 1984, la vieille grange du campus est rénovée avec un nouveau plancher et les murs sont repeints en bleu. Une yourte en bois, adaptation moderne des yourtes des nomades d’Asie centrale, est construite à côté. Des activités de recherches plus approfondies commencent alors dans ces deux bâtiments : Jerzy Grotowski transmet les exercices sur les actions qu’il avait développés avec le Théâtre des Sources en Pologne. Les sessions sont généralement divisées en quatre parties nommées : The River (entraînement sur les chants et danses traditionnelles d’Haïti), The Motions, Watching et le Mystery Play, un travail sur les actions individuelles. Au terme d’une année, les Haïtiens arrêtent le travail et d’autres « détenteurs de traditions » prennent la relève, comme des derviches tourneurs pratiquant le sama (une méditation en mouvement rappelant le mouvement d’une toupie, d’origine soufie) ou des pratiquants zen japonais qui enseignent le karaté.

6Après une formation d’actrice à Taïwan et une participation au sein du Théâtre Lang Lin (1980-1982) où elle rencontra son compagnon de l’époque Chen Wei-Cheng, l’obtention d’un MA à la New York University Tisch School of The Arts (NYU) au département « Educational Drama » en 1984, Liu Ruo-Yu (qui s’appelait alors Liu Ching-Min4) est admise dans ce groupe avec Chen Wei-Cheng (aussi étudiant au département « Dance Education ») ainsi qu’un Coréen, un Balinais, un Colombien. Durant l’été 1984, d’autres étudiants arrivent de l’université de Yale et de la New York University pour des stages de deux semaines, parmi lesquels Thomas Richards. Dans un long entretien réalisé en mars 20155, Liu Ruo-Yu évoque longuement ses souvenirs avec Jerzy Grotowski et l’influence fondamentale et décisive que celui-ci opéra dans sa vie et ses recherches artistiques : « Ce que j’ai appris de lui, essentiellement, est une manière de comprendre qui je suis, quelle est ma vie et quel est mon travail à Taïwan. » Elle évoque ses souvenirs à Irvine :

C’était très dur. Nous terminions à 2 heures du matin puis nous recommencions dès 4 heures. Je perdais deux kilos par jour. Je pleurais beaucoup. C’était très douloureux, mon corps était très douloureux. Le training était très intense mais chacun était au rendez-vous, il n’y avait jamais de retard. C’était si précis, si fort. Tout se faisait sans parole, en silence : dix minutes de repos, à manger un sandwich, ne jamais s’arrêter, regarder les autres faire. Celui qui dirige le groupe met ses chaussures : tu mets tes chaussures. Il marche : tu marches. Les premiers mois, même durant l’année d’apprentissage, je ne savais pas qu’il y avait de l’électricité dans le bâtiment. Nous ne l’utilisions pas mais le dernier jour, on a allumé la lumière car nous devions nettoyer tout le bâtiment. Or tous les jours, nous devions nettoyer mais nous n’avions que des lampes à huile. J’avais bien vu l’interrupteur mais je m’étais dit que c’était sûrement hors d’usage. Le dernier jour, lorsque la lumière électrique s’est allumée, ça a été un choc…

7Cette expérience intensive, ces sessions marathons sont relatées dans tous les témoignages de l’époque. Liu Ruo-Yu relate ensuite le cœur des exercices de Jerzy Grotowski avec les Mystery Plays et son approche du chant traditionnel. Son récit renseigne sur les méthodes employées :

Un jour, il nous a demandé de travailler avec les Mystery Plays et d’utiliser nos souvenirs d’enfance, ou bien les souvenirs d’enfance de notre mère, ou de notre grand-mère qui nous ont chanté de vieilles chansons traditionnelles afin de faire des Mystery Plays avec notre corps. Mais moi, je ne pouvais rien trouver car mes parents venaient de Chine. Il n’y avait pas de grands-parents qui vivaient avec nous. Et mes parents étaient, tout le temps, occupés, mon père était un militaire venu en 1949. Il y avait donc rupture entre les générations. Il m’était impossible de trouver une vieille chanson dans ma mémoire. Puis j’ai trouvé un poète que j’avais étudié à l’université, avec un poème chanté, mais la mélodie était moderne, pas ancienne. Après avoir joué ma Mystery Play6 avec la chanson, j’ai fait quelques mouvements corporels. Il me dit : « Ching, tu ressembles à une Chinoise occidentalisée. » Là, je me suis dit que ce n’était pas bon signe. Je lui demande : « S’il vous plaît maître, qu’est-ce que cela veut dire ? » et il me répondit alors : « De ce que je sais, les Orientaux agissent en premier avant de réfléchir et les Occidentaux réfléchissent en premier, donc dans le travail que tu as fourni tu as davantage réfléchi que tu n’as fait. » Bien sûr, j’avais réfléchi à comment aller d’un point à un autre et comment faire ceci ou cela. Et après avoir réfléchi, j’ai adapté mon corps à mes pensées. Il avait tout à fait raison. Dans certaines traditions, il y a des disciples qui apprennent des mouvements, sans réfléchir, et quand ils vieillissent ils comprennent à quoi sert cette technique, à quoi ces mouvements correspondent. Le corps, le mouvement, la pensée tout ne forme qu’un tout. À partir de ce moment-là j’ai compris qu’il y avait quelque chose que j’avais perdu.

8Le récit autobiographique fournit ensuite un éclairage essentiel sur un pan de l’histoire récente de Taïwan, elle poursuit :

Toute la vie passée est perdue. En ce temps-là à Taïwan, les militaires qui étaient venus de Chine en 1949 avec Tchang Kaï-Chek vivaient dans des villages de garnison derrière une clôture de bambous : les Taïwanais nous surnommaient les « habitants des palissades de bambous ». Moi je vivais derrière ces palissades dans cette garnison militaire alors que tous les habitants de Taïwan avaient ces temples, ces rituels, mais nous ne les connaissions pas. Nous n’allions pas dans les villages, nous parlions un langage différent, le mandarin. Eux, ils parlaient taïwanais. Mes parents venaient d’un village à côté de Pékin, donc ma langue maternelle vient de là. Nous n’avions aucun ami taïwanais. Nous formions un petit cercle.

9Grâce à Grotowski, je me suis rendu compte de cela. Je me suis dit : « Oh mon Dieu ! Je vis à Taïwan et je ne connais strictement rien de cette culture ! » et j’avais déjà 27-28 ans7… Même constat sur la manière dont j’ai grandi : je n’avais pas non plus de relation avec la culture chinoise. Cependant, même si nous avions une langue différente avec les Taïwanais, nous avions les mêmes ancêtres chinois. Néanmoins, les chansons folkloriques, les rituels des temples, toutes ces cérémonies, nous ne les connaissions pas. Dans ma famille, il n’y avait pas de cérémonies ou de célébrations religieuses, seulement les gâteaux de pleine lune8. J’ai donc décidé, de retour à Taïwan, d’aller dans tous ces temples et de visiter toutes les communautés taïwanaises9. J’ai passé trois ans complets sur le terrain. J’ai même vécu chez un vieux maître taïwanais de chant traditionnel, même si je ne comprenais pas un mot que ce qu’il disait car c’était du taïwanais ancien. Au début du U-Theatre, nous apprenions le vieux taïwanais et des chansons de vieux maîtres. Après trois ans, même si je ne parlais pas encore très bien le vieux taïwanais, je savais quelle était leur culture, j’avais établi un contact, je sentais ce qu’était vivre à Taïwan, ce n’était plus ce petit village.

10Le retour sur soi est un processus de travail récurrent et répandu dans les sessions de travail sur les chants traditionnels et la recherche de Jerzy Grotowski ainsi que l’illustre cet extrait de sa célèbre conférence « Tu es le fils de quelqu’un », prononcée en Français dès 1985 et publiée ensuite sous différentes versions10 :

L’un des tests dans ce domaine est une sorte d’ethnodrame individuel dont le point de départ est une vieille chanson liée à la tradition ethnico-religieuse de la personne concernée. On commence à travailler sur cette chanson comme si, en elle, se trouvait codifiée en puissance (mouvement action, rythme…) une totalité. C’est comme un ethnodrame dans le sens traditionnel collectif, mais ici c’est une personne qui agit avec une chanson et toute seule. […] Finalement tu vas découvrir que tu es de quelque part. Comme on dit dans une expression française « tu es le fils de quelqu’un ». Tu n’es pas un vagabond, tu es de quelque part, de quelque pays, de quelque endroit, de quelque paysage. Il y avait des gens réels autour de toi, près ou loin. C’est toi il y a deux cents, trois cents, quatre cents ou mille ans, mais c’est toi. Parce que celui qui a commencé à chanter les premiers mots était le fils de quelqu’un, de quelque endroit, de quelque lieu, alors, si tu retrouves ça, tu es le fils de quelqu’un. Si tu ne retrouves pas ça, tu n’es pas le fils de quelqu’un, tu es coupé, stérile, infécond11.

11Cette quête se retrouve tout au long de sa recherche, aussi écrivait-il en 1990 :

Un accès à la créativité consiste à découvrir en vous une corporalité ancienne à laquelle vous êtes relié par une forte relation ancestrale. Donc vous n’êtes ni dans le personnage ni dans le non-personnage. À partir de détails, vous pourrez découvrir en vous quelqu’un d’autre – votre grand-père, votre mère. Une photo, un souvenir de rides, l’écho lointain d’une couleur de la voix permettent de reconstituer une corporalité. D’abord, la corporalité de quelqu’un connu, puis de plus en plus éloigné, la corporalité de l’inconnu, l’ancêtre. Est-ce littéralement la même chose ? Peut-être pas littéralement – mais comme cela aurait pu l’être. Vous pouvez arriver très loin, comme si votre mémoire se réveillait. C’est un phénomène de réminiscence, comme si vous vous souveniez du performer rituel primitif. À chaque fois, je découvre quelque chose, j’ai le sentiment que c’est ce dont je me souviens. Les découvertes sont derrière nous et nous devons revenir en arrière pour les atteindre. […] Quand je travaille près de l’essence, j’ai l’impression que la mémoire s’actualise. Quand l’essence est activée, c’est comme si de puissantes potentialités étaient activées. La réminiscence est peut-être l’une de ces potentialités12.

12Cette « connaissance-(re)connaissance » de soi est un facteur de transformation et d’élévation à un degré de compréhension et d’expression de soi plus profonde, « une dilatation de la perception et de la conscience »13 ce que Peter Brook a désigné comme « l’Art comme véhicule », faisant aussi écho à la pensée d’Antonin Artaud avec la notion de « vrai théâtre »/« vraie personne »14 et du « travail de l’acteur sur soi-même »15 de Constantin Stanislavski. Cette affirmation est reprise et développée par Piergiorgio Giacché à propos de Grotowski et de l’anthropologie théâtrale : « […] L’art théâtral n’est pas seulement l’art de la représentation, mais aussi l’art comme véhicule de connaissance dans ce sens qu’il constitue une discipline du faire équivalent au connaître ; plus encore, dans ce sens qu’il n’y a que ce que l’homme réalise “avec” et “dans” son propre corps qui peut correspondre à une forme authentique de connaissance. »16 L’approche grotowskienne ne consiste pas en l’exploration de techniques figées, au contraire, l’extrême technicité, l’entraînement intensif, l’effort musculaire ne sont qu’une porte d’accès à la présence scénique afin de restaurer « l’organicité » et la spontanéité de l’acteur. Cet apprentissage est « un acte sérieux et solennel de révélation. L’acteur doit être prêt et être absolument sincère. C’est comme une marche vers le sommet de l’organisme de l’acteur en laquelle conscience et instinct sont réunis » commentait déjà Jerzy Grotowski dans un entretien avec Denis Bablet à propos du Prince Constant en 196717. Cette « organicité » produit un seuil de conscience de soi, une voie de connaissance, une maîtrise de ses actions et comportements scéniques pour créer et obtenir des « signes efficaces ». Pour Peter Brook : « Le travail de Grotowski le mène de plus en plus profondément dans le monde intérieur de l’acteur, jusqu’au point où l’acteur cesse d’être acteur pour devenir l’homme essentiel »18. Liu Ruo-Yu va éprouver ce travail intérieur à tel point que cela sera pour elle une « révélation » qui « bouleversera » sa manière de percevoir le monde, la vie, et sa pratique artistique. Ce principe deviendra le moteur de sa recherche artistique et présidera à la fondation du U-Theatre :

Grotowski m’a donné ce grand coup comme les maîtres zen avec leur bâton. Boum : « Qui es-tu ? » « Comment as-tu grandi ? » « Qui se trouve à l’intérieur de toi ? » Travailler avec lui c’est être alerte, conscient. Conscient de quelque chose que je ne savais pas vraiment. Dans un second temps, nous devions à nouveau faire ces Mystery Plays, j’ai alors choisi un thème oriental : l’histoire de Tchouang-Tseu « Le sage rêve qu’il est un papillon, et se réveillant, se demande s’il n’est pas plutôt un papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu. » J’ai choisi cela car je savais qu’il le connaissait. J’ai joué cette histoire et cette fois j’avais répété, j’ai fait une par une toutes les actions du corps. Après la démonstration il m’a demandé : « Ching, qui est en train de rêver, es-tu en train de rêver le papillon ou Tchouang-Tseu qui rêve qu’il est un papillon ? » Je ne comprenais pas ce qu’il me racontait j’ai eu néanmoins la sensation que c’était une question très pertinente. Je ne pouvais pas répondre, je ne disais plus un mot. Alors je me suis dit qu’il y avait un sens que je devais comprendre. Grotowski m’a dit alors que pour devenir une autre personne, « commence par t’observer toi-même à chaque minute même quand tu marches, tu bois, tu manges, comme si tu étais une autre personne qui t’observe. Même quand tu parles à quelqu’un d’autre, observe-toi ». J’ai demandé à mon compagnon de prendre un appareil photo : « Quand je mange, prends une photo, quand je marche, prends une photo ! » Je n’avais pas compris ce que Grotowski me demandait, je pensais que c’était quelque chose d’important que de s’observer de l’extérieur. J’ai regardé les photos prises et je me suis dit : « Ah, cette personne sur la photo est vraiment moche : je ne me tiens pas comme cela ! » Évidemment, ce n’était pas la bonne manière pour s’observer soi-même. Puis je suis rentrée à Taïwan.

13L’apprentissage auprès de Grotowski et sa pensée ont marqué profondément Liu Ruo-Yu et Chen Wei-Cheng. Celui-ci participe à son retour au théâtre Renzi19, qui signifie « Fils de l’homme », fondé par Huang Cheng-Huang, tandis que Liu Ruo-Yu poursuit ses recherches sur les arts populaires et folkloriques sur l’île de Taïwan durant trois années avant de créer le U-Theatre et de proposer ses premières mises en scène avec une esthétique particulière, au croisement des traditions asiatiques populaires et savantes et de l’avant-garde occidentale. Outre les activités théâtrales dans leurs propres compagnies, ils enseignent dans les écoles de formations en arts du spectacle, à l’université à Taïwan, et donnent des stages sur la « méthode Grotowski » reprenant les exercices appris – Waking up, Watching, Motion, Mystery Plays, etc. – durant la période à Irvine, et d’autres exercices comme la danse et le chant haïtien Yanvalou20 appris auprès de Maud Robard et Tiga Garoute. Outre les exercices physiques, des lectures sont conseillées : La Quatrième Voie d’Ouspenski selon les enseignements de Georges Ivanovitch Gurdjieff21, et d’autres auteurs mystiques comme Osho ou Carlos Castaneda afin d’amorcer chez les stagiaires une réflexion et une prise de conscience sur soi (corps, esprit, intériorité, extériorité) et « être au présent » dans sa pratique artistique et sa vie quotidienne. Leur influence sur l’avant-garde taïwanaise va engendrer la création d’une multitude de petites troupes de théâtre à partir des années 1990 et se réclamant d’un héritage grotowskien.

L’être au monde, l’être au Théâtre ou la quête de l’ « Être humain total »

14Le U-Theatre est créé en 1988. Selon Liu Ruo-Yu, U en mandarin ancien signifie « excellence », U-ren : « excellente personne » et par extension « interprète ». Une autre traduction en chinois existe 優人神鼓, youren shengu. 優人youren qui signifie artistes et you excellence, suivi de 神 shen l’état de sérénité, de calme, de tranquillité au plus profond de soi (en langage courant, shen désigne l’esprit, les divinités…) et enfin 鼓 gu, tambour. La traduction complète serait alors : 優人神鼓youren shengu « le son des tambours résonnant en état de sérénité, méditatif »22, ce qui paraît logique à l’observation de leurs spectacles et à la lecture de leurs discours.

15Il propose dans un premier temps des exercices inspirés des entraînements physiques de Jerzy Grotowski conjugués aux arts de la scène et cérémonies rituelles de Taïwan ainsi qu’aux méthodes psycho-corporelles et énergétiques orientales. Liu Ruo-Yu souhaite néanmoins repartir auprès de Jerzy Grotowski qui s’est à présent établi à Pontedera. Elle s’inscrit à l’université de Montpellier en France pour apprendre le français, une langue utilisée dans les apprentissages du Workcentrer, le centre de recherche théâtrale à Pontedera. Elle y part ensuite continuer sa formation avec Grotowski :

J’étais si heureuse de retrouver Grotowski et de retrouver notre training, que j’appliquais à mon groupe de Taïwan : les Motions, Actions, River. J’ai fait des démonstrations pour lui montrer que j’avais continué son travail. Mais après ma représentation Grotowski me dit : « non non non, on ne fait plus comme ça aujourd’hui » et il demande à Thomas Richards de faire une démonstration, et Grotowski de dire que cela était plus correct. Et là je me suis dit qu’un véritable maître fait évoluer sa pratique, et que je ne pourrai jamais rattraper le chemin qu’il avait déjà parcouru. J’aurais dû suivre ses pas, chercher les origines des techniques, et ne pas chercher et ne pas reproduire ce qu’il avait déjà exploré. J’ai donc décidé de ne pas rester à Pontedera et de rentrer chez moi à la recherche des origines de ma culture. Je savais qu’il avait étudié Lao-Tseu et Tchouang-Tseu que je ne connaissais pas. Je me suis dit : « C’est ma culture, je veux retourner et connaître ma culture, que je comprenne enfin ce qu’il me raconte. » Je suis tout de même restée quinze jours, j’ai répété, répété et j’ai fait une démonstration de Mystery Play en chanson et en mouvement. Après ma démonstration, il a dit « j’y crois », c’était quelque chose ! Il y avait cette dame allemande qui a fait une démonstration extraordinaire, et à elle, il lui a dit « tu prétends toujours », et à moi « j’y crois », c’était si fort pour moi, j’avais enfin compris ce qu’était « être vrai ».

16Après l’expérience de Pontedera, Liu Ruo-Yu poursuit ses pratiques des arts populaires et des pratiques rituelles taïwanaises en s’initiant au chegu, une procession chantée et dansée avec des petits tambours accrochés à la taille, aux marches avec échasses, à la musique beiguan et à diverses processions religieuses à caractère spectaculaire. Elle tente plusieurs mises en scène dont Le Nouveau Procès de Wei Jingsheng mais le succès n’est pas au rendez-vous. Tout en poursuivant son exploration des pratiques culturelles taïwanaises, elle rencontre Huang Chih-Chun, un maître de percussion et d’arts martiaux, et alors danseur dans une autre troupe emblématique de Taïwan, le Cloud Gate Dance Theatre fondé en 1973 par le chorégraphe Lin Hwai-Min. Elle l’invite au U-Theatre en 1993 pour y enseigner les percussions traditionnelles issues des arts martiaux chinois.

17Huang Chih-Chun est né dans les communautés chinoises de Malaisie où le sentiment identitaire est très fort. Les Chinois de Malaisie sont arrivés entre le XVe et le XXe siècle et y ont établi une communauté très soudée, reconnue pour la qualité de ses arts martiaux. Ils sont notamment célèbres et champions du monde de « danse du lion », un mélange très spectaculaire d’acrobaties et d’arts martiaux sous un costume de dragon manipulé par plusieurs performeurs. L’actrice Michelle Yeoh, ex-miss Malaisie, est également connue pour son titre de « reine du film d’arts martiaux » et pour avoir beaucoup tourné aux côtés de Jackie Chan et Jet Li dans les années 1980 et 199023. Beaucoup de ces écoles sont affiliées à la Chin Woo Association (ou Jinwu, « élite martiale ») de Shanghai fondée avec le soutien d’un héros national chinois, Huo Yuanjia (1868-1910), détenteur d’une lignée martiale qui ouvrit ses écoles à tous pour « permettre à tous les Chinois d’apprendre le kung-fu et de se renforcer pour défendre leur pays »24. Il fut célèbre pour avoir relevé un défi martial à Shanghai contre un Européen en 1909 et mourut empoisonné, ce qui fut source d’inspiration de nombreux films à caractère anticolonialiste25. Dans ces écoles, outre les techniques martiales (dont la technique au bâton, Qun Yang Gun, très présente dans tous les spectacles du U-Theatre), les percussions et la calligraphie sont également enseignées. Huang Chih-Chun a appris les percussions dès l’âge de 6 ans et les arts martiaux et la méditation à partir de 10 ans. De passage à Taïwan, il est recruté au Taipei Folk Dance Theatre puis au Cloud Gate Dance Theatre. Liu Ruo-Yu, elle, cherche toujours des maîtres de tradition chinoise pour enseigner la musique et les percussions dans sa troupe. Huang Chih-Chun accepte d’y rentrer après la fin de son contrat au Cloud Gate et après un voyage initiatique d’une année sur les routes de l’Inde et du Tibet pour y pratiquer la méditation auprès d’un gourou indien. Liu Ruo-Yu reconnaît en lui des traits de caractère et comportements qui lui rappellent Grotowski :

Grotowski disait qu’une personne qui est the actor, c’est l’Acteur, qui est comme un guerrier, un prêtre. The actors savent toujours ce qu’ils sont en train de faire. Avec Grotowski, nous étions tous épuisés et lui était toujours clair, lucide. Comment faites-vous ? lui demandions-nous. Il nous répondait : « Je m’observe moi-même à chaque seconde. » Grotowski me préconisait de m’observer moi-même aussi à chaque seconde. J’ai dit à Huang : « Tu es un guerrier comme Grotowski, tu dis toujours ce que tu fais et fais ce que tu dis. Tu as cette conscience de toi-même et cette ouverture sur le monde. Qu’as-tu fait ? – J’ai médité » me répondit-il. C’est ainsi que j’ai décidé de pratiquer et faire pratiquer la méditation. Huang nous a dit que chacun devait pratiquer la méditation au préalable puis pratiquer son art. Donc, depuis ce temps, nous pratiquons la méditation puis les percussions. Avant même de constituer un groupe définitif, nous pratiquions la méditation. C’est devenu une règle, chacun doit pratiquer la méditation puis les percussions.

18Afin de permettre une ouverture de l’esprit et du corps, la troupe s’établit dans un endroit isolé, dans les collines de Mucha, pour y pratiquer leurs entraînements quotidiens : tai-chi dès 6 heures du matin, méditation à 8 heures, percussions l’après-midi et répétitions/créations des spectacles dans la soirée. Les membres de la troupe doivent savoir jardiner pour se nourrir du fruit de leur labeur. Le mode de vie est communautaire et se fonde sur une série de préceptes moraux et spirituels. La troupe poursuit une recherche musicale où se mêlent tambours, gongs, huqin (vielle à deux cordes), flûtes, piano et violoncelle conjugués à une recherche sur le mouvement et la voix.

Séance de tai-chi dans les montages

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© U Theatre

Séance de méditation face au tambour

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© U Theatre

Répétition percussion dans les montagnes

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© U Theatre

Répétition spectacle dans les montagnes

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© U Theatre

19À l’occasion du dixième anniversaire de la création de la troupe, le U-Theatre crée Sound of the Ocean, un spectacle constitué de plusieurs tableaux évoquant les sons de la nature. Il est représenté au festival d’Avignon en 1998 dans une carrière de pierre : cithares chinoises, gongs géants, percussions, danse et arts martiaux scandent le rythme du spectacle. C’est un succès, le spectacle est très bien accueilli par le public et la critique et donne le coup d’envoi d’une carrière internationale. La troupe enchaîne les invitations sur les scènes internationales et les spectacles dont Meeting with Bodhisattva, devenu Sword of Wisdom que l’on retrouve aussi avec des variantes dans le spectacle Meeting with Vajrasattva26. Ce spectacle créé en 2002, et repris jusqu’à aujourd’hui, cite des stances bouddhiques sur son programme qui utilise la métaphore du bâton (de sagesse) et donc l’emploi du long bâton martial sur la scène : « Un bâton, comme l’épée de la sagesse ; un bâton, comme à la recherche d’un serpent dans l’herbe ; un bâton, comme le rugissement d’un lion ; un bâton, qui n’est pas un bâton27. » Ce spectacle s’ouvre sur des battements de tambours avec des danseurs portant des masques à trois visages, les tableaux s’enchaînent avec des chanteurs psalmodiant des mantras, suivant la quête initiatique du personnage principal interprété par Huang Chih-Chun, son long bâton à la main. Le final est illustré par une danse de Gurdjieff, proche du sama des derviches tourneurs28. Ce mouvement de danse, tout comme l’utilisation des longs bâtons, gongs et percussions est récurrent dans tous les spectacles du U-Theatre.

Sword of Wisdom

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© U Theatre

Meeting with Vajrasattva. Au centre Liu Ruo-Yu, mars 2015

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© U Theatre

20Dans Beyond Time présenté au Théâtre du Châtelet à Paris en septembre 2015, la danse en spirale ouvre le spectacle. Les danses de Gurdjieff en tant que source d’inspiration reviennent beaucoup lors des entretiens avec Huang Chih-Chun29. Outre les mouvements de la danse, c’est toujours la recherche de l’intériorité qui anime ses créations. À l’instar de Gurdjieff qui recherchait « l’harmonie des forces cosmiques » pour la réalisation de « l’Être », une réalité en soi au-delà de toute superficialité, Huang Chih-Chun revendique une création artistique et spirituelle alliant la « culture de l’esprit » et la performance artistique, sa manière d’« être sur scène comme à la ville ».

Beyond time

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Beyond time

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Répétitions des danses de Gurdjieff dans les montagnes

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© U Theatre

21Revendiquant un héritage à la fois bouddhiste et taoïste, le U-Theatre organise des marches silencieuses à travers l’île de Taïwan et lors de tournées. Le programme s’intitule « Feet in the Clouds » et est conçu comme un apprentissage physique : marche silencieuse le jour, percussions la nuit, c’est aussi une manière d’aller à la rencontre des populations locales et d’échanger avec elles. La marche a une fonction spirituelle : ils « chaussent leur cœur » et piétinent cupidité, colère et émotions négatives. L’extrême engagement physique procuré par la marche durant de longues heures permet un nettoyage profond, une « purification », une meilleure connaissance, conscience de soi, et incarne une voie d’accès à l’Éveil. Le site du U-Theatre comptabilise actuellement 13.023 kilomètres à pied, à Taïwan, au mont Kailash30, et dans d’autre pays. Ces marches font également partie d’un autre programme initié par le U-Theatre, celui de la réinsertion des prisonniers par le U-Training : méditation, percussion, arts martiaux et marches pour les jeunes incarcérés.

Marche à travers Taïwan

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Marche et percussions Taïwan

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22Le U-Theatre est donc devenu une institution à Taïwan. Outre les créations et programmes de réinsertion, la compagnie dirige une école de percussions en centre-ville et Liu Ruo-Yu intervient souvent dans les universités pour partager son savoir-faire, ses méthodes et son expérience.

Liu Ruo-YU et Huang Chih-Chun

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Pour en finir avec l’interculturalité

Nous ne faisons que nous entre-gloser. Montaigne, livre III des Essais

23Le metteur en scène taïwanais Wu Hsing-Kuo, célèbre pour ses adaptations du répertoire théâtral occidental avec une esthétique traditionnelle chinoise, déclarait dans un entretien en 2011 : « L’héritage n’est plus suffisant, nous devons créer de nouveaux genres qui deviendront un nouveau patrimoine. Il faut changer la tradition, la moderniser31. » Le couple tradition/modernité est ici considéré comme complémentaire afin de renouveler les langages scéniques contemporains. Cette « modernisation », nommée parfois « occidentalisation » par des pays asiatiques comme le Japon, consiste en un processus d’assimilation du « théâtre occidental » ou de ce que certains artistes ou théoriciens asiatiques projettent comme étant du « théâtre occidental32 ». Dans la perspective de Wu Hsing-Kuo, la tradition est ici incarnée par les techniques du corps issues de l’« opéra chinois », xiqu, la modernité est portée par l’ouverture sur un répertoire « occidental » du « théâtre parlé », huaju : les « classiques » du répertoire théâtral occidental (Euripide, Eschyle, Shakespeare, Tchekhov, etc.). Cette « modernité » chinoise, le huaju, existe depuis 190733, également période de la « modernité » dans les arts du spectacle en Europe. Ainsi, la circulation des arts de la scène à l’international a engendré des modifications de perception ainsi que des transformations esthétiques. Des dialogues artistiques se sont élaborés, des échanges esthétiques se sont instaurés. Plusieurs notions émergent de ces opérations complexes de transferts esthétiques : emprunt, innovation, adaptation, réinterprétation, substitution, absorption, assimilation, réélaboration, etc.

24La question du dialogue « interculturel » dans les arts du spectacle a été abondamment commentée (Richard Schechner, 1985 ; Patrice Pavis, 1990 ; Jean-Marie Pradier, 1995 ; Josette Féral, 2001 ; André Helbo, 2014, etc.). L’interculturalité est le double appliqué au vivant de la notion d’intertextualité théorisée par la sémioticienne Julia Kristeva à partir des années 1960 puis par Roland Barthes dans les années 1970 et reprise par Gérard Genette dans les années 1980, qui élargit la notion à celle de transtextualité34. L’origine de cette notion apparaît dans une étude sur les travaux de Mikhaïl Bakhtine : « […] Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. À la place de la notion d’intersubjectivité s’installe celle d’intertextualité, et le langage poétique se lit, au moins, comme double35. » L’originalité de ce concept est de souligner comment un texte s’élabore par rapport à un autre, en l’incorporant et en le modifiant pour en composer un nouveau : « Toute séquence se fait par rapport à une autre provenant d’un autre corpus : de sorte que toute séquence est doublement orientée : vers l’acte de la réminiscence (évocation d’une autre écriture) et vers l’acte de la sommation (la transformation de cette écriture)36. » L’analyse littéraire se concentre sur le texte et les traces d’éléments textuels préexistants : « Les différentes séquences (ou codes) d’une structure textuelle précise comme autant de transforms de séquences (codes) prises à d’autres textes37. » Reprise par Roland Barthes, cette notion comprend des variables : « Le texte unique vaut pour tous les textes de la littérature, non en ce qu’il les représente (les abstrait et les égalise), mais en ce que la littérature elle-même n’est jamais qu’un seul texte : le texte unique n’est pas accès (inductif) à un Modèle mais entrée d’un réseau à mille entrées38. » Quelques années plus tard, il conclut : « Lisant un texte rapporté par Stendhal (mais qui n’est pas de lui), j’y retrouve Proust par un détail minuscule. […] Et c’est bien cela l’intertexte : l’impossibilité de vivre hors du texte infini – que ce texte soit Proust, ou le journal quotidien, ou l’écran télévisuel39. » Gérard Genette à sa suite élargit la notion à celle de transtextualité dans son livre Palimpsestes. La littérature au second degré paru en 1982 qui distingue différents types de relations transtextuelles : intertextualité, paratextualité, métatextualité, hypertextualité et architextualité. Ces théories sont à resituer dans le contexte des années 1960-1980. À cette même époque, elle est également transposée aux arts vivants dans les études théâtrales – entre autres –, avec la catégorie de « théâtre interculturel » en France, et est associée particulièrement aux metteurs en scène Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Jerzy Grotowski et Eugenio Barba.

25Tout comme la notion de « tradition » a été analysée et théorisée en tant que mot-outil et mot-problème40, cette catégorie de « théâtre interculturel » a suscité de vifs débats d’est en ouest et du nord au sud. En 1984, le théoricien, dramaturge et metteur en scène indien Rustom Bharucha, dans son article « A Collision of Cultures: Some Western Interpretations of the Indian Theatre », dénonce les « ambivalences du tourisme culturel » et l’ambiguïté de la notion d’interculturalité chez Richard Schechner, Gordon Craig et Jerzy Grotowski. Il reproche à ce dernier son pragmatisme et son manque de respect de la tradition indienne lors de sa mise en scène de Shakuntala du poète indien Kalidasa le 13 décembre 1960 au Théâtre des 13 Rangs d’Opole, en Pologne, ainsi que l’utilisation décontextualisée des techniques du corps issues du kathakali et du yoga dans l’entraînement de ses acteurs. Il s’ensuit plusieurs articles, débats et controverses entre Richard Schechner et Rustom Bharucha. En 1990, dans son livre Le Théâtre au croisement des cultures41, Patrice Pavis, spécialiste de sémiologie théâtrale, propose, via la métaphore du sablier, un modèle d’analyse « socio­sémiotique » qu’il présente sous forme de filtres successifs (dix au total) d’un passage d’une « culture-source » vers une « culture-cible ». Ces « cultures » sont identifiées géographiquement ou correspondent à des époques différentes dans une même société. Il applique cette théorie aux créations théâtrales occidentales ayant recours à l’altérité, qu’il s’agisse d’un mythe – Le Mahabharata de Peter Brook –, d’une technique du corps – la danse indienne Odissi chez Eugenio Barba –, ou d’une volonté de transmettre un pan d’histoire indienne dans L’Indiade ou l’Inde de leur rêve du Théâtre du Soleil. Cette proposition d’analyse des spectacles est de nouveau vivement critiquée par Rustom Bharucha qui y voit une lecture idéologique de type orientaliste et impérialiste, un sablier à sens unique, une « collision des cultures », un « pillage » des esthétiques indiennes au profit de metteurs en scène occidentaux, Peter Brook en particulier (Rustom Bharucha, 1993, 200042). Un autre théoricien canadien, Ric Knowles43, intente à Antonin Artaud, Gordon Craig, Jacques Copeau et Vsevolod Meyerhold un procès en « colonialisme culturel ». Dernièrement, la mise en scène de Robert Lepage avec les comédiens du Théâtre du Soleil, Kanata. Episode 1 : la controverse, a ravivé le débat sur les appropriations culturelles, « l'emprunt » étant considéré dans un contexte de domination entre les cultures et particulièrement concernant Kanata, entre Canadiens et Premières Nations. Le positionnement idéologique de ces théoriciens est sujet à controverse. Les metteurs en scène et théoriciens incriminés de ces crimes de « lèse-culturalisme » prônent néanmoins une ouverture sur le monde et une sensibilisation à la diversité et ses manifestations scéniques grâce à un intense travail sur soi que permettaient ces techniques du corps et esthétiques peu ou pas connues, et ce bien avant l’ère du « village global », selon l’expression de Marshall McLuhan, qui caractérise nos sociétés contemporaines.

26Le passage au XXIe siècle enterre l’interculturalité et fait le constat de l’obsolescence de ces théories théâtrales datées. Patrice Pavis lui-même écrit en 2014 dans « Le théâtre interculturel existe-t-il encore ? » que « la théorie des échanges culturels et de l’interculturalisme traverse une crise, car le modèle de l’échange, de la communication et de la traduction, mais aussi celui du don et de la mise en scène en commun, ne fonctionne plus très bien, lorsqu’il s’agit de décrire des œuvres hybrides, voire globalisées44 ». Bien que la notion d’interculturalité soit bien moins utilisée de nos jours, elle est parfois remplacée par celle de métissage, très en vogue dans les années 1990 et début 2000, qui est néanmoins issue d’un vocabulaire biologique et racialisé, ce qui n’est guère très heureux non plus. À l’heure de la multiplication des écrans et de l’envahissement des images sur les nouveaux supports de communication, des nouveaux flux transnationaux, des processus de délocalisation et de la « touristification » de masse, les perceptions sur l’altérité ne sont plus les mêmes. De surcroît, toutes les études sur le postcolonialisme et le postmodernisme démontrent, via le paradigme de la multiplicité et des circulations, que nous sommes à présent dans l’ère du « branchement45 », de la transculturalité, de l’hétérogénéité, voire de l’hybridité46 avec la construction d’un nouvel espace-temps transnational. Cette diffusion accrue des images permet cependant un travail de l’imaginaire, de la création, de l’inventivité et un renouvellement des formes artistiques : elles deviennent source d’inspiration pour les artistes. Si le terme de « culture » considéré comme bloc homogène a été considérablement remis en cause par toute l’anthropologie sociale et culturelle, le manque de dialogue des disciplines a engendré parfois de nombreux malentendus (les disciplines elles-mêmes n’étant pas des blocs homogènes non plus). Les arts de la performance et de la scène ainsi que les théories théâtrales qui les accompagnent sont avant tout l’expression d’une société. Ces expressions portent la marque des êtres humains, des lieux et des époques qui l’élaborent. Selon l’anthropologue Marc Augé, le parcours de l’artiste peut être similaire à celui de l’anthropologue dans la mesure où ils interrogent tous deux le monde qu’ils ont sous les yeux : l’artiste, comme l’anthropologue, débusque le culturel et l’artifice sous le masque de la nature47. N’était-ce pas justement la démarche de Jerzy Grotowski et d’une partie des metteurs en scènes du XXe siècle ? Du reste, concernant les circulations des esthétiques scéniques, « ce ne sont pas les cultures qui voyagent mais les voyageurs48 » comme le précise Jean-Marie Pradier dans un article récent.

27Des compagnies théâtrales du monde entier se réclament d’un héritage issu de Constantin Stanislavski ou de Vsevolod Meyerhold49 comme en Chine, ou de Jerzy Grotowski comme à Taïwan50 avec le théâtre d’avant-garde. La démarche du U-Theatre illustre bien ces processus. Liu Ruo-Yu a fini par faire germer et s’épanouir les graines semées par Jerzy Grotowski dans ses créations à Taïwan, après avoir passé trois années à faire des recherches de terrain. Quand elle rencontre Huang Chih-Chun, Liu Ruo-Yu comprend alors que la recherche entreprise par Jerzy Grotowski n’était pas une question de culture extérieure, mais une recherche sur l’intériorité du performer et qu’il ne s’agit pas non plus d’opposer un dualisme Orient-Occident. Du reste Jerzy Grotowski notait-il lui-même : « Quand nous parlons de l’Orient et de l’Occident la confusion est déjà là. Cela veut dire : Où commence l’Orient par exemple ? »51. Dans ses lettres à Eugenio Barba se lit néanmoins toute sa fascination vis-à-vis des mystiques indiens ou tibétains. Dans une de ses lettres, il compare même son théâtre à un ashram52, un ermitage hindouiste où vivent des renonçants ou des communautés spirituelles. Jerzy Grotowski conservait même une photographie de Ramana Maharshi (1879-1950)53, un yogi, un ascète indien considéré aujourd’hui comme un saint, qui s’était retiré dans une grotte de la colline sacrée de l’Arunachala en Inde du Sud54. Dans une note liée à une lettre de Jerzy Grotowski datant de 1965, Eugenio Barba rapporte que : « Grotowski avait sa photo dans sa chambre à Opole. Il me la montra et me parla longuement du livre de Paul Brunton, In search of the Secret India, que sa mère lui avait fait lire quand il avait neuf ans. En 1996, Grotowski m’a dit qu’aujourd’hui encore il considérait Maharshi comme son maître de vie intérieure, qu’il avait lu le livre de Brunton en anglais, en français, en italien et en polonais et qu’il faisait lire le passage concernant Maharshi à tous ceux qui travaillait avec lui.55 » Le U Theatre et Liu Ruo-Yu ne s’y était pas trompé dans sa compréhension de la pensée du maître polonais à l’instar de cette citation de Peter Brook : « Pour Jerzy Grotowski, jouer est un moyen. Le théâtre n’est pas une échappatoire, un refuge. Un mode de vie est un chemin vers la vie56 ».

28Au-delà des frontières, réelles ou symboliques, fantasmées ou mythifiées, les créations scéniques et le mode de vie de la troupe du U-Theatre invitent à une méditation sur la place de l’homme dans l’univers. Animé par le dépassement de soi, le dépouillement des artifices du quotidien et la quête de vérités essentielles, le U-Theatre poursuit sa recherche en essayant de transcender les clichés essentialistes et culturalistes. Une démarche entamée par Jerzy Grotowski, et par tout un pan de penseurs et d’artistes du XXe siècle aux quatre coins de la planète, qui se poursuit actuellement chez les artistes de Taïwan. Jerzy Grotowski dans ses conférences au Collège de France introduisit les concepts de « mythe tribal » et de « mythe personnel » expliquant que le détour par l’Inde lui avait permis de retrouver ses racines polonaises chrétiennes. Dans un sens inverse Liu Ruo-Yu fit un détour par l’Europe et les États-Unis auprès du maître polonais pour y retrouver et y cultiver ses racines Taïwanaises et asiatiques. La boucle fut ainsi bouclée : ils avaient fait le long voyage pour trouver le voyageur.57

Notes

1 Il est né à Rzeszów (Pologne) en 1933, naturalisé français en 1982 et décédé à Pontedera en Italie en 1999.

2 Il avait l’intention de le réaliser à la New York University avec l’aide de Richard Schechner qui dirigeait le Performance Studies Department. Ils ne réussirent pas à trouver les fonds, et J. Grotowski accepta l’offre de l’université californienne d’Irvine où il lança son programme en 1983-1984.

3 Traduction personnelle. Cité par I. Wayab Lendra, « Bali and Grotowski. Some parallels in the training process », in Richard Schechner et Lisa Wolford (Éd.), The Grotowski Sourcebook, Londres et New York, Routledge, 1997, p. 312.

4 Qui a changé de prénom et s’appelle désormais Liu Ruo-Yu. Il est plausible que « Yu » et « U », semblable phonétiquement pour les étrangers soit une référence à la troupe car « Ruo-Yu » signifie littéralement « ressemble à la calcédoine », une pierre minérale symbole de paix et de spiritualité à l’image du U-Theatre.  Je remercie Jean-Marie Pradier et Éléonore Martin pour leurs remarques à ce sujet et traduction.

5 Entretien à Taïwan au sein des locaux du U-Theatre à Taipei en mars 2015. Traduction personnelle anglais-français.

6 Thomas Richards évoque également ses souvenirs de Mystery Play dans « Le travail à Botinaccio : une attaque contre le dilettantisme », in Thomas Richards, Travailler avec Grotowski sur les actions physiques, préface et essai de Jerzy Grotowski, Arles, Actes Sud/Académie expérimentales des théâtres, « Le temps du théâtre », 1995, pp.67-87.

7 Liu Ruo-Yu est née en 1956.

8 Ils célèbrent l’unité de la famille et le rassemblement.

9 Plusieurs communautés cohabitent : les natifs qui sont ceux d’origine austronésienne, les descendants de la première vague d’immigration chinoise, venus du Fujian et du Guangdong, arrivés entre le XVIIe et le XIXe siècle, et la deuxième vague sont les militaires emmenés par Tchang Kaï-Chek. À cela s’ajoute plusieurs vagues de colonisations : les Portugais (qui rebaptisèrent Taïwan île de Formose) en 1542, les Hollandais au XVIIe siècle et enfin les Japonais jusqu’en 1945. Ces vagues migratoires ont chacune contribué au brassage de la population taïwanaise.

10 « Tu es le fils de quelqu'un » est la transcription corrigée par son auteur de la conférence le 15 juillet 1985 à Florence, en Italie, au Cabinet Vieusseux. Le texte original a été publié par la revue Europe, en octobre 1989, n°726, p.21-24, et dans diverses revues étrangères dont The Drama Review (TDR), n°3, Vol. 31, automne 1987 (traduction Jacques Chwat et Ronald Packham) et dans The Grotowski Sourcebook édité par Richard Schechner et Lisa Wolford, Routledge, 1997, p. 294-305 (traduction J. Slowiak et J. Grotowski).

11 Jerzy Grotowski, « Tu es le fils de quelqu’un », in Europe, n°726, Paris, Europe et Messidor, octobre 1989, p.24

12 Traduction personnelle in Jerzy Grotowski, Performer - The Grotowski Sourcebook, Richard Schechner et Lisa Wolford (éd.), Routledge, 1997, p. 378-379 (traduction Thomas RICHARD, 1990).

13 Marco De Marinis, « L’expérience de l’altérité. Le théâtre entre interculturalisme et transculturalisme », L’Annuaire théâtral, n°26, 1999, p. 92.

14 Antonin Artaud affirme : « le théâtre double la vie, la vie double le vrai théâtre ». Antonin Artaud, « lettre à Jean Paulhan du 25 janvier 1936 », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Vol. V, 1979, cité par Marco De Marinis, ibid., p. 89.

15 Jerzy Grotowski, « C’était une sorte de volcan », Bruno de Panafieu (Éd.) Gurdjieff, L’Age d’Homme, Dossiers H, 1992, p. 101.

16 Piergiorgio Giacché, « Une aquazione fra anropologia e teatro », in Teatro e Storia, n°17, 1995, cité par Marco De Marinis, op. cit., p. 91.

17 Jerzy Grotowski, entretien avec Denis Bablet : « La technique de l’acteur », in Vers un théâtre pauvre, L’Age d’Homme, Lausanne, 1971, p. 176.

18 Peter Brook, « Artaud et le grand puzzle (1973) », Avec Grotowski, Arles, Actes Sud, 2000, p.38.

19 Pour une étude approfondie sur le théâtre d’avant-garde à Taïwan, lire Shu-Ping Huang, La Fabrique mémorielle et identitaire dans le théâtre contemporain taïwanais. Exemple du Théâtre Golden Bough (Jin Zhi Yan She), Thèse de doctorat de l’université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, Saint-Denis, 30 juin 2016.

20 Stage avec Chen Wei-Cheng relaté par Shu-Ping Huang, ibid., p. 43.

21 Georges Ivanovitch Gurdjieff est un mystique influent du début du XXe siècle. Il a notamment créé des mouvements de danse pour relier l’Homme à l’Univers. Il inspira de nombreux artistes dont Peter Brook qui réalisa Rencontre avec des hommes remarquables en 1979 d’après sa biographie ; on y voit de nombreuses chorégraphies de ces danses mystiques. Du reste, tout un pan de la création théâtrale et chorégraphique du XIXe et XXe a été influencé par divers courants ésotériques. Sur les rapports entre Jerzy Grotowski et la pensée de Georges Ivanovitch Gurdjieff lire : Jerzy Grotowski, « C’était une sorte de volcan », Bruno de Panafieu (ed.) Gurdjieff, op. cit.

22 Je remercie Éléonore Martin pour sa traduction et ses commentaires.

23 Elle s’est fait connaître mondialement avec son rôle dans le film d’Ang Lee Tigre et Dragon présenté au festival de Cannes en 2000, puis avec son interprétation d’Aung San Suu Kyi, opposante birmane et prix Nobel de la paix dans le film réalisé par Luc Besson en 2011.

24 Extrait de l’histoire de la Chin Woo Association.

25 Le plus célèbre est La Fureur de vaincre avec Bruce Lee en 1972, puis Fist of Legend (1994) et Le Maître d’armes (2006) avec Jet Li, et Legend of the Fist: The Return of Chen Zhen (2010) avec Donnie Yen.

26 J’ai assisté à une variante de ce spectacle à Taïwan sur la place Tchang Kaï-Chek, dans un festival bouddhiste au cœur de Taipei le 8 mars 2015. Étant par ailleurs spécialiste du bouddhisme tibétain, j’avais été très surprise d’entendre plusieurs mantras des divinités Vajrasattva et Padmasambhava ainsi que des masques et costumes directement inspirés des divinités tantriques tibétaines et indiennes. Soulignons que c’était l’un des rares spectacles où Liu Ruo-Yu était sur scène avec le reste de la troupe.

27 Traduction personnelle du programme.

28 Liu Ruo-Yu lors de nos entretiens m’indiqua que ces danses ont été apprises dans l’ashram d’Osho en Inde.

29 Entretiens personnels en septembre 2015.

30 Le mont Kailash (6.638 mètres) est un lieu de pèlerinage bouddhiste et hindouiste au Tibet dans la chaîne du Transhimalaya.

31 Hsing-Kuo Wu dans L’Opéra chinois contemporain et le théâtre occidental. Entretiens avec Wu Hsing-Kuo, par Françoise Quillet, traduit par Lee-Ting Ting, Paris, Éditions L’Harmattan, 2011, p. 8. Je remercie Lee-Ting Ting et le professeur Chin-Li Liu qui ont facilité ma rencontre et des entretiens avec Wu Hsing-Kuo lorsque j’étais professeure invitée à la National Taiwan University of Arts en 2013.

32 Mitsuya Mori, « The Structure of Theatre: A Japanese View on Theatricality », SubStance. 98/99, vol. 31, 2-3, 2002.

33 Lire l’article de Wang Jing, « Le théâtre parlé en Chine. 106 ans d’histoire (mouvementée) », in Théâtre public, n°210, « Scènes chinoises contemporaines », Christian Biet et Wang Jing (dir.), 2013, Éditions Théâtrales, Montreuil, 2013, p. 7-12.

34 Gérard Genette, Palimpsestes. La recherche littéraire au second degré, Paris, Seuil, « Essai », 1982.

35 Julia Kristeva, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, n°239, avril 1967. Article repris dans Sêméiôtiké. Recherche pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 146.

36 Ibid., p. 181-182.

37 Julia Kristeva, « Problèmes de la structuration du texte », Linguistique et littérature (colloque de Cluny, 1968), La Nouvelle Critique, Numéro spécial, p. 61. Je donne cette citation précise car je l’ai trouvée dans le cadre de recherches sur le réalisateur Akira Kurosawa dans le livre de James Goodwin, Akira Kurosawa and Intertextual Cinema, Baltimore, Londres, The Johns Hopkins University Press, 1994, pour expliquer la notion d’interculturalité appliquée au cinéma. Ces recherches concernaient la préparation d’un cours de master sur les adaptations du Roi Lear par Wu Hsing-Kuo (Taïwan), Akira Kurosawa (Japon) et Dorje Tsering Chenaktsang dit Jangbu (Tibet/RPC) en 2013.

38 Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970, p. 18-19.

39 Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 58-59.

40 Gérard Lenclud : « Il y a des mots-outils et des mots-problèmes ? Un mot-outil est un mot que l’on utilise sans trop penser à son sens. Il est une procédure grossière d’identification. L’important, c’est à quoi ce mot permet de vite référer. […] Un mot-problème signale un concept plus qu’il n’identifie un objet ou même qu’il n’exprime un sens ; et un concept se caractérise par le fait qu’il est nécessairement équivoque et qu’il échappe par conséquent à la définition. On peut définir un mot, c’est-à-dire décréter une signification, mais pas un concept puisqu’il réunit en lui une pluralité de significations. Du même coup, le mot-problème oblige à penser. Tout mot-outil est susceptible de devenir mot-problème ; et tous les mots, dont on sait pourtant qu’ils ont le statut de mot-problème, continuent d’être utilisés comme des mots-outils. Il est en effet bien difficile de parler du monde et de communiquer avec autrui par l’intermédiaire de mots-problèmes ! », voir : « Qu’est-ce que la tradition ? », in M. Detienne (dir.), Transcrire les mythologies, Paris, Albin Michel, 1994, p. 25.

41 Patrice Pavis (dir.), Le Théâtre au croisement des cultures, Paris, José Corti, 1990.

42 Rustom Bharucha, Theatre and the World: Performance and the Politics of Culture, Londres, Routledge, 1993 ; The Politics of Cultural Practice: Thinking through Theatre in an Age of Globalization, Middletown, Wesleyan University Press, 2000.

43 Ric Knowles, Theatre and Interculturalism, Palgrave, 2010.

44 Patrice Pavis, « Interculturalité », Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain, Paris, Armand Colin, 2014, p. 132.

45 Jean-Loup Amselle, Branchements : anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001.

46 Cf. Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2000 ; ou P. Gilroy, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness, Londres-New York, Verso, 1993. Les théories du Rhizome de Gilles Deleuze et Felix Guattari (1980) et celle de Mondialité par Édouard Glissant (1993 et 1997) sont également beaucoup utilisées dans les études en Arts du spectacle.

47 Marc Augé, L’anthropologue et le monde global, Paris, Armand Colin, « La Fabrique du sens », 2013.

48 Jean-Marie Pradier, « L’ethnocentrisme théorique, ou l’effet clou de girofle » in Rachid Mountassar et Pierre Philippe-Meden (dir.), Revue Horizons/Théâtre, n°7 : Corps, culture et apprentissage, Presses universitaires de Bordeaux, 2016, p. 17.

49 Cf. Wang Jing, op. cit., p. 7-12.

50 Lu Ailing, « Le théâtre taïwanais depuis les années 1980. Diversité, indigénisation, diffraction », in Christian Biet et Wang Jing, op. cit., p. 81-87.

51 Jerzy Grotowski, « Orient/Occident (conférence de 1984 à l’université de Rome) », in Patrice Pavis (dir.) Le théâtre au croisement des cultures, Paris, J. Corti, 1990, p.231.

52 Eugenio Barba et Jerzy Grotowski, « Lettre 13 du 6 février 1965 » in La terre de cendres et de diamants, Saussan, Éditions L’Entretemps, 2000, p. 144.

53 Reproduite dans le livre La terre de cendres et de diamants, ibid., p. 177.

54 Arnaud Desjardins consacre un chapitre à cet ashram dans son livre Ashrams, Grands maîtres de l’Inde, Paris, Albin Michel, « Spiritualités vivantes », 1982, p. 145-180.

55 Eugenio Barba et Jerzy Grotowski, « Lettre 13 du 6 février 1965 », op. cit., p. 144.

56 Peter Brook, Avec Grotowski, op. cit., p. 18.

57 Une des phrases concluant La Conférence des Oiseaux de Farid Al-Din Attar, poète soufi persan du XIIe-XIIIe siècle, dans une traduction et adaptatoin de Jean-Claude Carrière pour la mise en scène de Peter Brook en 1979.

Pour citer cet article

Nathalie Gauthard, « Retour aux sources par le détour en Occident : Jerzy Grotowski et le U-Theatre de Taïwan », L'ethnographie, 1 | 2019, mis en ligne le 02 septembre 2019, consulté le 12 octobre 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=102

Nathalie Gauthard

Nathalie Gauthard est ethnoscénologue, Professeure des universités en Arts du spectacle et de la scène (Performing arts) à l'université d'Artois. Spécialiste des arts performatifs au Tibet et dans le monde asiatique et des pratiques carnavalesques, elle est également présidente de la SOFETH (Société Française d’Ethnoscénologie), agréée ONG pour le Patrimoine culturel immatériel par l’UNESCO. Elle est l’auteur du livre Danses sacrées du Tibet. Une méditation en action publié aux éditions Claire Lumière en 2017 et a dirigé Fêtes, mascarades, carnavals. Circulations, transformations et contemporanéité paru aux Éditions L'Entretemps en 2014. Elle poursuit à présent ses recherches sur la circulation, la transmission des savoirs, les processus de pratrimonialisation et de revendications identitiaires à l'oeuvre dans les pratiques scéniques et performatives. Auteure de nombreux articles et de publications scientifiques, elle a été élue dernièrement directrice de publication de la revue L'Ethnographie. Création, Pratiques, Publics (MSHPN, USR 3258).