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L'Ethnographie

Engagements corporels de femmes musulmanes

Étude de cas auprès de femmes installées à Bruxelles, Beyrouth et Montréal

Corporal engagements of Muslim women: a case study of women living in Brussels, Beirut and Montreal.

Emilie El Khoury

Octobre 2020

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.619

Résumés

La question des engagements corporels de femmes musulmanes, Bruxelloises, Beyrouthines et Montréalaises, est traitée dans ce texte. Celle-ci sera focalisée sur certaines praxis religieuses, ici islamiques, de femmes musulmanes, ainsi qu’aux conséquences de ces manifestations corporelles pouvant libérer un « imaginaire » qui peut se révéler, parfois, « négatif ». Les conséquences de cet imaginaire négatif seront abordées. Le propos sera souligné par une analyse des données de terrains ethnographiques issues de notre projet de recherche doctoral en cours. Ce dernier portera sur les expériences subjectives et les perspectives de femmes Bruxelloises, Beyrouthines et Montréalaises de confession musulmane, de toutes orientations islamiques, quant à la radicalisation violente liée à la montée de Daesh (ISIS) en 2011.

The question of corporal engagements of Muslim women from Brussels, Beirut, and Montreal is dealt with in this text. It focuses on certain religious practices of Muslim women, and the consequences of these corporal engagements that can, sometimes, create a negative "imaginary." The consequences of this negative imaginary will be discussed. The subject will be underlined by an analysis of ethnographic field data from our ongoing doctoral research project. Our research explores the subjective experiences and perspectives of Muslim women from Brussels, Beirut, and Montreal, from the Sunni, Shia, and Sufi branches of Islam, regarding the violent radicalization linked to the rise of the Islamic State in 2011.

Texte intégral

1Ce texte questionne des engagements corporels qui sont liés à des praxis religieuses, ici islamiques, de femmes de confession musulmane2 rencontrées à Bruxelles, Beyrouth et Montréal, ainsi qu’aux conséquences de ces manifestations corporelles :

Le corps participe (…) [à] la libération de l’imaginaire. Or, l’imaginaire, quand bien même, libéré ne permet pas seulement de fantasmer, mais permet également au corps de s’inventer.3

2Nous aimerions aborder les conséquences de cet imaginaire « fantasmé », « libéré », mais aussi « inventé » par l’environnement social des personnes qui s’engagent à entretenir une praxis religieuse4. Les conséquences de cet imaginaire impliqueront, entre autres, l’invention de nouvelles expressions de formes de féminité et d’espace d’expressions identitaires5. On commencera par contextualiser le propos à travers des exemples concrets, avant de présenter la méthodologie sur le terrain et, enfin, d’exposer les premières analyses de ces terrains de notre recherche doctorale. La technique d’analyse des données recueillies est une analyse comparative par thématiques. Les données ont été recueillies par la technique des récits de vie nommée aussi ethnobiographique. Nous avons repris les propos les plus explicites en relation aux réactions corporelles des femmes que nous avons rencontrées sur nos différents terrains vis-à-vis de l’ambiance négative, et parfois, paranoïaque presque, face aux personnes de confession musulmane de nos jours.

Contextualisation

3Champion et al. (1990) reprennent, dans De l’émotion en religion : renouveaux et traditions, des propos du philosophe Michel Serres :

Il y a vingt ans [en 1970], lorsque je voulais intéresser mes étudiants, je leur parlais politique ; lorsque je voulais les faire rire, je leur parlais religion ; aujourd’hui, si je veux les intéresser, je leur parle religion, si je veux les faire rire, je leur parle politique.6

4Si on demandait à Serres comment reformuler sa phrase aujourd’hui, en 2019, il nous répondrait, sûrement, que pour les intéresser, il devrait parler de concert de religion et de politique. Anthropologue de formation, nous nous intéressons aux domaines du religieux et du politique, et plus précisément à tout ce qui touche à l’islam.

5Depuis plus d’une vingtaine d’années, la survisibilisation de l’islam dans l’espace public et l’espace médiatique mondial est frappante. Cette visibilité remonte à notre sens, à partir de 1979 quand des femmes iraniennes manifestent à travers tout l’Iran pour davantage de liberté, d’égalité et plus de droits en général7. Elles vont opter pour le port du hijab, voire du tchador, comme : « symbole de la résistance »8. Situation qui se retournera en leur défaveur par la suite, quand les promesses qui leur ont été faites n’ont pas été tenues et quand leur situation s’aggravera sur tous les plans. Il faut souligner le fait que jusqu’à la révolution iranienne, l’islam est « (…) plutôt appréciée comme une religion conservatrice, hostile aux idéologies révolutionnaires et au communisme. »9 Quand Khomeiny arriva au pouvoir en Iran, l’image de l’islam fut ternie dans toute la presse occidentale10. De là, le port du voile sera interprété comme un signe de soumission et de non-droit pour toutes les femmes par une grande majorité de personnes venant de différents courants politiques et sociaux en Europe, mais aussi en Amérique du Nord.

6À la même époque, l’Afghanistan est envahi par les Soviétiques et le monde prend connaissance des talibans et de la burqa portée par les femmes. Quelques années plus tard, les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, revendiqués par une mafia terroriste11, Al-Qaïda, se réclamant de confession musulmane, contribuent à associer l’islam à la violence, au terrorisme et à une religion misogyne et déshonorante pour les femmes. Quelques autres mafias terroristes se réclamant musulmanes vont se faire connaître à travers leurs exactions12 terroristes à un niveau international, mais la plus récente est celle du groupe armé Daesh, nommé aussi Islamic State of Iraq and Sham (ISIS) ou État islamique (EI).

7En parallèle à ces évènements, l’immigration économique maghrébine en Europe, et celle du Moyen-Orient, mais aussi du Maghreb en Amérique du Nord des années 1960-1980 sont à majorité musulmane13. De l’immigration, découle au début des années 1990, des délits dans les faubourgs français et dans certains quartiers belges, commis par de jeunes gens souvent maghrébins, et majoritairement en échec scolaire, ce qui accentue la montée d’une mauvaise image des personnes de confession musulmane.

8De même, 1989 est l’année de la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie, fatwa qui associe l’islam comme incompatible avec la liberté d’expression. Cette perception d’incompatibilité va se renforcer, entre autres, avec l’assassinat de Theo Van Gogh en 2004 après la parution de son court-métrage critiquant l’islam ; ainsi qu’avec la publication des caricatures du Prophète Mohammad par le journal danois Jylland-Posten de 2005 et, plus récemment en 2015, avec les attentats contre les journalistes de Charlie Hebdo.

9Enfin, la première affaire du voile, celle du Collège de Creil en 1989 rebondit également à Bruxelles à la même époque avec l’affaire de l’institut technique d’Edmond Machtens à Molenbeek où des élèves ont été interdites d’entrée dans leurs établissements scolaires à cause de leur port du voile14. Ces deux affaires, seront suivies par le scandale de la crèche Baby loup en 2008, par des demandes d’interdictions aux mères voilées de venir chercher ou accompagner leurs enfants dans les enceintes scolaires publiques en France ainsi qu’en Belgique. Par ailleurs, le Projet de loi n°60, ou « Charte des valeurs » du gouvernement québécois en 2013, et tous les projets de loi ou lois émises contre les signes ostentatoires dits religieux vont apparaitre en France, en Belgique ou au Québec, etc. Enfin, des polémiques telles que le port du Burkini, l’affaire Mennel en France, l’affaire Maryam Pougetoux représentant de l’UNEF à l’Université Paris-IV, l’affaire Decathlon, etc., alimentent tous les mois la sphère politique et médiatique en France et par ricochet en Belgique ou au Québec.

10Pour le cas du Liban, pays multiconfessionnel avec plus de 18 confessions, il se base sur un système politico-religieux qui régit sa stabilité étatique sur tous les plans. Cependant, depuis le début des années 1980, l’émergence du Hezbollah chiite, ayant fait allégeance aux visions khomeynistes, fait que les musulmanes chiites membres ou ayant des penchants politiques pour le Hezbollah vont subir les mêmes idées préconçues émises en Europe et en Amérique du Nord sur l’Islam. De même, les sunnites au Liban subissent les mêmes revers selon la région de leur provenance de leurs penchants politiques (nous y reviendrions).

11Un imaginaire négatif va être créé autour de personnes de confession musulmane en se schématisant sur la fixation du corps de femmes musulmanes après ces demandes de port de voile parallèlement à tous les évènements qui se passent simultanément du point de vue international et local. Tous ces faits condensés permettent des amalgames négatifs qui stigmatisent les personnes de confession musulmane. Cependant, il n’existe pas une seule communauté musulmane dans le monde, mais des musulmans ayant des chemins spirituels différents, des orthopraxies différentes, des affiliations politiques différentes, venant de milieux distincts et de régions variées15.

12Exposons quelques analyses du corps des femmes rencontrées dans notre recherche doctorale. Il nous semble opportun d’exposer une mise au point sur le port du voile avant de poursuivre notre propos.

Le voile : exclusivement islamique ?

13À en croire toutes les polémiques autour du port du voile en Europe, mais aussi au Québec, n’importe qui peut finir par croire que le port du voile est un phénomène nouveau des années 1980 et circonscrit à l’islam. Pellegrin16 dans Voiles : une histoire du Moyen Âge à Vatican II, passe en revue différentes façons de porter le voile. Elle souligne que le voile a traversé tous les temps, tous les continents et de nombreux courants religieux, incluant le christianisme. Elle insiste sur le fait que le port du voile n’est pas spécifique au domaine religieux et de surcroit islamique, mais qu’il peut aussi toucher le domaine de la mode, des traditions folkloriques, des coutumes ancestrales distinguant différentes formes de politesse dans certaines régions, etc17. De même, le port du voile peut aider certaines personnes malades à « s’adapter » à une situation pathologique temporaire ou définitive telle que les conséquences de traitements des cancers ou des alopécies18.

14Cependant, alors que le port du voile passait anodin et inaperçu depuis longtemps, les années 1980 sont les débuts de la médiatisation des extrémismes islamistes19. De là, le port du voile va être vu et perçu comme exclusivement musulman et vu comme provocant pour certains20. Il serait intéressant de passer en revue de façon rapide les quelques significations du voile qui sont sans lien avec l’islam.

15Le voile porté par une femme de confession musulmane est vu aujourd’hui comme rétrograde pour certains, un symbole misogyne pour d’autres, alors que le voile comme le dit Le Breton : « (…) quand il est masculin, peut sembler un instrument de pudeur banal et une commode “forme de distance” ou d’originalité. »21. En effet, le port du voile n’est pas exclusivement féminin. Des hommes ont porté le voile et portent toujours le voile dans certaines contrées du monde22. Par exemple le port du voile au Moyen-Âge pour les hommes est un signe de deuil pour toutes personnes (croyantes ou non), c’était une tradition française23. De même, le port du voile a été un instrument pour montrer aussi le deuil des femmes, et l’on peut donner l’exemple des voiles des veuves blanches, bleues ou noires, qui « […] appartiennent à un passé révolu, mais nul-le ne les a oubliées. Séduisants ou cauchemardés ? ils hantent encore nos imaginaires, et cela de façon contradictoire : pour beaucoup, certains vêtements dits islamiques en sont les répliques horrifiques […] »24. De même, lorsque la deuillante porte son voile, son acte de voilement a pour but de rendre visible sa détresse et de l’exclure du monde des vivants et de tous les plaisirs qui sont associés à la vie25. Le port du voile est un marqueur d’appartenance sociale aussi, dans lequel le corps de femmes respectables devait devenir le moins visible possible26. De même, le mouchoir de tête a été selon les contextes historiques professionnels et sociaux, de certaines femmes : « un instrument de résistance et un étendard revendicatif. »27 Le port du voile a été et est toujours synonyme de pudeur, au sens sexuel, tel que le voile des mariées catholiques28. En outre, le port du voile a été et est toujours un objet appartenant à la mode29 touchant tous milieux sociaux bien avant qu’il ne soit perçu essentiellement comme musulman : « [a]vant la vague orientaliste et le développement des politiques coloniales, “le voile” dont on glose ou dont rêve, n’est pas encore devenu musulman. Il serait plutôt corse, espagnol ou monastique. »30 On ne peut parler de mode sans parler du carré Hermès des années 1930 qui est toujours porté dans la haute société, telle la Reine Élisabeth31. Au moment de l’arrivée du carré Hermès, on est en plein dans la Seconde Guerre mondiale, le manque de moyens de transport et les difficultés de la vie, fait qu’un grand nombre de femmes doivent se déplacer à pied ou à bicyclette et comme le dit Pellegrin, les femmes : « […] s’imposent des tenues passe-partout et des coiffures nouvelles : cheveux nus ou foulard »32. Simone de Beauvoir brosse cette période, de guerre et d’après-guerre pour les femmes où :

[f]aute d’électricité, les coiffeurs travaillent irrégulièrement, une mise en plis devenant toute une affaire, aussi les turbans étaient-il à la mode. Ils tenaient lieu de chapeau et de coiffure ; j’en avais porté, de temps en temps, par commodité et parce qu’ils me seyaient ; je m’y ralliai définitivement. En toutes choses, j’allai au plus simple.33

16Enfin, Pellegrin souligne qu’en temps de guerre, les :

« (…) femmes [sont] poussées encore une fois à jouer leur rôle de vitrines animées tout en déployant une énergie et une ingéniosité hors pair et trop méconnue. S’exhiber en se voilant/parant est un moyen de se battre ou, à tout le moins, de montrer sa débrouillardise. “Avoir du chien” comme on disait alors, c’est-à-dire du charme et du courage.34

17Mais encore, on peut voir que mondialement le port du voile a de multiples significations à travers toute l’Asie, l’Europe de l’Est, dans certains pays africains, etc., qui ne sont pas exclusivement d’ordre religieux, ici, à l’islam. Au 18e siècle des religieuses catholiques se sont fait arracher dans les rues de Paris leurs voiles religieux. Selon Pellegrin, cette période permet de rappeler que : « [l]es ressentiments actuels d’une partie du monde laïc à l’égard des porteuses de voiles, les unions faussement contre nature entre fondamentalistes venus de l’islam et du catholicisme, sont les contrecoups lointains des arrachements, aisés à réactiver, qui remontent à la Révolution française. »35

Le voile musulman ?

18Le port du voile est une tradition ancestrale syncrétisée dans le domaine religieux au sens large. Pour l’islam, il n’y a pas d’injonction précise et claire sur le port de voile36. Les quelques versets (la sourate de La Lumière, la sourate des Pactes et la sourate des Coalisés, etc.) du Coran qui citent le voilement portent à d’abondantes interprétations sur son obligation directe ou non. Comme Fudge l’exprime : « (…) dans le texte coranique, le hidjab pourrait être aussi bien “rideau”, “voile” ou “foulard” et fonctionner comme une séparation entre Dieu et les croyants, entre les femmes du Prophète lui-même et ses ennemis »37. Cette tradition devenue norme religieuse pour certains musulmans s’est vue très médiatisée dans les années 1980 avec les dérives strictes de certains dogmes extrémistes musulmans.

Méthodologie et analyses de données de terrain

19Comme Benhadjoudja38, dans son article Les femmes musulmanes peuvent-elles parler ? Nous avons voulu dans notre recherche doctorale nous entretenir avec des femmes de confession musulmane : « [d]ans un contexte où l’on parle beaucoup d’elles, mais rarement avec elles (…) »39. Les participantes nous ont fait part de leur volonté de nous parler et de partager avec nous un instant de vie qui était important pour elles. Parmi lesquelles nous citons à titre d’exemple les propos de Zora40, Libanaise, 26 ans, voilée, chiite et en dernière année d’infirmerie spécialisation radiologie :

Tu sais, les gens doivent savoir que nous [les femmes musulmanes] sommes autre chose. Nous ne sommes pas toutes comme [elle parle de l’image violente attribuée à l’islam] ce qu’ils ont l’habitude d’entendre. On n’est vraiment pas comme ils pensent. Et le plus important, c’est qu’avec toutes ces histoires de Daesh et comme je suis musulmane, c’est important pour moi qu’il y ait une autre image qui soit transmise des musulmans. Cette rencontre est importante pour moi aujourd’hui (sourire).

20De même, les femmes rencontrées sentent qu’elles n’ont pas droit à la parole dans l’espace public ; et si elles veulent s’exprimer, elles ne sont, souvent, pas prises au sérieux quand leur interlocuteur est au courant de leur foi islamique. Mia, Belge, 32 ans, sunnite, voilée depuis 2013, et détentrice d’un master en gestion d’entreprise nous dit au cours de notre rencontre :

Moi, j’aimerais un jour entendre que tu fasses une conférence sur ce sujet [notre sujet de thèse] et qu’ils te prennent au sérieux. Parce que ce sont des gens comme toi qu’il faut pour changer les idées des autres. Et de toute façon, j’ai l’impression qu’on [les femmes musulmanes voilées ou non] n’aura jamais la même valeur ! En tout cas, moi, je n’aurai jamais la même valeur qu’une non-musulmane ou qu’une non-pratiquante dans la société ici. Jamais. [À la] limite je suis considérée comme une sauvage.

21Ses propos s’expliquent par cet imaginaire qui a été créé autour de l’islam et donc ipso facto autour de toute personne musulmane.

22Notre recherche doctorale porte sur les expériences subjectives (les vécus) et les perspectives de femmes bruxelloises, beyrouthines et montréalaises de confession musulmane de toutes orientations islamiques, quant à la radicalisation violente liée à la montée de Daesh en 2011 et aux pressions en tout genre qu’elles subissent depuis l’avènement et l’hypervisibilité de Daesh. Notre approche méthodologique se base essentiellement sur les récits de vie41 faits selon la langue (français, arabe et anglais) choisie par les participantes et sur l’ethnographie multisituée42. Cette dernière se circonscrit à trois villes situées dans trois continents différents, Beyrouth, Montréal et Bruxelles. Les femmes rencontrées (n=92) à Bruxelles (n=37) à Beyrouth (n=36) et à Montréal (n=19) ont toutes des parcours très diversifiés : venant de différents milieux sociaux, et ayant des parcours professionnels différents. Nous avons rencontré des femmes de tous âges et de tous milieux sociaux. Nous avons rencontré des femmes ayant des parcours totalement différents comme des femmes nées dans un milieu musulman ainsi que de nouvelles converties. Parmi les participantes à la recherche, certaines avaient un lien direct avec des personnes parties en Syrie pour rejoindre Daesh ou parties se battre contre Daesh en rejoignant le Hezbollah43 (ou d’autres groupes armés). De même, d’autres participantes avaient des liens avec des personnes décédées dans les attentats perpétrés par Daesh. Toutes les femmes rencontrées n’avaient pas de liens directs avec Daesh, mais elles m’ont toutes exposé d’une manière ou d’une autre les pressions en tout genre qu’elles subissent dans leur vie depuis que Daesh est apparu en Syrie et sur la scène internationale ; comme, entre autres, des femmes ayant des difficultés à trouver un emploi à cause, estiment-elles, d’une islamophobie s’intensifiant davantage en Europe et en Amérique du Nord depuis l’existence de Daesh. Au Liban, en Belgique et au Canada, sur les 92 femmes rencontrées, d’obédiences islamiques différentes, mais avec une prépondérance pour le chiisme et le sunnisme : il y a 18 femmes voilées sur 36 Beyrouthines rencontrées ; 21 femmes voilées sur 37 Bruxelloises et sur les 19 Montréalaises, il y a 5 femmes voilées. Les récits de vie qu’elles nous ont révélés nous ont conduits sur différents sujets, dont celui du corps des femmes musulmanes.

23Bien malgré elles, depuis plus d’une trentaine d’années, ces femmes sont souvent les cibles premières de représailles, d’exactions terroristes et de comportements délictueux par certaines personnes se requérant musulmans ; et par des personnes ne les distinguant pas des extrémistes musulmans et n’importe qui ayant la foi musulmane. Et dans une autre mesure, aussi par des personnes qui ne tolèrent pas le port du voile ou tout autre symbole dit : religieux ostentatoire. Vu que Daesh et d’autres groupuscules armés se réclament de l’islam, il y a comme une sorte de fil transparent, imposé entre ces cliques de luttes armées dites islamiques et toute une communauté religieuse, par de nombreuses personnes ne les dissociant pas. Caroline, 29 ans, sage-femme, sunnite, non voilée, et vivant à Bruxelles depuis plus de 6 ans, nous disait à propos de ce « fil transparent » : « [i]l n’est pas transparent ce fil ! C’est un chemin de fer ! (Rire nerveux) ». Pour notre recherche doctorale, nous voulions nous entretenir avec des femmes de confession musulmane appartenant à tous milieux et toutes obédiences islamiques, et ne provenant pas forcément de famille de culture musulmane ; c’est-à-dire, que nous tenions pour acquis qu’une personne provenant d’une famille de culture musulmane, dans laquelle ses parents et sa famille élargie se considèrent de confession musulmane, n’est pas forcément musulmane. Dès le départ, nous voulions, rencontrer des personnes qui ont fait le « choix » d’être musulmane ; et non que « ce choix » leur ait été imposé. En parlant de « choix », il nous semble important de souligner le fait que les femmes rencontrées ont fait le choix de rentrer en contact avec nous, il n’y a eu aucune obligation de notre part. Notre contact avec les participantes a été fait principalement par la technique d’effet boule de neige et en accord avec les directives du Comité d’éthique de l’Université Laval (CERUL) ; toutes les participantes ont eu droit à un feuillet de consentement d’éthique approuvé par le CERUL qui leur rappelait leurs droits tel que l’anonymat par exemple. Durant nos entrevues, nous demandions à toutes les participantes si elles pouvaient nous expliquer leur lien avec l’islam ; comment sont-elles devenues musulmanes ? Cela faisait partie de nos questions signalétiques pour entamer notre conversation. En leur posant cette question, nous nous attendions à avoir une réponse assez courte alors que les femmes nous parlaient entre 20 à 50 min. sur leur choix d’être musulmane. Nous comprîmes par la suite qu’elles tiennent sciemment ou inconsciemment à s’attarder sur le sujet de leur relation avec l’islam pour nous « prouver » en quelque sorte que leur foi islamique était un « choix » bien muri et bien réfléchi.

Quelques résultats préliminaires

Catalyseurs anthropiques : trois réactions différentes

24Par expériences subjectives, nous entendons le vécu des femmes interviewées en interaction avec un évènement-substance que nous appelons « catalyseur anthropique ». Ce dernier a pour fonction d’augmenter la réaction de l’activité humaine en se traduisant par trois réactions possibles : passive, active ou neutre. Ces réactions s’expriment par des sentiments ou des actions concrètes conscientes ou inconscientes. Le catalyseur anthropique ici englobe tous les faits évoqués plus haut et qui font que l’image de l’islam est dégradée dans l’espace public, politique et médiatique de nos jours. Ces catalyseurs anthropiques peuvent permettre, entre autres, de libérer un imaginaire autour du corps de femmes musulmanes. Nous aimerions aborder les conséquences de cet imaginaire « fantasmé », « libéré ». Au cours de nos différentes rencontres, nous nous sommes rendu compte que le corps était fréquemment évoqué/exposé d’une façon ou d’une autre dans les conversations ; ont été abordés les questions des vêtements des femmes tels que le port du voile, des connotations sur la place du corps des femmes musulmanes dans les espaces publics, professionnel ou autres, du style vestimentaire, des comportements corporels tels que les expressions faciales, la façon de se comporter en société où le corps joue un grand rôle, etc.

25Le port du voile renvoie dans l’imaginaire de beaucoup de personnes non musulmanes, à un signe de soumission de la femme. Aujourd’hui, les débats sur les signes ostentatoires en France, en Belgique et Québec, focalisent spécialement sur le port du voile. L’affaire du voile de 198944 et celles qui vont lui succéder en France, mais aussi ailleurs, dans le monde francophone surtout, ont permis l’émission de lois, comme la loi française de 2004 contre les signes religieux ostentatoires où comme le dit Liogier45, elles vont normaliser le concept de la laïcité en une certaine vision où celle-ci serait : « (…) un “patrimoine” national à défendre. La neutralité qui a vocation à protéger la liberté des publics sera utilisée en sens inverse comme un instrument de neutralisation de leurs différences. »46. Cette laïcité falsifiée47 et neutralisante va amplifier des débats sans fin autour du port de signes ostentatoires religieux qui sont fixés pour la plupart à une catégorie de femmes spécifique. Cette vision de la laïcité voit dans le voile porté par des femmes, de surcroît musulmanes, un symbole de soumission au sens patriarcal. Cette version de laïcité définit comment se comporter et interagir en société, comment se vêtir, etc., et dicte enfin une vision de la femme « libérée ». À notre sens cette vision oublie, le principe même du choix et du libre arbitre des femmes en voulant les « libérer ». Durant nos entrevues, ce principe même de choix et de libre arbitre a été abordé. Ces entrevues nous apprennent qu’il y a des différences dans les expériences de vie des femmes rencontrées, étant donné leurs différents lieux de vie qui engendrent une diversité de contextes sociopolitiques où se déploie aussi une série de catalyseurs anthropiques. Ces derniers sont liés à trois types de réactions (actives, passives et neutres) que nous avons pu identifier dans nos trois terrains.

La réaction active

26Par active, nous entendons que des femmes rencontrées sur le terrain vont changer certaines façons de faire par rapport à leurs corps. Nous en soulignerons ici quatre.

271.La première réaction active consiste à enlever et/ou à s’interdire de porter le voile pour se rendre moins visible, se faire plus discrète dans l’espace public, mais aussi pour se donner plus de chances de trouver un emploi. Comme le dit Maya, début de la trentaine, Libano-Canadienne, chiite, Québécoise qui a enlevé son voile pour obtenir un nouvel emploi, il y a peu :

Je continue ma vie normale comme personne ne sait tout de suite que je suis musulmane ou pas, parce que je n’ai pas l’image !

28Par image, elle veut dire qu’elle n’est plus visible en tant que femme musulmane bien qu’elle le soit toujours. Sinon comme Lola 47 ans, Belge, comptable convertie depuis plus de 25 ans et qui porte le voile depuis plus de 20 ans :

Je mets la casquette ou un turban en mode africaine [comme celui qu’elle porte lorsqu’elle me parle] ! Je mets souvent la casquette, le chapeau. Et quand je mets la casquette je la mets avec un bandana, personne ne le remarque à l’extérieur, mais moi, ça m’aide de ne pas tout le temps m’afficher en tant que musulmane. Tout le monde n’a pas à savoir qui je suis, c’est quelque chose d’intime.

29À la suite des attentats de Charlie Hebdo, des marches en solidarités aux victimes et pour la liberté d’expression ont été organisées en France et partout en Belgique. Certaines Belges rencontrées ont participé à ces manifestations, à l’instar de Farida, Belge d’origine marocaine, 23 ans, sunnite, voilée, diplômée en sociologie et actuellement en certificat d’éthique. Elle a eu beaucoup de remarques déplacées qui lui ont été proférées quant à sa présence à une des manifestions en hommage aux victimes de Charlie Hebdo ; comme la plupart des Bruxelloises que nous avons rencontrées et qui ont vécu la même situation.48 De même, Évelyne, 44 ans, Belge d’origine espagnole, convertie à l’islam au début des années 1990, voilée depuis 2008, travaille comme syndicaliste pour les sans-papiers à Bruxelles, qui nous dit :

Après Charlie Hebdo, j’ai participé à une grande manifestation contre la haine, et je faisais partie de la sécurité. C’est marrant, je faisais partie de la sécurité du cordon de sécurité et à la fois, il y avait plein d’Européens qui me regardaient : mais qu’est-ce qu’elle fait celle-là ?! Ben oui, des gens traumatisés, et tout, ils voient une musulmane voilée qui fait le cordon de sécurité, bon en même temps on me l’a demandé, je voulais en être. Et donc, eux, me regardent et il y a des féministes, les seules qui sont venues chez moi, ce sont des féministes qui me disent : vous ne comprenez pas que c’est la soumission de la femme, nous, on s’est battu pour la liberté !

30De même, le jour des attentats du 22 mars, les Belges musulmanes voilées que nous avons rencontrées nous ont toutes dit qu’elles se sont interdit de sortir ce jour-là. Elles avaient peur de représailles. Elles ont évité les transports en commun ou les lieux publics. Tel qu’Évelyne qui nous explique qu’en sortant de chez elle le 22 mars 2016 :

Au moment où je sors, il y a un type qui me regarde du haut de la rue et qui me crie : “Mais quelle honte ! Comment osez-vous ? !" Et je reste très calme, parce que je peux comprendre, et je lui dis : “Mais pourquoi monsieur ?”. Et il me dit : “Comment osez-vous ?”. Et je lui dis : “Je n’ai rien fait, monsieur.” Très calme, mais mortifié, et il continue et il me fait un doigt d’honneur.

31Du côté du Liban, les Libanaises de confession musulmane font, aussi, face à des difficultés liées à leur voile. Sally, 24 ans Libanaise chiite en dernière année d’université en spécialisation Banking and finance nous raconte une anecdote qui s’est passée le jour avant notre rencontre :

Comme hier, j’ai une amie qui me fait une capture d’écran d’une conversation qu’elle a eue entre elle et une entreprise où elle avait postulé. Et elle leur dit qu’elle a fait de l’architecture et qu’elle s’y connait en 3D. Et là, ils lui disent : “Ok. Tu as postulé avec ton CV ?” Il faut savoir que la fille elle s’appelle Malak ! Et ils lui ont dit : “Malak, on aimerait savoir : es-tu voilée ? Où habites-tu premièrement ? Et elle leur a répondu qu’elle vivait dans Dahieh [Sud de Beyrouth]. Et ils lui ont dit : “Ah, alors tu es voilée ?” et elle a répondu par : “Oui” et ils lui ont dit : “Sorry Malak”. Et, ils l’ont bloquée. Et donc, oui, les musulmanes ont des difficultés à trouver du travail au Liban, surtout si elles sont voilées ! Par exemple, pour les banques, les hôpitaux et même dans l’armée, tu ne peux pas trouver du travail dans ces domaines si tu es voilée !

32En effet, au Liban, Cindy, 20 ans, Libanaise, sunnite, voilée et étudiante en maitrise de biologie, développe ce que Sally dit plus haut par le fait que :

Toute la société libanaise accepte que tu sois musulmane, c’est normal ! Mais ici, au Liban, les choses deviennent politiques !

33En effet, depuis la fin de la guerre civile 1975-1990, bien que ce fût le cas avant, à partir des années 1990 les prises de positions politiques sont plus souvent liées à la religion et à la région de provenance. Pour qu’il n’y ait pas de problèmes, certaines entreprises refusent tout port de signes religieux pour ne pas heurter la sensibilité politique de leurs clients.

34Sally nous dit qu’elle s’interdit de porter le voile pour s’assurer de trouver du travail. Mais aussi, par peur que son futur époux l’oblige à porter le voile ; ce qui aurait d’éventuelles conséquences sur sa future vie professionnelle. Ces propos reflètent ce que Sarah souligne sur le fait que l’utilisation de la religion musulmane est souvent une excuse par certains hommes, dans certaines familles conservatrices libanaises, d’imposer le voile aux femmes. Elle nous dit :

Il y a une importance de la masculinité (Zoukouria) au Liban. La masculinité c’est comme la tradition libanaise. Je veux dire que dans ma famille ou avec mon mari, je ne me sens pas oppressée, mais parfois dans la communauté, oui. Par exemple, la dernière fois j’étais assise avec mes amis et j’ai posé une question à un ami qui a sa femme voilée. Et je lui ai demandé s’il accepterait que sa femme conduise une moto, et qu’il se mette derrière elle, sur la moto. Et il m’a répondu directement que c’était hors de question. Et donc, je lui ai demandé s’il savait que dans l’islam ce n’était pas interdit qu’une femme fasse ceci, et que son homme soit derrière. Et il m’a répondu qu’il savait, mais qu’il ne changerait pas d’avis ! C’est la société qui fait ça, que l’ego masculin soit énorme.

35Nayla, 41 ans, Libanaise, chiite, voilée, esthéticienne à son compte nous dit :

Parfois l’humain, il veut sortir. Il aime bouger, mais finalement c’est compliqué de sortir de l’environnement d’où il vient. C’est impossible. Cette communauté où tu es, tu dois y rester ! Par exemple, moi je me suis voilée, mais je n’ai jamais aimé le voile. Avant quand j’étais petite, j’essayais de l’enlever ! Et puis, avec la pression de ma famille, qui me disait : “Non, chez nous, c’est interdit qu’une fille se dévoile ! C’est interdit de s’habiller autrement”. Et puis avec le temps, je me suis habituée même si je ne l’aime pas. Je ne le porte pas pour ma foi, pas pour mon Dieu, mais je le porte pour que ma famille ne soit pas triste et que mon mari ne soit pas triste. Tu vois ? C’est aussi pour que la société ne parle pas sur nous. Tu sais, je vais te dire ce qui se passe ici. On agit pour être dans le paraitre, et être dans l’acceptable pour cette vision de la masculinité (Zoukouria) libanaise, mais la religion n’a rien à voir pour moi avec le paraitre et à quoi tu ressembles ; elle vient du cœur de l’intérieur.

36Les propos de Nayla comme de Sarah ci-haut, mettent le point sur le fait que la culture et la religion sont entrelacées49 dans certains milieux au Liban. Comprenant cela, Nayla préfère porter le voile et être une femme indépendante à son compte plutôt que ne pas le porter et être rejetée par son milieu. De même, Carla, 24 ans, sunnite, non voilée, réfugiée palestinienne née dans un camp palestinien au Liban, infirmière de formation vivant à Beyrouth nous dit :

Je suis pour le choix et la liberté de porter ce que l’on veut. Mais si par exemple tu veux aller au Sud ou vraiment au nord du Liban ou encore dans certains camps palestiniens, tels que le camp de Nahr-el-Bered, ce n’est pas comme partout au Liban ces endroits, il faut s’adapter, les gens sont plus fermés. Et je te dirai : S’il te plait, Emilie ne porte pas de minishorts, si tu vas là-bas ! C’est pour ta propre sécurité, donc s’il te plait habille-toi sagement. Et je le dirai à n’importe qui, ce n’est pas de ne plus croire en ses choix et ses croyances, mais c’est pour la propre sécurité de la personne.

37Et en effet, certaines femmes au Liban font attention à leur façon de se vêtir par obligation familiale et du « m’as-tu vu » libanais, mais aussi par peur pour leur intégrité physique50 ; cette situation dernière se retrouve aussi en Belgique et au Canada. Tel qu’éviter des endroits par peur autant de représailles islamophobes que celles venant d’intégristes musulmans, ou par paranoïa. À Montréal, et à Bruxelles surtout, les femmes que nous avons rencontrées évitent de prendre les transports en commun après chaque attentat, ou nouvelles lois émises contre les signes ostentatoires, pour ne pas être vues comme une cible. Certaines vont cesser complètement d’utiliser les transports en commun, comme Karima, Belge bruxelloise, sunnite et voilée, pharmacienne de 36 ans :

En gros, je ne prends plus le métro. J’ai fait un investissement. Je me suis abonnée aux voitures car-sharing. Donc, on prend le moins possible le métro. On fait du vélo. En fait, j’ai adapté ma vie.

382.La deuxième réaction active consiste à s’exprimer, sans injures, avoir un bon français, un bon flamand, un bon anglais ou un bon arabe, en tout temps, selon les femmes que j’ai rencontrées. Ceci leur permet de montrer qu’elles sont éduquées tout en étant de confession musulmane.

39Karima nous raconte que son fils a des soucis avec une de ses enseignantes et qu’elle propose de régler ça en allant la rencontrer. Elle nous raconte que son fils ne veut pas qu’elle vienne :

Il me dit [son fils] : “Non, ne vient pas, et tout !”. Et je lui dis : “Je t’assure, je vais y aller”. Et du coup, arrivée devant l’enseignante, elle me fait d’un air condescendant : “vous parlez français, madame ?” [Elle l’imite avec un accent aigu néerlandophone]. Et là, je me dis : “Ce n’est pas possible !”. En 2015, on arrive encore à penser comme ça ! Et je lui dis : “Madame ! On n’est plus dans les années 40 !”. Alors, là, j’ai commencé à parler avec elle en flamand ! Et là, elle m’a regardé étonnée ! Et là, mon fils dit : “Et, oui ! En plus, elle a fait pharmacie, hein !

40Elle continue son histoire et puis la termine en nous disant :

Donc, en gros, avec tout ça, je trouve qu’on nous a déshumanisés avec toute cette publicité sur les musulmans, et qu’on n’est plus des êtres humains. On est des ignorants ! Excusez-moi du terme, mais on est des cons ! On ne sait pas écrire. On ne sait pas parler. Je ne sais pas (soupir)’.

41Le témoignage de Karima reflète le sentiment de nombreuses femmes voilées, donc visibles, que nous avons rencontrées. Elles se sentent mises sur le côté. Elles se sentent vues comme étrangères dans leur propre pays et non prises à leurs justes valeurs. Elles sentent que du fait qu’elles portent le voile, leur intelligence est remise en cause directement. Ceci reflète ce que Mia, citée plus haut, nous disait :

J’ai mis le voile, il y a 4 ans. Et là, ça a été un changement incroyable ! Pas vis-à-vis de ma foi, mais vis-à-vis du regard des gens ! Oh ! Du jour au lendemain, j’avais l’impression d’être bête ! Mais vraiment bête ! C’est difficile à expliquer, mais j’étais bête ! C’est-à-dire que pour les gens j’étais la pauvre fille qui n’avait pas fait d’étude et ça ne se pouvait pas que je fusse éduquée ! Et on me posait souvent la question : “Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ?”. Voilà : “Vous n’avez pas terminé vos études, qu’est-ce qu’il y a eu ?” J’étais stupide.

423.La troisième réaction active consiste à ne pas montrer ses émotions liées à la tristesse, la colère, l’ennui, l’agacement et le mécontentement, surtout pour les femmes voilées. Cette réaction, consciente, est adoptée dans l’espoir que l’islam soit moins associé à une religion de violence et de tristesse.

43Rosalie, 33 ans, Belge d’origine marocaine du côté de son père, convertie sunnite vers ses 20 ans et portant le voile depuis 2004 me dit que :

Depuis que je porte le foulard, j’avoue que je sens un changement, je suis la seule femme qui porte un foulard qui vient chercher son fils ! On me regarde tellement péniblement et des regards aussi laids de bon matin. Oui, ça me gave, ça te donne l’impression que tu es une moins que rien. Et qu’est-ce que tu fais là ? Ce sont des petites choses qui peuvent facilement miner une journée ! Et toi, tu dois garder toujours le sourire en faisant mine que ça ne te touche pas. Et parfois, voilà des matins quand je mets mon petit à l’école, il y a des gens qui me regardent tellement, c’est de la malveillance pour moi, c’est désagréable. Et du coup, j’adopte le même ton, arrogant et distancié vis-à-vis d’eux.

44Certaines nous disent que bien qu’elles aient envie de répliquer, elles essaient de toujours garder le sourire. Si elles sont tristes ou énervées, elles essaient par tous les moyens de se contenir en public pour ne pas donner une mauvaise image.

  1. Le quatrième type de réactions actives consiste pour les femmes à changer leur façon de s’apprêter en s’aménageant à un nouvel effet de mode le « voguing » de Saba51.

45Au Liban et en Belgique, la quasi-totalité des femmes musulmanes que nous avons rencontrées nous disaient qu’elles sont féministes, mais qu’elles ne le disent pas haut et fort pour se distancier ainsi d’autres féministes52. Nous pensons qu’elles voulaient nous faire cas du féminisme dont Françoise Vergès53 fait part dans son dernier livre : Un féminisme décolonial. Rosalie, parmi tant d’autres, nous disait :

C’est tout à fait rétrograde de dire à une fille : comment elle doit s’habiller. C’est antiféministe pour moi, un État n’a pas à dire à ses citoyens comment ils doivent s’habiller ! Il y a eu l’affaire du burkini qui m’a scandalisé où on traite des gens comme des moins que rien. Et par rapport à ces femmes, il ne faut pas que je voie des hypocrites le 8 mars parader en disant : “ Oui les droits de la femme !” S’ils veulent vraiment le droit de la femme, vous lui foutriez la paix et vous la laisseriez s’habiller comme elle le veut !

46Les femmes au Liban et en Belgique sont pour la plupart dans l’optique qu’elles ne veulent pas se voir comme des victimes passives. Comme le dit Évelyne, citée plus haut :

Je suis un peu comme dans l’optique des féministes musulmanes qui réinterprètent la religion, qui la dépouillent de toute la domination patriarcale pour libérer, en fait, les femmes. Mais en plus je suis contre toutes les discriminations qui peuvent exister.

47Par ailleurs, le récit de vie de Jamie, Belge d’origine hollandaise de 29 ans, convertie sunnite à ses 17 ans, voilée depuis 2016, travaille depuis peu pour une compagnie d’aviation, nous dit que le 22 mars 2016 a eu un impact sur sa façon de s’apprêter jusqu’à aujourd’hui :

J’avais peur de sortir du bureau [le jour du 22 mars après qu’elle eut connaissance des attentats], donc mon collègue m’a raccompagné au bureau. Il y a des gens qui m’ont regardé et qui ont fait : “boum” comme s’ils allaient m’exploser ! C’était le mois de mars, il faisait froid. Alors je portais une longue veste noire (rire). Donc, j’étais habillée en noir, malheureusement, et après que je suis rentrée chez moi, à partir de ce jour-là, j’ai commencé à m’habiller en colorée et plus m’apprêter tous les jours !

48Le témoignage de Jamie nous permet d’exposer une nouvelle mode qui apparait depuis 2014-2015, dans de grandes enseignes internationales de prêt-à-porter et de luxe telles qu’Uniqlo, H&M, Dolce&Gabbana, Tommy Hilfiger, Asos et SHEIN, etc., mais aussi au niveau du sport avec, par exemple, Nike et Decathlon qui proposent des collections où la pudeur est de mise. Ces enseignes ont compris, à notre sens, que des femmes musulmanes veulent se vêtir à la mode et veulent être coquettes tout en étant en adéquation avec leur choix spirituel. Certaines femmes rencontrées sont convaincues qu’elles peuvent porter le voile en le rendant « agréable » et ne pas créer des polémiques ou un « imaginaire néfaste » autour d’elles, tout en restant en adéquation avec leur cheminement spirituel personnel et intime. Émilia qui a 29 ans, belge d’origine marocaine, sunnite et traductrice, et Évelyne que nous avons citées plus haut, portent le hijab toutes les deux « à l’africaine » comme elles nous le disent, en turban. Maryse aussi, 36 ans, Belge d’origine marocaine, sunnite, accompagnatrice pour toxicomanes, met le foulard en turban et nous dit : « [j]’ai eu beaucoup de personnes qui m’arrêtent dans la rue pour me demander de faire une photo de moi parce qu’ils font des shootings ! Chose que je n’avais jamais eue avant [de porter le voile] », ou Fabienne Libano-Canadienne, chiite de 28 ans, voilée, qui nous disait : « [b]eaucoup de gens dans la rue m’arrêtent et me disent que je m’habille bien, que c’est beau et que j’ai du style. » Elles font toutes attention à leurs images extérieures. Leurs comportements peuvent être saisis, comme Saba54 l’explique, avec le « Voguing » qui est l’apparition d’un nouveau style vestimentaire permettant à des femmes musulmanes de contrôler leur image. Tel qu’Abdmolaei et Hoodfar l’expliquent :

(…) la mise à la mode de leur [des femmes musulmanes] habillement en public relève d’une recontextualisation et d’un recadrage du discours sur le voile, tandis qu’elles se servent en même temps du voile comme d’une forme d’autonomisation pour élaborer et contrôler l’image qu’elles souhaitent donner aux autres.55

49Le « voguing » de Saba56 est nommé dans le milieu de la mode actuelle « Le Mipsterz ». Le Mipsterz est une tendance des années 2013-2014, qui fusionne les codes vestimentaires des hipsters et une appartenance à la religion islamique57. Il permet à la gent féminine de confession musulmane d’utiliser leur corps et le vêtement comme une sorte d’espace d’expression identitaire qui contredit tous les préjugés à l’encontre du port du voile perçu comme une dérive islamique extrémiste58.

50En soi, la réaction active permet aux femmes de réagir d’une façon ou d’une autre, comme les quatre réactions ci-dessus, face aux catalyseurs anthropiques qui peuvent avoir un impact sur leurs corps.

51En plus de la réaction active, deux autres types de réactions ont été identifiées : passive et neutre, en rapport aux corps des femmes rencontrées lors de nos différents terrains.

La réaction passive

Certaines femmes se sentent rejetées et sont blasées. Elles ne font plus d’effort pour changer puisqu’elles se sentent ostracisées quoiqu’elles fassent. Comme Sonia, Belge d’origine turque, voilée, sunnite de 23 ans, journaliste qui arrive tout essoufflée à notre point de rencontre pour notre entrevue, avec 10 min. en retard. Nous lui disons que ce n’est pas grave. Elle nous dit qu’elle a pris du temps dans le métro parce qu’elle avait un gros sac de sport noir (elle nous le montre) ; et elle nous dit en souriant, qu’elle était trop mal à l’aise de prendre le métro avec. Elle avait peur que les gens pensent qu’il contenait des explosifs. Elle nous le dit en souriant, mais nous dit que ce n’est pas amusant en fait : « [t]u imagines ! Je deviens complètement parano avec un sac de sport.  » Elle était voilée, un voile rose. Elle portait un chemisier bleu et une longue jupe bleue. Lors de nos conversations, elle reviendra sur cet épisode en me disant :

[d]e toute façon, moi je suis dans l’optique que dès que tu as un voile sur la tête, que tu t’habilles soft ou pas soft, on ne t’accepte pas. Donc, autant ne pas faire attention, à l’avis des gens. Par exemple je me trimbale avec ce sac [elle le montre, c’est un gros sac noir de sport] et je suis là, mais zut quoi, tout le monde me regardait. Comme la dernière fois, je suis avec ma prof dans son bureau, on devait parler d’un stage et puis tout d’un coup, elle me stoppe et elle me dit : “Tu es voilée, tu m’envoies un message. Et ça me dérange quoi”. Elle me dit ça. Qu’est-ce que tu veux que je réponde ? (Soupir).

52Pour Sonia, mais pour bien d’autres femmes rencontrées, la situation est telle qu’elles se sentent blasées, frustrées et incapables de renverser la situation. Bien qu’elles veuillent que la situation change, elles ne feront rien, étant persuadées que ça ne servira à rien.

La réaction neutre

53Cette réaction est propre à certaines femmes (voilée ou non) ne se sentant pas visées par l’imaginaire négatif véhiculé sur l’islam, bien qu’elles soient au courant et conscientes qu’il existe. Elles ne vont pas agir pour changer quoi que ce soit. Elles se sentent étrangères à toutes les retombées négatives en relation avec le corps des femmes musulmanes depuis la surexposition d’une vision de l’islam ; selon elles, cela ne les touche pas. Ce cas a été principalement rencontré à Montréal. En Belgique et au Liban, on n’a pas eu une femme qu’on pourrait « classer » dans cette catégorie. Il a été difficile de convaincre des femmes montréalaises d’échanger sur le sujet de notre recherche. Le fait est que la thématique de recherche leur semblait loin de leur réalité. Cela explique aussi le nombre de rencontrées, 19 femmes à Montréal contrairement à 37 femmes à Bruxelles et 36 femmes à Beyrouth. Bien que chaque terrain se soit déroulé sur une période de 3 mois, à Bruxelles et à Beyrouth, nous avons été dans l’obligation de refuser certains entretiens par manque de temps (3 mois par terrain) ; situation non retrouvée à Montréal où nous sommes vite arrivées à saturation des données.

Conclusion

54Ces quelques éléments insistent sur l’imaginaire négatif ambiant véhiculé dans l’espace médiatique, politique et social de nos jours. Ils relativisent le port du voile devenu presque tabou de nos jours alors qu’il a toujours existé. Ce texte insiste sur la place du corps des femmes de confession musulmane affectées par ce contexte et sur les réactions actives, passives et neutres de ces dernières. Le fait est que quelques voix s’élèvent pour dénoncer cette appropriation négative de ce que doit projeter le corps de certaines femmes musulmanes, tel que l’évènement du Hijabday propulsé en 2013 par Nazma Khan, Américaine voilée. Mais aussi comme l’Américaine d’origine somalienne Halima Aden qui pose en avril 2019, sur la couverture d’un des plus influents magazines sportifs américains Sports Illustrated, en burkini. Lors des attentats récents de Christchurch en Nouvelle-Zélande, de nombreuses Néozélandaises, dont la Première ministre néozélandaise Jacinda Arden, ont porté un voile par pure solidarité citoyenne vis-à-vis des personnes musulmanes touchées par l’attentat. Nonobstant le fait qu’il puisse parfois être utilisé comme arme de violence psychique et/ou physique dans certains milieux intégristes musulmans en l’imposant à certaines femmes ; il existe des femmes qui veulent le porter en âme et conscience. Le port du voile, dans des contextes musulmans imposés ou non, peut permettre l’émancipation des femmes qui le portent. Telle que Nayla, citée plus haut, porte le voile, non par envie, mais par obligation, a pu ouvrir un salon d’esthétique à son compte. Comme l’écrivent Abdmolaei et Hoodfar : « (…) [des] musulmanes ont donc adopté le voile comme un outil d’émancipation des règles familiales conservatrices et afin d’élargir leurs opportunités. »59 Finalement, ces quelques éléments mettent en avant la parole des femmes rencontrées.

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Notes

2 Obadia Lionel, L’anthropologie des religions, Paris, La Découverte, 2007.

3 Réf. citation de l’appel à communication du colloque interdisciplinaire, interinstitutionnel et international : Corps, nouvelles religions et dérives sectaires, du 24 et 25 juin 2019 à Paris.

4 Abu-Lughod Lila, « Les femmes musulmanes et le “droit de choisir librement” », Anthropologie et Sociétés, 42, 1, 2018, p. 35-56 ; Champion Françoise, Hervieu-Léger Daniele et Hourmant Louis, De l’émotion en religion : renouveaux et traditions, Paris, Centurion, 1990.

5 Abdmolaei Shirin et Hoodfar Homa, « Porter son identité à l’ère de la mondialisation », Anthropologie et Sociétés, 42, 1, 2018, p. 81-111 ; Mahmood Saba, Politique de la piété : le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, Paris, La Découverte, 2009 ; Saba Alvi, Voguing the Veil: Exploring an Emerging Youth Subculture of Muslim Women Fashioning a New Canadian Identity, Faculty of Education, University of Ottawa, 2013.

6 Champion Françoise, Hervieu-Léger Daniele et Hourmant Louis, Op.cit., p.13.

7 Nahavandi Firouzeh, Être Femme en Iran. Quelle Émancipation ? Bruxelles, Belgique, Académie Royal de Belgique, 2016, p.14.

8 Ibid., p.18.

9 Kepep Gilles, Jihad : expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2004, p.299.

10 Ib.

11 Corm George, La nouvelle question d’Orient. Paris, La Découverte, 2017.

12 Telle que celles de New York 2001, de Madrid en 2004, de Londres en 2005, en 2013 et en 2017, de Glasgow en 2007, de Stockholm en 2010, de Copenhague 2015, de Beyrouth en 2014, 2015, 2017, 2018, de Tunis 2016, 2017, d’Istanbul 2017, de Berlin en 2011 et 2016, de Bruxelles en 2014 et 2016, de Saint-Jean-sur-Richelieu en 2014, Ottawa 2014, d’Orlando en 2016, de Paris en 2015 et 2018, de Nice en 2016, de Rouen en 2016, de Trappe en 2018 et de Strasbourg en 2018, etc.

13 Castel Frederic, La dynamique de l’équation ethno confessionnelle dans l’évolution récente de la structure du paysage religieux québécois. Les cas du façonnement des communautés bouddhistes et musulmanes (1941-2001), Département sciences des religions, Université du Québec à Montréal, 2010  ; Dassetto Felice, L’iris et le croissant : Bruxelles et l’islam au défi de la co-inclusion, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011 ; Gresh Alain, L’islam, la République et le monde, Paris, Fayard, 2004  ; Kepel Gilles, Les banlieues de l’islam : naissance d’une religion en France, Paris, Éditions du Seuil, 1987 ; Roy Olivier, L’islam mondialisé, Paris, Éditions du Seuil, 2004 ; Roy Olivier, Le croissant et le chaos, Paris, Hachette littératures, 2007 ; Torrekens Corinne, L’islam à Bruxelles, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2009.

14 Dassetto Felice, Op. cit., p.71-72 ; De Coorbyter Vincent, « La neutralité n’est pas neutre ! » : 19-42, in D. Cabiaux, et al. (dir.), Neutralité et faits religieux. Quelles interactions dans les services publics ? Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2014.

15 Torrekens Corinne, « La communauté musulmane n’existe pas », 2016, En ligne, consulté le 31 août 2020.

16 Pellegrin Nicole, Op.cit.

17 Ibid., p. 5-60.

18 Bromberger Christian, Les sens du poil. Une anthropologie de la pilosité, France, Creaphis, 2015, p. 72-78.

19 Dassetto Félice, Op.cit.

20 Pellegrin Nicole, Op.cit., p.7.

21 Le Breton David, Des visages : essai d’anthropologie, Paris, Métailié, 2003.

22 Pellegrin Nicole, Op. cit., p.25.

23 Ibid., p.27-31.

24 Ibid., p.187.

25 Ibid., p.188-190.

26 Abdmolaei Shirin et Hoodfar Op. cit. ; Pellegrin Nicole, Op. cit., p.290.

27 Pellegrin Nicole, Op. cit., p. 301-305.

28 Ibid., p.185.

29 Beck Lois et Keddie Nikki, Women in the Muslim world, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1978 ; El Guindi Fadwa, Veil : modesty, privacy, and resistance. Oxford, UK, Berg, 1999.

30 Pellegrin Nicole, Op. cit., p. 280.

31 Ibid., p. 345-350.

32 Ibid., p. 350.

33 Beauvoir Simone, La force de l’âge, Paris, Gallimard, 1960.

34 Pellegrin Nicole, Op. cit., p. 351-352.

35 Ibid., p. 257.

36 Hamidi Malika et Gresh Alain, Un féminisme musulman et pourquoi pas ? France, Édition de L’aube, 2017.

37 Foehr-Janssens Yasmina, Naef Silvia, Schlaepfer Aline, Voile, corps féminin et pudeur entre Islam et Occident dans : Voile, corps et pudeur : approches historiques et anthropologiques, Genève, Labor et Fides, 2015, p.155.

38 Benhadjoudja Leila, « Les femmes musulmanes peuvent-elles parler ? », Anthropologie et Sociétés, 42, 1, 2018, p.113-133.

39 Ibid., p.114.

40 Tous les prénoms des interlocutrices ont été changés par souci d’anonymat. Elles ont toutes choisi leurs pseudo-prénoms. Nous soulignons que notre recherche doctorale a obtenu l’approbation du comité d’éthique de la recherche des êtres humains de l’Université Laval (CERUL) par le comité pluri facultaire d’éthique de la recherche. Numéro d’autorisation : 2017-047/2017-04-12.

41 Adraoui Mohamed-Ali, Du Golfe aux banlieues : le salafisme mondialisé, Paris, Presses universitaires de France, 2013 ; Bertaux Daniel, Les récits de vie : perspective ethnosociologique, Paris, Nathan, 1997 ; Bidart Claire, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie, 120, 1, 2006, p. 29-57 ; Daure Ivy, « Récit et recherche auprès de familles multiculturelles : de la narration à la transmission », Les Cahiers internationaux de Psychologie Sociale, 99-100, 3, 2013, p. 327-336 ; Demazière Didier et Dubar Claude, Analyser les entretiens biographiques : l’exemple des récits d’insertion, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004.

42 Marcus George Emmanuel, « Ethnography in/of the World System: The Emergence of Multi-Sited Ethnography », Annual Review of Anthropology, 24, 1, 1995, p. 95-117.

43 Le Hezbollah est un parti politique, chiite, central dans la vie des Libanais. Il est un parti politique dont plusieurs membres sont élus par la population libanaise au Parlement libanais. Cependant, c’est le seul parti politique au Liban se dotant d’une milice armée depuis la fin de la guerre civile libanaise de 1975-1990. Le parti est scindé en deux branches : une sociopolitique caritative et une autre armée qui prône la « résistance » contre Israël et tout pays ou groupe qui « menacerait » le Liban. Le Hezbollah combat depuis 2013, officiellement, auprès du gouvernement syrien contre Daesh. Son implication en Syrie et sa milice armée ne font pas l’unanimité auprès de tous Libanais. Les États-Unis et le Canada, entre autres, classent les deux branches du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Ils soutiennent que le Hezbollah menace leurs intérêts. À l’instar des États-Unis et du Canada, l’Union européenne, entre autres, classent aussi le Hezbollah comme terroriste, mais seulement, sa branche armée.

44 Dasetto Felice, Op.cit.

45 Liogier Raphaël, La guerre des civilisations n’aura pas lieu : coexistence et violence au XXIe siècle, Paris, CNRS, 2016.

46 Ibid., p.12.

47 Baubérot Jean, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2014a. ; Baubérot Jean, Les laïcités dans le monde, Paris, La Découverte, 2014b.

48 Voir : Todd Emmanuel et Laforgue Philippe, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Paris, Éditions du Seuil, 2015 ; qui explique bien ce sentiment d’exclusion que certaines personnes de confession musulmane ont ressenti lors des manifestations en soutien à la mémoire de l’équipe de Charlie Hebdo.

49 Je renvoie le lecteur vers les livres de Chabbi Jacqueline, Le Coran décrypté. Figures bibliques en Arabie. France, Édition Fayard, 2008. Et Chabbi Jacqueline, Les Trois Piliers de l’islam : Lecture anthropologique du Coran. France, Édition Le Seuil, 2016., qui explicite bien ces entrelacements entre le culturel et le religieux.

50 En Belgique, selon le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique, leur dernier rapport datant de juin 2020 : « Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019, 80 dossiers pour des faits à caractère islamophobe ont été signalés sur un total de 108 signalements. […] Les actes rapportés, répartis par genre concernent des femmes dans près de 90 % des cas et des hommes pour 10 % des cas. » (Rapport en ligne, consulté le 31 août 2020). Au Québec, d’après une étude faite par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse intitulé : Les actes Haineux à caractère xénophobe, notamment islamophobe. Résultats d’une recherche menée à travers le Québec. Étude présentée dans le cadre du plan d’action gouvernemental 2015-2018 : La radicalisation au Québec : Agir, Prévenir, Détecter et Vivre ensemble, il y a eu 86 victimes d’actes haineux dont 51 victimes étaient musulmanes sur 140 personnes interviewées entre mars 2017 et octobre 2018 (Rapport en ligne, consulté le 31 août 2020). Enfin, au Liban, il n’existe pas de telles statistiques.

51 Saba Alvi, Voguing the Veil: Exploring an Emerging Youth Subculture of Muslim Women Fashioning a New Canadian Identity, Faculty of Education, University of Ottawa, 2013.

52 Malika Hamidi aborde ce sujet de façon perspicace dans son dernier livre : Hamidi Malika et Gresh Alain, Op. cit.

53 Vergès Françoise, Un féminisme décolonial, La Fabrique, 2019.

54 Ibid.

55 Abdmolaei Shirin et Hoodfar Homa, Op.cit., p.100.

56 Saba Alvi, Op. cit.

57 Adam Aalia, “Canadian Muslim hipsters defy stereotypes”, 2014. En ligne, consulté le 31 août 2020.

58 Abdmolaei Shirin et Hoodfar Homa, Op. cit. ; Giddens Anthony, Modernity and self-identity: self and society in the late modern age, Stanford, Calif, Stanford University Press, 1991 ; Lewis Reina, “Uncovering Modesty: Dejabis and Dewigies Expanding the Parameters of the Modest Fashion Blogosphere”, Fashion Theory: The Journal of Dress, Body and Culture, 19, 2, 2015, p. 243-269 ; Mahmood, Saba, Op.cit.

59 Abdmolaei Shirin et Hoodfar Homa, Op.cit., p.99.

Pour citer cet article

Emilie El Khoury, « Engagements corporels de femmes musulmanes », L'ethnographie, 3-4 | 2020, mis en ligne le 26 octobre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=619

Emilie El Khoury

Emilie El Khoury est doctorante en anthropologie au département d’anthropologie de l’Université Laval et membre du CÉLAT