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Les « univers locaux » de Francisco López. Images in-temporelles du temps

Christine Esclapez
mai 2015

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.680

Résumés   

Résumé

Internationalement connu comme l’une des figures majeures du soundscape, du field recording mais aussi de la scène musicale expérimentale, Francisco López élabore des univers sonores singuliers, souvent inclassables, occupant un espace intermédiaire entre plusieurs catégories « génériques » ou modalités de production. Entre création, installation et performance ; entre musique, sons de la nature, sons industriels et bruit, les univers sonores de l’artiste espagnol configurent une expérience inédite du fait musicien qui s’effectue à même l’immersion aveugle des corps dans le son. La question que nous poserons dans cet article est de savoir comment la dimension sensible de l’expérience sonore proposée par Francisco López articule l’horizon actuel de nouvelles formes de matérialités qui posent la question de nos rapports diffractés et virtuels au(x) lieu(x) du sens étroitement liés à notre rapport actuel au monde, notamment sa réticularité et son interactivité généralisées mais aussi sa « multiversalité » (A. Cauquelin, 2010b).

Index   

Texte intégral   

« ‘Lieu’ est une certaine disposition spatio-temporelle qui permet d’envisager des possibilités pour des positions successives (voire simultanées !) des corps. ‘Lieu’ n’est rien sans les corps qu’il dispose et dont il dispose, mais n’est cependant pas un corps » (A. Cauquelin, 2010a : p. 77).

De l’intermédiaire et de l’intermédial : lieu(x) et situation(s)

1Internationalement connu comme l’une des figures majeures du soundscape, du field recording mais aussi de la scène musicale expérimentale, Francisco López élabore des univers sonores singuliers, souvent inclassables, occupant un espace intermédiaire entre plusieurs catégories « génériques » ou modalités de production. Entre création, installation et performance ; entre musique, sons de la nature, sons industriels et bruit, les univers sonores de l’artiste espagnol configurent une expérience inédite du fait musicien. Les créations-installations-performances de López cultivent l’hybride et le nomade à l’image de son propre processus créateur (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 4). L’artiste enregistre les sons du monde, des forêts tropicales aux friches industrielles et, à ce titre, sa démarche participe de l’écologie acoustique (au sens large) : « le lien réel à l’environnement » (M. Solomos, 2012 : p. 168) en est effectivement l’origine. Pour autant, il serait réducteur de cantonner López à ce champ de pratique dans la mesure où son travail d’enregistrement est prolongé par une mise en composition de ces captations qui deviennent la matière première de créations musicales de facture expérimentale, industrielle, bruitiste ou même contemporaine. C’est sur ce point précis que le travail de l’artiste se détache de l’écologie acoustique telle qu’elle a été introduite par R. Murray Schafer (1977) : cette matière première provenant de la nature tout autant que des bruits de notre société hypermoderne n’est pas le prétexte à l’expression d’un sens rationnel, notion que nous empruntons à l’esthéticien russe Boris de Schlœzer (1979 : p. 353-393). Dans cette acception, le sens rationnel est celui où se loge la translation entre signifiant et signifié, celui de l’hétéronomie (entendons l’équivalence entre des données extra-musicales et des procédés musicaux) qui détourne le musical, selon Schlœzer, de son être profond. À cet asservissement du son à autre chose que lui-même, à ce devoir d’archivage des sons du monde qui est au cœur de la démarche de l’écologie acoustique répond de façon paradoxale le travail artistique de López. L’artiste tente de façon presque utopique de détacher le son de tout signifié identifiable ou familier et s’éloigne d’une conception documentaire de l’enregistrement. La volonté de López est ferme : donner à entendre des entités musicales « pures » et développer l’écoute libre comme activité proprement phénoménologique. López refuse au sonore toute équivalence visuelle et défend une écoute musicienne dont l’enjeu n’est pas l’identification du réel mais la présence de ce qui se joue entre le corps de l’auditeur et l’univers donné à entendre (T. B.W. Bailey, 2009). L’artiste travaille l’écoute comme un dispositif intermédial situé à l’intérieur même du corps-écoutant (et non du corps-regardant).
Francisco López élabore des créations-installations-performances sonores dramatisées par un travail de mixage et de studio mais aussi par un dispositif scénique particulier qui a, par ailleurs, rendu célèbre son travail au point d’en devenir sa signature artistique. L’expérience d’écoute proposée est acousmatique ; à l’aveugle, les yeux bandés dans la promiscuité, les corps-écoutants palpent l’obscurité de la salle lors d’expériences sonores intenses. En ce sens, l’artiste questionne l’auralité comme expérience cognitive et spécifique du monde, expérience qui est de l’ordre du sensible mais aussi de l’entente et de l’entendre (B. Vecchione, 2002 : p. 9-18). Expérience de la connivence. Expérience de la capacité à ressentir l’énergie d’autrui et, par retour, de soi. Expérience paradoxale car elle se joue via l’énonciation d’éléments au demeurant tangibles (la matière sonore ou le dispositif scénique) tout en sachant que tout (l’essentiel) se situe ailleurs. Expérience de l’intrication ou peut-être, plus simplement, de la « musicienneté » (B. Vecchione).
Au champ stylistique intermédiaire informé par les créations de l’artiste, répond la matérialité réticulaire de la relation nouée entre l’auditeur et l’environnement sonore, mais aussi entre les auditeurs eux-mêmes assumant l'ère de l’information généralisée et intersubjective de nos sociétés contemporaines. En ce sens, la notion de situation d’écoute est - ici - centrale puisque le travail de l’artiste va nettement à sa reconfiguration et à sa concentration sur le son comme point d’entrée dans une expérience globale du corps et lieu d’habitation alternatif du monde (M. Delplanque, 2005). Ce qui correspond peu ou prou à la densification philosophique (via l’écosophie sonore de Félix Guattari) des territoires méthodologiques mais aussi épistémologiques de l’écologie sonore proposée par Roberto Barbanti dans son article « Écologie sonore et technologie du son » :

« Je voudrais proposer ici une réflexion sur l’écologie sonore pensée en tant que rapport du son à la « maison » - oïkos - c’est-à-dire la place du son dans la relation à notre demeure commune, le monde, et à notre façon de l’appréhender. En d’autres termes, le rapport (à) son-monde » (R. Barbanti, 2011 : p. 9).

2Doit être, alors, évoquée la question - déjà largement traitée par la phénoménologie (et l’herméneutique heideggérienne) - de la relation entrelacée entre « objet » et « sujet » et du projet de la conscience dans le monde. Question qui connaît, actuellement, une certaine forme de légitimité épistémologique dans le domaine des sciences humaines grâce à l’élaboration de modèles médiationnistes ou interactionnistes (M. Solomos, 2012 ; V. Nyckees, 2007). C’est-à-dire établir, pour tenter de comprendre la relation son-monde conceptualisée par López et lui donner une portée plus large, une distinction entre contexte et situation. Dans l’article cité précédemment, Barbanti explore les concepts de coexistence, de continuité et de connivence ontologiques qui lui semblent essentiels pour fonder une théorie de l’écologie sonore (R. Barbanti, 2011 : p. 11-18). Le concept de coexistence ontologique (au fondement des deux autres dimensions) postule la porosité entre « objet » et « sujet », c’est-à-dire entre la perception d’un son et le son lui-même. Ainsi pourra-t-on admettre de façon plus large que l’homme n’est pas un sujet dans un contexte, mais une conscience qui se projette dans le monde qui se projette, à son tour, dans une conscience. Dans ce cas, le monde n’a pas de sens donné mais un sens projeté qui dépend du projet de la situation qui relie, localement et silencieusement, « objet » et « sujet », de façon individuelle mais aussi collective et intersubjective.
En ce sens, une distinction forte doit être opérée entre situation et contexte car ce qui vient au signe, ce ne sont pas des catégories toutes faites (des réalités déjà constituées) mais ce qui vient depuis notre existence, à travers notre expérience de ce qui est existence et expérience. Le contexte suppose un décor dans lequel on installe, après coup, les sujets soumis alors au déterminisme extérieur du cadre que l’on a posé au préalable. La situation, à l’inverse, oblige à penser la relation entre l’objet et le sujet dans sa contemporanéité même, la plaçant au cœur même du projet de la conscience se projetant dans le monde. La situation des musiques constitue la réalité du musical dans le monde à condition que celles-ci soient sans cesse remises en situation anthropologique suscitatrice (B. Vecchione, 2007 : p. 273-292) : processions, rituels, concerts, carnavals, hapennings, balladodiffusion, etc. Cette conjointure donne à penser un modèle interactionnel où la notion de situation d’écoute est conçue comme une « relation phénoménologique directe au monde qui est celle de la présence à celui-ci. » (R. Barbanti, 2011 : p. 15) Modèle qui demande d’observer chaque dispositif d’écoute élaboré par les compositeurs et les artistes comme une modalité singulière des possibles (toujours à-venir) interactions entre le son et le monde. Ces interactions forgent une réalité musicale qui ne répond pas à l’ordre du réel mais convoque une réflexion profonde sur la nature langagière du musical dans le champ expressif du non-verbal. En effet, aux potentialités ouvertes par l’étude de l’auralité que questionne un artiste comme López, à savoir inverser le processus écouter/regarder vers écouter/entendre, se superpose un nouvel enjeu celui de libérer le musical (au sens le plus large) du fonctionnement linguistique. Pour Susan Petrilli, développant une sémio-éthique (inspirée par Levinas), la conceptualisation du signe théorisée par C. S. Peirce ou T. S. Sebeok permet le dépassement du logocentrisme saussurien que Susan Petrilli n’hésite pas à considérer comme erroné1. En effet, l’erreur de la sémiologie saussurienne est d’avoir confondu la partie avec le tout. En d’autres termes, d’avoir considéré le signe verbal comme un modèle tautologique qui permettrait de comprendre tous les signes possibles, humains et non-humains. La sémio-éthique n’est pas à proprement parler une nouvelle branche de la sémiotique mais l’attitude de la sémiotique consciente de sa responsabilité au regard de la vie planétaire et de la connexion intercorporelle de tous les vivants, modalités actuelles de nos sociétés contemporaines que des artistes comme Francisco López « sonorisent ». Mettre en question, donc, le sens rationnel que rejetait Schlœzer lui préférant celui de la présence au monde que l’esthéticien qualifiait de spirituel et qui est, paradoxalement, « l’idée concrète » de l’œuvre, « un tout à la fois totalement charnel et totalement spirituel » (B. de Schlœzer, 1979 : p. 345). Ainsi écrivait-il :

« Je vise ce qui est hors du temps mais je ne peux l’atteindre que dans le temps et à condition de prendre personnellement part à l’œuvre pour autant qu’elle est événement, histoire. » (B. de Schlœzer, 1979 : p. 349).

3Comme le souligne Roberto Barbanti, « écouter veut dire tout d’abord être présent à soi-même et à son environnement puisque l’écoute se donne d’emblée dans une totalité spatiale contiguë et continue » (R. Barbanti, 2011 : p. 14). C’est cette écoute, profonde, aveugle et désirante que Francisco López élabore dans ses créations-installations-performances sonores. Il donne ainsi aux auditeurs à vivre une expérience musicienne qui accomplit de façon silencieuse et sensible son pouvoir de relier, de conjoindre et de déployer, et cela à la lumière de son propre déploiement (B. Vecchione, 2009). Le monde ainsi révélé n’obéit plus aux principes de « disjonction, de répulsion ou d’annulation réciproque » (E. Morin, 1990 : p. 56) mais au principe de coïncidence… Qui permet, on aimera à le penser, de superposer les trois temps de l’expérience d’autrui en moi : l’intuition de l’instant (Bachelard), le lexique de la rencontre (R. Barthes, 1970 : p. 27) et la superposition des contraires (Héraclite).

Les situations d’écoute chez F. López : matérialité vs immatérialité

4Nous l’avons déjà souligné : le réel n’est pas la source des captations sonores de López. Il n’en est que le pré-texte. Le monde parcouru par López (Brésil, Amazonie, Amériques…) lui permet de développer un travail créatif approfondi sur l’interaction musique/son/lieu/corps qui, au-delà des aspects techniques liés au dispositif scénique et à la mise en forme de la matière, repose sur une dimension proprement spirituelle de l’écoute (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 5). Ces situations d’écoute extrêmes rappellent certains rituels traditionnels de transe étudiés dans le champ de l’ethnomusicologie dont les caractéristiques sont, à l’heure actuelle, pleinement intégrées à la scène performancielle (live). Comme le soulignent Desroches et Guertin :

« Chez les Soufis par exemple, ce n'est pas la musique en soi qui importe, mais la façon dont elle est jouée, et l'extase qu'elle suscite. Aussi, le concert vécu comme une expérience mystique ou spirituelle doit-il faire reposer sa réussite sur trois facteurs. Le premier implique les participants dont l'union (sama) permet, par la force de l'émotion, d'atteindre chacun d'eux et de créer un effet, un climat homogène. Le second - le lieu - se doit d'être propice au flux de la vie intérieure, alors que le troisième - le temps - influence la disponibilité des participants en fonction d'un moment particulier de la journée, voire de l'année. L'effet de la musique se trouve ainsi accru par la disponibilité mentale de l'auditeur face à la réalisation d'une œuvre. C'est pourquoi les adeptes de cette musique doivent observer un rituel préparatoire en vue de favoriser l'éclosion d'un état spirituel » (M. Desroches & G. Guertin, 2008 : p. 16).

5Nous verrons dans les lignes qui suivent comment ces trois facteurs (union des participants, lieu, temps) évoqués par Desroches et Guertin peuvent orienter l’analyse du dispositif d’écoute mis en place par l’artiste espagnol en le rapprochant, de façon libre, de la mise en scène d’un rituel. Rappelons que les créations-installations-performances de López (conçues dans les années 1990) sont celles où le public, les yeux bandés, est en immersion totale dans le son. L’artiste refuse l’utilisation frontale de la scène, utilise des systèmes surround multi-canaux et place souvent sa table de mixage au centre du public de façon à entendre plus ou moins ce que le public entend. Si le travail d’installation et de spatialisation réinterprète, de façon libre, la posture acousmatique et l’écoute réduite schaeffériennes (M. Solomos, 2012 : p. 173), il repose sur d’autres modalités particulières du produire et du recevoir qui en font une sorte de cyber-rituel organisé comme un système d’interactions réticulaires entre l’artiste et les auditeurs, mais aussi entre les auditeurs eux-mêmes.
Lópezperforme directement de sa table de mixage et travaille en live le mixage studio qu’il a fait subir aux échantillons captés. Le performeur caché, ainsi que ses appareils, sous une immense tenture noire, est en général au milieu du public qui lui tourne le dos2. À cela, s'ajoute le fait que López reste relativement discret sur l’environnement technologique qui entoure ce dispositif scénique (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 8 et sqq.) Ce choix prend l’allure d’un manifeste quasi politique : rééduquer les oreilles des auditeurs. Il est aussi (et simplement) la seule façon qu’a trouvée Lópezpour faire entendre son travail « sans que celui-ci ne soit parasité par des éléments extramusicaux » (M. Delplanque, 2005). Pour cela, l’artiste fait disparaître toute médiation visuelle entre le public et la scène et détourne l’attention des auditeurs des artefacts superficiels qui entourent souvent les performances polyartistiques de la scène postdramatique, y compris sa propre image de personnage médiatique3. L’audition est confrontée aux événements sonores bruts qui la plongent dans un univers polysensoriel, multimédiatique, situé à l’intérieur du corps-écoutant.

« Synesthésie, répond López, vu que le refus intentionnel d’éléments visuels ouvre un monde nouveau de possibilités pour le son conçu comme une « porte » permettant d’accéder à des couches de perception qui sont normalement dormantes » (M. Delplanque, 2005).

6Comme le souligne Bailey : à travers ses créations, l’artiste réintègre les auditeurs dans un monde quasi utopique qui n’a pas encore été « terrorisé » par les informations rétinales (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 5 et sqq.). L’ensemble des auditeurs, les yeux bandés, participe collectivement, dans l’obscurité, à ce rituel des temps modernes ; les corps, les uns à côté des autres bien qu’ensemble, font une expérience irréductible du sonore. On le comprend aisément, cette vision atrophiée servira d’amplification au ressenti et à l’intuition qui, une fois habitués à l’obscurité et à la promiscuité, fonctionneront à plein rendement, libérés de devoir-à-identifier après avoir-vu. Le dispositif élaboré par López est un dispositif hautement symbolique qui paraît matérialiser l’immatériel comme si l’artiste travaillait ce que nous pourrions nommer « le point aveugle » de l’écoute. Le « point aveugle » qui est cette petite portion de notre rétine où l’on ne voit pas certaines présences pourtant proches est une zone qui réfléchit la tension de l’invisible dans le visible. D’où, par extension conceptuelle, errance, déplacement et même dérangement entre matérialité et immatérialité, entre visible et invisible, entre connu et connaissable.
Les pièces de López franchissent la frontière entre bruit et son, conçus dans une totale porosité et sans aucune hiérarchisation de l’un sur l’autre. C’est d’ailleurs ce qui le rend très critique vis-à-vis de postures comme celles de Schafer (pratiquant une vision esthétique du son convenable et écartant toute nuisance du monde sonore) ou de John Cage (pour qui seulement certains bruits peuvent être musique)4. L’intérêt de l’artiste va donc à des matérialités musicales d’inspiration bruitiste, noise, des matières bruyantes et bruissantes ou, au contraire, des matières faites de rien ou de presque rien, tout justes hantées par de fantomatiques frémissements, craquements ; longues nappes silencieuses où l’instant devient durée, engourdissement de ce présent que l’on goûte jusqu’aux limites de l’insupportable, liquéfaction du son en vapeur d’eau5. Cette « belle confusion » est l’origine même du travail de López évoqué, dans un article fort documenté, par Thomas B.W. Bailey (2009). Toute tentative pour épurer cette diversité, pour la rendre confortable, belle, lui semble suspecte tant du point de vue de la vie elle-même que de la liberté accordée à la création. Contre le naturalisme romantique et son utopie d’un être et d’une nature bienveillants, contre une conception qui verrait le bonheur comme un état primitif (car « pur ») de l’humanité, López argumente pour une multitude de mondes sonores possibles (A. Cauquelin, 2010b). Il lutte, comme il le dit, pour « garder les choses matérielles en vie » (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 13). Ce que nous soulignerons, cependant, c’est aussi la charge proprement magique et sacrée de cette vie des sons libérée et reliée à l’ensemble des rituels du monde, indépendamment ou non de leur modernité. La « belle confusion » est aussi cette équidistance temporelle entre les genres et les styles. Pour Bailey, il s’agit de son goût des frontières floues, des lignes d’horizon indistinctes que lui aurait inspiré la lecture de Cioran ; de son inclinaison pour des disciplines comme le zen ou le bouddhisme (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 13). De sa volonté utopique de considérer le son comme un possible (et nouveau) « paradigme d’une vie moins matérialiste, plus proche de la sensation que du sensationnel opérant sur le public une purge »6, une catharsis. Ce que López s’efforce de faire atteindre à son public est le satori des moines zen, soit un éveil spirituel qui se prolonge de façon perpétuellement transitoire.
Cette expérience esthétique pourrait être rapprochée du champ de l’expérientiel tel qu’il se développe, par exemple, dans le marketing expérientiel. Ce courant est issu des recherches américaines menées sur l’expérience de consommation (dès les années 1980) comme coproduction de l’expérience conjointe de l’entreprise et du consommateur. En complément aux approches classiques de la consommation, la théorie expérientielle met en valeur le rôle des variables affectives mais aussi utilitaires et sociales comme moteur de l’expérience de consommation. L’expérientiel (dans le cas réduit évoqué ici) offre à tout consommateur ou récepteur l’opportunité de vivre de façon quasi schizophrénique la réalité par l’accumulation de ses représentations. L’expérientiel est indéniablement un champ de recherche neuf qui peut fournir des outils et réflexions utiles dans le cas de certaines situations d’écoute où l’auditeur est en immersion totale dans le son, comme celles imaginées justement par Francisco López. Pourtant et sans recourir aux arguments forts, et à l’époque presque visionnaires, qui ont été défendus par Guy Debord dans La société du spectacle (1967), nous souhaitons affirmer que cet expérientiel-là n’est qu’une sorte de « réalité augmentée » de ce qui se joue dans ces situations d’écoute. Ainsi ferons-nous une nette distinction entre « avoir une expérience » et « faire une expérience » (M.-A. Ouaknin, 1994 : p. V-VII). L’expérience qui se fait lors des situations d’écoute élaborées par l’artiste espagnol est faite d’écoutes nomades - solitaires et interconnectées - qui ouvrent les corps vers une multitude de mondes possibles.
L’engagement dans la situation d’écoute est tout à la fois individuelle et collective. Le public se laisse guider par les codes scéniques imposés par l’artiste et les accepte comme une préparation indispensable au rituel collectif qui va suivre. Vécue, dans le même temps, par chacun des individus, de façon solitaire, acceptée comme une porte d’entrée vers des territoires personnels encore inconnus, l’expérience est celle d’une concentration absolue sur l’intensité des émotions ressenties pourtant dans une atmosphère surchargée, lourde de présences et d’altérités. Chaque auditeur assumera ce partage du lieu en autant d’images que de corps présents comme de la controverse au collectif tout en y trouvant un engagement à un tout qui le dépasse et l’englobe. Expérience d’écoute absolue que López conçoit comme un processus continu de transformation du son dont la seule contemplation permettrait d’échapper aux limites de la condition humaine (T. B.W. Bailey, 2009 : p. 6 et sqq.)

Extension(s). Les lieux du sens : du vivre-ensemble

7Comment la dimension sensible de l’expérience sonore proposée par Francisco López articule-t-elle l’horizon actuel de nouvelles formes de matérialités qui s’effectuent à même l’immersion aveugle des corps dans le son et qui posent, selon nous, la question de nos rapports diffractés et virtuels au(x) lieu(x) du sens, étroitement liés à notre rapport actuel au monde, notamment sa réticularité et son interactivité généralisées mais aussi sa « multiversalité » (A. Cauquelin, 2010b) ?
Nous ferons, dans un premier temps, l’hypothèse que les situations d’écoute élaborées par Francisco López sont des images in-temporelles du temps. Il est d’emblée nécessaire de préciser ce que nous entendons par « images » sachant que la volonté même de l’artiste est de ne pas représenter le réel et que nous avons clairement opéré une distinction entre situation et contexte pour éviter toute confusion en la matière. À la suite des travaux d’Augusto Ponzio, chercheur et musicologue italien (A. Ponzio, 2010), nous rappellerons que si l’image se fonde sur la ressemblance avec le réel, elle n’implique aucune dépendance à son égard. Comme le précise Ponzio citant Levinas : « la ressemblance ne doit pas être comprise (…) comme le résultat d’une comparaison entre l’image et l’original, mais comme le mouvement même qui engendre l’image » (A. Ponzio, 2010 : p. 97). Ainsi l’image jouit-elle d’une véritable autonomie vis-à-vis du réel. Elle est le seuil du vraisemblable et non de la référenciation, du biais et non du linéaire. L’image est à la fois identité et altérité ; elle figure le double du réel (A. Ponzio, 2010 : p. 97 et sqq.) Cette figuration est une oscillation entre fixation et mouvement : fixation du réel bloqué dans son devenir ; mouvement vers l’extérieur et vers l’autre inféré par ce réel. Ce rapide préalable était indispensable pour prendre quelques précautions méthodologiques. Supposer que les situations d’écoute proposées par López sont des images in-temporelles du temps qui figurent une nouvelle forme de matérialité ne revient pas à admettre la subordination du musical à une sorte de superstructure qu’il se contenterait d’imiter mais bien de montrer comment le musical informe, de façon spécifique, nos façons d’habiter le monde.

8Les situations d’écoute mises en scène par López paraissent semblables à ce que les astro-physiciens nomment des « trous noirs », c’est-à-dire des entités qui rendent présente une importante distorsion de l’espace et du temps. S’il est encore impossible d’observer l’intérieur d’un « trou noir »7, il est en revanche possible de déduire sa présence par son action gravitationnelle et d’observer ainsi les résultats de son rayonnement sur son environnement proche. Les recherches scientifiques ont montré l’importante distorsion du temps existant autour d’un « trou noir ». Plus on s’approche de ce champ à forte gravitation, plus le temps s’écoule lentement ; à l’inverse, plus on s’en éloigne, plus le temps s’accélère. C’est-à-dire, concrètement, qu’en fonction de notre position (proche ou éloignée), nous ne vivrons pas la même chose : soit nous éprouverons un temps quasi infini qui nous donnera à voir une image figée par l’éternité ; soit nous serons à même d’observer toute l’histoire future de l’Univers. Entre les deux, et c’est justement là que pourrait être située l’action du musical sur les corps, un mouvement de rotation et d’attirance qui entraîne irrémédiablement les corps vers la zone limite entourant le « trou noir », zone au-delà de laquelle aucun retour en arrière n’est possible. Pensons, par exemple, à de nombreuses situations de concerts que nous avons toutes et tous vécues. Situations où le régime temporel paraît dilaté, temps de l’entrée en résonance avec les corps environnants (public comme interprètes) aux limites du dé-faillir et du dire. Nous soulignerons combien les situations d’écoute proposées par López paraissent proches de cette singularité gravitationnelle où le temps est ralenti, rendu in-temporel, infini, quasi éternel. Ce que laissent entrevoir ces expériences d’écoute (mais plus largement le musical comme écoute du monde) est le lieu d’une « cosmicité vécue » pour reprendre une expression de Daniel Charles (2002 : p. 236). Enclins à sentir les corps des autres mais aussi à explorer leur propre corps comme un dispositif d’écoute intermédiatique, les auditeurs expérimentent un lieu encore difficilement concevable par la raison occidentale : celui de la chôra, le milieu concret où s’épanouit l’être relatif, cet qui tient de l’être, sans l’être tout en l’étant... (A. Berque, 2012). Ce lieu de la médiance des milieux humains où la disjonction n’a pas lieu d’être, où l'être et le milieu participent l'un de l'autre (A. Berque, 2012). Les images in-temporelles de Francisco López sont comme la métaphore de nos existences immergées dans la toile planétaire (réseaux et connexions) aux limites indéterminées, de plus en plus conscientes cependant de leurs propres solitudes d’exister (E. Lévinas, 1983 : p. 21-23). Elles matérialisent une zone d’écoute où le temps n’existe pas8. Ce qui nécessite, pour accepter cette hypothèse, de s’écarter des lois de la théorie de la relativité générale où chaque « objet » possède sa propre trajectoire, son propre espace-temps, pour concevoir, via la physique quantique, une superposition de temps propres différents parvenant tout de même à s’équilibrer, s’accordant progressivement, pour partager l’expérience d’un temps vécu collectivement sans, cependant, que cette expérience ne soit nécessairement une communion. Francisco López questionne la nature de nos relations humaines, à nous-mêmes, aux autres et à la biosphère que nous habitons, seuls, ensemble et à distance les uns des autres. Nous verrons dans les situations d’écoute élaborées par López la métaphore de territoires personnels, émotionnels en connexion permanente avec l’invisibilité ressentie du monde et de l’altérité – révélant comment l’engagement collectif procède de la responsabilité et de la créativité de chacun, et inversement. Territoires que nous qualifierons d’univers locaux (C. Esclapez, 2013 : p. 35-57).

9On admettra que nos situations locales (personnelles, individuelles, singulières) sont incitatrices de notre insertion dans le monde et dans sa réalité sociétale, sensible, historique, spirituelle ou symbolique. Sans cette insertion dans quelque chose de plus vaste qui nous entoure, voire même qui nous dépasse (si nous acceptons que la dimension transcendantale soit aussi une composante de notre rapport au monde et aux choses), il nous est difficile de nous connaître (et de nous re-connaître) face aux autres que nous qui habitent, également, et de façon simultanée, ce même monde. Les expériences d’écoute proposées par l’artiste espagnol (et par bien d’autres que lui œuvrant dans le champ de l’écologie sonore) donnent l’occasion à nos localismes respectifs de se côtoyer, peut-être même de se rencontrer, c’est-à-dire de converser librement, de façon risquée tant il est toujours un peu délicat de révéler aux autres ce qui fait de nous des êtres singuliers et dans le monde. Dans cette écoute intensifiée, nos genèses respectives dialoguent avec celles des autres mais aussi avec celles d’une communauté, plus large, faite de pensées, d’idées et d’actions ; d’a priori, de certitudes, d’acquis mais aussi de doutes et de zones franches. S’il ne s’agit pas ici de réactiver la théorie depuis longtemps discutée de la récapitulation (dont l’initiateur a été Ernst Haeckel) où l’ontogenèse de l’être récapitule la phylogenèse de l’espèce, nous souhaiterions simplement souligner les nœuds inextricables qu’une philosophie de l’écoute active. Si ce nouage permet la reconnaissance d’une certaine forme de relativité : nos localismes nous condamnent souvent à ne pas voir le même monde, quelquefois même à ne pas voir la même chose ou la même réalité, ou encore à demeurer dans la projection de nous-même face aux autres et aux choses du monde ; leur coexistence avec une certaine forme de permanence leur confère un caractère universalisant qui adoucit (ou perturbe) la relativité restreinte impliquée par le localisme des formes de perception et de représentation.

10S’il est question ici de l’entente comme négociation, comme base d’un partage collectif, nous y adjoindrons l’écoute comme nouage de nos subjectivités. L’écoute traversante, docile, s’en remettant à la continuité, à l’évidence de ce qui relie, de ce qui arrive, confiante en ce qui va arriver. Mais aussi, l’écoute attentive aux événements, aux détails, aux reliefs, aux ratures, à l’étrangeté, à tout ce qui n’entre pas dans la conformité de ce qui est de l’ordre du connu et du re-connu. L’écoute qui, tout en reconnaissant (permettons-nous un détour vers une analogie des plus naïves), l’utilité des autoroutes filant tout droit n’exclut pas de prendre quelques chemins de traverse pour pratiquer une sorte de dérive situationniste qui dilate le temps du voyage tout en le rendant paradoxalement plus intense. Ainsi parviendrons-nous, peut-être, à contourner nos solitudes d’être pour tenter de devenir des êtres polyphoniques. On pensera alors, et en dernier lieu, au concept d’exotopie bakhtinien. À cette volonté qu’avait son auteur de concevoir une « dialogique de la culture » (T. Todorov, 1981 : p. 161)9 ce que, nous semble-t-il, Francisco López explore musiciennement en « (re)sensibilisant » les zones érogènes de nos auralités.

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http://www.franciscolopez.net/

Notes   

1 Susan Petrilli (2012), « Sebeok’s semiosic universe and global semiotics », http://www.susanpetrilli.com/PDF/Sebeok.pdf.

2  Voir le live in Dundee disponible via le site officiel de l’artiste : http://www.franciscolopez.net/

3  T. B.W. Bailey (2009) note par exemple que Francisco López cultive l’anonymat jusque dans les moindres détails, notamment dans le visuel de ces CD réduit au minimum : couleur noire, pas de référence titulaire, pas de nom d’auteur, pas de livret.

4  Nous ne ferons pas, ici, une analyse comparée de la posture de Francisco López vis-à-vis de celles de R. Murray Schafer ou de John Cage. López s’est cependant largement exprimé à ce sujet, et il y aura là indéniablement matière à questionnement et à prolongement. Rappelons que sa vision est extrême et que cette distinction, notamment avec la conception cagienne, n’est pas si évidente, ni même si effective.

5  Voir l’expérience d’écoute relatée par Mathias Delplanque lors de la performance de López qui a eu lieu le 12 septembre 2004 à La Sala Rossa à Montréal, op. cit.

6 Voir l’entretien avec John Duncan (2013), compositeur et performeur, http://www.johnduncan.org/wlassoff.f.html.

7  La région centrale du « trou noir » ne peut être décrite de façon satisfaisante par les théories physiques actuelles. Seule, une théorie de la gravitation quantique le permettrait mais, à ce jour, elle est manquante. Soulignons cependant les recherches de Carlo Rovelli, physicien italien, chercheur au Centre de Physique Théorique de Luminy-Marseille : http://www.cpt.univ-mrs.fr/. Rovelli théorise une théorie de la gravité quantique à boucles qui tente une conciliation de la relativité générale (lois de la physique à grande échelle) et de la mécanique quantique (lois de comportement de l’infiniment petit).

8 Entretien avec Carlo Rovelli (2013), http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier/1-carlo-rovelli-il-faut-oublier-temps-01-06-2010-82542.

9  Voir particulièrement la section intitulée « Altérité et interprétation », p. 166 et sqq.

Citation   

Christine Esclapez, «Les « univers locaux » de Francisco López. Images in-temporelles du temps», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Artistes de l’écologie du son, Musique et écologies du son. Propositions pratiques pour une écoute du monde, Numéros de la revue, mis à  jour le : 07/05/2015, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=680.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Christine Esclapez

Christine Esclapez est musicologue, Professeure à Aix-Marseille Université. Elle est chercheuse au LESA (Laboratoire d’Études en Sciences des Arts), EA 3274, et directrice artistique du festival Architectures contemporaines (Festival universitaire de jeunes créations artistiques) qu’elle a créé en 2008. Elle a fondé en 2010 un groupe de recherche consacré à la jeune recherche et intégré dans le LESA : le CLEMM (Création et Langages en Musiques et Musicologie) avec lequel elle débute la publication annuelle d'ouvrages collectifs aux éditions L'Harmattan dans la collection « Philosophie et sémiotique de la musique » (J.-F. Kremer, dir.) : Ontologies de la création en musique. vol. 1 : Des actes en musique, 2012 ; vol. 2 : Des instants en musique, 2013 ; vol. 3 : Des lieux en musique, 2014, à paraître. Elle a publié, en 2007, La musique comme parole des corps. Boris de Schloezer, André Souris et André Boucourechliev, avec une préface de Daniel Charles, aux éditions L’Harmattan. Elle a réédité aux Presses universitaires de Rennes l'ouvrage de Boris de Schlœzer sur Stravinsky (1929) qui a obtenu le Prix de la réédition, Prix des Muses, Palmarès 2012. Elle travaille actuellement dans lechamp de la performance et a publié plusieurs articles sur la chanteuse, compositrice et dramaturge espagnole Fátima Miranda.