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L'Ethnographie

Superposition de savoirs et de pratiques sur le corps accouché dans le Cambodge urbain et contemporain

Clémence Schantz

Septembre 2019

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.156

Résumés

Les Khmers se représentent le corps et la maladie à travers tout un ensemble de conceptions aux origines diverses. Une de ces représentations, liée aux humeurs corporelles, est particulièrement visible dans la période du postpartum. En effet, le corps accouché est décrit comme froid, et particulièrement vulnérable. La transgression d’interdits accompagnant cet état de déséquilibre conduit à un état pathologique qui peut être mortel. Cet article propose une mise à jour des pratiques décrites dans le postpartum il y a un siècle, en montrant qu’elles sont toujours très présentes aujourd’hui à Phnom Penh. Mais il expliquera également comment, dans le contexte de biomédicalisation récent et massif de l’accouchement au Cambodge, la pratique biomédicale de l’injection dans le postpartum, vient s’insérer dans un système de représentation corporelle très souple au Cambodge.

Texte intégral

Dédicace

Cette thèse a été réalisée sous la direction de Véronique Petit, au Ceped, UMR 196, et grâce à un contrat doctoral financé par l’Université Paris Descartes. Je remercie le Centre des Études Khmères (CEK-CKS) qui m’a aidé à financer mes terrains de recherches. Je remercie également Anne Yvonne Guillou qui m’a aidée dans mes recherches bibliographiques sur ces pratiques anciennes dans le postpartum, ainsi qu’Eve Bureau pour sa relecture d’une première version de cet article.

1La façon dont les Khmers1 se représentent la maladie et le corps repose sur un ensemble de représentations diverses. Ces représentations sont liées à l’histoire du Cambodge ainsi qu’aux différentes influences culturelles qui l’ont marquée (Guillou 2009, 167). Une de ces composantes, à savoir l’influence de la médecine ayurvédique, est basée sur une conception humorale et énergétique du corps (Guillou 2009, 162). À l’hôpital à Phnom Penh, et plus particulièrement en maternité, ce système de représentation du corps par la circulation de ses flux corporels est particulièrement visible. En effet, la période du postpartum2 est révélatrice de ce système des humeurs corporelles3 car de nombreuses pratiques et interdictions vont tenter de maintenir le système en équilibre, afin que les humeurs et leur température chaude/froide, soit maintenues constantes. Ces dernières années, le Cambodge a connu une forte médicalisation de la naissance et de l’accouchement. En 2000, 10% des femmes accouchaient dans des structures de santé. Quatorze ans plus tard, elles étaient 83% (National Institute of Statistics, 2001 et 2014). Dans cette période de transformation des comportements en matière de santé, cet article souhaite interroger la place de la biomédecine dans ce système de représentation corporelle. À travers l’exemple d’injections pratiquées dans le postpartum, il montrera qu’il existe aujourd’hui à Phnom Penh une superposition de savoirs (savoirs populaires/biomédecine) et de pratiques. Pour montrer cela, nous décrirons d’abord l’hospitalisation en suites de couches telle qu’elle a pu être observée dans une maternité publique à Phnom Penh. Nous présenterons la période des sossay kchhey, où les « conduits » de l’accouchée sont immatures, la signification de cette période et ses interdits. Nous présenterons la conception de la maladie qui résulte de cette symbolique. Nous terminerons enfin en montrant la profonde cohérence observée dans ce système de représentation du corps de l’accouchée à travers l’exemple de l’injection. Nous nous appuierons dans cet article sur les théories et notions forgées par l’anthropologie de la maladie (Augé 1986), l’anthropologie de la santé (Massé 2010) et l’anthropologie symbolique du corps (Héritier 2003).

Méthodologie

2Les données de cet article sont issues de trois terrains de recherche au Cambodge d’une durée totale de onze mois, menés entre janvier 2013 et avril 2015 menés dans le cadre d’une recherche doctorale. Lors de ces trois terrains de recherche, nous avons mené une ethnographie dans deux cadres différents. D’une part, dans la plus grande maternité publique de Phnom Penh, d’autre part dans trois villages de la région de Kandal à 12 kilomètres de Phnom Penh4. Il n’existe pas de dichotomie stricte entre milieu urbain et milieu rural dans cette recherche et de nombreuses femmes qui accouchent à la maternité à Phnom Penh viennent de milieu rural. Il y a une importante circulation entre Phnom Penh et les villages aux alentours de la capitale (Derks 2008, 35). L’observation participante a été privilégiée à l’hôpital. Cette méthode a permis une « insertion dans le milieu » et une description du fonctionnement des services de la maternité. Les différentes pratiques biomédicales des soignants, et les habitudes des soignés ont été observés en se « frottant en chair et en os à la réalité » étudiée (Olivier de Sardan 2008, 48). Une observation analytique (Chapoulie 2000, 7) portant sur quelques pratiques spécifiques a permis une description fine d’aspects particuliers (posture des parturientes et des accouchées ; tenue vestimentaire des accouchées hospitalisées ; port du bonnet à la maternité). Cinquante-six entretiens semi-directifs, enregistrés, et retranscrits dans leur intégralité ont été réalisés. Ces entretiens ont été menés auprès d’hommes, de femmes, de soignants5 et de patientes. Les entretiens avec les gynécologues obstétriciens, les sages-femmes et les infirmiers ont été menés en français ; ceux avec les patientes accouchées à l’hôpital et dans les villages en Kandal étaient menés en Khmer avec l’aide d’une traductrice.

La période du postpartum au Cambodge, ses pratiques et ses interdits

3À la maternité où a été menée l’observation participante, les pères, sont très présents dans les heures qui précèdent l’accouchement. Ils sont nombreux dans les couloirs où les femmes en travail déambulent ; ils leur tiennent la main, les massent. En salle de naissances par contre, les parturientes sont le plus souvent accompagnées d’une femme, une sœur, une mère, une tante, qui les assiste, les soutient et les guide au cours du travail. Un coussin est placé sous la tête des parturientes pendant le travail et l’accouchement. Il est retiré immédiatement et systématiquement après l’expulsion du fœtus et du placenta. La femme dans le postpartum va alors être allongée de façon horizontale stricte pendant plusieurs jours. Le premier lever pour uriner ne se fera qu’après plusieurs heures. La majorité des femmes à qui je propose de les aider à s’asseoir au début d’un entretien refuse pour rester totalement allongée : « Non, il faut que je reste bien allongée pour que les sossay circulent bien. » (Femme de 40 ans, vendeuse). L’allaitement du nouveau-né se fait majoritairement en décubitus latéral afin d’éviter à la femme de s’asseoir. À cette première caractéristique - un allongement strict, avec au maximum un coussin sous la tête - s’ajoute une deuxième : la femme qui a accouché au Cambodge a le corps froid. Pour les Khmers, la grossesse est un état « chaud », alors que le postpartum est une période « froide » (Sargent et Marcucci 1983, 73). Cette période très froide après l’accouchement se retrouve dans de nombreuses sociétés et s’explique par une brutale déperdition de chaleur (Héritier 2012, 83) due à la perte de sang systématique lors de tout accouchement. L’accouchée a perdu du sang, donc de la chaleur et il faut réchauffer son corps comme nous le verrons. Ces conceptions sont partagées par l’ensemble des patientes et la majorité des médecins : « Après l’accouchement, le corps est froid, il faut le réchauffer » (Gynécologue obstétricien (GO), 60 ans, Phnom Penh (PP)). À l’hôpital public où ont eu lieu ces observations, les accouchées sont donc allongées de façon horizontale stricte, et portent un bonnet sur la tête. Elles ont des vêtements chauds et couvrants, des chaussettes, une grosse couverture ou une couette, et parfois des gants [Voir photo I].

Photo I : Une femme accouchée en suites de couches

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© Clémence Schantz. Mars 2014

Une période caractérisée par un terme polysémique, les sossay6 kchhey

4Les différents enquêtés rencontrés expliquent que la femme a les « sossay kchhey » après l’accouchement. Littéralement, les interlocuteurs lors de nos différents terrains ont traduit sossay par « vaisseau », « cordon », « ligne intérieure », « tige », « organe intérieur ». Kchhey a été traduit par « vert », « pas mûr », « immature ». Comme le note Soizick Crochet à propos des sossay, « nul ne s’entend à les définir » (Crochet 2001, 383). Martine Piat propose une définition de « sarsay » par « tendon » «  en désespoir de causes » (Piat 1965, 8). Marie-Alexandrine Martin parle des « conduits sâsay » (Martin 1983, 146). En anglais, Maurice Eisenbruch traduit les « sααsay » par « tubes » ou « tubules » (Eisenbruch 1992, 294). Adhémard Leclère parle lui, des « nerfs ou sesey » (Leclère 1894b, 392). Martine Piat écrit que le terme de « sarsay » désigne « 1° tous les vaisseaux sanguins 2° tous les tendons, les nerfs des conceptions populaires françaises 3° les fibres des muscles longs que l’on peut saisir en pinçant 4° un cheveu même, en bref tout élément organique de forme allongée » (Piat 1965, 8). Le terme de sossay n’a pas d’équivalent en français puisqu’il ne s’inscrit pas dans la même conception du corps. L’ensemble de ces définitions m’amène à choisir de traduire ce terme de sossay kchhey par « conduits immatures ». Je choisis le terme de conduit pour sossay pour deux raisons. D’une part car la propriété de circulation de fluides, d’humeurs a été la plus fréquemment citée par les enquêtés ; d’autre part pour la description de sa forme allongée. Cette définition française n’étant pas satisfaisante, j’ai choisi de continuer à employer le terme de sossay dans ce texte, sauf lorsque des entretiens ont été réalisés en français et que l’enquêté traduit lui-même ce terme. Nous allons voir maintenant que sossay kchhey désigne aussi un état corporel plus global qui correspond à une période transitionnelle pour les femmes.

Un corps froid et vulnérable

5Les enquêtés expriment unanimement que les femmes après l’accouchement sont dans un état de fragilité et qu’il faut les protéger : « Au moment de l’accouchement, les femmes travaillent beaucoup et les vaisseaux, sossay c’est vaisseaux, travaillent beaucoup. Donc après l’accouchement, les vaisseaux sont flasques. Il faut de la chaleur pour faire mûrir les vaisseaux. Les vaisseaux sont kchhey et c’est par la chaleur qu’ils ne seront plus kchhey. Après un mois, la femme sort de la maison. Mais avant un mois, elle reste à la maison, elle ne va pas au marché. » (Sage-femme (SF), 65 ans, PP) ; « Sossay kchhey, c’est l’état de la femme à la suite de l’accouchement qui est dans un état fragile » (GO, homme, 61 ans, PP) ; « Après l’accouchement, on a fait beaucoup d’efforts, on a perdu beaucoup de sang, donc on est faible, on dit sossay kchhey comme ça ». (GO, 28 ans, PP). Concernant la période du postpartum, la « force » (komlaing), l’effort de la patiente qui accouche sont fréquemment évoqués. Cette notion de « force » est centrale dans les représentations cambodgiennes actuelles du corps, « sorte de fonds de santé, de « capital-santé », que chacun doit préserver et entretenir en mesurant, notamment, son effort physique. » (Guillou 2009, 169). « Après l’accouchement, on a fait des efforts pour faire sortir le bébé donc après on est sossay kchhey. » (Commerçante, 37 ans, Village en Kandal (VK)) ; « C’est après l’accouchement, on a beaucoup saigné et on a usé beaucoup de force, donc ça s’appelle sossay kchhey. Par contre après une césarienne on n’est pas sossay kchhey. » (Femme, ménagère, 54 ans, VK). Les discours des enquêtés concernant l’accouchement par césarienne n’étaient pas homogènes, certains affirmant que les femmes n’étaient pas sossay kchhey car elles n’avaient pas « utilisé leur force », d’autres si.

6Selon les personnes, la période du sossay kchhey s’étale entre un mois et un an après l’accouchement mais touche toutes les femmes (« Même si le bébé est mort dans le ventre on est sossay kchhey. Même si on accouche à six mois [de grossesse] » (Femme de 37 ans, cueilleuse, VK)). « Ça dépend si on est riche ou pauvre. Si on est riche, on peut rester sossay kchhey plusieurs mois. Par contre, si on est pauvre, on n’a pas le choix [de retourner travailler] » (Femme de 37 ans, cueilleuse). « Pour mon premier enfant mon mari travaillait, on avait de l’argent donc je suis restée sossay kchhey cinq mois. Pour le deuxième aussi. Pour le troisième, je suis restée sossay kchhey seulement un mois et demi car j’ai dû travailler. » (Commerçante, 37 ans, VK). La durée de cet état de vulnérabilité est donc variable selon les enquêtés. Plus les conditions économiques sont favorables, plus la femme peut se reposer longtemps, et plus cette période sera longue. La pauvreté et son obligation de reprendre rapidement le travail, semble ainsi mettre le corps de l’accouchée déjà affaibli en danger.

7Comme nous l’avons vu, le sossay kchhey peut être traduit littéralement par « conduits immatures », mais le terme définit aussi un état, d’une durée variable, dans lequel se trouvent les accouchées. Les conduits doivent être chauffés pour « mûrir ». Nous allons voir maintenant à travers trois pratiques non exhaustives de quelle façon il est possible de réchauffer ce corps accouché.

Une première pratique dans le postpartum : la mise sur le feu

8La pratique de mise sur le feu, ou ang phleung en khmer a été décrite dans plusieurs textes au début du 20ème siècle (Leclère 1917, 555 ; Menaut 1930 ; Porée et Maspero 1938, 205 ; Chan 1955, 80). Yi Tan Kim Pho, sage-femme cambodgienne ayant accouché en 1978 sous le régime des Khmers Rouges, évoque elle aussi cette pratique qui aurait été autorisée à certains endroits (Simon-Barouh 1990, 142). Cette pièce où a lieu le « grillage » est isolée du monde extérieur. « On fait très attention à ceux qui peuvent être considérés comme « étrangers » à ce monde clos des tabous » (Ang 1982, 102). La femme est recluse pendant plusieurs jours : « Je suis allée sur le feu pour mon deuxième enfant (…). J’étais dans une chambre isolée et seule ma tante et le médecin pouvaient entrer. Aucun homme ne peut entrer, même pas mon mari. » (Femme de 48 ans, paysanne, VK) ; « Quand une femme est sur le feu, il est interdit d’aller la voir. » (Agricultrice, 37 ans, VK). Ang Choulean explique que « cette pratique, largement observée par les populations du Sud-Est asiatique, représente une sorte de temps suspendu pour la mère et l’enfant. (…) Le « feu », médiateur indispensable de ce rite de passage doit être considéré sur le plan symbolique exactement comme celui des opérations culinaires. Il transforme un poisson cru en un poisson grillé. » (Ang 1982, 106). Ainsi, les conduits de la femme, considérés comme immatures après l’accouchement, vont pouvoir mûrir par la mise sur le feu. Cette pratique est unanimement connue des enquêtés rencontrés, quel que soit leur âge, leur lieu d’habitation ou leur catégorie socioprofessionnelle : « Le feu c’est pour avoir une bonne circulation du sang. Je suis restée trois jours à chaque fois » (Cueilleuse, 34 ans, VK). « Je suis restée sur le feu pour mes cinq enfants, entre trois et sept jours. Ce sont mes ancêtres qui m’ont dit qu’il fallait aller sur le feu pour bien faire circuler le sang » (Paysanne, 43 ans, VK). B. Menaut soulignait déjà il y a presque un siècle cet effet positif du brasier sur la circulation du sang, qui « par sa chaleur, [doit] empêcher la coagulation du « mauvais sang » que contient encore le corps de la mère, en aider l’écoulement vers l’extérieur » (Menaut 1930). Anne Guillou note que cette pratique de « cuisson » peut se pratiquer aussi à l’hôpital si le personnel donne son accord, et principalement dans les dispensaires en milieu rural (Guillou 2009, 169). Cette pratique n’a pas été observée à l’hôpital de Phnom Penh où nous étions. Par contre, les entretiens menés entre 2013 et 2015 ont montré qu’elle était toujours actuelle à Kandal à quelques kilomètres de Phnom Penh : « J’ai deux enfants de cinq et trois ans, j’ai 25 ans et je suis allée sur le feu pour mes deux enfants. » (Femme de 25 ans, vendeuse de bananes, VK). Cependant, l’ensemble des enquêtés souligne que cette pratique tend à être de moins en moins réalisée.

Une deuxième pratique dans le postpartum : le port du bonnet

9Comme cela a été mentionné plus haut, les accouchées de l’hôpital public à Phnom Penh où ont été menées ces observations avaient de façon quasi unanime un bonnet sur la tête [Photos II et III]. Les explications données par les enquêtés sont les suivantes : « Si une femme ne se protège pas la tête, quand elle sera âgée, elle aura mal à la tête » (Femme, 51 ans, PP) ; « J’ai porté le bonnet pendant deux mois, pour protéger mes oreilles. Si le vent entre dans les oreilles, ça siffle et quand on devient vieille, on devient sourde » (Commerçante, 33 ans, VK) ; « Le bonnet c’est pour se protéger, pour qu’il n’y ait pas d’air qui entre dans les oreilles. Car si l’air entre, ça peut donner des maux de tête, des vertiges, des vomissements ». (Cueilleuse, 57 ans, VK). Les différents enquêtés rencontrés expliquent donc qu’il faut le porter pour empêcher le vent d’entrer dans les oreilles. Et en observant, les bonnets portés par les femmes recouvrent effectivement les oreilles. Il s’agit de bien obstruer les orifices que représentent les oreilles. Certaines femmes les obstruent avec du coton. Tous les discours sont homogènes concernant le port du bonnet et plusieurs femmes expliquent effectivement qu’elles ont aujourd'hui des céphalées car elles n’ont pas suffisamment porté le bonnet après leurs accouchements. Une d’elle raconte : « On croit que si on laisse la tête comme ça, avec le vent, on peut attraper le rhume et c’est difficile après l’accouchement ! ». Dans la traduction d’un Traité pour attraper les vents, Martine Piat décrit que le terme « être attrapé par le vent » est un « terme assez vaste comprenant tous les malaises : rhume, mal de tête, syncope, mal au ventre qui ne vient pas de la dysenterie » (Piat 1965, 7). Ce vent s’inscrit dans la représentation du corps que nous décrirons dans la suite de cet article. « Et [j’ai] aussi des sifflements dans les oreilles car le vent entre et sort. J’ai porté un bonnet mais qui n’a pas bien couvert les oreilles. Et aujourd'hui encore j’ai des céphalées. Je n’entends pas très bien. Je sens que je ne suis pas normale comme les autres. Et ça c’est à cause du bonnet que je n’ai pas bien porté. » (Commerçante, 37 ans, VK). Le vent, tout comme le sang doivent circuler physiologiquement et leur mauvaise circulation est source de pathologie. Les accouchées portent ce bonnet aussi longtemps que dure la période de sossay kchhey c'est-à-dire entre quelques semaines et un an. Cette pratique est très répandue à Phnom Penh comme dans les campagnes.

Photo II : Une femme accouchée de deux mois en visite postpartum

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© Clémence Schantz, Février 2013

Photo III : Des femmes accouchées hospitalisées en suites de couche qui attendent de faire une échographie le jour de leur retour à domicile

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© Clémence Schantz. Mars 2014

Une troisième pratique dans le postpartum : les vapeurs

10En 1930 le docteur Menaut évoquait des fumigations dans le postpartum où l’accouchée « se tient accroupie, la tête penchée sur une marmite d’eau bouillante où infusent les drogues ; tandis qu’une couverture la couvre entièrement, réalisant une sorte d’espace clos où les vapeurs se concentrent. Ces fumigations sont destinées à lui permettre de retrouver la fermeté des muscles, le teint et la fraîcheur de la peau qu’elle avait avant la maternité » (1930, 45). L’apparence de la peau des Cambodgiennes revêt une grande importance d’une façon générale (Crochet 2001, 395 ; Hancart Petitet 2010, 145). Les femmes ont fait part d’une grande inquiétude quant à l’état de leur peau dans la période du postpartum. « La femme porte des vêtements épais, c’est aussi pour protéger la peau. On étale des produits traditionnels sur la peau. On mélange des produits naturels avec le vin, de l’alcool, on met une sorte de fruit orange, et avec un peu de sel. » (Femme responsable administrative de 64 ans, PP) ; « Après l’accouchement elle [la femme cambodgienne] a les cheveux et la peau qui ne sont pas bien, la peau est sèche ». (GO, 33 ans, PP). Ce système de fumigations dans le postpartum pour améliorer l’état cutané de l’accouchée et réchauffer le corps froid a été aussi décrit par nos enquêtés. Une sage-femme de 57 ans en milieu rural raconte : « On met des thnam khmer7 dans un pot, la femme s’assied sur une chaise, et respire la vapeur qui sort de ce pot qui bout. Elle a une couverture sur la tête, on ouvre le pot pour que la chaleur sorte au fur et à mesure. C’est pour faire sortir les toxiques de la peau et du corps. Ça c’est pour la femme qui a les sossay kchhey. Quand on est toah sossay kchhey on doit boire le thnam khmer mais ici on ne boit pas, on respire. Ça dure une ou deux semaines, ça dépend de la disponibilité du mari car c’est lui qui prépare cela. Et les femmes font cela tous les matins. On met des feuilles de bambous et des feuilles de citron, mais aussi de la citronnelle ». On constate une fois de plus que les pratiques décrites au début du siècle dernier sont toujours vivantes dans le Cambodge contemporain.

Les maladies du postpartum : les toah sossay kchhey et leurs interdits

11Le toah sossay kchhey est une pathologie importante et répandue au Cambodge (Guillou 1999, 5). La période du postpartum que nous avons décrite ci-dessus présente de nombreux interdits. La transgression de ces interdits conduit à un état pathologique appelé toah sossay kchhey. « Toah » est défini dans le dictionnaire Khmer du Suprême patriarche Samdech Chuon Nath (Institut Bouddhique, 1ère édition 1938) : « Nom d’une maladie causée par la nourriture ou par le travail trop lourd ou pénible au moment où on n’est pas encore très bien rétabli de l’épreuve de l’accouchement ou d’une autre maladie » (traduction faite par un enquêté, bonze, 66 ans). Le mot toah peut aussi être traduit en français par « conflit » (F. Ponchaud, entretien personnel en février 2014 (Guillou 2009, 169)). S. Crochet évoque à propos des toah un « ensemble de troubles particulièrement satisfaisants pour l’ethnologue. Voici enfin un corpus nosologique on ne peut plus populaire » (Crochet 2001, 412). Les récits relatant des expériences personnelles ou relatives à des connaissances ont effectivement abondé au cours de ces trois terrains de recherche. Les symptômes du toah sossay kchhey sont multiples. Certains biomédecins interrogés ont évoqué des étiologies « modernes » à cette pathologie « traditionnelle ». Parmi celles-ci, la dépression post-natale et l’endométrite ont été le plus fréquemment citées. Cependant, je ne pense pas que ces concordances soient exactes, ni que l’on puisse établir une correspondance stricte entre les symptômes évoqués et la biomédecine. Par contre, on assiste bel et bien à une imbrication des savoirs comme nous le verrons. Dans cet article, les maladies du postpartum sont envisagées comme un « véritable système culturel parallèle, (…) aucunement réductible à un sous-ensemble des connaissances médicales. Tout en intégrant des éléments du savoir scientifique dominant, il s’impose comme un savoir authentique, véhiculant son propre bagage de croyances » (Massé 1995b, 2). Au total, quatre catégories d’interdits ont été recensées8 sur le terrain ; elles sont présentées ci-dessous. Leur transgression entraine différentes maladies avec des manifestations physiques diverses, toutes regroupées sous le terme de toah. Pour plus de clarté, je catégoriserai les différents interdits et maladies, mais on voit bien que les enquêtés évoquent bien souvent plusieurs catégories dans un même discours.

Interdits de bouger, de se lever, de porter, de travailler

12La première maladie du postpartum est provoquée par un effort physique trop important : « Suite après l’accouchement, on ne peut pas faire tel ou tel travail car on a beaucoup saigné. On est faible, on ne peut pas travailler. À partir de deux semaines, on peut marcher dehors. Les deux premières semaines on peut manger seulement autour du lit. Puis après six mois ou un an on peut retravailler. » (Homme, 65 ans, VK) ; « J’ai été toah sossay kchhey car j’ai porté du riz très lourd. J’ai eu diarrhée, fièvre, et je suis devenue maigre. J’ai pris thnam khmer : c’était de l’estomac d’hirondelle avec du vin et j’en ai bu un verre. Cela m’a guérie. C’est le bon médicament pour toah sossay kchhey. Mais c’est rare et cher. » (Femme de 59 ans, commerçante, 10 enfants, VK). Cette maladie s’inscrit dans un corps affaibli, vulnérable et présentant un manque d’énergie vitale. Dans le cadre d’un système « entrant/sortant », l’effort physique ne peut être supporté et conduit à un état pathologique.

Interdits alimentaires

13Une autre maladie du postpartum est provoquée par l’ingestion de certains aliments. Une agricultrice de 34 ans raconte « [J’ai été malade] à la naissance de mon troisième enfant car mon mari a cuisiné de la soupe de tortue. Moi je savais bien que c’était interdit de manger de la tortue quand on est sossay kchhey. Donc j’ai bien lavé le pot mais malgré cela, je suis devenue toah. J’ai eu très très mal au ventre. Il y avait du bruit dans le ventre ». D’autres aliments ont été mentionnés comme entrainant une maladie dans le postpartum: la tête de porc, les poissons de mer, les aliments acides et aigres, l’huile d’huitres, un certain type de bananes, la pastèque, le concombre, l’ananas (liste non exhaustive). Une femme a mentionné aussi qu’il était interdit de manger la soupe assise durant cette période. « Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas manger, certains fruits, certains poissons. Ma mère a mangé un poisson et elle est devenue toah. Elle a eu des céphalées et la diarrhée. » (Ménagère, 26 ans, PP). Si certains aliments sont interdits dans le postpartum, d’autres au contraire sont fortement conseillés. Une mention particulière a été faite pour que les aliments soient bien cuits. Le poivre a été cité très fréquemment comme aliment conseillé dans le postpartum, notamment par les soignants. « Il faut manger du sel, du poivre. Le poivre c’est pour chauffer le corps. » (SF, 64 ans, PP). Ont aussi été conseillés dans le postpartum l’absorption d’alcool mélangé à des plantes, les viandes sèches, le poisson séché, la soupe, le porc, le poisson caramel, le poisson au gingembre grillé. Le poivre, le gingembre, le poisson et la viande au caramel ont été aussi mentionnés par Ida Simon-Barouh, anthropologue, qui note que « cette préparation provoque une chaleur interne au corps de la jeune mère et favorise l’écoulement bénéfique parce qu’abondant de son sang » (Simon-Barouh 2004). La distinction entre « aliments recommandés » et « aliments proscrits » a été retrouvée également lors d’une recherche menée auprès de réfugiées khmères à Dallas (Sargent et Marcucci 1983, 73).

Interdit de contact avec l’eau froide

14Le corps étant froid, tout ce qui peut le refroidir davantage est proscrit. C’est le cas de l’eau froide qu’il est interdit de toucher. Une gynécologue obstétricienne de 28 ans à Phnom Penh raconte sa propre expérience après son accouchement : « Je n’avais pas le droit de prendre de douche avant un mois. Je peux me laver avec des lingettes mais pas une douche. C’est dur !! J’avais chaud !! Et je ne pouvais pas mettre la climatisation, il fallait que je reste au chaud, que je porte le bonnet ». Une sage-femme de 57 ans en milieu rural explique aussi qu’« il est interdit de toucher l’eau froide, même l’eau de la pluie ou du fleuve, il est interdit de laver le linge. Les femmes peuvent se laver deux ou trois jours après l’accouchement seulement, et avec de l’eau chaude. » Yi Tan Kim Pho qui a accouché en 1978 mentionne elle aussi « qu’après [l’accouchement], pendant un bon moment, il est interdit de se laver, même les cheveux. » (Simon-Barouh 1990, 142). La maladie du postpartum provoquée par le contact avec l’eau froide s’est exprimée sur le terrain par des fourmillements des mains et/ou des pieds. Cet interdit de contact avec l’eau froide a aussi été retrouvé durant la période des menstruations au Cambodge (Hancart Petitet et Desclaux 2010, 17), ainsi qu’en Birmanie. Une sage-femme birmane l’explique de la façon suivante : «  Les règles durent en général quatre à cinq jours. Pendant ce temps, il ne faut pas se laver à l’eau froide sauf le visage. Le sang est chaud. À cause de l’eau, le sang pourrait s’arrêter de couler et la femme devenir folle ; car le sang mauvais l’empoisonnerait » (Delachet-Guillon 2001, 127). On voit une fois de plus que non seulement le corps doit être réchauffé dans le postpartum, mais aussi qu’il faut permettre au sang de « bien circuler ». L’eau froide présente donc un danger pour ce corps, d’abord parce qu’elle concourt à le refroidir davantage, et qu’elle provoque une coagulation du sang.

Interdits sexuels

15Parmi toutes les maladies du postpartum mentionnées par les enquêtés, le toah damnek (damnek = dormir en khmer) résulte de la reprise de rapports sexuels de façon trop précoce après l’accouchement. Il est le plus grave et le plus dangereux de tous : « D’abord on maigrit, puis on meurt. Il n’y a pas de traitement et tout le monde a peur car il y a un exemple dans le village. Une femme a été forcée par son mari deux mois après l’accouchement à avoir un rapport sexuel et elle a cherché partout après des thnam khmer car elle était toah sossay kchhey mais les thnam khmer ne marchent pas. Elle est devenue maigre et elle est morte tout de suite. » (Ménagère, 54 ans, VK). « J’ai repris les rapports sexuels un an après mon accouchement. Ma maman est morte car elle a repris un rapport sexuel trop tôt après l’accouchement, vers trois ou quatre mois alors qu’elle était encore sossay kchhey. À cette époque j’étais petite et ce sont mes proches qui m’ont raconté ». (Femme de 27 ans, VK) ; « Ma belle-sœur aussi a été toah sossay kchhey à cause du rapport sexuel. Elle a pris du thnam khmer. Elle n’est pas encore guérie mais elle va mieux. Elle est devenue très maigre, la peau très sèche, elle est devenue toute grise et ne peut pas manger beaucoup. Si elle n’avait pas trouvé vite des thnam khmer elle serait déjà morte. » (Femme de 25 ans, vendeuse de bananes, VK). Les discours concernant le toah des relations sexuelles ont été abondants lors de ces trois terrains. La relation identifiée dans la littérature entre abstinence sexuelle dans le postpartum et allaitement maternel (Héritier 2012, 85) n’a pas été retrouvée lors de cette recherche. Les femmes qui n’allaitaient pas leur nouveau-né étaient soumises aux mêmes interdits sexuels que celles allaitantes. En outre, il n’existait aucune concordance entre la durée de l’allaitement maternel et la durée de la période des sossay kchhey chez les différentes enquêtées.

16L’interdit sexuel dans le postpartum est celui qui fait le plus peur puisqu’il conduit presque inéluctablement à la mort. La reprise des rapports sexuels « trop tôt » fait preuve d’une importante stigmatisation sociale comme le raconte cette sage-femme qui n’a pas hésité à insulter un homme qui n’aurait pas su se contrôler : « Je suis allée à Kampot avec mon mari et j’ai vu une femme qui a le poignet très mince, qui donne le sein à son bébé et qui est déjà enceinte de 7 mois. J’ai bien regardé et j’ai vu qu’elle a la peau très très sèche et du coup j’ai insulté le mari. Et quand cette femme a accouché du bébé qu’elle avait dans son ventre, elle est morte. Et son mari ne me fait pas peur car c’est mérité » (SF, 68 ans, VK). On assiste donc à un contrôle social extrêmement puissant et efficace à travers cette peur qui se transmet dans les différentes rumeurs, normes et représentations qui leur sont associées. Les discours très précis et détaillés apportent une caution à la véracité des faits : « Et juste à côté, il y a une femme qui est morte aussi du toah comme ça, il y a trois ans. Vous allez voir en passant devant sa maison il y a un stuppa. (Parle tout doucement) : Cette femme est morte par le rapport sexuel. Et en plus elle avait touché de l’eau froide. Car si le soleil se couche et n’est pas encore levé, il faut bien se couvrir, tout le corps, il ne faut pas que le corps soit froid. C’est car elle a langue à corriger : voulez-vous dire « C’est parce qu’elle a ( ?) eu un rapport et en plus elle a touché l’eau froide, donc elle est morte ». (SF, 68 ans, VK). Tous les interlocuteurs insistent pour dire qu’il n’y a pas de traitement pour guérir du toah causé par un rapport sexuel trop précoce. La sage-femme interrogée va même jusqu’à dire qu’elle va laisser la femme mourir de son toah sans essayer de la soigner car cette mort est inéluctable. La peur suscitée par la mort est un moyen très efficace pour perpétuer la norme de l’interdit sexuel dans le postpartum.

Le traitement du toah sossay kchhey

17« Si on a de l’énergie, [les fourmillements apparaissent] quand on sera vieille. Si on n’est pas forte, on peut avoir les fourmillements tout de suite. Et ça dure toute la vie. Quand on est toah sossay kchhey, il faut prendre thnam khmer toah sossay kchhey. » (Femme agricultrice de 34 ans, VK). Les enquêtés cités précédemment évoquent différents thnam khmer (médicaments traditionnels) pour guérir de cet état dangereux. « Deux mois après l’accouchement, ma femme a porté des choses lourdes, elle est devenue toah. Elle a beaucoup maigri, dès qu’elle mange elle vomit. Elle a dû prendre des médicaments du kru khmaer9. Il faut du thnam khmer. Il faut couper l’écorce de l’arbre, mélanger avec du sel et du poivre et faire bouillir. Puis ma femme boit ça » (Homme, 65 ans, VK). Anne Yvonne Guillou décrit la visite du jardin d’un kru avec les différentes plantes médicinales et leur utilisation. Une d’elle est pour « la maladie de la nouvelle accouchée », d’autres pour « faciliter la cicatrisation de l’utérus après l’accouchement », d’autres encore dont les feuilles « sont utilisées en cosmétique pour retrouver une belle peau après l’accouchement » (Guillou 2009, 144-145).

Économie des fluides, conception de la maladie et symbolique de l’ouverture

18Selon une notion indienne, quatre éléments assurent l’équilibre du corps. Adhémard Leclère, dans une ethnographie de l’anatomie des Cambodgiens, écrit que ces quatre éléments sont le vent (air), le feu, la terre et l’eau. Marie-Alexandrine Martin (1983, 146) précise que pour d’autres, « on ne parle de terre qu’à propos de la chair sans vie des cadavres et les quatre éléments sont alors les suivants : eau, air, khdau « chaud » et trâcêak « froid » ; ces deux derniers ne sont qu’une décomposition du facteur température ou « feu ». Cela montre déjà bien l’importance de cette dichotomie chaud/froid puisque dans cette deuxième conception elle constitue à part entière le corps humain. Enfin, M.A. Martin ajoute que « l’air circule dans les conduits sâsay, les liquides dans des conduits et dans la chair ; l’air et les liquides peuvent se trouver dans les mêmes conduits mais pas forcément » (Martin 1983, 146). C’est précisément cet élément, l’air ou le vent, qui nous intéresse ici. « Le vent souffle dans le corps et dans tous les sens fait contracter le cœur dans lequel il pénètre » (Leclère 1894b, 395). Cette représentation du corps que l’on peut qualifier de « physiologique » au détriment de l’anatomie (Bonnard 2013, 28) repose sur un équilibre des fluides corporels dont découle la conception de la maladie que nous verrons ensuite. La représentation du corps par les Khmers, tout comme la médecine hippocratique, propose un système explicatif de la physiologie fondé sur une « économie générale des fluides corporels, dont l’un des aspects les plus connus est la théorie des humeurs » (Bonnard 2013, 28). Adhémard Leclère avait d’ailleurs déjà fait le lien avec Aristote puisqu’il écrit que « [l]es Cambodgiens ne paraissent pas avoir observé les veines ni même les avoir reconnues. Ils croient, comme Aristote d’ailleurs, que la chair est percée de conduits plus ou moins grands où courent les vents intérieurs et le sang ; ils n’ont pas vu l’enveloppe qui forme le conduit, ou bien, s’ils l’ont vues, ils la considèrent comme étant une partie intégrale des chairs qu’il traverse. Dans leur opinion, il n’y a pas de veines, il y a des conduits ouverts pour le sang et que le sang parcourt. Les conduits sont nombreux et plus ou moins grands ; il y en a d’invisibles qui sont répandus et qui portent le sang partout » (Leclère 1894b, 394).

19La maladie peut survenir à cause d’une force magique d’ordre, notamment causée par des esprits. Elle nait aussi d’un déséquilibre entre les éléments (Sargent et Marcucci 1983, 70 ; Héritier 2003, 14), notamment entre les liquides et l’air, ou bien du fait d’une prédominance du chaud sur le froid ou vice versa. La frontière entre ces deux causes de maladie est floue (Piat 1965, 2). Marie Alexandrine Martin explique que l’air est le facteur essentiel de la santé. Il détermine la bonne circulation du sang (Martin 1983, 146). Elle ajoute que les « maladies chaudes » sont traitées avec une prédominance de plantes « froides » dans la préparation. (…) et que des principes analogues sont appliqués à un individu qui a une sensation de froid en lui. On le « réchauffe » avant de le soigner (Martin 1983, 147). A. Leclère écrit lui que selon les Cambodgiens, les maladies sont provoquées par le refroidissement de la surface du corps, ce qui arrête la sueur, et empêche l’estomac de produire les humeurs indispensables. Cela donne la fièvre, les coliques, la diarrhée, la courbature (Leclère 1894a, 717). La période du postpartum où le corps des femmes est froid illustre parfaitement ces propos, avec les différentes pratiques que nous avons décrites et qui permettent de réchauffer ce corps : mise sur le feu, vapeurs, absorption de tisanes et d’aliments « chauds ». Marie Alexandrine Martin précise que « les vents » sont responsables de maladies, « on pourrait même dire “les mauvais vents” » (Martin 1983, 146). Dans la traduction que M. Piat donne d’un vieux « traité pour attraper le vent », il est écrit que « le vent est à l’origine des maladies. (…) S’il y a un dérèglement de tout le corps, le corps tout entier a froid ; mal à la tête ou vertige ; le vent sort par les deux oreilles [note en bas de page : bourdonnements], perte de conscience. C’est une des espèces de maladies de vent » (Piat 1965, 8). On retrouve dans cette description de la « maladie du vent » les bourdonnements d’oreilles et les céphalées si redondantes dans le discours des hommes et des femmes interrogés concernant la période du postpartum où les femmes ont les « conduits immatures ». A. Leclère décrit ces « maux de tête ou chhoû khbal. – Quand les douleurs ne sont pas très grandes et ne proviennent pas d’une autre maladie, de la fièvre, elles sont causées par un refroidissement partiel, par une obstruction bénigne des conduits de la tête où soufflent les vents intérieurs » (Leclère 1894a, 719). Les « bourdonnements » d’oreille relatés sur le terrain, peuvent donc être expliqués comme un « trop plein d’air » qui entrerait au moment du postpartum où les sossay sont largement ouverts. Puis ces bourdonnements traduiraient le bruit que fait le vent quand il s’en échappera plus tard alors que les sossay auront repris une taille normale (« Le bruit qui se produit quelquefois dans les oreilles leur parait produit par l’air qui s’en échappe » (Leclère 1894b, 398)). On retrouve ainsi dans la littérature de la fin du 19ème siècle exactement les mêmes symptômes et correspondances froid / vent / obstruction / conduits / céphalées / bourdonnements que dans les discours recueillis sur le terrain entre 2013 et 2015.

20Pour conclure sur cette partie, le port du bonnet a donc comme fonction d’empêcher ce vent, cause de maladie, d’entrer dans les oreilles. Il en ressort la proposition suivante : lorsque les sossay sont immatures, non seulement les fluides y circulent moins bien, mais ils se trouvent aussi dans un état d’ouverture bien plus important qu’en dehors de la période du postpartum. En effet, si une femme peut être « attrapée par le vent » tout au long de sa vie, même en dehors d’une grossesse ou d’un accouchement, on voit peu d’hommes ou de femmes « porter le bonnet » en dehors de cette période des sossay kchhey. Cela amène à penser que cette symbolique de l’ouverture qui touche l’accouchée ne se limiterait pas à une ouverture génitale, mais à une ouverture des sossay et du corps d’une façon plus générale. Ainsi dans cet article quand je traduis littéralement sossay kchhey par « conduits immatures », il est probablement plus juste d’entendre symboliquement « conduits immatures et dilatés ».

21Cette symbolique du corps, décrite dans la littérature il y a plus d’un siècle, se retrouve donc chez l’accouchée khmère dans le Cambodge contemporain. Nous essayerons de voir maintenant si cette représentation entre en conflit avec la biomédicalisation de l’accouchement aujourd’hui à Phnom Penh à travers un exemple, celui de l’injection.

Savoir populaire et biomédecine dans le postpartum

22Le système de représentation du corps au Cambodge incorpore de nombreux savoirs. La biomédecine, dont l’approche scientifique allie d’un point de vue épistémologique biologie et médecine (Guillou et Micollier 2010, 187), n’apparait pas comme remplaçant un savoir populaire. La biomédecine n’arrive pas en effaçant les savoirs populaires mais il semble plutôt y avoir une addition de différents types de savoirs qui seraient cumulatifs. Marc Augé mentionnait lui aussi ce « mode cumulatif » à propos de nosologies décrites dans des sociétés « accueillantes aux nouveaux remèdes (notamment à ceux des Blancs) » (Augé 1986, 87). Si cette superposition semble se faire sans conflit pour la majorité des femmes interrogées lors de ces trois terrains de recherche au Cambodge, elle n’est pas sans poser question à certaines d’entre elles qui peuvent sembler perdues face à leurs ainées qui leur recommandent certaines pratiques, et les biomédecins10 qui leur en recommandent d’autres. Une accouchée nous demande : « J’ai du souci sur l’alimentation en postpartum. Qu’est-ce que je peux manger, qu’est-ce que je peux faire, est ce que je peux toucher l’eau froide etc... Les personnes âgées m’ont dit qu’il ne faut pas prendre de bain avant un mois, pas de douche, même avec de l’eau chaude pendant un mois. Et je ne peux pas boire d’eau froide. Et aussi je me pose beaucoup de questions sur les injections en postpartum pour la peau. Car pour le premier [enfant], je n’ai pas fait injection et là le deuxième j’ai peur pour la peau. » (Femme, directeur d’entreprise, 35 ans, PP). Cette recherche m’a amenée à enquêter sur ces injections, mentionnées très fréquemment par les enquêtés, hommes, femmes, à Phnom Penh ou dans les villages.

La pratique de l’injection dans le postpartum

23Ces injections sont pratiquées à domicile, par des biomédecins (principalement par les sages-femmes de l’hôpital public pour les enquêtées à Phnom Penh ; par des infirmiers pour les enquêtées en Kandal), qui se rendent chez les accouchées. « Ce sont des vitamines que l’on injecte comme du Bepanthen®. Car les femmes pensent que si c’est [par] voie orale ce n’est pas efficace et que si c’est [par] injection c’est efficace. Les femmes cambodgiennes c’est comme ça. Je leur ai expliqué que par voie orale c’est pareil mais elles ne [me] croient pas. » (GO, 34 ans, PP). Les injections pratiquées dans le postpartum sont, selon le contexte et selon les enquêtés, du Bepanthen® (Vitamine B), de la Laroscorbine® (Vitamine C), de la Biotine® (Vitamine B), et/ou de la Bécosine® (Vitamine B). D’un point de vue biomédical, la vitamine B a un effet sur la peau, les ongles, les cheveux ; la vitamine C a un effet stimulant. Mais tous les enquêtés mentionnent dans les entretiens que ces « injections » remplacent « le feu » pour son effet sur la circulation du sang : « J’ai été sur le lit du feu pour les huit premiers enfants mais pour les deux derniers non. J’ai fait l’injection » (Femme, 57 ans, VK) ; « Non, [je ne suis pas allée sur le feu], je n’ai fait que l’injection. Je ne suis pas restée sur le feu car il fait déjà très chaud avec le climat. (…) L’injection, c’est pour la circulation du sang » (Femme, 43 ans, VK) ; « Je pense que non [les femmes ici ne vont plus sur le feu] car je n’en ai pas vu depuis 5 ou 6 ans et en plus les femmes ont de l’argent et elles peuvent faire l’injection. Car quand on fait l’injection, on n’a pas besoin d’aller sur le feu » (Cultivatrice, 34 ans, VK). Françoise Héritier définie le cadre invariant ou l’invariant comme « une mise en rapport entre deux ordres de faits, mise en rapport nécessaire pour l’esprit, mais les réponses qu’apporte à la question ainsi posée chaque groupe humain qui a souscrit à cette nécessité sont de nature variable » (Héritier 2003, 10). Dans cette recherche menée en maternité à Phnom Penh, le cadre invariant pourrait être le besoin de protéger le corps de l’accouchée ; ici, par le besoin de réchauffer ce corps et de faire circuler le sang. Les réponses à ce cadre invariant sont multiples et sont dans cet exemple la mise sur le feu, le port du bonnet ou la pratique de l’injection.

Le coût de la pratique

24La pratique de l’injection présente un coût élevé, à la fois par l’achat du produit et puisqu’il implique qu’un soignant vienne la pratiquer à domicile. « Mon corps est [à nouveau] chaud car j’ai fait l’injection pour les sossay. Chat thnam sossay11. C’est la sage-femme qui vient ici pour faire l’injection. Elle a fait quatre injections tous les jours et pendant vingt jours. Bépanthène et Beco, pour fortifier le sang et la peau, pour réchauffer (…) La sage-femme est venue pendant dix jours et pendant les dix jours après, j’achète le médicament à la pharmacie et je vais faire dans un petit cabinet ici. Quand la sage-femme vient, je paye 10$ tous les jours. Ça comprend quatre injections. Mais quand j’achète au marché Olympique et que je demande au médecin c’est 2$. Donc j’ai donné 100$ à la sage-femme » (Commerçante, 26 ans, PP). « [J’ai payé] 50$ en Province au total pour les injections. À Phnom Penh j’avais payé plus » (Commerçante, 30 ans, PP). La pratique de l’injection entraine un coût important pour les femmes et leur famille. Elle est pratiquée par des biomédecins. On peut se demander si ceux-ci adhèrent à ce système de croyance ou s’ils l’exploitent, motivés par sa dimension économique attrayante. Cette pratique dans le postpartum, connue et mentionnée par tous les enquêtés, quel que soit leur lieu d’habitation, leur accouchement avec une sage-femme traditionnelle ou en hôpital, nous amène à développer ce qu’Anne Guillou a appelé un « bricolage d’explications » (Guillou 2009, 168) concernant les représentations des maladies au Cambodge.

Un « bricolage d’explications » pour réchauffer le corps : une profonde cohérence interne dans le système

25« Le sentiment général que j’ai retiré de conversations informelles dans des familles ou avec des patientes attendant une consultation dans les hôpitaux, est que la richesse et la souplesse des représentations des maladies autorisent un « bricolage » d’explications puisant dans les différents registres » (Guillou 2009, 168). Les différents registres cités par l’auteur sont d’une part, une conception « autochtone », d’autre part, une conception venue avec l’influence culturelle indienne et la médecine ayurvédique, enfin, « la conception microbienne des maladies et de l’hygiène, venue de France à l’époque du Protectorat » (Guillou 2009, 169). L’auteur ajoute qu’il existe « une diversité des registres d’explication de la maladie et [une] souplesse de production du sens en fonction des circonstances et des personnes » (Guillou 2009, 168). Dans cette recherche sur le postpartum, on peut constater que le feu, pratique « traditionnelle », et l’« injection », pratique « biomédicale » ont le même objectif (faire circuler le sang ; réchauffer le corps) et que l’un peut remplacer l’autre, ce qui montre les passerelles possibles d’une conception à l’autre. C’est par la compréhension de ces « prémisses culturels » que la « logique des savoirs populaires » et la « rationalité des comportements des malades » (ici les parturientes), peut être mise en lumière (Massé 1995a, 10). Ainsi, ce « bricolage » qui ne traduit finalement qu’une profonde cohérence interne dans le système rappelle Marc Augé qui évoquait la « cohérence logique » des nosologies et qui écrivait que « les acquis de l’expérience s’insèrent dans la logique symbolique et que la logique symbolique ne contredit jamais l’expérience et même se fonde partiellement sur elle » (Augé 1986, 84). Ainsi, l’expérience-ici : la pratique biomédicale de l’injection - va venir s’insérer dans la logique symbolique - ici : le système de représentation des flux corporels -, et probablement parce que cette technique relève de l’injection d’une substance étrangère dans le corps, celle-ci va le réchauffer, lui apporter de la chaleur et ainsi contribuer à améliorer la circulation du sang, donc des fluides. Ainsi, cette « absence de rigueur logique n’est qu’apparente » et correspond à « l’idée des mouvements et des passages entre le corps et le monde à travers le jeu des fluides en raison des lois de correspondance de nature universelle » (Héritier 2003, 23).

26La photographie IV, prise dans la chambre d’une accouchée, illustre bien ce « pluralisme médical » avec une « hybridation des savoirs et des pratiques » (Guillou et Micollier 2010, 178). Il n’y a pas de dichotomie stricte mais bien une coexistence entre pratiques « traditionnelles » et pratiques plus « modernes ». Sur cette photographie on peut voir le bonnet, les boules de coton pour les oreilles et le couteau au-dessus de la tête du nouveau-né pour éloigner les esprits et notamment la mère originelle12, à côté du téléphone portable.

Photo IV : Lit d’une femme accouchée en suites de couches avec bonnet, boules de coton pour les oreilles, couteau pour éloigner les esprits, téléphone portable et nouveau-né

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© Clémence Schantz. Mars 2014

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27Cet article a souhaité décrire les pratiques administrant le corps accouché à Phnom Penh et dans la province de Kandal. Nous avons montré que la biomédecine vient aujourd’hui s’insérer dans ces représentations. Si elle questionne certaines accouchées, cette superposition de pratiques semble se faire le plus souvent sans conflit dans le Cambodge contemporain où existe une pluralité de croyances et de pratiques.

28Cet article a ainsi permis de décrire différentes prescriptions et interdits durant la période du postpartum, ainsi que la théorie des humeurs. Dans cette représentation et cette symbolique de l’ouverture, les orifices occupent une place très importante. À titre d’exemple, cet article a mentionné que les femmes qui ont accouché mettaient fréquemment du coton dans les oreilles pour empêcher l’air d’y entrer et nous avons proposé que les sossay seraient particulièrement ouverts durant cette période. Il est légitime de se demander ce qu’il en est de cet autre orifice du corps qu’est le vagin. Le vagin se dit de plusieurs façons en khmer, et l’appellation la plus fréquente est tvir mea. Tvir signifie la porte et mea l’or. La recherche doctorale a montré l’importance qu’il y a à ce que cette porte d’or puisse s’ouvrir lors de l’accouchement, mais aussi l’importance qu’il y a à ce qu’elle se referme, et les différentes pratiques biomédicales qui y concourent (Schantz et al. 2015 ; Schantz 2016). Françoise Héritier rappelle qu’après l’accouchement, la femme « voit » couler son sang hors du corps (Héritier 2012, 234) sans pouvoir le maitriser. Cette symbolique du corps de la femme qui est « ouvert » et froid, et qu’il ne faut pas seulement réchauffer dans le postpartum mais aussi « refermer », se retrouve d’ailleurs dans d’autres sociétés, parfois lointaines du Cambodge, comme cela a été décrit dans les Andes du Sud du Pérou, ainsi qu’au Brésil où des interventions sur le corps modifient le flux de ces fluides corporels, dans un contexte où « le corps est compris comme éminemment plastique » (Sanabria 2013, 103).

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Notes

1 Dans ce texte, les termes Cambodgiens et Khmers seront fréquemment utilisés de la même façon. Cambodgien se référant à la nationalité, Khmer se référant à l’ethnie très majoritaire qui compose 95% de la population du Cambodge.

2 Nous employons le terme de « Postpartum » pour désigner la période qui suit l’accouchement.

3 Par « humeurs corporelles » nous désignons les fluides corporels comme par exemple le sang, le sperme, le lait maternel, la bile, ou la lymphe, mais aussi le vent.

4 Ces trois villages sont Rusey Srok, Kbalkoh et Prek Thmey. Pour plus de simplicité dans le texte et afin de garantir un meilleur anonymat des enquêtés, ces villages ne seront pas distingués les uns des autres dans la suite dans cet article, mais ils seront réunis sous l’appellation « Village en Kandal » (VK).

5 Trois gynécologues obstétriciens, une sage-femme et une infirmière en 2013 ; Six gynécologues obstétriciens, cinq sages-femmes, un pédiatre et deux infirmiers en 2014.

6 Différents auteurs francophones faisant état des sossay au Cambodge ((Crochet, 2001) ; (Guillou, 2009)) écrivent sassay. Cependant, j’ai choisi dans cet article de l’écrire de la façon dont je l’ai entendu et comme cela m’a été aussi écrit par la traductrice khmère avec laquelle je travaillais.

7 Thnam en khmer signifie médicament ; le thnam khmer est un médicament traditionnel.

8 Cette catégorisation relève d’un choix personnel. Ce recensement n’est pas exhaustif et la littérature en mentionne d’autres. Voir par exemple S. Crochet qui en mentionne six sortes (Crochet 2001, 406).

9 Kru khmaer  peut être traduit en français par « « détendeurs d’un savoir (médical) khmer » ou les « détenteurs khmers d’un savoir (médical) » (Guillou 2009, 141), ou par médecin traditionnel.

10 Je réunis sous le terme de « biomédecins » les gynécologues obstétriciens et les sages-femmes de l’hôpital public, ainsi que les sages-femmes et les infirmiers dans les villages où a eu lieu la recherche.

11 Injection de médicament pour les sossay.

12 Pour plus de détails, voir (Ang 1995, 156)

Pour citer cet article

Clémence Schantz, « Superposition de savoirs et de pratiques sur le corps accouché dans le Cambodge urbain et contemporain », L'ethnographie, 1 | 2019, mis en ligne le 02 septembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=156

Clémence Schantz

Clémence Schantz est sociologue et ses recherches portent sur la biomédicalisation de l’accouchement. Elle a soutenu une thèse de sociodémographie en décembre 2016 qui s’intitulait « Construire le corps féminin à travers les pratiques obstétricales à Phnom Penh, Cambodge ». Cette thèse se situe à l’articulation entre corps, genre et biomédecine. Elle est aujourd’hui en postdoc à l’IRD sur le programme de recherche Cesaria qui cherche à identifier les déterminants sociodémographiques de la pratique de la césarienne dans différents pays (France, Cambodge, Viêt Nam, Mali et Bénin).