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Modéliser et représenter la création audio-numérique pour la pérenniser

Antoine Vincent, Alain Bonardi et Francis Rousseaux
octobre 2012

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/rfim.230

Résumés   

Résumé

La transmission et la préservation des œuvres musicales s’est appuyée au cours des derniers siècles sur un substrat culturel stable tripartite :
- la partition, fondée sur l’écriture musicale abstraite et le système tempéré ;
- l’organologie traditionnelle classifiant les instruments selon deux axes : pour les hauteurs, le modèle des voix (SATB) ; et pour le timbre, l’interface permettant le contrôle de la source sonore (cordes frottées, pincées, frappées, etc.)
- la lutherie, capable de fabriquer ces instruments, de les adapter au cours du temps tout en garantissant une certaine authenticité, ou encore de produire de nouveaux instruments pouvant s’intégrer à l’organologie (par exemple, le saxophone au XIXe siècle).
Cette organisation tripolaire possède une grande stabilité : les premiers instruments faisant appel à l’électronique entre les deux guerres (le Theremin, les ondes Martenot, etc.) ont introduit de nouveaux rapports à la matière sonore mais ont cependant privilégié l’intégration à l’écriture traditionnelle. Toutefois, l’apparition des systèmes électroniques et numériques a bouleversé le monde de la composition, déstabilisant ces traditions pluriséculaires et mettant en péril la préservation de la musique contemporaine faisant appel aux technologies. Devant la nécessité de mettre à jour les œuvres pour faire face à l’obsolescence, il nous paraît fondamental d’étudier les processus de composition, d’en extraire les informations pertinentes, nécessaires pour ressaisir certaines intentions originales du compositeur. Notre approche se fonde sur la modélisation des processus de production et la création d’un langage permettant de représenter ces pratiques de composition. Ce langage sera à la base d’un environnement permettant de capter et de naviguer au sein d’un flux de production.

Index   

Index de mots-clés : pérennisation, transmission, processus de création audio-numérique, acte de création, ontologie, pattern.

Texte intégral   

1. La difficile transmission et réinterprétation des œuvres avec dispositif technologique

1. 1. Pourrons-nous sauver Saturne de Dufourt ?

1Saturne est une œuvre créée en 1979 par le compositeur Hugues Dufourt (né en 1943). Elle est écrite pour vingt-deux musiciens, jouant des instruments à vent et des percussions issus de l’instrumentarium classique mais fait aussi appel à l’organologie de tradition populaire, avec deux guitares électriques et deux orgues électriques. Depuis sa création, l’œuvre a subi plusieurs transformations, parfois majeures. Par exemple, en 1991, elle a été portée sur synthétiseur programmable ; depuis elle suit les évolutions technologiques et des migrations sont régulièrement effectuées car les organisateurs de concert la programment assez souvent. Nous l’avons étudiée car il s’agit d’une œuvre qui non seulement subit comme toute création les outrages du temps, mais de plus pâtit de ses dépendances à la technologie du moment : en 2006, suite à une demande de concert, un portage de l’œuvre fut lancé, mais n’arriva jamais à terme et le concert fut annulé.

2La dernière mise à jour a été réalisée par Yann Geslin au GRM en 2010. Pour remonter l’œuvre, il a dû repartir d’une version plus ancienne (1991) et la porter vers des environnements numériques. Pour ce faire, il a réalisé un travail quasiment archéologique en collectant l’ensemble des informations disponibles auprès de toutes les personnes qui ont travaillé sur Saturne durant son cycle de vie, tout particulièrement les musiciensqui l’ont jouée. L’œuvre a pu être remontée lors de plusieurs concerts et cette action a contribué à sa préservation.

3En termes d’ingénierie des connaissances, comment contribuer à la préservation de l’œuvre ? Une première approche, qui permet de bien saisir sur cet exemple précis la portée des questions posées, consiste à modéliser le processus lié au cycle de vie de l’œuvre. Le schéma de la figure 1, établi après plusieurs rencontres avec Hugues Dufourt et Yann Geslin, représente les connaissances que ce dernier a retrouvées durant son travail et qui ont été préservées depuis la création de l’œuvre. Cette vision globale nous permet de tracer le cycle de vie de l’œuvre et de savoir en un coup d’œil quelles sont les informations à disposition. Cette simple représentation permettra à toute personne souhaitant mettre à jour Saturne de savoir ce qu’il pourra mobiliser et de comprendre quelles ont été les étapes charnières dans ses transformations.

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Figure 1. Cycle de vie de Saturne (cliquez sur l’image pour mieux la visualiser)

4Nous pourrions extrapoler qu’avec un accès à cette modélisation du cycle de vie et à ces informations, le concert de 2006 aurait eu lieu car la mise à jour aurait peut-être été possible...

1. 2. Contexte général de la création musicale contemporaine

1. 2. 1. Les mutations des pratiques de création musicale

5L’exemple ci-dessus montrait comment les nécessaires mutations technologiques des sources de production de musique électronique, pour faire face à l’obsolescence des équipements, mettent d’une certaine manière les œuvres en danger ; il ne suffit en effet pas de trouver des équivalents du point de vue du résultat sonore. Il faut encore en dégager des invariants de représentation, qui possèdent un sens musical et puissent s’inscrire dans notre culture. Cette absence de stabilité des « instruments » de la musique électronique s’inscrit dans un contexte plus général, qui concerne tous les répertoires l’utilisant, que ce soit sous la forme de boîtiers matériels transformant les sons ou de logiciels. Du mix à la musique dite savante, les artistes et les organisateurs de concerts se retrouvent confrontés aux mêmes problèmes lorsqu’il s’agit de remonter l’œuvre, de la remobiliser.

6En effet, le compositeur a fait évoluer sa pratique de composition avec l’apparition des systèmes électroniques et informatiques : il compose maintenant les sons et plus seulement les notes. Ainsi « nous vivons, en ce début de xxie siècle, un véritable bouillonnement organologique, où instruments acoustiques, technologies analogiques et technologies numériques issues de l’informatique forment un système de plus en plus intégré » (Stiegler, 2003).

7De ce fait, il devient possible de créer directement la musique et de la conserver sans médiation d’une représentation intermédiaire. Quelle que soit leur tradition, ces pratiques musicales posent le problème de la préservation de l’œuvre, car elles ont un rapport souvent très distancié aux deux piliers du corpus théorique classique :

  • l’écriture musicale abstraite telle qu’elle est pratiquée dans la musique occidentale, avec sa double organisation des hauteurs et des durées ;

  • l’organologie, qui propose une classification des instruments selon deux dimensions : par voix (au sens des quatre voix héritées de la musique vocale) et par mode d’interface au son (par exemple les cordes frottées, pincées ; les anches simples, doubles ; les cuivres, etc.).

8Une œuvre comme la Sonate en la mineur D.821 de Schubert a été écrite pour un instrument qui a aujourd’hui quasiment disparu, l’Arpeggione : elle est désormais jouée au violoncelle ou à l’alto, ce que permet la partition comme substrat culturel. Au rebours, les œuvres contemporaines avec dispositif électronique sont soumises à une obsolescence technologique extrêmement rapide, étant privées de représentation culturelle stable de la partie électronique1. Il apparaît une dépendance inédite à l’instrumentation d’accès, de création et d’enregistrement, alors que la partition résistait à l’évolution des instruments.

9Face à ce constat, la communauté informatique réagit souvent en mettant en avant le code source des programmes utilisés, faisant appel à un langage normalisé, présenté comme une écriture. Nous ne savons aujourd’hui pas grand-chose de la pérennité de tel ou tel langage informatique. De plus, préserver le code informatique ne conduit pas nécessairement à la préservation du résultat sonore généré : le même programme en C peut produire des résultats sonores significativement différents selon le processeur et l’environnement de compilation utilisés (Collins, 2010).

1. 2. 2. La transmission des œuvres avec dispositif numérique

10Si les catégories musicologiques de ces nouvelles formes d’expression ne sont pas encore stabilisées (quelles seront-elles, quelle seront leur portée, leur universalité ?), la transmission de ces œuvres et des savoirs qui y sont attachés pose également problème. Tout d’abord, l’enseignement académique autour de ces notions est encore limité : les formations techniques autour de l’informatique musicale se développent, mais l’enseignement musical de ces procédés, sous les auspices de l’écriture et de l’organologie, dans les conservatoires ou les universités, est encore balbutiant. Comment transmettre un savoir sans véritable écriture, encore en pleine évolution et très lié à des outils par définition éphémères ?

11Nous n’avons pas de réponse générale ; dans le domaine des musiques dites savantes, des exemples de remontages d’œuvres montrent que la transmission orale directe, notamment par les réalisateurs en informatique musicale, et la transmission indirecte par annotation des supports jouent un rôle important. Par exemple, Diadèmes de Marc-André Dalbavie a été créé en 1986 avec des synthétiseurs TX816 désormais obsolètes : pour sa reprise aux Etats-Unis en 2008, un sampleur logiciel à base d’échantillons du synthétiseur original a été utilisé (Lemouton et al., 2009) ; sa validation s’est notamment appuyée sur les annotations laissées sur les partitions par les instrumentistes aux claviers lors de la création.

1. 2. 3. Une responsabilité nouvelle de préservation

12Le réalisateur en informatique musicale (Rim) dans une institution comme l’Ircam est le médiateur entre les compositeurs et les environnements informatiques. À ce titre, il conseille les premiers, développe des outils en fonction des besoins spécifiques de l’œuvre ou assure l’exécution en concert en pilotant les logiciels pendant la performance. À ces premières attributions relativement classiques, le Rim ajoute désormais celle de producteur d’archive : son souci est de penser la préservation des œuvres musicales dès l’origine, mais aussi de les faire vivre dans le temps, pour les adapter aux nouvelles conditions de restitution ou pour faire face à l’obsolescence des technologies.

13Manquant cruellement d’outils pour stabiliser l’objet musical dans un format universel permettant sa réexploitation ultérieure sans lui apporter de modification profonde, mais soumis à la nécessité de remonter l’œuvre, le Rim va chercher à récupérer toutes les informations utiles pour effectuer des modifications sur l’œuvre (matérielle, logicielle, spatiale, etc.), prenant en compte l’authenticité et l’intention auctoriale. Citons le rôle important joué par Serge Lemouton, RIM à l’IRCAM, pour la reprise de l’œuvre mixte Diadèmes, de Marc-André Dalbavie, en 2008 seize ans après sa dernière exécution.

14Ici se pose une question jusqu’à présent bien identifiée dans le vaste champ de la musique baroque et des résurrections d’œuvres restées plusieurs siècles sans être jouées, à savoir celle de l’authenticité du résultat produit après une migration d’une œuvre, désormais pertinente dans le domaine des musiques faisant appel aux technologies. Pour le musicologue, cela passe par la mise en perspective de l’intention de l’auteur : l’identité de l’œuvre doit être préservée lors des migrations et des représentations. Pour le domaine de l’ingénierie des connaissances, l’objectif est de permettre la migration dans les meilleures conditions possibles, d’aider le Rim à réaliser le portage de l’œuvre en lui fournissant les éléments pertinents. Nous revenons sur cette question dans le paragraphe qui suit.

1. 3. Préserver le processus de production de l’œuvre numérique

1. 3. 1. Préserver pour rejouer

15L’intention est intuitivement associée aux traces désormais numériques de l’activité de création musicale. Mais elle échappe à toute catégorisation a priori, et n’est pas « codable ». On ne peut donc que la ressaisir par construction à chaque fois que nécessaire, par exemple lors du remontage de l’œuvre ou du passage d’une phase à l’autre d’un processus de création sonore, par exemple, lorsque l’on passe de l’enregistrement au montage d’un CD.

16Pour y contribuer, l’idée est de fixer l’activité de création sonore, avec un niveau d’abstraction suffisamment général pour ignorer les contingences des outils mais suffisamment précis pour pouvoir se ressaisir en pratique de la représentation. Il faut pour cela élaborer un langage permettant la modélisation des processus de production, la préservation des informations liées à l’œuvre et leur accessibilité, tout en cherchant à ne conserver que les traces utiles.

17Toutefois, l’œuvre est considérée comme un prototype, un objet unique. Cette unicité pose problème : chaque création et chaque processus étant différents, il convient de trouver un modèle qui couvre plusieurs méthodes de production sonore et qui permette de conserver les informations pertinentes, exploitables par la suite en vue d’effectuer une migration.

1. 3. 2. Abstraction de l’œuvre

18Ainsi, chercher à préserver les intentions liées à l’œuvre n’est qu’utopie ; nous ne pouvons que tenter d’expliciter, formaliser, et préserver des éléments de manière la plus complète possible, pour permettre le ressaisissement des intentions. L’objet à conserver, c’est-à-dire l’œuvre, sera bien différent de celui conservé. Il nous appartient alors de faire un effort de préservation, en tentant de réduire l’écart malheureusement irréductible entre ces deux objets, l’écueil principal étant le caractère abstrait de l’œuvre : cette dernière n’existe qu’au travers des représentations que l’on en fait, ce qui la rend d’autant plus difficilement saisissable.

19Notre objectif est d’aménager et de préparer l’objet que nous souhaitons conserver en gardant en tête que c’est son abstraction qui est porteuse de sens : ainsi l’objet est parfois beaucoup moins utile que les informations qui y sont liées. Pour ce faire, nous devons commencer par réifier les composantes de l’objet dans une représentation canonique, afin d’avoir un maximum d’informations porteuses de sens concernant l’objet : nous le sémantisons autant que possible. Par exemple, si nous appliquons un effet durant le montage sur une piste (comme un écho), nous n’allons pas chercher à conserver le résultat de l’opération mais regrouper tous les paramètres nécessaires en vue de reproduire la même transformation. Ainsi la différence entre l’objet conservé et celui à conserver se trouvera fortement réduite, car l’abstraction permettra de ressaisir un maximum d’intentionnalité de l’œuvre, même si elle devient difficilement lisible.

2. Une approche orientée processus

2. 1. Le projet Gamelan

20Nous n’avons actuellement pas trouvé d’alternative viable aux migrations perpétuelles et régulières, qui restent la référence en matière de préservation. L’objectif du projet ANR Gamelan2 est la conception et la réalisation d’une maquette d’un méta-environnement offrant une représentation à plusieurs échelles d’une œuvre musicale et des processus de production déployés durant sa réalisation.

21Cet environnement permettra la manipulation des contenus, ainsi que la représentation de l’œuvre et des connaissances associées pour la rejouer. Nous aurons ainsi un archivage intelligent des objets, qui permettra de remonter à la source de la production et de comprendre le processus qui a permis cette création. Nous visons ainsi un environnement qui permettrait de conserver un maximum d’informations nécessaires pour effectuer des migrations dans les meilleures conditions possibles.

22Cette approche centrée autour de la préservation longue durée est principalement fondée sur la provenance des informations et la qualité des traces. La production musicale est un processus complexe et long, impliquant plusieurs acteurs ; différents outils et environnements sont utilisés. De plus, l’apparition des studios personnels, en dehors des institutions, laisse libre le compositeur d’utiliser des composants « exotiques » et de personnaliser ses environnements avec des logiciels tiers.

23Partenaires du projet avec le laboratoire Heudiasyc rattaché à l’université de technologie de Compiègne, EMI Music France, le Groupe de recherches musicales de l’INA et l’IRCAM, ont tous trois des traditions de composition différentes : depuis la création d’un groupe en vue d’une diffusion sur CD, jusqu’à la musique mixte en passant par les œuvres concrètes. Outre les usages, le GRM et l’IRCAM s’occupent des développements logiciels et Heudiasyc contribuera au projet en termes d’ingénierie des connaissances. Le projet a débuté en octobre 2009 et devrait se terminer début 2013.

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Figure 2. Architecture globale de l’environnement Gamelan

24La figure 2 donne l’architecture globale de cet environnement, fondée sur des outils appelés Gamelan Tools, au nombre initial de trois :

  • le tracker, qui, tournant en tâche de fond sur l’outil numérique utilisé par le compositeur, est capable de recenser toutes les actions effectuées (sur les applications) en vue de capter le processus de production ;

  • le browser, outil qui permettra de visualiser un flux de production ;

  • et l’editor, qui offrira la possibilité d’intervenir afin de compléter une production.

25Typiquement, les publics concernés par cet environnement sont les réalisateurs en informatique musicale ou les ingénieurs du son qui souhaitent faire des modifications pour remonter l’œuvre. Ils s’intéresseront principalement à comprendre la production et à identifier les acteurs, pour déterminer quels outils seront les plus appropriés pour effectuer les modifications. Mais les musicologues pourront aussi profiter de l’outil pour étudier les manières de composer dans un but pédagogique en analysant, démontant et reconstruisant les œuvres.

26Ces outils sont nécessaires mais pas suffisants. Il ne suffit pas de préserver les informations de production d’une œuvre musicale, il faut aussi assurer un moyen correct d’accéder aux informations. C’est ici qu’intervient le langage présent dans l’architecture sur la figure 2 : il est nécessaire d’élaborer un langage permettant la modélisation des processus de production, la préservation des informations liées à l’œuvre et leur accessibilité.

2. 2. Vers un langage formel de représentation

27La modélisation, objectif principal du projet, souhaite proposer un moyen de représenter les informations d’une production musicale dans le but de pouvoir exploiter efficacement toutes les données que nous pourrons récupérer et y offrir un accès cohérent permettant de suivre temporellement la production et le cycle de vie de l’œuvre. Lorsque nous évoquons la notion de langage de modélisation des processus de création sonore, nous ne parlons pas de langage au sens informatique, mais bien d’un langage formel de représentation, mettant en œuvre un vocabulaire et proposant donc une ontologie (Bachimont, 2007). Pour re-manipuler les processus et les contenus, il est nécessaire de les représenter. Mais un langage donne aussi un modèle de stockage, une aide à l’organisation des informations qu’il faudra conserver.

28Dans le milieu artistique, l’objet final est un prototype, non pas dans le sens de la pensée courante : « prototype » signifie alors « premier exemplaire », partant d’une simple ébauche d’un objet ou d’une idée jusqu’à l’expérimentation et ensuite donnant lieu à une construction en série ; mais dans sa définition littérale, comme un objet premier, l’« exemple le plus parfait, le plus exact3 ». Les artistes envisagent leurs œuvres et celles des autres comme le résultat final, le but à atteindre, et non comme l’étape nécessaire d’une création en série. Elie During (During, 2010) qualifie le prototype d’objet « idéal et expérimental » dans le domaine des arts. Cette unicité est le problème central du projet : chaque création et chaque processus étant différents, il faut trouver un modèle qui couvre plusieurs méthodes de production sonore et qui permette de conserver les bonnes informations, exploitables par la suite pour comprendre le processus archivé et effectuer une migration.

29Un premier travail nous a permis de nous poser certaines questions sur les informations à conserver (autour de l’intention du compositeur) et la manière de les présenter (choix de la bonne échelle de décomposition et de représentation). Cette première étape nous a permis d’évaluer les tâches à réaliser dans le domaine de la modélisation : le travail sur la préservation de l’objet sonore d’une part, des processus de production d’autre part, tout en étudiant l’archivage des informations, notamment sur les questions d’indexation et d’accessibilité (Vincent, 2010). Il apparaît ainsi, et cela est aussi le postulat de départ du projet que nous avons déjà exposé, que la re-production est pour l’instant conditionnée par les migrations perpétuelles, les mises à jour de l’œuvre devant être régulières pour la préserver.

30La problématique de la représentation des contenus sonores et plus largement des œuvres musicales est une question classique, mais elle se complexifie du fait des nouveaux modes de productions, qui se diversifient et n’utilisent pas de représentation classique comme la partition. L’objectif de la modélisation des processus de production sonore est de proposer cette description et représentation nécessaire afin de reproduire, conserver et étudier ces contenus, complétant l’objet musical. Le choix du niveau d’abstraction est primordial : dans le cas de la production d’effet via un outil numérique, nous cherchons à nous abstraire des codes informatiques, trop dépendants de la machine qui les exécute et donc soumis à une obsolescence technologique très rapide, sans tomber dans une description en langue naturelle, beaucoup trop vague pour livrer les informations souhaitées.

31Le travail de modélisation se concentre donc sur le choix du niveau de représentation qui permette de retenir les invariants du contenu, sans chercher à conserver les moyens technologiques permettant sa reproduction. Cette problématique du « niveau des connaissances » (Newell, 1982) est typique en ingénierie des connaissances, mais l’originalité de la démarche provient surtout de l’acquisition des connaissances : alors que de nombreux travaux sont effectués à partir de corpus de document (exemple, citation), nous devons adopter une autre démarche, et commencer à élaborer nous-mêmes ce corpus en nous immergeant complètement dans les processus de production au cœur de l’élaboration des œuvres musicales.

2. 3. Modélisation : une forme d’objectivation

32Détaillons cette notion de modélisation. Nous souhaitons proposer une représentation du processus de production, avec un juste niveau permettant de nous abstraire du code informatique (et éviter la trop forte dépendance à une technologie de plus en plus rapidement obsolète) mais assez prescriptif pour présenter les différentes étapes du cycle de vie de l’œuvre et les étapes d’élaboration et de transformation de l’œuvre. Afin d’exemplifier, tentons de décomposer très simplement une œuvre musicale (figure 3).

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Figure 3. Graphe de décomposition simplifié d’une œuvre musicale

33Sur ce graphe, nous pouvons visualiser à gauche une décomposition d’une œuvre et à droite nous reprenons l’exemple de Saturne de Hugues Dufourt. Ainsi, le pattern retenu est qu’une œuvre est constituée d’un ensemble de versions (dans notre exemple nous avons la version originale d’Hugues Dufourt et un ensemble d’autres versions, dont la dernière de Yann Geslin qui résulte de différentes mises à jour).

34Pour chaque version, nous retrouvons un ensemble de séances de travail afin d’élaborer une version de l’œuvre (version d’origine ou version mise à jour). Ces séances de travail ne sont pas nécessairement liées à une session d’un logiciel de montage mais représentent une unité temporelle, choisie par le compositeur (par exemple, une séance de travail pourrait être une journée ou une demi-journée de travail). Dans chaque session de travail, nous réalisons un certain nombre d’opérations, et chaque opération possédera potentiellement une ou plusieurs sources. Par exemple, dans une séance de travail, nous pourrions avoir deux imports de son dans le logiciel de montage puis une action de mixage.

35Nous comprenons, avec cette première explication issue d’un simple graphe de décomposition, que nous souhaitons être capable de connaître l’enchaînement des actions qui ont été effectuées dans chaque version et ainsi dresser une génétique de l’œuvre, pour espérer retrouver le processus de production.

2. 4. Suivi de production

36Avant d’aborder la phase de modélisation, positionnons plus précisément notre approche. Dans le vaste champ de l’ingénierie des connaissances, le domaine de la représentation de connaissances s’appuie le plus souvent sur des corpus. Une méthodologie consiste alors généralement à isoler une partie du corpus pour l’élaboration du modèle puis à valider celui-ci sur le reste du corpus (Malaisé, 2005). Mais dans notre cas, comme nous l’avons déjà mentionné, nous ne disposons pas de corpus.

37Dans le cas de la création musicale faisant appel à des moyens technologiques, il n’existe actuellement aucune méthode de centralisation des informations que nous pourrions extraire du processus : un des objets du projet Gamelan est précisément de concevoir une telle méthodologie et les outils correspondants. Ainsi nous allons tout d’abord devoir constituer notre propre corpus : nous avons choisi de suivre des productions en cours pour alimenter notre base documentaire. Telle était la démarche entreprise sur l’œuvre Saturne de Hugues Dufourt, que nous évoquions au tout début de cet article. Plus généralement, notre souhait est de pouvoir être présent le plus tôt possible, à la racine du projet, pour mettre en œuvre une modélisation des informations pendant le processus de création lui-même, et non après.

38À côté de l’œuvre de musique savante faisant appel aux nouvelles technologies, nous nous intéressons également à une forme de production musicale, celle des enregistrements. De prime abord, un enregistrement semble être un objet fini, son processus s’arrêtant à la production de pistes audio masterisées. Un rapide examen des pratiques montre qu’il n’en est rien. D’une part, les morceaux d’un CD font souvent l’objet d’un repurposing, par exemple un remixage, une reprise pour figurer sur DVD, un nouvel arrangement pour la publicité comme parfois dans la musique de variétés. D’autre part, les trois phases d’une production discographique, enregistrement, montage, mastering, constituent trois sous-projets qui opèrent sur des ressources en partie communes, sont séparées dans le temps mais aussi souvent confiées à des intervenants différents. Se posent ici des questions de transmission, et donc de représentation.

39C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à la production d’un CD de piano classique, intitulé Liszt Voyageur4, enregistré par la pianiste Emmanuelle Swiercz à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Franz Liszt. Nous avons eu l’occasion de participer aux différentes étapes de création, de collecter un grand nombre d’informations, et d’examiner celles qu’il serait intéressant de préserver. La figure 4 représente les informations qu’il nous paraît intéressant de conserver afin d’étudier les choix effectués et appréhender les intentions de la pianiste et de la direction artistique.

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Figure 4. Informations extractibles du processus de production du CD Liszt Voyageur (cliquez sur l’image pour mieux la visualiser)

40Nous avons choisi d’isoler la production en trois parties : la captation initiale, suivie par la phase de montage. La troisième, les écoutes collectives, sont transversales et ont lieu régulièrement durant la production de l’œuvre. Nous nous intéressons ici à tout ce qui aura influencé la création du CD et nous permet de comprendre les choix effectués. Notamment les personnes présentes, le piano utilisé, la configuration du studio (le CD a été enregistré à l’espace de projection de l’IRCAM, complètement configurable jusqu’au type d’acoustique souhaitée) mais aussi divers documents comme les photos ou les partitions annotées. Nous avons aussi isolé les sessions d’enregistrement et de mixage car elles sont au cœur des choix effectués et très révélatrices de la façon de penser cet enregistrement5.

41La liste des informations utiles à extraire du processus est loin d’être exhaustive. Mais elle a le mérite de répondre à plusieurs critères dans la préservation de l’œuvre finale. Ainsi, ces informations nous permettent de ressaisir l’intention de la pianiste et de la direction artistique tout au long du projet : lors de la phase de captation, nous avons le « rendu sonore » souhaité via la configuration de la salle et le matériel utilisé, et lors du montage nous retrouvons la documentation autour du choix des sons pour le mixage final.

42Une telle représentation nous permet déjà de proposer un premier tri des informations et une façon de les visualiser. Nous avons notamment lors du montage final l’archivage de toutes les transformations effectuées sur les sons sélectionnés, qui peuvent être complétées par une description ajoutée en récupérant les informations sur le logiciel de montage ou en interrogeant les intervenants.

3. Premiers pas dans la modélisation de la création sonore

3. 1. Ontologie

43Au travers des exemples présentés précédemment, nous avons souvent parlé de modélisation. Le véritable objectif que nous nous fixons est la création d’un langage formel de représentation des processus : au moment où il sera nécessaire de réinvestir les étapes de création, pour remonter l’œuvre ou la remobiliser vers une nouvelle destination, ce langage nous permettra d’accéder aux processus.

44Pour illustrer cette notion de langage formel, nous pouvons citer par exemple les langages de requête tels que SQL6, bien connu dans le monde de l’informatique, qui permet de poser une question à une base de données et qui répond en renvoyant les informations demandées.

45Toute création de langage est précédée par la définition d’un vocabulaire, qui servira de base à la constitution de phrases interprétables. De plus, pour définir notre vocabulaire, nous devons commencer par créer une ontologie de notre domaine, c’est-à-dire de la production sonore en environnement numérique. Ce vocabulaire devra être commun à l’ensemble des usages de production audio-numérique envisagés : musique acousmatique, création de CD, confection de patchs Max/MSP.

3. 2. Taxinomie des concepts et des relations

46Ainsi l’ontologie est le fruit d’une modélisation. Afin d’élaborer notre ontologie, nous nous appuierons sur la méthode Archonte7 (Bachimont, 2002), qui permet la construction d’ontologie en suivant trois étapes dont voici une illustration par l’exemple.

47Partons d’un corpus relativement simple constitué uniquement de cette phrase : « Alain dirige Emmanuelle qui joue du piano ». Notre première étape consiste en l’élaboration d’un arbre de concept sémantique (figure 5). Dans cette représentation, les flèches discontinues précisent que nous ne respectons pas un engagement sémantique fort dans un souci de simplification, c’est-à-dire qu’il manque des nœuds intermédiaires. Nous avons choisi ici d’intégrer la notion de rôle en plus des deux relations évidentes extraites du corpus.

48Dans la figure 6, nous passons à une étape de treillis formel (modifications visibles en grisé). Ici, la sémantique des concepts n’est plus la seule notion à respecter, nous devons aussi les formaliser. Ainsi naît le concept formel « Personne-Musicien » qui a comme pères « Objet Biologique » et « Musicien » : les personnes musiciennes sont à l’intersection des musiciens et des objets biologiques.

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Figure 5. Arbre ontologique

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Figure 6. Treillis formel

49La troisième étape consiste à opérationnaliser les concepts en partant du treillis formel. Par exemple : [Objet_Biologique : Emmanuelle]­—(a_pour_role)[musicien] et [Objet_Biologique : Alain]­—(a_pour_role)[directeur_artistique]. Nous avons ainsi une ontologie computationnelle, exploitable par un système opérationnel, et pas uniquement par les humains.

50Rappelons que l’originalité de notre approche repose déjà sur la manière d’aborder la première partie. Afin de constituer cette ontologie différentielle, d’abord bâtie sous la forme d’une taxinomie, nous ne pouvons pas nous appuyer sur des corpus de document et sommes donc contraints de passer par une étape de suivi de production présentée dans la partie précédente.

3. 3. Extraits de l’ontologie

51Nous proposons ici (figure 7) un extrait de cette taxinomie des concepts plutôt que de la présenter en détail, intentionnellement lacunaire et perdant son engagement sémantique pour détailler le résultat souhaité quand nous parlons d’une ontologie référentielle.

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Figure 7. Ontologie simplifiée et exemplifiée (cliquez sur l’image pour mieux la visualiser)

52Nous retrouvons ici sous la forme de trait en plein l’arbre des concepts, les traits grisés présentant des individus que nous avons ajouté pour peupler le modèle et en trait disjoints les relations que nous pouvons poser entre plusieurs concepts.

53Cet extrait présente des bribes de la production de Nuage Gris (œuvre enregistrée pour le CD Liszt Voyageur). Ici par exemple nous pouvons reconstituer :

  • Nuage Gris est l’œuvre ;

  • Session 1 Nuage Gris est un fichier de session ;

  • Session 1 Nuage Gris est un élément de l’œuvre ;

  • Emmanuelle Swiercz participe à Session 1 Nuage Gris ;

  • Emmanuelle Swiercz joue du Piano ;

  • session 1 Nuage Gris a été enregistré à l’Espace de Projection ;

  • la Piste 1 appartient à Session 1 Nuage Gris ;

  • la Région 1 appartient à la Piste 1 ;

  • etc.

54Pour des raisons de lisibilité, très peu de choses ont été représentées, mais nous voyons tout de suite la puissance et la complexité d’un tel outil de représentation, qui une fois peuplé, peut stocker énormément d’informations.

3. 4. Les patterns ou patrons de création

55Une fois le vocabulaire posé de manière stable dans l’ontologie, nous devons le mobiliser selon des usages particuliers qui seront peut-être amenés à évoluer. Pour ce faire, nous partons de la notion d’acte de création : le processus de création est segmenté en actes élémentaires qui représentent une action survenant à un moment donné et ayant un sens pour l’auteur. L’acte de création doit posséder un véritable sens pour le musicien, permettant d’oublier les détails et de ne se concentrer que sur ce qu’il veut savoir.

56De ce fait, notre approche n’est pas de chercher la caractérisation absolue de l’objet, mais plutôt selon la façon dont il sera utilisé. Cette démarche est similaire à ce que font les archivistes, essayant de prévoir ce que l’archive sera au moment où ils la créent ; l’objectif étant de définir l’objet à maintenir, qui peut être tout à fait différent de l’objet original. Ainsi notre cible, la description des actes de création, permettra d’expliciter exactement ce que l’on pourra faire avec l’objet préservé, et comment retrouver à partir de celui-ci l’œuvre originale, c’est-à-dire la rejouer.

57Les patterns, que nous pourrions renommer patron de création, permettent la description de chaque acte issu du processus de production. Ce sont des unités regroupant un certain nombre d’actes créatifs, qui ensemble, peuvent représenter une étape, une transformation, un ajout d’effet, etc. Ces patterns permettent de proposer un ensemble d’actions génériques du processus de production d’une œuvre, qui peuvent être communs à différents types de création. Les patterns viennent mobiliser le modèle selon des actes de création précis, correspondant aux pratiques de telle ou telle communauté.

58Une première approche des patterns (Isaac et Troncy, 2004 ; Isaac et al., 2005) a permis d’en élaborer déjà six concernant la production audio de type ProTools :

  • l’assemblage ;

  • l’export ;

  • le traitement appliqué ;

  • la synthèse sonore ;

  • l’acquisition ;

  • la lecture.

59D’autres patterns sont en cours d’élaboration concernant la création de type Max/MSP.

60La figure 8 ci-dessous détaille le pattern d’assemblage. Il est déployé lorsque l’ingénieur du son intervient sur le montage. Il s’agit d’un jeu de composition et dé-composition : l’ingénieur du son doit couper, réarranger et transformer le son. Le concept-clé est ici la région : dans un séquenceur audio-numérique, la région est un fragment de son sur une piste, c’est-à-dire la plus petite unité ayant un sens par rapport à la musique, parce qu’elle est issue d’un choix artistique fait pendant le processus de montage. Nous utilisons le concept de région et les relations associées dans l’ontologie pour déterminer l’ensemble des informations qui semblent nécessaires aux différentes actions du processus. La figure 8 montre la région et ses relations à d’autres concepts.

img-8-small450.png

Figure 8. Présentation de la partie du pattern assemblage autour du concept de région

61Nous montrons ci-dessous comment le pattern peut être mis en œuvre :

  • [Area : area3](hasStart)[12.12]

  • [Area : area3](hasPeriod) [14.3]

  • [Area : area3](hasDatetime) [21/12/12 21h12m12s]

  • [Area: area3](isElementOf) [SessionFile: file-2-2]

  • [Area: area3](isElementOf) [Track: tracke-d-1]

  • [Area: area3](hasOrigin) [Area: area1]

  • [Area: area3](hasAuthor) [BiologicalObject: NicolasThelliez]

3. 5. Scénarios d’utilisation

62Dans le cadre du projet GAMELAN, trois scénarios d’usage professionnel ont été produits :

  • le premier vise la création acousmatique, en permettant l’identification de la version finale d’une œuvre, et des ressources qui y ont contribué ;

  • le deuxième correspond au suivi de la confection de patchs Max/MSP, en pointant les modifications de structures (création/destruction de patchers, inclusion/suppression d’abstractions) et en mémorisant le contexte de contrôle ;

  • le troisième scénario s’intéresse à la représentation et la transmission d’informations entre les trois phases de la production d’un CD (enregistrement, montage et mastering), souvent séparées dans le temps.

63Nous montrons ici sur un exemple comment les modélisations explicitées dans les paragraphes précédents peuvent contribuer au processus de préservation et de ressaisissement de l’intention. L’extrait du modèle présenté à la figure 7 montrait une partie des concepts, une instanciation et certaines relations correspondant à la situation d’enregistrement de la pièce Nuages gris de Liszt dans le cadre du CD Liszt voyageur de la pianiste Emmanuelle Swiercz.

64Le troisième scénario a été conçu pour montrer que l’un des apports du projet Gamelan face à l’une des principales difficultés rencontrées dans la production de CD est lié à l’éclatement temporel entre les trois phases de production, et aux éventuels changements d’intervenants. Dans le cas de la pianiste Emmanuelle Swiercz, l’enregistrement s’est déroulé en trois jours fin décembre 2010, le montage en février et mars 2011, et le mastering en mai 2011. Ces périodes importantes d’interruption conduisent à de nécessaires oublis et demandent ensuite une remobilisation pour interpréter les objets numériques produits dans les phases précédentes.

65La modélisation effectuée sur Nuages gris permet par exemple, au niveau du montage, de retracer l’historique de l’enregistrement pour remettre en perspective les différentes prises de son : dans cette production, chaque session ProTools était dédiée à une pièce du CD final, et non à une session de travail ; selon les souhaits de la pianiste et de la direction artistique, il était possible de revenir sur une session ProTools à d’autres moments de la période d’enregistrement. Plus largement, cette représentation de connaissances permettra de visualiser de manière synoptique l’ensemble de la production d’un CD sous plusieurs formes, que ce soit temporellement, par intervenant, par session ou sous la forme de flux de production avec les dépendances d’exportation/importation de fichiers entre sessions.

Conclusion

66Nous avons montré la fragilité de la production musicale audio-numérique en termes de pérennisation et de transmission : une œuvre comme Saturne de Hugues Dufourt a déjà posé des problèmes de reprise. Dans notre démarche de recherche, nous avons tout d’abord travaillé sur l’élaboration d’un vocabulaire commun à différents types de production sonore, en vue de définir un dictionnaire des concepts nécessaires pour représenter le processus de production, en s’assurant qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le sens des termes ; nous avons ainsi développé une ontologie en respectant les principes différentiels, justifiant la construction de la modélisation conceptuelle.

67En parallèle, nous travaillons sur une facette de modélisation actancielle, cherchant à capturer les actes issus du processus créatif des différents acteurs sur plusieurs types de production. Pour cela, nous avons conçu des patrons de conception qui mobilisent le vocabulaire de l’ontologie dans des situations musicales élémentaires. Ces patrons ayant pour vocation la capture de la variabilité des processus, ont ainsi deux niveaux : génériques, ils permettent de s’adapter à tous les types de production étudiés, mais ne sont pas assez précis pour capter les éléments nécessaires issus du processus créatif ; et spécialisés, ils offrent une utilisation plus particulière, potentiellement limitée au niveau des œuvres concernées, mais articulent en revanche les informations plus précises et sémantiquement assez porteuses de sens pour avoir une utilité élevée lors de l’étude du processus de production.

68Nous espérons que notre travail pourra à terme aussi devenir ou simplement influencer l’élaboration d’un modèle de stockage, ne visant non pas la pérennité de l’œuvre, mais une conservation efficace de tous les artefacts liés à l’œuvre et à sa production, assurant ainsi un accès à un maximum de documentation s’y rattachant. D’autres domaines du monde artistique faisant appel aux nouvelles technologies pourraient aussi être intéressés par la représentation du flux de production comme le cinéma, et plus largement le domaine de l’audiovisuel ; ainsi que la danse dite contemporaine, qui est, actuellement aussi en pleine recherche de représentations adaptées.

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Notes   

1  Dans le cas des œuvres mixtes temps réel associant instruments acoustiques et transformations sonores live, se pose le problème de la représentation de l’interaction du réalisateur en informatique musicale avec la partie électronique : comment la représenter ? Comment transmettre la manière de « jouer » l’œuvre ?

2  Un environnement pour la Gestion et l’Archivage de la Musique Et de L’Audio Numériques.

3  Définition extraite du dictionnaire Larousse, http://www.larousse.fr/  

4  CD paru le 21 mars 2012, chez Intrada. Référence INTRA055. Emmanuelle Swiercz, piano ; direction artistique : Nicolas Thelliez et Alain Bonardi ; prise de son : Nicolas Thelliez. Enregistré en décembre 2010 à l’Espace de projection de l’Ircam à Paris.

5  Nous avons volontairement laissé de côté la phase du mastering, dans une première approche simplificatrice.

6  SQL signifie Structured Query Language : il s’agit d’un langage informatique normalisé qui sert à effectuer des opérations sur des bases de données.

7  ARCHitecture for ONTological Elaborating.

Citation   

Antoine Vincent, Alain Bonardi et Francis Rousseaux, «Modéliser et représenter la création audio-numérique pour la pérenniser», Revue Francophone d'Informatique et Musique [En ligne], n° 2 - Préservation des œuvres utilisant les technologies numériques, Numéros, mis à  jour le : 01/10/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/rfim/index.php?id=230.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Antoine Vincent

Université de technologie de Compiègne, laboratoire Heudiasyc, UMR 7253 CNRS, Antoine.Vincent@hds.utc.fr

Quelques mots à propos de :  Alain Bonardi

Université Paris 8, EA1572, CICM et IRCAM, alain.bonardi@ircam.fr

Quelques mots à propos de :  Francis Rousseaux

Université de Reims Champagne Ardenne, EA 3804, CReSTIC, francis.rousseaux@univ-reims.fr