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György Ligeti, ou le travail du négatif dans l’écriture musicale

Joseph Delaplace
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.202

Résumés   

Résumé

Traversée de références multiples qui se coagulent en des complexes sonores d’une profonde originalité, l’œuvre de György Ligeti résonne d’une présence mystérieuse, doublée d’une étonnante et permanente mise en question du sens. Des prismes musicaux répétitifs et déformants et qu’affectionne Ligeti jusqu’aux œuvres les plus récentes marquées par le sceau de multiples lamentations stylisées, en passant par le recours à l’absurde et l’ironie distanciée dans Aventures et Le Grand Macabre, se dessine les arcanes d’une pensée à l’œuvre qui déborde les œuvres, que nous avons souhaité nommer, dans le sillage de certains pans de la philosophie hégélienne ainsi que de la psychanalyse freudienne - lacanienne, le « travail du négatif ». Cet article s’attache à montrer en quoi une constellation de partitions épouse, de diverses manières, la force du négatif, en rapport avec le thème de la mort et avec l’histoire du XXe siècle qui hante l’imaginaire de Ligeti.

Abstract

Crossed by multiple references which coagulate into sound complexes of a profound originality, the work of György Ligeti resounds with a mysterious presence, coupled by an astonishing and permanent interrogation of meaning. From the repetitive and distorting musical prisms cherished by Ligeti until his most recent works marked by the stamp of their multiple stylised lamentations, passing through his recourse to the absurd and distanced irony in Aventures and Le Grand Macabre, is delineated the arcanum of a thinking at work, which goes beyond the bounds of the works themselves, that we have chosen to name, in the wake of certain aspects of Hegelian philosophy and Freudian-Lacanian psychoanalysis, the “work of the negative”. This article seeks to show how a constellation of musical scores espouses, in different ways, the force of the negative, in relation to the theme of death and to the history of the 20th century which haunts the imagination of Ligeti.

Index   

Texte intégral   

 « Il y a du sens dans ce qui semble n’en pas avoir, de l’énigme dans ce qui semble aller de soi, une charge de pensée dans ce qui paraît être un détail anodin… »1

« Si le négatif pouvait avoir une image, mais il n’en a pas, ce serait peut-être une créature ou un monologue de Samuel Beckett, faits pour évoquer un non lieu de la signification. Mais cette comparaison même n’est pas encore assez forte, ou plutôt elle a déjà trop de relief, car si Beckett suggère par l’excès de l’absurde l’exigence d’un sens manquant, c’est que le négatif déjà est à chercher plus loin encore, à une limite où nous ne le pressentons et ne l’interrogeons plus… »2

1Une suite de mi bémols, joués alternativement sur quatre octaves différentes, avec une infinie douceur et en valeurs égales, résonne au piano. L’enchaînement répétitif rapide des sons constitue une trame à la fois immobile et animée de l’intérieur, un voile sonore légèrement irisé, fluide, mais qui semble déjà suggérer une instabilité à venir. Un son plus long (fa bémol, en octave), appuyé, se détache et vient frotter presque douloureusement contre le continuum, comme une appogiature qui, au lieu de se résoudre sur le mi bémol, engendre un petit mouvement chromatique descendant (ré-réb-do). Cette esquisse mélodique ne se situe pas sur le même plan que les valeurs brèves répétitives, mais intègre quand même le mi bémol par complémentarité (fab-(mib)--réb-do), comme en filigrane. La courte incise est aussitôt reprise et prolongée d’un son (fab-(mib)--réb-do-si), évoquant de plus en plus directement, tant par son profil que par son retour, une « lamentation » dont l’histoire de la musique regorge. Elle est répétée une seconde fois, avec plus de ferveur, puisqu’elle débute sur un sol bémol, inclut des octaves « faussées »3, et se développe un peu plus encore.

2Il s’agit du tout début d’Automne à Varsovie, ultime pièce du premier cahier des Études pour piano de György Ligeti (1923-2006), publié en 1985. Cette sixième étude est aussi l’une des plus riches et des plus complexes des dix-sept pièces constitutives d’un corpus essentiel dans la littérature pianistique de la seconde moitié du XXe siècle. On y trouve de nombreuses traces de ce que j’ai souhaité nommer le « travail du négatif », pour désigner un ensemble de processus qui convergent et se sédimentent au sein de l’écriture musicale, et qui constituent à mon sens l’un des fondements de l’esthétique de Ligeti.

3Une fois sa morphologie établie, le lamento d’Automne à Varsovie devient progressivement de plus en plus insistant, ne cesse de s’étendre, en répétant sur différents plans cette désinence caractéristique qui évoque de plus en plus directement l’univers vocal dont il provient4. Le travail sur les déplacements, les vitesses, les masses variables, contribue à élaborer un espace sonore aux qualités « plastiques », et un temps dont les subtiles manipulations du compositeur rendent palpables l’épaisseur et la densité, par delà la durée purement chronométrique qu’il réfléchit pourtant à travers une organisation répétitive faussement « mécanique ». La généralisation du geste mélodique évoque fortement le principe de la fugue, mais Ligeti en déplace le paradigme (un même « sujet » traité en imitations sur diverses hauteurs) vers la notion de vitesse. Ainsi, l’auditeur est progressivement absorbé dans cette véritable « fugue de tempo », d’une grande complexité, au sein de laquelle se multiplient les illusions acoustiques et les ambiguïtés d’ordre formel5. La fluidité la plus limpide y côtoie des instants de durcissement extrême, et une suspension surprenante du continuum laisse le geste du lamento se déployer dans la nudité la plus crue, au cœur de l’étude. La plainte stylisée redevient parfois curieusement « humaine », et à d’autres moments se transforme presque en cri, semblant vouloir s’arracher à elle-même, avant de se figer à nouveau en une réitération lancinante. Cette situation trouble inévitablement un auditeur qui se sent confronté à quelque chose excédant de loin l’univers pianistique qui lui est familier, quelque chose d’immémorial et de douloureux, que la musique de Ligeti « présentifie » avec une force surprenante.

4À travers une élaboration d’une précision chirurgicale, fruit d’un immense travail d’écriture, Ligeti nous donne à entendre des textures musicales étonnamment proches de certains phénomènes sonores naturels et humains, qui sont les marques d’une musique qui se gorge d’expérience jusqu’à saturation, sans pour autant renoncer à son caractère objectif, à l’état d’artefact inhérent au statut d’œuvre d’art qui est le sien. La difficulté tient autant à l’impossibilité de donner une définition univoque de ce que recèle la notion de négatif qu’à en saisir la substance et les linéaments au sein d’un style musical qui s’attache à sans cesse désorienter celui qui s’en approche. Mais c’est peut-être, paradoxalement, cette difficulté même qui permet d’appréhender au plus près le négatif en tant que travail, c’est-à-dire comme une catégorie dynamique, qui se nourrit de l’interrelation des éléments, des tensions à l’œuvre au cœur de la musique, entre les sons, à travers ceux-ci, et parfois en deçà ou au-delà du lisible et de l’audible. Le terme « négatif » est à comprendre selon diverses acceptions, nous le verrons, mais a à voir, en dernière instance, avec une certaine jouissance inaccessible à l’être parlant, cette « Chose » dont l’homme est définitivement « coupé », et qu’il ne cesse pourtant de désirer. L’écriture de Ligeti, traversée par de multiples tensions, semble retenir en elle les ombres d’un indicible qui « travaille » à notre insu. Par le paradoxe, l’absurde, le négatif dans toutes ses dimensions, les masques de la Chose sont re-présentés en même temps que déjoués.

5Dans Automne à Varsovie, la complexité d’une assimilation des éléments du passé (formels et langagiers) dont se nourrit une conception résolument moderne de l’œuvre, le tramage serré de divers types de répétition, la confusion entre avant-plan et arrière-plan, l’épaisseur d’un temps musical qui devient presque étranger à notre appréhension commune de la durée, ou encore le caractère vocal qui se fixe comme geste instrumental spécifique mais véhicule néanmoins une importante charge affective, sont autant d’éléments qui contribuent à tisser le travail du négatif. Le thème de la mort, qui traverse, sous diverses formes, la création ligétienne, depuis les œuvres des années cinquante jusqu’aux compositions postérieures à 1990, se profile aussi à l’arrière-plan de cet univers sonore aussi riche qu’étrange.

Le négatif au travail ?

6L’interrogation des productions de l’art à l’aune du concept de négatif répond à l’ambition de frayer un chemin vers une pensée qui puisse saisir, à travers le langage propre à chaque discipline artistique, les tensions, les champs de forces qui se fixent dans les œuvres. Certaines données ainsi mises à jour, certains aspects du « tissu interstitiel » de l’écriture, révèlent leurs dimensions cachées et leurs rapports à l’homme, envisagé dans sa double dimension de sujet particulier et d’être social. Pour autant, il ne s’agit pas de surimposer des concepts issus des sciences humaines à l’analyse de type musicologique. Il est envisageable en revanche de proposer des interprétations qui « traversent » un champ de savoir excédant le domaine musical, tout en étant conçues en fonction de l’expérience spécifique propre à chaque composition.

7Si la question du négatif a toujours été, d’une certaine manière, partie intégrante de la réflexion philosophique, c’est sans doute à Hegel que l’on doit d’en avoir exploré les méandres, et d’avoir intégré « l’énorme puissance du négatif » à sa conception de l’homme, du monde et de l’histoire. « L’esprit n’acquiert sa vérité qu’en se trouvant lui-même dans la déchirure absolue », écrit-il.

« Il n’est pas cette puissance au sens où il serait le positif qui n’a cure du négatif, à la façon dont nous disons de quelque chose : ce n’est rien, ou ce n’est pas vrai, et puis, bon, terminé, fi de cela et passons à n’importe quoi d’autre ; il n’est au contraire cette puissance qu’en regardant le négatif droit dans les yeux, en s’attardant chez lui. Ce séjour est la force magique qui convertit ce négatif en être »6.

8Hegel prend acte de l’avènement d’une ère où il n’existe plus de totalité du sens, sous l’égide de quelque communauté que ce soit. L’histoire contemporaine ne substitue pas pour autant une nouvelle vision du monde à un ancien ordonnancement des choses :

« Le seul point de vue et d’ordonnance est celui de la transformation elle-même. Ce n’est donc pas un point, c’est le passage, la négativité où s’éprouve comme jamais le mordant du sens »7.

9Pour Hegel, la prise en compte du négatif permet de capter la force d’un sens dont l’évanescence perpétuelle détermine l’intensité. L’homme lui-même « se constitue et se libère dans la dimension et selon la logique de la négation du “donné” en général »8. Cette intrication du sujet et du sens est poussée dans ses retranchements par le philosophe :

« Ce qui est ainsi “de l’être” – le propre de l’être lui-même –, c’est de se nier comme être pour devenir sens. En devenant sens, l’être ne se supprime pas comme on détruit quelque chose. Il nie être l’être de la subsistance impénétrable, et dans cette négation il affirme être l’être du sens »9.

10Hegel élabore une conception du négatif comme dynamisme constitutif du sujet et instauration de sens. Le philosophe envisage avec une acuité singulière la dialectique du sujet et de l’Autre telle qu’elle sera mise à jour, un siècle plus tard, par la psychanalyse.

« En fin de compte, il ne peut s’agir de rien d’autre que de dissoudre, de faire et de laisser se dissoudre, ces catégories de l’“être” et de la “pensée”. Mais c’est en posant l’autre qu’elle la dépose ainsi – et qu’elle se dépose elle-même dans cette déposition. Ainsi, l’opération du sens se donne comme pure négativité – mais cette négativité n’est autre chose que le surgissement du Réel dans sa concrétion absolue, et le point du sujet »10.

11Il n’y a qu’un pas entre cette conception du négatif et l’émergence du Réel, au sens lacanien du terme.

12Le jalon décisif vers une pensée du négatif, au XXe siècle, est posé par Freud, lorsqu’il suppose l’existence d’une pulsion de mort. La notion lacanienne de jouissance, qui est liée à cet « au-delà du principe de plaisir », place ensuite le négatif au cœur de la psychanalyse, en tant que cette jouissance n’est en rien synonyme de plaisir ; on pourrait dire, tout au plus, qu’elle se rapporte à un « excès » de plaisir, qui se rapprocherait plutôt de la douleur, et qui a rapport au désir inconscient. La jouissance apparaît en relation avec l’absence et avec la répétition (l’expérience du fort – da le montre assez clairement), ce qui marque son accointance avec la pulsion de mort. Lacan précise que c’est la texture même du langage qui tisse l’étoffe de la jouissance, et qu’elle se trame au signifiant du manque dans l’Autre. En définitive, la jouissance apparaît comme un excès, mais aussi une béance, une sorte d’extérieur à l’intérieur du sujet, un noyau exclu du langage dont on ne peut pourtant saisir les coordonnées qu’à travers le langage. En se plaçant du côté de la Chose, elle marque le lieu du Réel, que l’interprétation lacanienne de la pensée de Freud a permis de mettre en évidence. Dans le domaine de la psychanalyse, c’est tout un champ sémantique qui porte désormais la marque du négatif, au sens général du terme : on parle évidemment de refoulement et d’inconscient, mais aussi de division, d’absence, de manque, de déni, de dénégation. D’après André Green, il subsiste, au sein du psychisme, un « modèle négatif » consécutif aux expériences traumatiques infantiles, une sorte de matrice, indépendante des apparitions-disparitions de l’objet, qui acquiert une certaine autonomie, se met à agir parallèlement et non consciemment, se met à « travailler », à notre insu. Ainsi opérationnel, le négatif :

« se trouve au principe de toute opération psychique de transformation et de pensée. Travail du négatif constitutif de la trame, du fond, nécessaire au laboratoire de la pensée (Pontalis), avec ses petites quantités, ses élaborations successives, son activité permanente de réorganisation après coup des traces mnésiques en fonction des exigences internes et externes »11.

13Loin de se réduire à la négation, ou à un simple miroir du positif, le négatif est donc lié à une philosophie qui tente de comprendre « comment l’obscur savoir où s’éprouve ce monde est celui du soi en tant que rapport non donné, ou rapport infini »12. Mais il est lié aussi au Réel (ce qui ne peut se représenter ni se dire), au désir (le défaut, le manque) et à l’activité même de penser (la créativité, la sublimation). C’est sans doute dans le domaine de l’art que se conjoignent le négatif tel qu’il était appréhendé par Hegel, c’est-à-dire lié aux problématiques du sens, et le négatif tel qu’il se déploie dans le champ de la psychanalyse, où il désigne plutôt un ensemble de processus qui « travaillent » de manière incessante et inconsciente.

L’irreprésentable, au cœur de l’art du XXe siècle

14Plus largement, l’interprétation de la culture, telle que l’envisage la psychanalyse freudienne, porte le sceau du négatif. Elle s’attache, concernant le mythe entre autres, à ce qui paraît omis, censuré, barré, déformé, là où le structuralisme tend à privilégier l’agencement des éléments. La psychanalyse envisage la forme et le sens comme tronqués, mutilés, remaniés.

« Ce qui se transmet, ce n’est pas seulement le positif : nous savons mieux aujourd’hui que ce qui se transmet, dans la transsubjectivité des générations, des couples et des groupes, c’est ce qui fait défaut, ce qui manque, ce qui n’a pas reçu d’inscription, ce dont l’inscription a été empêchée, ce qui a été nié, refoulé ou forclos : au prix d’un meurtre silencieux, au prix d’un blanc, d’un trou, d’une éclipse de l’être »13.

15Au cours du XXe siècle, la production artistique enregistre, avec une violence sans précédents, la présence du négatif comme point d’ancrage et de fuite de la création. L’art des siècles passés est très certainement sous-tendu lui aussi par un travail du négatif, mais pour la première fois dans l’histoire, les dispositifs globalisants qui régissaient les langages de l’art (le système tonal en musique) sont sapés avec une telle force, d’une manière si radicale qu’elle fait parfois symptôme (le recours à l’aléatoire généralisé, par exemple), et que cela tend à entraîner, comme une réaction de défense, le retour d’une rationalité parfois exacerbée (la musique sérielle) ou, plus récemment, d’une esthétique régressive (la « nouvelle » simplicité et l’ensemble de la création néo-tonale/néo-modale). Les cris de l’expressionnisme ou encore les œuvres dans lesquelles le non-sens est érigé en règle mettent à nu la fragmentation, le discontinu, la faille qui nous renvoie à notre propre hétéronomie, à la diversité des aliénations produites par le moi. Mais ce que met aussi en relief la prolifération, au XXe siècle, des objets reproductibles à l’infini, parfois donnés pour des œuvres, c’est que l’art, contrairement à ces derniers, suppose et emporte :

« une logique du pas-tout, d’un ensemble jamais fini […] parler d’art en général, ce sera invoquer un ensemble non consistant constitué d’objets qui n’ont en commun que d’être chacun des singularités distinguables et distinguées »14.

16Cette démarcation instable et problématique qui se creuse entre l’objet industriel, duplicable à merci, et l’objet d’art, irréductiblement singulier, un compositeur comme Ligeti va la médiatiser de manière remarquable à travers son écriture de la répétition. L’aspect « mécanique » de cette dernière se trouve intégré au processus artistique et la répétition en série, celle de la machine, du travail à la chaîne, des mécanismes d’horlogerie, est à la fois absorbée par l’écriture, qui la livre comme un témoignage stylisé de son époque, et aussi extirpée de sa condition de duplication inerte. Par là même cette musique réfléchit (au double sens du terme, reflète et pense) la négativité inhérente au monde moderne, à sa technique, à ses appareils et ses objets fabriqués en grand nombre, aux chocs multiples qu’il inflige à des humains qui n’en tiennent plus les rênes.

17Selon Gérard Wajcman, tout un ensemble de phénomènes artistiques récents est également interprétable en regard de ce qu’il appelle « l’innommable qui forme l’entraille de ce siècle »15. Cet innommable, c’est la Shoah, qui acquiert un statut particulier par rapport aux autres exactions de masse, en raison de son ampleur bien entendu, mais aussi parce que, dans leur volonté d’effacer toute trace de ce qui s’est passé, les nazis ont partiellement réussi à organiser la négation du crime à l’intérieur du crime lui-même. « La grande industrie nazie ne produit pas des charniers, mais des cendres, rien de visible. Elle fabriquait de l’absence. Irreprésentable »16. L’objet Réel du XXe siècle serait donc cet événement, devenu non événement tant l’horreur excède ce qui peut se dire, mais dont les stigmates se fixent, en deçà et au-delà de son ex-sistence, dans certaines productions des hommes. La peinture abstraite, tout comme les ready made de Marcel Duchamp (la « Roue de bicyclette » en particulier), inscrit au cœur même de son projet la recherche de « faire tableau » avec ce qui ne peut se voir. Avant la Shoah, on a pu dire que la peinture abstraite se détournait de la réalité en s’éloignant du visible. Interpréter l’art en fonction de ce rien, de ce trou, cette absence, ce négatif sous jacent non seulement au sujet individuel mais à l’histoire de l’humanité occidentale au XXe siècle, permet de renverser cette assertion et d’affirmer qu’une telle peinture, au contraire, vise le Réel en son cœur. Le Carré noir sur fond blanc « n’est pas un tableau sans rien, mais un tableau avec le rien […] un tableau où c’est l’absence même qui se peint »17. André Green remarque aussi très justement que la part laissée au blanc augmente progressivement au sein des aquarelles de Cézanne.

« Qu’est-ce à dire ? Que le blanc du support est utilisé comme une couleur absente de la palette mais trouvée sur place “au lieu de travail” toute prête à entrer dans la composition ? Ou plutôt que ce blanc, véritable trou dans l’aquarelle ou “blanc de l’œil” du regard du peintre, vient ici figurer, à la manière d’une hallucination négative, la représentation de l’absence de représentation »18 ?

18Dans le domaine musical, on pense au poids du silence, dans des productions comme celle de Webern ou, plus récemment, de György Kurtág. Ainsi, il semblerait qu’en amont et en aval d’une réalité qui a jeté l’horreur en pleine figure des hommes, ce qui ne saurait se dire ne cesse de travailler et de s’inscrire sous une forme sublimée, via les langages non discursifs de l’art. Que les productions artistiques puissent anticiper des expériences humaines réelles, voilà une thèse qui ne manquera pas de soulever nombre de protestations. Mais cette interprétation des œuvres du début du siècle à l’aune des découvertes de la psychanalyse ne fait, en définitive, que prolonger en la déplaçant sur un autre plan la réflexion d’Adorno, lorsque celui-ci, prenant acte dès 1938 du caractère fétiche de la musique et de la régression de l’écoute, affirmait que « l’expérience qui a gagné aujourd’hui l’ensemble de la société avait déjà été sismographiquement enregistrée il y a quarante ans dans la musique de Mahler »19.

19Pour Ligeti, dont une partie de la famille proche succomba à l’Holocauste, et qui échappa lui-même de peu au massacre, l’innommable n’est pas quelque chose d’étranger. La question de la mort traverse l’ensemble de sa création, sous diverses formes, qui vont du cri à la lamentation, en passant par le recours à l’absurde et le cérémonial propre au Requiem. La vocalité si particulière qui se déploie dans ses œuvres de théâtre musical des années 1960 explore, à travers toute une série de comportements extrêmement étranges, un en deçà du langage sous lequel on devine l’angoisse, la béance, l’inexprimable. Le Dies Irae du Requiem accueille la frayeur à l’état le plus brut, alors que l’opéra Le Grand Macabre traite la mort sur le ton de la farce démoniaque, dans le sillage du théâtre de foire flamand. Quant aux nombreuses formes de passacailles qui jalonnent sa production plus récente, elles accueillent le geste répétitif du lamento, dont l’une des occurrences a été décrite plus haut, et qui se déploie, noblement, dans des environnements sonores très variés.

György Ligeti : la création sous le sceau du négatif

20Le destin de ce compositeur juif hongrois, né en Transylvanie en 1923, naturalisé autrichien en 1967, est significativement lié à diverses dimensions du négatif. Jeune adulte, il échappe plusieurs fois à la mort et endure la perte de ses proches. Enseignant et compositeur par la suite, il subit la pression et la censure d’un régime totalitaire, et vit dans un état d’isolement par rapport à l’avant-garde musicale, qui prend son essor en Europe de l’Ouest sous l’égide d’hommes comme Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez. Par sa formation à l’Académie Royale de Budapest, il acquiert néanmoins un solide métier en matière d’harmonie et de contrepoint. Ligeti est un homme de grande culture, dont la créativité est bridée, après 1950, par un régime politique le contraignant à écrire de la musique conforme aux directives du parti. Il imagine dès cette époque une rupture avec la tradition en marge de celles que consomment au même moment les musiciens sériels et les tenants de l’indétermination. Ce que recherche Ligeti, c’est une écriture qui ne serait plus assujettie aux paramètres principaux constituant l’a priori de toute composition « classique » : la hauteur déterminée et la figure rythmique. Ceci entraînerait une musique sans thèmes ni motifs, sans harmonie ni contrepoint audibles, une musique du flux et de la texture. Sa conception d’une telle écriture est tout autant spatiale que temporelle : des blocs sonores qui évoluent soit sous forme de mutations progressives, soit sous forme de changement abrupt, une musique « fondée sur des nappes de sons, échantillons d’interférences résultant, d’un point de vue technique, de la stratification chromatique serrée des multiples voix »20. Il ne réalisera complètement cette intention qu’en 1961, plusieurs années après son exil de Hongrie et son installation en Europe de l’Ouest. L’œuvre, Atmosphères, pour grand orchestre, établit sa réputation mondiale en tant que compositeur21. Cette belle réussite est toutefois le fruit des circonstances particulières évoquées ci-dessus, elle n’advient qu’à travers une approche « en négatif » de la modernité :

« L’expérience compositionnelle de Ligeti, nouée dans la période hongroise, est originairement marquée par l’absence d’un langage musical que seule l’imagination créatrice pouvait figurer. L’intention musicale, en excès par rapport à l’état du matériau dont il disposait, est comme prise en défaut, manquant des moyens de sa réalisation. Aussi trouve-t-on chez lui, à l’origine de sa démarche et de sa quête compositionnelle, une certaine expérience de la négativité que Varèse, lui aussi, a pu connaître pendant une période de sa vie et dont Adorno parle précisément à propos de la modernité de l’œuvre de Mahler : l’expérience d’un divorce entre intention et langage musical, dont dépend essentiellement l’expression “débordante” de sa musique »22.

21Les techniques d’écriture héritées ne sont pas rejetées par son nouveau style, elles sont absorbées par un dispositif qu’on associe désormais au compositeur : la micropolyphonie, ou polyphonie saturée, qui s’appuie sur un contrepoint ultra serré, et qui contrôle « de l’intérieur » cette succession de fondus enchaînés sonores. Avec les moyens traditionnels qu’il maîtrise parfaitement, et en s’appuyant sur la découverte tardive mais féconde du médium électronique et du sérialisme, le compositeur donne naissance à des organismes musicaux nouveaux. Ligeti va ensuite pousser jusqu’au bout cette expérience, jusqu’à adopter une notation graphique, qui détermine les contours d’un flux sonore conçu comme un gigantesque cluster mouvant. Il s’agit de Volumina, pour orgue, une œuvre apparaissant comme une sorte de point limite de cette esthétique de la continuité neutralisée.

22Cependant, comme Atmosphères, Volumina est le fruit d’une rupture qui n’évacue qu’extérieurement les apports de la tradition. Un autre aspect du négatif affleure à travers ce qui subsiste de l’héritage, dans les deux compositions : Ligeti lui-même a évoqué, à propos d’Atmosphères, l’idée d’une sorte de requiem instrumental23. On peut également entendre, à l’arrière-plan de Volumina, une forme de passacaille ; le compositeur parle à ce sujet des « fantômes » de Bach et de Reger24. À travers l’aura historique d’œuvres pourtant éminemment modernes, c’est l’expression de la mort (l’idée du requiem) et la lamentation (souvent liée, chez Ligeti, à la passacaille), qui se dessinent, avec tout ce que cela peut impliquer chez un homme qui a perdu ses proches dans des circonstances aussi dramatiques.

De l’envers des choses à la puissance du négatif

23Volumina, en regard d’Atmosphères, induit une troisième appréhension du négatif, au sens, pourrait-on dire, photographique, du terme : l’une des œuvres est destinée à un très grand orchestre, l’autre à un seul interprète, l’une est écrite avec une précision chirurgicale, l’autre adopte une notation graphique globale, l’une débute très doucement, l’autre très violemment. Il s’agit pourtant de deux facettes d’une même pensée de la continuité. On retrouve cette relation de double entre une œuvre comme Harmonies (première des deux études pour orgue, composée en 1967) et Continuum (pour clavecin, composé en 1968), qui en est une sorte de « continuation paradoxale et obsédante »25. En effet, la pièce d’orgue est conçue comme une suite d’accords utilisant les dix doigts du musicien et s’enchaînant les uns aux autres en fonction de règles strictement établies. La pièce pour clavecin, quant à elle, se présente comme une succession ininterrompue et ultra rapide de sons très brefs joués dans le même registre. Environ seize attaques par seconde simulent la continuité (au lieu des longues tenues de l’orgue) sur un instrument incapable de prolonger les sons ; il n’y a qu’un seul intervalle au début (tierce mineure, contre des accords denses dans Harmonies) ; enfin, les mains se recouvrent complètement (au lieu d’agir dans des registres séparés). Une troisième œuvre pour clavier, Coulée (seconde étude pour orgue, 1969), reprend l’écriture intervallique-répétitive de la pièce pour clavecin. En ce sens, Coulée peut être envisagée comme :

« un jeu de miroir où se reflètent Harmonies et Continuum : l’articulation de ces deux œuvres engendre une musique écrite pour un instrument qui ne peut pas soutenir les sons, mais jouée sur un instrument qui en est capable (et qui se conduit en partie comme s’il ne le pouvait pas) »26.

24Ligeti s’attache donc à prolonger la logique paradoxale, engagée dans Continuum, au sein d’un environnement (l’orgue et ses possibilités technico-acoustiques) qui n’accueille plus le paradoxe en question. En donnant ce « tour de vis » supplémentaire, le compositeur traque le sens là où habituellement il s’étiole. Ce qui s’inscrit à travers ces recherches au cœur du sonore, c’est en effet la richesse et la multiplicité des trajectoires esthétiques possibles, tenues en bride par les dispositifs rationnels qui organisent l’œuvre et en dissimulent de fait les ramifications, le potentiel d’ouverture et de connaissance tapi sous l’apparence. La signification des choses n’est pas donnée, le sens se loge dans l’impalpable, ou, dans le domaine musical, au-delà de l’immédiatement audible, entre les sons, en décalage, derrière, en dessous. Enfin, toutes les pièces citées ci-dessus ont en commun le principe de continuité, les œuvres pour clavier apparaissant comme « excroissance naturelle et raffinement de l’écriture des clusters développée dans les œuvres du début comme Atmosphères »27. La dimension du négatif contribue à tisser un réseau jalonné par différentes facettes d’une même recherche.

25Ligeti appréhende le sonore dans toute sa richesse, sans s’en remettre aux seules qualités intrinsèques des matériaux choisis. Il tend à organiser le désordre avec une minutie particulière. Il aime créer l’ambiguïté, toucher et dépasser les frontières communément admises, n’hésitant pas pour cela à aller explorer l’envers des processus, et à bousculer l’ordonnancement habituel des univers sonores. Ses recherches croisent parfois celles qui sont menées dans le domaine de la musique électronique, mais il utilise toujours des moyens traditionnels, le lien avec l’héritage n’est jamais rompu, et tout un ensemble de catégories « historiques » (formes, genres, langages) se trouvent remaniées, mises en question, réinvesties avec la distanciation propre au compositeur. La charge historique véhiculée par des instruments comme le clavecin et l’orgue, qui sont en eux-mêmes des « morceaux de langage musical », selon l’expression de Luciano Berio, se double chez Ligeti d’une appréhension de l’instrument en tant qu’objet : le clavecin lui apparaît comme une sorte d’étrange machine dont les claquements caractéristiques sont exacerbés par l’écriture répétitive systématique. Les bruits mécaniques, tels que la soufflerie de l’orgue, qui passent inaperçus dans le répertoire traditionnel tant les capacités de sélection du cerveau humain sont puissantes, se trouvent portés à l’avant-plan, intégrés en tant que matériau à part entière. L’illusion, le paradoxe, le « trompe l’oreille » se généralisent dans la musique de Ligeti au cours des années soixante, et deviennent même la principale matrice esthétique des œuvres postérieures à 1980. D’où cette impression, à l’écoute de ses compositions, d’un double fond perpétuel, d’un sens qui non seulement n’est jamais figé, mais se dérobe constamment à toute interprétation autoritaire, pour surgir avec une force inattendue du détail de l’écriture ou de l’interaction des processus. La manière dont Ligeti revisite les genres « historiques » que sont le concerto, l’opéra, l’étude pour piano ou le quatuor à cordes, montre en outre que cet envers des choses n’est que le point de départ d’une trajectoire qui s’attache, à partir d’un « décrochement » liminaire, à exploiter diverses facettes du négatif.

Écart et distanciation : les exemples du concerto et de l’opéra

26Ligeti s’est confronté à six reprises au paradigme du concerto depuis son arrivée en Europe de l’Ouest28. Dans ces œuvres se sédimente une diversité remarquable de types d’écriture. Sa première contribution au genre est le Concerto pour violoncelle. Son mouvement initial est extrêmement statique et structuré autour de sons pivots qui balisent très précisément l’espace sonore. Une attention extrême est portée au timbre, au sein d’un effectif instrumental très sobre. Ligeti s’attache, en un premier décentrage, à « renouveler l’écoute en employant les instruments traditionnels de façon nouvelle, les faisant en quelque sorte renoncer à leur rôle historique. Il parvient ainsi à créer un dépaysement total de l’oreille »29. En second lieu, le principe concertant (alternance entre tutti et soli) est totalement remis en cause, de même que la virtuosité, au sens démonstratif du terme. L’immense difficulté de la partie de violoncelle solo témoigne d’un sens aigu de la virtuosité, mais celle-ci se situe sur un autre plan. Loin de crever la toile, le soliste « ordonne au contraire la structure de l’œuvre de l’intérieur »30. Il ne s’agit pas pour autant d’un « anti-concerto », le violoncelle conservant un rôle primordial, et la forme évoquant, par la variété constante des combinaisons instrumentales, l’ancien principe d’alternance. L’auditeur se trouve plutôt confronté à une sorte de concerto « en creux », où Ligeti renverse les situations et dispositifs habituels, sans pour autant renoncer à inscrire son œuvre dans la continuité d’un genre.

27Avec ses 10 pièces pour quintette à vents, le compositeur imagine des combinaisons qui mettent en relief successivement l’un ou l’autre des instruments, comme une succession de mini concertos, entrecoupés de pièces où l’ensemble est employé de manière plus homogène. Clarinette (pièce 2), flûte (pièce 4), hautbois (pièce 6), cor (pièce 8) et basson (pièce 10) sont donc tour à tour solistes. La succession globale suggère fortement, à nouveau, la traditionnelle alternance soli-tutti, distinction également opérante à l’intérieur des miniatures. Cette régularité macro formelle fait contrepoids à la diversité de l’écriture déployée dans le cycle. Ligeti parle de « pièces pour funambules », dans lesquelles « les possibilités techniques […] sont poussées à l’extrême, comme dans le petit concerto pour flûte ou pour clarinette »31. Après le « concerto en creux » de 1966, cette série de miniatures puise son énergie dans une concentration extrême des moyens, comme si le principe du concerto était porté à incandescence, comme s’il s’agissait d’une « surexposition » du genre.

28Ces deux exemples donnent un aperçu des stratégies de l’écart développées par Ligeti, qui lui permettent de revitaliser les formes de la musique tonale sans jamais transiger sur la modernité de ses conceptions esthétiques. Le Concerto pour violoncelle et les Dix pièces pour quintette à vents puisent dans le domaine de la tradition des éléments divers qui sont engagés dans des réseaux de relations inhabituels. De cette manière, le compositeur conçoit des œuvres qui relèvent, pourrait-on dire, du domaine de l’« infra » et de l’« ultra » concerto, en explorant des dispositifs qui se situent en deçà et au-delà des territoires traditionnels32. Les œuvres de Ligeti nous engagent par conséquent à envisager différemment les partitions du passé, en prenant en compte l’épaisseur du « négatif » qui les borde, en accueillant, à partir de leur organisation, le tourbillon du sens auquel elles ouvrent, en acceptant en elles ce qui relève du « pas-tout », du fragmentaire, du discontinu.

29Dans le domaine de la musique vocale, on peut également observer cette volonté de radicalement mettre en question la pérennité même d’un genre, tout en s’y référant constamment, avant de recourir de nouveau à certaines catégories historiques, de manière distanciée et souvent ironique. Au début des années 1960, Ligeti aborde le théâtre musical en composant un diptyque pour trois chanteurs et sept instrumentistes, Aventures et Nouvelles Aventures. Ces œuvres sont conçues dans le sillage d’un travail mené quelques années auparavant au studio de musique électronique de Cologne, où le compositeur avait créé une sorte de langage de synthèse en s’appuyant sur l’étude de la phonologie. La « réécriture en sons du langage articulé pris comme modèle »33 avait abouti à Artikulation (1958), courte pièce fixée sur une bande magnétique, dans laquelle se déploient des sortes de conversations imaginaires. Puis, de la même manière que l’écriture répétitive striée du Continuum, élaborée pour simuler la continuité sur un instrument qui ne tient pas les sons, avait été réinvestie dans Coulée, pour un instrument pourtant capable de maintenir chaque note indéfiniment, Ligeti va utiliser ce langage artificiel, élaboré à partir de générateurs électroniques, dans ses œuvres avec voix. Il instaure ainsi une distorsion volontaire entre les moyens compositionnels et les moyens instrumentaux-vocaux ; le tissu sonore des Aventures et Nouvelles Aventures en devient éminemment paradoxal, à l’instar de la répétition « stroboscopique » lorsqu’elle est actionnée dans Coulée. En effet, Ligeti imagine pour le diptyque un contrepoint d’affects, un entrecroisement d’états émotionnels (joie, peur, moquerie, mélancolie, frayeur, exaltation, inquiétude, raillerie…) qui court-circuite toute possibilité de signification. La dimension pulsionnelle de la voix, libre de tout langage, filtre à chaque instant, à travers ces états sonores habituellement canalisés par le contenu sémantique ici absent. La juxtaposition parfois abrupte de rires démoniaques avec des sanglots, soupirs et autres interjections variées ouvre à une appréhension différente de la vocalité, et engage à écouter ce que le sens des mots masque habituellement. La généralisation et l’exagération d’éléments qui nous sont quotidiens charge cette musique d’une énergie peu commune. L’absurde, toutefois, n’est pas synonyme d’inorganisation, mais plutôt d’« intensification et […] différentiation de ce qui est intellectuellement sensé. L’absurde ne se trouve pas, en tant qu’absence de forme, au commencement de la pensée, mais dépasse celle-ci en tant que surforme »34. Ainsi appréhendé, l’absurde médiatise tout à fait le travail du négatif, en ce qu’il utilise l’envers des choses, en ce qu’il désorganise toute surface pour faire sens autrement, en ce qu’il s’ouvre, à travers cette sorte d’hypertrophie de l’émotion, à l’indicible qui pulse en nous. L’auditeur se trouve en contact direct avec l’objet-voix, une sorte de force corporelle à l’état brut, qui fait l’économie de la castration symbolique induite par l’entrée dans le langage. Ligeti a d’ailleurs affirmé qu’au-delà des aspects comiques d’une telle vocalité débridée, il existe un côté terrifiant dans les Aventures35. Le véritable noyau expressif de ces œuvres relèverait donc plutôt de la peur, de l’angoisse, filtrées par l’ironie et l’absurde ligétiens. Il est aussi possible de relier Aventures et Nouvelles Aventures au réseau de compositions dont l’expression de la mort, ou du cri face à la mort, constitue le noyau central36. On retrouve d’ailleurs le même type d’articulation sonore dans le Dies Irae du Requiem, contemporain des œuvres de théâtre musical.

« Ce texte médiéval aux visions apocalyptiques, au langage imagé, avec son étalage naïf d’un égoïsme féroce, avec son esthétisation du terrifiant et de la terreur, était bien fait pour séduire Ligeti […] C’est le cabaret, le cirque de la fin du monde ; le sort de l’homme est une aventure grotesque et cette aventure grotesque est une chose bien sérieuse »37.

30La question du Jugement dernier a toujours été centrale pour Ligeti, qui en apprécie particulièrement les représentations médiévales. Au moment d’écrire un opéra, il est séduit par La ballade du Grand Macabre, du belge Michel de Ghelderode (1898-1962), un texte qui se nourrit des représentations démoniaques propres à une certaine peinture néerlandaise (Breughel l’ancien, Jérôme Bosch), et où s’entrecroisent une esthétique du théâtre forain et une conception de l’absurde proche de l’Ubu roi d’Alfred Jarry, mais aussi de Ionesco, d’Antonin Artaud et du surréalisme. À l’aide de Michael Meschke, ancien directeur du théâtre de marionnettes de Stockholm, Ligeti élabore le livret du Grand Macabre, en adaptant l’œuvre de Ghelderode. À travers le personnage de Nekrotzar, la mort y est à la fois tournée en dérision et traitée de manière très sérieuse ; l’action se déroule au cœur d’un pays significativement nommé Breughellande, une sorte de dictature imaginaire en déliquescence où se reflètent pour Ligeti les souvenirs du nazisme et du communisme, et où se meuvent des cohortes de personnages insolites comme Gepopo, le chef de la police secrète, Astradamors, l’astrologue masochiste, et aussi Go Go, jeune souverain candide et obèse ballotté par ses ministres corrompus. L’obscénité la plus crue (scènes de sexualité débridée, insultes, grossièretés diverses) tranche avec le genre éminemment bourgeois et stylisé de l’opéra, traité d’une manière ambiguë par Ligeti. Si les outrances de l’expression qui caractérisent la vocalité des Aventures tendent parfois vers l’obscène (les râles, les cris, les rires nerveux et autres onomatopées ont une connotation sexuelle assez puissante), c’est l’intégralité de l’opéra qui s’appuie sur des situations scabreuses et indécentes. L’obscène évoque étymologiquement ce qui ne peut être montré sur scène (d’après le latin obscena), à savoir l’insituable, le non atteignable, l’inexprimable, déjà évoqués en tant que ligne d’horizon d’un ensemble de productions artistiques au XXe siècle, et qui semble s’inscrire aussi en plein cœur de l’esthétique ligétienne. L’obscène, Freud l’a montré, nous renvoie aussi à l’« impossible » de la scène primitive, et à l’angoisse de la castration. Dans le fameux « rêve de l’injection faite à Irma », le psychanalyste viennois voit, au fond de la bouche d’une de ses patientes, le spectacle répugnant d’une gorge malade. L’obscène de cette gorge est celui de l’angoisse du trou, de l’engloutissement, et le rêve évoque aussi, par métaphore, l’absence de pénis de la femme. L’obscène constitue « la borne négative, mortifère de l’érotisme, au point d’en marquer la limite : les deux se joignent à l’endroit où la mort déploie ses ombres »38. Dans Le Grand Macabre, il semblerait que le traitement du thème de la mort ait une certaine portée cathartique. Nekrotzar, allégorie vivante de la mort, y est tourné en ridicule : on l’enivre, on se moque de lui, et la fin du monde qu’il prédit au pays insouciant de Breughellande se retourne en une farce carnavalesque.

« L’obscène, qui montre cette mort dans son versant répugnant, réel, occupe alors le point d’impensable de notre disparition. Sa fonction ne serait-elle pas précisément de la mettre en image – afin, qu’on nous pardonne le jeu de mots, d’obérer cette scène tout en la représentant ? »39

31Le traitement musical de l’opéra est particulièrement complexe, Ligeti nous livrant, à la fin des années 1970, une constellation de fragments hétérogènes qui se constitue néanmoins en une totalité traversant la forme narrative de l’opéra, tout en la refoulant constamment. La partition du Grand Macabre est truffée d’allusions, de citations, et de fausses citations-pastiches, engagées dans une série de formes répétitives où les unes et les autres s’amalgament en de furieux collages et sous forme de danses anciennes stylisées40. István Balázs évoque un « éclectisme à double fond » et une « culture musicale des matériaux de récupération sonore »41. Cet aspect fragmentaire, postmoderne, de l’écriture, agit comme si l’intégralité de l’histoire de la musique nous était jetée à la figure, sous forme de multiples particules. Une fois de plus, Ligeti se joue des distinctions entre avant-plan et arrière-plan, entre présent et passé ; les aspects latents de l’opéra sont présentés ici sous une lumière crue tandis que les conventions sont désintégrées sous l’action du matériau fragmentaire. Dans cet univers sens dessus dessous, c’est la puissance du négatif qui assure l’unité paradoxale d’un opéra unique en son « non-genre ». Après avoir exploré l’univers de l’anti-opéra dans Aventures, Ligeti ne souhaitait ni continuer dans cette direction, ni revenir à une conception traditionnelle de l’opéra. Il a donc, une fois de plus, poussé en avant la spirale sens/non-sens, afin d’élaborer un « anti-anti opéra », ce qui rapproche Le Grand Macabre d’un opéra conventionnel (deux moins s’annulent) passé au prisme d’un négatif qui en modifie considérablement la portée.

La répétition comme matrice du négatif

32Le Grand Macabre marque une étape importante au sein de la production de Ligeti. C’est en effet à partir de cette œuvre qu’il réévalue ses rapports à tout un ensemble de catégories d’écriture héritées, soigneusement maintenues à l’état latent dans sa production entre 1958 et 1978. Le Grand Macabre est notamment le berceau de nouveaux types de formes répétitives, qui s’amalgament avec les répétitions expérimentées dans la décennie précédente. Les grandes œuvres postérieures à 1980 voient le syncrétisme des influences qui caractérise l’esthétique de Ligeti engendrer des complexes sonores d’une grande originalité, où la répétition joue un rôle matriciel à travers lequel s’épanouit le travail du négatif.

33L’importance et la fréquence des formes répétitives, chez Ligeti, permettent d’affirmer que la répétition, dès les années 1960, « fait symptôme » dans son œuvre. Qu’il s’agisse de la continuité striée propre aux pièces pour clavier évoquées plus haut, ou des mécanismes de précision qui se détraquent progressivement et envahissent parfois des mouvements entiers (le troisième mouvement du Quatuor n° 2, le troisième mouvement du Concerto de chambre), le temps et la forme musicale apparaissent, à un premier niveau, comme entravés sous l’action de telles écritures. Le continuum et la polyrythmie mécanique constituent des formes très expérimentales, et représentent un état neutre de la répétition, comme si la musique enregistrait en son sein une sorte de blocage, de négation du devenir comme du souvenir. La texture sonore ainsi figée semble refléter une conception inerte du temps, une forme vide de l’expérience dont les résonances sont à la fois individuelles (la compulsion de répétition) et collectives (la mécanisation de la société, la réification des rapports humains). Ligeti échappe à cette inertie en se servant de ces étranges textures comme supports d’illusions sonores (dans le cas du continuum) ou de relations obliques entre les strates superposées (dans le cas du mécanisme de précision) ; d’où la portée cathartique de ces types d’écriture, qui œuvrent à résister à un certain fétichisme de la forme-marchandise en s’attaquant à la répétition qui en est l’essence. Dénoncer les formes de la répétition qui sclérosent le Réel de notre existence, à travers une esthétisation de la répétition, voilà, à mon sens, l’un des enjeux majeurs de l’écriture ligétienne ; cette orientation prend corps au cours de la décennie 1960-1970, et se développe de manière significative à partir de son opéra, en s’ouvrant en plein au travail du négatif, et en laissant se rassembler, à travers la thématique de l’opéra et les formes du lamento, la répétition et l’expression des affects liées à la finitude.

34Immédiatement après avoir terminé la partition du Grand Macabre, le compositeur affine sa maîtrise des formes à ostinato en écrivant deux petites pièces qui s’appuient chacune sur une trame répétitive immuable. À mi chemin entre le pastiche et l’œuvre didactique, cette chaconne (Hungarian Rock)et cette passacaille (Passacaglia Ungherese) explorent des dispositifs qui vont devenir essentiels dans la musique du compositeur : harmonie consonante « défonctionnalisée », revitalisation hybride de formes anciennes, modification de l’accord des instruments, et surtout instauration d’une répétition de type ostinato qui fonctionne à plusieurs niveaux. À la différence de la répétition « stroboscopique » que Ligeti utilisait comme matrice d’illusions d’accélération ou de ralentissement dans les œuvres pour clavier de la décennie 1960-1970, l’ostinato est conçu comme un véritable « modèle », c’est-à-dire un complexe sonore dont on perçoit les bornes, et qui est ensuite dupliqué. Un seul intervalle indéfiniment répété ne suffit pas à instaurer cette modélisation, et constitue une sorte de surface striée à partir de laquelle le compositeur travaille. L’ostinato, lui, s’appuie sur une ou plusieurs figures rythmiques et/ou mélodiques, et reste fortement ancré dans la tradition musicale occidentale. Tout un ensemble d’œuvres de Ligeti utilise ce type de figuration, qui coexiste, notamment dans les études pour piano, avec la répétition continue ainsi qu’avec la polyrythmie mécanique.

35Pour la première fois depuis son arrivée à l’Ouest une vingtaine d’années en amont, Ligeti élabore une répétition qui accueille directement le souvenir. En cela, ces trames à la fois fixes et mobiles s’échappent radicalement d’une répétition neutre dont les formes développées antérieurement portaient encore les stigmates. Mieux, c’est en mettant en tension un niveau « basique » de la répétition avec un travail dynamique lié à l’ostinato que Ligeti creuse l’écart qui préside à l’avènement d’un travail du négatif. Désordre, la première des Études pour piano, exploite un ostinato né de la seule accentuation de certaines composantes du continuum sonore, et dont le déploiement tend lui-même vers une indifférenciation des durées par resserrement des accents. Le désordre qui donne son titre à l’étude provient de cette compression constante de l’ostinato, associée au dédoublement du processus qui affecte en permanence, mais de manière décalée, les deux voix superposées, comme si l’ostinato se trouvait superposé à son double déformé. La compression rejoint, en définitive, le continuum d’où provient le modèle. À cela s’ajoute un travail de transposition des échelles de hauteurs utilisées, nettement différenciées et affectées chacune à une portée. La polymodalité ainsi générée42 est utilisée de manière cyclique par le compositeur, qui réitère chaque « ostinato » à partir d’une hauteur différente de l’échelle, jusqu’à revenir à la présentation originale de la mélodie. Ces transpositions permanentes permettent de présenter un même élément sous différents éclairages, tout en investissant l’espace sonore de manière progressive. L’Étude n° 1 semble, en définitive, porter à leur apogée les intuitions qu’avait eues Ligeti une vingtaine d’années auparavant. À l’instar de beaucoup d’autres pièces, Désordre apparaît comme une sorte d’étrange machine, réglée pour devenir folle. L’ostinato, quant à lui, porte la marque du négatif tout en s’en arrachant, en tant que processus dynamique, et comme vecteur de remémoration, en vertu de son « épaisseur » historique.

36L’étape ultime est franchie à travers les mouvements où se déploie le geste du lamento évoqué au tout début de cet article. Dans Automne à Varsovie, on retrouve la trame répétitive immuable, beaucoup plus fluide que dans Désordre, mais ce n’est pas un ostinato qui s’en détache, c’est ce geste non moins répétitif, très labile, au sein duquel la mort et la répétition se rejoignent. Évoqué dès les années hongroises avec le Ricercar « Omaggio à Frescobaldi » qui clôt le cycle pour piano Musica Ricercata, le geste descendant répété apparaît dans le Grand Macabre (tourné en dérision par une situation et un texte absurdes), puis à l’arrière-plan de l’ostinato de la passacaille pour clavecin de 1978, avant de s’épanouir dans des chefs d’œuvres comme le finale du Trio de 1982, la sixième étude, le second mouvement du Concerto pour piano, ou encore la pièce intitulée « Lamento », dans la Sonate pour alto de 1994. Une telle fréquence n’est pas anodine, et les connotations ironiques et/ou absurdes disparaissent au profit d’une concentration sur la plainte, très représentative de l’esthétique du dernier Ligeti. L’expression de la mort, d’abord mêlée aux affects les plus divers (Aventures), puis concentrée sur le cri (Dies Irae), et tournée en dérision (Le Grand Macabre), se fige en un geste répétitif, comme une citation perpétuellement réitérée, qui ne conjure plus rien, mais semble prendre acte de l’intensité et de l’épaisseur du négatif qui nous entoure et nous détermine. Jamais sans doute la musique de Ligeti n’a été si éloquente que dans ces moments où le lamento se déploie avec une dignité distanciée, comme si la boucle était bouclée ; la finitude humaine se reflète d’une manière nostalgique dans l’infinie répétition d’une plainte hiératique qui renvoie peut-être à l’impossibilité d’atteindre, même de manière stylisée ou esthétisée, les fibres d’un Réel qui n’existe que parce qu’il se dérobe à toute représentation et à toute expression.

Notes   

1  Jacques Rancière, L’inconscient esthétique, Paris, Galilée, 2001, p. 11.

2  Jean Guillaumin, « Théorie du négatif ou pensée au négatif en psychanalyse », in ouvrage collectif, Le négatif. Travail et pensée, Le Bouscat, L’esprit du temps, 1995, p. 133.

3  Ce sont des intervalles de septièmes majeures, qui diffusent de manière inversée la dissonance esquissée par le frottement entre les mi bémols et le fa bémol.

4  Jeune, Ligeti avait été marqué par certaines cérémonies funéraires traditionnelles, au cours desquelles il avait entendu des femmes dont le rôle consistait à se lamenter de manière répétitive sur le corps du défunt. Le son particulier de ces « pleureuses » est l’une des origines du geste du lamento que le compositeur utilise fréquemment à partir de 1982.

5  La superposition de plusieurs logiques formelles distinctes se nourrit d’une relation véritablement dialectique entre les notions de continuité et discontinuité, dans Automne à Varsovie. Alors que la suspension momentanée du continuum suggère une structure bipartite, de part et d’autre du bref passage central, le retour de la polarisation initiale (mi bémol) tend fortement à déterminer une section terminale (forme traditionnelle de type ABA’) ; la gestion de l’intensité met quant à elle en évidence sept « vagues » successives, contribuant ainsi à brouiller toute perception évidente de la structure.

6  Friedrich Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduction de Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Aubier, 1991, p. 49.

7  Jean-Luc Nancy, Hegel, l’inquiétude du négatif, Paris, Hachette, 1997, p. 10.

8  Ibid., p. 7.

9  Ibid., p. 78.

10  Ibid., p. 17.

11  Jean-José Baranes, « Déni, identifications aliénantes, temps de la génération », in ouvrage collectif, Le négatif. Figures et modalités, Paris, Bordas, collection « Inconscient et culture », 1989, p. 91.

12  Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 7.

13  René Kaës, « Destins du négatif : une métapsychologie transsubjective », in ouvrage collectif, Pouvoirs du négatif dans la psychanalyse et la culture, Seyssel, Champ Vallon, 1998, p. 47.

14  Gérard Wajcman, « L’art, la psychanalyse, le siècle », in ouvrage collectif, Lacan, l’écrit, l’image, Paris, Flammarion, 2000, p. 28.

15  Ibid., p. 33.

16  Ibid., p. 35.

17  Ibid., p. 44.

18  André Green, Le travail du négatif, Paris, Minuit, 1993, p. 289.

19  Theodor W. Adorno, Le caractère fétiche dans la musique, Paris, Allia, 2003, p. 83.

20  György Ligeti, The Ligeti project II, CD Teldec Classics 8573-88261-2 (traduction de Hugues Mousseau).

21  Avant Atmosphères, Ligeti réalise Apparitions (en 1958-1959), dont il existe aussi une première version écrite en Hongrie, nommée Visiók. Atmosphères est l’œuvre dans laquelle ses conceptions en matière de micropolyphonie se trouvent pleinement réalisées.

22  Anne Boissière, Adorno, la vérité de la musique moderne, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, pp. 134-135.

23  « La partition est dédiée au compositeur d’origine hongroise Mátyás Seiber, disparu tragiquement quelques mois plus tôt, ce qui explique que, dans un texte demeuré à ce jour inédit, György Ligeti ait écrit que l’œuvre renfermait, “sous une forme symbolique, certains moments d’un requiem” » (Francis Bayer, « Atmosphères de György Ligeti : éléments pour une analyse », in Analyse Musicale n° 15, Paris, Société française d’analyse musicale, second trimestre 1989, p. 18.)

24  D’après Richard Toop, György Ligeti, Londres, Phaidon Press, 1999, p. 92.

25  Richard Toop, « L’illusion de la surface », in Contrechamps n° 12, Lausanne, l’Age d’Homme, p. 67.

26  Ibid., p. 76.

27  Ibid., p. 62.

28  Du Concerto pour violoncelle de 1966 au Concerto pour cor de 1999 (révisé en 2002), en passant par le Concerto de chambre (1970), le Double concerto pour flûte et hautbois (1972), le Concerto pour piano (1985) et le Concerto pour violon (1992), le compositeur n’a cessé de revisiter le genre. S’y ajoutent les Dix pièces pour quintette à vents de 1968 qui lui sont apparentées.

29  Michèle Reverdy, « Le Concerto pour violoncelle de György Ligeti : matériau, mouvement et forme », in Analyse musicale n° 6, Paris, Société française d’analyse musicale, p. 81.

30  Ibid., p. 80.

31  György Ligeti, « Entretien avec Pierre Michel », in György Ligeti, Paris, Minerve, 1995, p. 198.

32  Au cours des années 1980, Ligeti renoue avec une conception plus traditionnelle de la forme concertante, et explore, dans ses concertos pour piano et violon notamment, de nouvelles modalités de l’écart, qui s’appuient sur l’hybridation du son et le recours à des schèmes en provenance de répertoires extrêmement divers (musiques extra européennes, des Balkans…).

33  Costin Miereanu, « Une musique électronique et sa “partition” : Artikulation », in Musique en jeu n° 15, Paris, Seuil, p. 103.

34  Harald Kaufmann, « Un cas de musique absurde : Aventures et Nouvelles Aventures de Ligeti », in Ibid., p. 82.

35  Voir les entretiens accordés à Peter Varnai, Ligeti in conversation, London, Eulenburg books, 1983, p. 20.

36  Pour une analyse plus détaillée de la dimension pulsionnelle de la voix et du réseau entremêlé des affects dans Aventures, Nouvelles Aventures et le Requiem, voir : Joseph Delaplace, « Du modèle phonétique aux manifestations acoustiques de l’affect : La voix des Aventures de György Ligeti », in Bruno Bossis, Marie-Noëlle Masson, Jean-Paul Olive (éd.), Le modèle vocal. La musique, la voix, la langue, Rennes, PUR, 2007, pp. 131-145.

37  Herman Sabbe, « Musique de la voix chez Ligeti : sens et signifiance », Revue Belge de musicologie vol. LVIII, Bruxelles, Société belge de musicologie, 2004, p. 302.

38  Corinne Maier, L’obscène. La mort à l’œuvre, La Versanne, Encre marine, 2004, p. 24.

39  Ibid., p. 26.

40  Voir à ce propos Joseph Delaplace, « Les formes à ostinato dans Le Grand Macabre de György Ligeti : analyse des matériaux et enjeux de la répétition », Musurgia vol. X n° 1, Paris, Eska, 2003, pp. 35-56.

41  István Balász, « La fin du monde vue d’en bas », Contrechamps n° 12, Lausanne, l’Age d’Homme, pp. 28-29.

42  Les modèles rythmiques superposés se déploient l’un sur un matériau scalaire pentatonique (portée inférieure, touches noires du piano), l’autre sur une échelle de sept sons (portée supérieure, touches blanches du piano).

Citation   

Joseph Delaplace, «György Ligeti, ou le travail du négatif dans l’écriture musicale», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et inconscient, mis à  jour le : 27/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=202.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Joseph Delaplace

Pianiste accompagnateur, professeur agrégé d’éducation musicale, docteur en esthétique science et technologie des arts (spécialité musique), Joseph Delaplace enseigne à l’Université Rennes 2 depuis 1996. Il est membre de l’équipe « Esthétique, musicologie et créations musicales » (Paris 8), et associé au laboratoire « Musique et image, analyse et création » (Rennes 2). Directeur artistique de la saison musicale de l’Université Rennes 2, ses recherches portent essentiellement sur l’analyse et l’esthétique des œuvres du XXe siècle.