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L'Ethnographie

Kurihara Nanako, La chose la plus étrangère au monde. Analyse critique du butō de Hijikata Tatsumi, Bruno Fernandes (trad.), Dijon, les Presses du réel, « Délashiné ! », 2017, 260p.

Pierre Philippe-Meden

Septembre 2019

Il ne fait aucun doute que… mon butō est venu d’un endroit qui n’a aucun rapport avec les arts scéniques des lieux saints ou des temples. (Hijikata, 1985)

1L’ouvrage est à la fois la première publication et la traduction en français de la thèse de doctorat de Kurihara Nanako1 intitulé : The most remote thing in the universe : critical analysis of Hijikata Tatsumi’s Butoh dance, soutenue en 1996, au département de Performance studies de l’Université de New York. La traduction est l’œuvre de Bruno Fernandes qui l’a également annotée, commentée et s’est occupé du choix des illustrations et de la constitution d’un utile index lexical des principaux termes, noms propres et œuvres cités.

2Ancien des Langues’O, musicien au contact de l’underground japonais et chercheur spécialiste de l’histoire des contre-cultures japonaises, Bruno Fernandes s’était déjà illustré en 2013 avec sa publication : Pornologie vs capitalisme : le groupe de happening Zero Jigen, Japon 1960-1972 qui « est le premier écrit dans une langue occidentale sur le groupe d’actionnistes ritualistes japonais Zero Jingen » voire sur le contexte du corps des avant-gardes japonaises « épuré des stéréotypes et des poncifs de cohésion sociale et de sérénité esthétique que l’imaginaire occidental associe souvent à ce pays. »2 La qualité du travail éditorial aux Presses du réel, dans la collection : « Délashiné ! » dirigée par Bruno Fernandes en collaboration avec Frank Gautherot, est à souligner ; il s’agit d’une collection consacrée aux contre-cultures japonaises radicales3.

3Outre l’introduction et la conclusion sur l’influence grandissante du butō de Hijikata (1928-1986) au Japon et à l’étranger4, le livre est constitué de cinq chapitres : esthétique & philosophie, la voie du corps, techniques et entraînement, le culte de Hijikata, cosmologie du butō ; et, d’une préface de Kurihara Nanako qui place le corps au cœur du projet de Hijikata et du butō :

De nos jours, plus encore qu’à l’époque de Hijikata, le corps humain se trouve totalement « domestiqué ». Dans les grandes villes, les gens vivent dans un monde virtuel, la tête farcie d’idées sur le « bien-être », ils courent après une « vie saine » et finissent par ne plus avoir confiance en leurs propres sensations. Le questionnement du corps fait par Hijikata demeure d’actualité. […] Hijikata pensait que le corps humain était domestiqué au plus haut point par la société. En le dé-domestiquant, il pourrait atteindre un état de chaos latent. Son univers était le lieu où la laideur et la beauté, la vie et la mort, l’érotique et le répugnant, le masculin et le féminin, se fondaient et se répétaient en motifs cycliques Ses expériences d’enfant jouèrent un rôle majeur dans son approche du monde […] (p. 9 ; 12).

4Le butō évoque irrésistiblement l’image de corps nus ou presque, maquillés de blanc, le crâne rasé, aux mouvements lents, tordus, recroquevillés qui exprimeraient des sentiments cauchemardesques, érotiques, mais froids et teintés de spiritualité et feraient référence au souvenir d’Hiroshima et de Nagasaki.

5Kurihara Nanako montre néanmoins que les influences du butō sont plus complexes, comment elles puisent dans la littérature française (Arthur Rimbaud, Marcel Proust, Jean Genet, Georges Bataille), la Körperkultur et la danse expressionniste allemande (Mary Wigman), le cinéma hollywoodien (James Dean), l’art (Hans Bellmer), le strip-tease et le théâtre expérimental aussi bien que le folklore ou les formes spectaculaires japonaises (furyū, nō, kabuki, nihon buyō, kyōgen, sumō) même si « Hijikata réfuta toujours avec fermeté toute influence des arts scéniques traditionnels sur son œuvre : « “J’ai appris de ma boue au début du printemps, et le butō vient d’un endroit qui n’a rien à voir avec les arts scéniques des temples et des monastères (Hijikata, 1985).” Il rechignait à admettre ses liens avec le nō et le kabuki. » (p. 197).

6Les travaux antérieurs sur le butō sont présentés, non sans souligner « les questions d’ethnocentrisme » qu’ils soulèvent. L’originalité des sources sur lesquelles se base l’essai de Kurihara Nanako tient dans les interviews des disciples de Hijikata, collaborateurs, collègues, critiques, sur une participation observante à l’Asubesuto-kan, les classes de Ashikawa Yōko et du Hakutōbō, et auprès de Nakajima Natsu, Sankai Juku et Iwana Masaki (p. 14-16).

7La description du corpus d’où Kurihara Nanako tire une analyse biographique de Hijikata, révèle comment le précurseur du butō vivant à la « lisière de l’illégalité » incarnait un imaginaire de la criminalité (p. 24) : « (…) Hijikata adopta un statut de marginal et fit des performances grotesques et érotiques afin de plonger son public dans un état de choc transcendental […] ; il était également régressif, sombre, bas (…), enténébré par la mort, contrastant avec le conte de fée du ballet. Un corps décharné surgissait comme le sommet de l’érotisme » (p. 38-39).

8La différence de caractère des butōs de Hijikata et de Kazuo Ōno (1906-2010) avec lequel il collaborera pourtant se jouerait justement dans cette revendication de l’érotisme chez Hijikata, tandis que Ōno se recommanderait davantage d‘un christianisme mystique selon lequel la danse est une expérience transcendentale où des esprits prennent possession du corps du performeur et laisseraient venir à sa surface « sa vraie nature intérieure. Hijikata était plus intéressé par l’art et l’érotisme que par quoi que ce soit de religieux. Plutôt que d’être “possédé” par un esprit comme Ōno, Hijikata essaya de faire cette expérience en faisant du corps un fétiche érotique » (p. 52). Ainsi Hijikata substitue à l’érotico-mystique d’Ōno, un érotico-terrorisme : « [d]ans le monde institutionnalisé de la danse, il mit en avant ce qu’il appelait sa “danse terroriste”. » (p.55).

9Le corps de sa danse terroriste est une « “arme onirique meurtrière” » dont la conception proviendrait de son souvenir d’enfant d’un défilé militaire :

Hijikata se rappelle avoir été impressionné étant garçon par une troupe des Jeunesses hitlériennes qu’il vit défiler durant un [sic] tournée au Japon. Aux yeux d’un gamin qui passait ses journées à attraper des poissons dans la boue des rizière inondées, ces garçons blonds en uniformes étaient d’une grande beauté. Il pensa qu’ils allaient séduire toutes les filles japonaises. Cette impression contribua à son admiration de l’Occident et de la danse occidentale et lui donna l’impression que ce qui était allemand était impénétrable. Le jeune militaire devint la base d’une notion de beauté masculine pour Hijikata. Le corps qu’il décrit est une forteresse phallique – il est âpre, invincible, immédiat, tendu, raide, strict, impénétrable, net et intense. (p. 63)

10Hijikata subvertit cependant cette image phallique belliqueuse par son aliénation à un grotesque sombre, hirsute et sadomasochiste profanant les normes de l’anatomie humaine, où le travestissement met en exergue son intérêt pour la féminité.

« Bien qu’on ait un corps sain, on souhaite être handicapé ou être né infirme. Et, enfin, le premier pas du butō commence. Tout comme les enfants souhaitent être éclopés, les gens qui dansent le butō le désirent aussi sincérement. » (Hijikata, Bidō no aozora, 1987, p. 7). (p. 110).

11Le corps terroriste de Hijikata est « un miroir des violentes protestations du mouvement des Forces [sic] étudiantes » au Japon (p. 74) autant que des crispations identitaires émergeants alentour des Jeux Olympiques de Tōkyō (1964) : « moment où le Japon rejoignait symboliquement la communauté internationale vingt ans après la guerre, et où les contacts du pays avec l’étranger allaient croissant. Ceci poussa les Japonais à s’observer avec plus de conscience d’eux-mêmes. » (p. 76).

12Hijikata brise alors les lignes du corps phallique, raide et rectiligne par l’exploration de positions basses, d’accroupissement et de rétrécissement, sans pour autant rompre avec la géométrisation du corps :

Les personnages dont il use le plus sont les animaux, les vieilles femmes, le fœtus, la jeune fille. […] Vers 1969, Hijikata commença à faire des corps féminins des objets fétiches érotiques. Sur une photo d’une danse de cette période Ashikawa et Kobayashi, vêtues d’un seul string, sont agenouillées et profondément courbées, les jambes largement ouvertes, poitrines en avant de manière provoquante. Ashikawa porte un gros pot sur la tête semblable à un casque trop grand et, les mains près des épaules, colle les coudes au corps. Kobayashi a une main sur une cuisse et tient l’autre devant son épaule, coude en avant. Leurs corps sont sculpturaux et leurs membres géométriquement articulés. Elles ressemblent à des guerrières, avec les genoux fortement pliés rappelant la posture shiko de la lutte sumo, les coudes saillant avec agressivité. Ce sont des guerrières du sexe provoquant les spectateurs. (p. 83-84).

13La créativité de Hijikata s’institutionnalise dans la vie nocturne tokyoïte dans « une sorte de show de cabaret d’avant-garde dans un club nommé Space Capsule situé à Akasaka, quartier célèbre pour les spectacles à Tokyō » :

Un des numéros montrait une femme nue maquillée de blanc avec les cheveux hérissés. À quatre pattes sur une table au milieu des spectateurs, elle apparaît comme un étrange mélange d’insecte, d’animal et de femme. Des antennes métalliques munies de petites ampoules clignotantes sortent de sa tête et une ceinture de chasteté à laquelle est attachée une lampe de poche, éclaire les spectateurs lorsqu’elle ouvre les cuisses avec des mouvements mécaniques. Dans un autre numéro, des femmes jouent une “scène de lesbianisme” dans diverses positions sur des musiques des Beatles, de Jimi Hendrix et de Janis Joplin. Des diapos de nuages rouges et de locomotives par l’artiste Nakamura Hiroshi sont projetées sur le corps des femmes (p.84-85).

14Les témoignages de la danseuse Ashikawa rapportés par Kurihara Nanako éclairent la corporéité pantinesque, mais surtout paysage prostitué5, chez Hijikata en vue d’une relation symbiotique à forte tension entre le performeur et le spectateur (p. 87). Kurihara Nanako se réfère pour l’expliquer à l’anthropologie théâtrale d’Eugenio Barba, ainsi qu’aux travaux qui la précède, notamment ceux de Takechi Tetsuji :

« La tension continue (défi à la douleur physique) influence la physiologie du spectateur et exerce un pouvoir sur sa psychologie. Le physique et le psychisme de ceux qui regardent se synchronisent et se fondent avec ceux de l’acteur, c’est la participation du public à la création de l’acteur. » Takechi Tetsuji, Dentō engeki no hassō (conception du théâtre traditionnel), Tōkyō, Haga shoten, 1967, p. 108). (p. 113).

15Les qualités performatives, spectaculaires et symbiotiques du butō de Hijikata reposent sur un apprentissage exigeant où l’élève élimine « l’état quotidien de son corps, “tuant le corps” de la vie quotidienne afin d’obtenir un “corps fictionnel”. Ashikawa rappelait que les membres masculins de l’Asubesuto-kan portaient des kimonos à la manière des femmes et des sous-vêtements féminins sous leurs vêtements masculins dans la perspective de leur entraînement physique. » (p. 120). Par ailleurs, Shibusawa Tatsuhiko écrivit : « “Hijikata Tatsumi, présente un hermaphrodite en tant que concept nouveau d’un corps purgé de sa quotidienneté afin de saisir les possibilités d’une danse de fiction criminelle (Shibusawa Tatsuhiko, Nikutai no naka no kiki : Hijikata Tatsumi no butō ni tsuite, Shibusawa Tatsuhiko shūseil IV, Tōkyō, Togensha, 1970, p. 203-04).” » (p. 203).

16De nombreux apprentissages passent par un maître, un guru, aussi bien en France dans le cas de l’éducation physique par la Méthode naturelle qui se réfère au maître Georges Hébert que dans le cas du kalaripayattu dont le système d’éducation repose traditionnellement sur le système du gurukula. Il en va de même chez Hijikata, maître de son propre butō autant que de l’avant-garde au Japon.

17La fascination pour le guru est exacerbée par le style de vie communautaire hiérarchisé autour de lui : « [d]ans cet environnement clos, les danseurs pouvaient partager l’imagination de Hijikata et la corporéité nécessaire à la réalisation de son monde imaginaire. » (p. 149). Le guru est une star :

Le charisme de Hijikata était extraordinaire. Dans « Hijikata Tatsumi to Nihonjin » (HT et les Japonais, 1968), il est porté en palanquin à travers le public jusqu’à la scène, regardant sans cesse les spectateurs de manière provocante. Il danse frénétiquement, doté d’un phallus doré sur son pubis, ses yeux écarquillés et ses mouvements spasmodiques le font paraître comme possédé. L’assistance est totalement fasciné au vu de cette figure démoniaque. Pour finir, il est hissé, ligoté par des cordes, depuis la scène vers le balcon, comme crucifié dans un sorte de frénésie sacrée. (p. 152)

18Kurihara Nanako évoque la relation d’une spectatrice : « la rencontre fut tintée de dévotion religieuse plutôt que d’amour. Quand elle vit une représentation de Hijikata en 1973, Mikami crut qu’il était Jésus Christ et décrivit son expérience comme étant, “purifiée et sauvée par Hijikata-Christ, qui me lave des péchés, qui brille, devenant la lumière même et disparaissant.” (Mikami, Utsuwa to shite shintai, 1993, p. 13-14). » (p. 154). Mais cette dimension sacrée « tintée de dévotion religieuse » n’est-elle pas moins dans la tête de la spectatrice que dans le corps/phallus d’Hijikata ?

19L’idée de dérive sectaire pourrait venir en tête à la lecture de Kurihara Nanako, entre autres lorsqu’est évoqué le mode de financement du butō de Hijikata :

Les danses de cabarets ont toujours fait partie intégrante du mode de vie du butō et continue d’en faire partie. Sans subventions, Hijikata et ses danseurs finançaient eux-mêmes leur art et leur vie au moyen des show de cabarets. Vêtus de costumes minimalistes, ils exécutaient des danses sexy pour un public éméché et majoritairement masculin. Ce travail était souvent humiliant et frustrant, mais il procurait de l’argent et des expériences qui les imprégnaient d’un impérieux désir de danser le butō. Hijikata exploitait sciemment la tension et la déprime provoquées par un tel mode de vie. Les danseurs tiraient une énergie anxieuse de leur danse « perturbée » pour gangsters et ivrognes. De plus, cette pratique coïncidait avec la transformation de la négativité en puissance – principe essentiel du butō – aussi bien dans la danse que dans la vie. (p. 158).

20Les disciples d’Hijikata constituent ainsi un gang de malfrats autour du corps terroriste qui réinvente une sorte de romantisme radical typique des années soixante, soixante-dix. Pas d’imprégnation de l’imaginaire de l’artiste chorégraphe ou metteur en scène sans que le disciple ne se sacrifie de plein gré dans son univers :

On peut se demander si le régime cruel de Hijikata vis-à-vis de ses élèves [« privés de nourriture, de sommeil, d’intimité, soumis à des entraînements intensifs et des traitements parfois sadiques »6 - prostitués, alcoolisés, etc.] était justifiable et nécessaire ou s’il n’exploitait pas tout simplement ses danseurs à des fins personnelles ou sous l’emprise d’une certaine psychopathie. Mais les élèves l’acceptaient de leur plein gré comme faisant partie du butō. Quand un journaliste interrogea Ashikawa en 1975 sur son goût en matière de vêtement, la jeune danseuse répondit : « Quand vous séjournez à l’Asubesuto-kan, vous n’avez guère besoin d’argent… consumant tout et ne laissant rien, la danse est le luxe ultime. Avec ce genre de luxe je n’ai pas besoin de me soucier de la mode » (Ashikawa Yōko, Ningen hiroba, Ashikawa Yōko, Tōkyō shinbun, 1975). Le dévouement de Ashikawa était si absolu qu’elle s’était fait arracher les dents afin de pouvoir mieux incarner les vieilles femmes (Ashikawa Yōko confia cela à l’auteure après une [sic] cours au studio de l’Hakutōbō durant l’hiver 1992). (p. 165).

21Mais, nous le rappelle Kurihara Nanako, tout ceci est à lire « sur la toile de fond de désarroi et de troubles du Japon de la fin des années 1960 et des années 1970, ses tentatives d’expression de groupe exploraient les zones cachées ou oblitérées de la conscience collective des Japonais. Par sa danse, il réussit à donner forme à leurs sentiments et désirs refoulés. » (p. 181). Outre la prise de conscience de soi dans le monde par les Jeux Olympiques, les inquiétudes écologiques émergent par suite de la pollution qui accompagne l’industrialisation : empoisonnements, naissances difformes, etc. ; « [p]our les Japonais qui avaient vécu durant des siècles en symbiose avec la nature, la pollution ne signifiait pas seulement la destruction de l’environnement, mais aussi la leur. » (p. 187).

22Suivant Kurihara Nanako, le butō ranime les qualités psychiques perdues par le kabuki après la restauration de Meiji en 1868 : « obscénité, cruauté et vulgarité » (p. 185). Ce retour à la trivialité de la scène s’inscrirait dans une philosophie du désir de dépassement de la modernité et de « l’individualisme occidental » (p. 190). Le caractère du butō de Hijikata dans sa ténébreuse écologie corporelle consisterait en une réhabilitation des marginaux, des réprimés et des exclus de la société : femmes, enfants, fous, handicapés, vieillards (p. 191). Retour du populaire, revanche des monstres de foire, le butō est « un projet collectif de projection de l’imagination sur ces régions mystérieuses » qui devient « une technique physique au moyen de laquelle convoquer les corps des spectateurs à travers le monde profane de l’imagination. » (p. 195).

23La thèse de Kurihara Nanako délivre de nombreuses techniques du corps, dans le sens de Marcel Mauss, du butō qu’il n’est pas possible de restituer ici, depuis les positions fœtales au roulement des yeux. L’ouvrage est ainsi une source d’informations précieuses et stimulantes systématiquement contextualisées du point de vue anthropologique et historique ; il s’adresse donc aussi bien à un public d’ethnoscénologues que de praticiens au sens strict des arts du spectacle vivant. Sa lecture ne manque pas d’évoquer les travaux des avant-gardes théâtrales en France à la même période, autant pour les questions du corps, de l’érotisme et de la libre expression que pour la dramaturgie non-narrative, à l’image des strip-teases de Rita Renoir7 ou des happenings de Jean-Jacques Lebel.

24La conclusion que Kurihara Nanako donne à son ouvrage comporte une touche légèrement moraliste : « [l]a nouvelle génération de danseurs ferait mieux d’utiliser les riches ressources que Hijikata laissa derrière lui plutôt que simplement s’en approprier les formes codifiées (p. 230). L’essence du butō est un mouvement dynamique vers le bas que Hijikata apprit de la boue et d’écrivains français, comme le nota Ichikawa : “Les danseurs butō qui se sentent proches de Hijikata ne devraient pas s’enivrer de formes parfaites mais plutôt se précipiter vers la négativité afin de briser le cercle qui est en train de se fermer (Ishikawa Miyabi, Butō, Asahi Jaanaru, 7 février 1986, p. 34” ». (p. 231).

Notes

1 Docteure en Performance studies de l’université de New York, diplômée en sciences politiques de l’université de Waseda, chercheuse indépendante, traductrice de Hijikata Tatsumi en anglais et pratiquante de butō. Elle a produit des films sur les mouvements de femmes dans le Japon des années soixante-dix et les immigrants japonais du Brésil.

2 Frédéric Alix, « Bruno Fernandez, Pornologie vs capitalisme : le groupe de happening Zero Jigen, Japon 1960-1972 », Critique d’art. En ligne, consulté le 12 juin 2019 : http://journals.openedition.org/critiquedart/15253.

3 Dans la même collection, sur Hijikata : Uno Kuniichi, Hijikata Tatsumi. Penser un corps épuisé, Les Presses du Réel, « Délashiné ! », 2017, 227p.

4 Sur le butô en France, sa réception, lire l’ouvrage : Sylviane Pagès, Le butô en France, malentendus et fascination, Pantin, Centre national de la danse, « Recherche », 2015, 304p. Lire aussi : Odette Aslan et Béatrice Picon-Vallin (textes réunis et présentés par), Butô(s), Paris, CNRS Éditions, « Arts du spectacle », 2002, 388p.

5 « Personnage récurent » chez Hijikata, la prostituée serait inspirée par sa sœur devenue geisha. Si dans le kabuki, la prostituée est un personnage de « grande beauté féminine » ; en revanche, dans le butō de Hijikata, il s’agit d’une « vieille femme aigrie dont le visage est déformé par la colère et la douleur. La prostitution autorisée par l’état, qui avait perduré depuis l’époque Edo, fut finalement interdite par le Décret anti-prostitution de 1959, grâce aux actions de Chrétiens japonais. » (p. 200, voir aussi p. 207-208).

6 Maëva Lamolière, « Kurihara Nanako, La chose la plus étrangère du monde. Analyse critique du butō de Hijikata Tatsumi / Uno Kuniichi, Hijikata Tatsumi. Penser un corps épuisé », Ebisu. En ligne, consulté le 12 juin 2019 : https://journals.openedition.org/ebisu/3230.

7 Voir : Pierre Philippe-Meden, « Le strip-tease français du cabaret au théâtre expérimental (1950-1970) », Horizons/Théâtre, n°5, Pessac, PUB, 2015, p. 6-20 ; « Rita Renoir : strip-teaseuse, femme fatale et actrice surréaliste », dans C. Devès (dir.), La femme fatale. De ses origines à ses métamorphoses plastiques, littéraires et médiatiques, Lyon, CRHI-Émile Cohl, à paraître en 2019.

Pour citer cet article

Pierre Philippe-Meden, « Kurihara Nanako, La chose la plus étrangère au monde. Analyse critique du butō de Hijikata Tatsumi, Bruno Fernandes (trad.), Dijon, les Presses du réel, « Délashiné ! », 2017, 260p. », L'ethnographie, 1 | 2019, mis en ligne le 02 septembre 2019, consulté le 25 avril 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=243

Pierre Philippe-Meden

Pierre Philippe-Meden est docteur en esthétique, sciences et technologies des arts, spécialité : théâtre et danse, de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Actuellement, il est enseignant contractuel pour le théâtre et le spectacle vivant à l'Université Paul Valéry Montpellier 3. Rattaché à l'équipe Scènes du monde, création, savoirs critiques (EA1573), ses recherches portent sur les techniques, sensibilités et représentations du corps dans l’histoire des arts du spectacle vivant. Il est secrétaire de la Société française d’ethnoscénologie (http://www.sofeth.com), secrétaire de la revue L’Ethnographie et porteur de projets à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (USR 3258 CNRS). Publications récentes : Spectacle vivant et neurosciences [dir. avec V. Roche-Fogli], Montpellier, Deuxième époque, « Linéraris », 2019, 176p. ; « Training pour une prière charnelle chez Jerzy Grotowski (1933-1999) », dans T. Froissart et C. Thomas (dir.), Arts du cirque et spectacle vivant. Vol. 1 : les formations en arts du cirque et en activités physiques artistiques, Reims, EPURE, « Sports, acteurs, représentations », 2019, p. 113-124 ; « Georges Hébert (1875-1957). A Naturalist’s Invention of Body Ecology », dans B. Andrieu & al., Body Ecology and Emersive Leisure, London, Routledge, “Ethics and Sport”, 2018, p. 37-51.