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Des outils interactifs pour l’étude des méthodes de composition des musiques électroacoustiques : les logiciels TaCEM comme ressources pédagogiques

Frédéric Dufeu, Peter Manning et Michael Clarke
juillet 2018

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/rfim.479

Index   

Texte intégral   

Introduction

1L’enseignement et l’apprentissage de la musique liée aux technologies, et plus particulièrement au traitement numérique de signal, peuvent dans une large mesure bénéficier de la recherche sur la production des musiques électroacoustiques. En effet, ce répertoire repose par définition sur un usage substantiel des nouvelles technologies, et l’étude d’une situation compositionnelle donnée offre un point de vue privilégié sur, d’une part, un processus créatif singulier et, d’autre part, un ensemble de techniques pour la génération et la transformation du son et des matériaux musicaux. Une approche par études de cas peut ainsi compléter l’apprentissage in abstracto des méthodes de composition musicale et des algorithmes de traitement de signal.

2Le projet TaCEM, conduit par les trois auteurs de cet article de 2012 à 2017, s’est donné pour objectif l’investigation des musiques électroacoustiques et une orientation particulière sur la relation entre innovations technologiques et processus compositionnels1. Bien que le projet relève principalement de la recherche musicologique, avec des questionnements à la fois d’ordre historique et analytique, une part significative de sa mise en œuvre s’appuie sur le développement de logiciels innovants qui peuvent également servir d’outils dans un contexte pédagogique. De fait, une partie de la recherche intégrant une importante dimension logicielle, entreprise par Michael Clarke à l’Université de Huddersfield avant le projet TaCEM, était directement orientée sur l’enseignement : les logiciels SYnthia (Synthesis Instruction Aid, 1994)2, Calma (Computer Assisted Learning for Musical Awareness, 2000)3 et Sybil (Synthesis by Interactive Learning, 2004)4 visaient tous un public étudiant et l’apprentissage de différents aspects de la synthèse du son et de la composition musicale, sur la base d’un engagement interactif et reposant sur l’écoute5. Une autre branche importante de recherche préfigurant TaCEM a été le développement d’une démarche musicologique visant l’analyse des musiques électroacoustiques, laquelle n’est souvent véhiculée par aucune partition mais transmise directement par le support sonore ; cette démarche, nommée Interactive Aural Analysis6, emploie des ressources logicielles pour entreprendre et disséminer des analyses musicologiques, ce qui permet de mettre l’écoute au cœur de l’engagement des objets, structures et processus sonores considérés7.

3Neuf études de cas issues du répertoire électroacoustique ont fait l’objet d’une investigation particulière au sein du projet TaCEM ; pour chacune d’elles, un logiciel dédié a été développé pour mettre en œuvre une analyse interactive8. Le produit principal du projet est une monographie dans laquelle un chapitre dédié à chaque étude de cas présente les résultats de la recherche contextuelle et analytique et, lorsque cela s’avère utile, pointe vers des exemples interactifs spécifiques9. Les programmes ont été conçus pour être mis en relation logique avec les chapitres correspondants, mais ils peuvent aussi être utilisés de manière autonome et être explorés bien au-delà des éléments analytiques et technologiques présentés par le texte écrit. Ainsi, les présentations logicielles peuvent être employées comme autant d’outils pour apprendre différents aspects de l’usage créatif des technologies, et constituent une ressource interactive pour l’enseignement de plusieurs dimensions importantes du traitement numérique de signal appliqué à la production musicale. Après un aperçu d’ensemble des logiciels TaCEM, le développement de cet article présente certains de leurs usages possibles dans un contexte pédagogique : l’introduction à des techniques spécifiques de traitement de signal, l’interaction avec des logiciels historiques sur la base d’émulations, l’engagement dans le processus compositionnel lui-même, et l’exploration des comportements instrumentaux pour les œuvres interprétées avec des dispositifs numériques temps-réel.

1. Architecture générale des logiciels TaCEM

4Les neuf programmes dédiés aux études de cas du projet TaCEM ont la même architecture générale (Figure 1). Sur le côté gauche de la fenêtre se trouve un navigateur pour les présentations interactives successives, qui sont elles-mêmes soit des explorateurs pour un aspect donné de l’œuvre étudiée, soit des interviews vidéo avec le compositeur ou ses collaborateurs10. La partie centrale de la fenêtre est la présentation elle-même, et sur le côté droit se trouve un inspecteur de présentation pour des réglages spécifiques – par exemple, des options de visualisation ou des configurations sonores. L’inspecteur affiche également des instructions pour l’interaction avec la présentation. Pour les œuvres impliquant une spatialisation sur plus de deux canaux, un panneau de réglages audio également situé à droite de la fenêtre du logiciel permet à l’utilisateur de choisir entre une configuration stéréo et d’autres configurations multi-canaux11.

Figure 1. Vue d’ensemble du logiciel TaCEM pour Phonurgie de Francis Dhomont, montrant l’architecture générale commune aux programmes dédiés aux neuf études de cas du projet

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5Pour chaque étude de cas, le premier explorateur interactif introduit la structure générale de l’œuvre, comme avec l’exemple de Phonurgie de Francis Dhomont visible en figure 1 ci-dessus. Les explorateurs suivants donnent accès à des techniques élémentaires utilisées par le compositeur considéré, avant de montrer des processus plus complexes et leur contextualisation dans le travail de production de l’œuvre.

2. Introduction aux techniques de synthèse et de traitement

6Que la composition étudiée ait été créée avec une technique unique ou un ensemble plus large, les logiciels TaCEM incluent des présentations interactives permettant d’introduire l’utilisateur aux composants technologiques élémentaires de production de l’œuvre musicale. Par exemple, John Chowning a composé Stria à partir d’une technique qu’il a notoirement développée lui-même : la synthèse numérique par modulation de fréquence12. Si l’utilisateur n’est pas familier avec les principes de cette technique, il peut en expérimenter sa plus simple implémentation : un oscillateur sinusoïdal modulant la fréquence d’un second oscillateur. En manipulant les paramètres à sa disposition13, l’utilisateur peut évaluer les résultats sonores de cette technique, mais aussi visualiser une caractéristique importante de la synthèse par modulation de fréquence : la génération de raies secondaires (sidebands), comme visible dans la figure 2. Les explorateurs interactifs suivants progressent vers d’autres configurations de la même technique : ils deviennent plus élaborés et s’approchent, séquentiellement, de l’implémentation utilisée par le compositeur pour son œuvre14.

Figure 2. Explorateur interactif « Modulation de fréquence simple », introduisant la principale technique utilisée dans Stria de John Chowning

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7De la même manière, le logiciel dédié à Riverrun de Barry Truax inclut des explorateurs interactifs introduisant aux bases de la synthèse granulaire, l’unique technique de synthèse employée pour la composition de l’œuvre15. Des explorateurs plus avancés donnent accès à la même technique avec davantage de paramètres, comme dans l’environnement original du compositeur, ainsi que des préréglages correspondant aux valeurs utilisées pour les différentes séquences de l’œuvre.

8Dans d’autres études de cas, les compositeurs peuvent avoir eu recours à plusieurs techniques de traitement de signal différentes. Pluton pour piano Midi et électronique temps-réel, de Philippe Manoury, met en œuvre un certain nombre de sources et de transformations16, interconnectées différemment à travers la chronologie de la pièce. Avant d’étudier les résultats de ces configurations dans les différentes sections de Pluton, l’utilisateur peut interagir avec chacun de ces modules de manière isolée et se familiariser avec leurs paramètres et résultats sonores. Pour toutes les études de cas, les techniques de traitement numérique de signal impliquées peuvent être explorées indépendamment de leur contexte d’utilisation, ce qui facilite la compréhension des procédures de plus haut niveau mises en jeu dans les œuvres considérées.

3. Simulation de logiciels historiques

9La considération de pratiques musicales reposant sur des ressources technologiques implique de porter attention non seulement aux techniques de synthèse et de traitement elles-mêmes, mais également aux possibilités disponibles pour interagir avec elles. Cela soulève le problème de l’accès à certains dispositifs qui, au contraire des instruments classiques, sont sujets à une rapide obsolescence. Comme Évelyne Gayou le souligne :

Beaucoup d’œuvres musicales créées depuis les années 1970, sont très difficiles à rejouer dès qu’elles ont une composante technologique qui parfois n’était au départ qu’un simple synthétiseur ou des appareils électriques, des boîtes à effets17.

10Il s’agit d’un problème non seulement pour l’exécution des œuvres créées avec des moyens technologiques, mais aussi pour leur analyse musicologique et la compréhension de leur genèse. Une partie de la recherche menée au sein du projet TaCEM a visé la reconstruction des outils avec lesquels les compositeurs ont produit certains de leurs matériaux musicaux. Barry Truax a composé Riverrun en assemblant des pistes générées avec GSX, un programme qu’il a développé lui-même pour la synthèse granulaire en temps-réel. Cet environnement est toujours utilisable, mais n’est accessible qu’au studio personnel du compositeur. Le logiciel TaCEM inclut une simulation de GSX qui permet à son utilisateur de jouer avec la synthèse granulaire à partir des mêmes modalités de contrôle que celles que Truax avait à sa disposition lors de la composition de Riverrun (Figure 3).

Figure 3. Simulation TaCEM du programme de synthèse granulaire GSX de Barry Truax

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11L’utilisateur peut également visualiser des vidéos où le compositeur fait la démonstration du système original, tel que filmé dans son studio en 2013. Avec la reproduction du logiciel TaCEM, des préréglages permettent de rappeler les valeurs utilisées dans Riverrun, mais l’utilisateur peut explorer plus largement les possibilités de cet environnement particulier18.

12Un autre travail de reconstruction a été effectué sur Syter, le premier processeur numérique temps-réel de l’Ina-GRM, utilisé de manière substantielle par Francis Dhomont, parmi bien d’autres compositeurs. Ce système a été abandonné à la fin des années 1990 et n’est aujourd’hui plus accessible. Mais l’étude des pratiques poïétiques de Dhomont et de la réalisation de son œuvre Phonurgie a été favorisée par une émulation partielle de Syter et de son interface utilisateur singulière19 (Figure 4).

Figure 4. Écran « Interpolations » de l’émulation TaCEM de Syter

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13Avec cette émulation, l’utilisateur peut charger un fichier son et le transformer avec un des « instruments » de Syter, c’est-à-dire des processeurs de signal temps-réel tels que des harmonisers, des filtres résonants, ou un brassage20. Les valeurs des paramètres peuvent être modifiées une par une avec des potentiomètres linéaires (faders) graphiques21, mais une fonctionnalité particulièrement notable du système, introduite en 1984, est l’écran d’interpolations visible sur la figure 4 ci-dessus. Cet écran permet à l’utilisateur de sauvegarder des préréglages sous la forme de boules pondérées par leur taille, situées sur une grille bidimensionnelle, et d’interpoler entre les ensembles de valeurs sauvegardées en déplaçant le curseur sur l’écran. Daniel Teruggi rappelle que :

Travailler dans un espace non paramétré, où on se déplace sur une surface, on n’a plus en tête des valeurs, des réglettes, des extrêmes à ne pas dépasser ; c’était vraiment extrêmement efficace et innovant […] ça a été une des grandes révolutions22.

14Émuler des dispositifs historiques comme GSX ou Syter ne permet pas seulement d’informer sur leurs algorithmes de traitement de signal : cela offre également une compréhension intime de leur comportement et favorise l’apprentissage de leur potentiel expressif, de leurs limitations et de l’influence de leurs possibilités sur les processus créateurs.

4. Processus compositionnels reposant sur la technologie

15Faciliter l’apprentissage des dimensions poïétiques d’une œuvre musicale du répertoire électroacoustique peut impliquer la reconstitution du processus compositionnel lui-même et l’élaboration de modes de représentation adaptés. Dans le cas de Stria de John Chowning, les paramètres de synthèses pour les éléments de l’œuvre n’ont pas été écrits un par un manuellement. Au lieu de cela, le compositeur a écrit un algorithme dans le langage SAIL23 pour générer des ensembles d’éléments, appelés événements, à partir de paramètres de plus haut niveau relatifs au temps, aux fréquences, aux timbres et à la spatialisation. Grâce aux données et au code conservés par Chowning, les composants essentiels de cet algorithme ont été identifiés et reconstruits à l’occasion de deux travaux de recherche publiés dans un même numéro du Computer Music Journal en 200724. Notre propre reconstruction de l’outil de composition principal de Chowning pour Stria confère à ce processus d’analyse une étape importante supplémentaire : le logiciel TaCEM le présente de telle manière que la manipulation des paramètres de l’algorithme est entièrement intégrée à l’approche d’analyse interactive. Les conséquences de la modification de n’importe quelle valeur mettent à jour la représentation visuelle de l’événement correspondant (Figure 5), et chaque événement ou élément individuel peut être écouté immédiatement25.

Figure 5. Interface pour la reconstruction de l’algorithme SAIL de Chowning, avec les paramètres d’événement sur le panneau de gauche et la représentation des éléments sur la grille centrale

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16Des préréglages permettent de rappeler les paramètres définis pour tous les événements de Stria, mais là encore l’utilisateur peut expérimenter avec les paramètres et, en explorant des possibilités au-delà de celles utilisées dans l’œuvre finale, évaluer le potentiel musical de cet outil de composition.

17Une approche très différente du processus créateur en musique électroacoustique est celle de Trevor Wishart. Son œuvre de vingt-cinq minutes Imago a été entièrement générée à partir d’un très court enregistrement du clinquement de deux verres à whisky26. Cet échantillon a fait l’objet de nombreuses itérations de transformations très diverses issues de son programme de composition Sound Loom : transpositions, time-stretching, granulation, proliférations27. Le compositeur a conservé une archive de la plupart des fichiers intermédiaires depuis la source initiale au mixage final, permettant une investigation précise des différentes étapes du parcours compositionnel, et conduisant à une représentation sous la forme d’une carte interactive telle que visible sur la figure 6.

Figure 6. Carte interactive de la construction itérative d’Imago de Trevor Wishart

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18Le tintement initial se trouve au bas de la carte, et l’œuvre finale au sommet. En lisant de bas en haut, chaque boîte correspond à un son intermédiaire et les lignes représentent les transformations conduisant d’un son à un autre. L’utilisateur du logiciel peut cliquer sur chaque boîte pour écouter le son correspondant, il peut aussi ouvrir un éditeur pour expérimenter avec les paramètres du traitement employé. Ainsi, cette carte permet de naviguer dans l’historique de la composition d’Imago, et d’étudier en détail les transformations sonores choisies à chaque étape de la création.

5. Interprétation des œuvres de musique mixte avec dispositif temps-réel

19Trois des études de cas du projet TaCEM ont été composées pour instrumentistes et électronique temps-réel : Pluton pour piano et électronique de Philippe Manoury, le Quatrième quatuor de Jonathan Harvey, et Music for Tuba and Computer de Cort Lippe. D’esthétiques très différentes, ces trois œuvres impliquent des environnements logiciels dans lesquels plusieurs modules de traitement numérique de signal transforment les sons instrumentaux. Dans Pluton, la performance du pianiste est suivie et reconnue par la machine. Cette reconnaissance de partition permet principalement au programme de déclencher des événements électroacoustiques spécifiques suivant la chronologie de l’œuvre, mais Manoury joue également de la variabilité inhérente à l’interprétation et de son opposition à la forme fixe de la partition mémorisée sous forme logicielle. Par exemple, la différence entre une valeur dynamique particulière attendue par le suiveur de partition et la valeur dynamique effectivement jouée par le pianiste peut être exploitée pour contrôler d’autres processus, comme de la transposition ou une réverbération28. Dans son Quatrième quatuor, Jonathan Harvey a écrit des processus pouvant être contrôlés depuis une interface Lemur : en plus des quatre instrumentistes classiques, un cinquième exécutant interprète les paramètres et la diffusion de la partie électronique. Dans Music for Tuba and Computer de Cort Lippe, le son direct de l’instrument est constamment analysé par une transformée rapide de Fourier29 et son contenu spectral contrôle différents modules de synthèse ou de traitement de signal, comme des banques d’oscillateurs, ou des processus musicaux.

20Bien que ces trois œuvres impliquent différentes conceptions de l’interaction entre interprètes et électronique, elles implémentent toutes un dispositif instrumental variable : les interconnexions et paramétrisations des modules de traitement de signal dépendent de la chronologie des pièces. Les logiciels TaCEM offrent une représentation dynamique de ces modules et de leurs relations, de sorte que l’utilisateur puisse naviguer à travers les sections d’une œuvre et explorer, à partir d’échantillons instrumentaux, les résultats sonores des différentes configurations possibles (Figure 7). Pour chaque moment de la pièce, l’utilisateur du logiciel peut explorer les paramètres disponibles et désactiver les modules de son choix afin d’évaluer leur importance au sein du graphe audio global et de la configuration de la performance.

Figure 7. Représentation TaCEM du graphe de synthèse et de traitement de signal pour Music for Tuba and Computer de Cort Lippeimg-7-small450.png

Les modules et cordes grisés montrent les unités et connexions inactives à un moment donné de l’œuvre

Conclusion

21Depuis les techniques élémentaires et avancées de synthèse et de traitement numérique du signal jusqu’aux situations technologiques de composition et d’interprétation en passant par des environnements de création spécifiques, le projet TaCEM fournit une combinaison d’écrits et d’applications logicielles à la recherche en musique électroacoustique, pour mettre en œuvre une approche d’analyse interactive. Une large gamme de contextes compositionnels est considérée : le répertoire de la computer music (Chowning, Truax), la musique pour instruments et électronique temps-réel (Manoury, Harvey, Lippe), la soundscape composition à base d’enregistrements sur site (Westerkamp), la musique acousmatique ou reposant sur la notion d’objet sonore (Dhomont, Wishart), l’exploration avancée de la spatialisation (Barrett).

22En plus d’une recherche musicologique, le projet TaCEM présente ainsi de nouveaux développements pour la recherche pédagogique visant les musiques électroacoustiques. Prolongeant les recherches antérieures de Clarke, le projet propose des avancées significatives dans l’emploi de logiciels interactifs pour la présentation des aspects à la fois musicaux et techniques du répertoire, afin de donner plus de sens et de portée à l’étude en intégrant à l’apprentissage théorique l’expérience pratique et reposant sur l’écoute. De plus, cette démarche offre de nouvelles opportunités pour relier entre elles les investigations d’ordre technique, musicologique, et créatif, regroupant ainsi des domaines qui sont encore souvent enseignés séparément ; une telle démarche holistique a sans doute une portée pédagogique plus importante que la somme de ses parties considérées séparément. La dimension essentielle d’interaction et d’écoute de la démarche a le bénéfice d’un engagement direct avec toutes les étapes du processus créateur, depuis l’expérimentation avec des techniques individuelles jusqu’à la formation de l’œuvre musicale, dans le studio ou lors d’une exécution sur scène. Certains de ces outils logiciels ont déjà été employés à des fins d’enseignement à l’Université de Huddersfield30, et des communications en conférences devant des publics n’appartenant pas au domaine des musiques électroacoustiques31 se sont avérées très utiles pour exposer des techniques et méthodes de composition à des non-spécialistes. L’usage central des ressources logicielles dans la méthodologie du projet TaCEM renforce, pour les lecteurs de ses écrits, un engagement reposant sur l’écoute. Les outils interactifs développés à travers cette recherche fournissent ainsi des bases importantes pour de nouvelles approches de l’enseignement des technologies et des approches compositionnelles propres aux musiques électroacoustiques.

Bibliographie   

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Wishart Trevor (2012), Sound Composition, York, Orpheus the Pantomime.

Notes   

1  TaCEM est l’acronyme de Technology and Creativity in Electroacoustic Music (Technologie et créativité dans les musiques électroacoustiques). Plus d’informations sur ce projet de recherche financé par l’Arts and Humanities Research Council (AHRC) au Royaume-Uni sont disponibles sur son site Internet : https://research.hud.ac.uk/institutes-centres/tacem/

2  Que l’on peut traduire par « Aide à l’enseignement de la synthèse ». Voir Matthew S. Padden, Michael Clarke, Alan J. Dix, Mark A. R. Kirby, « Towards SYnthia II: An assessment of design strategies for computer assisted learning of sound synthesis », Proceedings of the International Computer Music Conference, Hong Kong, University of Science and Technology, 1996, p. 214-215.

3  « Apprentissage assisté par ordinateur pour la sensibilisation à la musique ». Voir « Calma. Computer Assisted Learning for Musical Awareness », site Internet de présentation du logiciel, http://mhm.hud.ac.uk/calma/

4  « Synthèse par apprentissage interactif ». Voir Michael Clarke, Ashley Watkins, Mathew Adkins, Mark Bokowiec, « Sybil: Synthesis by Interactive Learning », Proceedings of the International Computer Music Conference, Miami, 2004, consulté en ligne, à l’adresse http://quod.lib.umich.edu/i/icmc/bbp2372.2004.070/--sybil-synthesis?view=image

5  Pour une vue générale de ces trois projets, voir Michael Clarke, « From SYnthia to Calma to Sybil: Developing Strategies for Interactive Learning », dans John O’Donoghue (ed.), Technology Supported Learning and Teaching: A staff perspective, Hershey, Pennsylvanie et Londres, Information Science Publishing, 2006, p. 292-307.

6  Que l’on peut traduire par « Analyse interactive et reposant sur l’écoute ».

7  Sur la notion générale d’Interactive Aural Analysis, voir Michael Clarke, « Analysing Electroacoustic Music: An Interactive Aural Approach », Music Analysis, vol. 31, n° 3, 2012, p. 347-380. Pour des œuvres spécifiques étudiées avec cette approche avant le projet TaCEM, voir Michael Clarke, « Jonathan Harvey’s Mortuos Plango, Vivos Voco », dans Mary Simoni (ed.), Analytical Methods of Electroacoustic Music, New York, Routledge, 2006, p. 111-143 et Michael Clarke, « Wind Chimes: An Interactive Aural Analysis », dans Évelyne Gayou (ed.), Denis Smalley: Polychrome Portraits, Paris, Ina-GRM, p. 35-57.

8  Ces neuf études de cas sont, dans l’ordre chronologique : Stria de John Chowning (1977), Riverrun de Barry Truax (1986), Pluton de Philippe Manoury (1988), Beneath the Forest Floor de Hildegard Westerkamp (1992), Phonurgie de Francis Dhomont (1998), Imago de Trevor Wishart (2002), le Quatrième quatuor de Jonathan Harvey (2003), Music for Tuba and Computer de Cort Lippe (2008) et Hidden Values de Natasha Barrett (2013).

9  Au moment de l’écriture de cet article, la monographie est en cours de finalisation.

10  Chaque programme intègre une quantité substantielle de documents vidéo, fournissant des témoignages directs sur les œuvres, leurs esthétiques et processus créateurs, et les technologies qui leur sont associées.

11  Certaines études de cas ont des configurations multi-canaux relativement simples, en quadraphonie ou octophonie ; l’investigation que nous avons menée dans Hidden Values de Natasha Barrett se concentre sur son travail avec la spatialisation en trois dimensions, et le programme correspondant permet une configuration avancée selon le studio de l’utilisateur.

12  Comme décrite dans John Chowning, « The Synthesis of Complex Audio Spectra By Means of Frequency Modulation », Journal of the Audio Engineering Society, vol. 21, n° 7, 1973, p. 526-534.

13  Dans ce cas, les paramètres rendus accessibles par le logiciel TaCEM sont les suivants : fréquence de l’oscillateur porteur, fréquence de l’oscillateur modulateur, indice de modulation (aussi affiché et modifiable indirectement, avec un paramètre de déviation de fréquence).

14  La séquence d’explorateurs interactifs dédiés à la modulation de fréquence est la suivante : « Modulation de fréquence simple » est l’introduction à la technique comme décrit ci-dessus, « Modulation de fréquence complexe » présente la configuration à deux modulateurs et un oscillateur porteur utilisée par Chowning pour Stria, « Modulation dynamique de fréquence » implémente des enveloppes pour le contrôle de certains paramètres dont le temps, et « Paramètres des éléments » conclut cette séquence en donnant accès à tous les paramètres de synthèse d’un élément, l’équivalent d’une « note » individuelle, que le compositeur pouvait contrôler dans son environnement.

15  Barry Truax a également été le premier à réaliser une implémentation en temps-réel de la synthèse granulaire. Voir Barry Truax, « Real-Time Granular Synthesis with a Digital Signal Processor », Computer Music Journal, vol. 12, nº 2, 1988, p. 14-26.

16  En plus du piano, les sources de signal sont des banques d’oscillateurs contrôlés par une analyse FFT (Fast Fourier Transform) et des échantillonneurs polyphoniques ; les transformations sont un harmonizer, un frequency shifter, deux réverbérations et un module de spatialisation sur quatre canaux. Certains de ces modules sont décrits par Manoury lui-même dans Marc Battier, Bertrand Cheret, Serge Lemouton & Philippe Manoury, PMA LIB. Les musiques électroniques de Philippe Manoury, cédérom multiplateforme, Paris, Ircam-Centre Pompidou, 2003.

17  Évelyne Gayou, « Préface, un état de l’art », dans Évelyne Gayou (éd.), Musique et technologie. Préserver, archiver, re-produire, Paris, Ina-GRM, p. 5.

18  Pour une description plus détaillée de l’investigation du processus créateur de Riverrun et de l’emploi de GSX, voir Michael Clarke, Frédéric Dufeu & Peter Manning, « From Technological Investigation and Software Emulation to Music Analysis: An integrated approach to Barry Truax’s Riverrun », in Proceedings of the International Computer Music Conference, Athènes, National and Kapodistrian University, vol. 1, 2014, p. 201-208.

19  La reconstruction de l’interface utilisateur et de sa mise en correspondance avec les traitements disponibles dans Syter a été facilitée par des informations fournies par Yann Geslin (Ina-GRM) et la principale ressource universitaire sur le système : Daniel Teruggi, Le système Syter. Son histoire, ses développements, sa production musicale, ses implications dans le langage électroacoustique d’aujourd’hui, thèse de Doctorat sous la direction de Horacio Vaggione, Saint-Denis, Université Paris 8, 1998.

20  Dans la terminologie de Syter, un brassage est un granulateur.

21  Deux faders adjacents peuvent aussi être couplés, permettant le contrôle de deux paramètres à la fois sur une surface bidimensionnelle.

22  Daniel Teruggi, cité dans Évelyne Gayou, « Interview Daniel Teruggi, Syter », 2015, vidéo en ligne sur le site de l’Ina-GRM : http://www.inagrm.com/interview-daniel-teruggi-syter-0 (lien vérifié le 31 août 2017), 29’ 37” à 29’ 58”. Transcription par les auteurs.

23  Stanford Artificial Intelligence Language.

24  Kevin Dahan, « Surface Tensions: Dynamics of Stria », Computer Music Journal, vol. 31, nº 3, 2007, p. 65-74, et Olivier Baudouin, « A Reconstruction of Stria », Computer Music Journal, vol. 31, nº 3, p. 75-81.

25  Un autre explorateur interactif du logiciel TaCEM donne accès aux paramètres de l’algorithme SAIL, avec une interface simulant le terminal de Chowning, avec une entrée par lignes de commandes textuelles. Dans cet explorateur, l’utilisateur doit entrer les valeurs de tous les paramètres avant de pouvoir écouter l’événement résultant. Pour une description plus complète de l’approche TaCEM de Stria, voir Michael Clarke, Frédéric Dufeu & Peter Manning, « Using Software Emulation to Explore the Creative and Technical Processes in Computer Music: John Chowning’s Stria, a case study from the TaCEM project », in Proceedings of the International Computer Music Conference, Utrecht, HKU University of the Arts, 2016, p. 218-223.

26  Cet enregistrement est tiré de …Et ainsi de suite… de Jonty Harrison (1992).

27  Wishart décrit sa démarche compositionnelle et des exemples de telles transformations dans Trevor Wishart, Sound Composition, York, Orpheus the Pantomime, 2012.

28  L’idée de faire un usage musical de l’inévitable discrépance entre une valeur fixe attendue par la machine et une valeur indéterminée fournie par l’interprète a été explorée par Manoury depuis la composition de Pluton, et théorisée avec le concept de partitions virtuelles. Voir Philippe Manoury, « Les partitions virtuelles », dans Marc Battier, Bertrand Cheret, Serge Lemouton, Philippe Manoury (éd.), op. cit.

29 Fast Fourier Transform. L’analyse spectrale est effectuée avec l’object Max sigmund~ de Miller Puckette.

30  Après avoir été introduits aux approches de Dhomont et de Wishart, des étudiants de Licence 1 en Computer Composition ont dû générer des matériaux avec l’émulation de Syter présentée dans cet article.

31  Par exemple, au Congrès Européeen d’Analyse Musicale (EuroMAC) de Leuven en septembre 2014.

Citation   

Frédéric Dufeu, Peter Manning et Michael Clarke, «Des outils interactifs pour l’étude des méthodes de composition des musiques électroacoustiques : les logiciels TaCEM comme ressources pédagogiques», Revue Francophone d'Informatique et Musique [En ligne], n° 6 - Techniques et méthodes innovantes pour l'enseignement de la musique et du traitement de signal, Numéros, mis à  jour le : 06/07/2018, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/rfim/index.php?id=479.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Frédéric Dufeu

Postdoctorant, membre du CeReNeM, université d’Huddersfield, Royaume-Uni

Quelques mots à propos de :  Peter Manning

Professeur émérite de musicologie département de musique de l’université Durham , Royaume-Uni

Quelques mots à propos de :  Michael Clarke

Professeur de musicologie, membre du CeReNeM (Centre for Research in New Music), université d’Huddersfield, Royaume-Uni