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Le maqām et la création musicale dans le sud de la Méditerranée : une dialectique du désenchantement

Anis Fariji
avril 2019

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.982

Résumés   

Résumé

Le maqām a été largement investi comme matériau de prévalence par les différentes démarches compositionnelles liées au monde arabe. Cela tient certainement à son potentiel expressif, tout comme à sa forte connotation culturelle qui le distingue au sein de la diversité musicale mondialisée. Les trois compositeurs de la musique contemporaine, Ahmed Essyad, Zad Moultaka et Saed Haddad, ne dérogent pas à cette orientation. En parcourant les différentes techniques avec lesquelles ces trois compositeurs intègrent le maqām dans leurs œuvres, cet article montre que le rapport à ce matériau demeure néanmoins problématique. Car si le maqām injecte dans l’œuvre une matière d’expression stimulante, il peut tout aussi bien y apparaître comme élément de connotation usée. Il s’agit dès lors d’un rapport de forces entre le compositeur et le matériau traditionnel avec quoi il doit négocier dans le détail et la singularité de chaque œuvre.

Index   

Index de mots-clés : Ahmed Essyad, maqām, désenchantement, Zad Moultaka, Saed Haddad.

Texte intégral   

Introduction

1Le maqām désigne le système des modes mélodiques des traditions musicales du Proche-Orient. Spécifiquement, il nomme l’échelle relative à tel ou tel mode mélodique, comme pour dire maqām rāst, maqām bayyātī, etc.1 Mais il ne s’y réduit point toutefois ; la notion de maqām ne saurait coïncider avec la représentation théorique d’une échelle positivement fixée. Celle-ci n’est pas plus qu’une forme de rationalisation de son substrat acoustique, une distribution ordonnée, plus ou moins stabilisée de quelque suite d’intervalles sonores. Pas davantage que la notion de maqām ne se résume aux différents éléments formels dérivés de son échelle. Quelque chose de plus englobant et unifiant, en fait, d’essentiel, définit le maqām et le fait apparaître comme entité insécable, douée d’une qualité esthétique irréductible : c’est son aura, l’apparence sensible du dépôt affectif, sédiment de l’histoire, que recèle telle échelle sonore établie. Les musiciens traditionnels en parlent en termes d’expérience émotionnelle. Il est ainsi courant qu’on associe tel maqām à telle atmosphère émotionnelle, comme par exemple le rāst à quelque chose de joyeux, le ṣabā à un ethos plutôt sombre ou lugubre. Aussi des récitants du Coran n’hésitent-ils pas de recommander tel maqām pour tel passage du texte sacré afin de traduire « musicalement » l’affect perçu de ses significations2.

2Dans le domaine de la création musicale, le maqām a été largement investi comme matériau de prévalence par les différentes démarches compositionnelles liées au monde arabe. Cela tient certainement à son potentiel expressif, tout comme, sans doute aussi, à sa forte connotation culturelle qui le distingue au sein de la diversité musicale mondialisée. Les trois compositeurs de la musique contemporaine dont nous allons parcourir ici quelques pièces, Ahmed Essyad, Zad Moultaka et Saed Haddad, ne dérogent pas à cette orientation. Toute une palette d’éléments du maqām se retrouve en effet dans leurs œuvres. Mais aussi complexes et impénétrables que soient les mobiles du compositeur à employer tel matériau particulier, quelque motif lié à l’émotion se dégage néanmoins dans le rapport au maqām. Moultaka l’affirme ouvertement, en parlant du tétracorde du maqām ṣabā en particulier : « je suis fasciné par l’émotion qu’on peut tirer de quatre notes »3. Ahmed Essyad, lui, en parle en termes de « charme » que le maqām exerce sur celui qui en est familier4.

3Or rien n’est moins problématique pour la composition musicale aujourd’hui que l’intégration d’un matériau dont le pouvoir d’expression est aussi intense qu’immédiat. Problématique, car si le matériau du maqām injecte dans l’œuvre musicale une teneur spirituelle indéniable, il peut s’avérer en revanche un écueil à l’expression esthétique elle-même, en raison justement de la forte connotation qui s’y rattache.

Le maqām et l’équivoque de l’émotion

4L’émotion, état intimement intérieur, est signe cependant d’un rapport particulier à l’objet (extérieur). « Les émotions ne sont pas un semblant », écrit dans ce sens Theodor Adorno dans Théorie esthétique5. Au moment de l’émotion, l’objet manifeste quelque chose de plus que son simple être matériel, aussi apparaît-il débordant son statut de chose univoquement assignable. De son côté, le moi ému s’aperçoit qu’il n’est pas « la réalité ultime »6, que quelque chose « manque » à son être strictement individuel. Ainsi, faire l’expérience de l’émotion par rapport à un objet, cela signifie qu’il existe comme une sorte d’affinité qui nous liait pour ainsi dire déjà à lui, une sorte de relation souterraine qui émerge alors à la surface. Nombre d’auteurs rattachent l’expérience de l’émotion à un temps antérieur, à une forme de réminiscence. Ainsi, c’est en termes de conciliation que Walter Benjamin en parle : « l’émotion est cette phase transitoire où l’apparence – celle de la beauté comme apparence de la réconciliation – avant de disparaître brille une fois encore de son plus doux éclat crépusculaire. »7 Dans le sillage de la pensée de Benjamin, Françoise Proust voit dans l’émotion musicale, plus précisément, « la porte par où les morts apparaissent en image, en esprit, aux vivants. »8 Mais d’après cette pensée, ce qui ressurgit lors de l’émotion, depuis le passé pourrait-on dire, n’y est justement pas définitivement consommé. C’est parce qu’il y a cette sorte d’ébranlement affectif – l’émotion –, parce qu’il y a effraction qu’il est fondé de juger que ce que l’émotion fait apparaître est déjà latent dans le présent, comme y étant attendu. « Nous ne pleurons pas, à l’écoute de la musique sur nos malheurs ou nos bonheurs pour les expier ou nous en décharger, écrit Françoise Proust, nous pleurons, et, de ce fait, nos malheurs et nos douleurs ne sont plus présents, mais ils ne sont pas non plus passés : ils vivent désormais en nous comme des spectres, comme nos fantômes. »9 Il s’agit donc d’un mode particulier de temporalité qui se trame lors du moment émotionnel, une sorte de nouage singulier, quoique fulgurant, entre le passé et le présent. Dans le contexte des musiques dans le monde de l’islam, Jean During va dans le même sens quand il parle de la nostalgie en particulier, la considérant comme le trait émotionnel par excellence des traditions musicales orientales, leur « êthos » dit-il : « La nostalgie est un désir, qui, paradoxalement, n’est pas tendu vers l’avenir mais vers le passé, ou plutôt vers la représentation d’une origine. Elle implique un rapport particulier au passé et instaure une communication circulaire entre le passé et le présent, entre la présence (ou la présentification) et l’absence. »10

5Ainsi, ne pouvant guère se réduire à la contingence perceptive du sujet-compositeur, le recours au matériau du maqām, source éminente d’émotion, doit être compris comme désir potentiel de recouvrer ce qui apparaît éloigné, ce qui de ce fait même n’est plus actuel, mais ne cesse pour autant de poindre à travers l’ébranlement du corps, comme s’il réclamait son droit au présent. Voilà pourquoi il serait réducteur de rapporter automatiquement le recours au matériau musical traditionnel à un quelconque passéisme ou à quelque tendance rétrograde. Au contraire, l’emploi d’un matériau comme le maqām peut s’avérer d’autant plus actuel qu’il répond à une sorte d’ « appel » non encore assouvi, car toujours revenant sous le voile troublé de l’émotion. Intégré alors dans l’œuvre, le maqām l’enchante ; il y instaure ce type particulier de connexion temporelle qui, immédiatement, l’élève outre sa littéralité matérielle. Aussi, de facto, le recours à un tel matériau musical s’avère être une forme de critique du désenchantement caractéristique de la modernité. À maintes reprises, Theodor Adorno souligne cette tendance paradoxale, immanente à la modernité artistique, selon laquelle l’art court à son propre « dessèchement » alors même qu’il s’affranchit de l’emprise de la tradition et libère en conséquence les potentialités de l’expression11. C’est sans doute ce même risque que Zad Moultaka pressent lorsqu’il revendique l’émotion comme catégorie salvatrice pour la composition musicale : « je n’ai pas peur de l’émotion dont s’est éloignée parfois la musique d’aujourd’hui. Je la recherche, même, car c’est peut-être l’émotion qui nous sauvera. »12 Il ajoute cependant : « Pour autant, je ne fais aucune concession à un quelconque passéisme formel ou retour en arrière. »13 Cette dernière position nous conduit à l’autre pendant de la problématique du recours au matériau traditionnel.

6L’emploi d’un matériau si enchanteur peut devenir contrariété pour l’expression esthétique. En effet, étant comme tel, saisissant, le maqām se trouve en proie à la récupération marchande. Celle-ci le happe, altère sa teneur et le réifie au demeurant. L’exemple du maqām ḥiǧaz est parlant : il s’en faut de peu pour que celui-ci apparaisse pétrifié derrière des stéréotypes figés que l’industrie, cinématographique en premier lieu, lui a assignés, à savoir toute une imagerie orientalisante. Le problème esthétique qui se pose alors consiste en ce que le matériau ainsi pétrifié se raidit dans la fade imagerie qui s’y colle. Quand il est introduit dans son état premier, l’impression que procure le matériau réifié correspond à une sorte d’affaissement expressif, l’impression d’un « déjà-vu », quelque chose qui ne renvoie plus qu’à soi-même, à quelque imagerie figée.

7Il existe un autre écueil esthétique quant à l’introduction du matériau du maqām, écueil qui ressortit cette fois-ci à la dimension historique. En effet, si le matériau traditionnel puise son pouvoir expressif dans l’histoire, c’est dans le cours de l’histoire aussi que cette qualité peut se flétrir. Il devient ainsi idéologie quand l’expérience qu’on en fait rime à une identification immédiate et absolue. Car une telle expérience stimule et, de fait, promeut l’identification positive et immédiate du sujet au monde, et ce indifféremment des tensions sociales qui s’y trouvent alors escamotées. Dans sa réflexion sur la modernité musicale en Europe, Jean Paul Olive souligne ce devenir idéologique de l’art traditionnel en ces termes : « L’art traditionnel était largement idéologique : il proposait aux spectateurs des reflets d’eux-mêmes, leur imposant du même coup de se reconnaître dans les valeurs dominantes, dans les images de l’apparence des choses. »14 Ce caractère idéologique du matériau traditionnel se révèle d’autant plus qu’il apparaît harmonieux, se déployant « spontanément », sans heurt pour ainsi dire, alors qu’il en va tout autrement pour la réalité sociale. Cette apparence harmonieuse se perçoit plus particulièrement à travers la qualité esthétique que chaque maqām exhale singulièrement – son ethos spécifique –, quasi indépendamment de la forme effective qui le déploie. Ce voile enchanteur, à la surface duquel s’abolit la distinction entre sujet et objet, est le signe que le matériau est devenu inaliénable. On le sait, pour peu qu’on altère la moindre propriété d’un maqām, son caractère se corrompt s’il ne s’évanouit pas. Ainsi exerce-t-il une pression en faveur de son ordre implacable.

8En somme, le matériau du maqām pose le dilemme qu’on résume ainsi : d’un côté, il est une chance pour la composition dans la mesure où il s’offre comme substrat sonore d’une puissance expressive stimulante ; mais d’un autre côté, du fait même qu’il est d’un tel potentiel d’expression, fortement connoté pour cette même raison, l’apparence harmonieuse qu’il établit immédiatement tend à brider la forme dans quelque chose d’usé, d’érodé.
Regardons à présent comment ce dilemme est assumé par la musique contemporaine sud-méditerranéenne.

Le devenir du maqām dans l’œuvre musicale contemporaine

9Le caractère équivoque du maqām rejaillit sur la manière dont il est traité par les trois compositeurs Ahmed Essyad, Zad Moultaka et Saed Haddad. En effet, il est sans cesse convoqué et tout à la fois critiqué, à savoir altéré, brouillé, distordu voire détraqué, jusqu’au bord de la neutralisation. Voici d’abord un aperçu (non exhaustif) des différents modes employés dans les œuvres des trois compositeurs.

Tableau : maqām‑s employés dans les œuvres d’Ahmed Essyad, de Zad Moultaka et de Saed Haddad

Rāst

Bayyātī

Sīkāh

Ṣabā

Ḥiǧaz(-kār)

kurd

Maqām‑s rares

Ahmed Essyad

Tamda (2,7)15

Les eaux meurent en dormant (3,1)

Tamda (6,4).

- Tamda (6,7).

- Les eaux meurent en dormant (7, 2).

- Asselman (3,2).

- Voix interdites (début du Chant I).

- Le temps rebelle (au début) ;

- La source captive (3,2).

Zad Moultaka

Fragment B118 (tout le trio à cordes).

Ligéa (chœur 3, dans partie III).

- Mèn èntè.

- Zourna.

- Cinq haïkus (ligne d’alto du haïku I).

Enè bèki (chant II, mes. 116).

Saed Haddad

-Contredésir (début).

- La mémoire et l’inconnu (mes. 190).

La mémoire et l’inconnu (mes. 260).

- On love I (début).

- Les deux visages de l’Orient (début).

- La mémoire et l’inconnu (mes. 47).

- Kontra-Gewalt (début).

- In contradiction (début).

- Les deux visages de l’Orient (V).

- Les deux visages de l’Orient (IV).

- La Mémoire et l’Inconnu (mes. 264).

Dans La Mémoire et l’inconnu :

- ṣabā-zamzam (mes. 40).

- mustaʿār (mes. 54).

10Dans ce qui suit, on déclinera les principales techniques d’appropriation du maqām dans le sens progressif de l’écart appliqué, c’est-à-dire de l’insertion qui le garde quasi intact jusqu’à la distorsion la plus poussée.

Insertion sans altération

11Il s’agit de passages où la structure intervallique du maqām employé, gardée intacte, ne subit aucun brouillage, ni horizontalement ni verticalement ; on retrouve alors la couleur modale dans toute sa clarté, sans qu’il s’agisse de citation16.

12C’est le cas d’un phrasé en arche, assez récurrent dans les premières pièces de Saed Haddad, phrasé dont voici une occurrence en rāst/sol issue du Contredésir (2004) pour clarinette, cor et violoncelle.

Exemple 1: première arche du Contredésir (Haddad)

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13On trouve bon nombre d’exemples chez Zad Moultaka d’une telle limpidité modale. C’est le cas de cet étonnant passage en ṣabā/do dièse dans Callara I (2012) pour alto et quatuor à cordes, quand, tout à coup, tous les instruments se mettent à jouer à l’unisson, avant qu’ils ne se dissocient par la suite.

Exemple 2: unisson modal dans Callara I (Moultaka)

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14Chez Ahmed Essyad, les rares fois où le matériau modal est exposé dans sa clarté sont en plus assez éphémères et, souvent, aussitôt contrariées. C’est le cas de cette fin sereine dans Le Temps rebelle (1980) pour flûte amplifiée et piano, où la ligne modale à la flûte, en ḥiǧāz-kār/la, est nettement dégagée, avant qu’elle ne soit contredite par un agrégat atonal au piano, à l’instant même où l’on atteint la note finale.

Exemple 3: phase modale dans Le temps rebelle (10,4) (Essyad)

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15En introduisant à certains endroits le matériau du maqām dans son état inaltéré, la musique s’octroie des instants de pure immédiateté expressive, lesquels font office de points d’articulation qui soutiennent l’unité formelle.

Écart par désorientation modale

16Nous désignons par « désorientation modale », dans ce contexte, la technique qui consiste à exposer le matériau du maqām dans son état intact tout en déjouant quelques-unes de ses conduites objectives.

17Il s’agit d’abord d’une manière d’exposer le matériau du maqām qui laisse sciemment sa fondamentale en suspens, c’est-à-dire non suffisamment soulignée, de sorte qu’aucun mode spécifique ne puisse se confirmer avec certitude. Tel est le cas, chez Essyad, de cette phrase dans Les eaux meurent en dormant (1992) pour flûte en sol amplifiée et piano, dans laquelle on peut distinguer trois fragments : le premier s’entend comme un rāst/mi, tandis que le deuxième, polarisé sur le fa dièse, laisserait plutôt entendre un bayyātī/fa dièse, avant que le troisième fragment, qui fait ressortir une espèce de ḥiǧāz/si nuancé, n’évoque a posteriori un sikāh/sol demi-dièse pour la totalité de la phrase. Il demeure qu’aucune de ces trois possibilités n’est clairement tranchée.

Exemple 4: flottement modal dans Les Eaux meurent en dormant (Essyad)

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18Une autre manière de désorienter la modalité consiste simplement à éviter la fondamentale au moment où elle devrait être affirmée. C’est généralement en fin de phrase que ce genre d’évitement est opéré, laissant dans l’ambiguïté le cours modal. C’est ainsi le cas dans La mémoire et l’inconnu (2005, rev. 2012) de Saed Haddad, pour oud et orchestre, dans un passage en maqām ṣabā-zamzam/la où la mélodie s’achève plutôt sur le deuxième degré (si bémol).

Exemple 5: évitement de la finale dans La Mémoire et l’inconnu (Haddad)

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19Il existe un autre moyen par lequel l’aspect modal est manifesté certes sans altération, mais le déroulement et les transitions sont, elles, incongrues. Il s’agit en l’occurrence de réaliser des transitions modales qui dérogent à la convention traditionnelle. On passe alors d’une couleur modale à une autre de façon tout à fait abrupte. Pour une oreille accoutumée à la logique du maqām, cela provoque un effet de surprise un peu déroutant, effet qui s’estompe, il est vrai, aussitôt que la modalité vers laquelle s’est faite la transition est installée. Cette technique est assez répandue chez Saed Haddad, lequel a eu recourt pendant sa première période dite de « synthèse »17, à un matériau modal assez foisonnant. Aussi en parle-t-il en termes d’effet d’ « étrangeté » intervallique : « Les modulations abruptes ont un rôle très significatif […] La plupart des modulations sont basées sur l’introduction, brutalement, d’échelles comportant des notes étrangères (des notes « interdites »), c’est-à-dire des hauteurs qui ne sont pas utilisées dans un passage précédent. »18 La Mémoire et l’inconnu abonde de telles transitions, comme le passage de ṣabā/fa dièse à ḥiǧāz-kār/si à la mes. 112, ou de nahāwand/do à iǧāz-kār/la à la mes. 133.

20Si l’effet de choc s’estompe dès lors qu’on s’installe dans la configuration modale survenue, on rencontre en revanche certaines transitions abruptes qui sont si éphémères que ce qui s’installe alors, c’est plutôt l’effet de choc lui-même. C’est souvent le cas chez Essyad dont la musique évite généralement d’installer quelque couleur modale que ce soit dans la durée – « Dans mon écriture, rien ne doit s’installer », insiste-t-il plus généralement19. Voici comme exemple une progression mélodique dans Asselman qui fait succéder hâtivement un matériau modal bien hétérogène : la mélodie commence d’abord en ṣabā/fa dièse ; aussitôt celui-ci est brisé par un motif pentatonique accéléré, dérivé du fonds intervallique berbère (du sud de Maroc) ; ensuite, le bref chromatisme autour du si bémol conduit à un matériau modal confus, car non encore pourvu d’une fondamentale claire ; mais après un geste frénétique en triples-croches dont l’échelle dérive d’un autre substrat pentatonique, le matériau du maqām se révèle être un ṣabā/do dièse avec l’apparition du fa dans l’aigu, c’est-à-dire la quarte diminuée si caractéristique de ce mode.

Exemple 6: modulations abruptes et éphémères dans Asselman (3,2-5) (Essyad)

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Écart par brouillage horizontal

21Afin d’estomper l’apparence évidente du maqām, les trois compositeurs recourent à certaines techniques consistant à contrecarrer la configuration modale en son propre déroulement horizontal.

22Une première technique consiste à opérer une telle opposition de manière pour ainsi dire différée. On a alors affaire à deux moments bien distincts dans le temps : l’exposition de l’élément modal dans son aspect intact et son altération par déformation, laquelle peut achever d’abolir toute référence modale. L’ordre d’apparition de ces deux moments peut varier : tantôt c’est l’occurrence modale qui est exposée en premier, tantôt sa déformation ; cela peut se faire également par alternance. Le recueil Zàrani (2002) de Zad Moultaka, pour piano, contralto, oud et percussion, regorge d’exemples où la mélodie traditionnelle (citation) se voit immanquablement déformée, si elle ne l’est pas d’emblée. Le même procédé est employé dans Zajal (2010), opéra de chambre, vers la fin du drame quand l’intrigue est sur le point d’être dénouée. Alors, le protagoniste répète une phrase, d’abord mélodiquement déformée, avant qu’elle ne se décante progressivement et qu’elle ne devienne conforme à l’idiome traditionnel dont elle est issue.

Exemple 7: phrase traditionnelle dans Zajal, d’abord déformée, puis restituée (Moultaka)

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23Une deuxième technique de brouillage horizontal consiste à altérer non pas encore la structure intervallique du maqām, mais simplement le profil de sa ligne. On rappelle que celle-ci, procédant par tricordes, tétracordes et pentacordes encastrés, répugne naturellement aux grands intervalles20. La technique d’écart dont il est question consiste alors à isoler, en les extrayant brutalement dans un autre registre, une ou plusieurs notes qui devraient normalement adhérer à l’aspect conjoint de la ligne. C’est chez Saed Haddad que l’on rencontre le plus souvent une telle technique ; les notes isolées se trouvent le cas échéant extrapolées à l’octave supérieure ou inférieure21. Ainsi, le profil mélodique se montre brisé, voire contorsionné, sans que son caractère modal ne s’émousse vraiment.

Exemple 8: ligne modale brisée par octaviation dans La Mémoire et l’inconnu (Haddad)

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24Pour ce qui est des techniques qui brouillent l’apparence modale en agissant sur la structure intervallique, la plus observée est celle qui se réalise par chromatisme retourné. On rappelle que cette technique consiste à effectuer d’abord un mouvement diatonique, généralement exigu, puis à retourner la trajectoire mélodique dans le sens inverse tout en altérant les degrés du mouvement premier. C’est là, du reste, une technique bien connue dans la musique savante occidentale ; on la retrouve par exemple dans la toute dernière zone cadentielle du Crucifix de la Messe en si mineur (BWV 232) de J.S. Bach22 ; aussi le premier mouvement de Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartók en regorge, à l’instar de ce tout premier motif à l’alto.

Exemple 9: premier motif de Musique pour cordes, percussion et célesta (Bartók)

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25Appliqué au maqām, le chromatisme retourné produit un effet intéressant. La couleur modale se trouve contrecarrée au sein de sa propre zone intervallique, par retournement mélodique. Tel est le cas de ce bref motif dans Les eaux meurent en dormant d’Essyad, où le  demi-dièse vient récuser la couleur du ṣabā/si.

Exemple 10: bref motif altéré dans Les eaux meurent en dormant (5,2) (Essyad)

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26Mais c’est plutôt chez Zad Moultaka que le chromatisme retourné est presque de rigueur dès qu’il s’agit de ligne modale. C’est le cas de tout le premier mouvement de Zourna (2007) pour clarinette (ou saxophone alto) solo. La ligne monodique, annoncée dès le départ en ṣabā, n’a de cesse en effet de revenir sur elle-même, au moyen du chromatisme retourné, de manière légèrement différée néanmoins, afin de laisser un peu de temps justement à l’apparition modale. Cela produit une atmosphère ambiguë : la couleur du maqām se trouve à la fois établie mais jamais stabilisée, car alternativement elle apparaît et disparaît – une sorte de « clignotement » modal.

Exemple 11: apparition modale intermittente dans Zourna (Moultaka)

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Écart par brouillage vertical

27Il s’agit maintenant d’observer certains procédés qui consistent à appliquer à la ligne modale des techniques polyphoniques. S’agissant d’un matériau essentiellement monodique, c’est déjà en soi une forme d’estompage que de l’intégrer dans une texture verticale. On peut distinguer parmi ces techniques de verticalisation deux catégories, selon que les strates simultanées ont un matériau homogène ou hétérogène.

28En ce qui concerne la première catégorie, on trouve chez Saed Haddad nombre de passages, strictement homorythmiques, dont le matériau modal constituant est unique, dérivé du même maqām. Néanmoins, le choix des intervalles harmoniques (entre les voix), privilégiant les secondes, les septièmes et la quinte diminuée, est ainsi fait que la texture résultante rompt avec le caractère lisse du maqām, qu’elle devient âpre. Si bien que les voix se confondent en une sorte de tracé indémêlable. On pense, par exemple, à ce premier geste véhément dans Kontra-Gewalt (2010) pour clarinette et grand orchestre, en ḥiǧāz-kār/sol, dont la partie des bois suivante est suffisamment illustrative.

Exemple 12: tracé homorythmique dans Kontra-Gewalt (parties) (Haddad)

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29Dans d’autres cas, chez le même compositeur, les parties, tout en partageant le même matériau, prennent une certaine autonomie. Il en résulte, soit des voix en contrepoint libre, soit un contre‑chant, comme dans l’exemple ci-après, en sīkāh/mi demi-bémol, tiré de On Love I (2005) pour qanûn et ensemble. Là aussi, la prééminence de la ligne modale se trouve contrariée par une altérité tout à la fois simultanée et égale en prépondérance.

Exemple 13: contre‑chant dans On Love I (parties) (Haddad)

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30Chez Zad Moultaka, il existe une technique de verticalisation assez particulière en ceci qu’elle émerge à même la ligne modale, par agrégation verticale progressive du déroulement horizontal. On la rencontre dans Enluminures (2005) pour neuf voix de femmes, où le compositeur procède par la projection dans l’espace de quelques bribes ou phrases mélodiques. Chaque note émise étant retenue (en valeur longue) dans l’espace du chœur, la phrase mélodique s’enrobe ce faisant de l’agrégat progressivement accumulé de sa charpente modale, se ploie et se condense au demeurant en une sorte de « cluster modal ». Ci-après, en réduction, un exemple en ṣabā/do dièse issu d’Enluminure VIII.

Exemple 14: agrégation harmonique dans Enluminure VIII (Moultaka)

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31Pour ce qui est des techniques de verticalisation qui se font avec un matériau hétérogène, il s’agit tout d’abord du principe de la polymodalité, à savoir la superposition de voix en des modes différents ; il s’agit précisément ici de ce que Anthony Girard appelle « polymodalité harmonique »23. L’apparence modale devient alors d’autant plus confuse qu’elle se trouve partagée simultanément en des matériaux hétérogènes. Mais, le plus souvent, la musique n’en demeure pas moins enveloppée par l’atmosphère du maqām, surtout quand il s’agit de mode contenant la seconde médiane (3/4 de ton) typique du maqām, laquelle, avec sa couleur spécifique, résiste plus que tout autre intervalle tempéré à la confusion modale. Voici à titre d’exemple ce passage dans On Love II (cf. supra) de Haddad, où le piano, sur une échelle enrichie, fait sonner une bribe en ḥiǧāz/sol dièse, le trombone un sabā/mi (avec la seconde médiane mifa demi-dièse), tandis que le cor, plus libre, procède par ce qu’on désignera plus loin par « modalité fictive » (infra).

Exemple 15: polymodalité dans On Love II (parties) (Haddad)

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32Chez Moultaka, la différenciation dans la texture verticale peut atteindre une radicalité telle que les strates achèvent de se désolidariser tout à fait. Le cas échéant, l’hétérogénéité porte aussi bien sur le matériau que sur la temporalité ; il s’agit du reste d’une forme particulière d’hétérophonie24. Le matériau du maqām se trouve alors intégré dans une structure sonore qui fait fi de la transparence. Tel est le cas de ce passage dans Ligéa (2009) pour chœur mixte a capella, où les voix de basse déroulent une ritournelle en ṣabā/mi dièse, tandis que les voix de soprano étirent progressivement un motif descendant en libre atonalité.

Exemple 16: strates hétérogènes dans Ligéa (réduction) (Moultaka)

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Vers la neutralisation du caractère modal

33Jusque-là, les techniques d’écart observées s’appliquent sur des configurations du maqām plus ou moins établies, dont le caractère modal demeure spécifié en quelque façon. La tendance que l’on va examiner à présent va dans le sens, non plus de s’opposer à une configuration modale établie, mais de la dissolution de l’effet modal lui-même. Dans de tels cas, la structure du maqām se trouve si distordue que la teneur expressive de ses intervalles tend à se neutraliser.

34Le moyen le plus « économique » consiste simplement à garder l’échelle modale intacte, tout en défaisant l’aspect conjoint de la mélodie – aspect grâce auquel, on l’a vu, elle manifeste son caractère modal. Mais contrairement à la technique déjà abordée où il s’agissait d’extrapoler quelques groupes de notes isolées (cf. supra), ce sont maintenant toutes les notes déployées qui se trouvent disséminées dans le registre sonore. Il en résulte nécessairement un déroulement en pointillé. Tel est le cas de ce geste en arpège tout à fait brusque dans le deuxième mouvement de Deux visages de l’Orient (2006) pour violon solo de Saed Haddad.

Exemple 17: arpège neutralisant dans Les Deux visages de l’Orient (Haddad)

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35Théoriquement, le matériau de cet arpège n’est rien d’autre que l’échelle du ḥiǧāz-kār/si bémol (seule la note sol bécarre est étrangère à l’échelle indiquée). Mais étant donné les grands écarts d’intervalles suivant lesquels se manifeste ici l’échelle modale, le caractère spécifique du maqām tend à s’annihiler. La musique s’affranchit ainsi du poids de la connotation modale, certes, mais préserve néanmoins une sorte de trace sonore du matériau employé. Une sorte d’homogénéité sonore se trouve malgré tout maintenue ainsi, le passage « éclaté » pouvant se mettre en résonance avec un autre explicitement modal (en l’occurrence, celui qui suit juste après).

36Un autre moyen technique qui tend à la neutralisation se fait par isolement. Il s’agit d’abord d’extraire un noyau modal entier. C’est le cas, dans Les eaux meurent en dormant d’Essyad, d’une bribe éphémère en ḥiǧāz(/mi). Celle-ci, bien que dégagée par le saut dans l’aigu, se trouve cependant encastrée et alors escamotée dans l’élan d’une courbe ondoyante à la flûte assez dé-caractérisée du reste.

Exemple 18: bribe de maqām isolée dans Les eaux meurent en dormant (3,3) (Essyad)

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37La neutralisation par isolement peut aller jusqu’à extraire un seul intervalle de sa charpente modale. Le cas qui ressort plus singulièrement est celui de l’intervalle médian. Même soustrait de toute logique modale, celui-ci préserve la singularité de sa teinte expressive. En revanche, aucune consistance modale n’est plus possible dans un tel état de désagrégation : c’est à peine si quelque ténue lueur auratique est émise, avant de s’éclipser aussitôt que l’intervalle en question est abandonné. Tel est le cas de cet intervalle (-mi demi-bémol) ô combien frêle dans ce passage de Temps rebelle d’Essyad.

Exemple 19: intervalle médian isolé dans Le Temps rebelle (5,4) (partie) (Essyad)

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38Le morcellement du maqām participant de sa neutralisation, le fragment isolé, menue bribe ou intervalle typique, occupe dès lors la fonction de signal. Il se présente comme repère étincelant et se prête ainsi comme jalon d’articulation de la forme, fût-il si précaire.

39Enfin, nous présentons une dernière technique de neutralisation qui ressortit à ce que l’on peut appeler « modalité fictive ». Il s’agit de cas où une configuration mélodique déroule une suite d’intervalles typiques du maqām, sans qu’on ne puisse relever aucune échelle répertoriée ; c’est d’une sorte de semblant de maqām qu’il s’agit. La musique fait valoir ainsi la charge expressive que dégage la succession de ces intervalles, tout en se déprenant du déterminisme modal. C’est le cas, par exemple, de cette ligne sinueuse dans Calvario (2008) de Zad Moultaka, pour guitare et sons fixés, où aucun noyau de maqām n’est relevable alors qu’elle regorge de secondes médianes – celles-ci, il est vrai, étant faites soigneusement hétérogènes.

Exemple 20: modalité fictive dans Calvario (Moultaka)

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40Il existe chez Saed Haddad aussi quelques passages qui renvoient à ce genre d’ « illusion modale », procédant chez lui plutôt par intervalles harmoniques. C’est le cas d’une plage sonore aux cuivres vers la fin de On Love II, quand, tout d’un coup, presque toute l’intonation se décale d’un quart de ton. Alors, en contraste avec l’intonation « juste » en vigueur par ailleurs dans la pièce, ce passage – très subtil – dégage une sonorité pour ainsi dire « irréelle », teintée de cette couleur de quart de ton qui ne laisse pas d’évoquer l’atmosphère du maqām, sans qu’aucune échelle traditionnelle ne soit pourtant effective.

Exemple 21: sonorité à « quart de ton » dans On Love II (Haddad)

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Conclusion

41Les différentes techniques d’intégration du maqām dans la musique contemporaine sud-méditerranéenne décrivent bien la tension dans le rapport à ce matériau, étant à la fois approprié et critiqué. La tension se révèle en outre par l’inconstance même de ce rapport. En effet, le maqām peut tout à fait réapparaître, chez tel compositeur, dans un état non altéré après avoir été fortement distordu dans une œuvre antérieure25. Néanmoins, ce qui reste le plus marquant dans le rapport au maqām dans ce corpus, c’est plutôt la tendance à sa critique. On l’a vu, l’écriture musicale pousse l’écart, par altération, jusqu’à ce que le maqām se trouve sur le point de se dissoudre en se désagrégeant. L’intervalle isolé, extrait de la configuration modale dans laquelle il se confondait et prenait chair, apparaît comme le signe crépusculaire, fragile et à peine luisant, du désenchantement du matériau ; de même que, dans le cas de ce qu’on a appelé « modalité fictive », il ne subsiste du maqām qu’une vague ombre sonore.

42En fait, ce qui se découvre dans ce tiraillement entre la restitution du maqām et sa distorsion la plus radicale n’est rien d’autre qu’un rapport de forces, manifestement jamais apaisé, entre le matériau, son pouvoir enchanteur et ses exigences objectives d’un côté, et la pensée distanciée et critique que le compositeur lui oppose d’un autre côté. Or, de même que le matériau modal ne saurait se réduire à son substrat technique mais puise sa teneur esthétique dans l’histoire, de même le rapport de forces en question ne saurait se résumer à un loisir technique mais dénote un rapport à la société. C’est là un point important dans la pensée de Theodor Adorno que de concevoir le rapport au matériau musical non simplement comme un jeu formel abstrait, mais comme médiation, rapport déterminé par l’histoire et la société que le matériau médiatise à son tour dans l’œuvre. Adorno écrit ainsi dans Philosophie de la nouvelle musique :

Les exigences du matériau à l’égard du sujet proviennent plutôt du fait que le « matériau » lui-même, c’est l’esprit sédimenté, quelque chose de socialement préformé à travers la conscience des hommes. En tant que subjectivité primordiale ayant perdu la conscience de sa nature antérieure, un tel esprit objectif du matériau se meut selon ses propres lois. Ayant la même origine que le processus social et constamment imprégné de ses traces, ce qui semble simple automouvement du matériau évolue dans le même sens que la société réelle, même là où les deux mouvements s’ignorent et se combattent. C’est pourquoi, la confrontation du compositeur avec le matériau est aussi confrontation avec la société, précisément dans la mesure où celle-ci a pénétré dans l’œuvre et ne s’oppose pas à la production artistique comme un élément purement extérieur et hétéronome, comme consommateur ou contradicteur.26

43En ce sens, la critique du maqām dans le corpus de la musique contemporaine sud-méditerranéenne peut se comprendre comme une forme de critique de l’objectivité sociale, une forme de critique, plus spécifiquement, de la manière dont la société façonne, cultive et présente ce matériau. Quand Ahmed Essyad affirme qu’il ne saurait se contenter « de la certitude du maqām, aussi fascinant soit-il »27, il pointe assurément le caractère évident, immédiat, autosuffisant du maqām tel qu’il est advenu dans l’état actuel de la culture. Il pointe d’une certaine manière le rapport par trop positif qu’un tel matériau motive à l’endroit de l’objectivité, notamment sociale. Mais le maqām n’est point banni pour autant. Loin de là : « on n’y parviendra pas, de toute façon, tellement on en est épris »28, reconnaît Essyad. Car c’est bien en vertu de sa teneur esthétique que l’œuvre puise ses moments les plus expressifs, moments grâce auxquels, en partie, elle assure son unité et se tient par conséquent au sein de la culture. Liées à la culture par ce fort matériau et tout à la fois substantiellement distanciées, de telles œuvres de la musique contemporaine sud-méditerranéenne donnent à percevoir d’autres manières d’être de la forme et, au travers d’elles, de nouvelles figures sublimées du réel.

Bibliographie   

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Notes   

1 Pour s’informer sur les maqām‑s, voir le site Maqam World : https://www.maqamworld.com/en/maqam.php.

2 A. Fariji, « L’improvisation et la labilité mélodique comme formes d’expression du sacré : exemple de la récitation du Coran dans le style muǧawwad », Revue des Traditions Musicales, N. Abou Mrad (éd.), L’improvisation taqsīm, Hadath-Baabda, Liban, 2015, p. 124-125.

3 Cité dans : M. Solomos, « Écouter les Visions de Zad Moultaka », dans Visions [Livret], Onoma, 2008, p. 13.

4 A. Essyad et A. Fariji, « “Nous sommes façonnés par nos ouvertures autant que par nos passés” – Entretien avec Ahmed Essyad », Revue Filigrane, no 24, 2019.

5 T. W. Adorno, Théorie esthétique, R. Tiedemann (éd.), M. Jimenez (trad.), Paris, Klincksieck, 2011, p. 339.

6 Id.

7 W. Benjamin, « Les affinités électives de Goethe », R. Rochlitz (trad.), dans Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000, vol. I, p. 380.

8 F. Proust, L’histoire à contretemps : le temps historique chez Walter Benjamin, Paris, Librairie générale française, 1999, p. 101.

9 Ibid., p. 99.

10 J. During, « Le sacré et le profane : une distinction légitime ? Le cas des musiques du Proche-Orient », dans J.-J. Nattiez (éd.), Musiques : une encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud Cité de la musique, 2005, vol. 3, p. 342.

11 T. W. Adorno, Théorie esthétique, op. cit., p. 150 ; T. W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, H. Hildenbrand et A. Lindenberg (trad.), Paris, Gallimard, 1990, p. 30.

12 Cité dans : E. Giuliani, « Le jardin sacré de Zad Moultaka [entretien] », La Croix, 28 septembre 2012.

13 Id.

14 J. P. Olive, Musique et montage : essai sur le matériau musical au début du XXe siècle, Paris Montréal (Québec), L’Harmattan, 1999, p. 31.

15 À défaut de barres de mesure dans le Cycle de l’eau d’Ahmed Essyad, on indiquera les passages par le numéro de page et le numéro de système, les deux chiffres entre parenthèses.

16 On fait le choix ici de ne pas traiter le cas de la citation, étant assez trivial quant à l’intégration, intacte nécessairement, du maqām.

17 Période de 2004 à 2006 pendant laquelle le compositeur recherchait une synthèse du langage du maqām et de la musique savante occidentale. Cf. P. Roullier (éd.), Saed Haddad entre les milieux, Champigny-sur-Marne, Ensemble 2E2M, 2013.

18 « abrupt modulations have a very significant role […]. Most of the modulations are based on introducing, abruptly, scales with foreign tones (’forbidden’ tones), i. e. pitches which were not used in a previous passage. » S. Haddad, The abstraction of Arabic musical vocabulary, spiritual and cultural values into contemporary Western music, Thèse de doctorat de composition musicale, London, King’s College, 2005, p. 17. (Nous traduisons.)

19 A. Essyad et A. Fariji, « “Nous sommes façonnés par nos ouvertures autant que par nos passés” – Entretien avec Ahmed Essyad », op. cit.

20 Cf. N. Abou Mrad, « Procédure d’investigation micromodale des traditions musicales du Proche-Orient », Revue des Traditions Musicales des Mondes Arabe et Méditerranéen (RTMMAM), Liban, Éd. de l’Université Antonine, 2009, vol. 3, p. 37-74.

21 On retrouve une technique similaire employée par le compositeur espagnol José Evangelista, qu’il appelle « octaves brisées », J. Evangelista, « Pourquoi composer de la musique monodique », Circuit : Musiques contemporaines, vol. 1, no 2, 1990, p. 69.

22 On y constate, en effet, les mouvements chromatiques suivants : fa dièse-mi-sol bécarre, au soprano ; si-do-si bémol, à l’alto ; et sol dièse-la-sol bécarre, au ténor.

23 A. Girard, « La polymodalité, une brèche sur l’irrationnel », dans M. Fischer et D. Pistone (éd.), Polytonalité-polymodalité : histoire et actualité, Paris, Université Paris-Sorbonne, Observatoire musical français, 2005, p. 233. Dans le même article, Anthony Girard passe en revue bon nombre d’exemples de polymodalité, depuis Igor Stravinsky jusqu’à certains compositeurs plus récents, comme le français Guy Sacre ou le russe Valéry Arzoumanov, en passant par Francis Poulenc, Paul Hindemith, Manuel de Falla, Henri Dutilleux, Oliver Messiaen, Dmitri Chostakovitch, Sergueï Prokofiev, Benjamin Britten et Béla Bartók. Pour ce dernier, Bartók, voir la polymodalité chez lui dans J.-F. Boukobza, Bartók et le folklore imaginaire, Paris, Cité de la musique, 2005, p. 77‑82.

24 Z. Moultaka, « Hétérophonie, hétérotopie », Revue Filigrane, no 24, 2019 ; A. Fariji, « Les figures multiples de l’hétérophonie dans la musique de Zad Moultaka », Revue Circuit - Musiques contemporaines, vol. 27, no 3, 2017, p. 31.

25 C’est le cas par exemple de Chant I de Voix interdites (2010) pour soprano et septuor instrumental d’Ahmed Essyad, qui commence par une ligne mélodique dont le matériau est dérivé du ḥiǧāz-kār.

26 T. W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 45.

27 A. Essyad et A. Fariji, « “Nous sommes façonnés par nos ouvertures autant que par nos passés” – Entretien avec Ahmed Essyad », op. cit.

28 Id.

Citation   

Anis Fariji, «Le maqām et la création musicale dans le sud de la Méditerranée : une dialectique du désenchantement», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], La composition musicale et la Méditerranée, Numéros de la revue, Études de cas, mis à  jour le : 20/11/2019, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=982.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Anis Fariji

Anis Fariji est docteur en musicologie (mention du prix de thèse du musée du quai Branly – 2017) et chercheur associé à MUSIDANSE (Paris 8) et au LESC-CREM (Paris Nanterre). Il est actuellement post-doctorant au Centre Jacques-Berque au Maroc (USR3136 – CNRS). Ses travaux portent sur deux axes : 1) la composition musicale dans le contexte de l’interculturalité, en lien particulièrement avec les cultures du monde arabe et de la Méditerranée ; et 2) les formes vocales de l’islam.