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L'Ethnographie

Juif et théâtre

L’instinct du jeu – de vérité ?

Jews and the theatre : a natural instinct – truly?

Michèle Fornhoff-Levitt

Octobre 2020

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.635

Résumés

Émergeant tardivement à la fin du 19e siècle, le théâtre yiddish moderne connaît son heure de gloire à l’époque mouvementée de l’entre-deux-guerres. D’abord apparu en Europe centrale et orientale sous la plume d’une multitude d’auteurs issus d’un Yiddishland imaginaire, il gagne l’Ouest à travers les représentations de troupes itinérantes venues y évoquer le passé ancestral devant un public d’immigrés juifs désireux de retrouver leurs racines ou la mémoire nostalgique d’une culture abandonnée de force. Malgré l’apparition tardive du théâtre yiddish professionnel, le Juif semble maîtriser, par propension naturelle, l’instinct du jeu, et partant, la « théâtralisation » de sa propre identité. Cette contribution est basée sur une thèse doctorale en cours d’élaboration : Le théâtre yiddish de l’entre-deux-guerres en capitales d’Europe occidentale (Paris, Bruxelles-Anvers, Amsterdam) : essai d’ethnoscénologie transnationale et diasporique de la yiddishkeyt, en cotutelle Sorbonne Université (Paris IV) et Université libre de Bruxelles (soutenance en juin 2022). Elle cherche à faire la part des choses entre inclinaison naturelle et compétence acquise dans « l’incarnation » du yiddishisme – la yiddishkeyt – sollicitant la « justesse des gestes » (Jousse, 1974) comme aboutissement de sa quête de vérité.

Modern Yiddish theatre emerges at the end of the 19th century in Central and Eastern Europe and reaches its height during the interwar period. Brought to Western audiences by traveling theatre companies, it reflects the traditional life and customs of Jewish communities scattered throughout an imaginary Yiddishland, evoking the nostalgia of a culture left behind by forced migration. Despite this fairly late onset of a professional Yiddish theatre, Jews seem to possess a natural instinct for performing, including the representation of their own identity. This article, based on doctoral research in progress, seeks to distinguish between “natural instinct” and “acquired” competence in the embodiment of Jewishness – Yiddishkeyt – and to elucidate Jewish ethnicity through the ethnoscenological lens of embodied imaginaries.

Index

Mots-clés : Théâtre, Identité, Jeu, Yiddish, Judéité

Keywords : Theatre, Play, Yiddish, Jewishness, Identity

Texte intégral

« Jouer le Juif » ou le théâtre de la judéité

Le juif () joue. Joseph Roth1

Je jouais, en somme. () J’étais simplement le comédien de moi-même. Alain Finkielkraut2

1Serait-on Juif par jeu ? Le cliché du Juif acteur, prétendant être autre et obligé de porter le « masque » pour dissimuler – ou préserver – son identité au regard des persécutions séculaires a fait son chemin, en particulier depuis la Haskala3, soucieuse de rendre à ce peuple présumé déicide ses droits citoyens et, partant, son vrai visage. « Une perpétuelle adaptation, une ancestrale dissimulation (l’a) habitué à porter tous les masques », lit-on ça et là4. Serait-il devenu acteur par nécessité, pour faire oublier, par son propre théâtre, une « quotidienneté sans gloire » au point de devenir « ensorcelé par son image » comme le suggère Alain Finkielkraut – exalté, dans ses années de jeunesse, de « faire le Juif »5 ? Ou a-t-il toujours été enclin à l’auto-distanciation comme l’évoque Joseph Roth lorsqu’il écrit que « le Juif joue » ? Cette disposition, qu’elle soit acquise ou naturelle, à dramatiser la judéité, donnerait-elle à celle-ci une qualité performative – un moyen, non seulement de se construire, mais aussi de façonner son appartenance à une communauté mémorielle ou actuelle, fût-elle imaginaire ?

2Toujours est-il que le Juif semble posséder le sens, sinon l’instinct du théâtre, enfoui, comme le dirait Bergson, dans « le sous-sol de [son] esprit6 ». Perpétuellement inquiet de « prendre la mesure de son étrangeté », ce Juif que l’on pourrait dire, en accord avec Finkielkraut, imaginaire – à la fois regardant et regardé, doté d’une « puissance infatigable de projection » – a pris pension dans le théâtre : « pour moi, c’était tous les jours carnaval. J’étais Juif, quant à moi, c’est-à-dire, en clair, que je n’avais jamais besoin de quitter mon déguisement7 », avoue l’écrivain. S’il ne peut résister à la tentation de la représentation, le personnage juif – « inquiet, torturé, sur le qui-vive, élu par l’Histoire et maudit par les autres hommes » – est empli par cette fièvre douloureuse qui rend sa judéité « délicieusement profonde » : le rapport à la Mort et à la Mère, les assauts nocturnes de son sentiment de culpabilité, le besoin vital de « respirer la chose écrite », l’humour tendre ou désespéré – la merveilleuse clarté de sa différence, le spectacle de son altérité8.

3La théâtralité naturelle du Juif comble le fossé qui sépare le carcan séculaire de l’interdiction rabbinique, farouchement opposée à la représentation9 – le port du masque ou de vêtements du sexe opposé – et le théâtre juif « moderne » apparu vers la fin du 19e siècle, quelque six cent ans après le théâtre chrétien. Nonobstant – ou grâce à ? – cette proscription ancestrale, le Juif a forgé, à travers le jeu, sa propre stratégie performative pour asseoir son ethnicité : une opération « à double voie » basée à la fois sur le désir d’être et de devenir juif – une quête interne de sa singularité –, et le souhait (besoin ?) de représenter celle-ci sous forme de performance « négociée » avec le monde extérieur. Dans cette perspective, deux discours identitaires se superposent – celui du « sang juif » ou de l’identité généalogique, « par descendance », et celui du comportement rituel ou social, « par consentement »10.

4Selon Henry Bial, dans son passionnant ouvrage Acting Jewish, la production de sens « par consentement » ne s’établit non seulement « vers l’intérieur » au niveau du performeur, mais aussi « vers l’extérieur » entre celui-ci et son audience, sans que le premier ait une ascendance sur le second : mouvante, instable, elle est toujours « en élaboration ». Ce mécanisme, que l’auteur appelle « double codage » – par lequel une performance peut signifier un message à une audience juive et simultanément envoyer un autre message, parfois contradictoire, à un public non-juif –, invite à « décoder l’identité juive cachée11 » se cristallisant dans la « lecture » conditionnée par la conscience culturelle, voire ethnique, du « récepteur » – un public juif « initié » ou non-juif « profane ». Propulsées par « le désir de se souvenir », des scènes ancrées dans la volonté de reconstruire une culture oubliée ou abandonnée de force12, sont un élément essentiel de l’acting Jewish, car ceux qui « savent » s’y reconnaissent.

5Mais pas besoin d’être au théâtre pour se rendre compte de cette stratégie duelle : synchrone ou mémorielle, individuelle ou partagée, elle devient théâtrale au sens poïétique du terme et « produit » – performe – ainsi la théâtralisation de l’identité à travers « la conception d’un acteur-poète puisant à la force de l’imagination et du geste13 » : celle du Juif « autre » à ses propres yeux, comme à ceux de « l’Autre ». La yiddishkeyt14 – la culture, les pratiques et les traditions des Juifs yiddishophones – se retrouve dès lors, comme le note le spécialiste en Jewish Studies, Jeffrey Shandler, « au croisement de ces deux stratégies synchroniques et diachroniques de la performance de l’ethnicité15 ».

Le théâtre, médium privilégié de « l’incarnation »

Actors are the abstract and brief chronicles of the time. W. Shakespeare (Hamlet, Acte 2, scène 2)

6Comment jouer la judéité sinon à travers la théâtralité elle-même, à travers « l’épaisseur de signes16 » chère à Barthes ? Et si le Juif joue, d’instinct, sa judéité sur la « scène du monde » – comme ces peintres en bâtiment anversois [fig. 1], ressemblant, à s’y méprendre, à un groupe de comédiens dans un décor constructiviste – cette judéité ne le prédispose-t-elle pas de la « reproduire » tout naturellement sur les tréteaux d’un théâtre ? En effet, quel médium mieux que ce dernier pourrait éclairer l’incarnation de l’imaginaire ? Son incomparable puissance signifiante le désigne dès lors comme l’outil d’investigation de prédilection pour aborder, de manière métonymique, un thème aussi polymorphe que l’identité. Espace-temps profane ou sacré, ce « lieu du regard et de l’écoute17 » où ni les regardants, ni les regardés ne sont exclus de la représentation, est révélateur d’une nouvelle « vérité » découverte de part et d’autre, donnant lieu à une perspective vue de l’« intérieur » – juive – et de l’« extérieur » – non-juive. Ainsi à l’identification du Juif répond la distanciation du non-Juif, à l’inclusion de l’un s’oppose l’étrangeté de l’autre, aux « gestes vitaux » d’artistes authentiques se heurtent les « gesticulations » perçues par l’œil occidental captif d’un art traditionnel. Le vrai contre le faux, la vérité contre l’artifice, l’être contre le paraître.

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[fig. 1] Peintres juifs dans la synagogue en rénovation du « Mashiké Hadass », Anvers, Oostenstraat 43 (1930)

© Ephraim Schmidt, L’Histoire des Juifs à Anvers, p. 292 sq.

Perspective intérieure : « le Juif plus juif »

Ce théâtre n’est plus un monde augmenté, c’est un autre monde. Joseph Roth18

7Le regard que Joseph Roth, écrivain emblématique de la judéité nostalgique du shtetl19, porte sur le théâtre yiddish, place ce dernier au cœur d’un rituel imaginaire idiosyncratique primitif – passionnel et débridé – permettant d’entrevoir « la perspective intérieure » :

Je suis secoué et choqué. L’éclat criard des couleurs m’a aveuglé, le bruit m’a assourdi, la vivacité de l’action m’a confus. Ce théâtre n’est plus un monde « augmenté », c’est un autre monde. () Ils parlent avec une voix que je n’ai jamais entendue dans aucun théâtre au monde, ils chantent avec la ferveur du désespoir. Quand ils dansent, ils me rappellent les Bacchantes ou les Hassidim. Leurs mots sont comme les prières des juifs à Yom Kippour, leurs gestes comme un rituel ou comme une transe. Les scènes ne sont ni réelles, ni peintes, elles sont imaginaires. J’ai besoin de toute une soirée pour habituer mes oreilles à ce vacarme, mes yeux à cet éblouissement. Je n’arrive pas encore à distinguer entre exagération volontaire et extase naturelle (ou surnaturelle). Toutes les normes que j’apporte de l’Occident, s’évanouissent avec ce théâtre. 20

8Non seulement l’acteur juif est-il interprète – il transpose la vie sans la copier, « écrasant le singe incrusté21 » de la mimèsis. Il est aussi, à travers « l’incarnation plastique de ses sensations », un écorché vif – un corps – dont la moelle vitale, la chair et le sang « extériorisent le psychisme22 » et révèlent l’essence cachée, éternellement humaine : si de la sorte, « par ses gestes ou ses grimaces juifs23 », il triche ou exagère jusqu’à se rendre brutal, sauvage ou débridé, c’est pour atteindre sa propre vérité. Comme les portraits asymétriques de Picasso, il veut « déformer pour mieux montrer24 ». À la fois primitif et populaire, ce « génie » juif idiosyncratique, dans un effort perfectionniste et discipliné, interprète le personnage en le stylisant, le caricaturant, avec le recul nécessaire, jusqu’à le rendre prototypique : ainsi un Bourgeois Gentilhomme25 devient-il juif par le souffle auto-dérisoire d’un esprit satirique forcené, excité jusqu’à l’ivresse dionysiaque :

J’ai besoin de m’habituer au Théâtre Juif de Moscou. () Il me paraissait que le judaïsme dont il était question ici était plus oriental que celui qu’on pratiquait (en Occident) – plus ardent, plus ancien, venu d’ailleurs. Chaque spectacle de ce théâtre, que l’on pourrait attribuer à la vivacité légendaire des Juifs, était surpassé par les gesticulations hardies des acteurs. C’étaient des Juifs à température plus élevée, des Juifs plus juifs. Leur passion était plus élevée de quelques degrés, leur mélancolie prenait le visage de la sauvagerie, leur tristesse était fanatique, leur joie un tumulte. C’était une sorte de Juifs dionysiaques26.

Perspective extérieure : essentialisme génétique

Notre destin est étroitement lié à celui des autres, dans le meilleur comme dans le pire. () Par delà nos spécificités, pour nous comprendre, il nous faut aussi comprendre les autres. Albert Memmi27

9Mais « les autres » comprennent-ils ? Le regard extérieur, non-Juif, perçoit avant tout, non sans surprise puisqu’étranger à la langue, les aspects « visuels » – « l’incarnation » du Juif, dont il enveloppe les attributs identitaires dans un essentialisme génétique. Soudain omniprésent, le terme « race » vient se coller aux artistes juifs pour élucider le « mystère » et « l’étrangeté » de leur jeu – pourtant souvent reconnu par les gentilés comme « extraordinaire, sans exemple chez nous » et « spécifiquement juif » , lorsqu’une justification rationnelle et objective fait défaut :

C’est du théâtre populaire, et même un peu primitif, avec une expression particulière aux races slaves et juives (), une animation sans pareil et qui tient parfois du vertige.28

10… au point de confondre, à l’occasion, « race » et « ethnie » :

C’est sous l’angle de la conception synthétique qu’il faut les envisager, mais aussi sous celui de l’aspiration vers un art essentiellement juif. L’effort tenté par M. Granovsky pour édifier, sur des bases folkloriques et en puisant dans des productions littéraires de sa race, un théâtre ethniquement juif, a été couronné de succès29.

11Stigmatisé d’emblée comme « curieux », « étrange » ou « particulier » par un regard ethnocentrique caractéristique des vues racialistes de l’époque, le théâtre yiddish – juif – est « autre », car, fût-il reconnu comme « exceptionnel », non seulement serait-il issu d’une « race » étrangère, mais encore manquerait-t-il, par ce fait même, d’universalité. L’article d’un critique belge, correspondant à Paris, expose un point de vue fréquemment adopté par la presse non-juive quant à ce clivage aux implications génétiques – contestables – qu’il sous-tend :

Le seul reproche que l’on puisse faire, dramatiquement parlant (sic), au répertoire du théâtre yiddish, c’est son défaut d’universalité. C’est un théâtre qui peut, qui doit intéresser profondément les Juifs. Et il doit les intéresser justement par ce qu’il contient et exprime ce qu’il y a de particulier à cette race, et donc d’exceptionnel.30

12Écrit en 1935, alors que le nazisme est en pleine expansion, cette perspective apparemment acquise aux théories « scientifiques » de l’anthropologie physique – le racialisme – et au climat antisémite rampant de l’époque, fustige les Juifs, imputés d’une altérité non seulement subjective ou imaginaire, mais aussi qualifiée d’« objective », puisque génétique, et partant, héréditaire.

« Je joue, donc je suis »

On peut apprendre à un ours à danser, mais non point à un acteur à jouer. Solomon Mikhoëls31

13Après l’examen de ces perspectives préalables « internes » et « externes » très contradictoires, retournons à notre hypothèse première. Comment expliquer l’amour et l’intérêt, sinon l’attraction particulière des Juifs pour les arts performatifs, et en conséquence, leur influence dans ce secteur ?

14Dans son ouvrage captivant, Theatre and Judaism, le théâtrologue israélien, Yair Lipshitz, répond partiellement à la question par un retour aux sources, établissant un lien interactif entre tradition religieuse juive – une catégorie identitaire réclamant la représentation – et théâtre32. Se référant, entre autres, à son homologue américain, Thomas Postlewait, et au binarisme entre religion et théâtre (ou entre rituel et jeu) préconisé par ce dernier, il met en doute la causalité de l’émergence tardive du théâtre juif, avancée par les historiographes contemporains comme l’aboutissement de la sécularisation progressive des communautés. S’il est reconnu que le Pentateuque33 préconise que la représentation par l’image, le port du masque ou le travestissement sont prohibés, que le Talmud formule trois réserves prégnantes34 et que les rabbins ont, dès le 2e siècle, marqué leur hostilité envers le théâtre romain pour sa frivolité et son idolâtrie païenne, aucun de ces textes ne rejette explicitement le théâtre en tant que tel comme « catégorie universelle », ni n’accuse la théâtralité comme étant « théologiquement dangereuse » : selon Lipshitz, il s’agit de « conceptualisations modernes projetées vers l’arrière », comme celle de son confrère, Eli Rozik, qui établit une dichotomie rigoureuse entre le passé judaïque antithéâtral et le présent théâtral séculaire. Pour prouver la non-validité de la thèse de la genèse du théâtre yiddish suite à la sécularisation progressive des Juifs, Lipshitz cite un exemple bien antérieur à la Haskala35 : La comédie éloquente du mariage (1550), écrite en hébreu par Leone de Sommi, dramaturge, chorégraphe et metteur en scène sépharade à la cour des ducs de Mantoue36. Son second argument concerne l’influence mutuelle entre pratique religieuse juive et théâtre : les textes ne sont pas uniquement le médium pour une activité abstraite, purement mentale ; ils sont au contraire un ingrédient dans la performance (incarnée) du rituel, comme par exemple le séder des Pâques juives37, qui exécute l’Exode en le racontant, ou comme les rabbins qui, en tant qu’interprètes dialogiques, ont depuis toujours été à la fois « dans » et « en dehors » du texte. Qu’est par ailleurs l’étude de la Torah, sinon un dialogue incarné, accompagné de balancements corporels et d’une lecture chantée ? Enfin – troisième argument – le Livre « aux soixante-dix visages38 » se prête à l’interprétation textuelle, à la réciprocité entre interprétation et représentation : dans le judaïsme, l’étude est le drame, un acte de confrontation avec des interprétations antérieures où la corporalité est centrale. Concluant que les notions de jeu et de religion ne sont pas forcément incompatibles, l’auteur rappelle singulièrement les réflexions de l’anthropologue Marcel Jousse, lorsque ce dernier se réfère au « gestualisme » de la Bible39 ou du philosophe Maurice Blondel, qui déclarait que « la prière est une action40 ». De ce fait, le théâtre juif – et par conséquent yiddish – s’affirme dans sa spécificité « comme un théâtre d’action, de l’improvisation, plutôt qu’un « théâtre de texte » – un théâtre du Verbe41.

15« Le judaïsme lui-même pourrait être considéré comme une religion performative en ce sens qu’il est plus préoccupé par le processus et par les actions que par le produit ou par les réitérations intérieures de la foi » estime aussi Henry Bial42. Si les Juifs sont souvent distingués comme « le peuple du Livre », l’identité juive est liée au concept de performance – plus qu’à celui d’inertie : pour preuves la « performance » du rituel religieux, des fêtes communautaires ou de la vie de tous les jours selon la halakha43. Avec l’affaiblissement progressif des pratiques religieuses ou rituelles, le théâtre d’art ou le drame populaire sont devenus des sources d’information de plus en plus importantes sur la manière de « jouer le juif ». Ce concept, basé sur l’idée « d’identité comme performance », trouve un écho dans la relation avec l’audience : « celle-ci ne peut interpréter que ce que lui donne le performeur, mais le performeur ne peut contrôler tout à fait les termes de cette interprétation44 » suggère encore Bial. Par ailleurs, ce jeu ne devrait pas induire que l’identité juive serait, de ce fait, « inauthentique », l’authenticité étant toujours en motion dans une conversation permanente entre performance et audience. Nous y reviendrons.

16De cette argumentation logiquement plausible, l’on pourrait déduire que le théâtre, par son essence même, semble bien être, depuis deux millénaires, la « seconde nature » du Juif, souvent, métaphoriquement comparé à un comédien errant, avec la Bible comme répertoire et la prière ou le rituel comme gestus45. Acteur sinon actant, il a, au fil des siècles, joué son propre destin46. Si l’épreuve de l’exil a pu détourner ce « nomade » de sa quête perpétuelle de la Révélation, elle ne l’a jamais empêché, à l’instar du théâtre, d’incarner l’imaginaire à travers les gestes de l’étude, de la prière ou des rites quotidiens.

17Cette « filiation » millénaire entre tradition juive et théâtre est au cœur même des propos de l’acteur légendaire Solomon Mikhoëls, parfois surnommé le « roi des Juifs », lorsqu’il assimile la mission du comédien à celui de « révélateur et messager de la vérité »47. Cette vision communautaire, presque mystique, du théâtre en tant que « Révélation » – qui n’est pas sans rappeler celle de Grotowski –, intimement liée à la culture du peuple juif, puise sa force dans la soif de connaissance de l’homme. Sacerdoce et commandement majeur au départ d’une compréhension propre du monde, elle préconise à la fois, dans l’incarnation des idées et la dialectique du corps et de l’esprit, « l’authenticité » et la force imaginative – « les rayons X48 » – dont se réclame l’artiste russe. Acteur-poète et penseur au service du développement du spectateur, il utilise le geste pour « forger l’œil49 ». Rejetant le carcan répressif du Réalisme Socialiste imposé par le régime soviétique, sa priorité est d’élucider le « vacarme du judaïsme50 » kafkaïen. N’est-ce pas aussi par ce biais que l’auteur viennois tourmenté, touché « du regard et du cœur » par le théâtre yiddish, aurait découvert sa « véritable » identité juive ?

À la recherche de l’âme yiddish : les vecteurs de la Yiddishkeyt

18La question de « l’authenticité » du théâtre juif nous invite à nous interroger sur les vecteurs signifiants de la judéité, et plus spécifiquement de la yiddishkeyt –, à la fois attributs et marqueurs de frontières, fouillés sous la loupe ethnoscénologique, à savoir l’esprit, le corps et – trait d’union entre les deux –, la langue yiddish.

La langue yiddish : « languemonde » de l’autre

Je suis une vieille et une jeune langue, j’ai plus de mille ans et je ne supporte pas qu’on dise que je suis morte. Les hommes qui m’ont parlé sont morts pour la plupart, mais ils m’ont parlé comme vivants. Ils ont laissé la trace de leur présence en moi, dans mon souffle. Un mot en yiddish, c’est quelqu’un. Rachel Ertel51

19En sa qualité de « relation de la cognition et du somatique52 », la langue est un marqueur identitaire incontournable53 – « ce terrible problème sur lequel curieusement on n’insiste guère : quelle est donc la langue du Juif ?54 », comme l’écrivait Albert Memmi dans La libération du Juif. Produit de la lutte pour l’individualité, de la résistance du peuple juif contre la germanisation, le yiddish devient la « patrie » des Juifs ashkénazes55, le rempart contre l’assimilation. Langue maternelle ou idiome pratiqué quotidiennement par onze millions de juifs en 1935, elle était « le vernaculaire de la quasi-totalité de cette population et est utilisée dans pratiquement chaque fonction non sacrée ainsi que dans toutes les fonctions socioculturelles » note le linguiste Joshua Fishman. Selon le théoricien littéraire, Benjamin Harshav, elle était également « le ciment d’une communauté extraterritoriale préservant le réseau social et religieux séparé des Juifs dans son propre monde56 ». Ainsi, conclut Fishman, « les communautés de langues minoritaires dans le monde entier ont appris dans l’adversité à ne pas dépendre de la reconnaissance formelle de l’État pour leur maintien et leur développement57. » Qualifié d’« immense continent fertile » ou de « seconde peau » par les uns, de « jargon sans intérêt à rebours de l’hébreu58 » ou simplement de « jargon » par les autres, cette langue du judaïsme diasporique – des goles yidn59– est aussi celle de « l’utopie syncrétique et cosmopolite60. »

20Souvenons-nous de la fascination de Kafka pour le yiddish, cet « invité de la langue allemande » qu’il qualifiait de langue d’emprunt quand il notait dans son Journal ce passage révélateur :

Hier il m’est venu à l’esprit que si je n’avais pas toujours aimé ma mère comme elle le méritait et comme j’en étais capable, c’est uniquement parce que la langue allemande m’en a empêché. La mère juive n’est pas une Mutter, cette façon de l’appeler la rend un peu ridicule ; nous donnons à une femme juive le nom de mère allemande, mais nous oublions qu’il y a là contradiction. () Pour les Juifs le mot Mutter est particulièrement allemand, il contient à leur insu autant de froideur que de splendeurs chrétiennes, c’est pourquoi la femme juive appelée Mutter n’est pas seulement ridicule, elle nous est aussi étrangère.61

21Dans un discours prononcé à la mairie juive de Prague, il aura ces mots élogieux pour cette langue dont les « vocables étrangers conservent la vivacité et la hâte avec laquelle ils furent empruntés62 », lui rendant toute son aura63 dans la tradition juive :

() une fois que le yiddish vous possède et vous émeut – et le yiddish est tout, les mots, la mélodie hassidique et le caractère essentiel de cet acteur juif de l’Europe de l’Est – vous aurez oublié votre propre réserve. C’est alors que vous sentirez l’unité véritable du yiddish, et de manière tellement forte que cela vous effraiera, mais ce ne sera plus la peur du yiddish, mais de vous-mêmes.64

22Mameloshn65, langue maternelle à l’image de la yidishe mame (maman juive), gorgée d’émotion et de chaleur, aux accents familiers et affectueux, truffée de diminutifs, se prêtant aux vitsn (bons mots), aux termes « pluri-signifiants », aux tournures idiomatiques imagées ou aux cadences d’une langue orale, l’idiome de la yiddishkeyt est aussi une langue littéraire, née presque ex nihilo de l’apport de plusieurs langues orientales et occidentales pour se libérer du carcan religieux hébraïque.

23Utilisée au théâtre, cette langue-caméléon se mue en langue de sociabilité, source de l’osmose entre l’acteur et son audience : « Parce qu’il se sert d’une langue minoritaire, (le) théâtre (yiddish) est intimement lié à son public. Cela fait sa force et ses limites66. » Dans ce cadre, un article interpellatif des Literarishe bleter67 polonais démontre l’insuccès de différentes expérimentations pour organiser un théâtre yiddish-non yiddish, c’est-à-dire des pièces yiddish traduites et représentées dans une langue étrangère, démontrant clairement l’étrangeté – l’exterritorialité – de ces dernières :

Ce qui a réussi dans les domaines de la presse, de l’enseignement, de la littérature, de la musique – n’a en aucun cas réussi dans celui du théâtre. Le théâtre yiddish est resté totalement yiddish, étroitement lié à la langue yiddish. () Tous les essais de L. Schiller (à « l’Athénée68 ») pour créer un théâtre yiddish-polonais avec des pièces d’auteurs yiddish en langue polonaise n’ont pas réussi. L’instinct salutaire des grandes masses juives et de l’intelligentsia juive pousse le Juif vers l’authenticité, vers un théâtre non falsifié et en effet en yiddish. L’échec de la version anglaise de « Yoshe Kalb » à New-York n’est-il pas éloquent à ce titre ? À la même heure, « Yoshe Kalb » en yiddish – en Amérique, où l’on tient une plume sous le nez pour cette langue – y a été joué des centaines de fois et continuera d’y être joué, alors que la version anglaise n’a même pas tenu trois représentations !69

24La raison majeure de cette « intraduisibilité » du yiddish – déjà constatée par Kafka lorsqu’il déclarait : « on ne peut pas, en effet, traduire le yiddish en allemand… par la traduction en allemand, il est anéanti70 » – prouve, selon Harshav, son ancrage sémiotique dans la « mythologie » du folklore yiddish : attaché au monde imaginaire du shtetl et projeté dans la fiction par les fondateurs de la littérature yiddish moderne, celui-ci est réabsorbé par la conscience communautaire71. Cet « espace » proverbial, ce locus collectif fait d’entrelacs sociaux et idéologiques exclut, par son unicité et sa différence, toute transposition « extérieure ». Microcosme de la vie juive, l’iconographie « linguistique » des Kasrilevke, des Vitebsk ou des Vovsi72 est devenue autonome.

L’esprit yiddish : entre imaginaire et révélation

C’est parce que les souvenirs des anciennes demeures sont revécus comme des rêveries, que les demeures du passé sont en nous impérissables. Gaston Bachelard

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[fig. 2] Do-ho Suh, “Home within Home

© National Museum of Modern and Contemporary Art, Korea.

25Cette installation monumentale de l’artiste sud-coréen Do-ho Suh (1962-), exhibée au Musée de Voorlinden (Pays-Bas) pendant l’automne 2019 [fig. 2], visualise remarquablement la métaphore ethnoscénologique d’« incarnation de l’imaginaire » : emboîtant l’une dans l’autre, la maison de son enfance coréenne et son premier lieu de vie aux États-Unis, l’artiste plasticien, s’inspirant de son nomadisme – né en Corée, il a vécu à Londres, à Berlin, puis à New-York –, surnomme ses répliques des « maisons-valises ». À ces souvenirs transportables avec soi de lieu en lieu correspond le « corps-valise » de l’imaginaire, incarnant le passé dans le présent.

26En effet, « l’esprit » envisagé ici sous un angle ethnologique, s’identifie à une vision du monde, à un imaginaire, – individuel et collectif –, basés sur le partage d’une ascendance, d’une mémoire, d’un patrimoine culturel, d’un lieu d’ancrage et, comme nous venons de le voir plus haut, d’une langue.

27Le théâtre juif, et en l’occurrence yiddish, est un théâtre à caractère primordialement communautaire, dans la mesure où – qu’il s’agisse de pièces artistiques ou populaires – elles sont écrites avant tout par et pour la communauté, avec, selon les genres abordés, une emphase plus ou moins grande sur l’héritage mémoriel et les traditions partagées : les thèmes sont juifs, tout comme les personnages, les lieux, les situations. Qu’il soit mis au pilori et caricaturé, ou au contraire révéré et glorifié, le passé – la mémoire – communautaire reste la base de l’édifice culturel et œuvre comme un rituel partagé. En outre, l’importance des rôles secondaires, considérés aussi essentiels que les rôles principaux, comme dans le théâtre synthétique du GOSET, par exemple, signale cette même « fièvre collective théâtrale dominée et organisée73 », explicable par une volonté de refléter la culture égalitaire du shtetl et le caractère non hiérarchique du culte juif lui-même.

28Au niveau individuel, la face intérieure de la yiddishkeyt se concentre sur la poursuite de la « vérité » en phase avec l’« essence » d’un personnage. Il suffit de comprendre le travail préparatoire d’acteurs professionnels comme Mikhoëls pour se rendre compte de la passion et du dévouement mis en œuvre pour atteindre l’« incarnation » parfaite – lire « véridique ». La contribution spécifique des Juifs à la culture, selon le dramaturge et critique allemand, Julius Bab74, est dans l’interprétation, la critique et la médiation. Arrêtons-nous à la première de ces qualifications : pourquoi précisément l’interprétation, que Jousse identifiait comme « la survie du créateur75 » ? Poussé par un « désir d’enrichissement du spectateur grâce à la singularité des idées de l’artiste », Mikhoëls, « créateur » sans pareil, puise dans « la force de l’imagination et du geste » : selon ses propres dires, sa vocation et son métier résident dans le dévoilement de l’imaginaire, il porte son art comme une prière, l’unicité de chaque écoute recelant le « secret du texte76 ». Son but est d’élargir « la vision de la tradition juive à l’être humain en général et à l’acteur en particulier », note la chercheure canadienne Sonia Sarah Lipsyc. Ainsi l’art n’est ni l’imitation, ni le reflet, mais le dévoilement – la révélation – de la réalité en même temps que la « libération imaginative cachée dans la réalité77 ». Passeur ou interprète des âmes, l’acteur développe la dialectique du corps et de l’esprit à travers des figures scéniques étroitement liées au monde conceptuel et au geste. Cette recherche d’authenticité acquise au bout d’un long chemin difficile n’est pas sans rappeler qu’au faîte de la joie, dans la tradition juive, se fait toujours entendre le deuil du Temple détruit : c’est pourquoi la jeune mariée ne se maquille pas la seconde paupière et que, sous le dais nuptial, l’époux casse un verre78

Le corps juif : mais qu’y a-t-il donc dans ces yeux, dans ces mains ?

It is something inside the individual that makes him a Jew, something infinitesimally small yet immeasurably large, his most impenetrable secret, yet evident in every gesture and every word – especially in the most spontaneous of them. Franz Rosenzweig79

29Quant aux manifestations extérieures de la yiddishkeyt – l’esprit yiddish « incarné » –, le « corps juif » porté sur scène reflète à la fois l’image du Juif vu par lui-même (résultant de l’examen de soi) et par l’Autre (résultant de l’examen de soi tel que reflété par les autres). Si cette construction – ou déconstruction – « culturelle » de l’identité yiddish peut être conflictuelle, teintée d’humour ou poignante, elle signale une tension créative, une différence.

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[fig. 3] Benjamin Zuskin dans le rôle du marieur dans Dos groyse gevins (Le gros lot) de Sholem Aleichem

© Chagall and the Artists of the Russian Jewish Theater, New Haven and London, Yale University Press, p. 143.

30La théâtralisation de l’identité juive vue « de l’intérieur » n’échappe pas forcément à l’autodérision. Indépendamment d’éventuelles caractéristiques somatiques « données », parfois volontairement accentuées sur scène, comme le nez postiche d’un des personnages [fig. 3], ou son appartenance sociale – son métier par exemple – ces stratégies performatives parfois provocatrices passent aussi par « l’utilisation émotionnelle de l’éclairage et des couleurs, les maquillages outrés déformant les traits du visage pour les rendre plus expressifs, le jeu des acteurs, leur gestuelle précise, rythmique, stylisée, la parole modulée ou criée80. » Au-delà de la mise en scène, et à travers la « justesse des gestes81 » apparaît alors le caractère hautement performatif, voire « viscéral » de ce théâtre, ouvrant le corps des acteurs jusqu’à faire découvrir « leur moelle et leur sang82 ».

31Cette incarnation s’enrichit par ailleurs d’un certain « orientalisme » lié au caractère juif, notamment sa proverbiale chutzpah – vivacité, verve, expressivité – poussée jusqu’à l’extrême, où la communication par les yeux et les mains domine. Si, effectivement, le visage est le miroir de l’âme et que les yeux en sont les interprètes83, les mains juives – « mains de parole »84 incontournables – accompagnent la vie de tous les jours, qu’elle soit religieuse, domestique ou sociale. Telle la khamsa85 porte-bonheur portée autour du cou, le yad86 glissant sur les pages de la Torah ou les mains bénissantes des Cohanim [fig. 4], signifiant « longue vie et prospérité », les mains associées au chiffre cinq – les livres du Pentateuque – sont liées symboliquement à la religion par des règles de pureté et par leur position d’intermédiaires privilégiés entre l’humain et le divin. Se manifestant par ailleurs abondamment dans l’échange social comme dans la performativité théâtrale, elles s’imposent comme l’un des éléments-clé de la singularité juive.

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[fig. 4] Yah Shepherd, « Médite à Sion sur la “Puissance” de la Main

Publié en ligne le 13.3.2011.

32Le corps juif aurait-il « l’exclusivité » sur l’expression de l’esprit juif, comme le suggérait un critique anversois, juif lui aussi, qui parlait de « ce ton typiquement juif que personne ne peut imiter »87 ? Le « sang » – la matérialité de la performance –, prendrait-il le pas sur l’énonciation ? Autant de questions qui orientent le débat vers l’unicité ethnique qui, a contrario d’un universalisme anthropologique, réclame – au même titre que d’autres théâtres minoritaires comme le , le xìqǔ ou le kathakali, entre autres –, la singularité de ses minorités. Si du point de vue de l’acteur il s’agit de « trouver la vérité », c’est la vraisemblance du personnage qu’il met en jeu, et partant, sa crédibilité. Dans ce processus, le théâtre n’est pas l’apanage du seul acteur : la performance de l’ethnicité évoquée inclut le public « juge », avide de connaître ou de se reconnaître. De ce jeu joué à deux, de la « justesse des gestes88 » dont parlait Jousse, émane la « vérité » de l’âme yiddish.

33Prenons l’exemple de Shylock, un des parangons les plus emblématiques du « Juif de théâtre » : faudrait-il être juif pour interpréter ce personnage de manière « vraie » ou « authentique » ? La réponse mérite un bref détour par l’histoire, et en particulier celle du théâtre, qui, depuis l’Antiquité, s’est plu à divulguer une image stéréotypée du « Juif » et a joué un rôle majeur dans la propagation de l’antijudaïsme et plus tard de l’antisémitisme. L’universitaire Chantal Meyer-Plantureux donne écho aux manifestations de ce dernier en France entre 1880 et 1930, un sujet resté très discret, sinon tabou dans l’histoire du théâtre national89. D’après l’auteure, près d’un tiers des pièces de théâtre de l’époque contenaient (au moins) un personnage de Juif, faisant de la scène une véritable caisse de résonance de la « question juive », un thème très prisé puisqu’il laissait libre cours à l’antisémitisme verbal dans lequel le « type Juif » devenait une caricature ethnique, voire raciale. Le journaliste Paul Gsell n’écrivait-il pas : « [n]ous stylisons aussi. C’est à dire que nous transformons en types les rôles qui réclament cet agrandissement. Shylock, par exemple, n’est pas seulement un Juif, c’est le Juif. Il faut, en le jouant, le généraliser, et en faire une statue ethnique.90 »

34À tel point que certains acteurs, comme Firmin Gémier [figs. 5 et 6], allaient même jusqu’à faire des rôles de Juif leur « spécialité » histrionique : son Shylock, doublé des attributs et de la mimique caricaturaux – l’inévitable nez crochu, la perruque rousse, la barbe à deux pointes, le vêtement distinctif, le regard fuyant, la lippe avancée – aura été un triomphe, repris tout au long de sa carrière.

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[figs. 5 et 6] Gémier dans le rôle de Shylock, Théâtre Antoine, Paris, 1919

Dans « Un grand artiste : M. Firmin Gémier », Comoedia Illustré, 7e année, n°1, 5.11.1919, p. 16.

35Si la presse parisienne (non-juive) reçut ces représentations sans sourciller, saluant au passage « le génie actif et optimiste »91 de Gémier, les journalistes juifs tels que Montrose Moses, qui avait assisté à une représentation du Marchand de Venise pour le compte de la revue américaine Outlook, jugeait la pièce « brutale, antipathique – frôlant parfois la farce »92.

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[fig. 7] Alexander Granach dans le rôle de Shylock (Schauspielhaus – Munich, 1920)

Dans Catalogue © Alexander Granach und das Yiddishe Theater des Ostens, Berlin, Akademie der Kunste, 18.4-16.5.1971, p. 92.

36Contrairement à leurs homologues gentilés, de nombreux acteurs juifs possédaient une disposition naturelle à « habiter » leur rôle, comme Alexandre Granach [fig. 7] du Schauspielhaus munichois, ne nécessitant guère d’accessoires corporels voire vestimentaires pour l’incarnation d’un personnage : c’est sous un angle « arrondi », loin des caricatures et des poncifs antisémites de l’époque, qu’il tente, par une approche « identitaire », de présenter un portrait plus « objectif », sinon plus authentique du personnage honni, mettant en évidence son caractère noble et tragique, voire héroïque, nettoyé de tout aspect péjoratif ou déshonorant. Son Shylock à lui n’est pas une représentation de la complexité du « problème » juif au sein d’une société hostile, mais l’incorporation de l’Altérité juive : transformé en figure de la mémoire culturelle, l’usurier démonisé symbolise « la véhémence éthique du personnage et de la pièce, l’éruption volcanique et le cri désespéré inarticulé, né du besoin frustré de se faire comprendre. »93

37C’est ainsi que le caractère politique plutôt qu’artistique du théâtre « enjuivé », faisant disparaître « l’authenticité » au profit d’une « composition » fabriquée, investit « l’antisémitisme en tant que théâtralisation de la mauvaise conscience d’une société qui n’a plus que faire de la mauvaise conscience »94, rappelant Marlowe qui disait que si la société n’avait pas eu de « Juif », il aurait fallu l’inventer… « Dès qu’existe la conscience du regarder, dans la vie ou sur scène, l’absorption cède le pas à la théâtralité95 », assure Postlewait, celle-ci résultant dès lors du « sacrifice de l’illusion dramatique » : jeu « partisan », naturel et habité de Granach contre jeu « symbolique », théâtral et grotesque de Gémier. De cette « comparution »96, de ce jeu joué avec le public émane alors la « vérité » subjective – théâtralement authentique ou authentiquement théâtrale – recherchée par chacun suivant sa pespective.

Pour conclure : yiddishkeyt, théâtralité et altérité

Les Juifs sont à la fois du coin où ils sont, et en même temps ils sont différents. Albert Memmi97

38Qu’il soit bouc émissaire ou personnage habité, le Juif brille par son altérité, qu’il cultive sciemment et avec délectation. Inviolable et pérenne, sa « statue ethnique » s’élève au-dessus des préjugés, des mensonges, des persécutions : elle est son essence, son secret, son jeu millénaire. Marqueur de frontières, cette « différence » puise dans la théâtralisation de son identité « autre » et unique, à l’encontre d’une interculturalité réclamée par le colonialisme culturel invoqué par certains. C’est la spécificité ethnique et le pouvoir de la mémoire « instinctive et vitale » – cette « capacité morale permettant aux Juifs d’affronter le présent et l’avenir », qui les a « en dernier recours, toujours sauvé de l’anéantissement »98.

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Notes

1 Joseph Roth, Juifs en errance. L’Antéchrist, Paris, Seuil, 1986, p. 11-12. Titre original : Juden auf Wanderschaft, Cologne, Verlag Kiepenhauer & Witsch, 1976-1977.

2 Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 19.

3 Mouvement de pensée juif des 18e et 19e siècles, fortement influencé par le mouvement des Lumières, marquant les prémices de la modernisation des Juifs.

4 J. Pichon, « Théâtre juif », L’illustration, p. 608-609.

5 A. Finkielkraut, Op. cit., p. 16.

6 L’inconscient, selon une formule du philosophe Henri Bergson.

7 A. Finkielkraut, Op. cit, p. 27.

8 Ibidem, p. 119-120.

9 « Tu ne feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre », Exode 20, 1-17.

10 Werner Sollors, Beyond Ethnicity: Consent and Descent in American Culture, New York, Oxford University Press, 1986.

11 Henry Bial, Acting Jewish. Negotiating Ethnicity on the American Stage and Screen, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2008, p. 3.

12 Entre 1880 et 1940, près de 3.5 millions de Juifs originaires du Yiddishland (nom alternatif pour la vaste Zone de Résistance de l’empire russe et austro-hongrois où les Juifs étaient confinés par le pouvoir impérial jusqu’en 1917), toutes classes confondues, chassés par les pogroms successifs, par les vagues d’antisémitisme ou par les conditions de vie déplorables, vont chercher des jours meilleurs à l’Ouest.

13 Sonia Sarah Lipsyc, Solomon Mikhoëls ou le testament d’un acteur juif, Paris, Cerf, 2002, p. 241.

14 Le terme « yiddish » signifie « juif » ; « yiddishkeyt » (יידישקייט) ou yiddishisme se réfère à la « judéité juive » (Jewishness) des juifs ashkénazes yiddishophones de l’Europe centrale et orientale.

15 Jeffrey Shandler, « Enacting Ethnicity: Yiddishkeit Masked and Unmasked on the Contemporary American Stage », Jewish Social studies, vol. 23, n° 2, Winter 2018, p. 18.

16 Cette « polyphonie informationnelle » place à côté du texte à dire, une somme de langages non-verbaux liés à la représentation : le jeu de l’acteur (ton, gestuelle), l’aspect du personnage (maquillage ou masque, coiffure, costume, accessoires), l’aspect du lieu scénique (décors, lumières) et l’environnement sonore (musique, bruitages). Roland Barthes, « Littérature et signification », Essais critiques, Paris, Seuil/Points, 1981 (1963), p. 258).

17 Anne Ubersfeld, Lire le théâtre II. L’école du Spectateur, Paris, Éditions Belin, 1996, p. 49.

18 Ernst Toller, Joseph Roth, Alfons Goldschmidt, Das Moskauer Jüdische Akademische Theater, Berlin, Verlag Die Schmiede, 1928, p. 12. Commentaire basé sur une représentation de la pièce « 200.000 » de Sholem Aleichem par le théâtre GOSET à Moscou en 1926.

19 Le shtetl (שטעטל – pl. שטעטלעך), dérivé de l’allemand Städtl, est une petite ville ou bourgade de la Zone de Résidence, datant de la fin du Moyen-Âge, dont la population est majoritairement juive et qui vit en quasi autarcie.

20 Ernst Toller, Joseph Roth, Alfons Goldschmidt, Op. cit., p. 12.

21 Extrait d’une critique de la même pièce dans Di Yidishe Tsaytung/Le Journal Juif/De Joodsche Gazet, 24.08.1928, p. 5.

22 Idem, H. Tsvir, Di Yidishe Prese, 10.08.1928, p. 6-7.

23 Idem, (S.n.), Di Yidishe Prese, 24.08.1928, p. 2.

24 Cité par Peter Benoy, Jaak van Schoor, Historische avantgarde en het theater in het interbellum, Brussel, ASP, 2011, p. 91.

25 Allusion à la pièce Dos groyse gevins (Le gros lot) de Sholem Aleykhem où le personnage principal est un pauvre tailleur juif russe ayant gagné le gros lot de 200.000 roubles. Fier de sa nouvelle richesse, il se comporte en « bourgeois gentilhomme » envers son entourage qui, initialement dédaigneux, le courtise et le complimente.

26 J. Roth, Das Moskauer Jüdishe Akadamische Theater, Op. cit., p. 13.

27 Albert Memmi, Le Juif et l’autre, Paris, Editions Christian de Bartillat, 1995, p. 7.

28 A.D., Le Soir, 07.08.1928, p. 3. [C’est nous qui soulignons].

29 Camille Poupeye, Journal des Théâtres, n°103, 24.08.1928, p. 1-2. [C’est nous qui soulignons]. Metteur en scène russe à la tête du Théâtre Académique de Moscou (le GOSET se produisant en yiddish), Alexis Granovsky (1890-1937) acquiert une réputation internationale pour ses scénographies modernistes, influencées par celles de son mentor Max Reinhardt.

30 P. Demasy, « Théâtres à Paris. Théâtre juif », Le Soir, 14.7.1935. [C’est nous qui surlignons]

31 Solomon Mikhoëls (1890-1948) fut l’un des plus grands acteurs juifs d’Union soviétique, attaché au théâtre yiddish GOSET de Moscou. Victime du régime stalinien, il sera assassiné sur ordre du dictateur, le crime étant masqué comme accident de voiture.

32 Yair Lipshitz, Theatre and Judaism, MacMillan International/Red Globe Press, London, 2019.

33 Exode 20-4 (Les dix Commandements) : « Tu ne feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le Seigneur, ton Dieu, un Dieu jaloux » ; Deutéronome, 22-5 (Prescriptions diverses) : « Une femme ne portera pas de vêtements d’homme ; un homme ne s’habillera pas avec un manteau de femme, car quiconque agit ainsi est une abomination pour le seigneur ton Dieu ».

34 Selon le Talmud, le théâtre est un lieu d’idolâtrie, de moqueurs et une perte de temps, détournant le juif de l’étude.

35 Lumières juives (hébreu : השכלה) : mouvement de pensée juif des 18e et 19e siècles, initié par les Juifs allemands et influencé par le mouvement des Lumières, marquant les prémices de la modernisation et de la sécularisation des Juifs.

36 Y. Lipshitz passe sous silence l’Exagoguè, le récit de l’Exode (écrit en grec et dont on n’a retrouvé que des fragments) par Ezéchiel le Tragique d’Alexandrie, un dramaturge juif du 3e siècle a.v. J.C.

37 Rituel juif propre à la fête de Pessah (Pâques) comportant une procédure hautement symbolique en quinze étapes, prescrite dans la Haggada (récit de la sortie des Hébreux d’Egypte).

38 Terme alternatif pour la Torah.

39 Marcel Jousse, Anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1974, p. 21.

40 Cité par Jean-Marie Pradier, « Vous avez dit ethnoscénologie ? », dans L’Ethnographie, n°2, 2020.

41 Isabelle Starkier, « Judaïsme et représentation : pour un théâtre juif », thèse s.l.d. de M. Michel Corvin, Sorbonne Nouvelle Paris III-Censier, 1992.

42 Richard Schechner, Performance Theory, London, Routlegde, 1988, cité par Henry Bial, Op. cit., p 7.

43 Loi juive : prescriptions, coutumes et traditions (hébreu : הלכה).

44 H. Bial, Op. cit., p. 15.

45 S. S. Lipsyc, Op. cit., p. 143.

46 Y. Lipshitz parle de « performance of the exegesis », lui donnant une dimension narrative et corporelle (Op. cit., p. 37).

47 Solomon Mikhoëls, Articles, causeries, discours, Buenos Aires, Heimland, 1961 (cité par S.S. Lipsyc, Op. cit., p. 237).

48 « L’artiste a droit à sa propre démarche … l’art n’est pas le reflet de la réalité, c’est le dévoilement de la réalité en même temps que la libération de l’énergie imaginative cachée dans la réalité. » Extrait de Solomon Mikhoëls, Articles, causeries, discours, cité par S. S. Lipsyc, Op. cit., p. 245-246.

49 S.S. Lipsyc, Op. cit., p. 250.

50 Franz Kafka, Journal, Paris, Grasset, 1954, p. 100.

51 Rachel Ertel, Brasier de mots, Paris, Liana Levi, 2003.

52 Jean-Marie Pradier, « L’ethnoscénologie : vers une scénologie générale », L’Annuaire théâtral, n°29, 2001, p. 2.

53 « La langue est le centre de toute discussion sur l’identité », Anselm L. Strauss, Op. cit., p. 17.

54 Cité par Régine Robin, L’amour du yiddish, Paris, Éditions du Sorbier, 1984, p. 11.

55 En 1939, à la veille de la 2e guerre mondiale, les juifs ashkénazes représentaient plus de 95% du judaïsme mondial, soit environ 15 millions personnes.

56 Benjamin Harshav, The Meaning of Yiddish, Stanford, Stanford University Press, 1999, p. xiii.

57 Joshua A. Fishman, « États du Yiddish : les différents types de reconnaissance, gouvernementale ou non gouvernementale », Droit et Cultures, n° 63, 2013.

58 L’hébreu est considéré comme la langue sacrée de la religion, la langue originelle des Juifs à l’encontre du yiddish, né au 10e siècle et pratiqué avant tout comme langue orale vernaculaire.

59 Juifs de la diaspora (גלות, galuth en hébreu). Terme souvent à connotation péjorative du Juif errant aliéné et sans racines.

60 Jacques Mandelbaum, « Le yiddish, un idiome aux semelles de vent », Le Monde, 11.3.2020, p. 12.

61 Franz Kafka, Op. cit., 24.10.1911, p. 99.

62 « Wenn sie aber einmal Jargon ergriffen hat - und Jargon ist alles. Wort, chassidische Musik und das Wesen dieses Ostjüdischen Schauspielers selbst -, dann werden sie ihre frühere Ruhe nicht mehr wiederkennen. Dann werden sie die wahre Einheit des Jargons zu spüren bekommen, so stark, dass sie sich fürchten werden, aber nicht mehr vor dem Jargon, sondern vor sich », « Rede über die jiddische Sprache », 18.2.1912, Max Kohn, « Franz Kafka : Écoutez le Yiddish », Figures de la psychanalyse, 2007.2, n°16, p. 199.

63 W. Benjamin (1955), « Franz Kafka », Essais 1. 1922-1934, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, préface de Maurice de Gandillac, Paris, Bibliothèque Médiations, publiée sous la direction de Jean-Louis Ferrier, Denoël/Gonthier, 1983, p. 181-208. (Cité par Max Kohn, Op. cit.).

64 Pour Freud, l’angoisse est en relation avec l’attente, elle est angoisse de quelque chose, elle a pour caractères inhérents l’indétermination et l’absence d’objet. Lorsqu’elle a trouvé son objet, on parle de peur. Max Kohn, Op. cit., p. 192-203.

65 Dans son livre The Meaning of Yiddish, Benjamin Harshav note : « The expression mameloshn (“mama-language” is a typical Yiddish compound of Slavic and Hebrew roots, connoting the warmth of the Jewish family, as symbolized by mama and her language, embracing and counteracting the father’s awesome, learned Holy tongue » loshn koydesh, Op. cit, p. 3-4.

66 Gérard Frydman, « Le théâtre yiddish à Paris (1889-1983) », dans La collection Gérard Frydman, BnF, p. ii. Gérard Jerachmiel Frydman est né à Varsovie en 1925 dans une famille juive traditionnelle. Il émigre avec sa mère à Paris en 1937 où il continue à vivre dans la culture et la langue yiddish tout en s’intégrant à la société française. Après la guerre, il rejoint le PYAT comme acteur jusqu’en 1983, deux ans avant sa mort. Son important travail de documentation au sujet du théâtre yiddish est conservé à la BnF (Richelieu) sous la désignation de « Fonds Gérard Frydman ».

67 S.n., « Di nekhome funem yidishn teater », Literarishe bleter (Varsovie), n°8, 23.02.1934, p. 115-116.

68 Théâtre juif de Varsovie.

69 S.n., « Di nekhome funem yidishn teater », Literarishe bleter (Varsovie), n°8, 23.02.1934, p. 115-116.

70 « Man kann nämlich Jargon nicht in die deutsche Sprache übersetzen… durch Uebersetzung ins Deutsche wird es vernichtet ». Max Kohn, Op. cit., p. 198.

71 B. Harshav, Op. cit., p. 94.

72 Lieux de naissance de Scholem Aleichem, de Marc Chagall et de Solomon Mikhoëls.

73 Béatrice Picon-Vallin, Le théâtre juif soviétique pendant les Années vingt, Lausanne, La Cité-L’Age d’Homme, 1973.

74 Julius Bab, « Assimilation », Die Freistaat, p. 172-176. Cité par Steve Aschheim, Op. cit., p. 118.

75 M. Jousse, Op. cit., p. 30.

76 S. S. Lipsyc, Op. cit., p. 241.

77 Ibidem, p. 246.

78 Ibidem, p. 245.

79 Nahum Glatzer, Franz Rozenzweig; His Life and Thought, New York,1962, p. 216.

80 B. Picon-Vallin, Op. cit., p. 115.

81 M. Jousse, Op. cit., p. 18.

82 De Volksgazet, 9.8.1928, p. 4. Journal socialiste anversois fondé en 1914 par Camille Huysmans (1871-1968), bourgmestre d’Anvers, puis Premier ministre.

83 Cicéron, Orator, (18,60) : « Nam ut imago est animi voltus sic indices oculi ».

84 B. Almosnino, « Main de parole. L’usage des mains dans la tradition sépharade », Horizons Maghrébins – Le droit à la mémoire, n° 48, 2003, p. 62-66.

85 Amulette en forme de main, appelée aussi « main de Myriam » en référence à la sœur de Moïse et d’Aaron.

86 « Main » en hébreu (יד) : pointeur de lecture à usage liturgique, conçu pour suivre le texte lors de la lecture de la Torah.

87 S.n., Di Yidishe Prese, 24.08.1928, p. 2 et 7. [C’est nous qui surlignons].

88 M. Jousse, Op. cit. p. 18.

89 Chantal Meyer-Plantureux, Les enfants de Shylock ou l’antisémitisme sur scène, Bruxelles, Éditions Complexe, 2005.

90 « Un rôle : Shylock », dans Gémier, entretiens réunis par Paul Gsell, Paris, Grasset, 1925, cité par Chantal Meyer-Plantureux, Op. cit., p. 164.

91 « Un grand artiste : M. Firmin Gémier », Op. cit., p. 16.

92 R. Pentzell, « Firmin Gémier and Shakespeare for everybody”, The Tulane Drama Review, vol. 11, n°4, Summer 1967, p. 113-124.

93 Z. Ackerman et S. Schülting, Precarious Figurations : Shylock on the German Stage, 1920-2010, Berlin-Boston, De Gruyter, 2019.

94 B. Sobel, Le Monde, 25.2.1976, cité par Chantal Meyer-Plantureux, Op. cit., p. 64.

95 T. Postlewait citant Michael Fried, Op. cit., p. 20.

96 Christian Biet et Christophe Triau, « La comparution théâtrale. Pour une définition esthétique et politique de la séance », Tangence, n°88, automne 2008, p. 42.

97 A. Memmi, Op. cit., p. 69.

98 M. Halter, Le judaïsme raconté à mes filleuls, Paris, Robert Laffont, 1999, p. 114.

Pour citer cet article

Michèle Fornhoff-Levitt, « Juif et théâtre », L'ethnographie, 3-4 | 2020, mis en ligne le 26 octobre 2020, consulté le 26 avril 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=635

Michèle Fornhoff-Levitt

Michèle Fornhoff-Levitt est doctorante en Études Théâtrales et licenciée en philologie romane, journalisme et musicologie de l’Université libre de Bruxelles. Sa thèse, programmée pour 2022 et effectuée en cotutelle entre l’ULB (Arts du spectacle) et Sorbonne Université (Faculté des Lettres), étudie, sous un angle ethnoscénologique, le nomadisme transnational et diasporique de l’identité juive – la yiddishkeyt – projetée par la circulation occidentale du théâtre yiddish de l’entre-deux-guerres. Mail : michele.fornhoff@ulb.ac.be