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L'Ethnographie

"Jouer" au pervers

Amour pour la 2D et radicalité au Japon

« Playing » Pervert. 2D Love and Radicalism in Japan

Agnès Giard

Octobre 2020

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.519

Résumés

Il existe au Japon une industrie en plein essor de créatures séduisantes ou charmantes, élaboré-es comme autant de propositions visant à combler l’absence de l’autre. Dans ce pays – leader en matière de simulacres émotionnels – ces personnages appelés kyara s’inscrivent de façon significative dans une logique de développement commercial en contexte de crise et concernent, principalement, le marché très porteur des hommes et femmes qui se désignent comme otakus, c’est-à-dire comme adeptes de partenaires affectifs et sexuels « en 2D ». Longtemps tenu-es pour responsables de la dénatalité, les otakus font de leurs amours fictives un outil de construction identitaire et le moyen d’exprimer un sentiment d’inadéquation avec les attentes sociales : beaucoup estiment en effet qu’il est devenu impossible, ou vain, de fonder un foyer et avoir des enfants. Est-ce la raison pour laquelle ils s’investissent dans des relations fantasmatiques avec des personnages issus de jeux vidéo et de manga ? À quoi rime cette « préférence » affichée pour des êtres imaginaires ? En examinant la façon dont les otakus construisent leurs discours et les ajustent à l’actualité j’espère questionner la notion même de « radicalité » dans le contexte d’une sous-culture extrêmement révélatrice des tensions qui parcourent la société japonaise contemporaine.

In Japan, the industry of emotional commodities provides video game users or manga readers with attractive and charming creatures as tools to fill their heart and fulfill their fantasies. It is significant that these characters – kyara – are being developed on a rapidly expanding scale which mirrors the economic crisis. They mainly target the market of men and women who refer to themselves as otakus, i.e. consumers of "2D" partners. Held accountable for the low birth rate, otakus engage in fictitious romance or sex relationships as a means to construct their identity and to express a feeling of inadequacy with social expectations: a lot of them believe that it has become impossible, or pointless, to create a family. Is this why they are involved in romantic/sexual relationships with media mix characters? What is the meaning of this "preference" given to imaginary beings? By examining the way otakus build their discourses and adjust them to current events, my goal is to question the very notion of "radicality" in the context of a subculture that is extremely revealing of the tensions pervading contemporary Japanese society.

Texte intégral

1Le concept de radicalité semble étranger au Japon, qui s’est acquis la fausse réputation d’un pays engoncé dans le respect des hiérarchies, de l’hygiène et de l’ordre. Mais les apparences sont trompeuses. Conformiste, vraiment ? Lézardée par de nombreuses formes de contre-cultures, la façade de cohésion sociale se délite au premier examen. Le pays, de fait, traverse une crise à plusieurs niveaux – récession économique, désastre environnemental, controverse autour de la constitution – dont les répercussions se font sentir jusqu’au cœur d’une société avide de changements1. En écho au malaise et aux frustrations qui rongent la population, des images sont diffusées, des scripts sont mis en circulation à des échelles diverses – du circuit confidentiel aux réseaux connectés – qui dessinent la carte d’une culture fissurée par des lignes de force contradictoires. Parmi ces formes d’expression non-consensuelles, la plus spectaculaire d’entre elles – et parmi les plus radicales – est portée par les adeptes de produits issus du media mix japonais. Le media mix tel qu’il se pratique au Japon2 est une stratégie marketing qui consiste à lancer un produit culturel en le déclinant sur le plus grand nombre de supports possibles : dessins animés, mangas, jeux vidéo, groupe d’idole, etc. Il s’agit de fournir aux consommateurs/rices un « monde » (sekai) disponible sous la forme d’œuvres reliées entre elles3 par une nébuleuse de personnages (kyara4) attrayants, séduisants, voire irrésistibles. Certains personnages sont désirables au point qu’ils sont adoptés comme mari ou femme sous le nom de mai hazubando (prononciation à la japonaise de my husband) ou mai waifu (my wife). Le choix de s’apparier avec un kyara n’est pas anodin bien sûr. Défiant les conventions qui veulent qu’un être adulte et responsable fonde un foyer (i.e. une unité reproductive), les individus qui s’attachent à des personnages de fiction s’exposent sciemment au stigmate.

2Cette forme de radicalité, qui consiste à faire couple avec un être issu du media mix, pousse certain-es à rejeter les partenaires de chair et d’os. Il s’agit pour les femmes, par exemple, de prétendre qu’elles préfèrent avoir un petit copain numérique, parce que « [l]es garçons dans les jeux ont quelque chose que n’ont pas les garçons dans la vraie vie : ils sont adorables5 ». Ainsi que le formule Yurika, célibataire âgée de 26 ans, interrogée par CNN, un personnage fictif peut « combler » votre cœur. Du côté des hommes, de façon similaire, certains affirment préférer les « vierges artificielles » (jinzô otome) aux « femmes de chair crue » (nama-mi no josei). Ce discours s’appuie parfois sur des arguments discutables, volontiers choquants : avec les vraies femmes, ainsi que le prétend Yoshida Kenji, célibataire interrogé par la revue Denfaminicogamer : « [l]es hommes doivent faire semblant qu’ils sont gentils et dire des mensonges pour obtenir une relation sexuelle. Ce qui engendre forcément beaucoup de malheur6 ». Comme en réponse à ce propos, une célèbre chroniqueuse japonaise, Sagasawa Ai (responsable de la rubrique « Amour, mode d’emploi » sur le site d’informations All About) n’hésite pas à confirmer : « L’amour réel créé du stress et de l’insatisfaction. L’amour imaginaire, en revanche, est un moyen parfait de satisfaire les désirs et les besoins émotionnels7 ». Ce genre d’affirmation n’est pas isolé et s’appuie sur des arguments qui véhiculent le même message : aimer un être fictif n’a rien à voir avec aimer un être réel. C’est mieux. »

3Bien que les tenants de ce discours n’utilisent jamais l’adjectif « radicale » pour définir leur position, il me semble pertinent de la qualifier comme telle et, cela, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il s’agit d’une attitude volontairement extrême au regard des standards culturels ambiants. Au Japon (comme en Occident), il est mal vu de s’attacher à une créature qui n’existe pas. Les amours de pixel ou de celluloïd – perçues comme une menace aux relations dans la « vraie vie » – sont soupçonnées de détourner la jeunesse. L’augmentation du nombre de célibataires suscite d’ailleurs beaucoup d’inquiétudes car elle s’accompagne d’une forte dénatalité. Tenus pour responsables de la chute démographique, ceux et celles qui partagent leur vie avec des kyara s’exposent à la réprobation. La seconde raison pour laquelle on pourrait les classer dans la catégorie « radicale » tient d’ailleurs à leur attitude, mélange de résistance goguenarde et de sédition, face à la police normative du jugement qui les frappe : faisant front collectivement, ceux et celles qui s’adonnent à l’« amour en rêve » (risô no ren’ai) forment des communautés au sein desquelles ils et elles élaborent des mises en scène complexes autour de leurs bien-aimé-es. C’est tout l’intérêt des kyara, semble-t-il, que de s’offrir comme des ressources à disposition des humains pour se construire à rebours des attentes habituelles et pour renégocier sa place dans la société. Vecteurs de désordre, ces personnages génèrent une intense production de discours et d’œuvres destinés autant à amplifier leur puissance de séduction qu’à conjurer l’exclusion en faisant bloc autour d’eux. L’article prend appui sur une enquête de terrain doublée par une analyse de corpus. Des observations ethnographiques menées à Tôkyô, en 2011-2018, dans les quartiers dédiés au media mix, ont été complétées par l’analyse des textes que les adeptes de kyara disséminent sur les différentes arènes médiatiques (revues en ligne, plateformes participatives, réseaux sociaux, blogs, etc.) depuis lesquelles ils-elles sont perçu-es et se perçoivent.

4Ainsi que j’aimerai le montrer, cet attachement aux personnages fictifs relève d’une forme de performance identitaire qui consiste à défier l’opinion publique. Communiant dans l’amour d’un kyara, des hommes et des femmes, par millions, structurent leur résistance autour de réseaux d’échange et de communication leur permettant d’exprimer en chœur – non sans une part de mauvaise foi ou d’ironie maligne, comme nous allons le voir – leur préférence pour les personnages fictifs. Posant le postulat que cette préférence affichée fait partie d’un jeu de rôle hautement codifié, j’envisagerai ce phénomène comme une forme de dissidence, la dissidence matrimoniale. Mon hypothèse est en effet que les êtres fictifs ne sont pas utilisés en tant que substitut, ou du moins que leur usage ne saurait être réduit à celui de simple substitut, d’objet compensatoire ou d’objet refuge. Mon hypothèse est que les êtres fictifs sont avant tout des outils au service d’une mise en scène, une dramaturgie ludique visant d’une part à questionner l’appareil de représentation dominant concernant les standards sociaux, d’autre part à déconstruire l’opposition réalité/fiction qui structure la culture mainstream. La caractéristique principale de l’amour pour le kyara, c’est qu’il s’agit d’un jeu. Ce jeu consiste à traiter le personnage fictif comme s’il était réel, en l’invitant à partager le plaisir d’une promenade ou d’une pâtisserie par exemple, comme si l’être bien-aimé pouvait brusquement sortir de son support physique (un écran à cristaux liquide, un poster…) et s’incarner sur terre. Ce jeu qui consiste à invoquer son idole afin qu’elle se matérialise dans notre monde, ou à interagir avec elle afin que sa présence devienne tangible, s’inscrit dans un espace appelé nitengo-jigen kûkan (monde en 2,5 dimensions). L’expression nitengo-jigen (2,5D) date du début des années 2000. Elle est, à l’origine, utilisée pour décrire une sensation de proximité augmentée avec un personnage de fiction qu’on peut toucher ou prendre dans ses bras. Pour comprendre cette expression il faut savoir que dans le jargon du media mix, la 2D (ni-jigen, le monde en deux dimensions) renvoie aux univers et aux personnages imaginaires issus des mangas, des dessins animés et des jeux vidéo. La 3D (san-jigen) renvoie au monde où vivent les humains de chair et d’os. Ni-jigen se traduit donc « fictif » par opposition à san-jigen « réel ». Ce qui se trouve entre les deux, nitengo-jigen c’est le monde intermédiaire des apparitions et des objets médiateurs. Ce jeu à faire « comme si » (comme si un personnage fictif pouvait sortir d’un écran ou d’une surface imprimée) est caractéristique d’une frange stigmatisée de la population qui se désigne elle-même sous le nom d’otaku.

5De fait, l’histoire de ce phénomène qu’on appelle l’« amour pour la 2D » (ni-jigen ai), c’est-à-dire l’amour pour les personnages fictifs, est étroitement associée à la figure de l’otaku. Ma démonstration retracera donc, d’abord, l’histoire de cette association : comment le concept d’otaku s’est-il progressivement cristallisé autour de problématiques d’appariements avec une créature en 2D ? L’analyse portera ensuite – dans un deuxième puis un troisième temps – sur deux définitions antinomiques de l’otaku et de son rapport au désir. La question sera alors de comprendre pourquoi les otakus cultivent l’image tantôt de « puceaux » inhibés, tantôt de « pervers » obsédés. Pour finir, l’article s’appuiera sur le cas emblématique d’une histoire d’amour entre un être vivant et un être en 2D. Comment comprendre que l’être vivant en question soit un manchot ?

Petite histoire de l’amour bi-dimensionnel : l’otaku, une figure de la résistance ?

6Que signifie otaku ? Controversé, difficile à cerner, le mot (qui signifie littéralement « chez soi ») apparaît en 1983 sous la plume de Nakamori Akio, un journaliste de la revue Manga burikko, pour désigner de façon stigmatisante de jeunes hommes socialement inadaptés, enfermés dans un monde imaginaire, incapables de se confronter à de vraies femmes8. Le stéréotype de l’otaku c’est celui du geek : un asocial, cultivant ses fantasmes à l’abri du monde réel, incapable de fonder un foyer. Dans les années 1990, le terme otaku devient progressivement associé à l’idée d’une « culture jeune », incluant aussi des femmes. « La population des otakus acquiert son droit à l’existence et trouve une place relativement légitime au Japon grâce, d’une part, au succès international de l’industrie de l’animation et, de façon plus significative, à la popularisation du virtuel dans la vie de tous les jours9 ». Le stigmate, cependant, pèse toujours. Dans les années 2000, ceux ou celles qui se proclament otakus continuent d’être ostracisés. La dénatalité suscite en effet des inquiétudes de plus en plus vives : la population japonaise se réduit, ce qui met en danger le système de la protection sociale et les structures économiques du pays. Or les otakus sont volontiers désignés comme fautifs, responsables du non-renouvellement des générations : ils ne participent pas à l’effort national de reproduction. On leur impute le dépeuplement du pays.

7L’identité des otakus apparaît donc indissociable des angoisses culturelles que le mot même d’otaku cristallise et ces angoisses, de façon très significative, sont liées aux normes de genre, aux canons de la sexualité et à la notion de famille. Pour le dire plus clairement : ces angoisses concernent la capacité d’un individu à désirer correctement. Dans le cas des otakus, le désir n’est pas correct puisqu’il tend vers des êtres irréels. Tout incorrect qu’il soit, c’est pourtant ce désir qui les qualifie. Du moment qu’un otaku se met à désirer un être réel, il n’est plus otaku. Cette idée est émise pour la première fois par un psychanalyste qui se désigne lui-même comme un otaku. Il s’appelle Saitô Tamaki et publie en 2000, un livre mémorable – Sentô bishôjo no seishin bunseki (Psycho-analyse des belles filles combattives) – dans lequel il émet l’idée qu’un otaku est avant tout quelqu’un capable de rendre réel un personnage fictif. Son raisonnement est le suivant : la réalité n’étant jamais qu’un système de perception, si on désire quelque chose, cela devient réalité. Il suffit de le vouloir… et le vouloir de tout son cœur : « Pour que le monde devienne réel, il doit être suffisamment électrisé par le désir10. » Bien que Saitô Tamaki ne soit certainement pas le premier « militant » otaku à valoriser l’amour en 2D comme une forme d’idéal, il contribue de façon décisive à la construction d’un fantasme. Ce fantasme, celui de l’otaku-amoureux-d’un-personnage-fictif, prend rapidement racine dans la réalité.

8Quelques exemples, énumérés dans l’ordre historique, suffiront peut-être à en rendre compte. En 2001, lorsque la firme Orient Industrie lance son premier modèle de poupée grandeur nature en silicone, les ventes sont arrêtées au bout d’une heure car il y a rupture de stock. Les otakus se précipitent sur ce modèle qui porte le nom d’Alice et dont les traits reproduisent ceux d’une héroïne de manga faite chair. Certains affirment qu’à force de l’aimer, ils peuvent l’entendre et même la voir bouger.

9En 2004, à la question : « Pourquoi avez-vous des poupées ? », Taabo le plus grand collectionneur de love doll du Japon (il affirme alors en posséder cent-soixante) répond : « Parce que les femmes c’est chiant11 ». Il utilise alors le terme mendôkusai – mot composé des termes mendô « ennui » et kusai « puanteur » – qui s’est répandu dans la communauté otaku pour désigner les femmes de chair et d’os comme des obstacles au bonheur.

10En décembre 2005, des activistes otakus protestent contre les ventes d’un livre à succès, intitulé Densha otoko (L’homme du train), qui raconte l’histoire d’un otaku « sauvé » par l’amour : il s’est épris d’une jeune femme rencontrée dans un train et, par amour pour elle, il a arrêté de lire des mangas et de regarder des animés. En représailles, certains activistes otakus installent subrepticement des petites pancartes autour des librairies qui vendent ce livre, pancartes sur lesquelles on peut lire la phrase : « Les vrais otakus ne désirent pas de vraies femmes12 ».

11La même année, Honda Tôru, un otaku auto-proclamé, publie le manifeste Denpa Otoko (L’homme égaré) pour protester contre le roman Densha Otoko, en expliquant que certainement ce livre n’est pas une histoire vraie comme l’affirme l’éditeur car il est impossible qu’un vrai otaku renonce à sa passion. Un vrai otaku aurait initié la jeune femme et elle serait devenue à son tour une otaku, affirme Honda. Il en profite pour annoncer l’avènement de ce qu’il baptise « la révolution de l’amour » (ren’ai kakumei) : « l’équation “amour : monde en 3D13” » a fait son temps, dit-il. Place à l’amour en 2D.

12En octobre 2008, des fans de jeux vidéo lancent une pétition pour demander que le gouvernement japonais légalise le mariage avec des personnages de fiction. La pétition est signée par 2 443 personnes en deux semaines14. Sans résultat, bien sûr.

13En septembre 2009, la firme Konami lance LovePlus, un jeu de simulation amoureuse qui propose au joueur de nouer et d’entretenir une relation sentimentale avec trois petites copines « virtuelles » au choix. Le mois suivant, en octobre, un homme évite de peu le divorce car sa femme l’accuse d’être adultère : elle a découvert qu’il s’était entiché d’un des personnages, Nene Anegasaki.

14Un mois plus tard, un jeune otaku connu sous le nom de Sal9000 épouse Nene Anegasaki à l’université de Technologie de Tôkyô, lors d’un événement intitulé Make Tôkyô Meeting. La cérémonie de mariage (fictive) est retransmise en direct sur NicoNico, une plateforme Internet regroupant plusieurs millions d’abonnés.

15En juin 2015, une enquête commanditée par le gouvernement (menée par le Cabinet du Premier Ministre sur un échantillon de 7 000 personnes) établit que 36% des célibataires âgés de 20 à 39 ans ne désirent pas s’engager dans une relation sentimentale15. Certains d’entre eux précisent qu’ils trouvent les vraies relations « ennuyeuses » (mendô).

16Le 30 juin 2017, le studio Hibiki Works organise une cérémonie de mariage en Réalité Virtuelle permettant aux fans du jeu Niizuma (Ma nouvelle épouse) de se marier avec le personnage de leur choix. La cérémonie est organisée dans une chapelle, en présence d’un prêtre virtuel. Bien qu’elle soit filmée dans un but promotionnel, une centaine de fans – préalablement sélectionnés sur Internet – se portent volontaires. Pour chacun d’entre eux, la cérémonie dure cinq minutes : ils ont tout juste le temps d’échanger leurs vœux avec leur idole à travers un casque Oculus et de l’embrasser (tendre les lèvres dans le vide). Une employée de la firme Hibiki presse un marshmallow contre leur bouche afin de parfaire la sensation d’un baiser en 2,5D.

17Le 17 octobre 2017, un manchot décède au zoo de Tobu, des centaines d’otakus envoient leurs condoléances. Le deuil prend une ampleur nationale. Ce manchot mâle appelé Grape avait attiré l’attention des médias en tombant amoureux d’un personnage de dessin animé, une héroïne nommée Fururu, installée dans son enclos sous la forme d’un panneau imprimé. Pour la communauté otaku, c’est un signe : même les animaux peuvent avoir le coup de foudre pour un kyara.

18En mars 2018, la firme japonaise Voltage (spécialisée dans la production de boyfriends téléchargeables sur smartphone) offre aux femmes la possibilité d’épouser leur personnage préféré en immersion dans une église en réalité virtuelle16.

19Le 4 novembre 2018, Kondô Akihiko employé d’administration dans une école, 35 ans, épouse la chanteuse synthétique Hatsune Miku. À l’issue de la cérémonie – organisée par une agence spécialisée dans les mariages « normaux » – il déclare faire partie d’une minorité sexuelle, celle des personnes qui désirent vivre avec un kyara : « Cette forme d’amour n’est pas plus condamnable qu’une autre si elle rend heureux. On se sent en tout cas moins seul avec un personnage fictif17. »

20Dans les médias, évidemment et comme toutes les fois qu’un événement relatif aux otakus défraie la chronique, on se pose la même question : comment expliquer l’attirance érotique ou sentimentale pour des créatures en 2D ?

Origines de l’amour bi-dimensionnel : explications psychologiques

21Les explications généralement avancées par les experts japonais – qui, de façon significative, se présentent souvent comme étant otakus – sont de deux ordres. Les premières concernent l’univers mental des otakus. Les secondes abordent la dimension physiologique de leur attirance. Prenons dans l’ordre. Les explications psychologisantes se résument ainsi : si les otakus aiment les créatures artificielles, c’est parce qu’ils auraient grandi en lisant des mangas ou en regardant des dessins animés peuplés de personnages néoténiques, ce qui les a profondément influencé. Le psychanalyste Saitô Tamaki est, bien sûr, un des principaux défenseurs de cette thèse qu’il fait pencher du côté du trauma. Pour lui, l’otaku type c’est celui qui, enfant, a éprouvé ses premiers émois en regardant à la télévision une héroïne aux grands yeux miroitants et pour qui l’idée de l’échec est devenu une sorte de programme. Impossible, avec cette fille imaginaire, de satisfaire ses envies concrètement. Impossible surtout de trouver, dans le monde réel, une femme possédant comme elle les traits juvéniles et les yeux immenses qui sont typiques des leurres que sont les poupées ou les peluches.

22En 2011, dans un documentaire TV intitulé Râbu dôru shi (Histoire des love dolls), l’historien Natsume Fusanosuke, chercheur à l’Université Gakushûin et otaku lui-même, raconte : « À partir des années 1967-68, des personnages semblables à des poupées se mirent à apparaître dans l'univers des mangas18. » Pour Fusanosuke, le mouvement otaku est né de cette conjonction. Au moment même où au Japon (comme en France), la révolution sexuelle explose, trois auteurs de manga inaugurent les BD pour adultes. Pour contourner les interdits, ils ont tous trois l’idée de mettre en scène non pas des femmes mais des créatures artificielles. La censure ne s’appliquant qu’aux êtres humains, ils ont toute licence de les dessiner nues. Le premier de ces auteurs – considéré comme le père du manga contemporain – s'appelle Tezuka Osamu. En 1968, il ouvre la voie d'un genre nouveau dans la bande dessinée japonaise : celle du seinen (manga d'éducation sexuelle destiné aux jeunes), en empruntant les chemins de la science-fiction, ce qui atténue (quoique à peine) l'aspect scandaleux de sa démarche. Son premier seinen Avaler la terre19 –, met en scène une beauté futuriste recouverte d'une peau synthétique, le Dermoïd Z, dotée d’un tel pouvoir de séduction qu’aucun homme ne lui résiste. Elle les fait tous mourir d’épuisement. En 1970, dans Le Chant d'Apollon20, Tezuka met ensuite en scène une reine bioroïde dont le corps cloné à des centaines d’exemplaires présente pour caractéristique d’être privé d'appareil génital. Elle veut apprendre l'amour et s’attache à un jeune humain qui a pour mission (impossible) de lui apprendre l’amour. Il en meurt. Toujours en 1970, dans Maria du désespoir21, Tezuka raconte ensuite les aventures d'une poupée gonflable appelée Marie, comme la Vierge. Elle apparaît d’abord sous la forme d'une âme errante, puis adopte une enveloppe de plastique pour prendre vie mais ce corps d’objet sexuel l’empêche d’être aimée pour elle-même. L’histoire d’amour finit donc mal : il n’y a pas d’avenir possible avec une poupée. Qu’elle soit de vinyle, de silicone ou de silicium. Toutes les histoires le répètent.

23Deux autres auteurs de mangas contribuent, de manière tout aussi déterminante, à la construction de cet imaginaire tragique. Ishinomori Shotarô dans Sexuadoll22, raconte l'histoire d'un célibataire qui reçoit une caisse venue du futur. La caisse contient un robot femelle, chargé de recueillir la semence des hommes afin de la rapporter d'où elle vient : dans ce futur, dominé par une civilisation d'amazones, l'espèce humaine, privée d'hommes, menace de s'éteindre. Il en est donc de la sexuadoll comme d'un menaçant miroir des bouleversements qui mettent en danger le Japon. L’avenir est sombre en compagnie des poupées. La saga Sexandroid23, de Matsumoto Leiji flirte aussi avec les angoisses liées à l'après-guerre, quoique sur un mode loufoque. C'est l'histoire en l'an 2222, d'un agent secret nommé Shima. Sa partenaire, Yuki 3 – une androïde dernier cri dotée de fonctions sexuelles – abuse de lui au point qu'il en vient à se refuser : elle est insatiable. La relation semble sans issue. À quoi bon s’épuiser dans un amour inapaisable ?

24« L’idée surprenante d'attribuer à des poupées le rôle principal eut un retentissement certain sur la sexualité des jeunes lecteurs », résume Natsume Fusanosuke, pour qui le succès actuel des créatures artificielles prend forcément racine dans ce contexte : « Ceux qui ont maintenant la quarantaine sont nés après 1968 et, en lisant des mangas comme ceux de Tezuka, ont développé une grande affinité pour les femmes qui n'existent pas dans la réalité… Les garçons de cette époque sont devenus des consommateurs qui vivent dans un monde virtuel et qui acceptent les poupées sans aucune résistance24. »

25D’autres chercheurs défendent cette thèse, comme Okada Toshio – fondateur du plus célèbre studio d’animation japonais (Gainax) et théoricien du mouvement otaku (il se définit lui-même comme ota-king). Okada Toshio assimile cette forme de vacuité qu’est l’amour pour un être fictif au sentiment que rien n’est possible. Il décrit ce sentiment qui, pour lui, caractérise les otakus, à l’aide d’une expression poétique : le « futur perdu » (ushinawareta mirai). C’est le titre de son premier livre, publié en 2000, au succès remarquable. En 2010, un jeu vidéo érotique (adapté en manga puis en dessin animé) est d’ailleurs vendu sous le titre Ushinawareta mirai o motomete (À la recherche du futur perdu). Dans ce jeu de simulation, le joueur a le choix entre plusieurs jeunes filles avec qui des relations amoureuses et sexuelles peuvent (ou pas) se développer. Mais quoique le joueur fasse, il n’échappe pas au même et déprimant constat d’échec final : hélas les personnages n’appartiennent pas à ce monde.

26L’amour pour des êtres fictifs relève de l’impossible. L’idée selon laquelle les otakus sont condamnés à l’impuissance est d’ailleurs très répandue dans le milieu. Beaucoup d’otakus affirment volontiers qu’ils sont puceaux (cherî bôizu) ou que le vrai sexe ne les intéresse pas. Un des chercheurs les plus connus dans le domaine des otaku studies – Morikawa Kaiichirô – affirme d’ailleurs que la caractéristique des otakus c’est leur penchant pour l’échec qu’il résume en une formule : dame shikô (ダメ志向), littéralement « inclination pour l’impossible ». Dans un article publié en 2003, Morikawa Kaiichirô résume ainsi l’idée : « Les otakus ont une forte propension à chérir des personnages de dessin animé. Les icônes sont des substituts du futur, que les otakus souffrent d’avoir perdu25. » S’il faut en croire les théoriciens du mouvement otaku, l’obsession nationale japonaise pour les créatures artificielles contient donc le ferment d’un sentiment de perte quasi castrateur : lorsqu’ils s’attachent à une créature en 2D, les otakus ont la conscience aiguë de l’aspect fondamentalement stérile de leur désir.

Origines de l’amour bi-dimensionnel : explications physiologiques

27À rebours de ces explications d’ordre psychologique, souvent pessimistes, il existe en parallèle des explications d’ordre physiologique, fortement teintées de positivisme. Elles reposent sur l’idée éminemment contestable que les otakus – étant tous de sexe masculin (ce qui est faux, puisque les otakus comptent aussi des femmes dans leurs rangs) – ont besoin de satisfaire des besoins sexuels dénués d’affect à la différence des femmes qui veulent construire une relation durable et qui négocient l’accès à leur corps en échange de protection et de sentiments. Cette idée apparaît dès les années 1970 dans les écrits d’un des premiers théoriciens de l’attachement aux poupées, Shibusawa Tatsuhiko, traducteur de Sade et Bataille au Japon. En 1972, Shibusawa publie un essai – Shôjo korekushon josetsu (Introduction aux collections de jeunes filles). Dans les premières pages, il définit la jeune fille (shôjo) si possible réduite à l’état de poupée comme l’idéal érotique absolu : « C’est la shôjo qui répond le plus parfaitement aux besoins sexuels essentiels des hommes. Parce qu'à la fois socialement et sexuellement elle est stupide, parce qu'elle est innocente et parce qu'elle est, comme les petits oiseaux et les chiens, un objet pur incapable de parler de sa propre initiative, elle symbolise la créature dont on peut faire un jouet26 ». Pour Shibusawa, les hommes n’ont pas d’autre choix que poursuivre ce qu’il appelle « un rêve à contre-courant »27 des mouvements d’émancipation féminine, parce qu’ils sont mus par leurs hormones. Tout ce qu’ils veulent c’est un réceptacle creux et vide : « Plus on réduit [la femme] à n’être qu’un fragment d’objet, plus la libido de l’homme brûle d’une flamme pâle et ardente ».

28Cette vision mécaniste de l’humain (mâle) fait des émules. En juillet 2016, Yoshida Kenji la reprend avec enthousiasme. Otaku auto-proclamé, Yoshida Kenji a lancé en juillet 2016, un salon dédié à la réalité virtuelle pour adultes. L’événement, intitulé AdultVR Festa, provoque presque une émeute : les locaux, trop petits, ne peuvent pas accueillir les otakus qui font la queue en bas de l’immeuble. La police les disperse. Les visiteurs en surnombre sont priés de revenir le lendemain. Fort de son succès, Yoshida répond à une longue interview pour le site Denfaminicogamer, en se présentant comme le champion de l’érotisme virtuel. « Les hommes veulent juste du sexe, dit-il, mais les femmes ont un cœur [sic]. S’il y avait de la VR, on pourrait satisfaire les besoins corporels28. » À la question du journaliste : « Ce serait une solution ? », il répond : « Exactement. Je pense que de cette façon la société pourrait enfin devenir heureuse. Le but ultime de ma "structure de promotion de la VR érotique japonaise" c’est d’ailleurs de débarrasser le mécanisme sexuel de toute communication humaine. » Il ajoute : « Mon espoir serait qu’on ne fasse plus rien qu’en virtuel. » Pour enfoncer le clou, Yoshida Kenji publie dans la foulée un livre ou plutôt une auto-interview, intitulé Grâce à la Réalité Virtuelle pour adulte, le monde du sexe change !, dans lequel il affirme qu’étant un homme fondamentalement « pur », doté d’un cœur « vierge et innocent », il ne peut pas s’unir charnellement à une femme qu’il aimerait. Sous-entendu : cela souillerait leurs sentiments. « Dans mon cas, surtout, insiste-t-il, mon désir sexuel est surpuissant et je suis obsédé par les pratiques anormales, alors je dois réprimer mes poussées d’hormones pour m’adapter aux femmes avec qui j’ai une relation. Même avec une prostituée, je ne peux pas libérer mes envies à 100% parce qu’elle est humaine29. » Yoshida conclut qu’à force de chercher « une solution à ce problème », il a fini par trouver. Les créatures numériques sont, à ses yeux, les seules partenaires sexuelles capables de satisfaire les besoins vitaux des otakus mâles.

29Trop provocateur pour être honnête, le discours de Yoshida relève probablement de l’auto-fiction. Pour en saisir la part d’artifice, il faut le mettre en perspective avec la notion-clé d’animalisation mise au point par une figure majeure du milieu otaku : Azuma Hiroki, philosophe, critique d’art et professeur à l’université de Technologie de Tôkyô. L’animalisation, ainsi qu’Azuma l’explique en 2001 – dans un essai intitulé Dôbutsuka suru posuto modan (Le post-moderne qui s’animalise30) est une forme de cynisme qui consiste à surjouer le pervers. Plus le discours ambiant donne des otakus l’image d’êtres irresponsables, plus les otakus forcent le trait, renvoyant en miroir l’image d’une bête décérébrée. Il ne faut pas tomber dans le piège, souligne Azuma. La mise en scène de l’otaku comme maniaque dépravé, accro aux hormones mâles, fait partie des codes de reconnaissance. En 2007, dans un texte intitulé Otaku sexuality31, le psychanalyste Saitô confirme cette analyse : pour lui, les otakus ne font que se conformer, de façon ironique, au rôle repoussoir que la société veut leur faire jouer, le rôle du « bouc » émissaire. Ainsi qu’il l’explique, beaucoup d’otakus reprennent à leur compte les accusations dont ils sont les cibles. Saitô affirme qu’il s’agit d’un « label ». Plus un otaku va reproduire les signes extérieurs de la perversité, plus il sera reconnu par ses pairs comme faisant partie du groupe.

30Il en est donc de l’explication hormonale (physiologique) comme d’une mise en scène trompeuse. Mais cette explication n’est pas plus trompeuse que celle du trauma (psychologique). De fait, quelle que soit l’explication avancée, aucune n’est vraiment convaincante. Ces explications se renvoient d’ailleurs dos à dos, déclinant chacune une image très stéréotypée de l’otaku, – d’un côté le puceau, d’un autre côté le pervers – comme si tous les discours tenus par les théoriciens du mouvement participaient eux-mêmes à la construction du mythe collectif de l’otaku. On ne sait plus très bien qui est ce personnage que les médias présentent tantôt comme un enfant immature et inhibé, incapable de grandir, tantôt comme un obsédé sexuel à tendance pédophile incapable de réprimer ses pulsions. Dans les deux cas, l’explication n’est qu’un leurre. La vraie raison se trouve ailleurs : dans le contexte d’apparition du mouvement otaku.

31C’est un contexte de mutation économique et sociale, qui se traduit par une défiance accélérée à l’égard du mariage et son corollaire la reproduction. Depuis quelques décennies, au Japon, l’idéal du bonheur standard repose sur un modèle qu’une partie croissante de la population renonce à reproduire : celui de la famille soutenue à bout de bras par un homme assurant la principale source de revenu. Depuis l’éclatement de la bulle économique – les salaires ayant baissé, les emplois étant devenus précaires –, beaucoup d’hommes se retrouvent exclus du marché matrimonial. Il est en effet nécessaire de gagner au moins 4 millions de yens par an (environ 31 000 euros) pour fonder un foyer, or seulement 15% des Japonais dans la vingtaine gagnent cette somme32. Par ailleurs, beaucoup de femmes ne veulent plus renoncer à leur indépendance pour devenir femme au foyer. Si un nombre croissant d’hommes et de femmes se tournent vers l’amour en 2D au Japon, c’est donc probablement parce que les personnages fictifs sont les moyens les plus spectaculaires d’entrer en rupture avec le modèle dominant. J’aimerai m’appuyer sur un exemple concret pour illustrer et défendre cette thèse. En hiver 2017, un manchot de Humboldt meurt dans un zoo situé non loin de Tôkyô. Les télévisions japonaises filment ses funérailles, le pays prend le deuil. Cet oiseau était devenu célèbre sous le nom de « manchot otaku ». Pourquoi cette histoire fait-elle la une des médias au Japon ?

Le cas du manchot amoureux d’une fille en 2D

32Le 12 octobre 2017, le zoo de Tobu poste sur Twitter une notice nécrologique : « Grape, le manchot de Humboldt, est mort hier. […] Merci d’être resté avec nous si longtemps. Au paradis, repose-toi bien. »

Au paradis, repose-toi bien © Tobu Zoo, 2017

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https://twitter.com/tobuzoo7/status/918633438919368704

33Immédiatement, la presse réagit. Le Huffington Post Japan met en ligne un article intitulé : « Grape, le “manchot amoureux d’un personnage fictif”, est mort. ». L’article résume ainsi l’histoire : « Ce 12 octobre, Grape, le manchot de Humboldt du zoo de Tobu (dans la préfecture de Saitama) est mort. Le zoo l’a annoncé officiellement par Twitter. Grape avait 21 ans, ce qui fait – converti à l’échelle d’une vie humaine – 80 ans : il avait atteint un grand âge. Grape était devenu populaire sous le surnom de “manchot amoureux d’un personnage de fiction” parce qu’il fixait du regard un panneau de Fururu, personnage anthropomorphisé de manchot de Humboldt, qui avait été installé [dans son enclos] dans le cadre d’une collaboration avec la célèbre série Kemono Friends33. »

34Kemono furenzu (Les amies animales) est un produit issu du media mix japonais, qui se décline en œuvres multiples : jeu vidéo, feuilleton manga, série animée, albums de chansons, etc. La franchise est lancée en mars 2015 par le graphiste Yoshizaki Mine, sur la base d’une idée simple : et si l’humanité disparaissait ? Yoshizaki imagine que dans un futur proche, le Japon, totalement dépeuplé, se sera transformé en gigantesque parc, appelé Japari Parc, peuplé d’animaux femelles. Lionnes, poules, ourses, souris, héronnes, éléphantes, phoques… les créatures imaginées par Yoshizaki se présentent sous les traits anthropomorphisés de jeunes filles à fourrure ou à plume, toutes plus kawaii (mignonnes) les unes que les autres. Parce qu’elle exploite l’esthétique sucrée des héroïnes aux minois mièvres et qu’elle repose sur le principe du personnage à collectionner, la franchise Kemono Friends obtient un certain succès. Plus de quatre cents amies animales sont déclinées en cartes à jouer. Parmi elles, un petit groupe de cinq personnages bénéficie dans le dessin animé d’un épisode à part entière : ce sont cinq filles manchots, chacune d’une espèce différente, qui forment un groupe d’idoles débutantes.

Fururu est mignonne © Teron_sasaki, 2017

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https://twitter.com/teron_sasaki/status/836954521494380545

35Lorsqu’elle apparaît sur le petit écran, Fururu – la plus effacée des cinq – suscite peu d’intérêt : sa personnalité est celle d’une fille apathique, renfermée, voire obtuse. Rien ne la prédestine à devenir une star. Les fans de la série ne lui prêtent aucune attention particulière. Jusqu’au jour où le zoo de Tobu signe un contrat avec la franchise pour une « collaboration d’été », annoncée sur Twitter le 21 avril 2017 : « Les installations des friends sont finies. […] Nous vous attendons avec plaisir. »

Nous vous attendons © Tobu Zoo, 2017

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https://twitter.com/tobuzoo7/status/855561127429722112

36Cette « collaboration » consiste, pour le zoo, à accueillir symboliquement de nouvelles pensionnaires. Des panneaux de bois grandeur nature de Kemono friends sont installés dans les enclos des animaux, chaque personnage féminin de la série correspondant à l’espèce animale à laquelle il est associé. Dans l’espace des manchots, c’est l’effigie de Fururu qui se dresse parce qu’elle appartient à la même espèce que les protégés du zoo de Tobu : les manchots de Humboldt. Le jour même de l’inauguration, un tweet est posté par un visiteur qui signale une anomalie : « Il y a un manchot de Humboldt qui ne cesse de la fixer des yeux, c’est mignon. »

C’est mignon © Sisukaton, 2017

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https://twitter.com/sisukaton/status/855614540284780544

37Quatre jours plus tard, le zoo poste à son tour un tweet pour s’étonner : « Vraiment, on dirait que ça lui tient à cœur. Aujourd’hui aussi, dès le matin, il s’est mis à la regarder. »

Ça lui tient à cœur © Tobu Zoo, 2017

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https://twitter.com/tobuzoo7/status/857022102204932096a

38Le message se répand sur les réseaux sociaux. Que se passe-t-il dans l’enclos des manchots ? Les fans se mettent à poster des images qu’ils dessinent eux-mêmes, en romançant le comportement dysfonctionnel de l’animal.

Qu’on puisse parler, ce serait bien © Mitsumotocs, 2017

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https://twitter.com/mitsumotocs/status/857572360404164609

39D’autres vont au zoo pour mener l’enquête. Le 19 mai 2017, une investigatrice (Kandolma) poste un message qui met le feu aux poudres : « Voici toute l’histoire de Grape. Lorsque le zoo de Tobu s’est doté d’un espace pour accueillir des manchots, il a été transféré depuis le zoo de Hamura. À ce moment-là, il était avec son épouse Midori. Mais il y a 7 ans, il s’est fait voler sa femme par un jeune manchot mâle. Depuis, Grape est solitaire. Cette année, il a rencontré Fururu grâce à une collaboration avec Kemono Friends. Ce qui fait arriver à maintenant. »

Voici l’histoire de Grape © Kandolma, 2017

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https://twitter.com/kandolma/status/865822808810471424

40Le 22 mai 2017, une émission télévisuelle (Abema News) diffuse l’information à l’échelle du pays. Au cours de l’émission, un tableau apparaît à l’écran.

Le tableau des corrélations © Hourenso_u, 2017

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https://twitter.com/hourenso_u/status/905005520355864576

41C’est le « tableau des corrélations de Grape », qui prétend expliquer les origines de son étrange attachement. Une histoire de cœur brisé, propre à susciter la compassion. Les animateurs présentent Grape comme un époux trahi : abandonné par son épouse Midori (qui lui a préféré un mâle plus jeune, appelé Denka), Grape aurait reporté son affection vers Fururu. En transposant sur l’animal les thèses psychologisantes habituellement réservées aux otakus, les animateurs résument ainsi le phénomène : il y a des êtres, fragiles ou traumatisés, qui trouvent plus de bonheur dans l’illusion (la 2D) que dans la réalité (la 3D). Cette explication semble faire mouche. À peine un mois plus tard, le tableau réapparaît sur les réseaux sociaux sous le nom de ni-jigen sôkanzu (tableau de la 2D).

Le tableau de la 2D © Warawara buzz, 2017

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https://twitter.com/warawarabuzz/status/909040472953257984

42Pour le grand public, c’est un fait entendu, le manchot est un otaku. On le surnomme d’ailleurs ni-jigen ai shita pengin (manchot amoureux de la 2D). Les fans sont émus par son comportement et se rendent en grand nombre au zoo pour assister au spectacle de sa passion muette : depuis que le panneau a été installé dans l’enclot, Grape ne cesse de se poster devant. Il passe des heures à le contempler.

43En juillet, mois des typhons, le panneau est retiré à l’approche d’un orage violent. Grape réagit mal, ce qui suscite des réactions de pitié.

L’image fait couler des larmes © Odendane sensei, 2017

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https://twitter.com/odendanesensei/status/909419037897003011

44En août, mois de la canicule, le zoo constate que Grape reste stoïquement sous le soleil, refusant de quitter son poste alors qu’il fait une chaleur torride. En septembre, la collaboration avec la franchise prend fin. Les panneaux doivent être retirés, à l’exception d’un seul : le zoo obtient le doit de laisser celui de Fururu et annonce qu’un événement spécial sera organisé autour de cette « belle histoire ». Hélas. Le 11 octobre, le manchot perd soudainement du poids. Des fans envoient des tweets pour qu’il se rétablisse.

J’ai fait ce dessin en priant ©Aoiaozira, 2017

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https://twitter.com/aoiaozora_/status/918107495121403904

Grape-kun remets-toi vite ! © Komatyan_nonnon, 2017

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https://twitter.com/komatyan_nonnon/status/918099211404558336

45Le 12 octobre, Grape décède. Le zoo fait savoir qu’il a continué à regarder Fururu jusqu’au bout. Le panneau avait été installé près de lui dans le cabinet vétérinaire.

46À partir du 13 octobre, les messages de condoléances affluent sur les réseaux.

Enfin, te rencontrer © Eric10902, 2017

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https://twitter.com/eric10902/status/918643886884392961

47La constance du manchot, teintée d’abnégation, soulève une vague d’émotion. Bien qu’il soit impossible de savoir pour quelle raison, jusqu’au bout, il a fixé du regard la figure reproduite sur un panneau, son comportement évoque de façon saisissante quelque chose dont beaucoup d’humains, dans les sociétés contemporaines, pensent posséder le monopole. N’est-ce pas « le propre de l’homme » que d’aimer une image, de projeter sur elle un rêve ? Peut-on imaginer que Grape ait vu, au-delà d’un panneau, une forme d’existence infiniment chérissable ? Sur les réseaux sociaux, c’est cette version-là des faits qui domine. Il semble certain, pour tous et toutes, que Grape ait fini par rejoindre Fururu dans l’au-delà.

J’ai entendu que Grape était mort © Hinaizayoi, 2017

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https://twitter.com/hinaizayoi/status/919265747662073856

Grape© Pinosaka, 2017

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https://twitter.com/pinosaka/status/918766435186368513

Tout va bien © Kit_maakun, 2017

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https://twitter.com/kit_maakun/status/918781648707055616

C’est elle qui lève les yeux © Ceramic_man, 2017

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https://twitter.com/ceramic_man/status/918874684430598144

Dernier hommage © Space_plane, 2017

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https://twitter.com/space_plane/status/919000229399085056

En mémoire de Grape © Fumia, 2017

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https://twitter.com/fumia_/status/918848738600173568

48Bouleversante, l’histoire de Grape l’est à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle témoigne d’une évolution des sensibilités : par l’entremise d’un animal, un comportement social jugé comme aberrant prend tout à coup les dimensions troublantes d’un mélodrame. Grâce à Grape, le fait d’aimer un personnage fictif semble moins condamnable. Même un manchot peut s’éprendre de la 2D. Pourquoi ne pas le tolérer de la part d’un humain ? Mais l’histoire de Grape éclaire un autre changement de perception, bien plus éclairant encore, puisqu’il concerne le choix d’une conjointe. Avec quel type de femme est-il possible d’être heureux ? Comment s’apparier dans un contexte de récession, alors que le marché du travail se dégrade et qu’il n’est plus possible de subvenir aux besoins d’une épouse ? Il s’avère qu’au moment-même où Grape développe son étrange attirance pour la figure de Fururu, les médias s’emparent d’un phénomène qui, a priori, n’a aucun rapport avec cette histoire : la vogue des « filles-manchots ».

49Popularisée dès la fin de l’année 2016, l’expression « fille-manchot » (pengin-kei joshi) désigne une catégorie très particulière de Japonaises34, présentant pour caractéristique de paraître handicapées sur le plan émotionnel. Introverties, impavides, voire apathiques, elles gardent un flegme à toute épreuve. Le profil-type de la fille-manchot est celui d’une personne « toujours calme qui va de lavant à son rythme, sans se laisser perturber par rien35. » Pourquoi est-elle si calme ? Parce que les manchots n’ont que des moignons d’ailes. « Comme les manchots sont incapables de voler dans le ciel, ils ont un sens de l’observation très aigu pour sonder leur environnement, ce qui fait d’eux des personnes perspicaces et pleines de calme36. » Assimilées à des infirmes, les filles manchots donnent l’impression d’être déficientes, incapables en apparence de s’investir dans une relation : « Elles ont une tendance à mettre de côté les sentiments. Elles s’appuient sur une analyse objective de la situation. » Mais ce tempérament présente des avantages : obnubilées par l’idée de survie, les filles-manchots ont à cœur d’assurer leur indépendance financière. Il serait imprudent qu’elles s’en remettent à un homme pour gagner l’argent du ménage. À rebours des attentes habituelles, ces femmes préfèrent préserver leur autonomie que céder au système prévalent du couple à pourvoyeur unique. Renoncer à leur travail ? Jamais. Elles ne veulent pas d’un mari pour assurer leur subsistance. Ce faisant, elles inaugurent un nouveau modèle d’économie conjugale, celui du couple à double revenu, un couple au sein duquel la femme assume bien plus qu’un simple salaire d’appoint. Pour un nombre croissant de Japonais, ces filles-manchots incarnent l’espoir d’une vie à deux.

50Recueillis par la presse, de nombreux témoignages confirment cette analyse. Sur le site d’information Woman Excite, par exemple, dans un article consacré aux filles-manchots, un homme raconte : « Il y a des femmes qui travaillent très dur, pour soutenir le budget du ménage. Ce genre de chose, c’est appréciable37. » Un autre témoin ajoute : « Les femmes qui cherchent des hommes à épouser, en posant dès le départ comme condition qu’il les entretienne, ne suscitent pas autant d’attirance qu’avant. Certainement, celles qui charment sont celles qui disent : “Je peux très bien subvenir à mes besoins”. » Nécessité faisant loi, les femmes qui privilégient leur carrière – refusant d’être affectées aux tâches domestiques – ne font plus autant qu’avant l’objet d’une réprobation morale. Bien que le travail féminin soit toujours jugé incompatible avec le rôle de mère et d’épouse aimante, il semble inévitable que le modèle du couple duo s’impose progressivement comme étant le plus compatible avec les dures réalités du temps. Pourtant, les mentalités peinent à s’ajuster. Amorçant la transition vers une acceptation sociale du travail à plein-temps féminin, les filles-manchots cristallisent autant d’espoirs que d’aversions. Et c’est pourquoi, quand Grape s’éprend de Fururu, son amour impossible trouve un écho si puissant dans les réseaux. Toute froide qu’elle soit en apparence, cette fille-manchot possède un cœur. Si un pauvre animal a pu le voir, qu’attendent les humains pour ouvrir les yeux ?

Je prie que tu sois heureux © Taikyokuturugi, 2017

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https://twitter.com/taikyokuturugi/status/918827829432786945

Dans le ciel tu ne peux pas voler © Kmfr_cestlavie, 2017

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https://twitter.com/kmfr_cestlavie/status/919410105401073664

L’amour pour un kyara comme signe d’adhésion à un autre modèle d’appariement

51La société japonaise traverse une crise dont les otakus sont la manifestation la plus parlante. Ces hommes et femmes qui affirment « préférer » des personnages fictifs ne font que traduire en acte un malaise dont le pays tout entier ressent les symptômes : la désaffection pour le mariage est telle que le gouvernement prévoit une augmentation continue du nombre de célibataires dans les années à venir. Parce qu’ils ne peuvent (ou ne veulent) pas reproduire le schéma mari salarié/épouse au foyer, ceux et celles qui restent seul-es en sont réduits aux expédients. À défaut d’autre chose, ces jeunes générations rêvent d’amour dans la 2D et revendiquent, de façon plus ou moins moqueuse, le statut de perdantes auquel elles se sentent assignées. Aimer une image n’a peut-être aucun sens mais si « cela rend heureux », pourquoi pas ? Et si cela force les autres à questionner leurs valeurs ? Prenant Grape pour modèle, beaucoup d’otakus – à sa mort – ont mis en scène le manchot dans les bras de Fururu. De son vivant, il n’était qu’un oiseau solitaire, inapte au vol et détraqué. Maintenant disparu, son image, unie à celle d’une fille-manchot, porte l’espoir d’un changement : dans un autre « monde » à venir, de nouvelles formes d’engagement deviendront peut-être possibles.

Je prie © Zexboble172, 2017

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Offerte à sa mémoire © GM3FANTOM, 2017

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Rest In Peace © Saikintarou, 2017

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Maintenant sois heureux © Kiratyoujirou, 2017

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À bientôt © Usagi_SnowCats, 2017

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Je suis ici © lsj_tomato, 2017

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Je suis là © lsj_tomato, 2017

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MENTION OBLIGATOIRE : Cette recherche fait partie du projet EMTECH (Emotional Machines: The Technological Transformation of Intimacy in Japan) soutenu par le Conseil Européen de la Recherche (ERC) dans le programme cadre pour la recherche et l’innovation Horizon 2020 (convention n°714666).

Notes

1 Andrews William, Dissenting Japan: A History of Japanese Radicalism and Counterculture from 1945 to Fukushima, Oxford, Oxford University Press, 2016.

2 Steinberg Marc, Anime’s Media Mix, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2012.

3 Dans les années 1970, le media mix se décline en manga/anime/CD. Le combo inclue maintenant : jeu vidéo, fan book, film, roman feuilleton numérique (visual novel), adaptation en live, concert, bande-son dialoguée (drama CD), tourisme en 2,5D, sans compter les innombrables produits dérivés (peluches, pins, personnages en réalité augmentée, etc).

4 Kyara, abréviation de kyarakutâ (de l’anglais character) désigne le personnage que l’on chérit.

5 Marsh Jenni & Ogura Junko, « The rise of romance gaming: is the perfect boyfriend inside your phone? », CNN, 2 novembre 2017 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

6 Koyama Ondemando, « “Adaruto VR fesuta” shusaisha “rearu wa kosupa nikui” » (Pour l’organisateur du “Festival de la VR pour adultes”, “La réalité, c’est un mauvais rapport coût-performance”), Denfaminicogamer, 12 juin 2016 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

7 Trend Nihon, « “Kabe-don” no tsugi wa “ago-kui”… Tsuyoku natta to iwareru joie ga gôin otoko o matomeru riyû » (Après le kabe-don, le ago-kui… Les raisons pour lesquelles des femmes qui seraient devenues fortes sont en quête d’hommes dominateurs), Sankei Shimbun, 6 janvier 2015 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

8 Galbraith Patrick & Lamarre Thomas, « Otakuology: A Dialogue », Mechademia, n°5, 2010, p. 360-374.

9 Iida Yumiko, « Between the Technique of Living an Endless Routine and the Madness of Absolute Degree Zero: Japanese Identity and the Crisis of Modernity in the 1990s », Positions: east asia cultures critique, vol. 8, n°2, 2000, p. 423-464.

10 Saitô Tamaki, Sentô bishôjo no seishin bunseki (Psycho-analyse des belles filles combattives), Tôkyô, Ôta shuppan, 2000.

11 Giard Agnès, « Des duplicatas de mineures vendues comme “poupée d’amour” : malaise dans la représentation sexuelle », Hybrid, n°4, 2018 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

12 Freedman Alisa, « Train Man and the Gender Politics of Japanese "Otaku" Culture: The Rise of New Media, Nerd Heroes and Consumer Communities », Intersections: Gender and Sexuality in Asia and the Pacific, n°20, 2009 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

13 Honda Tôru, Denpa otoko (L’homme égaré), Tôkyô, Sansai Books, 2005, p. 142.

14 Galbraith Patrick, « Moe. Exploring Virtual Potential in Post-Millennial Japan », Electronic Journal of Contemporary Japanese Studies, 2009 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

15 Heisei 28 nendohan shōshika taisaku hakusho (Édition 2016 du livre blanc des mesures pour contrer la dénatalité) [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

16 Le jeu s’intitule KyôshikiVR (Cérémonie de mariage en VR).

17 Giard Agnès, « Pourquoi épouser une femme fictive », Libération, 9 janvier 2019 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

18 Râbu dôru shi (Histoire des love dolls), documentaire réalisé dans le cadre de la série « Heisei par George Botman » (Jôji Bottoman no heisei shi) diffusé sur la chaîne TV Tôkyô (17/12/2011]).

19 Tezuka Osamu, Chikyû o nomu (Avaler la terre), Tôkyô, Kôdansha, 2012 [1968].

20 Tezuka Osamu, Aporo no uta (Le Chant d'Apollon), Tôkyô, Kôdansha, 1977 [1970].

21 Tezuka Osamu, Yakeppachi no Maria (Le désespoir de Maria), Tôkyô, Kôdansha, 1983 [1970].

22 Ishinomori Shotarô, Sekusadru (Sexuadoll), Tôkyô, Futabasha, 2000 [1970-1972].

23 Matsumoto Leiji, Sekusaroido (Sexandroid), Tôkyô, Asahi shinbun, 2003 [1968-1970].

24 Giard Agnès, Un désir d’humain. Les “love doll” au Japon, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 213.

25 Morikawa Kaiichirô, Shuto no tanjô: moeru toshi Akihabara [Learning from Akihabara: The birth of a personapolis], Tôkyô, Gentosha, 2003, p. 124 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

26 Shibusawa Tatsuhiko, Shô̄jo korekushon josetsu (Introduction aux collections de jeunes filles), Tôkyô, Chûô Kôronsha, 1985 [1972], p.12-13.

27 Giard Agnès, « La fille en boîte : naissance d’une perversion au Japon », Criminocorpus, Sujets déviants, sujets pervers. Pathologie mentale, sexualité et expérience de l'autre, Communications, 2017.

28 Koyama Ondemando, op.cit.

29 Yoshida Kenji, Adaruto VR de, Sekai no sekkusu ga kawaru ! (Grâce à la Réalité Virtuelle pour adultes, le monde du sexe change !), format Kindle, Tôkyô, Impress, 2016, p. 48.

30 Azuma Hiroki, Dôbutsuka suru posuto modan (Le post-moderne qui s’animalise), Tôkyô, Kôdansha, 2001.

31 Saitô Tamaki, « Otaku Sexuality », Robot Ghosts, Wired Dreams: Japanese Science Fiction from Origins to Anime, Christopher Bolton, Istvan Csicsery‐Ronay Jr. et Takayuki Tatsumi (dir.), Minneapolis-Londres, University of Minnesota Press, 2007, p. 222-249.

32 20-40 dai no ren’ai to kekkon (L’amour et le mariage pour les 20-40 ans), Institut de recherche des Assurances Meiji Yasuda, 20 juin 2016 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

33 Ando Kenji, « “Ni-jigen ni ai shita pengin” Gurêpu-kun ga shinu. “Kemono-Furenzu” no paneru mitsumeru sugata de yumei ni » (“Le manchot amoureux d’un personnage de fiction”. Grape-Kun est mort. Il était devenu célèbre à force de fixer du regard un panneau de “Kemono Friends”), Huffington Post Japan, 13 octobre 2017 [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

34 « Quand on parle de la personnalité des gens, il arrive qu’on les compare à des animaux. À des chiens ou des chats par exemple. Et depuis peu, à des manchots. Cette expression “manchot” s’applique plus particulièrement à des jeunes femmes. » Source : « Pengin-kei joshi no seikai o tettei seikatsu » (Explications complètes concernant le mode de vie des filles-manchots), LoveLike, 12 sept. 2017 [en ligne]. Dernière consultation : le 10 août 2018. Le 2 oct. 2019 le lien était devenu inactif.

35 Ibid.

36 « Donna toki demo reiseichanchaku !? Kanjôtekina ren’ai o shinai pengin joshi ga moteru riyû » (Calme en toute occasion !? Les raisons pour lesquelles la fille-manchot n’éprouve pas un amour émotionnel), Woman Excite, 14 oct. 2016. [en ligne]. Consulté le 2 oct. 2019.

37 Ibid.

Pour citer cet article

Agnès Giard, « "Jouer" au pervers », L'ethnographie, 3-4 | 2020, mis en ligne le 26 octobre 2020, consulté le 13 décembre 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=519

Agnès Giard

Agnès Giard, anthropologue, est membre du projet de recherche européen EMTECH ("Emotional Machines: The Technological Transformation of Intimacy in Japan") à Freie Universität Berlin et chercheure rattachée à l’université de Paris Nanterre (Sophiapol). Ses recherches portent sur l’industrie des simulacres affectifs (low/high-tech) dans le contexte du dépeuplement du Japon. Elle a notamment publié en 2016, Un désir d’humain, les love doll au Japon (Paris, Les Belles Lettres).