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Interroger les prises de vue photographiques à la marge du terrain géographique
Questioning photographic shots at the margins of the geographical terrain
Stéphanie Leroux
Septembre 2024
DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.1462
Résumés↑
Cet article propose de suivre l’auteur sur les marges du terrain du chercheur à Marrakech, à partir de trois clichés pris dans un cadre privé. L’analyse de ses productions personnelles permettent de décloisonner les vies professionnelles et privées et montre comment la vie informelle des missions de recherche continue de nourrir la réflexion du chercheur. La démarche à partir de photos et d’un film permet à l’auteur de fournir une réflexion sur la puissance évocatrice des clichés observés dans l’analyse critique de sa propre démarche sur le terrain et à sa marge.
This article proposes to follow the author on the margins of the researcher's field in Marrakech based on three photos taken in a private setting. The analysis of his personal productions makes it possible to break down the barriers between professional and private lives and shows how the informal life of research missions continues to nourish the researcher's reflection. The approach based on photos and a film allows the author to provide a reflection on the evocative power of the clichés observed in the critical analysis of his own approach in the field and on its margins.
Index↑
Mots-clés : Terrain, images, Marrakech, marge, mythe du géographe, « mémoire monde », polygamie
Keywords : field experience, image, Marrakesh, margin, myth of the geographer, world memory, polygamy
Plan↑
Texte intégral↑
À la marge du terrain de recherche
1Cette contribution propose une réflexion singulière à partir de trois clichés personnels, pris lors d’une mission de terrain à Marrakech en février 2023. Ces images n’étaient pas destinées au travail mais à la famille. Comment des documents imagés, pris à la marge de l’activité professionnelle, révèlent l’humanité du chercheur, illustrent la production de ses connaissances et la continuité de l’élaboration de sa pensée, ici de discipline géographique ? Le point de vue développé dans cet article énonce l’idée que sur le terrain éloigné, encore plus qu’au quotidien, les frontières entre vies professionnelle et privée se brouillent alors que le terrain devient un espace-temps particulièrement propice à la stimulation intellectuelle. Or, les marges de terrain ne font pas l’objet de recueils systématiques et méthodiques d’informations destinées ensuite à être analysés. Ces marges sont peu documentées et laissent ainsi peu de traces de ce qu’il s’y passe, comme si ces moments, au fond, avaient peu d’intérêts dans la vie du chercheur. Les quelques images qui en sont issues prennent alors une valeur nouvelle car elles forment de rares témoignages de cette vie à la marge et de sa capacité à nourrir la réflexion et les connaissances du chercheur. Issus d’une certaine forme de spontanéité non calculée, ces clichés témoignent ainsi de circonstances traversées par l’enquêteur « au repos » mais toujours au terrain. Plus encore, s’ils informent sur les messages envoyés aux membres de la vie privée, ces clichés, observés a posteriori, révèlent aussi au chercheur un certain nombre d’informations interrogeant ses postures intellectuelles, attisant ses réflexions et nourrissant ses connaissances. Il s’agira donc de déposer tout cela ici et de tenter d’en analyser la teneur. Cette contribution témoigne d’une démarche personnelle dans mon rapport singulier à l’image, et à la place qu’elle tient dans mes propres rapports au terrain et au métier. Les marges imagées du terrain seront accompagnées par les choix narratifs et figuratifs dans l’écriture de cet article. Il s’agira ainsi d’interroger la qualité de ces clichés personnels, en présentant les réflexions qu’ils suscitent à propos du mythe du géographe de terrain1 ; de l’idée de capter l’ambiance d’un lieu qui se révèlera représentatif d’une « mémoire monde »2 ; de mesurer ce que le terrain apporte dans la différence entre savoir et prendre conscience.
2Le choix des clichés est issu du terrain Marrakchi qui m’est très connu. J’y ai vécu durant sept ans dans les années 2000. Dans les années 2010, je n’y ai pas mis les pieds durant une période d’une huitaine d’années, avant d’y revenir dans le cadre d’une mission de quinze jours en 2023. Aussi, parmi les nombreux clichés pris durant mon séjour, les trois sélectionnés pour cet article se caractérisent par le fait qu’ils ont été pris dans l’optique d’être envoyés à ma fille. Il s’agissait d’abord de lui montrer un des aspects sympathiques du métier de géographe où le terrain éloigné se réfère aux mythes des aventuriers et de la belle vie. Il était aussi question de profiter de cette mission marrakchia pour lui faire découvrir un pays lointain à la culture différente de la sienne.
3Les clichés où apparaissaient des enfants ont été systématiquement retirés. De plus, comme ce texte est un témoignage, il engage plusieurs autres personnes et des éléments de leurs vie. Celles-ci après lecture de l’article ont donné leur accord pour qu’il soit publié tel qu’il est sous ces lignes. D’autres clichés, secondaires, viendront étayer mon propos.
Chercheur eudémoniste ?
4La première photo proposée ici est consacrée au club de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech où j’étais hébergée durant mon séjour. Dans un jardin d’environ trois hectares, sont dispersés plusieurs hébergements – en immeuble et en bungalows –, des terrains de tennis, de pétanque, mais surtout trois piscines de plein air à côté desquelles se trouvent deux salles polyvalentes et une cafétéria ouverte tous les jours. Une première photo [Fig. 1] a été prise le dimanche matin alors que j’étais arrivée la veille au soir.
[Fig. 1] Le club où je suis hébergée mis en scène par la photo, © Stéphanie Leroux, Février 2023
5J’attendais mon petit déjeuner avant que n’arrive Monia ‒ doctorante en cotutelle que je co-encadre ‒ avec qui nous devions entamer une série de séances de travail. Ce club reçoit quotidiennement des étudiants et des chercheurs venant y travailler. Ce cliché est typique d’une photo que je ne prendrai pas dans le cadre de mes recherches alors que ces dernières portent souvent sur le tourisme. La photo « professionnelle » aurait cherché un point de vue embrassant l’entièreté du lieu, ou du moins ce que les circonstances et le matériel photographique auraient permis. L’image aurait servi la démarche de maîtriser intellectuellement les lieux cherchant à comprendre comment s’y organise la vie, cela dans l’optique de produire ensuite, à partir de la photo et d’autres relevés de terrain, un plan ou une carte synthétisant l’ensemble du territoire étudié. La valeur photographique se serait voulue technique plus qu’esthétique et au service de la compréhension du fonctionnement global de l’espace étudié. Au contraire ici, son cadrage met en scène une composition éminemment exotique d’un aménagement lui-même exotique, reprenant l’ensemble des canons paysagers et standards de l’industrie touristique, organisé autour de la piscine bleu lagon et baigné dans un écrin de verdure où le palmier tient un rôle structurant.
6Or, dans l’imaginaire de nombreux géographes, et même si beaucoup ont aujourd’hui le leur au pied de leur bureau, le terrain est une ode au voyage, à l’exploration du monde, à l’aventure. C’est aussi pouvoir travailler dans un cadre privilégié, comme aux abords d’une piscine, dans ces illustres copies de palaces. Dans une société organisée à partir de la valeur travail et de ses souffrances laborieuses, c’est une forme de privilège qu’une part du monde universitaire affectionne. Cela se passe d’abord classiquement par la participation aux colloques mondialisés ou par les missions de terrain. Ces pratiques trouvent leur origine dans une appartenance ancestrale à une forme d’élite intellectuelle dont le statut est aujourd’hui durement obtenu par le mérite dont attestent les hauts diplômes, donnant le droit d’associer le plaisir au travail. Aux discontinuités cadencées et déprimantes entre vie professionnelle et vie privée, le mythe du chercheur préfère la continuité d’un style de vie hédonique où le dur labeur du travail est accompagné et supporté par la passion ponctuée d’aventures et de cadre de vie enviables. Tout un Art de vivre ! Avec le paysage exotique associant les mythiques piscines, palmiers et cyprès méditerranéens, c’est aussi le mobilier de teneur néo-artisanale-semi-industrielle représenté ici par la table en zellige. C’est encore la tasse de café, en faillance, dont la mousse annonce l’onctuosité de l’élixir torréfié, très loin du gobelet en plastique contenant un liquide lyophilisé, au goût incertain et rapidement bu debout devant un bloc‑machine au milieu d’un couloir à l’éclairage artificiel rendant les teints blafards. Impossible par cette photo d’identifier le lieu dans sa singularité. Elle aurait tout aussi bien pu être prise dans un des nombreux hébergements touristiques de la ville ou d’ailleurs. La photo elle-même est standard et met en scène un lieu standard. Elle se conforme donc à un imaginaire collectif, de culture dominante, diffusé à la télévision ou dans des magazines. L’œil de l’observateur remarquera toutefois l’absence de chaises longues autour de la piscine. C’est que ce club est professionnel et d’abord destiné à la population locale dans un pays où la pratique du solarium demeure controversée. Cela dit, l’auteur de la photo envoie ici un message destiné à attiser de l’attrait dans la volonté de partager une forme de satisfaction à être sur place : celle d’une complète intégration, d’élite, appartenant à sa sphère professionnelle, où l’effort au travail paye le droit de vivre en des lieux qualifiés d’idylliques – « Tu vois mon travail, il est vraiment sympa ! » – pourtant loin de la vie quotidienne.
7Car cette « jolie » photo en appelle une autre !
[Fig. 2] Au club, l’envers du décor, © Stéphanie Leroux, Février 2023
8Ce cliché-ci montre l’envers du décor, capté exactement une semaine plus tard. Mais ce jour-là se vit dans une ambiance et un esprit différent. La couleur orangeâtre de la photo résulte de la lumière offerte par l’unique ampoule de la pièce alors que la seule fenêtre verra son rideau demeurer fermé durant l’ensemble du séjour, la vue donnant sur une décharge. Tout au fond de la photo, apparaît un bout de mur décrépi, correspondant davantage à l’état défraichi de ce club. Ce jour-là dehors, a lieu un événement exceptionnel à Marrakech : une tempête méditerranéenne avec ses bourrasques de vents violents et sa pluie battante incessante. Elle aura duré toute la journée. Impossible de sortir sans se retrouver rapidement détrempé. De cela, je suis restée la journée entière enfermée dans ma chambre. Les températures ont chuté alors qu’il n’y a pas de chauffage central. Telle que vous ne me voyez pas de l’autre côté de l’objectif, j’ai revêtu tout ce que ma valise contenait de plus chaud, jusqu’au blouson d’hiver, au bonnet et aux chaussettes en laine que je n’avais pas oublié de prendre, sachant combien le Maroc en hiver est un pays froid au soleil chaud. Du reste, je n’avais pas de quoi m’ennuyer car je devais préparer une intervention pour une conférence le lendemain, puis un entretien pour le jour suivant. L’écran de l’ordinateur affiche le power-point que j’étais alors en train de préparer. De plus, cette photo représente bien l’esprit qui m’animait ce jour-là : un moral dans les chaussettes. En effet, je manquais à l’enfant (et réciproquement) comme il avait parfaitement su me l’exprimer le midi lors d’une « visio familiale ». Les intempéries et le cadre austère de la chambre ont largement participé à cet état ponctuel. Aussi, il s’agissait de montrer à l’enfant que j’étais d’abord au Maroc pour le travail. Au-delà des journées occupées en des réunions, des visites, des observations de terrain, des entretiens, des moments d’attentes mais aussi de découverte et de rencontres – non photographiés – là se vit aussi la grande différence entre un séjour de travail et un séjour touristique en famille.
9Ces deux photos montrent ainsi l’ambivalence du chercheur au terrain dans la satisfaction presqu’orgueilleuse à vouloir véhiculer l’image de conditions de travail particulièrement agréables et la réalité moins prometteuse du terrain, cela dans une société du travail où le tripalium, cet instrument de torture, demeure une référence morale. Il reste que le premier cliché émane aussi d’un esprit hédoniste. Il reflète un esprit revendiquant inconsciemment le droit de travailler dans des conditions plaisantes dont dépend la qualité du travail fourni dans ce que ces conditions donnent comme énergie au cœur à l’ouvrage. Dans cette philosophie-là, le travail est vu comme un effort émancipateur permettant d’accéder à des bonheurs personnels et partagés autant que son aboutissement peut fournir une satisfaction quand il donne du sens à la vie. C’est aussi ces messages-là qui sont véhiculés par l’envoi de ces photos entre quête eudémoniste et ascèse intellectuelle qui n’aspire pas au repos. L’ambivalence se joue aussi à travers le constat a posteriori que dans la volonté de véhiculer une image positive du métier, la mère valorise ici un paysage que la chercheuse critique autour notamment des questions de l’enfermement et de la surconsommation de l’eau en terre aride provoqué par la multiplication locale de ce type d’équipement.
10Cependant, le mythe du terrain c’est aussi et d’abord celui de la confrontation à l’altérité autochtone ou encore la manière d’aborder les territoires à travers la capacité de l’enquêteur à en tirer une substance intelligible. L’approche géographique appelle à une première phase descriptive des lieux. Mais qu’en est-il lorsque celui-ci est filmé ?
Jemaa el Fna. Filmer l’ambiance, observer la mondialisation
11Le film proposé ici, de neuf minutes et quarante secondes, résulte de la volonté de faire profiter de mon voyage à l’enfant resté en France. Depuis que j’étais arrivée sur place, je désirais trouver du temps pour capturer l’ambiance de la place Jemaa el Fna et le lui envoyer. Après dix ans d’absence, je voulais aussi observer les évolutions d’un lieu dont la vulnérabilité lui a valu l’inscription en patrimoine culturel immatériel à l’UNESCO en 2008. Je souhaitais notamment capturer les sons de ce lieu mythique, ceux qui à partir de la fin de journée s’accentuent comme une sorte de cœur battant lié à la présence des percussions. Elles s’entendent de manière plus ou moins étouffée ou vivace selon où l’on se trouve. Il s’agissait de capter cette ambiance unique en commençant en un lieu éloigné des halqas3 musicales pour s’en approcher puis s’en éloigner à nouveau. En préparant cet article, le réflexe du géographe et son insatiable volonté de maîtriser intellectuellement l’espace m’a amené à produire un plan pour donner des repères didactiques au lecteur : situer la trajectoire de la vidéo et fournir quelques informations pour mieux comprendre la vie des lieux.
[Fig. 3] Jemaa el Fna, plan de situation, © Stéphanie Leroux, Février 2023
12À la lecture de la vidéo [fig. 4.] je me suis rendu compte qu’elle contenait, aujourd’hui plus qu’hier, un certain nombre d’éléments illustrant parfaitement le concept de « mémoire monde » développé par mon collègue Olivier Lazzarotti4.
14Jemaa el Fna n’est bordée par aucun bâtiment de qualité esthétique. Son intérêt réside sur la vie qui s’y déroule d’où sa grande vulnérabilité par son appartenance à une culture ancestrale en voie de disparition depuis la « modernisation » du monde. Certaines de ses activités comme le commerce – occupant une partie de la surface où la ceinturant aux abords des souks – tendent plutôt à bien s’accommoder aux règles sociétales contemporaines. Il se spécifie aussi par le fait qu’il englobe encore le sens premier du terme : celui des échanges de nouvelles et des discussions teintées de jovialité. Il est aussi encore celui des marchandages tant redoutés des touristes, et de sa maitrise des cours des prix. Parce qu’elle accueillait déjà hier les étrangers dans une région de nomadisme, la place offrait quantité de services : barbiers ; dentistes ; herboristeries et conseils médicaux ; couvertures, tapis, poteries ; écrivains publics ; conteurs pour nourrir l’esprit ; etc. Les touristes nationaux et internationaux ont remplacé les nomades, voyageurs et autres saltimbanques qui venaient hier encore y faire escales. Aussi le tourisme aide au maintien de certains commerces artisanaux ou devenus semi-industrielles, ces goodies culturels adaptés aux nouveaux rituels mondialisés des cadeaux-souvenirs. Rappelons néanmoins que la haute valeur touristique des lieux réside dans leur capacité à continuer de servir les autochtones. Cette coprésence constante et concentrée amène à hybrider les lieux, associant ainsi des éléments à la fois ancestraux et localisés, et une présence au monde quotidiennement renouvelée. Jemaa el fna est une place qui ne cesse d’être photographiée, du matin au soir jusque tard la nuit, sept jours sur sept. Les photos peuvent aujourd’hui être instantanément envoyées de toute part dans le monde via les réseaux sociaux. Mais attention, Jemaa el Fna ne se photographie pas n’importe comment : il s’agit de composer avec sa singularité. Elle est le cœur d’une ville touristique, vitrine internationale de tout un pays, ville du luxe mais aussi ville la plus pauvre du pays, avec son lot de mendicité et de harcèlement social amenant les autorités locales à développer dans les années 1990 une brigade touristique destinée à préserver la tranquillité des visiteurs. Voici un paradoxe bien difficile à gérer pour les autorités car ce sont ces figures populaires, nombreuses à Marrakech, qui font d’abord le spectacle, la vie, l’ambiance que les touristes viennent vivre sur place, et dont la place Jemaa el Fna en est l’un des hauts lieux symboliques. Dans ce contexte, une photo prise par un étranger voit la possibilité pour un autochtone de grapiller quelques dirhams comme un enjeu vital.
[Fig.5] S’immerger dans la place et échapper à la mendicité, ici en fuyant du regard les Gnaoua des acteurs du « folklore » local, © Stéphanie Leroux, Février 2023
15Ce harcèlement social notamment autour de la prise photographique pousse nombre de touristes à préférer les photographies paysagères, prises à partir de points de vue éloignés, alors que les objectifs des appareils photos permettent de prendre des clichés zoomés, trompant ainsi l’éloignement. Les terrasses de cafés situées autour de la place Jemaa el fna forment autant de points de vue permettant de photographier la vie qui s’y déroule sans pour autant subir les harcèlements.
[Fig. 6] La terrasse du Café-CTM (du nom de la 1re compagnie de Bus créée en 1919) offre un panorama embrassant l’ensemble de la place Jemaa el Fna, © Stéphanie Leroux, Décembre 2007
16En son cœur – dans cette mer de pauvreté, et à défaut de la réduire – la place n’échappe pas aux opérations « cache-misère » qui colmatent et repeignent les murs de la médina touristique façon « show-room », au profit de son commerce, dans ses desseins lucratifs. Dans ce contexte, la « poule aux œufs d’or » concerne les commerces de bouche. Depuis plus de vingt ans, les vendeurs de jus d’orange se sont uniformisés pour se rapprocher en 2023 de la figure – Chemises blanches et tabliers noirs – de celle du serveur du bistrot parisien. Il y a dix ans déjà, leurs étales furent toutes customisées en forme de calèches alors que les vraies – celles des attelages de chevaux et les charrettes tirées par les ânes – sont interdites depuis les environs de 2005 quand le revêtement de la place a été refait. Aussi, les verres de jus d’orange ont été remplacés par des gobelets en plastiques avec leurs couvercles et leur paille. Le Covid est passé par là. Cela facilite la vie des commerçants ainsi déchargés de faire la vaisselle là où n’existe ni eau courante ni évacuation. Mais de la sorte, les consommateurs ne sont plus tenus au stand et partent boire leur jus en déambulant sur la place et en jetant les gobelets usagés là où ils le peuvent. De ce fait, les vendeurs de jus d’orange se font moins ambassadeurs culturels. De nouvelles habitudes s’installent. Au début du XXIe siècle, la prolifération des métiers de bouche au détriment des autres activités ont poussé les autorités à la réglementation. Aujourd’hui, tout cela fonctionne à partir d’autorisations sélectives favorisant ceux disposant de capitaux économiques, culturels (connaître les règles bureaucratiques) et sociaux (connaître les personnes qui feront passer le dossier au-dessus de la pile) – à partir du modèle français installé depuis la colonisation. Avec les soukiés, ces commerces-là sont ceux qui arrivent à mieux capter les intérêts financiers des lieux car leur place est relativement assurée d’autant que les visiteurs ont besoin de manger et que les restaurants alentours ne sont pas si nombreux. Deux vendeurs de musique amplifiée [voir entre les minutes 6 et 7 de la vidéo] ont remplacé deux stands de jus d’orange, juste à côté des halqas historiques (!). Fort de leur puissance électrique, ceux-là se font presque face et se concurrencent. Là, définitivement, plus moyen de discuter. Il ne reste qu’à passer son chemin. De l’autre côté de la place, les parents pauvres du commerce sont les étales situées à même le sol [début de la vidéo] devant le café de France. Leur densification s’observe depuis dix ans alors que les corps féminins y sont plus présents. Les objets vendus concernent la vannerie, des bonnets en crochet venus de la campagne ou encore des produits cosmétiques semi-industriels. Ici la dureté concurrentielle fait pauvreté à vendre un artisanat à teneur plus locale alors qu’il attise, plus que le reste, la curiosité touristique. Tel est le paradoxe du succès d’une altérité non comprise par les visiteurs et sur lesquels ne s’attardent par les musées et autres dispositifs destinés à valoriser la culture locale.
17Et puis, il y a les autres continuant à venir par culture, par habitude, parce que c’est leur vie, par plaisir aussi. Chez ceux-là, la pauvreté contemporaine dépend autant de la cherté de la vie pour les autochtones, que de l’effondrement de nombreux pans culturels locaux : associer les pratiques de loisirs à l’entraide, une vie collective remplacée par ce fameux individualisme instruisant autant le matérialisme que le repli sur soi. De cela, la survie des activités menées sur place dépend aussi beaucoup de la proximité qui s’offre à voir et à entendre auprès des visiteurs étrangers. En effet, le problème avec le tourisme international, c’est la langue autochtone ! Les conteurs ne racontent pas encore en français, en anglais ou en chinois alors que leur art, pourtant d’une richesse universelle et infinie, est si peu reconnu en Occident. Avec eux, les charmeurs de serpent, les vendeurs d’eau, les liseuses de bonne aventure, les acrobates, les Gnaouas, etc. sont bel et bien en train de disparaître. Ces acteurs pour qui la place est le lieu de travail de la famille depuis des générations ne veulent pour rien au monde cela pour leurs enfants et ne poussent plus à la passation bien conscients par ailleurs que ce sont des pans entiers de leur culture qui s’évanouiront avec leur disparition. Ajoutons à cela côté visiteurs, la peur des vols, de l’altérité culturelle incomprise et sociale avec ces misérables harceleurs acharnés à mendier le sou, peurs entretenues entre autres par l’industrie touristique. Avec tous ces obstacles, le chaland-spectateur se fait plus rare et de moindre qualité. L’inscription à l’UNESCO ne protège pas les êtres humains qui font vivre le patrimoine. L’enjeu est ailleurs. Alors même que je filmais la place, se préparait en face de celle-ci l’inauguration de son musée5 dans les anciens locaux de la Bank al Maghrib6 née durant la période coloniale. Tout un symbole ! La mémoire des lieux se construit ainsi et sera figée par les œuvres plastiques des artistes inspirés par cette place mythique ‒ à commencer par LE chef de fil, un Français : Jacques Majorelle ! Le public devra ainsi payer pour visiter cette place-là tandis que la vraie continuera sa vie, soumise au dur régime de la mondialisation. Cette dernière n’est pas qu’augmentation, accélération, intensification des mobilités, des flux et des réseaux. Elle est aussi culturelle et urbaine, celle des gens du Bourg venus d’Europe s’imposant au Monde depuis les périodes coloniales. La place subit un sort similaire à celui de la ville qui l’enrobe : les médinas sont louées pour l’art de vivre qui y règne, mais ce sont les modèles urbains venus d’Occident qui continuent d’être construits au Maroc, cela malgré leur inadaptabilité au milieu naturel local et la dégradation des conditions de vie qui les accompagnent. Ici comme ailleurs, les cultures locales sont rejetées aux calendes de l’histoire. Elles s’adaptent à cette culture dominante. L’acculturation fait son œuvre.
18Enfin, l’avancée de la mondialisation c’est aussi la visibilité ‒ là à Jemaa el Fna et si peu ailleurs ‒ des nouvelles migrations du XXIe siècle. Au début de notre vidéo, des Noirs-Africains ‒ absents en 2010 ‒ vendent des lunettes et des montres comme ils le font dans de nombreux hauts-lieux touristiques en France et ailleurs. Ce Maroc-là aussi, hier traversé, aujourd’hui pays d’immigration, se lit dans ce concentré de ville où l’étrangers n’est plus seulement le touriste tant attendu, mais aussi celui à l’autre bout de la chaine socio-culturelle qui tente de survivre dans une société qui sélectionne et marginalise selon de nombreux critères de rejets dont la couleur de peau. Ce sont aussi les tuk-tuk [absents de la vidéo] électriques et venus d’Asie de manière plus formelle par une association mettant les gens en situation de handicap au travail.
19Ruptures spatio-temporelles, hyper sociabilités, économie de rente, nous sommes bien devant cette « mémoire monde » conceptualisée par Olivier Lazzarotti7. La lecture du film permet ainsi de capter ce concentré où le « traditionnel » côtoie le « moderne », où la spécificité locale participe aux enjeux politiques mondiaux, où l’intensité des sociabilités se vit dans une quotidienneté à la fois routinière et extraordinaire, où l’économie de rente explose opportunément surtout dans le reste de la ville par ses innombrables opérations immobilières offrant paradoxalement pour nombre d’entre-elles, des mondes fermés, clôturés, gardiennés : les fameuses gated-communities. Ici, plus qu’ailleurs, inexorablement, la place cède à une nouvelle ère. Mais l’évolution n’est-elle pas le propre de la vie ? Reste à savoir vers quoi.
20À l’autre spectre de la culture locale, je voudrais présenter ici la photo [figure 7] d’une dame qui m’a été présentée. Apprenant ma venue, Latifa – la maman de Monia – a insisté à plusieurs reprises pour m’inviter à venir manger chez elle. Cette rencontre, initialement anodine, ne le sera pas.
Latifa. Savoir et prendre conscience
21La confrontation au monde permet d’aller au-delà du savoir abstrait appris dans les manuels et leur langage froid et distant. Partir sur le terrain amène à embrasser le monde dans sa rugosité vivante, à l’éprouver, à observer ce que cela fait au corps et aux émotions, même lorsque l’on n’est pas directement concerné. Car le géographe sait que l’être humain est un être spatial dont le bonheur et le malheur dépendent en partie de la qualité des relations qu’il tisse avec son environnement direct et indirect. Partir à la rencontre du monde fait ainsi aussi ardemment parti de la culture du géographe venant rejoindre le mythe du chercheur sur le terrain. Le travail scientifique devra ensuite le digérer, l’objectiver par l’analyse, le confronter aux savoirs déjà existants et aux autres expériences de terrains. Aussi en engageant nos corps jusqu’à nos sens et nos affects, les savoirs abstraits peuvent se transformer en prises de consciences bien concrètes. Car ce savoir concret, cette prise de conscience, ne se cantonne pas qu’aux manifestations cérébrales. Il se manifeste par cette forme d’assurance qui circule dans tout ce que le corps peut donner de conviction lorsque la connaissance se manifeste, la compréhension du monde s’énonce et s’exprime. Et c’est ce qui s’est produit lorsque j’ai rencontré Latifa et qu’elle m’a raconté – au fil de nos rencontres, de ses accueils chaleureux, de nos repas partagés et qu’elle mettait un point d’honneur à préparer avec affection – des bribes de son histoire. Saisie par ce que cette femme vivait – « mais cela existe encore !?!, mais comment !?! » – je me mis à en discuter plus franchement avec sa fille, sentant que son ouverture d’esprit et sa franchise me permettait d’aborder le sujet. Je n’étais pas au Maroc pour cela, il n’était pas question de mener de grande enquête avec ses protocoles, ses dispositifs, ses financements, toutes ces choses que la recherche formelle affectionne. Mais je voulais comprendre : comment vit-on la polygamie ?
22En Occident, la polygamie est une vielle chimère8 projetée sur les sociétés arabo-musulmanes, à l’image des manifestations littéraires et artistiques du XIXe et du début du XXe siècle, réduisant de vastes régions du monde en un orientalisme homogénéisé. À cette époque, un des thèmes privilégiés en peinture étaient les nus féminins, souvent crédités d’excellence artistique. Ces nus étaient souvent mis en scène dans les harems et les bains maures avec leurs esclaves et odalisques – ces femmes de chambres, concubines et autres courtisanes qui vivaient au service des sultans dans les sérails turcs – dans des postures lascives et érotiques, apprêtées aux fantasmes sexuels masculin au service d’un « esprit du sérail » arabo-musulman9 et européen. Ce thème rencontra un succès tel qu’il fut largement représenté par une diversité d’artistes qui, pour nombre d’entre eux, n’ont jamais mis les pieds dans ces contrées. Aujourd’hui, les Odalisques sont nombreuses à être présentées dans les plus grands musées de France et du monde occidental10. Pour autant, durant mes sept années passées au Maroc, je ne me suis jamais retrouvée confrontée à la polygamie. Absente de ma vie sur place, elle était effectivement réduite à cette dimension fantasmée et archaïque, d’autant plus lointaine que la polygamie exige des moyens financiers et que nous sommes dans une société à la population très appauvrie. En ce début du XXIe siècle, je voyais davantage à Marrakech se développer une prostitution particulièrement visible dans les lieux festifs nocturnes, qui sortaient massivement des sous-sols et de manière assumée et provoquante, cela en lien avec le récent succès touristique et international de la ville. Une frange importante de la population participait allègrement à ce phénomène, entre prostitution et libération consumériste des mœurs. Curieusement et dans une contradiction assez sinistre, nombre de jeunes femmes s’émancipaient des carcans familiaux et de quartier par la prostitution en ces lieux « modernes » où règne l’anonymat. L’ampleur du phénomène tout comme le harcèlement masculin dans la rue – que je pouvais aussi subir en tant que jeune Européenne vivant seule sur place – ou encore des histoires de femmes battues dans l’indifférence de familles socialement défavorisées étaient les manifestations que j’observais sur les questions de genre. À l’opposé de tout cela, deux femmes – Rachida Boussetta, Présidente de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech et Ouidad Tebba, Doyenne de la faculté des lettres durant les années 2000 – formaient des figures d’autorité et de « modernité » occidentalisées qui éloignaient encore de mon esprit l’existence de cette pratique. La réforme de la Moudawana11 en 2004 – qui dans la contradiction continue néanmoins de la reconnaître tout en prescrivant la « fidélité mutuelle » entre les époux – avançait sur un certain nombre de points dans la reconnaissance de plusieurs droits aux femmes, notamment dans le cadre du mariage. Tout cela venait assoir ce sentiment d’un phénomène rare et en voie de disparition, quelque chose d’autant plus lointain que cela ne concernait pas mes recherches sur place. Il en était ainsi jusqu’à ce que Monia arrive dans ma vie, que nos relations professionnelles dépassent certaines limites vers des relations d’amitiés favorisées par les pratiques de géographes à forte teneur humaine : aller sur le terrain ensemble, faire visiter la région, se retrouver ainsi à manger ensemble en dehors du lieu de travail universitaire, à visiter des collègues habitants sur nos terrains, nous rencontrer dans des cafés lillois pour travailler, en faire autant chez l’une, chez l’autre, d’autant plus que les portiques de l’université demandaient une démarche administrative pour que Monia y entre, facilitant nos réunions à l’extérieur. Bref, nos relations sont teintées d’humanité et vont bien au-delà de la dimension professionnelle. C’est une liberté qu’offre encore ce métier.
23Monia m’avait brièvement parlé de sa mère avant que je ne la rencontre. Je savais qu’elle s’occupait de ses enfants pendant qu’elle venait habiter sur son terrain français. Un jour, en pleine pandémie covid, j’apprenais que son père se retrouvait bloqué à New-York alors qu’il était parti rendre visite à sa fille. À cette occasion, nous avions eu un échange de ce type :
Moi : Tu as une sœur qui habite à New-York ?
Oui, enfin non c’est ma demi-sœur, mon père a eu des enfants avec sa deuxième femme »
Ah vos parents sont divorcés ?
Non, tu sais au Maroc, les hommes peuvent avoir plusieurs femmes.
24Les choses avaient été lâchées comme cela, au détour d’une conversation qui reprit son cours sur un tout autre sujet, comme si de rien n’était. Mais j’étais interpellée. La polygamie existait donc bel et bien encore au Maroc, pas dans les sphères oligarchiques du pays et pas uniquement dans ces contrées lointaines de la péninsule arabique. Elle n’était plus une simple vue de l’esprit, elle venait s’incarner à travers des figures bien concrètes à partir de Monia, puis plus tard de Latifa, sa maman.
[Fig. 7] Latifa. © Stéphanie Leroux, Février 2023
25Au Maroc, lorsqu’elle m’a invitée chez elle, l’une des premières choses que j’ai vu de Latifa et qui m’a impressionnée était ses beaux grands yeux verts, maquillés de khôl, propre à ces femmes matures du Maroc, leur donnant une forme d’élégance champêtre et surannée, presque mystérieuse, de ces femmes de la campagne que l’on voit s’afférant à travers champs ou bien que j’ai à maintes reprises vue en ville entrer et ressortir d’une pièce, comme des fantômes, alors que je discutais avec l’homme de la maison en bénéficiant du statut d’invitée de marque offert par ma nationalité et mon statut de chercheuse. Et puis je trouvais un certain charme à son large sourire qu’elle n’arbore pas sur la photo, trop occupée à se prêter au jeu de la représentation alors que – ce jour-là – elle m’avait fait l’honneur de m’accueillir en kaftan. J’étais saisie par la beauté de cette femme, la noblesse de son profil et de ses mouvements, alors qu’elle allait et venait, joyeuse, venant s’assoir sur la banquette à mes côtés, repartant dans la cuisine et réapparaître avec des petits plats, des boissons, donnant des ordres à ses petits enfants ou à leur mère pour aider à apporter tout ce qui pouvait me donner du confort. Femme au foyer, et au regard de ces figures-là rencontrées jusque-là à Marrakech – et dont la maitrise de la langue française demeurait souvent arbitraire –, je ne m’attendais pas, en la voyant, à entendre cette femme parler parfaitement ma langue. Cela signifiait que j’avais devant moi une femme cultivée par les études et/ou par l’expérience de la vie. Au fur et à mesure de la discussion, je mesurais toute la palette lexicographique qui animait cette femme heureuse de se rappeler en ma présence sa vie passée en France. Elle me raconta quelques souvenirs de sa vie à Marc-en-Barœul12, l’ambiance de ses rues, l’insouciance animant le groupe qu’elle formait avec ses amies. Et puis le quart de seconde suivant était lâché un « et nous voilà ici ! », le regard assombri et fuyant autant que le corps disparaissait dans la cuisine. Puis, elle réapparaissait repeinte de son sourire pour me questionner sur les recherches menées par sa fille ou parler de ses petits-enfants.
26Les différentes visites chez Latifa me firent remarquer l’absence du mari. Elle demeurait là, comme abandonnée à son sort de femme au foyer, comme c’est encore le cas pour près de 80%13 des femmes au Maroc. Son horizon est réduit à la maison, les journées sont rythmées par les entrées et sorties à l’école des petits-enfants dont elle s’occupe, la préparation des repas, le ménage, les feuilletons scrupuleusement suivis à la télé depuis des années comme autant d’évasions sacrées. Suite à ma première rencontre, je devais en savoir plus, comprendre. Quel avait bien pu être la vie de cette femme à la fille, Monia, si dynamique, franche et sincère, et qui après des années de mariage et de vie de business international avec son mari, avait décidé, seule, de reprendre ses études pour passer son doctorat ? Admirable ! J’ai alors un jour engagé la discussion avec Monia. C’est ainsi que j’en su un peu plus sur la vie de sa mère. Née en 1959 à la campagne à une cinquantaine de kilomètres au nord de Marrakech, Latifa est issue d’une famille de notables locaux, benjamine d’une fratrie de quatre sœurs et un frère, issus d’un second mariage polygame lui aussi, le premier ayant donné naissance à neuf demi-frères, plus ainés donc. À 19 ans, alors qu’elle travaillait déjà depuis trois ans comme secrétaire du président du tribunal de la commune voisine, la jeune femme se mariait avec un membre éloigné de la famille par alliance qui, lui, avait 25 ans et vivait déjà en France depuis quatre ans. Après le bac, il est parti faire ses études à Lille, profitant de la présence sur place d’une de ses sœurs. Il y soutiendra un doctorat de mathématiques avant de repartir vivre au Maroc en 1988. En attendant, le mariage officialisé, Latifa l’y rejoins en 1978. Elle commença à travailler au consulat du Maroc jusqu’en 1980 pour ensuite donner des cours d’arabe dans un centre social. La naissance de leur première enfant en 1982 mis fin à la carrière de la jeune mère qui eut une seconde fille, Monia, en 1984. Pourquoi a-t-elle arrêté de travailler pour s’occuper de ses filles dans un pays où il était alors plutôt facile de trouver des solutions de garde, relativement accessibles financièrement ? Était-ce pour des raisons culturelles ? Une fois le doctorat en poche, le mari de Latifa repartit au Maroc, comme son père l’entendait, pour entamer une carrière en tant que Directeur de l’Office de la Formation Professionnelle et de Promotion du Travail (OFPPT). Son épouse le rejoignit un an plus tard avec les trois enfants, le petit dernier, un fils, étant âgé de 6 mois. Une petite benjamine naîtra trois ans plus tard. Au Maroc, le retour s’est poursuivi par dix années heureuses d’une vie de famille où Latifa, ne connaissant pas grand monde dans sa nouvelle vie marocaine en ville, élevait ses enfants à la maison. Les années s’écoulèrent ainsi, dans une forme d’harmonie à la marocaine, où le père passe beaucoup de temps à l’extérieur. Les absences de plus en plus fréquentes et tardives la nuit, vont commencer à dégrader l’harmonie familiale qui verra poindre des disputes proportionnelles aux absences d’un père, qui au tournant du XXIe siècle rentrait de ses diners d’affaire à l’aube.
27C’est au début des années 2000 que Latifa apprit par hasard le mariage de son mari avec une seconde épouse. Le hasard était issu d’un membre de la belle-famille ayant aperçu les jeunes époux à plusieurs reprises au restaurant ! Le mari nia dans un premier temps, puis assura de divorcer de sa seconde femme quand la première voulut rompre le mariage. Cela ne l’empêcha pas de concevoir cinq enfants (dont deux fois deux jumelles) entre 2001 et 2006 et de continuer à vivre sa vie, avec des absences de plus en plus fréquentes une fois la nouvelle épouse officiellement établie dans la famille. Comme cela se vit fréquemment, les enfants de Latifa tirèrent parti des conflits entre parents. Les deux filles ainées devenues adolescentes, mirent à profit l’absence du père pour sortir à leur guise alors que – le second mariage se passant mal – celui-ci soignait sa culpabilité en offrant des cadeaux aux enfants de sa première union. Le fils – solidarité masculine propre à « l’esprit du sérail »14 (?) – a d’abord sympathisé avec sa belle-mère avant de se rétracter. Tout cela n’aida pas Latifa qui s’est totalement retrouvée isolée, sa belle-famille ayant accepté la seconde épouse. Monia insiste sur les humeurs colériques régulières de sa mère. Les enfants subissaient avec incompréhension ces épisodes récurrents et désagréables. Ils rejetaient ces excès d’humeur et les rendaient responsables de l’absence du patriarche et de sa polygamie, lui, par ailleurs si généreux en cadeaux. C’est seulement une fois devenue adulte et connaissant des difficultés dans son propre mariage que Monia me dit un jour avoir tardivement pris conscience de la souffrance de sa mère.
28Cette souffrance maternelle n’est pas uniquement celle liée à l’abandon d’une épouse par son mari aimé. C’est aussi celle d’une femme réduite à la maternité, avec tout ce que les grossesses successives font aux corps dans une société qui emprisonne les femmes dans des canons servant les fantasmes érotico-masculins15. C’est la souffrance d’une femme enfermée dans une cage dorée et ainsi se retrouvant isolée du monde extérieur et de sa vitalité, le confort matériel légitimant l’emprisonnement. C’est la souffrance d’une trahison multiple par la tromperie avec une autre, cachée mais en même temps aux sus et aux vues de tous et qui fait humiliation. C’est la souffrance de voir sa belle-famille – qui devient LA famille que la femme épouse aussi au Maroc – détourner son regard vers les charmes de la voleuse qui ne lui laisse aucune chance avec sa fraiche jeunesse et ses charmes bien maîtrisés. Cette négligence familiale constitue ainsi une humiliation supplémentaire. C’est l’abandon des bons moments partagés avec son mari qu’il continuait, lui, de partager, mais avec l’autre. C’est l’abandon des enfants qui ne comprennent pas cette mère emprisonnée chez elle et si désagréable avec ses colères et ruminations, cela en comparaison de l’attrait d’un père, figure d’autorité, dont l’absence symbolise la liberté, les cadeaux et la générosité. C’est la douleur de toute cette cumulation qui ne se tarie pas au fils des années et que tout le monde lui renvoie en faute et culpabilisation. L’isolement est total. Au milieu de la famille, la solitude subie est la seule compagnie. Ce sont les regrets de cette femme qui me raconte combien sa vie française fut de belles années, passée à avoir une vie sociale avec des collègues de travail ou des voisines devenues amies, se recevant, sortant ensemble, menant un métier intéressant, enrichissant, où elle était quelqu’un : Latifa. D’ailleurs, Monia me confia sa surprise à chaque fois que j’appelais sa mère par son prénom. Elle me confia ne jamais avoir entendu jusque-là sa mère être appelée autrement que par cette fonction-là : « maman ». C’est au détour d’une phrase que cette femme vieillissante me fait part d’un espoir secret mais sans grande illusion : celui de retourner finir sa vie là-bas, dans ce pays où elle a vu naître ses trois premiers enfants et où elle avait vécu. Son souhait ? Vivre avec ses petits-enfants là-bas. Je comprends que le doctorat de Monia est nourri d’autres espoirs cachés, celle d’une grand-mère rêvant de France pour les petits enfants qu’elle élève, et qu’elle verrait évoluer au milieu de ces briques rouges, de l’ambiance joyeuse des rues de ses jeunes années à elle, insouciantes. Monia en a pleinement conscience et me confie un jour : « Mais la France de ma mère n'existe plus ! Quelles déceptions l’accueilleront là-bas ? Mais si c’est ce qu’elle veut et si j’y arrive, je le ferai ! ».
29Voici comment je me suis retrouvée à prendre pleinement conscience d’un phénomène de société, de ses enjeux, des injustices et souffrances qu’il génère, me faisant devenir plus sensible et attentive sur le sujet. En rencontrant Latifa, la polygamie est venue s’incarner en chair et en os, en émotions, en sentiments, par la vitalité d’une histoire singulière. Ainsi cet épisode singulier a permis de prendre pleinement conscience du caractère injuste du phénomène et la manière dont il pouvait être vécu. Sans pour autant perdre la vitalité de cet exemple singulier, interroger le mari et d’autres couples concernés permettrait de compléter le tableau et de mesurer de manière encore plus complète les enjeux humains de la polygamie au XXIe siècle au Maroc.
30Voilà comment à la marge d’un terrain se constitue les prémices d’une recherche à venir possible, comment se nourrit la connaissance d’une culture, de la qualité de ses rapports genrés ‒ entre ce que le système juridique énonce, et ce qu’en font les habitants ‒ à travers la mesure des souffrances et des interrogations qu’elles peuvent susciter autour du sens de la vie. Voici comment cet épisode à la marge du terrain permet de comprendre un peu plus encore, le contexte culturel marocain nourrissant l’ensemble de mes recherches sur le Maroc, les enjeux interculturels, le tourisme, etc.
31Il reste que pour moi, l’histoire de Latifa et les moments partagés avec elle donnent à sa photo une valeur dépassant le simple souvenir d’une femme m’ayant invitée chez elle. Elle évoque en effet cette figure humble de souffrance, le sourire timide de la bouche et fatigué des yeux énonce ce hurlement silencieux résonnant au son d’un mot – polygamie – et de deux décennies, déjà, enfermées sous ce régime. Mais la photo rappelle aussi l’intensité des souvenirs partagés, les bons repas pris dans une ambiance familiale et l’effervescence des enfants, le tout baigné dans une ambiance méditerranéenne animée par les chants des oiseaux venant du jardin et les fenêtres entrouvertes. Elle évoque pour moi le relâchement permise par une personne à la simple générosité, accueillie à l’étranger loin de ma propre famille. Elle évoque ces temps suspendus entre deux rendez-vous, master-class, réunion, échanges intellectuels, visites et autres salutations officielles et inauthentiques, ce concentré de travail dans un laps de temps réduit sur le terrain. Elle évoque un monde loin des pratiques professionnelles dominantes mais où le travail intellectuel, celui de la découverte et compréhension du monde fait sens. Mais qu’en est-il du lecteur ? Sans connaître l’histoire de cette femme, que peut lui évoquer cette photo ? Comment la lecture de cette histoire modifie le regard porté sur la photo ?
L’image comme un révélateur ?
32En définitive, les trois images commentées ici, alors même qu’elles ont été captées lors de moments de repos sur le terrain du chercheur, énoncent leur rôle révélateur, en ce sens que captées en des circonstances bien particulières, elles disent beaucoup plus que ce que voulait en faire l’auteur. La photo du club prend le chercheur sur le fait de ses ambivalences, où la critique sociétale ne fait pas l’économie d’habiter cette société-là et de la valoriser aussi. La photo de Latifa énonce le décalage entre son caractère tout à fait anodin et l’élan qui me pousse à la présenter comme un prétexte à raconter son histoire, à donner à celle-ci une incarnation humaine et peut-être ainsi à appeler à regarder le phénomène non pas uniquement à partir de discours arides, froids et détachés que sait produire le monde scientifique, mais avec la force d’une écriture se voulant plus narrative comme pour faire un duo avec l’image voulant toucher la part émotionnelle du lecteur, cette humanité qui nous habite. Plus que l’écriture qui les commentent, ces deux images, parce que statiques, figent des moments de lieu en éternité. Elles viennent incarner l’histoire racontée par l’écriture et lui donne une profondeur évocatrice puissante.
33Encore plus puissant est le rôle joué par le film de la place Jemaa el Fna. En effet, au contraire de l’image figée, la vidéo donne du mouvement qui fait vie et ajoute du son avec sa qualité qui enrobe. Ce ne sont plus un mais deux sens qui sont ainsi convoqués alors que le mouvement donne de la vitalité à ce qui est filmé. Il y a à ce titre une part d’instantanéité que le film vient capter plus que la photo ne viendrait davantage composer. Le tout donne à la personne qui la découvre une dimension éminemment vivante et très démonstrative, une forme de véracité du lieu. En même temps, le spectateur se retrouve bombardé par une multitude d’images qui se succèdent dans leur fluidité alors que le commentaire analytique qui l’accompagne a nécessité d’effectuer quelques arrêts sur image. Du reste, si le choix du film pour cet article et le commentaire voulaient faire un point sur la place de Jemaa el Fna en 2023 par rapport aux souvenirs de ce même lieu dix ans plus tôt, c’est bien l’observation attentive du film qui a amené au constat que la place Jemaa el Fna incarne un exemple représentatif du concept scientifique développé par le géographe Olivier Lazzaortti. Le défilement d’images permet de rendre compte de l’intensité du lieu, par les multiples activités qui s’y déploient, par le monde qui s’y accumule, par la concentration des ambiances à la fois changeantes et constantes, mondiales et locales.
34D’autre part, rappelons que la démarche de ce film s’est faite consciemment dans l’espoir de faire découvrir et rêver un enfant resté en France et dont la maman est partie dans ce pays lointain que l’on appelle le Maroc. Mais avec le recul, n’était-ce pas aussi, inconsciemment, l’enseignant-chercheur qui venait capter cette mémoire monde dans une optique éducative, certes auprès de l’enfant chéri mais aussi pour ses étudiants, à l’image des nombreuses photographies de paysages, de scènes, de détails, que photographiait jadis ma mère, enseignante, pour ses cours lorsque nous étions en vacances ? Les destinations étaient alors conditionnées à la nourriture pédagogique des lieux alors que venir prendre des photos pour SES élèves devenait un prétexte à se rendre sur place. Au-delà de ce qu’il présente et que l’on peut y observer, ce film de Jemaa el fna fonctionne aussi comme un révélateur de la dissipation des frontières entre cette mère voulant partager son voyage avec son enfant (vie privée) et l’enseignant-chercheur qui utilisera ce film pour cet article et dans ses cours (vie professionnelle) ? N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’incarnent ces trois images ? En effet, celles-ci matérialisent pleinement les marges du terrain, elles ont été prises pour d’autres raisons que celles de la venue du chercheur. Leur analyse rend pourtant compte d’une forme de continuité entre le travail du chercheur et sa vie informelle jusqu’à sa vie privée qui – même au terrain éloigné – continue non seulement de se manifester mais aussi de solliciter le travail de recherche. Ainsi ces images montrent que la vie informelle du chercheur – tout ce qui se passe en dehors des canons officiels de la recherche – nourrit pleinement ses réflexions et enrichissent ses connaissances. En incarnant ces moments ainsi rendus visibles, ces images redonnent à la vie informelle sa pleine place et sa légitimité dans la vie du chercheur.
Bibliographie↑
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Notes↑
1 OLIVESI Stéphane, « Le terrain : une mythologie scientifique ? », Questions de communication, 7/2005, p.161-184. DOI : https://doi.org/10.4000/
2 LAZZAROTTI Olivier, Des lieux pour mémoires. Monument, patrimoine et mémoires-Monde, Paris, Armand Colin, « Le temps des idées », 2012, 214 p.
3 Les halqas sont des cercles formés par les spectateurs autour des conteurs, des artistes, acrobates et autres « charlatans » de la place.
4 Olivier Lazzarotti, Des lieux pour mémoires. Monument, patrimoine et mémoires-Monde, op. cit.
5 Le musée du Patrimoine immatériel à Marrakech a ouvert ses portes le vendredi 24 février 2023, cinq jours après ma venue pour filmer la place. Fondée le 30 juin 1959, la Bank Al Maghreb se substitue à la Banque d’État du Maroc créée dans le contexte colonial du début du XXe siècle.
6 FEIERTAG Olivier, « L’organisation de Bank al-Maghrib de 1959 à nos jours : l’émergence de la banque centrale au Maroc », dans Histoire, économie et société, 2016/4 (35ème année), p.36-52, URL : https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2016-4-page-36.htm
7 Olivier Lazzarotti, Des lieux pour mémoires. Monument, patrimoine et mémoires-Monde, op. cit.
8 MERNISSI Fatima (trad. Marie-France Girod), Le harem et l’Occident, Paris, Albin Michel, 2001, 240 p.
9 CHEBEL Malek, L’imaginaire arabo-msulman, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », [1993] 2013, 392 p., DOI : https://doi.org/10.3917/puf.chebe.2002.01
10 C’est le cas par exemple des Odalisques d’Auguste Ingres exposées avec de nombreuses autres au Louvre (et ailleurs) comme La Grande Odalisque – 1814, et dont les épreuves en grisaille sont exposées au MET à New-York, non loin de celle de Picasso (1968) et des épreuves photographiques de Horst P. Horst reprenant le thème avec son Odalisque 1 et d’autres artistes moins connus – ; La Grande Baigneuse (1808), La petite baigneuse (1828), Le Bain turc (1859-1862)). A Paris toujours, le musée d’Orsay offre entre autres à voir l’Odalisque (date inconnue) d’Edouard Manet alors que le musée de l’Orangeraie propose l’Odalisque à la culotte rouge (1921) et l’Odalisque bleue autrement appelée L’esclave blanche (1922) de Henri Matisse. Le musée de Cambridge présente L’Odalisque à l’esclave (1842) de Ingres. Au National Gallery de Washington, les visiteurs peuvent découvrir l’Odalisque (1870) de Pierre Auguste Renoir, alors que l’Art Institut of Chicago propose celle de Jules Joseph Lefebvre. A Londres, le musée des Beaux-Arts présente une sculpture Odalisque (1841) alors que le Victoria and Albert Museum présente une aquarelle de Thomas Allon : L’Odalisque favorite (1839). On peut découvrir au musée de l’Ermitage de Saint Petersburg l’Odalisque (1875 environ) de Ferdinand Roybet et au musée de Munich l’Odalisque blonde (ou La jeune fille au repos, 1752) de François Boucher. La liste est encore longue comme celle des cartes postales de l’époque coloniale qui proposaient des femmes dénudées aux postures offertes. Pour de plus amples informations concernant l’Orientalisme des peintres, voir THORNTON Lynne et PELTRE Christine, et L’orientalisme érotique, voir MERNISSI Fatima. Pour une vision plus globale sur l’Orientalisme comme récit de L’Occident, voir SAÏD Edward W.
11 La Moudawana est le code statuant sur la famille marocaine. Créé en 1958 sous le règne de Mohammed V, il a été réformé par son petit-fils, Mohammed VI, en 2004 instruisant une certaine amélioration des droits des femmes.
12 Marc-en-Barœul est une ville de la Métropole Européenne de Lille (MEL).
13 HCP ‒ Haut-Commissariat au Plan Royaume du Maroc, Note d’information relative aux principales caractéristiques de la population active occupée en 2022, 2022, 9 p., URL : https://www.hcp.ma/Note-d-information-relative-aux-principales-caracteristiques-de-la-population-active-occupee-en-2022_a3667.html
14 CHEBEL Malek, L’imaginaire arabo-msulman, op. cit.
15 MERNISSI Fatima (trad. Marie-France Girod), Le harem et l’Occident, op. cit.
Pour citer cet article↑
Stéphanie Leroux, « Interroger les prises de vue photographiques à la marge du terrain géographique », L'ethnographie, 9 | 2024, mis en ligne le 25 septembre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=1462Stéphanie Leroux
Maître de Conférences en Géographie, Stéphanie Leroux mène ses recherches sur les enjeux interculturels contemporains. Travaillant sur le tourisme international et les Français au Maroc, aussi sur la question de l’eau au Maroc, mais aussi sur les contre-cultures, elle interroge le concept de l’habiter, ce qui lui permet d’embrasser pleinement l’idée que l’humain est un être spatial et d’aborder ainsi la complexité des interactions matérielles et idéelles reliant l’humain à l’espace : les territorialités. Parmi, ses récentes contributions, nous pouvons citer le chapitre d’ouvrage intitulé « Manières d’habiter le monde. Un Amour rêvé (A. Gillet, 2018) », Halima Mecherie et Michel Feugain (dir.), De la sémiotique filmique à l’herméneutique du sens. Lecture polyphonique de « Un amour rêvé » de Arthur Gillet, Paris, L’Harmattan, 2021, p.63-73 ; l’article intitulé « L’esprit de la nature sauvage au cœur de la contre-culture initiée par la Beat Generation : enquête sur ses fondements » dans L’esprit de la nature, n°3 T.77, Mélanges de science religieuse, ed. de l’Université Catholique de Lille, 2020, p.25-48 et le chapitre d’ouvrage « Les hammams : l’intime au cœur d’une culture ancestrale », Julio Guillén (dir.) Le littoral de l’intime. Regards croisés, Coll. PsychLogiques, L’Harmattan, 2024, p.149-184.