Vous avez-dit ethnoscénologie ?
Suite de la rencontre avec Jean-Marie Pradier autour des fondements épistémologiques et méthodologiques de l’ethnoscénologie
Jean-Marie Pradier, Stéphane Boin, Philippe Guien, Jade Cervetti, Romain Bessonneau, Alessandro Campeggiani, Anaïs Haudoin, Margherita Marincola et Pierre Philippe-Meden
Octobre 2020
DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.696
Résumés↑
À l’initiative de sept étudiant·e·s (M1/M2) en théâtre, danse et lettres modernes qui ont suivi les séminaires d’ethnoscénologie et d’anthropologie des arts vivants animés par Pierre Philippe-Meden à l’Université Côte d’Azur (Nice) en 2020, une rencontre avec Jean-Marie Pradier a été organisée autour des fondements épistémologiques et méthodologiques de l’ethnoscénologie. Les étudiant·e·s ont eux-mêmes préparé la rencontre à partir de leurs préoccupations scientifiques et des questions soulevées par leur lecture des travaux antérieurs menés en ethnoscénologie. En partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (USR3258CNRS), le Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (CTEL, EA6307) et l’Université Côte d’Azur, les étudiant·e·s ont ainsi accueilli Jean-Marie Pradier à l’Université Côte d’Azur le lundi 2 mars 2020. L’article reprend la rencontre retranscrite par les étudiant·e·s. Le style oral respecte au plus près la dimension vivante d’une recherche en interaction.
Index↑
Mots-clés : Théâtre, Ethnoscénologie, Corps, Érotisme, Apprentissage, Pluridisciplinarité, Représentation
Texte intégral↑
1Dans le manifeste publié dans la revue Théâtre/Public (1995), l’ethnoscénologie émerge comme perspective scientifique interdisciplinaire. Quelles sont les limites épistémologiques de votre discipline ?
2Tout d’abord je tiens à vous remercier pour vos questions qui situent notre rencontre dans la tradition des dialogues philosophiques. Les questions ouvrent, invitent à explorer, préciser, corriger à la différence du commentaire qui tend à (en)fermer. Nous l’avons vu ce matin1. Vous avez raison de partir du manifeste et je vous invite à réfléchir sur deux apparentes étrangetés : que signifie l’apparition d’une nouvelle perspective scientifique dans un « manifeste », genre essentiellement militant, plutôt réservé aux arts et aux lettres ? Pour quelle raison recourir à un néologisme – « sceno », emprunté au grec « skenos » –, d’évidence trompeuse, et que beaucoup ne prennent pas la peine d’en décoder le sens ? Pourquoi ne pas utiliser la formule « anthropologie des spectacles du monde » ? La réponse est simple : le manifeste s’élevait contre toute forme d’ethnocentrisme dans la perception et l’étude des manifestations spectaculaires organisées des imaginaires qui ne sont pas toutes des « spectacles » à proprement parler. Les auteurs invitaient à promouvoir une épistémologie nouvelle qui permettrait de ne plus considérer les pratiques de l’Autre à l’aune du regard, des théories et des grilles d’analyse européo-centrées. L’ethnoscénologie émerge d’une étude critique des principes et des hypothèses fondés sur un héritage local – occidental en l’occurrence – à prétention universelle, pour l’étude de ce que Victor Segalen appelait « l’esthétique du Divers »2 et de son imprédictibilité. Divers à l’extrême puisqu’il a pour référent l’encharnellement de la pensée, le corps créateur en lui-même de formes signifiantes, et opérantes. Le premier souci de l’ethnoscénologie est, en conséquence, d’ordre épistémologique.
3Le deuxième, qui en est le corollaire, concerne l’établissement d’une méthodologie originale, qui comprend à la fois la mise en œuvre systématique de la recherche et la formation des chercheurs. La sociologie et l’histoire des sciences ont levé le voile sur la prétendue neutralité des sciences. Dans le cas de l’ethnoscénologie, le recours au manifeste assume la dimension artistique de la démarche des signataires, et déclare l’alliance avouée des arts et des sciences, des théoriciens et des praticiens, à l’image des ethnosciences appelées à l’occasion « savoirs naturalistes populaires »3. Au cours de notre entretien, je vais parfois citer Marcel Proust, qui n’est pas un anthropologue, mais dont l’œuvre comporte pour nous une double leçon sur l’observation et sa transcription dans l’écriture.
4C’est à juste titre que vous recourez au verbe « émerger » à propos de l’ethnoscénologie. En effet, il s’agit bien d’une discipline émergente, pour un objet de recherche émergent. Je ne joue pas sur les mots. Le verbe émerger que nous devons au latin emergere, se réfère à un événement, un phénomène qui originaire d’un milieu aussi complexe qu’un liquide apparaît à la surface et se déploie. La notion d’émergence, de plus en plus présente dans les sciences humaines est au cœur des théories des systèmes complexes4. Sans m’aventurer dans les détails, je retiens pour ma part l’idée qu’en a donnée son inventeur George Henry Lewes, dans son ouvrage de 1875 : Problem of Life and Mind5. Philosophe, physiologiste amateur, comédien et critique dramatique6, Lewes distingue deux types de processus causal. Le premier, qu’il nomme « résultant » correspond à un enchaînement de facteurs quasiment mécanique dont il est possible de suivre les étapes logiques. Pour le second, le résultat final « émerge » sans que l’on soit en mesure de saisir le mode d’opération et d’articulation de chaque facteur. Le premier correspond dans notre culture à un modèle de rationalité banal qui attribue une cause ou une succession de causes repérables à tout phénomène. Il a longtemps prévalu dans la logique déterministe ordinaire, et la pensée magique comme le créationnisme. Nous lui devons les mythes du processus de civilisation et de l’origine rituelle – religieuse – du théâtre. Le second, admet l’influence de variables et de facteurs non repérés, inconnus ou difficilement maîtrisables. La science contemporaine a introduit des notions pour exprimer cet indéterminisme : hasard, chaos, incertitude, processus stochastique, etc., autant de termes devenus familiers par la vulgarisation de certains aspects des sciences de la matière et la figure de physiciens. Parmi ces derniers, il me faut ici mentionner Niels Bohr dont le blason et la devise on été repris par Eugenio Barba pour le Nordisk Teater Laboratorium créé après l’installation de l’Odin Teatret à Holstebro. La devise latine contraria sunt complementa reprend le concept d’énantiodromie – la complémentarité des contraires – du philosophe grec Héraclite. Le blason représente le tao de la philosophie chinoise, qui suggère le caractère indescriptible de la nature. Pour nous, concept et figure expriment la difficulté à percevoir sans préjugés ni biais sensoriel et cognitifs la diversité esthétique des productions de l’imaginaire, des croyances et des logiques.
5L’ethnoscénologie est une discipline qui émerge dans le contemporain, en relation avec le vaste mouvement qui le travaille dans tous les espaces de l’existence individuelle et collective. Elle émerge, par exemple, d’un autre manifeste. Celui, en dix-huit points, que Cherif Khaznadar, futur directeur de la Maison des Cultures du Monde7, à Paris, a distribué en 1973 aux participants du second colloque international du Third World Theater qui se tenait en Iran sous les auspices du célèbre festival de Shiraz-Persepolis8. S’élevant contre les généralisations, il affirmait : « Il n’y a pas un, mais plusieurs théâtres du Tiers Monde ». La naissance des performance studies aux États-Unis est inhérente à la lutte pour les droits civiques, la défense des minorités – ethniques, sexuelles, culturelles –, les mouvements féministes et la gay culture, l’opposition à la guerre du Vietnam et les élans de l’avant-garde théâtrale9. Contexte qui s’est enrichi d’un essaim d’initiatives universitaires tout d’abord locales, parfois baptisées theory, comme la French Theory, et rapidement diffusées à l’international : subaltern studies, slavery studies, pornographic studies, gender studies, post-colonial studies, animal performance studies.
6L’ethnoscénologie apparaît en France et au Brésil dans le contexte de la décolonisation, du développement des études théâtrales, de la danse, du cirque et la crise de l’anthropologie. Crise des sciences sociales qui, selon Maurice Godelier, « bien loin d’annoncer, à force de déconstruction, leur disparition sinon leur dissolution dans les formes molles des « cultural studies », est le passage obligé de leur reconstruction à un niveau de rigueur et de vigilance critique qui n’existait pas aux étapes antérieures de leur développement. »10 Au cours des siècles, remarque l’anthropologue, l’ethnologie fut d’abord une ethnographie imbibée d’idéologie occidentale11. Imbibition roublarde et profonde que Raymonde Carroll appelle « évidences invisibles »12, c’est-à-dire ces innombrables usages, traditions, manières d’être et de sentir, de s’émouvoir, de croire et de jouir qui nous paraissent naturels à force de les absorber et de les vivre depuis la tendre enfance. De telle sorte que si l’histoire du discours sur l’autre est accablante, écrivait Tzvetan Todorov13, ce n’est pas seulement pour des raisons idéologiques, mais sensuelles, sensorielles, esthétiques, érotiques et linguistiques. Ainsi, la manie de nommer « théâtre » les spectacles des autres au lieu de leur conserver leur nom propre rappelle cette anecdote racontée avec humour par le linguiste André Martinet (1908-1999), en avant-propos d’un essai maintes fois cité :
On connaît l’histoire de ce tyrolien qui, de retour d’Italie, vantait auprès de ses compatriotes, les charmes de ce pays, mais ajoutait que ses habitants devaient être de bien grands fous, qui s’obstinaient à appeler cavallo ce que tout homme doué de raison savait être un Pferd.14
7Le terme générique d’ethnocentrisme vise en réalité une brassée de biais cognitifs individuels et collectifs assortis d’ignorance. En ce qui concerne le langage, l’ethnocentrisme nominal15 particulièrement actif dans les études théâtrales, tient au statut privilégié de la forme occidentale du spectacle vivant désignée par le mot théâtre, signe de civilisation depuis la Renaissance. De telle sorte que l’invention de la notion de pré-théâtre a été introduite pour des formes estimées encore frustes. L’idée que le théâtre s’inscrivait dans un processus de civilisation16, s’est enrichie du ritualo-centrisme de la « myth and ritual school », inspirée des travaux de Robertson Smith (1846-1894) et Sir James G. Frazer (1854-1941). Dans cette perspective, le théâtre se serait dégagé progressivement des rituels primitifs, purifié des croyances, des danses impudiques, et de la transe païenne dont paraissaient encore proches les spectacles gesticulés des sociétés archaïques. Dans la période coloniale française, la notion de pré-théâtre17 dont ont été affublées des formes africaines et caribéennes (le vaudou) a été une concession paternaliste accordée aux autochtones, de même que le missionnaire-anthropologue Leenhardt pensait les Canaques comme des « primitifs » prédisposés par nature à recevoir le Christ18. Comme le note avec pertinence le chercheur d’origine béninoise Simon Agbé-Cakpo, pour les défenseurs de la thèse de la pré-théâtralité
ces formes traditionnelles ne sont pas du théâtre, du moins pas encore ! Elles seraient en train de le devenir : c’est simplement une question de temps ! (…) Au point de départ de cette approche évolutionniste, il y a l’idée implicite d’un déficit à combler ou d’un retard esthétique à rattraper.19
8Paradoxalement, le mouvement de redécouverte et de survalorisation des vertus du monde primitif et du néo-chamanisme, né aux États-Unis dans les années soixante, a contribué à la persistance de ces idéologies20 qui résistent aux développements critiques des sciences humaines.
9L’ethnocentrisme linguistique ne se limite pas au lexique. La langue n’est pas une simple collection de mots. Qu’elle soit à l’œuvre dans l’oralité, l’écriture et la lecture, dans une situation dialogique ou non, intérieure21 ou non, la langue travaille et exprime à la fois l’organisation de la pensée22, la perception et l’intelligence du monde avec le pouvoir de créer du réel au même titre que l’imaginaire qu’elle nourrit et dont elle se nourrit. Le langage est également fondateur de l’ordre, de la loi et des croyances23. Jacques Derrida examine ce puissant ethnocentrisme primaire, dans son essai magistral De la grammatologie (1967) publié au moment où l’inflation du modèle linguistique dans les sciences humaines avait eu pour conséquence d’orienter une partie des études théâtrales et des sciences de la communication vers une paraphrase métaphorique24. Ne disait-on pas « langage du corps », « la peau un second langage », « lire le théâtre » ? Gayatri Chakravorty Spivak, la traductrice d’origine indienne du texte de Derrida aux États-Unis, a évoqué ce qu’elle a ressenti en rencontrant le mot ethnocentrisme, dès la première phrase de l’exergue25. Plus tard, poursuivant la déconstruction du discours théorique, promouvant les subaltern studies, elle est devenue l’une des figures marquantes des études postcoloniales.26 Il est certain que l’épanouissement pluridisciplinaire des travaux dans le domaine de la linguistique a contribué à celui d’une anthropologie consciente de ses présupposés métaphysiques. Les rencontres interdisciplinaires donnent l’occasion d’intégrer et de combiner des perspectives que l’on estimait a priori inconciliables, alors qu’elles sont complémentaires. Elles sont propices à la reconnaissance du divers et à l’évitement de son essentialisation. En introduction de l’ouvrage qu’ils consacrent à l’identification de l’art du théâtre Christian Biet et Christophe Triau prennent soin de le noter :
Dans cet ouvrage, nous traiterons principalement du théâtre occidental. Non que les formes spectaculaires extrême-orientales, africaines, indiennes, entre autres traditions majeures, soient sans intérêt, mais parce qu’elles engagent une toute autre méthode de travail et d’exposition, et parce qu’elles supposent une toute autre définition du public.27
10Les auteurs mettent en garde contre « l’erreur funeste d’en revenir à un occidentalo-centrisme d’une autre époque » et, renvoient le lecteur à l’ethnoscénologie, aux performance studies, et « à la discipline ethnologique en tant que telle, qui mérite qu’on ne la confonde pas avec les études théâtrales. »28
11Déchiffrer, interpréter, juger autrui à partir de son apparence physique, de sa gestuelle et de sa mimique a donné lieu chez les humains à une infinité de théories, de doctrines puis de disciplines savantes, et d’aussi nombreuses dérives racialistes, normatives et phobiques. De la physiognomonie et métoposcopie antiques à la sémiologie, en passant par la chiromancie, l’astrologie, la cranioscopie, la psycho-morphologie, la nonverbal communication et combien d’autres, la liste est longue des manières de voir en interprétant.
12Revenons au verbe émerger. Le spectacle vivant – ou tout événement spectaculaire, comme peut l’être un rituel, une cérémonie, un match de boxe – est un objet émergent. De lui nous ne pouvons saisir dans l’instant que l’aboutissement perceptible de ce qui l’a conduit à émerger. Dans le domaine médical on l’appellerait « symptôme », c’est-à-dire un signe fonctionnel, la manifestation d’un désordre organique dont il est souvent difficile de connaître la cause. Le programme distribué avant un spectacle est un inducteur de sens, aussi trompeur que la théorie dont il se réclamerait. Ne s’agit-il pas d’un mystère, au sens plein d’un terme qui mérite d’être pensé ? Le mustagogôs μυσταγογως des Grecs anciens – le mystagogue – n’était-il pas celui qui initiait au mustérion μυστηριον lors de cérémonies ? Le 3 juillet 2019 en Grèce, Eugenio Barba recevant un enième doctorat honoris causa délivré par l’université du Péloponnèse avait conclu son discours de récipiendaire par ces mots : « Qu’est-ce que le théâtre ? C’est la science suprême du mystère de la vie, accessible même aux réprouvés de la terre. » Pour Barba, la vie n’est pas cosa mentale, une abstraction, le déroulé de l’existence. Le bios de l’acteur – βιος que la biologie étudie sans être parvenu à le définir – est son corps en tant que pic émergent d’une source originelle qui irrigue la biosphère entière. Les notions nouvelles de cognition incarnée embodied cognition et d’incarnation29 de l’imaginaire embodied imaginary, soulignent une unité que le dualisme en ses différentes déclinaisons avait rompu. Apparaît alors la difficulté d’accéder à l’imaginaire de l’autre, sinon qu’à partir de pics émergents, tandis que s’exprime le besoin vital de goûter le vivant par le biais d’une présence réelle partagée30.
13Aussi est-il nécessaire de distinguer la spectacularité de l’événement, et la performativité – c’est-à-dire le processus de sa réalisation. Espèce visuelle par excellence, l’humanité accorde la priorité au visible au point de fonder sa morale sur ce sens, avait déclaré Diderot au risque d’un embastillement ! Aristote déjà dans sa poétique évoque l’ - l’opsis de notre optique -, à ne pas confondre avec la vision, - qui a donné le mot théâtre mais également celui de théorie. Le philosophe naturaliste est sévère à propos de l’opsis : « …le chant est le plus important des assaisonnements de la tragédie. Quant au spectacle ( - opsis), qui exerce la plus grande séduction, il est totalement étranger à l’art et n’a rien à voir avec la poétique, car la tragédie réalise sa finalité même sans concours et sans acteurs.31 » Au XIXe siècle le célèbre critique Théophile Gautier, au contraire se montre partisan du théâtre « oculaire »32. Or si « l’oculaire » est présent dans notre relation aux objets artistiques, il n’est pas le seul élément du sensible, au sein de la relation symbiotique, dont la complexité dynamique est loin d’avoir été élucidée. Comédien et formateur d’acteur en exil volontaire sur le rio de la Plata, Louis Jouvet en 1942, en avait eu l’intuition en rédigeant quelques notes publiées plus tard sous le titre Écoute mon ami : « Il n’y a qu’à copier dans la table des matières de tous les ouvrages de physiologie, de psychologie, de grammaire, de phonétique, de déclamation… Il y a peu de domaines, peu de sciences qui ne concernent l’acteur.33 » Que dire du spectateur !
14Les limites épistémologiques de la recherche en ethnoscénologie sont tracées par la limite des compétences du chercheur – sa position d’observateur –, et de son objet de recherche, résultat de la perception qu’il a de ses éléments constitutifs, et de leurs relations en tant que système complexe. Par compétence j’entends à la fois ce qu’il perçoit de son objet d’étude, les outils conceptuels et méthodologiques dont il dispose et la qualité de son expérience personnelle. C’est ainsi que la théorie peut souffrir d’ethnocentrisme34 quand les assertions universelles relèvent du point de vue personnel, non de la démonstration ni de la preuve. Exemple : en 1995, une théorie envisageant l’idée d’un langage théâtral universel et d’un corps interculturel a été présentée à Montréal dans le cadre du Congrès annuel de la Fédération Internationale pour la Recherche Théâtrale35. Par la suite, Erika Fischer-Lichte auteur de la communication, a créé en 2008 The International Research Center for Advanced Studies on "Interweaving Performance Cultures" au département de philosophie et des humanités de la Freie Universität de Berlin. En allemand : Verflechtungen von theater kulturen. Le but de cet institut, était l’étude de l’entrelacement (interweaving) des cultures. L’idée n’est pas nouvelle : nous savons que depuis son émergence l’espèce humaine est voyageuse et les échanges de toute nature entre clans, tribus, communautés, sociétés ont été et sont toujours multiples, pacifiques ou violents. Évoquer l’interculturalité présuppose l’adoption de la notion essentialiste de culture, sans tenir compte qu’elle n’est qu’une valeur statistique hypostasiant la réalité d’ agents individuels. De fait, les « cultures » ne voyagent pas ; ce sont les gens qui se déplacent, et pas n’importe lesquels, dans des conditions particulières, et motifs variables. La notion de métissage, jadis à la mode, s’est avérée elle-même inefficace pour rendre compte de ces contacts. Loin d’uniformiser, les échanges entres humains engendrent de nouvelles singularités.
15Enfin, pour en terminer – provisoirement – avec votre question n’oubliez pas que les limites épistémologiques sont souvent liées aux contraintes institutionnelles. La structuration des facultés, et l’organisation des programmes d’enseignement, au sein des universités sont le reflet de l’ordre scholastique et des jeux de pouvoir. En France, la création de départements d’études théâtrales autonomes dans les années soixante a été l’aboutissement de la reconnaissance du phénomène théâtral en son entièreté organique et esthétique, concomitant du refus de sa subordination à la littérature. Aux États-Unis, sans tradition théâtrale aussi enracinée qu’elle l’est en Europe, les performance studies ont pu intégrer l’université nord-américaine dès les années soixante-dix alors qu’elles peinent à prendre pied dans les pays latins. De ce fait, le sort institutionnel de l’ethnoscénologie dont dépend l’évolution de la formation des chercheurs et des programmes de recherche est subordonné en grande partie aux décisions des autorités de tutelle.
16Vous parlez d’approche sensible. Comment l’articulez-vous ? Est-ce plus à même à stimuler l’imaginaire ? À projeter l’imaginaire ? Comparativement à la connaissance scientifique ?
17Marcel Proust vous répond dans Le temps retrouvé, à propos de la création romanesque :
Il n’est pas certain que, pour créer une œuvre littéraire, l’imagination et la sensibilité ne soient des qualités interchangeables et que la seconde ne puisse pas sans grand inconvénient être substituée à la première, comme des gens dont l’estomac est incapable de digérer chargent de cette opération leur intestin. Un homme né sensible et qui n’aurait pas d’imagination pourrait malgré cela écrire des romans admirables.
18Proust s’explique : il entend par « homme sensible » celui, celle qui recueille non des tableaux d’ensemble, mais qui engrange dans sa mémoire ce que François Laplantine appelle « d’imperceptibles graduations36 ». Ce sont les détails, nuances, l’insignifiant, les riens et leurs liens. Le romancier, selon Proust est celui qui compose des personnages à partir de ces impressions recueillies. L’ethnoscénologue n’a pas à « inventer » une réalité de fiction ; en revanche, il doit être capable de recueillir ces multiples indices, sensations, images, odeurs, avant de les rationaliser. Le paysage, le feuillage, la faune et le climat ne sont pas décor de l’événement observé, mais agents, parfois inspirateurs, toujours partenaires des performeurs, à la façon dont les hébertistes concevaient leur entraînement37. Comment percevoir l’invisible en traversant le visible ? Pas simple, note Merleau-Ponty : « Le sensible, ce ne sont pas seulement les choses, c'est aussi tout ce qui s'y dessine, même en creux, tout ce qui y laisse sa trace, tout ce qui y figure, même à titre d'écart et comme une certaine absence »38.
19Nous voici avec le terme « sensible » au carrefour de multiples questions qui chacune relève d’une perspective singulière avec sa méthode ses acquis mais également ses limites. Dans sa forme substantive et adjectivale le sensible est ambigu, et nous tend des pièges sémantiques. Il se rapporte à la fois à la qualité d’un objet, à l’aptitude d’un sujet capable de le percevoir, de l’évaluer, et aux effets que produit sur lui sa réception. L’histoire du sensible doit être enseignée au préalable, dans la mesure où elle nous raconte celle de l’humanité. Lisez, par exemple, les ouvrages d’Alain Corbin, historien des sensibilités, dont Le miasme et la jonquille devrait figurer au programme de votre formation39. Vous y découvrirez l’étroite liaison de la sensorialité, de l’émotion et du sentiment et leur évolution dans le temps. Le petit jeu des étymologies, dévoile les liens du sensible, de l’esthétique et de la connaissance. Pour les Grecs anciens, l’aïsthêsis αισθησις désigne la faculté de sentir, d’éprouver mais également la connaissance, l’aïsthêtikos αισθητικος étant la faculté sensitive. Le mot a été repris par le philosophe allemand Alexander Gottlieb Baumgarten – esthétique (1750-1759) – pour sa théorie de la sensibilité vue comme faculté de la connaissance parallèle à la raison40. Le théâtre est le lieu où l’on voit – théa θεα la vue –, mot qui inclut la contemplation, la theôria θεωρια, l’action de regarder, signifiant par extension la contemplation, la méditation, l’étude et la science. La théorie ! Cette conception de la théâtralité, a repris corps à la Renaissance dans les « théâtres du savoir » qui combinaient le texte et l’image et faisaient appel aux sens autant qu’à l’intellect41.
20La vue ! Hommes et femmes sont des animaux visuels avez-vous appris dans les manuels. Est-ce la raison pour laquelle les illusions visuelles sont si abondantes, et le regard à ce point codifié dans l’ensemble des sociétés qu’elles ont multiplié les interdits relatifs à son usage, tout en développant les arts du paraître et les machines à image ? L’œil n’est-il pas dans l’espèce humaine l’organe de l’amour qui préside à l’appariement des partenaires dans le coït ? Lors du festival d’Avignon de 2008, dans le cadre du « Théâtre des idées », le philosophe Alain Badiou dialoguant avec Nicolas Truong autour de l’amour42 en était revenu à Platon et à la leçon du Banquet : l’élan amoureux, engendré par la beauté d’un corps perçu, puis de deux et plus encore donne naissance aux beaux sentiments, puis aux belles connaissances, jusqu’à ce que, de connaissance en connaissance, on arrive à la connaissance par excellence, qui n’a d’autre objet que le beau lui-même, et qu’on finisse par le connaître tel qu’il est en soi43. Magnifique éloquence platonicienne, propre à mettre en lumière la dimension érotique et didactique du spectacle vivant.
21Notre propre dialogue n’est pas un séminaire ! Cependant votre question invite à examiner l’outil premier de tout anthropologue et de tout ethnoscénologue : la sensorialité. La recommandation de Mauss – « partir du concret pour aller vers l’abstrait, et non l’inverse » semble reprendre la formule scholastique « Nihil est in intellectu quod non fuerit primum in sensu » – il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens. La sentence enseignée à la Sorbonne, s’accompagnait du principe selon lequel la vue était l’organe privilégié de la connaissance. Descartes, méfiant, avait mis en doute l’interprétation thomiste d’Aristote. Depuis, nos connaissances en la matière ont grandement évolué et ne cessent de s’étendre notamment en croisant les disciplines et les points de vue. Un premier pas a été franchi lorsque la psychologie, se détachant de la philosophie s’est tournée vers le modèle des sciences naturelles. Non sans succomber aux promesses attrayantes de la quantification. Il me faudrait vous parler de la fondation de la psychophysique par Gustav Fechner (1801-1887) qui s’est consacré à l’établissement de méthodes permettant de relier une grandeur physique mesurable – un stimulus – à une sensation éprouvée par un sujet. Le désir de se libérer de la subjectivité, pour atteindre, en laboratoire, une réalité objective était louable ; en revanche les présupposés épistémologiques et la méthode pour l’atteindre l’étaient moins. Toutefois, nous devons à ces premières tentatives qui se voulaient scientifiques la notion fondamentale de seuil : la perception d’un stimulus d’égal intensité est variable selon les personnes ; par ailleurs, pour être perçu un stimulus doit avoir une certaine grandeur. Attention ! Il n’est pas toujours nécessaire qu’un stimulus soit perçu pour être efficace.
22C’est en 1923 qu’une chaire de physiologie des sensations a été créée au Collège de France pour Henri Piéron, initiateur de la psychophysiologie. Critique à l’égard de Fechner, pionnier dans la coopération avec les sciences de la nature, les praticiens, les physiciens et ingénieurs acousticiens, Piéron reste une figure importante dans l’approche du sensible. Dans la préface de la seconde édition de son ouvrage majeur, La Sensation, guide de vie. Aux sources de la connaissance, il écrivait en 1955 :
La sensibilité est une condition essentielle de la vie. Mais les données fournies par les appareils récepteurs ne deviennent pas toutes des sensations, et certaines ne dépassent pas le stade des régulations réflexes, qui concernent les variations du milieu intérieur. La sensation intervient pour guider l’organisme vivant dans son comportement global vis à vis du monde extérieur, et la connaissance de ce monde s’édifie pour faciliter les relations nécessaires avec les objets et les forces qui le constituent.44
23Un an plus tard, Merleau-Ponty inaugurait un cours au Collège de France consacré au concept de nature. Dans ses notes pour le cours de 1959-1960 se trouve un projet en vue de parvenir à la description du corps humain, son animation comme métamorphose de la vie, et, citant Valéry, le corps comme « corps de l’esprit ». Pour y parvenir, écrit-il « ceci exigerait d’abord une « esthesiologie », une étude du corps comme animal de perceptions. »45 Je vous le demande : quelle image avez-vous de la sensorialité ? Les sens ne se réduisent pas à la nomenclature ancienne – les cinq sens – ni à une batterie de capteurs qui conduiraient au cerveau des informations. Le système sensoriel, complexe, est en interrelation avec le sujet en son entièreté somato-psychique, et n’est pas indépendant de l’action – la motricité – et de la cognition. Il est intéressant de savoir que les philosophes du temps des Song du Nord au XIe siècle, en Chine, associaient connaissance, action et expérience sensorielle. Ce schéma, nous le retrouvons dans l’ontogenèse. Les travaux sur le fœtus montrent que sa mobilité intra-utérine est garante du développement général. L’expérience sensorielle, l’éducation au sensible, l’apprentissage du divers jouent un rôle fondamentale dans la capacité perceptive : nous percevons ce que nous avons appris à percevoir. Il s’élabore de la sorte des idiosyncrasies sensorielles, personnelles, familiales, sociales, culturelles qui orientent en retour la création esthétique et le rapport à l’écosystème. Observer le divers pour en rendre compte présuppose de connaître nos propres moyens de réception/perception, et les synesthésies qui sont à la source des formes émergentes de l’autre.
24Si Piéron soulignait le rôle de la sensation dans l’adaptation de l’organisme au monde extérieur, il est un système sensoriel fondateur de sensibilités internes en jeu dans la performance, l’action chorégraphique, circassienne, théâtrale, sportive et chorale. Ces impressions peuvent être proprioceptives, intéroceptives, somesthésiques, pallesthésiques, kinesthésique, coenesthésiques et algesthésiques. Elles se distinguent des sensibilités extéroceptives qui désignent une sensation recueillie à la surface du corps (sensations tactiles ou thermiques par exemple)46. Au sein du Laboratoire Parole et Langage d'Aix-en-Provence (TIPA), Nicole Scotto Di Carlo a mené des travaux interdisciplinaires remarquables sur les sensibilités internes phonatoires, bien connues des artistes lyriques et des professeurs de chant. Ce n’est pas à l’oreille, a-t-elle montré, mais à la perception fine – acquise par apprentissage – de vibrations internes que les chanteurs d’opéra ajustent leur voix. Explication :
Les sensibilités internes développées dans le chant à grande puissance sont produites par les vibrations laryngées et transmises au squelette par l’intermédiaire des muscles suspenseurs du larynx. Elles fournissent aux chanteurs des points de repère et des moyens de contrôle de leur émission plus fiables que le rétro-contrôle auditif. La mémoire pallesthésique (vibratoire) et la mémoire kinesthésique (musculaire) permettent aux artistes lyriques de contrôler parfaitement leur émission quelles que soient les caractéristiques acoustiques du lieu dans lequel ils se produisent.47
25Le développement particulier de certaines capacités sensorielles pour compenser par vicariance un déficit lui-même sensoriel – la cécité, par exemple – explique l’extraordinaire virtuosité de musiciens aveugles. Je vous laisse réfléchir à la leçon de ces travaux qui illustrent ce que je vous disais en commençant : l’objet de recherche, en ethnoscénologie est en réalité défini par la compétence savante et pratique du chercheur. De telle sorte qu’il lui est nécessaire au préalable d’avoir du sensible, de la vie, du corps un savoir et une expérience qui ne les réduisent pas à un simple objet pour une conscience48. Au cœur de la vie psychique, organique, somatique, motrice l’aisthésis intègre l’émotion, l’imaginaire et cet au-delà que dévoile l’art dans toutes les sociétés : « le spirituel dans l’art », pour reprendre le peintre Wassily Kandinsky, si difficile à admettre, accepter et définir. Il n’y a rien de plus corporel que l’état d’adhésion à ce que Rudolf Otto (1869-1937) nomme le numineux, pour ne pas avoir à souffrir des embarras provoqués par les termes « sacré », « spirituel » usés par leur association avec la notion occidentale de religion. Le corps participe de la perception de cet au-delà comme le montre fort bien pour l’hindouisme André Padoux49. La recommandation faite par Devereux – pionnier de l’ethnopsychiatrie – à François Laplantine d’entreprendre une psychanalyse avant de se lancer dans l’anthropologie, avait pour objectif de nettoyer le chercheur non seulement de ses préjugés intellectuels, mais des états affectifs qui l’encombrent. Le nettoyage ne suffit pas. Il reste à inclure dans le cursus de formation de l’ethnoscénologue un apprentissage sensoriel, comprenant l’expérience du rapports des sens à la mémoire, l’émotion et l’imaginaire. Ensuite viendra le temps de l’écriture du sensible, dont Marcel Proust définit la voie : « Le devoir et la tâche d’un écrivain (j’ajoute : et de l’ethnoscénologue) sont ceux d’un traducteur. »50
26Vous parliez de l’art comme maîtrise ? Concevez-vous le théâtre comme mise en scène du chaos ?
27La formule est intéressante ! Revenons tout d’abord sur la notion de chaos, dépoussiérée par les mathématiciens qui ne l’assimilent pas au désordre familier, mais le rapprochent plutôt de l’ancienne chienlit, les mascarades carnavalesques, aujourd’hui objet de fructueuses études51. Votre première question portait sur « l’émergence », nous y revenons à propos du chaos et de sa théorie. En simplifiant, disons que la théorie du chaos vulgarisée par « l’effet papillon », s’attache à l’étude du comportement imprédictible selon les lois déterministes des systèmes particulièrement sensibles aux conditions initiales. À mon niveau de non spécialiste, je me dis que cette définition convient bien aux comportements humains, individuels et collectifs. Émile Durkheim, en 1912, travaillant sur les formes élémentaires de la vie religieuse avait été frappé par la description du corrobbori des aborigènes australiens. Il avait vu dans ce moment d’exaltation collective la source du sentiment religieux. Je vous renvoie à l’analyse critique de la théorie et de la méthode durkheimienne que le sociologue Raymond Aron propose52, me bornant à sa réactualisation et son appropriation récente par des primatologues et plusieurs anthropologues des religions. Ces derniers ont inventé la notion de « carnaval like » (simili carnaval) dans la qualification de ces événements, voulant dire par là que sous l’apparent chaos, se trouve une performance porteuse d’un sens à déchiffrer. Je dis bien qu’il s’agit d’un « apparent chaos », car les observateurs remarquent que l’événement se déroule selon une procédure rigoureuse circonscrite à une communauté. Si nous souhaitons élargir l’espace chaotique, et envisager les contacts entre sociétés et leurs cultures, je vous incite à partir sur les traces de la poétique du divers d’Édouard Glissant et de lire ses réflexions sur le chaos-monde53.
28Vous parlez de « mise en scène ». Ne s’agit-il pas d’une « mise en cage » ? Je ne fais pas allusion à la scène à l’italienne, mais à l’image des anciens cirques qui exhibaient des fauves mis en cage pour un public qui jouissait à la fois du frisson et de protection, tout en frémissant dans l’expectative d’une attaque du dompteur par son animal. Les spectacles ont la caractéristique d’offrir du faux-vrai. Chez le dramaturge John Ford (1586-1639), on assiste à un suicide, commenté en direct par les protagonistes. La passion la plus violente est servie en scène par des performeurs aussi virtuoses que les acrobates du cirque : voyez les combats dans le Jing Ju.54 Les moments spectaculaires de transe, dans la lilâ des Gnawas marocains combinent abandon conscient et protocole rigoureux. La puissance des arts de la vie tient à leur capacité de combiner les contraires. Quelle leçon ! Barba m’a raconté qu’un jour, à la sortie d’un spectacle de l’Odin, il s’aperçut que beaucoup de spectateurs quittaient la salle un peu désarçonnés ; il les entendaient se dire entre eux qu’ils ne comprenaient pas le message, qu’ils n’avaient pas suivi le fil ! C’est alors qu’un physicien s’est approché de lui pour le saluer : « J’ai apprécié ! - lui dit-il - ; votre spectacle est très intéressant, parce que là, je retrouve totalement mes recherches sur le chaos, vous l’avez mis en scène ! »
29Voici de quoi faire réfléchir ceux et celles qui s’interrogent sur notre utilité sociale, et la place du spectacle vivant dans la société, qu’il s’agisse des spectateurs et des performeurs. En réintroduisant l’expérience du vivant dans sa complexité par le biais de la fiction organisée, le corps des performeurs et une relation directe avec les personnes, nous apprenons à voir, affronter, explorer et vivre le « chaos ». Dans la mythologie grecque, χαος Khaos est le principe primordial, à l’origine du monde. Il précéde les déesses – γαια la terre – et les dieux.
30L’ethnoscénologie émerge dans le champ des ethnosciences. Comment l’ethnoscénologie se situe-t-elle plus particulièrement par rapport à l’anthropologie de la danse ou l’ethnochoréologie ? Le mot danse pose-t-il les mêmes problèmes que le mot théâtre à caractère ethnocentrique ?
31Figurez-vous que la réponse se trouve dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière. Vous y comprendrez ce qu’est la danse au XVIe et au XVIIe siècle en France : la danse fait partie des arts d’agrément indispensables à l’éducation des personnes de la bonne société. Le roi n’est-il pas lui-même un excellent danseur, jeune homme au beau mollet avant que de quitter la scène, vieillissant et malade, pour se tourner vers la religion ? Toutefois, dès cette époque, la danse des corps policés – les aristocrates et grands bourgeois – se différencie des danses populaires – folk – appelées aujourd’hui danses folkloriques. Alors que pour le théâtre l’ethnocentrisme a infléchi la perception que l’on pouvait avoir des formes en prenant pour critère l’écriture, il serait plus juste de faire état d’un sociocentrisme pour la danse. Libre de texte, celle-ci appartient au champ social de la distinction55 et de son art, de telle sorte qu’il n’est plus approprié de tenir pour pré-danse – comme on dit « pré-théâtre » – ce qui n’est que vulgaire – vulgaris, la foule – et ressort de traditions – par opposition à l’art qui est création. De nos jours, la hiérarchie sociale et esthétique des catégories anciennes, est bousculée par le mouvement « revivaliste »56 tandis que les recherches se poursuivent à propos de « l’artification » des pratiques dansées.57 Molière montre le comique des nouveaux riches, ces bourgeois dont se moquent les aristocrates habiles à déceler le parvenu dans ses manières de corps et d’esprit. Remarquez que la danse figure au même titre que la philosophie dans le programme éducatif auquel se soumet le personnage. Je trouve intéressant par ailleurs que ce soit un philosophe, et non pas un comédien, qui lui apprenne la diction, mais non la comédie qui figure parmi les activités des programme et collèges fréquentés par la jeunesse dorée ou tout au moins favorisée.
32Si la danse, dans la culture française, n’a pas été le marqueur d’un état avancé de civilisation, à la différence du théâtre, mais d’appartenance à une catégorie sociale c’est semble-t-il en raison de son caractère universel et plus encore de sa nature transpécifique, là où se croisent l’humain et l’animal. Pour en prendre conscience, il suffit d’aller du côté des éthologistes, spécialistes de la biologie du comportement animal et humain et de les écouter faire usage du mot danse. En 1965, à Londres, eut lieu un colloque interdisciplinaire d’une importance historique organisé par le grand éthologiste britannique Sir Julian Huxley (1887-1975), qui avait été le premier directeur général de l’UNESCO en 1946. Partant des notes et croquis de l’ornithologue Edmund Selous qui en 1901 avait décrit le comportement à la saison des amours d’une espèce d’oiseaux aquatiques, les grèbes huppés, Huxley avait voulu en savoir plus. Treize ans après Selous, caché dans les roseaux, observateur attentif et minutieux, il avait eu une fulgurante intuition en assistant au manège du mâle qui paradait devant la femelle. Il ne l’agressait pas. Tout au contraire, il se livrait à une sorte de danse en duo, qui surprit Huxley par l’organisation rigoureuse de sa chorégraphie et sa qualité esthétique. La femelle, avait l’air de choisir le meilleur danseur et s’accouplait avec lui. Les autres mâles, bredouilles, repartaient vers les coulisses, en quête d’une nouvelle tentative tout en reprenant les mêmes figures dansées. Huxley avait nommé ce comportement courtship-habits, traduit en français par « parade nuptiale » avant que d’en venir à adopter le terme ritualisation pour désigner un ensemble plus vaste d’actions apparentées. En effet, les éthologistes s’étaient aperçu que dans nombre de situations présentant des enjeux vitaux, les animaux s’engageaient dans des activités spectaculaires standardisées qui s’achevaient sans dégât majeur par un retour à la normale. En 1965, après avoir vécu l’expérience du désastre de la seconde guerre mondiale et dans le contexte de la guerre froide, Huxley souhaitait que la rencontre considère ce thème dans une perspective comparatiste. À cet effet il avait invité des non-biologistes capables d’établir un parallèle avec l’humain et de dialoguer avec les scientifiques.58
33À l’époque, l’éthologie était peu connue en France. Aussi, comptait-on parmi les participants une écrasante majorité d’anglo-saxons dont l’anthropologue Victor Turner qui a joué ultérieurement un rôle majeur dans le développement des performance studies aux États-Unis. Lors de l’une de ses dernières interventions publiques, conférencier vedette du symposium Ritual in human adapatation organisé en 1982 à Chicago, un an avant sa mort, Turner a exprimé sa dette à l’égard du colloque de Londres qui lui avait permis de dépasser la perspective culturaliste en incluant la dimension organique, biologique du rituel59. Au passage, je vous signale que c’est au cours de ce colloque que le psychiatre Erik H. Erikson a présenté la notion de « pseudociation », souvent citée à propos du racisme et du communautarisme. Parmi les non-biologistes se trouvait un illustre universitaire, Sir Cecil Maurice Bowra (1898-1971), helléniste distingué féru de poésie, connu pour son humour, alors préfet – warden – du Wadham College de l’université d’Oxford. Son intervention avait pour titre « la danse, l’art dramatique et la parole ». Elle mérite d’être attentivement lue et commentée en une séance de séminaire, tant elle est représentative de l’histoire culturelle du spectacle vivant, et partant, d’une certaine anthropologie. Bowra commence par ces mots : « Les animaux dansent ; l’homme danse aussi, et probablement depuis le début de l’humanité. » Je n’ai pas le temps de vous présenter le développement de sa pensée, et je saute à la conclusion :
Tant qu’il s’en tient aux gestes, comme dans la danse et le rituel, l’homme ne dépasse guère l’animal, mais lorsqu’il se tourne vers les mots, il exploite quelque chose qui lui est propre.60
34Le mot, vous l’avez compris est le propre de la pensée et du théâtre, au sens européo-centré du terme. Bowra, personnage original par son mode de vie, s’exprime comme ceux de sa génération. Il est né en Chine d’une lignée de fonctionnaires britanniques qui oeuvraient pour l’administration impériale chinoise des douanes. Son grand-père, Edward Charles Bowra sinologue sur le tas et botaniste, était curieux de la culture « orientale ». Cela n’empêche pas le petit-fils de répéter les thèses de l’anthropologie évolutionniste, et les idées de son mentor l’anthropologue écossais James Frazer (1854-1941), armchair anthropologist anthropologue de salon, qui ne faisait pas de terrain mais lisait beaucoup.
35Il est évident que le discours de Sir Bowra est daté. Personne aujourd’hui ne saurait en tenir un semblable. Nous y trouvons toutefois les éléments qui nous font comprendre la liaison étroite de l’histoire accidentée du corps et de la pensée, des arts du vivant et des croyances telles qu’elles animent les sociétés humaines dans leur diversité. Il devient intéressant de déconstruire ce texte à partir des développements de l’éthologie, des sciences cognitives (la notion de cognition incarnée, embodied cognition), des neurosciences, de l’anthropologie et bien sûr des milieux de la danse elle-même61. Quand le danseur et chorégraphe Noé Soulier affiche son intention d’inclure dans ses recherches et son enseignement le yoga, les arts martiaux, et les mouvements familiers il dessine non pas cette courbe linéaire ascendante de l’évolutionnisme, mais un buisson dont chacune des branches est reliée à l’autre à partir d’un tronc commun. Si les critiques parlent à présent de la porosité des frontières de la danse, c’est en raison me semble-t-il de l’effritement de l’ancien logocentrisme, qui n’était que la version du dualisme, le mind-body problem62. Toute formation en ethnoscénologie devrait comporter une expérience de la danse, afin d’apprendre à vivre les chiasmes sensoriels source ou estuaire de l’imaginaire.
36Par rapport au « Jīngjù », au théâtre et à la danse, avez-vous rencontré des clivages entre théorisation scientifique et les pratiques artistiques ?
37Dans La scène et la fabrique des corps63, je cite un passage de la préface d’André Vésale à ses livres sur l’anatomie publiés en 1543 sous le titre De Humani Corporis Fabrica Libros. Celui qui fut sans doute le plus grand anatomiste de la Renaissance répond à votre question, et propose une solution ! Vésale s’afflige de voir que les médecins les plus réputés, pleins de répugnance pour le travail manuel, ont commencé à se décharger des interventions chirurgicales sur des domestiques. Tandis que les prosecteurs, simples ouvriers sans éducation pratiquaient la dissection d’un cadavre, les Professeurs se bornaient à théoriser en reprenant les textes de Galien :
Ces derniers, à la façon des geais, parlant de choses qu’ils n’ont jamais abordés de près, mais qu’ils ont prises dans les livres et confiées à leur mémoire, sans jamais regarder les objets décrits, plastronnent, juchés sur leur chaire, et y vont de leur couplet. Les autres (les prosecteurs) sont tellement ignorants des langues qu’ils ne peuvent fournir aux spectateurs des explications sur les pièces disséquées ; il leur arrive aussi de lacérer les organes que le physicien leur ordonne de montrer. Celui-ci, qui n’a jamais mis la main à une dissection, se contente de son commentaire et mène sa barque en pilote ombrageux. Ainsi, tout est enseigné de travers ; les journées passent en questions ridicules…64
38Vésale à l’âge de vingt-huit ans envisage pour la médecine, une formation fondée sur la complémentarité de la théorie et de la pratique. L’exemple que donne l’anatomiste se rapporte à un lot d’erreurs communes qui pour les uns consiste à partir de l’abstrait ou du pré-perçu pour aller au concret et prétendre y trouver la confirmation de la théorie, et pour les autres consommer le concret sans parvenir à la conceptualiser. En psychanalyse, l’intellectualisation est un mécanisme névrotique de défense par lequel le sujet tente de construire un discours rationnalisant pour maîtriser fantasme, situation qui le déborde, chaos affectif. Le matérialisme ordinaire se satisfait des apparences de l’objet. En conclusion de la première session de l’International School of Theatre Anthropology ISTA, Eugenio Barba avait organisé à Bonn du 24 au 26 octobre 1980 un symposium international qu’il avait intitulé « Le regard qui sait voir ». Le programme publié comportait une citation de Voltaire, tirée de l’entrée « corps » du Dictionnaire philosophique :
De même que nous ne savons pas ce que c’est qu’un esprit, nous ignorons ce que c’est qu’un corps. Nous voyons quelques propriétés ; mais quel est le sujet en qui ces propriétés résident ? Il n’y a que des corps, disaient Démocrite et Épicure ; il n’y a point de corps disaient les disciples de Zénon et d’Elee.
39Le symposium comportait des démonstrations et des spectacles présentés en particulier par les « maîtres orientaux ». Barba invitait les observateurs à lui faire parvenir par écrit leurs impressions. Il précisait : « Nous sommes tous des gastronomes du théâtre et nous déplorons parfois qu’il n’existe plus personne qui sache le bien cuisiner. Encore faut-il que les bons cuisiniers aient quelqu’un qui sache comment manger. »
40Dans le domaine de l’histoire du théâtre, nombreux sont les exemples qui mettent en évidence l’écart entre la perception et son interprétation. Nous en avons parlé à propos de l’ethnocentrisme. Parfois, ces malentendus fondés sur l’ignorance et le préjugé stimulent l’imaginaire des artistes. Le chercheur d’origine chinoise Tian Min, poursuit attentivement l’étude de ces rencontres à la fois faussées et fructueuses. En 1997, alors que docteur de l’université de Pékin il poursuivait ses travaux en vue d’une autre thèse aux États-Unis, il publia un article sur la fameuse rencontre de Brecht et de Mei Lanfang qui aurait inspiré le dramaturge allemand et l’aurait conduit à théoriser le Verfremdungseffekt, ou effet V, traduit en français par « distanciation »65. Tian Min décortiquant l’affaire montre ce que l’on pourrait appeler l’effet P, pour projection, entendu au sens psychologique du terme. C’est avec sa logique et ses critères que Brecht traduit dans un lourd contresens le jeu du performeur chinois. Je vous conseille de lire la démonstration de Tian Min66 ainsi qu’un ouvrage plus récent sur l’usage des théâtres d’Asie par les dramaturges occidentaux modernes au sous-titre imagé : The displaced mirror, le miroir décalé67. Engagé dans la contestation de l’avatar de la mimesis aristotélicienne Brecht, ne pouvait qu’être séduit par ce qu’il interprétait comme antithèse de la séduction du sentimentalisme bourgeois. L’esthétique de Mei Lanfang lui paraissait épurée, à l’opposé des appeaux de l’identification au personnage. C’était oublier que l’émoi n’est pas dans l’objet, mais dans la tête de celui, de celle qui le regarde.
41Quels liens entre l’imaginaire britannique de Shakespeare et celui français ?
42Si vous faites allusion à la réception de Shakespeare en Grande Bretagne et en France, je dois vous dire que de nombreux travaux ont été consacrés à cette question : ouvrages, thèses dont celle de Catherine Balaudé-Treilhou, soutenue en 1994. En revanche, se pose la question de savoir de quel Shakespeare nous parlons, s’il est pertinent d’envisager un « imaginaire britannique ». Un ouvrage de Jean-Pierre Richard publié, en 2019, vous répond en mettant au jour – une fois de plus – les malentendus et les travestissements culturels qui ont frappé l’œuvre de Shakespeare que Jorge Luis Borges considérait comme le moins anglais des poètes d’Angleterre. Le titre du livre semble provocateur : Shakespeare pornographe : un théâtre à double fond !68 Il n’en est rien. L’étude est érudite, précise et décapante. Nous en avons rendu compte dans la revue L’Ethnographie. L’auteur montre que Shakespeare joue constamment sur les mots à une époque où les étudiants parlaient le latin couramment, fréquentaient les mauvais lieux, dont les théâtres, notamment le Globe, et raffolaient de s’y détendre l’esprit comme le corps. Farceurs, ils sont habiles à déchiffrer le double sens des mots et des expressions, les contrepèteries et les allusions obscènes. Loin de l’image sublime et puritaine de l’art dramatique qui s’est construite dans le droit fil de sa scolarisation, les textes de Shakespeare brassent les instances de la vie humaine que Sénèque distille dans la formule « cibus, somnus, libido, per hunc circulum curritur », le pouvoir, les passions, le sexe, manger, boire, dormir… Pris entre le devoir de conservation d’un génie dramatique national puis déclaré universel, et la sauvegarde de la vertu désincarnée, les traducteurs ont ignoré ou corrigé les crudités lexicales des textes originaux par des coupures et un vocabulaire recuit dans la morale. Jusqu’au XVIIIe siècle, Shakespeare est méconnu en France. C’est grâce à Voltaire qu’il commence à sortir de l’ombre mais lavé de ses polissonneries. Entre le temps de Shakespeare et le XVIIIe siècle, l’anglais s’est modifié comme l’ont noté les philologues qui, en compulsant les dictionnaires de la langue anglaise du XVe siècle, ont retrouvé la verdeur perdue d’un théâtre malicieusement libertin qui a fait passer dans le français actuel la jolie expression de « faire la bête à deux dos ». Vous la trouvez à la première scène du premier acte d’Othello quand Iago tente d’exciter la fureur du sénateur Brabantio en lui révélant que sa fille Desdémone est en train de forniquer avec le More.
43La reconstruction des imaginaires culturels des sociétés est un travers ordinaire. Les Grecs de l’antiquité en ont pâti, ainsi que les mondes éloignés. Près de nous, Georges Forestier le démontre à propos de Molière69. Lorsque le butô arrive en France, écrit Sylviane Pagès, l’engouement du public et des critiques s’épanouit dans des gerbes de malentendus fascinés. L’étude de ces travestissements intra et interculturels constituent un objet privilégié de la recherche en ethnoscénologie !
44Dans quelle mesure l’œil éthnoscénologique parvient-il à élaborer une réflexion sur la base d’œuvres fictionnelles en littérature ? Avez-vous déjà rencontré des clivages entre les théorisations académiques et les pratiques artistiques ?
45Peut-on parler d’un « œil ethnoscénologique », même si l’image est plaisante. Comme nous l’avons-vu à propos de l’approche sensible, ce sont tous les sens qu’il convient d’exercer dès que l’objet est aussi complexe qu’un événement performatif, sacré ou profane, ludique ou savant. Et puisque vous évoquez la littérature, une fois de plus je vous renvoie à Marcel Proust qui préfigure dans sa réflexion sur la littérature le mouvement littéraire et romanesque de l’anthropologie, de l’historiographie et des sciences humaines en général70 :
Seule l’impression, si chétive qu’en soit la matière, si insaisissable la trace est un criterium de vérité, et à cause pour cela mérite seule d’être appréhendée par l’esprit, car elle est seule capable, s’il sait en dégager cette vérité, de l’amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. L’impression est pour l’écrivain ce qu’est l’expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l’intelligence précède et chez l’écrivain vient après.71
46Si vous parlez des œuvres fictionnelles littéraires comme terrain, pour l’ethnoscénologie et l’anthropologie, la réponse est oui. Proust en est un exemple. Toutefois, il convient d’approfondir les ressources du terrain textuel notamment en examinant les aspects philologiques, contextuels, historiques. Le défi que doit relever l’ethnoscénologue, praticien et savant à la fois doit s’achever dans le travail d’écriture de son « terrain ». La littérature devient alors un modèle pour lui, de telle sorte que un cursus universitaire d’anthropologie devrait inclure un atelier d’écriture. Victor Turner avait inauguré ce type d’initiation à la description de l’expérience de terrain qui a pris forme dans le courant de la recherche qualitative avec les ethnodramatics, également connus sous le nom de ethnographic performance text, performance ethnography, documentary theater, docudrama72.
47Que faîtes-vous dans l’atelier expérimental que vous avez organisé au Centre Hospitalier de Saint-Denis pour les personnes qui ont subi un accident vasculaire cérébral ? Est-ce une application pratique de l’ethnoscènologie ?
48Avec la neuropsychologue Emna Manis, nous proposons aux patients des exercices qui reprennent les principes pratiques mis en œuvre par Roberta Carreri, actrice de l’Odin Teatret. Je vous invite à voir la démonstration spectacle intitulée Traces in the snow qu’elle a réalisée et éditée en film73. Le document expose les étapes du processus créatif. Partant d’une image de la vie quotidienne, Roberta la transforme en une suite de séquences, par une stimulation systémique des potentialités cognitives et motrices. Ce que je vous dis peut vous paraître très abstrait !, alors que, au contraire, le travail progresse en associant très étroitement l’imaginaire et le geste, le mouvement, la sensation et la mémoire. La particularité de l’atelier tient d’une part au fait que chaque AVC présente des séquelles très variées, et d’autre part la composition du groupe de patients originaires de sociétés très diverses, a pour conséquence que chaque exercice doit tenir compte de la singularité des imaginaires personnels et culturels, ainsi que des codes sensoriels et comportementaux. Aucune standardisation des exercices n’est possible.
49Peut-on éprouver le mouvement à partir du moment où on ne l’a pas exécuté soi-même ?
50Vaste question à laquelle il m’est impossible de répondre en deux mots, sinon en vous invitant à un séminaire pluridisciplinaire sur l’imaginaire, doublé d’un atelier pratique ?
51Comment l’ethnoscénologie envisage-t-elle les perspectives d’avenir du langage en tant que solution à la violence ?
52Armand Gatti disait, en parlant des jeunes, loubards, zonards, des ateliers de « création populaire » qu’il menait : « je leur donne du langage ». L’ethnoscénologie participe à cet ample mouvement de réflexion, de recherche et d’action qui met en évidence le rôle fondamental des pratiques artistiques, de la culture, dans les apprentissages fondamentaux. L’« esthesiologie » évoquée par Merleau-Ponty, vous vous en souvenez, me semble le préalable nécessaire à l’adoption d’une esthétique de la vie. Se former à l’appréciation de la diversité des formes de la beauté, est un premier pas vers l’amour et l’idée.
53Qu’elles sont les perspectives de l’ethnoscénologie, une vingtaine d’années après son institutionnalisation ?
54Les thèses soutenues, les recherches poursuivies, les colloques et les journées d’étude, les collaborations diverses avec les artistes, institutions, départements universitaires, en France et à l’étranger ont permis à l’ethnoscénologie de tendre vers une scénologie générale. Je veux dire par là une perspective inclusive nouvelle qui permet d’échapper à l’enfermement théorique, clanique et à l’exclusion. Au cours de notre dialogue, vous avez pu constater que toute spécialisation dans un champ de recherche émerge d’un tronc commun de connaissances, de logiques et d’expériences établi à partir d’une réflexion épistémologique sur les fondements assurant la cohérence de l’ensemble. En médecine, les spécialisations s’acquièrent à l’issue d’un cursus général. De même qu’un pianiste ou un danseur se forme aux techniques de base qui lui permettront par la suite d’opter pour tel ou tel style.
55La pluridisciplinarité exigée de tout ethnoscénologue, demande une réorganisation du savoir et son institutionnalisation afin de lui offrir un lieu de formation cohérent. Jadis, les anthropologues et philologues qui prenaient pour objet d’étude des arts performatifs singuliers ne connaissaient du spectacle vivant que ce qu’ils avaient appris du théâtre au cours de leur scolarité. À l’inverse, les artistes occidentaux – pour ne parler que d’eux – approchaient sans formation anthropologique ni connaissance linguistique les pratiques qui n’appartenaient pas à leur espace patrimonial. Pour résoudre cette difficulté, certains chercheurs en ethnoscénologie ont suivi un double cursus – par exemple études théâtrales et études chinoises, japonaises, tibétaines, indiennes, etc. Les efforts actuels portent sur l’organisation d’un tronc commun incluant des disciplines jusque-là exclues du cursus ordinaire des arts du spectacle en Europe. Il est absurde, par exemple qu’une initiation théorique et pratique aux sciences de la vie, la psychophysiologie, le langage, l’historiographie, l’anthropologie ne soit pas proposée comme propédeutique à ceux et celles qui par la suite pourront se spécialiser dans un champ d’étude.
56L’initiation à la pluridisciplinarité, et à l’interdisciplinarité, est d’autant plus souhaitable que les pratiques performatives – dont le théâtre (parlé, chanté, mimé), la danse, le cirque et les activités physiques en général – s’ouvrent à des champs nouveaux dans le domaine de la recherche fondamentale et appliquée. L’image d’une formation à l’ethnoscénologie constituée d’un tronc commun qui parvenu à une certaine croissance donnerait lieu à des branches, fait penser à l’éloge de l’arbre si bien dit par l’historien du sensible Alain Corbin dans son livre La douceur de l’ombre74. Savoir voir l’arbre, comme l’écrivait Péguy à propos de Victor Hugo, revient à mes yeux à envisager l’épopée diachronique de l’humanité, enraciné dans le bios commun, s’en dégageant sans rompre, et se déployant vitalement dans une extrême diversité fédérée par le tronc.
Notes↑
1 Cf. la première partie de l’interview.
2 Lire les notes posthumes publiées sous le titre Essai sur l’exotisme. Une esthétique du divers. Précédé de « Segalen et l’exotisme » par Gilles Manceron, Paris, Fata Morgana, « Biblio essais », 1999.
3 Sur l’historique et les discussions relatives à cette notion voir : Barrau Jacques, « À propos du concept d’ethnoscience », in Jacques Barrau, Jacques Bonniel, Denis Chevallier, José Dos Santos et Daniel Fabre, Les savoirs naturalistes populaires, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1985, p. 5-12
4 Pour une brève introduction à la notion d’émergence institutionnelle, voir Brisset Nicolas, « Les institutions comme objets émergents. Une perspective ontologique », Revue économique, Nol. 66, N°3, 2015, p. 615-644.
5 Lewes George Henry, Problem of Life and Mind, Boston, James R. Osgood and Company, 1875.
6 Lewes George Henry, On Actors and the Art of Acting, London, Smith, Elder, & Company, 1875; dans « Epistle to Anthony Trollope », il insiste sur l’importance de la formation du comédien : « Another general misconception is that there is no special physique nor any special training necessary to make an actor. Almost every young person imagines he could act, if he tried. », p. ix. Voyageur européen, Lewes décrit non sans humour ce qu’il a vu sur les scènes et dans les salles parisiennes et allemandes.
7 Et cosignataire du manifeste de l’ethnoscénologie.
8 Khaznadar Chérif, "Tendencies and Prospects for Third World Theatre", The Drama Review, N°4, 1973, p. 33-35.
9 Pradier Jean-Marie, « De la Performance Theory aux Performance Studies », Journal des anthropologues, n°148-149, 2017, p. 287- 299.
10 Godelier Maurice, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Paris, Albin Michel, « Bibliothèque des idées », 2007, p. 10.
11 p. 11.
12 Carroll Raymonde, Évidences invisibles. Américains et Français au quotidien, Paris, Seuil, 1987.
13 Tzvetan Todorov, préface à l’édition française (1980), Said Edward W., L’orientalisme – L’Orient créé par l’Occident, Catherine Malamoud (trad.), Paris, Éditions du seuil, 1980, p. 22. Orientalisme dont la critique n’est pas exempte d’ethnocentrisme simplificateur comme le montre Pouillon François, Exotisme et intelligibilité. Itinéraires d’Orient, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, « Études culturelles », 2017. Autre référence : Gruzinski Serge, La machine à remonter le temps. Quand l’Europe s’est mise à écrire l’histoire du monde, Paris, Fayard, « Histoire », 2017.
14 Martinet André, Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin, 1963, p. 5.
15 Pradier Jean-Marie, « L’ethnocentrisme nominal & arts du spectacle vivant », in Le mythe de Babel revisité ou L’intervalle d’une langue à l’autre, du texte à la scène (actes du colloque international organisé par Béatrice Bonhomme, Christine Di Benedetto et Jean-Pierre Triffaux, Nice 10-11 mars 2011), Paris, L’Harmattan, « Thyrse », n° 3, 2012, p. 181-200. « O Etnocentrismo nominal e as Artes do Espetáculo Vivo », Revista Brasileira dos Estudos da Presença, Vol. 2, N°1, 2012).
16 Pour une introduction critique à la notion de processus de civilisation, théorisé par Norbert Elias, voir la préface d’André Burguière : « Entre sociologie et anthropologie : La civilisation des mœurs en procès », in Duerr Hans Peter, Nudité & Pudeur – Le mythe du processus de civilisation, Véronique Bodin et Jacqueline Pincement (trad.), Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’homme Paris, 1998, p. IX-XXXI.
17 À ne pas confondre avec l’expression anglaise « pre theater » en usage dans les restaurants, qui désigne un menu simplifié pour un repas léger pris avant d’aller au spectacle.
18 Bensa Alban, Chroniques Kanak. L’ethnologie en marche, Paris, Peuples autochtones et développement/Survival International, « Ethnies Documents », N°18-19, 1995, p. 244.
19 Agbé-Cakpo Simon, La problématique du théâtre populaire en Afrique contemporaine, Thèse de doctorat sous la direction d’Anne Ubersfeld, Université de la Sorbonne-Nouvelle, Paris, 1995, p.195-197.
20 L’introduction du numéro 21 de la revue Appareil, publié en 2019, reprend cette légende : « Le théâtre européen naît du rituel (il semble d’ailleurs que cette origine religieuse soit un point commun à toutes les cultures théâtrales de l’humanité), et devient aussitôt « machine ». Numéro établi sous la direction de Sophie-Aurore Roussel, enseignante en Khâgne (spécialité théâtre) et formatrice à l’ESPE (oral de CAPES « épreuve de théâtre » et MEEF2). En ligne, consulté le 2 septembre 2020.
21 Cette notion avancée en 1934 par le psycholinguiste russe Lev S. Vytgotski a été inspirante pour C. Stanislavski. Pour une présentation rapide de l’état actuel des interprétations, voir Perrone-Bertolotti Marcela, Grandchamp Romain, Rapin Lucile, Baciu Monica, Lachaux Jean-Philippe, et al., « Langage Intérieur », in S. Pinto & M. Sato, Traité de Neurolinguistique : du cerveau au langage, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2016, p.109-123.
22 Pradier Jean-Marie, « Un chat noir/a black cat - spectacle vivant/performing art », in Katia Légeret et André Helbo (Textes réunis par), Transdisciplinarité en question(s) – Bilan Erasmus Mundus en étude du spectacle vivant, Bruxelles, Association Internationale Sémiologie du Spectacle, « Tréteaux », 2016, p. 79-95.
23 Nombre de divinités s’expriment par la voix – theophônie – transcrite par les humains en textes qui deviennent sacrés, dogmatiques. Le fanatisme religieux est une forme de textocentrisme dont la particularité est d’être à la fois a-historique et décontextualisé. Le cas des Évangiles est particulier dans la mesure où la description de l’action prend la place assumée par la doctrine réduite à la loi d’amour.
24 Derrida Jacques, De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, « critique », 1967.
25 « Ce triple exergue n’est pas seulement destiné à rassembler l’attention sur l’ethnocentrisme qui, partout et toujours, a dû commander le concept de l’écriture. » Ibidem, p. 11.
26 Pradier Jean-Marie, « L’ethnoscénologie et la scène des langues », in Arianna Bérénice De Sanctis, AeRan Jeong, Hyunjoo Lee, Eleonore Martin (dir.), L'évolution de la langue et le traitement des « intraduisibles » au sein de la recherche, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2016, p. 1-9.
27 Biet Christian, Triau Christophe, Qu’est-ce que le théâtre ? Postface d’Emmanuel Wallon, Paris, Gallimard, 2006, p. 13.
28 Idem.
29 Je remarque que certains théoriciens européens répugnent à utiliser le mot « incarnation », en raison de sa référence à la théologie chrétienne. Cette forme d’autocensure n’est pas nouvelle. De la notion phatic communion (1923) inventée par l’anthropologue Bronisław Malinowski pour désigner la fonction psycho-sociale du langage, créateur de liens interindividuels, il n’a été conservé que la première partie de la locution – phatique – afin d’éviter une interprétation religieuse du mot communion. Ce qui conduit à une absurdité, puisque en isolant « phatique », du verbe grec φημι – phémi, je parle – on aboutit à une tautologie : la fonction langage du langage. Référence : "The Problem of Meaning in Primitive Languages", in C. K. Ogden and I. A. Richards, The Meaning of Meaning: A Study of the Influence of Language upon Thought and of the Science of Symbolism, Londres, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co, 1930 (1923), p. 315.
30 Voir à ce propos le mouvement écosophique, et le développement des animal performance studies.
31 Aristote : La Poétique, le texte ancien avec une traduction et des notes de lecture par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, préface de Tzvetan Todorov, Éditions du Seuil, Paris, 1980, p. 56-57
32 Voir l’ouvrage de Martin Roxane, L’Émergence de la notion de mise en scène dans le paysage théâtral français (1789-1914), Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 145.
33 Jouvet Louis, Écoute mon ami, Paris, Flammarion, 1952. p. 42.
34 Pradier Jean-Marie, « L’ethnocentrisme théorique, ou l’effet clou de girofle », Horizons/Théâtre, N°7, Presses Universitaires de Bordeaux, 2016 p. 10-26.
35 Erika Fischer-Lichte, Institut fur Theatre Wissurscheriff : « Is an intercultural body conceivable ? – Some reflections on the idea of a universel theatrical language » ; catalogue Programme du FIRT Congrès annuel – Actor, Actress on stage, Body/acting/Voice - Montréal-Valleyfield 22-27 mai 1995, p. 111.
36 Laplantine François, Le social et le sensible. Introduction à une anthropologie modale, Paris, Téraèdre, 2005.
37 Voir Philippe-Meden Pierre, Du sport à la scène. Le naturisme de Georges Hébert (1875-1957), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017. Jerzy Grotowski a entrepris en Pologne des expérimentations dans un esprit analogue dans les années 80.
38 Merleau-Ponty Maurice, « Le philosophe et son ombre », Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 217.
39 Corbin Alain, Le miasme et la jonquille, Paris, Flammarion, « Champs histoire », 2016.
40 Malinowski-Charles Syliane, « Baumgarten et le rôle de l'intuition dans les débuts de l'esthétique », Les Études philosophiques, Vol. 75, N°4, 2005, p. 537-558.
41 Cavallini Concetta et Méniel Bruno, « Les savoirs et le modèle théâtral à la Renaissance », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, N°29, 2015, p. 265-270.
42 Badiou Alain, Éloge de l’amour, Paris, Flammarion, « Champs essais », 2016, p. 26.
43 « En effet, le vrai chemin de l'amour, qu'on l'ait trouvé soi-même ou qu'on y soit guidé par un autre, c'est de commencer par les beautés d'ici-bas, et les yeux attachés sur la beauté suprême, de s'y élever sans cesse en passant pour ainsi dire par tous les degrés de l'échelle, d'un seul beau corps à deux, de deux à tous les autres, des beaux corps aux beaux sentiments, des beaux sentiments aux belles connaissances, jusqu'à ce que, de connaissances en connaissances, on arrive à la connaissance par excellence, qui n'a d'autre objet que le beau lui-même, et qu'on finisse [211d] par le connaître tel qu'il est en soi. » Le Banquet 211c, Victor Cousin (trad.), édition bilingue, 1831, T.VI, p. 211c-211d.
44 Piéron Henri, La Sensation, guide de vie . Aux sources de la connaissance, Paris, Gallimard, « L'Avenir de la Science », 1955 (1945), p. 2 -3.
45 Merleau-Ponty Maurice, La Nature. Notes Cours du Collège de France, Paris, Seuil, « Traces écrites », 1995, p. 380.
46 Garnier M. et Delamare J., Dictionnaire illustré des termes de médecine, Paris, Maloine, 2017.
47 Scotto Di Carlo Nicole, « Les sensibilités internes phonatoires », Travaux de l’Institut de Phonétique d’Aix, Vol. 12, 1988, p. 71-85.
48 Merleau-Ponty Maurice, Op. cit. p. 379 et suivantes.
49 En particulier, voir l’introduction de Padoux André (coord.), L’image divine. Culte et méditation dans l’hindouisme, Paris, Éditions du CNRS, 1990.
50 Édition de la Pléiade, Gallimard, Tome III, p. 890.
51 Puisque nous sommes à Nice, je mentionne les rencontres internationales du 8 au 10 mars 1984, tenues sous le patronage de l’UNESCO, dont les actes ont été publiés sous le titre : Le carnaval la fête et la communication, Nice, Serre, 1985. Plus près de nous : Gauthard Nathalie (dir.), Fêtes, mascarades et carnavals. Circulations, transformations et contemporanéité, Lavérune, L’Entretemps, « Les anthropophages », 2014.
52 Aron Raymond, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, NRF, « Biblio. des sciences humaines », 1967, p. 345-361.
53 Glissant Édouard, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, NRF, 1996, p. 81-107.
54 Baptisé improprement « Opéra de Pékin ».
55 Voir Bourdieu Pierre, La Distinction : Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de minuit, « Le sens commun », 1979.
56 Gasnault François, « Les enjeux de la danse dans les réseaux revivalistes français », Recherches en danse, N°4, 2015. En ligne, consulté le 2 septembre 2020.
57 Voir les journées d’étude « danse et artification », organisées en 2019 dans le cadre du programme de recherche « Dire le corps : pratiques de l’entretien en danse » porté par le Centre Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature et des arts vivants (CTEL, EA 6307) et par le Centre de Recherches en Histoire des Idées (CRHI, EA 4318), soutenu par l’Axe 5 « Histoire des idées, des sciences et des pratiques » de la MSHS Sud-Est.
58 Huxley Julian (dir.), Le comportement rituel chez l’homme et l’animal, Paulette Vielhomme(trad.), Paris, Gallimard, NRF, « Biblio. des Sciences Humaines », 1971.
59 Turner Victor, « Body, brain, and culture », Zygon, vol. 18, n°3, 1983, pp. 221-245
60 Huxley, Op. cit., p. 224.
61 Voir par exemple l’ouvrage collectif : Bardet Marie, Clavel Joanne, Ginot Isabelle (dir.), Écosomatiques : Penser l'écologie depuis le geste, Montpellier, Deuxième époque, 2019.
62 Voir Pradier Jean-Marie (coord.), La Croyance et le corps – esthétique, corporéité des croyances et identités », Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, « Corps de l’esprit », 2016.
63 Pradier Jean-Marie, La scène et la fabrique des corps. Ethnoscénologie du spectacle vivant en Occident, (Ve siècle av. J.-C- XVIIIe siècle), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, « Corps de l’Esprit », 1997.
64 Vésale André, La fabrique du corps humain, Arles, Actes Sud – INSERM, 1987, p.31.
65 Tian Min, “‘Alienation-Effect’ for Whom? Brecht's (Mis)interpretation of the Classical Chinese Theatre”, Asian Theatre Journal, Vol. 14, N° 2, 1997), p. 200-222.
66 Tian Min, Mei Lanfang and the Twentieth-Century International Stage. Chinese Theatre Placed and Displaced, London, Palgrave Studies in Theatre and Performance History, 2011.
67 Tian Min, The Use of Asian Theatre for Modern Western Theatre. The Displaced Mirror, London, Palgrave Studies in Theatre and Performance History, 2018.
68 Richard Jean-Pierre, Shakespeare pornographe. Un théâtre à double fond, Paris, Éditions rue d’Ulm, « Offshore », 2019.
69 Forestier Georges, Molière, Parisn Gallimard, 2018.
70 Voir Pouillon François, Exotisme et intelligibilité. Itinéraires d’Orient, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, « Études culturelles », 2017.
71 Op. cit., p. 880.
72 Pradier Jean-Marie, « De la Performance Theory aux Performance Studies », Journal des anthropologues, N°148-149, 2017, p. 287- 299.
73 Traces in the snow. A work demonstration by Roberta Carreri, Odin Teatret (1989-), 99 min., Odin Teatret Film – Odin Teatret Archives, Box 1283, DK-7500 Holstebro (Danemark).
74 Corbin Alain, La douceur de l’ombre. L’arbre, source d’émotions, de l’antiquité à nos jours, Paris, Fayard, 2013.
Pour citer cet article↑
Jean-Marie Pradier, Stéphane Boin, Philippe Guien, Jade Cervetti, Romain Bessonneau, Alessandro Campeggiani, Anaïs Haudoin, Margherita Marincola et Pierre Philippe-Meden, « Vous avez-dit ethnoscénologie ? », L'ethnographie, 3-4 | 2020, mis en ligne le 26 octobre 2020, consulté le 10 décembre 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=696Jean-Marie Pradier
Jean-Marie Pradier est Professeur émérite de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheur à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord.
Stéphane Boin
Stéphane Boin est étudiant en M1 de Lettres modernes à l’Université Côte d’Azur. Son mémoire sous la direction de Patrick Quillier est intitulé « Héliographie de midi : une herméneutique solaire chez Char, Camus et Elytis ».
Philippe Guien
Philippe Guien est étudiant en M1 de Lettres modernes à l’Université Côte d’Azur. Son mémoire sous la direction de Patrick Quillier s’intitule « Solipsismes et Infini : la Femme et l’alcool dans les œuvres de Fante, Bukowski et Calaferte ».
Jade Cervetti
Jade Cervetti est étudiante en M2 arts du parcours ethnologie des arts vivants à l’Université Côte d’Azur et en M2 d’Études sur le Genre parcours corps et biopolitique (Angers, Maine, UBO, Rennes 2, Brest). Sous la direction de Sarah Andrieu, ses recherches portent sur la performativité des corporéités transgressives, le travestissement performatif, les queer studies et l’ethnoscénologie. Photographe de terrain, elle a exposé à Nice, Los Angeles, New York. Elle est membre de la Société française d’ethnoscénologie.
Romain Bessonneau
Romain Bessonneau est étudiant en M1 en arts du spectacle, théâtre : recherche, sous la direction de Brigitte Joinnault. Son mémoire est intitulé « Théâtre et devoir de mémoire. Sur Glane de Christian Rullier ».
Alessandro Campeggiani
Alessandro Campeggiani est étudiant en M1 en arts du spectacle à l’Université Côte d’Azur. Sous la direction de Marina Nordera, ses recherches portent sur les savoirs du corps dansant, l’improvisation, la transmission et les archives, en particulier sur les représentations des danses dans le milieu des ordres mendiants au XIIIe siècle. Ancien élève de l’Accademia Nazionale di Danza, de l’École de danse de l’Académie du Théâtre La Scala de Milan puis de l’École Supérieure de Danse de Cannes – Rosella Hightower -, il a obtenu l’examen d’aptitutde technique en danse classique et contemporaine avec mention en 2017.
Anaïs Haudoin
Anaïs Haudoin est étudiante en M1 Interarts à l’Université Côte d’Azur. Sous la direction de Hanna Lassere, ses recherches portent sur Genre et sexualité dans le cabaret New Yorkais (1920-1940).
Margherita Marincola
Margherita Marincola est étudiante en M2 Théâtre à l’Université Côte d’Azur. Comédienne, metteuse en scène et musicienne franco-italienne elle a été formée au Conservatoire de Musique Arrigo Pedrollo à Vicenza (Italie), au Teatro Stabile de Gênes (Italie) et à l’Academy of Theatre Arts de Mumbai (Inde). Ses mises en scène ont été présentées à différents festivals en Inde et à l’Alliance Française de Mumbai. En 2019 elle dirige le laboratoire théâtral « Exploring Space » à la Biennale de Kochi-Muziris. Elle collabore actuellement avec la Compagnie Le Navire en France et avec le comédien et metteur en scène Mamadou Dioume en Italie. Ses recherches reposent sur le son au théâtre et sur le passage de la voix parlée à la voix chantée. Publications : Il teatro Kutiyattam e la posizione dell'artista donna nel suo contesto, Ilmiolibro self publishing, 2018, 56p. ; Gandhi e l’Arte del Comunicare, Ilmiolibro self publishing, 2018, 96p. ; En tant que co-autrice : « TRAIN: Training through Research Application Italian Initiative », The International Journal of Biological Markers, vol. 26, issue 2, 2011, p. 136-138 : https://doi.org/10.5301/JBM.2011.8377 ; « Interactive nutritional recommendations for cancer patient, An OECI – Eurocancercoms study », OECI-EEIG Reg., Brussels, n°277, D/2011/12.243/3, 2011, p.100.
Pierre Philippe-Meden
Pierre Philippe-Meden est maître de conférences en études théâtrales : cirque (histoire & esthétique) au département cinéma et théâtre de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, membre de l’unité de recherche « Représenter Inventer la Réalité, du Romantisme au XXIe siècle » (RIRRA 21, EA 4209) et responsable de projets scientifiques au thème : « Création, Pratique, Publics » de l’axe « Industries de la culture et arts » à la Maison des Sciences de l’Homme-Paris Nord (USR 3258 CNRS / Paris 8 / Paris 13). Ses recherches actuelles portent sur l’esthétique de la « culture du corps » circassienne et articulent dans le champ des arts du spectacle vivant l’épistémologie du corps, l’histoire du sport et l’ethnoscénologie.