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L'Ethnographie

Art Rom

Une recherche de terrain en caravane musée

Gypsy Art : A quest for land in a Caravan-Museum

Tania Magy

Mars 2020

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.438

Résumés

Cet article a pour objectif de mieux faire connaître l’Art Plastique Rom pratiqué depuis l’après-guerre en France. Tania Magy part d’un constat : les pratiques plastiques des Gens du Voyage sont souvent détruites, éphémères ou encore figurent dans des musées nationaux. Mais où trouver des praticiens, des auteurs contemporains ? À la manœuvre d’une caravane musée Art Rom et de son concept universitaire, l’auteure découvre autant d’éléments dans les archives écrites que de témoignages des familles, de manière orale. Grâce à ses carnets de voyage, grâce à des traces d’expositions les auditeurs et lecteurs sauront se faire une idée de pratiques artistiques peu communes et d’une force touchante.

The aim of this article is to promote Gypsy Art which has been practised in France since the post-war era. Tania Magy has been driven by her observation that records of Travellers’ artistic practices have often been destroyed, have only a limited lifespan or else are to be found in national museums. But where are the modern-day artists to be found ? Armed with her Gypsy Art Caravan-Museum and her university project, the author undercovers as many elements from written archives as from family testimonies, handed down by word of mouth. With the help of her travel diaries and documentation from exhibitions, listeners and readers can comfortably acquaint themselves with little-known, stirringly powerful artistic practices. 

Index

Mots-clés : Art, Roms, Nomadisme, Cirque, Foire

Keywords : Art, Gypsies, Nomadism, Circus, Fair

Texte intégral

Oyez, oyez, braves gens ! Bienvenue !

Mesdames et messieurs, chers collègues et auditeurs,

1C’est un peu à la manière d’un entresort forain, que je vous propose aujourd’hui 2 décembre 2019, à l’EHESS Paris ; Laboratoire d’Anthropologie Historique des Arts Nomades, accompagnée de Madame Tiziana Leuci, et de Monsieur Pierre Philippe Meden ; de découvrir notre histoire de l’Art Rom, un projet universitaire testé pendant 18 ans en itinérance, sur les routes de France et à l’International, dont le but était de promouvoir les artistes Roms et Nomades.

2Tout d’abord, mesdames et messieurs, il s’agit de vous imaginer plusieurs ambiances.

En effet, l’art forain c’est dehors !

3Sur le terrain, plusieurs situations possibles :

4Un outil pédagogique et artistique : la caravane musée Art Rom (Fig. 1). Il s’agit d’un entresort, l’intérieur de l’habitacle est décoré avec des œuvres de divers artistes Roms ou d’autres origines. Elle est utilisée en tant que logement et atelier musée.

La caravane musée Art Rom

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École de Berre Saint Exupéry à Dax, 2018. Installation des 3 castelets et marionnettes indiennes avant les ateliers Cirque de Calder

T. Magy

5Des préparatifs, en amont, avec des travailleurs sociaux, des écoles et collèges avec leurs équipes pédagogiques, des élus pour le soutien aux ateliers créatifs, l’accès aux loisirs pour tous, et une exposition finale avec vernissage, après la visite d’un musée Rom Nomade, en itinérance1.

6Le quotidien de l’enseignante-chercheuse et anthropologue Tania Magy.

Fonctionnement associatif

7Les membres de notre association bordelaise, Art Rom, de Voyages (Loi 1901, JO 1998-2015, promotion des Arts Roms et dits « du Voyage »), ont pu rencontrer des artistes Roms-Sinti et des familles, tout en élaborant des projets concrets pour les enfants et familles du Voyage. Ces familles pouvaient être nomades ou semi-sédentaires, ou sédentaires depuis plusieurs générations.

Nos activités étaient en lien avec celle du CITI (Centre International pour les Théâtres Itinérants).

8Certains de ces artistes Tsiganes, des auteurs clé2, connaissaient et décrivaient (ou décriaient), les fondements de l’URI (Union Romani Internationale) conçue à Londres en 1971-1972. Ces artistes et intellectuels racontaient leurs activités créatrices et leur engagement en faveur du peuple Rom, ainsi que des populations alentour, sans lesquelles le travail est impossible (Les non-tsiganes, les gadjé, los payos…).

9Nos expositions avaient lieu dans des espaces prestigieux et luxueux, le temps des animations et prestations, mais également au quotidien en tant que lieu de vie, en aire d’accueil, ou chez des collectifs alternatifs.

Course contre la montre !

10Tania Magy, déguisée ou non, vêtue d’un costume et nez de clown, ou non, souvent accompagnée par d’autres plasticiens, enseignants, musiciens, conteurs, artistes de tous styles : - « Nous luttions ensemble pour donner la parole aux familles gitanes, manouches et roms. Nous soutenions les plus précaires, ceux qui vivent en squat, en friche industrielle, sur des sites pollués, ou dans des institutions, l’école, l’hôpital ».

Tableaux noirs

11J’ai retenu de cet écart, l’entre deux, ce qui se situe entre la norme et la marge, ou bien ce qui fait horreur, ce qui fait « tableau noir », ce qui rend amer et montre le Laid3. Voici, chers auditeurs, ce qui, selon moi, était le plus frappant lors de mes recherches de terrain en caravane musée Art Rom. C’est ce que je nomme l’exemple des « Madonna ». Lors de mon enquête, à la manière d’une autoanthropologie, je soulevais la question suivante : comment sauver, sauvegarder et conserver notre patrimoine Rom Sinti, si souvent éphémère, alors que les familles nomades en France ou ailleurs, étaient mises à mal ?

12Oui, les familles Roms et Nomades n’ont eu accès à la citoyenneté qu’en 2012 et 2016 pour les porteurs de titres de circulation, en 1995 le Président Chirac reconnaît le Samudaripen (génocide) de la Seconde guerre mondiale ; en 2016, le Président Hollande reconnaît l’abrogation à effet immédiat des titres de circulation ; et, en 2018, le Président Macron reconnaît la faute de l’État français lors de la commémoration des 70 ans de la rafle du Vél’d’Hiv.

13Dans le cadre de la mise en œuvre de notre concept Art Rom, il s’agissait de vivre au fil de la route, avec titre de circulation français et stationnant régulièrement sur des sites de relégation comme des Aires d’accueil réservées aux Gens du Voyage, ou plus loin en collectifs, ou en camping à la Ferme bio.

Entre deux

14Ce qui divise, peut être le fait de donner cours, de travailler pour l’Education Nationale, donc « pour tous », pour tous les élèves, mais dans le même temps de ne pas avoir de lieu pour vivre, d’espace où stationner, ceci venant maltraiter nos cultures, notre peuple.

15Lors d’une prestation avec le centre social Ecoute le Voyage, à Périgueux Marsac en Dordogne, j’ai animé des ateliers et une exposition Art Rom avec les enfants gitans et manouches. Au stationnement j’ai été amenée à rencontrer, entre autres, une petite fille trisomique, prénommée « Madonna ». Cette enfant et sa famille vivaient ou survivaient, loin des activités urbaines, mais près d’une voie rapide. Son père récupérait des rebuts de chantiers pour se chauffer, pour faire du feu sur la place. Sa mère nourrissait sans cesse l’enfant. « Madonna » avait fait l’objet d’un signalement de la part des Services Sociaux, elle risquait le placement en IME, pour des raisons de santé et d’hygiène. « Madonna » avait visité la Caravane Musée Art Rom, l’environnement était bruyant, froid et humide sur ce flanc de colline, les enfants, ou tchavé, passaient leur temps à se battre, ils souffraient de la faim.

16L’objectif était de produire sa création, après avoir visité le musée, d’apprendre quelque chose et de discuter ou d’être au calme, de partager une boisson chaude et un goûter, de pouvoir exposer.

Maman Manouche avec enfants et animatrices

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La caravane musée Art Rom à Périgueux, 2007 2008

T. Magy

Méthodologie

17Ma méthodologie consistait, en tant que plasticienne, à questionner l’espace du logement nomade (le véhicule : voiture, camion, caravane) et d’en proposer un aménagement possible et poétique, car lors des ateliers nous évoquions les métiers des grands parents et les jeux d’enfants gitans.

18Ces enfants manquaient d’espace pour créer et avoir accès à des apprentissages. Car la population des Aires d’accueil était « contrainte », nous n’étions pas si libres que cela d’aller et venir. L’emploi des titres de circulation était extrêmement contraignant, et les contrôles obligatoires par la gendarmerie, de même que le rôle répressif de la Commune de rattachement, le non accès au vote citoyen.

19L’accès au musée, à l’atelier, et à la lecture d’image, à de l’Histoire des Arts, permettait aussi de partager les acquis de telle ou telle technique abordable par tous, et donnant accès aux Loisirs pour tous ces enfants n’ayant accès à rien (dessin, peinture, linogravure, vidéo, photographie, modelage, pliages, petits instruments de musique, lecture et soutien scolaire…).

Rendre compte : l’obligation de résultat

20Lorsqu’il s’agissait d’établir un bilan d’activité, que ce soit auprès de mon Directeur de thèse, Jacques Cohen à Paris 1 ou Michel Boccara à Toulouse 2, le but était de donner à voir et à comprendre, des articles, des illustrations, de restituer ces jours de création et vernissage festif, de le valoriser ensuite pour faire connaître nos pratiques par des institutions muséales.

Luxe et prestige

21L’exemple des « Madonna » ne serait pas complet et utile à la société, sans cet événement que je vais vous conter.

22Hé oui, l’artiste même nomade et misérable souvent, sait qu’il ou elle, peut être convoqué à tout moment une fois dans sa carrière, pour défendre son sujet, sa cause. Aussi, pendant 8 ans, notre association fût conviée pour être représentative d’activités artistiques et pédagogiques Roms et non-Roms, en présence de Tania Magy et de membres d’Art Rom, dans le cadre du prestigieux Balkan Trafic des Beaux Arts de Bruxelles, le BOZAR si vous préférez. L’Absl. 1001 Valises y a la parole. En plein cœur de la capitale Belge, pouvoir devant des Députés Roms européens, et de très nombreux artistes et spectateurs, proposer un stand, la visite de la caravane, un spectacle de théâtres d’objets et marionnettes. Montrer ces objets précieux venus de territoires où d’habitude rien n’est conservé, faute de place, faute de soin et de place laissé aux familles nomades. D’où l’importance, selon nous, de création de sites ressources tels que des Musées et Médiathèques Roms4. Même si notre culture est très vivante et musicale par ailleurs, la peinture et la sculpture restent plus secrètes, moins montrées.

Tania Magy dans la caravane musée Art Rom

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France, 2010

Inconnu

23Au BOZAR, ce fût Madame Natasha Udovikova Bielenberg, que l’on me présenta de manière solennelle et simple à la fois. Cette illustre chorégraphe Rom Russe, anime le ballet de jeunes danseurs Roms de la célèbre chanteuse américaine « Madonna ». En Belgique, j’ai reçu une écoute attentive, et notre association (Fig.3) a gagné de quoi nourrir de nombreuses familles gitanes, manouches et Roms en France (Nouvelle Aquitaine), et d’animer d’autres ateliers avec du matériel neuf.

But de cette recherche

24Notre création de la caravane musée Art Rom et recherche de terrain a consisté pendant 20 ans à osciller entre nos deux « Madonna », travailler tout autant avec un public vivant la misère et la précarité, tout comme l’ultra reconnaissance d’un travail artistique transgenre, total et de lutte.

Histoire de l’art

25Maintenant, mesdames et messieurs, voyageons un peu entre les pages de mes deux thèses, recherches scientifiques à la rencontre de l’Art des Roms.

Récit des origines Roms

Le lien à l’histoire biblique

26En tant que plasticienne, puis en tant qu’anthropologue, je ne pouvais progresser sans observation directe, sans accompagnement et surtout sans ce souhait de mieux connaître le mystère de l’Art Plastique Rom, tout comme il existe pour chaque peuple une ou des pratiques artistiques ou rituelles… C’est la raison pour laquelle deux auteurs clé, parmi tant d’autres, ont retenu mon attention, ils m’ont guidée pour mieux décrypter des pratiques d’artistes et d’artisans Roms.

27J’ai donc appris avec le récit de Gérard Gartner5 et après lecture du catalogue de la Première Mondiale d’Art Tzigane, que l’un des peintres précurseurs à la Renaissance italienne fût Antonio Solario dit « Lo Zingaro ». Né en 1465 dans les Abbruzes (où l’on retrouve aujourd’hui l’association Thèm Romano de Monsieur Santino Spinelli, qui organise le Concours Amico Rom, à Lanciano, mettant en avant des artistes contemporains de plusieurs domaines, tels que l’écriture, la poésie, la peinture, la sculpture, la musique et les recherches scientifiques), « Lo Zingaro » a été formé à l’Ecole Vénitienne, l’Ecole Napolitaine du XVIe siècle, il décède en 1530 à Naples.

28Les Solario étaient une très grande famille cosmopolite de peintres et architectes. On trouve des traces d’autres Solario connus, comme Andréa Solario, dit « Bartolo », né en 1460 à Milan, et décédé en 1524 peut être exilé en France d’une autre famille.

29La problématique principale du « Zingaro » était de représenter des Saintes Familles. Néanmoins, l’on note une composition et des études du Saint Jean Baptiste, ou Décollation de Saint Jean le Baptiste. On y voit un autoportrait d’Antonio Solario, tête coupée dans un plat précieux. Ceci révèle un mystère, un questionnement. Andréa et Antonio ont peint des décollations, ce sont des autoportraits. Dans le catalogue offert par Monsieur Gartner, on voit une coupe et la tête, le chef, de Saint Jean Baptiste. Mais les réserves du Louvre possèdent une étude, une sanguine de cet autoportrait d’Antonio Solario. Ce thème de la décapitation était à la mode, ses représentations nombreuses, des commandes religieuses ou de collectionneurs.

30Donc, dans le catalogue « Visions capitales », Julia Kristéva6 doute… Elle estime qu’au delà de la castration symbolique et/ou réelle (on voit une tête coupée, c’est Salomée princesse juive qui décapite à l’épée Saint Jean venu prêcher), il s’agit tout de même d’un mystère. Pourquoi « Lo Zingaro » a t il l’air si reposé, si serein ? Rien à voir avec un visage effrayé ou torturé. Il est mort, et cette mort est douce. Et enfin, la coupe représente t elle le Saint Graal ? L’évocation de la perte, de l’origine est à observer en parallèle avec l’histoire lointaine de Sainte Sara, servante de Marie Madeleine, en Camargue, exilée en radeau et jetée à l’eau par les romains.

31Pourtant, de cet art qui fût autant nomade que sédentaire, soit à cause des guerres et persécutions, soit à cause du manque de logement ou de l’obligation de résider, des mouvements des familles ou Koumpanias Roms (des groupes familiaux), on peut dire qu’il existe bien sûr des propos communs, des sujets évoqués et des couleurs similaires.

32C’est avec force que certains artistes gitans ou roms de renom, comme Gabi Jimenez, au niveau international, ayant participé à la Biennale de Venise pavillon Rom en 2007, affirment qu’il n’y a pas un « genre précis de peinture gitane », par exemple. D’autres revendiquent le fait de créer pour des galeries d’art contemporain, pour des musées. C’est le cas pour le Museum Romske Cultury de Brno en République Tchèque, et tout dernièrement pour l’ERIAC à Berlin en Allemagne. Car par exemple le peintre allemand Otto Muëller (ou Otto Muller), a été malmené lors de la seconde guerre mondiale, son art étant considéré par les occupants, comme moindre7. Des musées nationaux de différents pays européens ou américains exposent des œuvres d’artistes Roms. C’est le cas en ce moment avec les œuvres de l’artiste Rom autrichienne Madame Ceija Stojka, qui fût internée par les nazis et rescapée, survivante. Elle créa beaucoup, et à Madrid au Musée Reine Sofia on peut admirer ses compositions. L’organisation de cet événement historique est celle de l’équipe de Xavier Marchand à l’Anicolacheur, Marseille en France.

Gérard Gartner, décrit alors le parcours de Matéo Maximoff :

Nous nous retrouvons à Gurs, un camp créé l’année précédente à l’intention des combattants basques de l’armée républicaine où déjà plusieurs milliers d’individus, hommes, femmes, enfants ont transité et pour certains y sont morts.8

33Ce même écrivain Maximoff, fût retrouvé plus tard interné au camp de Lannemezan, tout comme certains membres de la famille Zanko.

34Pourtant, Monsieur Sasha Zanko m’a remis un autre ouvrage précieux, m’a fourni une autre piste de lecture. C’est un petit recueil de poème cités de Firdouzi, en Iran, qui est illustré à la mode Perse du XI ou IX e siècle. On y observe des Dôms ou Roms luttant pour le Sultan, des femmes cuisinant au feu, des chasseurs, cueilleurs et guerriers en chariots. C’étaient des esclaves Roms. On note plus tard, à la fin du Moyen Age, des gravures de Jacques Callot, représentant des groupes de Bohémiens à pied et à cheval, aux portes de Paris, ou bien étaient-ce des Egyptiens ou Athinkanos venus de Grèce (et considérés comme manichéens), ou du Maghreb ?

Rencontres avec Gérard Gartner

35J’ai rencontré Gérard Gartner, dit « Mutsa », lors de ma première prestation au Gipsy Swing Festival d’Angers vers les années 2000. Il a bien voulu accompagner ma démarche, rendant visite aux enfants et familles de l’Aire des Perrins, nous agissions en tant que plasticiens. « Mutsa » m’a fait un don extrêmement précieux : le fameux catalogue de cette Première Mondiale d’Art Tzigane. Avec patience, il a suivi les projets artistiques et pédagogiques de notre association Art Rom.

Couverture du catalogue Première Mondiale d’Artistes Tziganes, ou d’Art Tzigane

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T. Magy

36Monsieur Gartner est devenu notre Président d’Honneur. Il a exposé en itinérance avec nous plusieurs fois… Bien après sa propre série d’expositions itinérantes entre 1986 et 1988, avec des œuvres de la Première Mondiale, et Tony Gatlif, et Sandra Jayat.

37« Mutsa » estimait que cela avait été trop compliqué vis-à-vis de la conservation d’œuvres muséales précieuses, comme d’œuvres plus simples.

Objectivement, ce baptême inadéquat, puisqu’en vérité l’art tsigane est en lui-même inexistant, n’a pu, à lui tout seul, provoquer et justifier le désaveu total et silencieux de la presse à notre encontre. Il demeurait que 230 tableaux, sculptures, dessins réalisés par des artistes d’origine tsigane, s’offraient au regard, attendant une appréciation, un jugement, et pour certains, confirmation et assentiment qu’il existe bien, à défaut d’art tsigane, des artistes individuellement remarquables.9

38Julia Kristéva avait été accusée « d’espionnage »… Pourtant Monsieur Gartner fut, lui, champion de France de boxe10, et garde du corps du Ministre Malraux, sous la présidence Pompidou.

39« Mutsa » est comme un père pour moi. Pourtant il ne révèle rien du mystère qui enveloppe ce fameux Solario, et dédoublé par la lecture de Kristéva…

40Mais lors de cette exposition de 1985, il était possible d’admirer des œuvres de Django Reinhardt, la Revue Etudes Tsiganes publie un numéro spécial où l’on découvre que :

Django Reinhardt serait sans doute devenu un remarquable peintre « expressionniste » s’il avait pu continuer à peindre, comme le prouvent ses tableaux. Il aimait les grands formats (15, 20, voire 30 figures) et c’était surtout des filles nues. Il a peint au hasard de ses pérégrinations, très peu, mais sous une impulsion spontanée et très personnelle. On retrouve dans ses toiles, peintes entre 1935 et 1940, les qualités de l’école Expressionniste (dont Van Gogh fut l’un des précurseurs) : dessin simplifié, rapports de tons insolites et intenses.11

Rencontres avec Sasha Zanko

41Grâce à l’accueil chaleureux de Monsieur Sasha Zanko et de sa famille Rom sédentaire en Provence, j’ai pu apprendre l’existence du Theatre Romen de Moscou. Il était question ici du travail de comédien de théâtre ou acteur de cinéma, du métier d’étameur rétameur, de luttes intellectuelles et de terrain en faveur des familles nomades et Roms, de l’accès aux droits. Nous parlions autant de nomadisme que de sédentarité.

42Le récit fondateur de son arrière grand aïeul est marquant. Joseph Zanko a témoigné auprès d’un révérend père. Il explique dans la Bible des Roms, d’où sont issues les croyances des familles Roms. C’est remarquable. L’histoire de Sinpétra, ou Saint Pierre, le Baro Devel, ou Grand Dieu, est écrite. Sinpétra et le Beng, le Diable, se donnent des défis pour insuffler la vie aux Papushas Adamo e Yhéwa. Ce sont les poupées d’argile récupérée au fond de la rivière et qui donne les ongles noirs aux Tsiganes…

Seuls quelques Pharavunure (Chalderash) s’échappèrent. Nous sommes leurs fils (Roms). C’est depuis ce malheur que nous (…), n’avons plus de puissance, plus de pays, plus de chef, plus d’Eglise et plus d’écriture, car notre puissance, nos chefs, notre force, notre écriture ont été noyés dans la mer pour toujours…12

43Et dans cet ouvrage de Zanko chef tribal, l’on trouve encore :

Les rescapés parvinrent cependant jusqu’au rivage dans le pays de Zagrebo sous la conduite d’un chef. Ce fut notre refuge et le commencement de notre vie errante…13

Rencontre avec Marcel Hognon

44Monsieur Marcel Hognon est un artiste et intellectuel manouche, qui vit le nomadisme en famille. Avec le Mouvement Intellectuel Tsigane, Monsieur Hognon, ou Sinthan Tchavé, travaille avec son « Djungalo Teatro ». Il s’agit d’artistes et d’œuvres en itinérance, on y voit des spectacles de théâtre, de la musique, du conte14, du chant, de l’art avec les sculptures et peintures, de la bijouterie… Cet auteur est engagé au niveau européen, avec roulottes et fourgons.

Des femmes témoins

45Madame Délia Romanès parle des familles Tsiganes plutôt que Roms. Danseuse et chanteuse, c’est, avec Alexandre Romanès, la Directrice du Cirque. Artistes de renom, dont la famille circassienne était Bouglione, ils jouent souvent à Paris, et également en province lorsque cela est possible, en tant que nomades.

46La famille Romanès a subi des attaques fascistes et a dû se retrancher et se défendre dans leurs caravanes. C’est très grave. C’est le reflet de la « montée des populismes en Europe ».

47Grâce au Tchiriclif, qui est le seul Centre Culturel Tzigane et Gitane de France et d’Europe, en itinérance, il est possible de réclamer à exposer ses propositions artistiques et associatives.

48Mona Metbach y était présente, comme auparavant dans de nombreuses autres villes. Cette peintre manouche est issue d’une famille de cirque. Madame Mona Metbach est nomade, avec son mari Mattéo Bauer et sa famille. Sa prochaine exposition aura lieu du vernissage, le 23 janvier 2020, au 11 mars 2020, à la Maison des Femmes de Bordeaux.

49Mona et son mari parlent des luttes et droits des nomades, mais également de la vie d’avant, de la nature, des roulottes, des marchés et travaux saisonniers. Il est possible de trouver l’un des témoignages de Mona Metbach, chez l’auteure Claire Auzias, « Chœurs de femmes Tsiganes », Ed. Egrégore.

Festival Tsigane à la Grange de Lanquais en Dordogne France

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Mona Metbach, Titi Robin et Nouk a Maximoff à la caravane musée Art Rom, 2014

T. Magy

Que penser de Tela Tchaï et Sandra Jayat ?

50C’était l’expression de deux femmes manouches. Elles étaient émancipées. Très actives, après guerre, et avec les artistes qui leur étaient contemporains, une légende orale veut que Téla Tchaï et Sandra Jayat15 soient protégées par les Guardians de Camargue.

Téla Tchaï

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Coupure de journal inconnu, donnée par Gérard Gartner, où l’on voit Téla Tchaï avec son chien et sa 2CV, considérée comme Caraque, vamp et n’acceptant que les bijoux en or. Date inconnue

Inconnu

Auteurs militants contemporains

51Marina Rosselle et Gabi Jimenez sont deux artistes contemporains. Issus des Beaux Arts ou du monde du Graphisme, leur propos est de défendre les cultures Roms et Nomades, par des actes artistiques forts, par des activités de terrain pour des scolaires et élèves non scolarisés. Ils parlent du Samudaripen, ou d’images fantômes, évocation du passage des populations dans divers territoires urbains ou ailleurs.

Les activités de terrain, menées avec la Caravane Musée Art Rom

52Les travaux plastiques de Tania Magy reprenaient ceux de l’accès au « geste premier », aux expressions du corps et du visage, des traces de créations en atelier, de paysages, de faits d’actualité, des genres, de la famille, du nomadisme, des arts forains et itinérants. De témoignages de contrainte. De la folie. De la marionnette. De la performance. De luttes pour l’abrogation des titres de circulation. D’accès à la Nature.

Here is a selection of Roma, citizens of a Czech Republic, part of a growing middlclass and professional class (…). Thei and their families have had to fight discrimination every day from birth (…), to face down real dangers.16

53Pour terminer je dirai, pour répondre à vos questions, chers auditeurs, que les populations de manouches et gitans en France se considèrent comme français, depuis de nombreuses générations. Les historiens, anthropologues et linguistes, décrivent un peuple issu du Nord Ouest de l’Inde, du Rajasthan entre le IX et le XIe siècle. Les populations auraient été réduites en esclavage en Perse. Les familles d’Athinkanos, en Inde, ou de Dôms, ont traversé l’Europe en migrant. Les familles dispersées et suivant la culture dominante, pratique les religions du pays, néanmoins le protestantisme et le catholicisme sont les religions les plus pratiquées en France. 20 % des familles seraient nomades sur le territoire et ceci donne le chiffre de 500 000 personnes. L’Art des familles nomades est souvent éphémère, assez méconnu.

54Nos activités Art Rom pendant 18 ans ou 20 ans, étaient de travailler sur le terrain, avec caravane et centre ressources. Il permettait de développer les pratiques artistiques et apprentissages pédagogiques. D’aboutir à des expositions. De diffuser les connaissances.

55Il faudrait développer ces activités et préserver les créations d’élèves et d’artistes Roms Sinti, en continuant à questionner l’accès au logement, l’accès à la scolarisation, au droit d’habiter sur des terrains privés, à la santé, à l’eau potable, alors qu’une nouvelle loi menace les habitants de logements nomades ou démontables de fortes amendes journalières.

56Dans ces conditions les pratiques d’Arts Nomades sont mises à mal, se produire en itinérance implique de sauvegarder des traces des prestations.

57Pour raisons de sécurité, en ces temps de plan vigipirate renforcé, en France toujours, l’accès aux centre ville a été restreint et les regroupements sont interdits.

58Seuls les commerçants avec carte d’ambulant et registre du commerce en règle sont autorisés à exercer.

59Certains auditeurs me questionnent sur les sujets des mariages Yéniches, puis de la reconnaissance des genres dans les communautés gitanes. Je réponds que des familles Yéniches utilisent Youtube pour évoquer des souvenirs de mariage, et qu’il existe bien sûr des auteurs engagés dans des syndicats, tels que la CNT-AIT Saint Ouen, et l’édition du journal « Le Niglo en colère » (Noire). Puis je parle de la famille de cette célèbre chanteuse gitane Négrita, dont la fille Tania milite pour les droits LGBT QI+, et s’est fait connaître dans The Voice à la télévision.

60Mesdames et messieurs, mon discours était orienté par des recherches scientifiques, telles que celles du choix ou non de l’Esthétique Relationnelle développée par Nicolas Bourriaud, ou encore par le questionnement de l’itinérance, de l’exil, de l’errance, et de certaines pathologies, liées à des causes environnementales ou familiales. On peut noter depuis une vingtaine d’années une inclusion progressive des élèves Roms Sinti à l’école, mais toujours des difficultés d’intégration au quotidien, un plus fort mouvement migratoire vers l’Ouest de l’Europe, mais par des groupes migrants distincts, ou par des familles retournant ensuite à l’Est. L’effet de la presse est dévastateur car souvent les termes d’envahissement, d’invasion, sont utilisés, et à cause du racisme certains clans préfèrent se regrouper pour vivre en bidonville, ou acheter des immeubles, des quartiers pour le bien être de la communauté.

61Ma thèse d’Anthropologie décrit une autoanthropologie, faite d’observations en collectifs ou sur mon lieu de travail, de réalisations concrètes sur le terrain, après de très longues recherches théoriques, avec pour objectif de retrouver des archives d’auteurs Tsiganes, ou rencontrer des artistes Roms dans le but de concevoir des projets en direction des familles et des enfants, ainsi que pour le grand public.

Notes

1 MAGY Tania, De l’errance pathologique, au nomadisme culturel : l’aventure de l’Art Rom, Thèse d’Anthropologie Historique et Sociale, sous la dir. de Michel Boccara, Toulouse 2 Jean Jaurès, 2018.

2 GARTNER Gérard, Matéo Maximoff, Carnets de Route, Paris, Éd. Alteredit, 2006.

3 Voir : GAGNEBIN Muriel, Fascination de la laideur. L’En deça psychanalytique du laid, Paris, Éd. Champ Vallon, 1978.

4 Par exemple la Médiathèque Matéo Maximoff (centre de ressources des Etudes Tsiganes, Paris).

5 Collectif, Première Mondiale d’Art Tzigane, Paris, Éd. Initiatives Tziganes, 1985.

6 KRISTEVA Julia, Visions Capitales, Paris, Éd. Réunion des Musées Nationaux, 1998.

7 Collectif, Catalogue En passant par la Bohème, « The Bohemian dream », Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2012. (Un DVD très bien documenté accompagne le catalogue de cette exposition, signé Jean Paul Fargier).

8 GARTNER Gérard, Matéo Maximoff, Carnets de Route, Paris, Alteredit, 2006. Dans « Les Années de Guerre, 1939 1945 », p. 66.

9 GARTNER Gérard, Les sept plasticiens précurseurs tsiganes, Otto Mueller, Serge Poliakoff, Hélios Gomez, Tela Tchaï, Django Reinhardt, Constantin Nepo, Yana Rondolotto, Ed. Marinoël, 2011.

10 GARTNER Gérard, Dernier coup de poing, soliloque d’un ancien boxeur du ring de Pantin, Mémoires, Éd. du Panthéon, 2019.

11 ANTONIETTO Alain, Revue Ētudes Tsiganes, Django, citant un courrier de Roget Chaput, dans « Django et la peinture », 1989/3 4, p.34.

12 ZANKO, La tradition tsigane dévoilée par Zanko et recueillie par le révérend père Chatard, La Bible des Roms, Ed. Gaussen Tchatchipen, 2017, p. 40.

13 Ibid., p. 41.

14 HOGNON Marcel, Rom, le petit violoniste, Saint Même les Carrières, Ed. Marcel Hognon, 1999.

15 JAYAT Sandra, La Zingarina ou l’herbe sauvage, Paris, Ed. Max Milo, 2010.

16 WYATT Chad Ewans, Roma rising : romske obrozeni, Ed. Argo, 2007.

Pour citer cet article

Tania Magy, « Art Rom », L'ethnographie, 2 | 2020, mis en ligne le 20 mars 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=438

Tania Magy

Tania Magy est docteur en Arts Plastiques et Anthropologie des Universités Paris 1 (CERAP) et Toulouse 2 (LISST). Les recherches de Tania Magy s’orientent à la découverte des pratiques de plasticiens Roms et Nomades, en France ou à l’International. Nomade pendant 18 ans, de père gitan, cette plasticienne et anthropologue questionne le geste, le corps, la performance et la marionnette. Grâce à l’emploi d’une caravane musée Art Rom elle a pu travailler avec plusieurs familles et artistes Roms internationaux et français.