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La musique électroacoustique d’Horacio Vaggione

Curtis Roads
août 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/rfim.723

Index   

Index de mots-clés : composition, Musique électroacoustique, microson, micromontage, synthèse granulaire.
Index by keyword : composition, Electroacoustic music, microsound, micromontage, granular synthesis.

Texte intégral   

Introduction

Figure 1. Vaggione et Roads, Porto, 2001.

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1Je n’ai connu Horacio Vaggione qu’en 1994, mais mes liens avec l’Université Paris 8 remontent aux années 1970. En tant que rédacteur en chef du Computer Music Journal, je connaissais le Groupe d’Art et Informatique de Vincennes à l’Université Paris 8 (GAIV 1969). J’étais en contact avec plusieurs membres de ce groupe, dont le prédécesseur de Vaggione, le professeur Giuseppe Englert. Quand je déménageais à Paris en 1991, celui qui était devenu mon ami me fit visiter leur campus1.

2Je savais que Schall de Vaggione marquait un tournant après l’avoir entendu pour la première fois lors d’un concert de l’Académie Internationale de Musique Électroacoustique de Bourges en 1994. C’est lors d’un trajet en train entre Bourges et Paris que je fis personnellement la connaissance du maestro. Nous discutâmes de mon départ de l’Ircam, et il m’invita à venir enseigner à Paris 8.

3Plus tard, il me fit remarquer que la synthèse granulaire, sur laquelle j’avais fait des recherches au cours des années 1970, était un sujet important. Il me suggéra d’écrire une thèse de doctorat sur ce thème. Voilà un exemple classique du pouvoir du mentorat, car cette conversation changea ma vie. Elle conduisit à une recherche documentée dans le cadre de ma thèse qui fut finalement publiée dans mon livre Microsound (Roads 1999, 2001). Thèse et livre n’auraient jamais été écrits sans le conseil du professeur Vaggione.

4Avant cela, j’avais toujours pensé à la synthèse granulaire comme à une technique ayant beaucoup de potentiel, mais la façon de composer avec des matériaux granulaires n’était pas claire.

5Cependant, après avoir entendu Schall, il devint évident que je pouvais combiner les techniques de construction de phrases développées dans Clang-tint (1994) (qui utilisait déjà la synthèse pulsar), la granulation et le micromontage. Vingt-quatre ans après mes premières expérimentations de synthèse granulaire, j’avais enfin une idée précise de la marche à suivre. Cette révélation conduisit à la composition de Half-life (1998-1999) et des autres pièces de mon album POINT LINE CLOUD (2004).

Figure 2. Couverture de POINT LINE CLOUD (2004). (haut) version Asphodel (San Francisco 2004). (bas) version Presto!? (Milan 2019).

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Algorithmes et interventions : premières rencontres avec la technologie

6À une époque pionnière, Vaggione reconnut la pertinence de la technologie informatique émergente. Dans les années 1960, les installations d’informatique musicale étaient rares et il fallait une détermination inhabituelle pour y accéder. À l’âge de 23 ans, Vaggione eut l’occasion de visiter l’Université de l’Illinois. Celle-ci possédait à l’époque un centre très actif d’informatique musicale, avec de nombreux professeurs et chercheurs qui travaillaient au développement de matériel et de logiciels. Lejaren Hiller et Herbert Brün lui montrèrent comment les ordinateurs pouvaient être utilisés pour la composition musicale (Vaggione 1967). Hiller donna à Vaggione le code source de ces programmes, et lui présenta la série de programmes de synthèse sonore Music N écrits par Max Mathews et ses collègues. Il se trouve que je fus également initié à l’informatique musicale dans l’Illinois en 1971.

7Vaggione commença ses expériences avec la synthèse numérique à l’Université de Madrid (Budon 2000). Dès le départ, il explora une esthétique musicale basée sur un tissu d’événements de courte durée éparpillés dans le temps. Dans les compositions Modelos de Universo (1971) et Movimiento continuo (1972), le compositeur utilisa un programme de synthèse sonore fonctionnant sur un imposant ordinateur IBM afin de produire jusqu’à 20 sons par seconde pour chacune des quatre voix (Briones 1970 ; Vaggione 1971). La partition de ces œuvres fournit un exemple précoce du principe de micromontage, c’est-à-dire l’assemblage de nombreux sons courts avec une densité élevée.

8La musique de Vaggione dans les années 1980 poursuivit un développement cohérent de ces explorations initiales. Parmi les œuvres utilisant des techniques microsonores, nous pouvons citer plusieurs pièces réalisées à l’Ircam : Octuor (1982), Fractal A (1983), Fractal C (1984), Thema (1985) ; à la Technische Universität Berlin (TUB) : Tar (1987) et Scir (1988) ; et enfin Ash (1989), réalisé au GRM avec le processeur de son SYTER.

Formel informel

9La médiation de l’interaction entre contrôle algorithmique formel et intervention directe est l’une des caractéristiques de la stratégie compositionnelle de Vaggione. Concrètement, il combine procédures algorithmiques et opérations purement manuelles et interactives.

10En décrivant ces interventions, le compositeur parle non pas d’« intuition », mais de « fabrication artisanale non formalisable » (Vaggione 1996).

Micromontage et granulation

11Dans la musique traditionnelle, la note est l’élément de base. Une note possédant une hauteur, un timbre et une amplitude donnés est fonctionnellement équivalente à une note ayant les mêmes propriétés. Le monde des notes est un système fermé, dans lequel l’homogénéité de surface de la note masque l’hétérogénéité interne à l’échelle microtemporelle. En revanche, des techniques telles que le micromontage et la granulation mettent en lumière cette hétérogénéité interne. Dans le micromontage, le compositeur extrait de courts segments de fichiers sonores et les organise dans le temps et l’espace.

12Vaggione est un pionnier du micromontage et son plus fidèle praticien (Solomos 2007). Comme je l’expliquais dans mon livre Microsound (Roads 2001), Gabor et Xenakis furent les pionniers de la méthode très proche de synthèse granulaire dans les années 1940 et 1950. Il nous faut également mentionner la composition Capture éphémère (1967) de Bernard Parmegiani, un exemple remarquable de micromontage pionnier et virtuose.

13Dans la musique de Vaggione, nous entendons souvent un contraste entre une couche d’arrière-plan constituée d’un lit de microsons en évolution constante et d’éléments de premier plan beaucoup plus forts.

14Il est important de comprendre que la couche d’arrière-plan n’est pas aléatoire dans son organisation. Elle est plutôt composée de ce que Vaggione appelle des microfigures, c’est-à-dire des motifs séquentiels de sons sur une échelle de temps granulaire, qui se répètent, alternent, sont joués à l’envers, sont pris de bégaiements, partent vers le haut, partent vers le bas, etc.

15L’une des principales contributions de la musique de Vaggione est qu’elle organise et articule une nouvelle syntaxe de l’échelle du microtemps (Vaggione 2003). L’une des caractéristiques de cette technique est la répétition obsessive à l’échelle du microtemps, créant une sorte de boucle synchrone. Dans un éditeur de sons, cela est obtenu en collant un son à plusieurs reprises. Cette texture répétitive est inévitablement ponctuée de microévénements asynchrones qui confèrent à la texture une qualité quasi stochastique. Écoutez les particules qui se répètent dans cet extrait d’Agon (1998).

Audio 1. Extrait de la pièce Agon (1998) entre 2 et 3 minutes. https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#e304627de751b86cd82309c5a464f437aee9001f

16Nous avons dans cette manière de travailler l’équivalent musical du peintre pointilliste. Il est à noter qu’en musique, le terme « pointillisme » a longtemps été associé au style sériel clairsemé de Webern et de ses disciples. Ironie du sort, la technique du maître pointilliste Georges Seurat était tout sauf dépouillée. Ses toiles sont constituées d’une texture dense de milliers de coups de pinceau méticuleusement organisés (Homer 1964).

17Les techniques de granulation possèdent de nombreuses similitudes avec le micromontage (Roads 2001). La meilleure façon d’établir la distinction entre granulation et micromontage est peut-être d’observer que la granulation est inévitablement un processus automatique : le pinceau du compositeur devient un jet raffiné de couleur sonore. Un artiste sonore peut en revanche réaliser des micromontages en travaillant directement à la manière d’un peintre pointilliste : particule par particule. Cela demande donc une patience peu commune. Bien sûr, les techniques de micromontage et de granulation peuvent être mélangées sans aucun problème, comme cela est le cas dans ma musique par exemple.

Thema et Tar

18Thema (1985) et Tar (1987) sont des exemples de micromontage. Thema présente des flux de microsons, comme des souffles résonnants de saxophone basse, dispersés dans des schémas synchrones et asynchrones le long de la ligne temporelle. Le compositeur a pour les deux pièces utilisé le logiciel CARL, écrivant les instruments et les partitions sous la forme de textes alphanumériques. La construction par script permettait que le matériau soit organisé à un niveau de microdétail sans précédent (Vaggione 1991).

L’émergence d’une nouvelle direction

19Une transition importante a vu le jour avec le déploiement des ordinateurs personnels dans les années 1980. En 1988, ceux-ci étaient devenus si puissants qu’ils permettaient de prendre en charge l’enregistrement et la synthèse audio de haute qualité. Les expériences de synthèse à l’échelle microtemporelle — de la synthèse granulaire — devinrent plus faciles à réaliser (Roads 1978, 1985a, 1985b ; Truax 1990a, 1990b). Mon livre Microsound (Roads 2001) retrace l’histoire de la synthèse des particules, en commençant par les théories de Gabor (1946) et de Xenakis (1960), jusqu’aux premières implémentations sur des ordinateurs.

Figure 3. Couverture de Microsound (2001).

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20De plus, deux logiciels essentiels sont apparus à cette époque : l’éditeur de son et le programme de mixage audio avec axe temporel visuel du son, tel que Pro Tools. Il est difficile de surestimer l’importance de ces avancées, devenues si banales aujourd’hui. La simple capacité d’aligner plusieurs sons le long d’un axe temporel, de zoomer et dézoomer, et de sauter à travers les échelles de temps de manière interactive avec le clic d’un bouton, a changé la nature de la composition électroacoustique.

21Comme l’a observé Vaggione, la composition sur plusieurs échelles de temps n’implique aucune distinction entre la structure musicale et les matériaux sonores :

Je suppose qu’il n’y a pas de différence de nature entre la structure et les matériaux sonores ; nous sommes juste confrontés à différents niveaux de fonctionnement, correspondant à différentes échelles de temps pour composer (Vaggione, dans Budon 2000).

22Avec l’apparition de ces nouveaux outils sonores interactifs, il était désormais possible d’appliquer de manière directe n’importe quel type de transformation sonore, à n’importe quelle échelle de temps. La matière sonore elle-même devenait une structure composée.

23Dans Till (1991) pour piano et bande, Vaggione commença à utiliser des éditeurs de son graphiques, renforçant la dialectique entre opérations algorithmiques et directes, ce qui influença à son tour sa façon de traiter le domaine du microtemps. Dans Till, ce qui commence comme une étude anguleuse au piano, en 8 minutes, se fond dans un nuage dense d’énergie sonore, entraîné par le flux torrentiel de milliers de minuscules particules sonores.

Audio 2. Extrait de la pièce Till (1991). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#ae97ac63900f2288e1211518c449fb325d806f1e

24Cette nouvelle approche se cristallisa dans sa composition électroacoustique Schall datant de 1994. Cette période importante vit apparaître ses compositions Nodal (1997), Agon (1998), Préludes suspendus (2000) et 24 variations (2001).

Schall et l’organisation du microson

Figure 4. Couverture du CD d’Horacio Vaggione incluant Schall.

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25La matière de Schall (1994) se compose de milliers de particules sonores dérivées d’un piano échantillonné, granulées et transformées grâce à des opérations comme la convolution et le vocodeur de phase.

26Un aspect fascinant du style de Schall, Nodal, Agon, Préludes suspendus, et 24 variations est l’utilisation de textures d’« arrière-plan » scintillantes. Celles-ci sont composées de séquences plus ou moins denses et d’agglomérations de grains de courte durée. Ces textures évoquant parfois des crépitements, des fritures ou des grincements fonctionnent comme un élément de fond stationnaire dans la mésostructure des pièces, retenant l’attention de l’auditeur. Ces textures demeurent à une amplitude faible (jusqu’à 23 dB en dessous des pics de premier plan) et leur rôle d’arrière-plan est alors évident. Le compositeur maintient ces textures de faible niveau pendant au moins 20 secondes à chaque fois, ce qui maintient l’attention de l’auditeur tandis qu’il prépare le prochain événement explosif.

27Encore une fois, cette texture de fond n’est pas aléatoire dans son organisation. Elle est plutôt composée de microfigures, c’est-à-dire de motifs séquentiels de grains assemblés manuellement. Comme nous le verrons plus loin, ce schéma de microorganisation a ensuite été intégré au logiciel IRIN de Carlos Caires, un puissant outil de micromontage.

Figure 5. En zoomant sur un extrait de Schall de 1,2 seconde, nous pouvons voir l’articulation de différentes couches et amplitudes. Cet exemple montre quatre pistes stéréo étiquetées de 1 à 4. Nous voyons environ 20 articulations dans ce bref laps de temps. (Image fournie par le compositeur.)

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28Schall est un exemple remarquable de l’utilisation créative du micromontage. La matière sonore est constituée de milliers de particules sonores réparties sur de multiples couches de temps (Figure 5). Selon le compositeur :

La musique est centrée sur une collection limitée d’objets de différentes tailles, qui apparaissent sous diverses perspectives. L’œuvre joue essentiellement sur les contrastes entre des textures composées de multiples strates, comme l’expression d’un souci d’articulation fine d’objets sonores à différentes échelles de temps (Vaggione 1999)

29Ce qui rend Schall unique est son utilisation brillante de la notion de commutation entre différentes échelles de temps : du microtemps (< 100 ms de durée) jusqu’au niveau de l’objet sonore (> 100 ms). Les lois de la physique dictent que plus les particules sont courtes, plus leur spectre est large. Ainsi, l’interaction n’existe pas seulement entre les durées, mais aussi entre hauteur et bruit.

30Dans Schall, le micromontage fut réalisé grâce à un logiciel interactif de montage et de mixage sonore. Chaque microson est ici une sorte de coup de pinceau sonore. Comme dans une peinture, il peut être nécessaire de placer des milliers de traits pour achever la pièce.

31Les programmes graphiques de montage et de mixage sonore offrent une perspective multiéchelle. Il est possible de voir les détails intimes du matériau sonore, ce qui permet d’effectuer de la microchirurgie sur des points d’échantillonnage individuels. En zoomant en arrière, on peut façonner de grands blocs sonores et réorganiser la macrostructure.

32En 1997, Maestro Vaggione me fit la démonstration dans son atelier de l’Île-Saint-Louis à Paris de certaines des techniques de micromontage utilisées dans la composition de Schall. Elles consistaient en l’arrangement de microsons à l’aide d’un programme de mixage sonore dotée d’une interface graphique affichant l’axe temporel. Il chargea un catalogue de microsons précédemment édités dans la bibliothèque du programme, puis sélectionna des éléments dans la bibliothèque et les colla sur une piste à des points spécifiques de la ligne temporelle allant de gauche à droite sur l’écran. Lorsqu’il collait une même particule plusieurs fois de suite, les différentes particules fusionnaient en un objet sonore sur un ordre temporel supérieur. Chaque opération de collage était comme un coup de pinceau sur une peinture, ajoutant une touche de couleur supplémentaire. La collection de microsons de la bibliothèque était l’équivalent de la palette de couleurs. Comme le programme permettait de zoomer dans le temps, le compositeur pouvait coller et éditer sur différentes échelles de temps. Le nombre de pistes simultanées était quasiment illimité, ce qui permettait une interaction d’événements riche.

Nodal

33Avec Nodal (1997), le compositeur approfondit les matériaux utilisés dans Schall, tout en ouvrant la palette sonore à une gamme d’instruments de percussion échantillonnés. L’identité des instruments n’est pas toujours claire, car ils s’articulent en particules minuscules. La composition dure 13 minutes. Je la divise en trois parties : partie I [0 min à 5 min 46 s], partie II [5 min 49 s à 9 min 20 s], partie III [9 min 21 s à 13 min 6 s]. Ces trois sections sont séparées par des silences bien visibles dans un éditeur de son.

34La forte attaque d’ouverture établit immédiatement la force potentielle de l’énergie sonore et installe une tension dramatique. Bien que la texture de granulation continue qui s’ensuit ait souvent une amplitude calme, on se rend compte que les vannes peuvent éclater à tout moment.

35La partie II commence par une texture flottante chaude qui se transforme en un bruit chaotique. Cette partie cadence sur un accord majeur de ce qui ressemble à un piano-jouet. Selon le compositeur, ce son était le produit d’une fonction d’étirement temporel variable appliquée à un son percussif court, manipulé en temps et en fréquence avec un algorithme de vocodeur de phase (Vaggione 2004).

36La partie III introduit un son de « tambour-gong » déformé au moyen d’une technique de distorsion non linéaire (Roads 2023). Voir Vaggione (1998) pour une explication de l’application par le compositeur de cette technique aux sons échantillonnés.

Audio 3. Extrait de la pièce Nodal (1997). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#8797e09dcb30c0cf4702d2e9d4bdae4729422428

Agon

37Agon (1998) affine les procédés et matériaux entendus dans Nodal. Cette composition virtuose s’ouvre sur une bande de sons haute fréquence flottante. La continuité de la bande haute fréquence est interrompue par des explosions variées à certains moments clés. L’impression est celle de différents sons percussifs lâchés dans un gigantesque granulateur pour être broyés en morceaux de microsons.

38Lors de la première audition, Agon semble présenter un flux continu de nouveau matériau. Une écoute répétée révèle que l’œuvre recycle efficacement la matière sonore. Par exemple, l’avant-dernier geste de l’œuvre — une bande de fréquences moyennes — basses tourbillonnantes — est déjà entendu durant les 35 premières secondes. Le geste final de l’œuvre, un triple coup « tom-click-hiss », apparaît deux fois auparavant (à 2 min 59 s et 3 min 8 s) (Figure 6).

Figure 6. Une vue temporelle du geste final dans Agon : un triple coup « tom-click-hiss » de 256 ms décorrélé de 33 ms entre les canaux de manière à créer un mouvement de gauche à droite. Le canal gauche est en haut et le canal droit en bas. Voir Vaggione (2001) pour en savoir plus sur son utilisation de la microdécorrélation pour articuler les déplacements spatiaux.

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39Certains des sons recyclés d’Agon sont d’étranges mutations d’autres sons, tandis que certains autres sont dessinés à la main dans un éditeur de son graphique et ne proviennent pas d’une source originale. Examinez le son entendu pour la première fois 40 secondes après le début de la pièce, qui ressemble à une petite cloche en métal. Selon le compositeur, l’origine de ce son n’était pas une cloche, mais le résultat d’une procédure de synthèse croisée par convolution.

Audio 4. Extrait de la pièce Agon (1991). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#e8dc2667ff0fb3415eb48295fc8179456eb64f3a

40Un autre son fréquemment recyclé ressemble à un coup de tambour tom. Selon le compositeur, il s’agissait en fait d’une forme d’onde dessinée à la main. Ce son semblable à un tambour tom est d’abord entendu à 34 secondes. La « cloche » et le « tambour tom » apparaissent à de nombreux endroits d’Agon. Un son scintillant semblable à une cymbale s’entremêle tout au long de l’œuvre — un composant de la bande haute fréquence qui traverse la majeure partie de la pièce. Un « groupe de tonalités de piano » (né — selon le compositeur — comme une mutation d’un son de percussion) apparaît pour la première fois à 2 min 1 s Il signale ensuite la fin d’une zone calme (à 5 min 54 s), et marque un tournant de la finale (à 8 min 10 s).

Préludes suspendus

41Préludes suspendus (2000), dédié à Jean-Claude Risset, est également digne d’une analyse. En concert, cette œuvre donne l’impression d’une puissance et d’une énergie dynamique presque écrasantes. Dans l’environnement contrôlé du studio, nous pouvons en revanche étudier son motif brodé avec complexité. Sous les gestes spectaculaires se trouvent des éléments délicatement agencés.

42Tandis que Schall était limité à des sons de piano échantillonnés traités en profondeur, Préludes suspendus incorpore des ressources des palettes de Nodal et Agon (comme des échantillons de percussion), ainsi que l’ajout de nouveaux échantillons provenant d’un ensemble de cuivres. À d’autres moments, ces échantillons subissent une mutation radicale par l’utilisation de techniques d’analyse-resynthèse. Il n’est pas surprenant que certains sons des Préludes soient détachés de toute source connue.

43L’œuvre s’ouvre sur une série de 21 attaques violentes — dont certaines se mélangent — pendant les 22 premières secondes. La syntaxe mésostructurale caractéristique des Préludes est basée sur de longues sections de scintillation en arrière-plan, entrecoupées de houles d’énergie basse fréquence qui émergent de celui-ci. Un exemple caractéristique est la houle qui commence à 46 secondes et dure jusqu’au point culminant situé à 59 secondes. Un autre exemple est la série implacable de huit houles successives qui portent l’énergie à travers le point d’orgue de la pièce (dans la section située entre 6 min et 7 min 35 s).

Audio 5. Extrait de la pièce Préludes suspendus (2000). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#d70d947519f8a69a19460b1584a789c58fa3a63d

44L’articulation de deux objets sonores spécifiques ressort des Préludes, et mérite d’être commentée davantage pour leurs rôles symboliques et structuraux. L’un est un son résonnant profond, comme un croisement entre une grosse caisse et un gong. C’est l’un des sons emblématiques de Vaggione, apparaissant par exemple dans l’ouverture de la partie III de Nodal. Lorsque ce son de tambour-gong apparaît pour la première fois (à 6 min 34 s), il survient comme une surprise inquiétante, comme le son d’une cloche funéraire. Il apparaît quatre fois de plus lors de la minute suivante, puis comme son final de la pièce.

45L’autre objet spécifique des Préludes est un geste de cuivres comportant une montée mélodique qui atteint un sommet, suivie d’un son soutenu, d’un trille ou d’un arpège. Il apparaît pour la première fois 11 secondes après le début de la pièce et revient plusieurs fois, mais jamais de façon exactement similaire.

24 variations

4624 variations a été composé en 2001. Si Préludes suspendus est dionysiaque dans son énergie rauque, 24 variations est l’apollinien froid et retenu. C’est pour moi la plus gracieusement poétique des compositions électroacoustiques de Vaggione. On est attiré non par l’attente d’apogées spectaculaires, mais par l’originalité et la virtuosité des articulations qui passent. Le compositeur a utilisé IRIN, un programme de micromontage et de manipulation de fichiers sonores développé par Carlos Caires à l’Université de Paris 8 (Caires 2003, 2004).

47La figure 7 montre un fragment de 40 secondes de la partition de 24 variations.

Figure 7. Extrait de la partition de 24 variations (version 2), montrant l’axe temporel conçu avec le programme IRIN. Chaque rectangle représente un extrait audio ou un échantillon. La position verticale d’un échantillon dans une piste n’est pas significative (c’est-à-dire qu’elle ne correspond pas à la hauteur). IRIN permet d’encapsuler des microfigures dans des pistes et de les représenter sous forme d’un fragment unique, ce qui permet une construction hiérarchique de la mésostructure.

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48Le récit de 24 variations se déroule résolument, tandis que le compositeur disperse avec parcimonie des touches d’énergie sur un fond omniprésent. Une grande partie de la matière sonore a été distillée jusqu’aux résidus de piano, de cymbale, de tambour tom, de maracas, etc. Les cors rauques des Préludes sont absents. D’autres objets se distinguent comme des artefacts électroniques : des clics et des résidus sinusoïdaux de mutations spectrales radicales. L’étrange résonance percussive à 1 min 52 s en est un exemple, peut-être le reste d’une convolution.

49La rhétorique des 24 variations est dominée par l’interjection. Au lieu de grandes vagues et d’accumulations, le premier plan et l’arrière-plan dansent ensemble. Chaque geste de premier plan finit par se dissoudre dans l’arrière-plan, tandis que l’arrière-plan masqué émerge au premier plan. C’est dans l’agencement des éléments soigneusement choisis, se répétant au bon moment, que cette œuvre se démarque. Un excellent exemple est la triple dose d’intervalles silencieux (insérés entre 6 min 30 s et 6 min 55 s).

Audio 6. Extrait de la pièce 24 variations (2001). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#969b3a4f8f1db0ee076423001fa84343930f921c

50Comme dans toutes les compositions électroacoustiques de Vaggione examinées ici, l’œuvre se conclut par une étiquette finale caractéristique, comme si le compositeur fermait la porte d’un monde virtuel.

Musique depuis 2002

51Maestro Vaggione a été assez productif depuis 2002, dernière fois où je passais son travail en revue. Dans cette dernière partie, je voudrais me concentrer brièvement sur deux œuvres : Préludes suspendus III (2009), et Mécanique des fluides (2014).

52Préludes suspendus III (2009) est un exemple de l’aspect acousmatique de l’approche de Vaggione. L’école acousmatique est née de la pratique de la musique concrète. Les œuvres acousmatiques jouent avec la reconnaissabilité des sons — quelle est leur source ? Cette question vient immédiatement à l’esprit tant la palette sonore de cette pièce est colorée par les timbres des cuivres d’orchestre. Mais s’agit-il d’échantillons de cuivres ou de dérivés de ceux-ci ? Les timbres à mi-chemin entre flûte, clarinette et basson sont également importants. Écoutez les arpèges de similiflûte répétés dans l’exemple sonore suivant. Cet exemple est riche en ce qu’il montre de nombreux aspects de sa technique ultérieure : la palette sonore, l’utilisation de la répétition, les contrastes de timbre, l’emploi d’éléments tonals et mélodiques, etc.

Audio 7. Extrait de la pièce Préludes suspendus III (2009). Répétition d'arpèges de similiflûte. https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#5d738fcdc091b0e2dbbdeecf27754f78f8424ac9

53D’une durée de 20 minutes, Mécanique des fluides (2014) est l’une des œuvres les plus longues du compositeur. C’est aussi l’une des plus variées sur le plan sonore. Voici un exemple sonore qui s’ouvre sur des attaques de cordes. Les timbres sonores changent rapidement, mais le geste est celui d’un écho et d’une répétition obsessionnelle.

Audio 8. Extrait de la pièce Mécanique des fluides (2014). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#33f98d34608c62b48aced8a7c74863d83bc49a60

Vaggione et forme

54La musique de Vaggione se déploie simultanément sur plusieurs échelles de temps, de l’échelle macro de la forme à l’échelle méso des sections et des phrases, jusqu’à l’échelle des objets sonores ou des notes, et à l’échelle micro des grains. L’approche conceptuelle de Vaggione à l’égard de la macroforme de la composition est la même que son approche à l’égard des autres échelles de temps. Selon le compositeur :

Pour moi, la macroforme est une « échelle de temps », on peut dire la plus grande. Elle doit être traitée (articulée) comme toutes les autres échelles, toutes les myriades de méso et micro. Pour moi, toutes sortes d’opérations et d’idées, dans la composition d’une pièce, peuvent être appliquées à n’importe quelle (à toutes les) échelle(s) de temps. Non seulement pour augmenter ou diminuer leur taille, mais aussi pour faire des choses différentes, créer des figures différentes, des contextes différents, dans la zone temporelle relative définie pour une échelle particulière. C’est ainsi que je procède. La macro-organisation est un cas d’organisation à plusieurs échelles. Définir des chiffres micro et macro, de toutes tailles, c’est une question d’échelle. Cela signifie, je le répète, que j’essaie de composer au « niveau macro » avec la même approche musicale et le même sentiment, en tant que figures et détails, que pour les autres niveaux. Ces figures et détails sont propres à une échelle donnée, ou à un groupe d’échelles, et ils interagissent fortement (Vaggione 2023).

55Il est évident, après examen, que cela ne signifie pas qu’il applique les mêmes procédures à chaque échelle temporelle. Le compositeur se concentre principalement sur quatre échelles de temps : les microfigures (séquences de grains), les objets sonores (à l’échelle temporelle des notes), les figures (courtes phrases ou mésostructures de quelques secondes), et les sections (mésostructures pouvant durer jusqu’à trois minutes).

56Les microfigures sont souvent répétées ou jouées à l’envers. Les objets sonores piqués, comme les sons staccato de flûte et de piano, se répètent toujours et servent donc de thèmes dans une mésostructure.

57Cependant, il ne s’agit pas de Mozart. Les sections ne se répètent pas. Vaggione a déclaré que, dans sa jeunesse, il avait été fortement influencé par la musique de Debussy, dont l’une des caractéristiques est l’écoulement continu du temps.

Forme des Préludes suspendus III

58À titre d’exemple, examinons la macroforme de la composition Préludes suspendus III (2009) version originale, pas la version sur CD2. Le tableau 1 présente mon analyse de l’architecture de la pièce en neuf sections.

Tableau 1. Les sections des Préludes suspendus III.

Section

Durée

Durée

Commentaires

1

0 min —

0 min 46 s

46 s

Se termine par un geste de balayage (un dispositif de fin commun à Vaggione). Une seconde de silence à la fin.

2

0 min 47 s -

1 min 37 s

50 s

Introduit un nouveau timbre/genre : les cors.

Une seconde de silence à la fin.

3

1 min 38 s -

2 min 56 s

78 s

Pas de cors.

Deux secondes de silence à la fin.

4

2 min 58 s -

3 min 32 s

34 s

Présente des timbres de piano et de flûte.

Une seconde de silence à la fin

5

3 min 34 s -

4 min 27 s

53 s

Geste vers le bas à 4 min 13 s répété.

Une seconde de silence à la fin.

6

4 min 28 s -

6 min 15 s

107 s

Longue section continue ; introduit des sons de cordes pizzicati ; section calme entre 6 min 6 s et 6 min 15 s, — 30 dB en moins

7

6 min 16 s -

9 min 5 s

169 s

Pas de silence entre les sections 6 et 7, mais la section calme mentionnée ci-dessus sépare les deux ; réaffirme les trilles du cor au début ; il s’agit d’une longue section continue qui reprend toutes les figures (thèmes) des sections précédentes, tout en développant continuellement l’énergie et la tension ; le pic d’énergie se situe entre 8 min 39 s et 9 min 1 s

8

9 min 5 s -

10 min 2 s

57 s

Encore une fois, pas de silence entre les sections 7 et 8 ; dominée par un tramage continu de faible niveau ; principalement des hautes fréquences supérieures à 5 kHz ; comprend deux secondes de silence à la fin ; la section fonctionne comme une dissipation de l’énergie.

9

10 min 4 s -

10 min 11 s

7 s

Geste final — un coup de théâtre tonitruant

59Certaines sections sont faciles à délimiter, car elles se terminent par une cadence de silence ou, dans le cas de la première section, par un geste de coup de théâtre (la pièce se termine également par un coup de théâtre dans la section 9). D’autres sections (5, 6, 7, 8) se déroulent de manière continue, sans pause silencieuse, mais des indices suggèront que le contexte a changé, sous la forme de nouveaux instruments, de nouvelles hauteurs et de nouvelles figures, ce qui implique des limites entre les sections.

60La durée des sections varie de 7 secondes (section 9, le geste final) à 169 secondes dans la section 7, qui commence à 6 min 16 s.

Le style de Vaggione dans Préludes suspendus III

61Préludes suspendus III démontre clairement plusieurs aspects du style de Vaggione, qui est constant tout au long de son œuvre. Je veux parler en particulier de son approche acousmatique du matériau sonore, du rôle central du micromontage, du rôle de la hauteur et de la répétition incessante du matériau.

62Comme mentionné précédemment, Vaggione déploie une approche acousmatique du matériau sonore. Comme dans toutes ses œuvres électroacoustiques, la palette sonore est dérivée des instruments acoustiques classiques de l’orchestre. Le compositeur joue astucieusement avec les contrastes de timbre dans son orchestre acousmatique.

63Très souvent, les sons sont traités par des techniques telles que la convolution, de sorte qu’ils sonnent comme des hybrides, par exemple des sons de vent et d’anche qui se situent quelque part entre la flûte basse, la clarinette et la clarinette basse. Il introduit des sons de percussions et de cordes pincées d’origine indistincte entre 5 min 8 s et 5 min 12 s. La source de nombreux autres sons est obscure.

64En revanche, un instrument est privilégié dans toute l’œuvre de Vaggione : le piano. Il apparaît pur et sans artifice dans toutes ses compositions à partir de Schall. Bien sûr, Vaggione était pianiste de formation. Quoi qu’il en soit, les sonorités du piano sont omniprésentes et fondamentales dans sa musique. Par exemple, les basses profondes du piano sur Ré1 à 8 min 24 s et 8 min 36 s fonctionnent comme des événements de « début de phrase ».

65Un autre aspect de son style est le déploiement intensif de microfigures séquentielles dans le cadre de la technique du micromontage (voir la discussion précédente sur Schall).

66Comme cela est typiquement le cas chez Vaggione, Préludes suspendus III joue sur les oppositions entre matériaux avec hauteur et sans hauteur, avec la moitié de la pièce ne comportant aucun élément avec hauteur. Il joue également des oppositions entre hauteurs clairement articulées et tempérées (comme les sons du piano) et sons à morphologie variable, comme dans les méandres métalliques à 3 min 49 s suivis par des « cors » qui sonnent comme une mélodie jouée faux dont la hauteur est instable.

67Le tableau 2 dresse la liste des hauteurs tempérées du début du morceau jusqu’à 5 min 5 s. Remarquez comme il y a très peu de notes. De nombreuses hauteurs sont des notes staccato isolées, bien qu’elles se répètent inévitablement au bout de plusieurs secondes. Il y a également des hauteurs soutenues, comme dans le passage entre 0 min 50 s et 1 min 34 s.

68Les classes de hauteur sont chromatiques. Je ne vois pas de modèle tonal dans le choix des hauteurs, celles-ci semblant avoir été choisies pour articuler les registres extrêmes graves et extrêmes aigus plus qu’en raison de leur appartenance à telle ou telle classe de hauteur. En effet, les octaves médianes (Do3 à Do5) sont rarement entendues.

Tableau 2. Éléments de hauteur jusqu’à 5 min 5 s dans les Préludes suspendus III.

Temps

Classe

de

hauteur + octave

Commentaires

0 min 3 s

Mi2

Deux pitch bends se terminant par trois notes rapides de basse pincée.

0 min 27 s

Sol2

Similibasse à l’archet

0 min 50 s -

0 min 59 s

Sol4

Groupe de cors soutenus. Se répète comme un gagaku.

1 min 28 s -

1 min 34 s

Ré#7

Similiflûte soutenue ou séquence de grains de piano.

1 min 44 s -

1 min 55 s

Ré7

Arpège descendant répété par le piano à partir du Ré7.

2 min 7 s

La#6

Similiflûte note unique

2 min 17 s -

2 min 18 s

Do6

Arpège du piano vers le haut sur une gamme anhémitonique (Do Mi Fa# Sol # La#)

2 min 22 s

Do6

Arpège du piano vers le bas, sur une gamme anhémitonique

2 min 28 s

La#6

Nouvelle note unique similiflûte

2 min 47 s -

2 min 57 s

Fa#6

Piano soutenu à faible niveau

2 min 52 s

La#6

Similiflûte note unique à nouveau

2 min 59 s

Fa7

Note unique au piano

3 min 2 s

Fa#/Sol6

Cluster de piano

3 min 3 s

Fa#6

Note unique au piano

3 min 5 s

Fa#6, Fa#7

Piano deux notes en séquence rapide

3 min 7 s

Fa#6, Fa#7

Piano deux notes en séquence rapide

3 min 9 s

Fa#6

Piano note unique

3 min 10 s

La#6

Note unique de flûte

3 min 11 s

La#6

Note unique de flûte

3 min 11 s

Fa#7

Piano note unique

3 min 12 s

Fa#7

Piano note unique

3 min 15 s

Si2, Ré#2, Fa#2

Mélodie de basse à l’archet

3 min 17 s

Fa#6

Piano note unique

3 min 20 s

Fa#6

Une seule note de piano, mais sonneries à 3:22

3 min 29 s -

3 min 31 s

Fa#/Sol6

Cluster de piano

4 min

Fa/Fa#6

Cluster de piano

4 min 3 s

Fa/Fa#6

Cluster de piano

4 min 18 s

Fa6

Piano note unique

4 min 32 s

Fa6

Piano note unique

4 min 35 s -

4 min 43 s

La4

Piano quatre notes répétées

4 min 36 s

Fa6

Piano note unique

4 min 39 s

Fa6

Piano note unique

4 min 44 s

Fa6

Piano note unique

4 min 47 s

Fa6

Piano note unique

4 min 57 s

Mi4

Événement de source inconnue avec réverbération

5 min 5 s

Mi4

Événement de source inconnue avec réverbération

69Un dernier aspect du style de Vaggione est sa tendance à répéter des sons et des gestes sur une échelle temporelle locale (méso). Par exemple, dans les vingt premières secondes, nous entendons plusieurs éléments se répéter : des coups de cor, un glissando de piano de faible intensité et un battement d’air d’origine inconnue. Ce schéma de répétition est emblématique de Vaggione. Nous n’entendons presque jamais un son une seule fois. La répétition est une technique efficace pour tisser une cohérence dans l’expérience de l’auditeur. Grâce à la répétition, les notes de piano individuelles deviennent des thèmes.

Conclusion

Figure 8. Horacio Vaggione au concert.

img-8-small450.jpg

Photographe : Philippe Gontier

70Le chemin de Horacio Vaggione vers la composition a été particulièrement spécifique. En début de carrière, il reconnut la pertinence d’exploiter la puissance des ordinateurs pour réaliser et articuler la syntaxe des microsons grâce au micromontage.

71Comme Xenakis, il reconnut la nécessité d’un équilibre entre composition algorithmique et intervention directe. Il déclare à ce propos :

Articuler un flux musical hautement stratifié par des moyens statistiques est impensable. Au contraire, il dépend des singularités : discontinuités, figures, contrastes et détails. (Vaggione 2003).

72Les compositions de Vaggione dérivent d’une philosophie esthétique cohérente. Cela aboutit, sans surprise, à un ensemble cohérent d’œuvres. Il est aisé d’entendre la similitude entre Schall (1994) et Préludes suspendus IV (2017), composée 23 ans plus tard.

Audio 9. Extraits des pièces Schall (1994) et Préludes suspendus IV (2017). https://nakala.fr/10.34847/nkl.cd2e0602#1b4652c822ddf1166fe2bdc9e25d1a0020ce2568

73En tant qu’étranger vivant à Paris dans les années 1990, j’ai reconnu que la « cohérence » est un concept extrêmement important dans la culture française. Dans le domaine des arts, cela signifie suivre une ligne artistique jusqu’au bout. Dans cette optique, le développement artistique consiste à affiner sa technique au fil du temps.

74Cette tendance est omniprésente dans la culture française. Je reviens aux peintures de Claude Monet, qui a peint les mêmes sujets à plusieurs reprises pendant de nombreuses années, affinant son art.

75La musique récente d’Horacio Vaggione perpétue cette tradition. Il élabore et affine davantage sa technique, tout en élargissant le vocabulaire sonore avec de nouveaux sons dérivés de synthèse.

76Je suis convaincu que ce que nous appelons « talent » est une combinaison d’aptitude et de sens intuitif permettant de choisir les bons problèmes à résoudre. Horacio Vaggione choisit systématiquement les problèmes les plus pertinents. Ce faisant, il établit la norme de la musique électroacoustique d’aujourd’hui.

Remerciements

77Je voudrais remercier Anne Sedes, Alain Bonardi et David Fierro de m’avoir invité à prendre la parole en mai 2023 lors de la conférence Journées d’Informatique Musicale à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. Merci à mes amis Jean de Reydellet et Emanuele Battisti pour la relecture de mon texte.

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Notes   

1 Certaines parties de cette article sont en effet tirées de l'article que j'ai écrit il y a de nombreuses ans (Roads 2007) mais il y a de nombreux petits changements et de nombreux ajouts majeurs de nouveau matériel, y compris des figures et des exemples sonores qui n'étaient pas dans la version précédente.

2 Je commence par un avertissement concernant cette analyse. Comme je l’ai écrit dans mon livre Composing Electronic Music (Roads 2015), l’analyse de la musique électronique est particulièrement difficile, pour de nombreuses raisons. Bien que l’analyse basée sur une partition traditionnelle de notes soit assez simple, il ne s’agit pas d’une science. Le point de départ — une partition en notation musicale — est déjà une représentation symbolique simplifiée de haut niveau d’un phénomène plus complexe : un modèle de vibrations de l’air. En revanche, dans l’analyse de la musique électronique, l’un des principaux objectifs est précisément d’essayer de trouver une partition (un répertoire de symboles) dans les formes d’onde. Dans la pratique, cela s’avère difficile, car il n’existe souvent pas d’unités normalisées et homogènes telles que les notes dans la musique électronique (Bossis 2006).
De plus, l’analyse des événements individuels sur l’échelle temporelle de l’objet sonore peut s’avérer difficile, en raison de questions ontologiques fondamentales. L’instant de début, la durée et même l’existence d’un son ne sont pas toujours clairement définis. Examinez les facteurs suivants :
- L’attaque d’un son peut apparaître lentement, ce qui obscurcit son temps d’attaque perceptible (Wright 2008). De même, son relâchement peut s’estomper lentement, ce qui obscurcit sa fin perceptible.
- Les sons peuvent s’unir et se désintégrer par le biais de changements progressifs de la densité des grains (ajout et suppression de grains) ou de composantes spectrales (ajout et suppression de sinusoïdes ou d’autres fonctions de base)
- Comme Stockhausen l’a démontré dans Kontakte (1960), un son peut se diviser en plusieurs parties distinctes ou plusieurs sons peuvent converger en un seul son composite (Stockhausen 1971).
- Un son peut masquer ou révéler la présence d’un autre son.
- Les ondulations et modulations peuvent masquer la durée des événements.
- Au milieu d’un son en transmutation, à quel moment un son se termine-t-il et à quel moment un autre commence-t-il ?
En passant de l’échelle temporelle des objets sonores à l’échelle temporelle de la mésostructure ou des phrases analysables, des problèmes ontologiques similaires se posent. En général, deux phrases peuvent être distinguées sans ambiguïté par une longue pause de N secondes entre elles. Mais la durée de N ne peut être définie en dehors d’un contexte musical spécifique. Si une phrase antécédente A est significativement différente d’une phrase successive B après une pause de N secondes, nous dirons qu’il s’agit d’une limite mésostructurelle. Par « significativement différente », nous entendons un changement dans la mélodie, l’harmonie, le timbre, le rythme, la projection spatiale, l’amplitude ou le processus, etc.
En l’absence d’une partition détaillée et d’une description de la structure fournie par le compositeur, toute analyse de la partition d’une pièce électroacoustique doit en fin de compte reposer sur les oreilles de l’auditeur. Nous rencontrons ainsi le problème courant d’une contradiction entre la grammaire d’écoute et la grammaire de composition. En d’autres termes, l’organisation structurelle du compositeur peut ne pas être entendue en tant que telle par l’auditeur. Il est fréquent qu’un compositeur superpose dans le temps deux ou plusieurs structures composées séparément, de sorte qu’il existe un chevauchement temporel significatif. Pour l’auditeur qui n’a aucune idée de la pensée du compositeur, ces structures ne sont pas nécessairement entendues comme des structures distinctes. Je présente donc cette décomposition des Préludes suspendus III en neuf sections non comme une analyse scientifique définitive, mais plutôt comme une partition plausible dans le cadre de cet article.

Citation   

Curtis Roads, «La musique électroacoustique d’Horacio Vaggione», Revue Francophone d'Informatique et Musique [En ligne], Numéros, n° 10 - Informatique et musique : recherches en cours, mis à  jour le : 07/08/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/rfim/index.php?id=723.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Curtis Roads

Center for Research in Electronic Art Technology (CREATE), University of California, Santa Barbara, USA