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L'Ethnographie

À l’ombre des éléphants (Erika et Bernard Thomas, 2022) : Un film documentaire et quelques mots de contextualisation1

In the Shadows of the Elephants (Erika and Bernard Thomas, 2022) A documentary film and a few words of contextualization

Erika Thomas

Septembre 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.1438

Résumés

Un voyage en Afrique et une lettre à Romain Gary, auteur des Racines du Ciel, premier roman écologique passionné par la sauvegarde des éléphants. Plus de quarante ans après la lecture de l’ouvrage, des mots se délient. « Quand vous n’en pouvez plus, faites comme moi : pensez à des troupeaux d’éléphants en liberté en train de courir à travers l’Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste (…) La liberté quoi! »

A journey to Africa and a letter to Romain Gary, author of Les Racines du Ciel, the first ecological novel, passionate about saving elephants. More than forty years after reading the book, the words come out. "When you cant take it anymore, do what I do: think of herds of elephants running free across Africa, hundreds and hundreds of magnificent beasts to whom nothing resists (...) Freedom!"

Texte intégral

Film2 :
Lien Youtube :
https://youtu.be/7w6PqJHu7NU

Version sous-titrée en anglais : https://vimeo.com/702361218

1Ce documentaire – d’un genre hybride entre animalier et épistolaire – est le récit d’un voyage effectué en 2022 à la rencontre des éléphants et à travers les grands espaces africains au cœur desquels résonne la voix de Romain Gary : « Quand vous n’en pouvez plus, faites comme moi : pensez à des troupeaux d’éléphants en liberté en train de courir à travers l’Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste (…) La liberté quoi ! » Dans cette Afrique, parfois fantomatique, il arrive au voyage de se confondre avec un parcours initiatique. Botswana, Kenya. Zambie, Zimbabwe racontent alors le désir d’une plus grande conscience écologique. Depuis 2017 nous avons effectué – à l’occasion de colloques internationaux, de rencontres universitaires, de festivals, de réunions culturelles ou de vacances – huit voyages en Afrique. Nous nous apprêtions, pour ce documentaire à partir au Kenya pour un neuvième départ en Afrique. C’est peu dire que le continent africain ne cesse de nous attirer à lui à travers tant de ses pays : au Rwanda nous sommes partis, dans le cadre d’un programme de préservation animale, sur la piste des Gorilles ; en Tanzanie nous avons rencontré Martin Mhando, directeur du Zanzibar International Film Festival, en Afrique du Sud nous avons présenté un séminaire à l’université du Cap. Au Bénin – où nous trouvions pour présenter notre film Candomblé, l’héritage africain (2018) – nous avons réalisé un court métrage sélectionné au Festival Après Varan mention Sur les Traces de Jean Rouch, sélectionné au 37e Festival Vues d’Afrique. Au cours de tous ces voyages nous avons accumulé des centaines de photos et de nombreuses heures de rushes.

2Nous avons voulu mêler des images que nous avions tourné en Afrique Australe à celles rapportées du Kenya pour réaliser un documentaire prenant la forme d’une longue lettre écrite à l’auteur des Racines du Ciel.

Les racines du ciel de Romain Gary et la reprise de la chasse en Afrique

3En avril 2021 le Zimbabwe a annoncé la vente de cinq cents permis de chasse pour tuer des éléphants. Avant ce pays, le Botswana avait, lui aussi, autorisé une reprise de la chasse en vendant deux-cent quatre-vingt-sept permis de tuer. Une nouvelle manne financière pour ces pays. En lisant les articles évoquant ces tristes nouvelles nous remarquions que les arguments avancés étaient les mêmes que ceux dénoncés par Romain Gary dans Les racines du ciel : la population d’éléphants se multiplierait et mettrait les populations humaines en danger. Pourtant force est de constater que leur territoire ne cesse de se rétrécir et que leurs rôles dans l’écosystème est majeur. Est-il encore nécessaire aujourd’hui de rappeler que les éléphants sont présents dans la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature des animaux en danger d’extinction ?

4Le malaise ressenti à la lecture des articles nous donna envie de relire Romain Gary et de voir dans son texte un appel brulant lancé au présent. Nos différentes recherches sur Internet concernant les programmes de protection des éléphants nous a conduit à découvrir le Sheldrick Wildlife Trust et ses campagnes de parrainages et d’offres d’adoption d’éléphanteaux sauvés de la mort à la suite de la perte de leurs mères, victimes de braconnages et de conflits divers.

L’adoption de Kinyei, un éléphanteau

5Le 12 avril 2021, nous avons alors adopté un éléphanteau de deux ans, Kinyei dont la mère avait été abattue. Au moment de son sauvetage Kinyei errait dans le bush – cet arrière-pays de la savane - non loin d’un groupe de lions. L’adoption nous permettait de suivre de près son développement par mails et vidéos. Recevoir chaque mois des nouvelles de notre éléphanteau, le sentir joyeux dans la nursery de Nairobi avec ses autres petits camarades, nous réjouissait au plus haut point ! En contact avec Ithumba Camp – camp en lien avec l’unité dans laquelle les éléphants plus grands se trouvaient avant un nouveau départ pour la vie sauvage – nous nous sommes décidés à partir à la rencontre de Kinyei, des autres éléphanteaux et des éléphants d’Ithumba Camp. L’agence française Étendues Sauvages dont la philosophie basée sur la passion et le respect de la nature, était une des agences (peu nombreuses) à proposer un voyage au Kenya comprenant des nuits à Ithumba Camp. Le contact fut pris. Et, intéressés par notre projet de film, l’agence devient un de nos partenaires et soutien financier du documentaire. Les Fonds Fédératifs, l’Université Catholique de Lille ainsi que l’événement culturelle Lille3000 s’associeraient également à l’existence, la production ou la diffusion du film. Notre amour pour les éléphants a déterminé le désir de film. Grâce à ce voyage avec Étendues Sauvages et le Sheldrick Wildlife Trust nous savions que nous pourrions les approcher et les regarder vivre. Il ne s’agirait pas d’un safari photo où on s’amuse à compter les animaux – les fameux Big Fives – que l’on a aperçu de sa jeep au toit ouvrant. Il s’agissait pour nous d’autre chose. Tout autre chose. Nous voulions nous mettre dans la peau de Morel et de Minna, les personnages de Romain Gary et nous livrer à notre besoin d’être avec éléphants, de dire notre affection pour eux et de faire quelque chose de concret pour leur sauvegarde. Dans le cadre du projet de film nous voulions inviter ceux qui regarderaient nos images à être à nos côtés, les associer également à la contemplation de la nature. La nature, cet objet qui occupe nos esprits de façon récurrente dernièrement. Pourtant l’objet n’est pas nouveau : depuis les années soixante-dix3 les liens entre éthique et environnement produisent de nombreuses considérations scientifiques et citoyennes. À travers le documentaire, nous souhaitions mettre en exergue les « valeurs » de la nature4 et notamment l’idée que les animaux ont une valeur ontologique et de ce fait nous ne pouvons chercher sans cesse à les dominer et à les soumettre à notre service. Regardons-les. Regardons-les dans cette nature qui est leur écosystème et respectons-les. Toute vie est fragile. En son début, le documentaire contient une vague allusion à une inquiétude qui me traverse depuis maintenant quelques années : « maintenant que mon temps me semble compté ». Peut-être faut-il avoir une aigue conscience de sa propre finitude pour trouver dans l’éblouissement de toute vitalité – quel que soit sa forme – matière à se réjouir.

Bibliographie

Bibliographie

GARY Romain, Les racines du ciel, Paris, Gallimard, Paris 1956.

HANS Jonas, Le Principe de Responsabilité, Paris, Cerf 1979.

HESS Gérald, Éthique de la nature, Paris, PUF, 2013.

LABOURET Denis, « Les Racines du ciel, roman écologique ? L’Afrique sensible de Romain Gary » in Littératures n° 89, p. 93-104, 2024.

SERRES Michel, Le contrat Naturel, Paris, Flammarion, 1990.

Notes

1 Ce film fait partie d’une trilogie -Afrique, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Laponie - regroupée sous le titre L’Appel de l’Ailleurs et est également disponible en DVD et VOD aux éditions L’Harmattan Video 2024.

2 Distinctions obtenues : Prix du meilleur documentaire Luis Bunuel Memorial Awards (LBMA), mai 2022 ; Prix de la Meilleure Réalisation de Film au FestiFIS Festival International des Films identitaires et Solidaires du Bénin, mai 2022 ; Prix du Best Nature Film au New York International Film Awards, mai 2022 ; Prix du Meilleur Court Métrage Documentaire au Istanbul Film Festival, juin 2022 ; Prix Best Nature/Travel Film, New York Cinematography Awards (NYCA) 2022 ; Sélection officielle Third Literature in Cinema, décembre 2022 ; Finaliste New York City IO Film Festival, janvier 2023 ; Sélection Officielle 40e Festival Vues dAfrique Montréal, Québec, Avril 2024.

3 Voir par exemple HANS Jonas, Le Principe de Responsabilité, Paris, Cerf 1979 ; ou plus tard SERRES Michel, Le contrat Naturel, Paris, Flammarion, 1990.

4 Un excellent ouvrage fait le point sur cette question et d’autres en lien : HESS Gérald, Éthique de la nature, Paris, PUF, 2013.

Pour citer cet article

Erika Thomas, « À l’ombre des éléphants (Erika et Bernard Thomas, 2022) : Un film documentaire et quelques mots de contextualisation », L'ethnographie, 9 | 2024, mis en ligne le 25 septembre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=1438

Erika Thomas

Erika Thomas est professeure à l’Université Catholique de Lille en art, cinéma et anthropologie visuelle et membre de l’unité de recherches MUSE (FLSH). Autrice et réalisatrice de films documentaires, ses recherches portent actuellement sur la pratique documentaire et sur les liens entre arts visuels et poésie. http://erikathomas.free.fr/