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Bali à travers des images plurielles en danse
Dancing Bali in Visual Plurality
Biliana Vassileva
Septembre 2024
DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.1450
Résumés↑
Cette étude s’intéresse aux champs chorégraphiques de Bali (Indonésie), et au potentiel de la méthodologie d’anthropologie visuelle. Le focus est la figure de l’animal, abordée par la photographie et par la vidéo. Cette figure représente un volet essentiel du projet de recherche création, développée par l’autrice et présentée par une série de créations in situ. La tradition chorégraphique y est transformée et sa subversion devient le signe de sa vitalité et de sa viabilité future.
This study will approach the choreographic field of Bali, Indonesia using the potential of visual anthropology. The main focus is the animal as a dancing figure. It is analyzed by the use of photography and video as part of a research creation project. Thus, the study supports the idea of both preservation and subversion of the local choreographic tradition, as vitality and future viability.
Index↑
Mots-clés : danse, animal, Bali, art chorégraphique, recherche création
Keywords : dance, animal, Bali, choreography, research creation
Plan↑
Texte intégral↑
1L’Asie du Sud-Est et sa place stratégique lui ont attribué le statut (depuis longtemps) d’un lieu privilégié de croisements perpétuels de flux culturels mondiaux. Sur la scène artistique internationale, elle est identifiée comme « fière » détentrice de traditions artistiques – parfois à l’abri de la mode internationale, et parfois en l’intégrant pleinement dans ses processus de création et de visibilité. L’Asie du Sud-Est s’affirme désormais comme une puissance culturelle, refaçonnant les anciennes traditions et adoptant de nouvelles formes. Des transferts chorégraphiques se font rapidement à l’échelle globale et locale.
2Cette étude va aborder certains changements culturels dans le champ chorégraphique local de Bali (Indonésie) par le biais de la méthodologie de l’anthropologie visuelle : notamment l’usage de la photographie et de la vidéo dans la recherche en esthétique, en études culturelles et en recherche création. La préservation et la subversion de la tradition chorégraphique locale sont les signes de sa vitalité et de sa viabilité future.
3Un nouveau paradigme est en train d’émerger dans lequel le théâtre et la performance d’Asie du Sud-Est ne sont pas traités comme « l’Autre » exotique de l’Occident. L’Asie du Sud-Est est devenue un site des passerelles actives entre la tradition et la modernité. Le focus ici est sur la ré-énaction du patrimoine chorégraphique de l’île de Bali, en Indonésie, et l’invention de nouvelles formes d’expression en danse, alignées avec les théories et les pratiques d’art contemporain occidental.
L’anthropologie visuelle : une méthodologie en constante évolution
4Les méthodes employées dans cette étude sont celles de l’anthropologie visuelle et de l’observation participative, complétées par des pratiques d’incorporation et de recherche création. Dans un premier temps, je vais proposer un cadre théorique sur l’usage de ces méthodes in situ. Par la suite, cette mise en contexte sera illustrée avec l’analyse approfondie d’un volet du projet de recherche création Drifting/à la dérive. C’est une série de solos autour de la figure du luwak, animal tropical qui habite dans des plantations de café, et qui se trouve souvent en captivité.
5L’anthropologie visuelle dans le cadre du terrain immersif à Bali aborde un des sujets particulièrement intéressants, celui de l’animal. La culture hindouiste le représente et l’anime de mille et une manières : du dieu bienfaisant Ganesh aux spectacles de cérémonie ou de divertissement, où les singes, le cerf d’or et les abeilles prennent la place centrale.
Les fondateurs
6L’idée d’imaginer et de vivre Bali comme une culture distincte et originale vient des anthropologues Bateson et Mead (1942)1. Leurs travaux, suite à l’expérience d’un terrain immersif à Bali, développent des moyens visuels – des photos et des films – pour étudier les comportements culturellement modelés – autrement dit, ils travaillent avec le concept d’une culture « incarnée »2 qui reste un sujet d’actualité dans des travaux plus récents. Selon la chercheuse Sally Ann Ness, l’utilisation de la technologie cinématographique et photographique a justifié l’orientation « non verbale » de Mead et Bateson3. Cette nouvelle orientation les conduit vers l’aboutissement de deux documents fondateurs de l’anthropologie visuelle.
7Le premier document est leur livre Balinese character, a photographic analysis4, publié en 1942. Les auteurs ont obtenu leur matériau de recherche à Bali en 1936-1938, puis lors d’une période de six semaines en 1939. Dans une introduction de quarante-huit pages, Mead résume des considérations importantes du caractère balinais pour orienter le lecteur dans les 100 planches, contenant 759 photographies sélectionnées parmi 28 000 alambics. Les photographies ont été prises par Bateson tandis que Mead a pris des notes verbales sur le comportement photographié. Chaque planche est accompagnée de légendes explicatives détaillées.5
8Les figures des animaux représentées par des gestes, des postures, des esprits et des dangers expriment des émotions théâtralisées, comme l’apparition d’un tigre magique sous le lit, ou le sacrifice des poulets dans des cérémonies de purification.
9Dans le cadre de cette étude, je propose quelques extraits de mes récits de terrain pour donner des exemples de la présence symbolique et réelle de la figure de l’animal sur la scène chorégraphique et dans la vie quotidienne des balinais·e·s. Ceci permet aussi de mieux contextualiser le déroulement de cette recherche et de donner un aperçu réflexif et sensoriel des sources d’inspiration du projet de recherche création, depuis sa genèse en 2012.
Récit de terrain
C’est l’été 2022. Je suis en séjour immersif chorégraphique à Bali, Indonésie. Par hasard j’assiste à une cérémonie de funérailles. Avec surprise je découvre que le maître de cérémonie, un shaman prêtre a égorgé un poulet. Fascinée par cette scène macabre, je sors ma caméra pour en capter une image. L’homme qui porte le poulet mort accélère ses pas et disparaît dans la foule. Je comprends qu’il (et probablement tous présents) préfère rester discret dans la tension entre les exigences strictes de conduite d’un rituel et le danger d’une grande amende par les associations locales de droits des animaux. Je comprends le dilemme, sans jugement, et je range ma caméra sans trace de ces silhouettes.
10D’une manière paradoxale, ce récit d’absence de documentation visuelle souligne à la fois l’importance d’en produire – dans la mesure du possible et dans le respect de ce qui est défini comme en termes d’éthique, protection légale des droits d’image – et la valeur que possède la captation cinématographique de moments significatifs dans la vie locale, comme les travaux décrits ici.
11Le deuxième document de Bateson et Mead, est Trance and Dance in Bali, un court métrage documentaire tourné lors de leurs recherches sur Bali dans les années 1930. C’est une représentation cinématographique de la danse kris, une danse cérémonielle balinaise qui dramatise la lutte sans fin entre la sorcière et le dragon – la mort et la protection de la vie – telle qu’elle est donnée dans le village de Pagoetan en 1937-1939. Les danseur·e·s entrent dans de violentes crises de transe et tournent leurs krisses (poignards) contre leurs seins sans se blesser. La conscience est restaurée grâce à l’encens et à l’eau bénite. La musique balinaise forme une toile de fond pour la narration de Margaret Mead. À ce jour, le dragon est omniprésent sur la scène sacrée et profane à Bali. Sous le nom de Barong, il prend la forme d’une combinaison de lion, tigre, vache et dragon. Son visage est un masque spectaculaire, inspiré des sculptures balinaises traditionnelles. Malgré ses aspects pittoresques, le dragon crée une atmosphère mystique. C’est un dieu et un animal hybride, chargé de signification spirituelle.
12Le film est sorti en 1951 et suscite des réactions divergentes, voire des polémiques. L’anthropologue Hildred Geertz qualifie le film de « pionnier », écrivant que Bateson et Mead sont plus que des précurseurs : leurs films « restent à certains égards des réalisations exemplaires parce qu’ils utilisent le film non pas comme illustration ethnographique, mais comme un outil puissant dans la recherche culturelle systématique. »6
13Ce point de vue est considéré comme eurocentré par certain·e·s chercheur·e·s comme l’anthropologue indonésienne américaine Fatimah Tobing Rony qui considère que : « La photogénique Trance and Dance in Bali est représentative d’une sorte d’aveuglement impérialiste anthropologique, ironique étant donné que ces scientifiques croyaient [en] et promouvaient l’idée de leur propre vision supérieure »7.
14Je vais, pour ma part, aborder plus loin dans l’étude proposée la résolution potentielle apportée par la recherche création dans le champ de l’anthropologie visuelle, en réponse à ce type de polémique.
L’évolution contemporaine de la figure de l’animal dans la performance balinaise
15Cette méthodologie, lorsqu’elle est adaptée à la réalité de la performance balinaise, commence à produire une quantité toujours croissante de données visuelles sous la forme de photos, vidéos… La vie artistique à Bali, et plus spécifiquement à Ubud, est toujours très foisonnante. Plusieurs scènes de la ville proposent des spectacles chaque soir. Les cérémonies fréquentes impliquent aussi des programmations de danse.
16Par ailleurs, nous pouvons émettre une hypothèse de détournement des outils de l’anthropologie visuelle par les habitants de l’île eux-mêmes. La présence sur l’île spirituelle des médias sociaux comme Facebook, Instagram…, modifie les pratiques quotidiennes des arts variés – de l’offrande matinale au spectacle de danse nocturne : « l’accès à Internet de plus en plus rapide et le développement constant des gadgets pour téléphones portables ne font que resserrer les associations entre les médias électroniques et les valeurs internationales ; ces technologies et d’autres qui se développent rapidement représentent une chaîne de forces mondiales qui relient facilement les utilisateurs locaux entre eux et les consommateurs du monde entier8 ».
17Pour les habitants et les artistes de l’île, l’usage de la photographie et de la vidéo est devenu aussi un processus réflexif qui leur permet d’« utiliser des forces et des influences externes à l’avantage de la communauté locale (…) plutôt que de mettre en place des défenses pour empêcher les influences culturelles externes9 ».
18Nous pouvons ajouter que, par ailleurs, les pratiques hindoues-bouddhistes de l’île sont particulièrement propices aux démarches hybrides et créatives de la recherche en esthétique et en études culturelles. Elles sont imbriquées avec de multiples imaginaires spirituels et sensuels du potentiel de la figure de l’animal, comme le spectacle Birds in Paradise, ou Cendrawasih. Cendrawasih est le mot indonésien pour « oiseau de paradis ». Depuis longtemps, la figure de l’oiseau de paradis est considérée comme un oiseau céleste qui est un symbole du voyage de l’amour éternel à Bali.
19La danse Cendrawasih est créée par le chorégraphe I Gede Manik à Bali en 1956. Les dernières adaptations sont arrangées par N.L.N. Swasti Wijaya Bandem en 1988. C’est une chorégraphie élégante, exécutée souvent par deux filles. L’une des particularités du costume de danse Cenderawasih est la coiffe utilisée par les danseur·e·s (pour les interprètes femmes et hommes, le costume et la coiffe sont identiques). Cette coiffe est dorée avec un haut ouvert et un devant incurvé à l’arrière, comme la tête d’un oiseau. L’aspect festif de cette danse, et les costumes flamboyants qui imitent les couleurs et le plumage des oiseaux tropicaux en font un sujet de médiatisation particulièrement prisé sur les réseaux sociaux culturels balinais.
La figure de l’animal par l’anthropologie visuelle, la recherche création et l’analyse du mouvement
20L’anthropologie visuelle dans une démarche de recherche création permet à de construire ou re-construire une représentation de Bali dans une approche phénoménologique par le travail de sensations et d’impressions subjectives. Documenter ou recréer des processus de transmission et d’interprétation des pratiques de danse à Ubud, centre privilégié pour les danseur·euse·s, ne peut pas ignorer la dimension cosmopolite de la ville10. La série de choix opérés par une première agentivité (« agency »)11 de la perception ou par le montage final mène inévitablement une invention du lieu.
21L’analyse des photographies et des vidéos prises sur place et dans « le feu » de l’action recherche et création, que je propose, interroge des conceptions et des représentations des pratiques locales de danse – à la fois telles qu’elles sont préconçues et telles qu’elles sont effectivement rencontrées au cours d’un séjour d’imprégnation et d’approfondissement.
22L’apport et le potentiel de l’anthropologie visuelle, comme la photographie et la vidéo, sont valorisés par plusieurs chercheur·es comme Susan Buck-Morss : « Dans l’élargissement, l’espace s’étire ; dans le ralenti, le mouvement se développe, révélant une formation structurelle entièrement nouvelle de la matière… le monde qui s’ouvre à la caméra fournit des connaissances pertinentes pour y agir (1989 : 268)12 ».
23Ce témoignage explique le lien étroit de l’usage que je fais, pour ma part, entre la matière visuelle accumulée et l’usage de l’analyse du mouvement en danse, AFCMD par ma pratique de danseuse/chercheuse. La définition donnée pour cette méthode par la communauté de ses praticien·e·s et théoricien·e·s est proposée dans la rubrique « Qui sommes-nous ? » du site collectif :
24Élaborée dans un objectif éducatif et artistique, l’Analyse Fonctionnelle du Corps dans le Mouvement Dansé (AFCMD), interrogent l’intention du geste et l’organisation posturale de la personne, dans un contexte d’action défini, en instaurant un dialogue ouvert avec l’imaginaire du mouvement. Dans la lignée des techniques somatiques, l’AFCMD s’en distingue d’une part par l’usage de données théoriques et pratiques d’observation, mais aussi en valorisant une réorganisation de l’expérience kinesthésique. Elle croise l’expérience sensible avec les connaissances objectives qui régissent le mouvement. L’AFCMD prend en compte la dimension fonctionnelle et expressive du corps « sujet » pour aller vers l’autonomie d’une organisation optimum du mouvement.13
Mon terrain immersif de danse à Bali, Indonésie, depuis 2012 à ce jour
25Au cours de mes huit séjours en Ubud, Bali, Indonésie depuis 2012 j’ai pu travailler avec trois professeures de danse d’ancrage local. Les trois sont des danseuses pédagogues puisque dans ce cadre spécifique socioculturel les deux activités professionnelles sont indissociables. Par ailleurs, la renommée de danseuse et/ou de pédagogue peut attirer des élèves et/ou d’audience de spectacle.
26L’un des objectifs de mes terrains d’immersion est l’apprentissage de répertoire local dans une logique de progression vers des variations plus difficiles – par ailleurs, celles qui décrivent d’une façon chorégraphique la gestuelle d’animaux en font partie. Ainsi j’ai pu m’initier aux chorégraphies de Welcome Dance`Padang, Puspanjali, Legong, Tari Terek;et au sujet des animaux, incarnés en danse – Oleg Tamulilingan (Bumblebee Dance), Birds in Paradise, les rôles de Sita et du cerf de Ramayana/Kesak Dance.
27Les propositions pédagogiques de l’île sont orientées vers une transmission décidément contemporaine. Elles sont adaptées au profil de la personne qui souhaite apprendre ce répertoire, à ses besoins et ses spécificités.
Récit de terrain :
À la fin de mon premier cours de danse balinaise, ma professeure Debix se tourne vers moi et suggère : « Tu es danseuse ? Nous avons un programme plus détaillé d’apprentissage des variations, mais qui va durer plusieurs jours ». J’accepte l’offre pédagogique volontiers et c’est le début d’une belle aventure. Les danses qui incarnent des esprits animaliers s’avèrent particulièrement raffinées, et me sont offertes plus tardivement.
28Les changements constants dans les paysages sociaux, culturels et politiques de Bali ont un impact sur le statut des arts du spectacle traditionnels, et sur l’invention de nouvelles stratégies de la préservation et de la transmission des arts balinais. La chercheuse Bethany J. Collier examine comment les enseignants à Bali d’aujourd’hui modifient les modèles pédagogiques traditionnels lorsqu’ils travaillent avec de nouveaux interprètes dans le contexte de la mondialisation du changement14. Elle explore certaines des implications de ces adaptations basées sur la technologie, les motivations idéologiques des enseignants et soutiens que la formation des adolescents à la pratique de ce genre difficile est une tactique efficace pour renforcer leur sentiment d’identité balinaise.
29Dans le cadre de mon étude, les récits de terrain et d’expérience, et surtout l’usage des outils de l’anthropologie visuelle – par la démonstration en photos et en vidéos, est centré sur l’analyse du mouvement du style balinais et sur son expérience somatique. Pour illustrer cette approche, je vais comparer les témoignages de Sally Ann Ness15 et les miennes. La chercheuse décrit son expérience d’apprentissage de la danse balinaise :
30La danse balinaise, à cet égard, peut être vécue (bien qu’il s’agisse plutôt d’une expérience de novice ou d’observateur) comme la gestion hiérarchique systématique des relations : elle consiste en « pousser ce (segment du bras) vers le haut », toute en « appuyant sur ce (segment du poignet vers le bas », tout en « soulevant ce (zone des épaules) vers le haut », tout en « fléchissant cette (zone du genou) », tout en « pliant cette (zone de la cheville) », tout en « écartant cette (zone des doigts) », tandis que « en inclinant cela (la zone de la tête) », tout en « tenant cela (la zone de la poitrine) », et ainsi de suite. Cette danse du « whiling » permet une intensification des énergies envoyées simultanément dans différentes zones de l’interprète et nécessite une réévaluation continue des efforts eux-mêmes les uns par rapport aux autres. 16
31Elle souligne la subjectivité et la non-universalité de cette manière de vivre l’apprentissage et l’interprétation de la gestuelle codifiée de danse balinaise. En effet cette description est conçue dans une approche phénoménologique.
32Mon regard académique sur la gestuelle spécifique en danse balinaise est conditionné par les outils d’analyse fonctionnelle du corps en mouvement dansé (AFCMD) qui animent une grande partie de ma formation et mes recherches. J’ajouterai aussi mon expérience empirique de la danseuse, orientée vers les études et les expérimentations empiriques dans le champ de l’heuristique chorégraphique (les processus de création en danse).
L’impact d’une pratique de danseuse pour aborder la culture balinaise « incarnée »
33Pour ma part, je propose des récits de terrains qui sont inspirés à la fois de la découverte d’une « étrangeté inquiétante », mais aussi par des clefs acquises de mes formations précédentes de danseuse et des études empiriques dans le champ chorégraphique en tant que chercheuse. En voici quelques pistes de compréhension :
Le ballet et la notion de code
34Ma pratique de danse classique (début à 14 ans jusqu’à ce jour)17 m’a permis à de prendre rapidement conscience de ce que c’est un code en danse et quel type d’entraînement en danse peut faciliter (ou perturber, voir empêcher) sa construction à la fois corporelle et imaginaire18. Si Eugenio Barba a déjà proposé une perspective de comparaison entre les positions de base en ballet occidental et celles, nommées « agem » (Fig 1), en danse traditionnelle balinaise19, ma propre expérience empirique m’a amené vers une vision élargie des similitudes et des différences entre plusieurs styles classiques de danse en Asie de Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Cambodge, Laos…).
La danse moderne et la notion de l’effort
35Les quatre ans de pratique de danse moderne (Graham20) m’ont apporté une préparation à la densité musculaire et d’endurance tonique. Le terme de « préparation » est employé pour souligner l’imprévisibilité des conditions de travail du terrain immersif à Bali : comme le changement climatique entre deux continents qui exige à doubler la densité musculaire pour toute contraction, liée aux gestes du vocabulaire de la danse traditionnelle balinaise.
36Les températures élevées et l’humidité de l’air tropical à Ubud exigent un effort particulier, dans le sens complexe labanien, pour le maintien du stamina (endurance en danse) habituel. Il est préférable de l’acquérir au préalable du voyage pour éviter des malaises ou diminutions de la qualité d’attention puisque les cours de danse à Bali ont lieu en plein air – des scènes de temples pour cérémonies, des cours de jardin dans les maisons des professeur·e·s, etc. L’entraînement a lieu en pleine exposition aux éléments naturels puisque les studios de danse climatisés ou aseptisés, selon les exigences de l’architecture urbaine occidentale contemporaine, ne font pas partie du paysage local.
La danse contemporaine et la notion de la liberté
37Ma spécialisation en danse contemporaine21 m’a donné la liberté des transformer ces codes – en, et par, séances d’improvisations, – et par conséquent les reconstruire en compositions personnelles, par le biais de la vidéo danse et la performance cinématographiée ; mais aussi d’être capable de saisir l’évolution contemporaine de ces styles anciens de danse.
La recherche et la notion de recherche création
38En tant qu’enseignante-chercheuse titulaire depuis 2009, j’ai pu articuler mes terrains immersifs avec des questions et des expérimentations en recherche création. Il s’agit d’un domaine vaste qui inclut, entre autres, les démarches de « la pratique comme recherche » (practice as research) et de la culture incorporée (embodied culture). Mes recherches sur la spirale en danse « dans tous ces états »22 m’ont été particulièrement utiles pour comprendre la fabrication de la posture en mouvement dans la danse balinaise traditionnelle, et pour créer des passerelles vers le potentiel de la création contemporaine23.
39En tant que chercheuse j’ai réfléchi longtemps, au cours de plusieurs séjours en Asie, aux objectifs d’imprégnation des cultures chorégraphiques locales. Une réponse (en tout cas la mienne) à la problématique de l’appropriation culturelle, et aux enjeux politiques qu’elle implique, est la résolution de leur reconstitution par :
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l’improvisation en résonances – dans le cadre de mon projet de recherche création, elle a lieu après le cumul d’expériences in situ ;
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la composition par échos – dans le cadre de mon projet de recherche création, elle est faite par le montage chorégraphique, après le retour en France24.
Fig. 1 Debix fait démonstration d’agem kanan (position de base à droite). © Biliana VASSILEVA, 2012
Analyse chorégraphique de photos et de vidéos
40Selon les observations de plusieurs chercheurs cités plus haut, Bali est un lieu de pratique rituelle et par conséquent un lieu de comportement techniquement articulé. Les pratiques chorégraphiques de la performance balinaise présentent un style de mouvement corporel qui est cohérent, systématique et riche en codifications. Il est constitué par un éventail relativement large de principes de posture et de mouvements reconnus par les artistes et par le public local. La technique de la danse balinaise traditionnelle est basée sur la maîtrise de la coordination corporelle, du phrasé dynamique, et de l’orientation spatiale. Elle a de nombreuses applications dans un large spectre de genres de performances et d’événements – cérémonies, fêtes, etc.
41Les styles traditionnels de la danse balinaise sont nettement moins investis dans les gestes emblématiques que d’autres traditions de performance comparables basées sur l’hindouisme. Par exemple, la gestuelle figurative de la danse classique indienne porte une forte ressemblance aux référents environnementaux tels que les flûtes, les épées, les fleurs de lotus, le soleil et la lune, les montagnes et les rivières.
42Néanmoins, certains gestes en danse balinaise traditionnelle sont aussi proches au mouvement originel, source d’inspiration comme la danseuse abeille Oleg Tamulilingan (The Bumblebees Dance) qui jette les ailes pour illustrer l’envol. (Fig. 4)
Récit de terrain
D’après mon expérience d’apprentissage et d’observation de spectacles de danse, plusieurs interprètes peuvent jouer avec des significations potentielles des placements de doigts, des corps qui sursautent et des vibrations pour instaurer sur la scène un métalangage. Il s’agit souvent des dialogues sur le mode de « private joke » (blague privée) pour les participant·e·s et spectateur·trice·s qui sont plus habitu·é·s et averti·e·s pour ce type de performance.
43L’analyse du langage kinesthésique de la danse traditionnelle balinaise permet effectivement de dépasser les théories iconiques du symbolisme chorégraphique. Pour commencer, une des caractéristiques principales de la danse balinaise traditionnelle est la clarté d’articulation de chaque posture et transition, propre à tous les arts dits « classiques ». Par exemple le ballet occidental est construit aussi sur des principes similaires qui exigent un tel degré d’articulation.
44Le rituel balinais considéré comme une des traditions de danse les plus complexes au monde en ce qui concerne l’isolement et l’utilisation active de la segmentation corporelle ou « parties du corps ». Des bouts des doigts jusqu’aux bouts des orteils, les postures de danse sont agencées et maintenues sans une grande liberté d’interprétation (Fig. 1 et Fig. 2). Selon Sally Ann Ness, le style classique balinais peut mobiliser et coordonner dans un isolement simultané plus de vingt segmentations différentes du corps du danseur en une seule phase d’action momentanée25. Il nécessite généralement au moins cinq degrés d’isolement dans chaque bras seul, comme dans la danse classique occidentale – mais les orientations des segments sont différentes. Cette spirale plonge les membres supérieurs dans la colonne vertébrale et les membres inférieurs, jusqu’aux pieds, interagissant harmonieusement (Fig. 2).
45Pour trouver les résonances de cette esthétique du geste, pour ma part j’ai extrait des photos de séances individuelles d’improvisations menées après l’entraînement matinal en danse balinaise traditionnelle à Ubud.
Fig. 2 Debix fait démonstration d’agem kiri (position de base à gauche). © Biliana VASSILEVA, 2012
Fig. 3 Improvisations d’inspiration de danse contemporaine par Biliana Vassileva (agem transformé). © Biliana VASSILEVA, 2012
Fig. 4 Improvisations autour de la figure d’Oleg d’inspiration de danse contemporaine par Biliana Vassileva (agem transformé). © Biliana VASSILEVA, 2012
46L’activité photographique stimule la réflexion et permet de mieux saisir ces gestes « ombres » mémoriels conceptualisés par Rudolf von Laban au cours des improvisations structurées, qu’il dirige à Monte Verita au début du vingtième siècle26. Selon sa conception de l’émergence d’un geste « ombre » par la pratique de la danse improvisée, le corps en tant que réservoir peut contenir de vastes quantités d’expérience qui avaient sombré sous la conscience :
47Dans ce sens dans Fig. 3 on peut observer un agem des bras, transformé, mais qui garde l’asymétrie bien dosée de la posture originale, la bonne direction du regard, et par contraste — une verticalité nettement issue de la formation européenne en danse classique.
48La figure 4 fait émerger une des figures emblématiques d’envol de la pièce Oleg, créée par I Ketut Marya en 1952. On y voit une de rares figures élancées, vers le haut, avec la sensation de spatialité dilatée, les bras incarnent le moment de suspension et l’envol, les jambes gardent la trace d’un coup de pied, indispensable pour gérer le long sarong27.
49Les coordinations précises en danse balinaise traditionnelle définissent la manière de l’interprète d’investir de l’énergie à travers divers méridiens proprioceptifs avec des variations extrêmement soudaines pour produire les fluctuations vibratoires du geste qui sont peut-être la caractéristique dynamique la plus distinctive du style chorégraphique balinais. Afin d’étudier ces principes d’organisation dynamique du geste dansé, l’analyse cinématographique devient un outil précieux et indispensable.
50Les principes techniques de la danse traditionnelle balinaise sont très nombreux et complexes. Comment les approcher avec mes expertises de danseuse et de praticienne assidue des pratiques somatiques locales ? Les captations vidéos dans le cadre du projet de recherche création Drifting/à la dérive se sont avérées particulièrement bénéfiques : BiliBali, 201228 (montage chorégraphique LangArts) ; Bali Luwak 201929 (montage chorégraphique Victoria Donnet) ; Bali Rain 202030 (montage chorégraphique Victoria Donnet) ; Bali Spring 202231 (montage chorégraphique Taeho Kim) ; Bali Summer 202232 (montage chorégraphique Taeho Kim), Bali Spring 202333 (montage chorégraphique Trần Đăng Khôi).
51Un solo de recherche création et vidéo danse : Bali Luwak, 2019 Ubud, Bali, Indonésie
Réalisations
52Cette création a fait objet de deux performances sur scène par l’auteure, accompagnée par le musicien et compositeur Guillaume Tiger par musique diffusée en direct et co-créée avec le geste en danse : dans le Festival Pile ou Frasque, organisée par le théâtre Le Regard du Cygne et Le Générateur, en mars 2019 à Paris ; et dans la soirée partagée de performances dans le Centre d’Arts transdisciplinaire Tiasci, Musiques du monde, en mai 2019 à Paris (lien web vers la création scénique: https://www.youtube.com/watch?v=BJBcEQiMIKw&t=1s34).
Concept
53Dans Bali Luwak des créatures fantastiques et des fantômes mènent le scénario. J’ai suivi un entraînement en danse traditionnelle balinaise au printemps en 2019 qui est la source d’inspiration pour les bribes de mouvement, choisies au moment du montage collaboratif avec la vidéaste Victoria Donnet. La narration est faite de fragments de personnages et fables. Ces figures imaginaires du poème d’Apollinaire sont incorporées à travers des courtes séquences d’improvisation en danse :
Gods of living water
Let down their hair
And now you must follow
A craving for shadows.35
54Autre citation à la fois académique et poétique décrit comment opère la combinaison de ces sources de créativité, traditionnelles ou contemporaines, pour induire un processus complexe somatique d’éveil réflexif :
A silent tongue sounding/
an eye scanning/
polyphonic skin of event/
through gesture and posture36
55Le montage, fait en collaboration avec Victoria Donnet, s’articule sur Ondée, une création musicale originale de Guillaume Tiger, chercheur compositeur.
Analyse chorégraphique
56Les flexions et les hyperextensions des articulations sont particulièrement appréciées afin de créer les formes curvilignes considérées comme belles dans tout le spectre des événements de la performance balinaise. La captation d’improvisations en danse dans les rizières d’Ubud garde la trace de ces gestes « ombres » d’agems en transition perpétuelle, surtout par les zooms soudains qui à la fois décomposent et restituent les fortes flexions et les hyperextensions qui font signature cinétique particulière.
57La figure de l’animal est omniprésente dans le répertoire balinais : des singes, un cerf, des abeilles, des oiseaux, etc. Ainsi (partiellement) est née mon idée de danser/incarner l’esprit du luwak, un animal emblématique de Bali, qui apparaît par la suite dans d’autres créations de vidéo danse. Les enjeux écosomatiques pour l’adoption de ce personnage sont étroitement liés avec la vision d’un alter ego représentatif du destin tragique d’une chercheuse, assujettie à des dispositifs contemporains de captivités par le biais de cybersurveillances et d’intrusions illégales dans sa vie privée. Son exploitation se fait par le vol de données par le biais d’accès illégal/non consensuel ; et de travail par le biais de copy catting de processus de création : phases, matière, etc. (autrement dit, d’un point de vue métaphorique, sa sélection des grains de café et leur transformation).
58Le National Geographic37 évoque ainsi la figure de luwak :
Mauvaise nouvelle pour les civettes, le kopi luwak est fabriqué à base de graines de café ramassées dans leurs excréments.
C’est le café le plus cher du monde, et il est préparé à partir de grains de café partiellement digérés puis expulsés par la civette, une petite créature de la taille d’un chat. Une tasse de kopi luwak, c’est son nom, peut atteindre le prix de 80 dollars (71,50 euros) aux États-Unis.
La civette, que l’on retrouve en Asie du Sud-est et en Afrique Subsaharienne, possède une longue queue comme les singes, des marques sur le visage comme les ratons laveurs, et des taches sur son corps. Elle joue un rôle important dans la chaîne alimentaire, puisqu’elle se nourrit d’insectes et de petits reptiles en plus de fruits tels que les cerises de café et les mangues, et se fait dévorer par les léopards, les gros serpents et les crocodiles.
Au début, le commerce de café de civette laissait présager un bel avenir pour l’animal. En Indonésie, on considère souvent la civette palmiste, qui pille les exploitations fruitières, comme nuisible. La croissance de l’industrie du kopi luwak a donc encouragé sa protection par les agriculteurs locaux pour la valeur de ses excréments. Ses enzymes digestives changent la structure des protéines présentes dans le grain de café, lui enlevant une certaine acidité pour un rendu final plus doux dans la tasse.
Mais le café de civette a gagné en popularité. Alors que l’Indonésie devient une destination touristique où de plus en plus de voyageurs veulent observer la nature et interagir avec les animaux, un nombre croissant de civettes sauvages sont enfermées dans des cages sur des plantations de café en partie pour la production de café, mais faire payer les touristes qui veulent observer l’animal.
Les excréments de civettes, parsemés de graines de café partiellement digérées, étaient auparavant recherchés dans la nature. De plus en plus de civettes sont désormais enfermées dans des cages insalubres sur des plantations de café.
59Le luwak – expressions, postures et locomotion ont été observées, étudiées, documentées visuellement et analysées par la suite – au cours des huit voyages à Bali depuis 2012. Il apparaît aussi dans la vidéo Bali Spring 202238 (Fig 5.), à la suite d’une morsure au poignet, incident sans gravité, mais qui souligne l’impossibilité de domestiquer cet animal dont l’habitat naturel est la forêt tropicale ; et dans Bali Summer 202239 (Fig 6.) suite à un long séjour d’été, et par conséquent, une cohabitation et réflexion sur les vulnérabilités et les stratégies de violences à l’échelle mondiale.
Fig. 5 Capture d’écran Bali Spring 2022. © Biliana VASSILEVA, 2022
Fig. 6 Capture d’écran Bali Summer 2022. © Biliana VASSILEVA, 2022
60Dans le répertoire de la danse balinaise traditionnelle, il existe des marches et des personnages variés qui définissent la manière dont un·e interprète apprend à travailler avec la gravité. Les transitions entre les postures et les déplacements sur scène sont effectués dans un sens ancré, mais élégamment ondulant. Des traces de cette expérience, mais aussi de la présence des animaux (certains considérés comme sacrés) et d’une culture urbaine architecturale et décorative hindouiste de beauté et de richesse extraordinaire apparaissent dans Bali Luwak (2019), Bali Rain (2020), Bali Spring (2022) et Bali Summer (2022).
Récit de terrain : Singes et des états de corps à Monkey Forest, Bali, Indonésie.
Les propriétaires des boutiques en proximité de Monkey Forest, Ubud connaissent au mieux les principes d’une vie partagée avec les singes. Le combat (occasionnel) avec un singe agressif exige des habiletés dignes d’arts martiaux et devient rapidement un spectacle de rue. C’est une véritable surenchère de force et de rapidité qui a infiltré le répertoire local de danse depuis très, très longtemps. Les touristes qui se promènent avec leurs achats de nourriture sur Monkey Forest Road sont rapidement prévenus de faire tour en arrière. Toutes les femmes balinaises sur l’île ont eu l’expérience d’affaires volées par les singes, et des cheveux (longs) tirés par les animaux quand ils deviennent « sensibles et nerveux » pour des raisons diverses.
Pour leur part les singes savent attendre le temps de la prière qui accompagne les petites offrandes quotidiennes de riz, fleurs et fruits, avant de s’en servir. Ils sont capables de reconnaitre des objets en plastique à distance de plusieurs mètres et d’ouvrir des bouteilles d’eau, des canettes et toute sorte d’emballage hermétique.
Récit de terrain : sur la création chorégraphique
Dans la création Bali Summer 2022 apparaît une marche hybride entre celles pratiquées à Bali et dans d’autres régions d’Indonésie. Le statut de cette marche est particulier parce qu’il est le résultat de mes habitudes, et par conséquent, de mes besoins d’échauffement tel quel pratiqué dans le cadre des plupart de cours de styles de danse et des studios occidentaux : ballet, contemporain, jazz, etc. Les cours de danse balinaise traditionnelle commencent directement avec l’interprétation de variations de répertoire.
Après discussion avec ma professeure de danse, nous avons « co-inventé » une brève transition entre la marche de la rue et celle qui introduit une variation de répertoire au début de chaque séance. Sur la base de son expertise, elle a proposé plusieurs types de marches différentes pour des traversées rapides de la scène. Certaines sont méditatives, d’autres –assez complexes. Leur répétition a abouti à la fusion et au décalage des originaux, pour la marche dans Bali Summer 2022. Elle combine à la fois des principes réels et fixes de locomotion de l’art chorégraphique en Indonésie, et une interprétation plus libre et contemporaine de ceux-là.
Perspectives
61La performance rituelle balinaise fait partie des traditions chorégraphiques les plus complexes et les plus avancées techniquement de l’Asie du Sud-Est, classée dans la catégorie globale des performances « classiques ». Si l’approche phénoménologique permet d’en saisir quelques éléments, la mienne est fortement instruite par mon expérience de danse, à la fois dans le contexte occidental et celui des voyages/terrains immersifs dits « extra-occidentaux ». Dans ce sens, j’ai pu faire des comparaisons et de différenciation au niveau de la complexité technique et institutionnalisation des processus de formation dans les traditions de l’Inde, de la Thaïlande et du Cambodge.
62L’anthropologie visuelle par ses méthodes : la photographie et la vidéo, mais aussi le croquis, le dessin, etc., rend possible l’expérimentation d’une approche originale et visuelle de l’étude de la culture. Il s’agit d’une interrelation complexe entre méthode, théorie et pratique anthropologique. Dans le champ de la recherche création, la pratique anthropologique est aussi entremêlée avec des pratiques artistiques, ce qui demande une distinction claire entre les différents éléments, mis en jeu.
63Un exemple est la documentation du répertoire chorégraphique local et par la suite la constitution d’archives d’une série d’improvisation sur cette base, notamment le projet de recherche création Drifting/à la dérive présentée dans cette étude. La logique de cette série et son explicitation dans une autre étape peut à la fois rend compte des prises de conscience kinesthésique nouvelle, et même, par un mouvement en boucle vers les sources originelles, améliorer la compréhension du répertoire local comme point de départ.
64Par ailleurs l’hypothèse de cette étude qui est que la culture balinaise chorégraphique traditionnelle est simultanément bâtie et permet de bâtir une intelligence particulière du corps en mouvement trouve ses preuves dans les exemples donnés de documents visuels variés et leur traitement sensitif et réflexif.
Bibliographie↑
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VASSILEVA Biliana, Projet de recherche création Drifting/à la dérive, depuis 2012, blog. URL : https://bilidanse.wixsite.com/website-2 (consulté le 03/08/2024) :
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Bali Luwak, 2019. URL : https://www.youtube.com/watch?v=qTqoQ2nDCXk&t=176s
Bali Rain, 2020. URL: https://www.youtube.com/watch?v=9_EP1nX1xgE&t=16s
Bali Spring, 2022. URL: https://www.youtube.com/watch?v=2XCWcIR6pkc&t=14s
Bali Summer, 2022. URL: https://www.youtube.com/watch?v=HjVLfGUveWU&t=6s
Bali Spring, 2023. URL: https://www.youtube.com/watch?v=qTqoQ2nDCXk&t=12s
VASSILEVA Biliana, LAUREILLARD Marie, « L’écriture chorégraphique spiralée du Cloud Gate Dance Theater », La scène mondiale aujourd’hui : des formes en mouvement, CIRRAS (Centre International de Réflexion et de Recherche sur les Arts du Spectacle), ouvrage collectif dir. F. Quillet, Paris, L’Harmattan, coll. « L’Univers théâtral », 2015, p.419-429.
VASSILEVA Biliana, TIGER Guillaume, Bali Luwak - performance sur scène danse/musique, Site Isothesis, 2019, URL : https://www.youtube.com/watch?v=BJBcEQiMIKw&t=1s (consulté le 08/03/2024)
VASSILEVA Biliana. Interview avec Kadek Puspasari, danseuse et chorégraphe balinaise, Paris, le 4 juin 2021
Notes↑
1 BATESON Gregory, MEAD Margaret. Balinese character, a photographic analysis, New York, The New York academy of sciences, 1942.
2 BAGGS Edward, CHEMERO Anthony. 2018, “Radical Embodiment in Two Directions,” Synthèse, 198 (Supplement 9): 2175–2190, 2018.
3 NESS Sally Ann. « Bali, the camera, and dance: performance studies and the lost legacy of the Mead/Bateson collaboration », Journal of Asian Studies N 67/4, Cambridge University Press, 2008, p.1251-1276.
4 BATESON Gregory, MEAD Margaret. Balinese character, a photographic analysis, New York, The New York academy of sciences, 1942.
5 Les planches sont présentées dans les 10 groupements suivants : villages, pratiques agricoles, religieux et sacrés, industrialisation ; organisation sociale, élévation physique, respect ; apprentissage (visuel, kinesthésique, équilibre); comportement de transe, surface du corps, mains ; orifices du corps (attitudes buccales, habitudes alimentaires, habitudes de succion, produits corporels) ; le jeu autocosmique (le bébé, la manipulation génitale, les jouets, les combats de coqs) ; les rôles des parents et des enfants, les crises de colère, les bébés empruntés, le comportement de transe, les sorcières, la peur, le sommeil ; rivalité fraternelle et rôles; stades de développement des garçons et des filles ; et les rituels d'anniversaire, le limage des dents, le mariage, la mort, les funérailles, les pratiques d'exhumation. Une bibliographie sélective de 3 pages est suivie d'un glossaire et d'un index des mots natifs et des noms de personnes.
6 GEERTZ Hildred, « Trance and Dance in Bali », American Anthropologist. 78 (3), 1976, p.725-726. « Their films remain in certain crucial respects exemplary achievements even by today's standards in that they use film not as ethnographic illustration but as a powerful tool in systematic cultural research. » Trad. en français par l’auteure.
7 RONY Fatimah Tobing. « The Photogenic Cannot Be Tamed: Margaret Mead and Gregory Bateson's Trance and Dance in Bali », Discourse. 28 (1), 2006, p.5-27.
8 APPADURAI Arjun, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2015, p.3-4. « …increasingly faster Internet access, and constantly developing cell phone gadgetry only tighten the associations between electronic media and international values; these and other quickly developing technologies represent a string of global forces that easily links local users to each other and consumers around the world. » Trad. en français par l’auteure.
9 MCINTOSH Paul. Action Research and Reflective Practice. Creative and Visual Methods to Facilitate Reflection and Learning, London, Routledge, 2010, p.3.
10 À la différence des villages du nord de l’île, plus austères et moins affectés par la circulation des revenus touristiques. N.A.
11 « Au sens large, l’agency désigne la capacité de l’être humain à agir de façon intentionnelle sur lui-même, sur les autres et sur son environnement. Ce dernier est alors nommé « agent » au sens anglophone du terme, c’est-à-dire quelqu’un d’autonome, capable de définir ses propres choix et de les réaliser de manière consciente et rationnelle en leur affectant efficacement des moyens pour une finalité ». JEZEGOU Annie, « Agentivité », Anne Jorro éd., Dictionnaire des concepts de la professionnalisation, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2022, p.41-44.
12 BUCK-MORSS Susan, The Dialectics of Seeing. Walter Benjamin and the Arcades Project, Massachusetts/London, MIT Press, 1989, p.268. « Within the enlargement, space is stretched out; within slow motion, movement expands, ‘revealing entirely new structural formation of matter’ … the world that opens unto the camera provides knowledge relevant to acting in it ». Trad. en français par l’auteure.
13 Méthode de recherche: L'AFCMD se constitue en matière spécifique à partir des années 1990. Hubert Godard et Odile Rouquet sont à l'origine de cette discipline en France. Elle se nourrit des travaux des grands pionniers et théoriciens du mouvement tels E J-Dalcroze, F. Delsarte et R. Laban et des concepteurs de pratiques corporelles à visée éducatives ou thérapeutiques comme: F.M Alexander, G.Alexander, I. Bartenieff, B.Bainbridge Cohen, Dr. L. Ehrenfried, M. Feldenkraïs, E. Gindler, F.Hellès, L. Sweigard, M.Todd... Elle se situe dans le prolongement des travaux de Bobath, L.Busquet, Kabat, F. Mézières, Piret et Béziers, GDS Godelieve Denys Struyf, et d'autres qui ont contribué à l'émergence de la notion de chaînes musculaires. À ces corpus, s'ajoutent les apports de l'anatomie fonctionnelle, de la biomécanique et de la neurophysiologie, intégrant l'évolution des travaux les plus récents. Les résultats de diverses études de la chronophotographie aux images de synthèse ont permis de saisir et de mieux appréhender la cinétique du mouvement dans sa complexité en bénéficiant également du regard de l'ethnologue ou d'autres spécialistes en sciences sociales. Voir le site web: AFCMD Association Accord Cinétique, URL/ http://afcmd.com (consulté le 8/03/2024).
14 COLLIER Bethany J. « Looking to the future : training a new generation for Balinese Arja », Asian Theatre Journal, N 31/2, Honolulu, University of Hawai'i Press, 2014, p.457-480.
15 NESS Sally Ann. « Bali, the camera, and dance : performance studies and the lost legacy of the Mead/Bateson collaboration », Journal of Asian Studies N 67/4, Cambridge University Press, 2008, p.1251-1276.
16 Id., « Balinese dancing, in this respect, can be experienced (although this is more likely to be a novice’s or observer’s experience) as the systematic hierarchic management of relationships: It entails « pushing this (arm segment) up, » while « pressing that (wrist area) down, » while at the same time « lifting this (shoulder area) up, » while flexing that (knee area), » while « bending that (ankle area), » while spreading this (fingers area), » while « tilting that (head area), » while « holding this (chest area), » and so on. This dance of « whiling » enables an intensification of energies sent simultaneously into different areas of the performer and necessitates a continuous reassessment of the exertions themselves relative to one another. » Trad. en français par l’auteure.
17 École Krassimira Koldamova, Sofia, Bulgarie et par la suite - des cours/stages ouverts à Paris: Centre National de la Danse, Studio Harmonic, Centre de Marais, École Stanlowa.
18 Et bien sûr, la discipline nécessaire pour continuer à travailler parfois en état de fatigue ou avec des exigences éprouvantes.
19 BARBA Eugenio, SAVRESE Nicola, L'Énergie qui danse, Dictionnaire d’anthropologie théâtrale, Montpellier, éditions L'Entretemps, 2008.
20 École et groupe de danse d’Albena Atanassova, Sofia, Bulgarie (de 14 à 19 ans).
21 Paris, formation depuis 1999, à ce jour : des programmes ERD (entraînement régulier du danseur/se) proposés par le Centre National de la Danse, Studio Harmonic, La Menagerie de verre, L’école Peter Goss, Micadanses, CanalDanse, R.I.D.C., et plusieurs stages au niveau international.
22 VASSILEVA Biliana & LAUREILLARD Marie. « L’écriture chorégraphique spiralée du Cloud Gate Dance Theater », La scène mondiale aujourd’hui : des formes en mouvement, CIRRAS (Centre International de Réflexion et de Recherche sur les Arts du Spectacle), F. Quillet (dir.), coll. L'Univers théâtral, L'Harmattan, Paris, 2015, p.419-429.
23 Plusieurs chorégraphes de renommée internationale s’inspirent de la culture balinaise traditionnelle pour des créations contemporaines. Un exemple est Lin Hwai Min, le fondateur de Cloud Gate Dance Theater of Taiwan, la première compagnie de danse contemporaine dans toutes les communautés de langue chinoise. Il fait de longs séjours et ateliers collaboratifs à Ubud depuis des années, et considère la ville comme sa deuxième maison spirituelle et artistique. (Entretien avec Kadek Puspasari, danseuse et chorégraphe balinaise, invitée dans la compagnie de Cloud Gate Dance Theater of Taiwan comme stagiaire par Lin Hwai Min suite à sa participation aux ateliers organisés à Bali. VASSILEVA Biliana. Entretien avec Kadek Puspasari, le 4 juin 2021)
24 Aucun de mes documents visuels de recherche création ne contient des reprises à l’identique des phrases entières, ou des costumes, du répertoire local étudié, par respect et par considération de ces cultures et leurs droits de patrimoine.
25 NESS, Sally Ann. « Bali, the camera, and dance : performance studies and the lost legacy of the Mead/Bateson collaboration », art. cit., p.1251-1276.
26 LABAN Rudolf, La maîtrise du mouvement, Traduit par Jacqueline Challet-Haas, Arles, Éditeur Actes Sud, 1994, 275 pages.
27 ou pour « donner un coup de pied à un connard », source anonyme, ONP, France.
28 VASSILEVA Biliana, Projet de recherche création Drifting/à la dérive, depuis 2012 URL/ https://www.youtube.com/watch?v=UElq-pup2uY (consulté le 03/08/2024)
29 Id. https://www.youtube.com/watch?v=qTqoQ2nDCXk&t=176s
30 Id. https://www.youtube.com/watch?v=aLUyKQ9YupA&t=128s
31 Id. https://www.youtube.com/watch?v=9_EP1nX1xgE&t=16s
32 Id. https://www.youtube.com/watch?v=2XCWcIR6pkc&t=14s
33 Id. https://www.youtube.com/watch?v=HjVLfGUveWU&t=6s
34 VASSILEVA Biliana, TIGER Guillaume, Bali Luwak - performance sur scène danse/musique, Site Isothesis, 2019. URL : https://www.youtube.com/watch?v=BJBcEQiMIKw&t=1s (consulté le 08/03/2024).
35 APPOLINAIRE Guillaume, « Clothilde », Alcools, trad. Donald Revell, 1995.
36 COBBING, Bob. Shrieks & Hisses, ed. Nicholas Johnson, Buckfastleigh, Etruscan Books, 1999.
37 Site National Geographic, URL : https://www.nationalgeographic.fr (consulté le 04/05/2023).
38 Id.URL : https://www.youtube.com/watch?v=9_EP1nX1xgE&t=16s
39 Id. URL : https://www.youtube.com/watch?v=2XCWcIR6pkc&t=14s
Pour citer cet article↑
Biliana Vassileva, « Bali à travers des images plurielles en danse », L'ethnographie, 9 | 2024, mis en ligne le 25 septembre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=1450Biliana Vassileva
Biliana Vassileva est danseuse et enseignante-chercheuse (MCF HDR), spécialisée en études chorégraphiques, pratiques somatiques et processus de création (CEAC, Université de Lille). Elle travaille actuellement sur le geste dansé autour des notions d’incorporation et de pratiques de subjectivation. Elle développe des projets de recherche-création dans le champ chorégraphique et performatif en collaboration avec des artistes-chercheurs : https://bilidanse.wixsite.com/website-2 (https://pro.univ-lille.fr/biliana-vassileva)