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L'Ethnographie

L’institution politique et les enjeux de l’art-sport

Démocratisation, reconquête de l’espace public et dépassement des frontières parisiennes

Carine Rolland et Pierre Rabadan

Juin 2021

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/ethnographie.1043

Résumés

L’entretien réalisé avec Carine Rolland et Pierre Rabadan pour la Ville de Paris présente le sens donné par l’institution politique des enjeux de l’art-sport en général et dans le contexte de l’Olympiade culturelle. Ce sont des enjeux de démocratisation du sport et de la culture avec ses dimensions sociales et sanitaires, des enjeux de reconquête de l’espace public au sens de lieu de partage et de découverte, des enjeux de décloisonnement entre des univers qui paraissent souvent exclusifs l’un de l’autre, des enjeux de dépassement des frontières qui enferment Paris et les départements qui l’entourent et des enjeux de réactivation du sens de la proximité par la création de dynamiques de quartiers. La crise de la COVID-19 a montré le potentiel du numérique, qui devient un atout des politiques publiques dans la mesure où il a permis de maintenir et de nouer des liens entre les individus et le sport et/ou la culture. Transcription de l’entretien réalisée par Adèle Fernique.

Texte intégral

1Nil Dinç : Madame Carine Rolland, monsieur Pierre Rabadan bonjour. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

2Carine Rolland : Bonjour à toutes et à tous. Je suis Carine Rolland, adjointe à la Maire de Paris, Anne Hidalgo, en charge de la Culture et de la Ville du quart d’heure.

3Pierre Rabadan : Je suis Pierre Rabadan, également adjoint à la Maire de Paris, chargé du sport, des Jeux Olympiques et paralympiques de 2024.

Carine Rolland

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Adjointe à la Maire de Paris en charge de la culture et de la ville du quart d’heure

Sophie Robichon / Ville de Paris

Pierre Rabadan

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Adjoint à la Maire de Paris en charge du sport, des Jeux Olympiques et Paralympiques

Joséphine Brueder / Ville de Paris

4Nil Dinç : Madame Rolland, est-ce que vous pourriez nous exposer brièvement les politiques publiques que vous mettez en œuvre à Paris ?

5Carine Rolland : C’est extrêmement vaste ! Je ne vais pas vous détailler les politiques publiques culturelles que nous mettons en œuvre à Paris in extenso, mais vous dire que le mandat qui s’ouvre – puisqu’il a démarré il y a un an avec une année un peu chaotique et particulière – nous le plaçons, avec la Maire de Paris, en matière culturelle, sous l’angle de la rencontre. À Paris, nous avons cette chance d’avoir un très grand nombre d’équipements culturels, de dispositifs et une immensité d’artistes donc tous les éléments sont là pour que la vie culturelle foisonne. Elle est déjà très intense, très vivante, mais notre objectif, c’est de faire en sorte qu’elle soit plus partagée encore et que la culture dialogue avec d’autres champs de l’action publique, dont le sport.

6Nil Dinç : Comment la mise en lien entre les milieux de l’art et du sport vient-elle faciliter cette rencontre et ce développement dont vous parlez ?

7Carine Rolland : La mise en lien entre art et sport sur laquelle nous travaillons ensemble, Pierre et moi, consiste notamment à aller à la rencontre des publics des uns et des autres. Quand je disais que nous souhaitions densifier et rendre encore plus vivante la vie culturelle pour tous, c’est bien de cela dont il s’agit : un certain nombre de Parisiennes et de Parisiens ont l’habitude d’aller au cinéma, au théâtre, au musée et d’assister à diverses performances. D’autres, moins. Et nous savons qu’en croisant nos pratiques avec le sport, nous allons pouvoir aller à la rencontre de publics plus habitués au sport qu’à la culture. Et l’inverse est vrai aussi. Nous avons déjà commencé à faire cette mise en lien à travers tous les lieux que nous pouvons partager, mais aussi à travers l’espace public. C’est un enjeu important que de faire en sorte que la culture soit au plus près de la vie des Parisiennes et des Parisiens. Je passe beaucoup de temps en ce moment au Musée Carnavalet qui va réouvrir après des années de travaux et je suis frappée de voir à quel point, à travers l’histoire, l’espace public parisien était investi par des foules. Dans la période que nous traversons, les foules n’ont pas leur place, et depuis quelques années, les contraintes de sécurité ont rendu les rassemblements plus compliqués, et pourtant : la vie parisienne, la vie collective, s’est, au fil des ans, beaucoup déployée dehors. Il me semble que revenir à cela en croisant art et sport, c’est quelque chose de très enthousiasmant qui peut vraiment parler aux Parisiennes et aux Parisiens.

8Nil Dinç : Monsieur Rabadan, est-ce que vous pouvez nous parler brièvement des politiques publiques que vous mettez en œuvre à Paris ?

9Pierre Rabadan : Je vais essayer d’être le plus synthétique possible parce que, comme pour la culture, il y a beaucoup de choses à dire ! D’abord, des éléments de contexte : nous sommes dans une ville, Carine Rolland l’a dit, qui est extrêmement dense et où nous avons un taux d’équipements sportifs par habitant qui est relativement faible, ce qui n’est pas satisfaisant et ne répond pas à la demande. Nous avons ainsi un nombre assez limité d’équipements, qui sont sur-occupés aujourd’hui. À partir de là, comment, dans ce contexte, trouver des solutions innovantes pour permettre aux gens de faire plus de sport ou d’en faire mieux ? Ma feuille de route consiste d’abord d’utiliser au mieux les équipements sportifs existants, et d’optimiser leur utilisation. Elle consiste ensuite à réhabiliter ceux qui sont vieillissants, comme c’est le cas depuis 2001 déjà, car Paris est une ville d’histoire avec des contraintes patrimoniales ; situation formidable, mais qui nous engage à maintenir un niveau d’investissement important sur nos équipements. Mon objectif est enfin d’investir l’espace public. Je crois que notre marge de progression se trouve vraiment à ce niveau -là. Nous avons pu le constater pendant le confinement : l’art et le sport ont été pris à la gorge – cela est d’ailleurs aussi un facteur de rapprochement. Et nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un réel besoin chez les gens. Du côté du sport, nous savons qu’avec l’évolution des méthodes de travail, la population bouge moins, se déplace moins, et s’installe dans une sédentarité de plus en plus inquiétante. Ce phénomène a encore été accentué par les différents confinements. Or de nouvelles pratiques se développent aujourd’hui : dans le contexte d’équipements fermés, les gens sont sortis faire du sport, ont réinvesti l’espace public, selon des modalités parfois nouvelles. Et il revient à la Ville de Paris de s’adapter à cela. En plus de notre offre traditionnelle, que nous continuons à alimenter et à structurer autour des clubs, qui sont pour nous des lieux de vie sociale essentiels qui permettent une pratique encadrée, nous voulons aussi accompagner le développement d’une pratique libre, d’une pratique dans l’espace public. L’appropriation par la population de cet espace public peut contribuer à développer la pratique de l’activité physique, qui est aussi un enjeu de santé publique. Et je pense que la culture est aussi un moyen, comme le disait très bien Carine, d’amener des gens qui n’ont pas forcément une pratique sportive régulière, mais qui ont peut-être une sensibilité à la culture plus grande, à de la pratique sportive. Et, à l’inverse, amener des sportifs et des sportives, qui sont parfois éloignés des pratiques culturelles, à découvrir cet aspect artistique, à travers ou dans le cadre de leur pratique sportive et de les orienter vers la découverte de ce milieu qui est formidable. Ce sont vraiment deux domaines qui pour moi doivent s’auto-alimenter et s’enrichir mutuellement.

10Nil Dinç : Par rapport à ce souci que vous avez de voir des pratiques se développer dans l’espace public, d’après vous, comment le fait de travailler ces liens entre art et sport permet d’ouvrir ces nouveaux espaces ? Comment est-ce que ça peut faire levier ?

11Pierre Rabadan : Nous travaillons beaucoup – et ce n’est un scoop pour personne – à la diminution de la place de la voiture dans l’espace public, et à la reconquête de cet espace qui a été envahi par nos modes de déplacement. Les voies sur berge en sont aujourd’hui, un très bon exemple : c’est un lieu que l’on s’est approprié, où l’on pratique le sport, où nous avons eu l’occasion d’installer des œuvres et des projets culturels, c’est un lieu où l’on passe à proximité d’un patrimoine très riche à Paris et tout le monde apprécie beaucoup cela. Je pense que nous aussi nous pouvons nous servir de la puissance culturelle, de l’ouverture culturelle dans nos équipements sportifs pour sensibiliser les gens à l’art. Et puis, comme le disait Carine, nous réfléchissons beaucoup à partager des équipements. L’exemple que nous utilisons souvent parce qu’il est assez criant, c’est celui du Carreau du Temple qui a été rénové il y a quelques années et qui est pour moi le symbole d’un espace qui accueille à la fois des lieux de pratique purement sportive et des lieux culturels avec une programmation très ambitieuse. Et on voit que ces deux domaines coexistent. Je crois aussi que le sport – c’est dans son ADN – a besoin de cette ouverture au monde, de cette capacité à vivre avec l’autre, à apprendre de l’autre et c’est ce que nous enseigne beaucoup la culture. Ce sont deux moyens qui doivent permettre l’émergence de cette coexistence entre l’art et le sport.

12Nil Dinç : Quelle place donnez-vous à la culture sportive, c’est-à-dire les clubs, la vie des clubs, tout ce qui est lié au sport et qui n’est pas directement du résultat sportif, dans vos politiques publiques ?

13Pierre Rabadan : Je dois avouer que je trouve que nous avons hélas, en France, une culture sportive trop peu développée à mon goût. J’aimerais travailler, à l’aide du plus grand événement mondial que sont les Jeux Olympiques et Paralympiques et grâce à l’ambition que nous portons ensemble pour l’Olympiades culturelle, à développer cette culture sportive pour changer un peu d’angle d’approche de la pratique sportive. Aujourd’hui, beaucoup considèrent que le sport c’est soit du spectacle, du haut niveau, ce que l’on voit à la télévision, soit du loisir. L’entre-deux est assez vide dans la culture populaire et je pense que dans une société qui fonctionne mieux, l’activité physique et la culture sportive doivent prendre une part plus grande. Je pense que cela passe aussi par le développement des clubs, de leur savoir-faire, de leur capacité à aller chercher des publics qui sont éloignés de la pratique sportive aujourd’hui. Nous essayons donc d’accompagner la structuration des clubs et non pas leur professionnalisation, d’accompagner les dirigeants et les bénévoles sur ce qu’ils savent faire, les aider à aller chercher par exemple des femmes éloignées de la pratique, des jeunes qui sont, selon leur situation géographique, selon leur histoire familiale à la fois éloignés d’une pratique sportive, mais aussi d’un domaine culturel qu’ils n’ont peut-être pas eu la chance de découvrir.

Piste d’athlétisme

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Journée Olympique 2017

Jean-Baptiste Gurliat / Ville de Paris

14Nil Dinç : Madame Rolland, les Jeux Olympiques sont précédés d’une Olympiade culturelle, comment l’envisagez-vous aujourd’hui ?

15Carine Rolland : Avec enthousiasme, avec énergie ! Et avec Pierre Rabadan, évidemment, et beaucoup avec Anne Hidalgo.

16Pierre Rabadan : Surtout !

17Carine Rolland : Oui, surtout ! Au-delà de la pointe d’humour, il me semble que c’est vraiment un moment très important pour tout ce que nous venons d’évoquer. Aussitôt les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo terminés, nous pourrons démarrer l’Olympiade culturelle, qui aura une durée de trois ans et non de quatre, en raison de la COVID-19. Ce sera une période pendant laquelle nous pourrons célébrer les valeurs de l’olympisme en nous appuyant à la fois sur les arts et sur le sport, en travaillant de nouveau cette rencontre. Nous avons désormais la certitude que nous démarrerons cette Olympiade culturelle à l’automne avec un grand moment. Nous pourrons vous en dire plus dans quelques semaines, pour l’instant, c’est encore un peu tôt. Mais ces années-là doivent être l’occasion de faire dialoguer sport et culture, de mettre de la culture partout dans la ville et pas seulement ; il s’agit aussi de traverser le périphérique, bien sûr. Les Jeux Olympiques ne seront pas que parisiens, ne seront pas uniquement intramuros. C’est l’occasion de travailler à l’échelle d’un territoire qui dépasse les enceintes historiques de Paris et l’Olympiade est vraiment réfléchie en ces termes-là. Nous nous appuyons sur des artistes qui sont très volontaires, très enthousiastes à l’idée de faire se rencontrer des pratiques complètement artistiques et des pratiques sportives. J’y reviens, nous avons la chance à Paris et en Île-de-France d’avoir des artistes de tous horizons, de tout âge, de toute discipline qui se prêtent très bien au jeu - « on est dans le cadre de l’Olympiade, qu’avez-vous à proposer ? » - et les propositions peuvent être extrêmement vastes : ça va de la marche à la breakdance qui vient de faire son entrée dans les disciplines Olympiques et en passant par la danse, le cirque, le jonglage et que sais-je encore. L’idée, pendant ces années-là, c’est d’émailler le territoire qui sera celui des Jeux Olympiques et de faire appel à des disciplines très variées.

18Nil Dinç : Ce rapport entre les disciplines, ce rapport art-sport, il va donc se travailler entre les acteurs de terrain, les artistes, les clubs et peut-être aussi entre les services de la Ville ?

19Pierre Rabadan : Nous avons déjà commencé. Le décalage d’un an des Jeux Olympiques et paralympiques de Tokyo a eu quelques conséquences. Malgré tout, nous avons mis en place l’Olympiade culturelle pendant l’année 2020. Six projets ont été financés dans ce cadre. Avec l’actualité lourde de l’épidémie, on n’en a pas forcément entendu parler à la hauteur de la qualité des projets, mais nous avons déjà fait plusieurs choses. D’abord, avec Paris 2024 et les partenaires des Jeux, nous allons rénover des équipements et y faire travailler des artistes. En 2021, six terrains de basket principalement vont être redécorés par des artistes, un autre dans le 18ème arrondissement pour l’Euro. Nous avons développé aussi les Paris Sport Vacances…

20Carine Rolland : Et culture !

21Pierre Rabadan : Oui, j’allais y venir. Les Paris Sport Vacances sont au départ des dispositifs qui servent à accueillir des jeunes qui ne peuvent pas partir en vacances, ou qui sont à Paris pour les vacances et qui leur proposent des activités sportives. Maintenant, nous y avons mêlé des demi-journées culturelles : ils font du sport le matin et une activité culturelle l’après-midi, ou vice-versa. Et nous nous sommes rendu compte que c’était bénéfique pour les deux pratiques. Parce que faire du sport sur toute une journée, c’est sûrement trop en terme énergétique, et ça peut amener une perte de qualité. Et de l’autre côté, ils apprennent davantage, ils voient des univers différents et en plus ils s’éclatent plus à faire du sport parce qu’ils le pratiquent sur un temps plus compressé. Nous allons décupler ce dispositif et en développer d’autres. L’Olympiade culturelle parisienne va être marquée par des rendez-vous réguliers dans l’espace public, dans les différents lieux patrimoniaux parisiens, qui vont réunir les univers de la culture et du sport, montrer la façon dont ils peuvent être entremêlés et nous apprendre qu’il existe déjà dans l’histoire des liens qui ont été faits qui ne sont pas toujours connus. C’est vrai qu’il y a une forte demande du CIO qui nous a confié l’attribution des Jeux pour 2024. Je pense qu’ils ont été séduits par l’aspect culturel, par l’histoire de Paris. L’Olympiade culturelle, c’est un mélange des univers que nous essayons de scénariser et qui va être mis en place dès l’automne.

22Nil Dinç : Vous évoquiez la crise COVID-19, les milieux de l’art et du sport ont été fortement impactés par cette crise sanitaire, comment ont réagi les acteurs locaux avec lesquels vous travaillez et que souhaitez-vous retenir de leurs réactions ?

23Carine Rolland : Ils ont été violemment impactés. En culture comme en sport, nous avons connu un arrêt total des activités. Malgré la reprise graduée, c’est cette impression d’arrêt qui a prédominé. J’en retiens paradoxalement un effet en creux : nous nous sommes globalement rendu compte de l’importance de la culture et du sport parce que nous en étions privés. De fait, c’est plutôt une bonne nouvelle ! J’espère que ce sentiment de nécessité va perdurer chez les publics. Du côté des professionnels de la culture, j’ai surtout été marquée par leur capacité de résistance incroyable, leur capacité d’innovation. Les artistes se sont énormément mobilisés pour rester présents auprès de leur public par des moyens numériques, notamment à l’occasion du premier confinement. Et par la suite, j’ai souvent entendu : « mais, en fait, ce n’est pas ça notre métier, notre métier c’est un lien vivant ». Sans renier l’importance que peut avoir le numérique pour aller chercher de nouveaux publics et pour maintenir un lien parfois perlé, ils m’ont dit aussi qu’il était temps maintenant de revenir à ce que José-Manuel Gonçalves, le directeur du 104, qui est d’ailleurs un lieu où se mêlent art et sport, appelle « la fabrication d’émotions directes ». J’aime beaucoup ce terme. Donc, dans un premier temps, il y a eu de la sidération bien sûr, puis une réaction très forte qui s’est déployée de différentes manières et, aujourd’hui, il y a une envie formidable de renouer avec la rencontre, avec les publics, avec l’activité. Là où nous avons un motif d’inquiétude à plus long terme, c’est pour les professions connexes au monde culturel : les métiers de la technique bien sûr, mais certains médias aussi, des agences d’événementiel… et nous savons que de ce point de vue-là, comme après un séisme, les répliques peuvent être violentes et longues. Nous sommes évidemment mobilisés à leurs côtés et extrêmement vigilants.

24Nil Dinç : Et vous Monsieur Rabadan, qu’allez-vous garder de cette crise sanitaire ?

25Pierre Rabadan : Plusieurs choses. Je partage parfaitement le constat de Carine. Et puis, je trouve que ce qui nous a le plus manqué, c’est la notion de partage. Aujourd’hui, nous sentons que certaines activités culturelles ou sportives ont perdu un peu de leur ADN. Même pour les sportifs qui ont eu la chance de pouvoir continuer leur pratique, c’était différent parce qu’ils ne l’ont pas partagée avec le public, et au final, cela a empêché la pratique d’évoluer. Nous avons, au fil du temps, senti de l’impatience et nous avons souvent appelé de nos vœux, auprès du gouvernement, une visibilité plus grande, malgré l’imprévisibilité de l’évolution de l’épidémie. Il y a eu d’abord de l’effarement puis de l’innovation, comme l’a dit Carine. Nous avons vu des gens trouver d’autres modes de pratiques. Et je pense qu’il faudra s’en inspirer pour aller chercher un public plus grand et réduire certaines notions de distance. Il y a quand même des enseignements à tirer de cette crise sanitaire.

26Nil Dinç : Dans ces nouvelles manières de faire, en avez-vous spontanément en tête ?

27Pierre Rabadan : Par exemple, nous avons eu recours à des cours de sport en visio avec des clubs. Ces cours ont trouvé un vrai public. Nous avons nous-mêmes été surpris du succès qu’ils ont eu. Plus tard, quand il y a eu une reprise, puis de nouveau une rupture de pratique, nous avons encouragé les clubs à essayer de garder le lien, à entretenir autant que faire se peut la connexion avec leurs licenciés. C’était difficile, mais nous avons été surpris par leur résilience et leur capacité à conserver cette approche-là. Mais ce sont aussi des secteurs qui drainent beaucoup de métiers connexes : l’événementiel, l’organisation, la technique, la sécurité, l’accueil… C’est un écosystème aussi important que dans le monde de la culture. Et cela pèse sur l’économie française et sur des individus, hommes et femmes qui sont encore aujourd’hui en souffrance. C’est la reprise progressive qui, je l’espère, ne sera plus interrompue, qui va permettre, maintenant que nous avons un horizon, de retourner vers une sorte de normalité. En tirant, je l’espère, les enseignements de ce qui s’est passé pour faire mieux à l’avenir, dans le « monde de demain » comme on disait lors du premier confinement. Je pense par exemple, à certaines personnes que je rencontre qui ne faisaient pas de sport avant le confinement et qui se sont mises à une pratique sportive parce qu’elles ont eu plus de temps, parce qu’elles se sont moins déplacées, parce qu’il y a eu le télétravail. Si nous arrivons à conserver ces personnes dans une activité physique régulière, ce sera un des rares épisodes positifs de cette crise sanitaire. « Bouger plus » est en effet un enjeu essentiel, les chiffres, notamment chez les publics jeunes, étant extrêmement préoccupants.

28Nil Dinç : Quel place occupe l’espace public dans vos politiques liées à l’art et au sport ? Est-ce qu’il y a des spécificités parisiennes à prendre en compte ?

29Carine Rolland : La principale spécificité, c’est que nous avons à partager l’espace public. Il se passe beaucoup de choses dans une ville comme Paris, on y vit, on y passe, on la visite, on y travaille etc… Et l’espace est déjà très densément occupé. Néanmoins, il nous semble que les manifestations visuelles, qu’elles soient vivantes ou non, sont importantes pour marquer une époque, pour célébrer l’histoire, pour bien des raisons. Ce qui fait que l’espace public parisien est peuplé d’œuvres plus ou moins anciennes dont nous nous attachons à ce qu’elles continuent de se renouveler. Et puis, nous avons vraiment le souhait de rendre les pratiques culturelles les plus proches possibles de la vie des Parisiennes et des Parisiens. Je considère que les pratiques culturelles relèvent d’un principe de liberté. Si on veut traverser la ville pour aller dans un musée ou dans un lieu de spectacle vivant, bien sûr, il faut pouvoir le faire et il faut que ces lieux soient les plus ouverts possibles. Mais il faut aussi à travers cette notion de ville de la proximité que nous portons avec Anne Hidalgo, que l’on puisse rencontrer des manifestations artistiques et avoir le choix de les apprécier ou non. C’est tout le jeu de la rencontre, de la confrontation qui peut fonctionner ou ne pas fonctionner, mais qui dans tous les cas permet la découverte. Et pour cela, l’espace public est tout à fait indiqué. D’ailleurs, je préfère parler d’espace de plein air parce qu’il faut respecter ce qu’est la création : on ne peut pas forcément installer une scène aussi réduite soit-elle et des gradins ou des chaises aussi peu nombreux soient-ils en bord d’une rue très circulante. Nous cherchons donc des endroits assez singuliers, des placettes, des croisements – et Paris en regorge – qui pourraient accueillir des manifestations artistiques. Nous l’avons déjà fait l’été dernier et nous le referons cet été. Nous avons lancé un appel à projets où nous avons appelé de nos vœux des propositions de manifestations faisant appel au sport et à la culture. La Direction des Affaires Culturelles est en train d’examiner les propositions émises dans le cadre de cet appel à projets. Tout cela se déroulera en tout cas en extérieur, c’est aussi un des aspects positifs de la COVID-19. Le plein-air doit redevenir un terrain de jeux.

30Nil Dinç : Vous évoquiez le fait que l’on vit dans une ville dense avec peu d’équipements sur le plan sportif et que vous cherchiez le développement de la pratique en espace public. Quelles sont les spécificités parisiennes ?

31Pierre Rabadan : Nous n’avons pas peu d’équipements, nous en avons près de 500, mais par rapport au nombre d’habitants, en effet, c’est assez faible. Par ailleurs, Paris est une ville extrêmement prisée en terme d’événementiels. En temps normal, nous accueillons quasiment 450 manifestations ou événements sportifs à l’année, ça veut dire plus d’une par jour ! Et évidemment, la plupart des événements sont à la recherche du cadre iconique de Paris, et pas simplement le centre historique. Nous continuons à valoriser des parcours tout au long de la ville. L’espace public, c’est ce qui appartient à tout le monde, c’est là où tout le monde se rencontre, où tout le monde vit et c’est ce qui mêle la culture et l’activité physique, c’est un endroit où l’on découvre mieux l’autre, où l’on apprend à vivre avec l’autre. Je crois que c’est là-dessus que l’art et le sport se rejoignent. Si l’on arrive à mêler ces deux domaines dans un espace qu’on partage tous, et si on le partage bien, l’objectif est atteint. On a eu par le passé un appel à projets qui s’appelait Paris Terrain de Jeux, c’est significatif. Ce que je souhaite faire, c’est identifier des parcours sportifs au sein de la ville qui permettent d’aller d’un point A à un point B en sachant quelle distance on parcourt, pour inciter à la pratique et offrir un cadre qui donne envie de faire du sport. Nous avons vraiment du travail à faire sur cette nécessité de donner envie. Et puis, il y a le travail de proximité. Nous savons que le club dans un quartier est une entité forte et puissante qui réunit ? Nous souhaitons développer des connexions entre les clubs, mais aussi entre les autres associations des quartiers, les commerçants… C’est la réunion de toutes ces forces-là, des forces sportives, des forces culturelles, des forces commerçantes, des forces associatives qui sont constituées par les habitants eux-mêmes, qui fait la richesse de notre ville. Pour finir, c’est ce concept que nous portons avec la Maire depuis que Paris a été candidate pour organiser les Jeux en 2024. Nos candidatures ont été plusieurs fois refusées, et je pense que la Maire a trouvé un angle très intéressant pour valoriser notre ville auprès du Comité International Olympique : nous voulons, et avec la Seine-Saint-Denis en premier lieu, des territoires qui soient décloisonnés, qui se rapprochent et qui créent de la proximité. Pour des raisons de moindre déplacement et de baisse de l’empreinte carbone, la plupart de l’héritage culturel sera dans le Nord parisien, et surtout en Seine-Saint-Denis avec le village Olympique. Nous avons voulu nous appuyer sur des infrastructures qui existaient déjà pour la plupart et qu’elles soient le plus possible à proximité de ce village Olympique. Nous voulons faire des Jeux qui soient utiles à la population. C’est tout ça que nous devons pouvoir raconter dans le cadre de l’Olympiade culturelle. C’est pour cela que nous avons une programmation ambitieuse et extrêmement motivante. Cela va être porteur et positif après cette période difficile. J’espère que nous voyons le bout du tunnel et qu’au bout de ce tunnel-là, il y aura l’accueil du plus grand événement qu’il est possible d’organiser dans le monde, c’est-à-dire les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024 !

La Grande Traversée Grand Palais

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Nuit Blanche 2019

Jean-Baptiste Gurliat / Ville de Paris

32Nil Dinç : Comment l’espace public peut-il jouer un rôle dans l’inclusion, dans l’accès à l’art, au sport ?

33Carine Rolland : Pierre le disait très bien, l’espace public, c’est un commun. C’est l’endroit où on va se rencontrer, y compris lorsqu’on ne l’a pas prévu. À partir de là, on peut tout inventer, si on y met les formes. On peut avoir une vision complètement fonctionnelle, utilitaire de l’espace public, et nous tenons à Paris à faciliter tout ce qui relève de l’indispensable. Mais on peut aussi considérer l’espace public comme un lieu d’expériences inédites, de rencontres entre sport, culture et habitants et tout cela est presque démultipliable à l’infini. C’est quelque chose qui est très important dans la vision qu’Anne Hidalgo a de sa ville, de faire en sorte de pouvoir utiliser – dans le sens noble du terme –, de pouvoir valoriser ce cadre magnifique. Et pas magnifique uniquement le long de la Seine ! Paris, c’est comme un palimpseste, on y voit absolument toutes les époques, des traces de l’histoire partout, et aussi de l’histoire qu’on écrit pour demain et pour les générations futures.

34Nil Dinç : De la rencontre, il y en a aussi eu pendant la crise COVID-19 sur les réseaux sociaux. Vous évoquiez tout à l’heure les développements des pratiques en visio, est-ce que sur le plan artistique ou sur le plan culturel, il y a quelque chose à garder de cette nouvelle place des réseaux sociaux ?

35Carine Rolland : Oui, parce que nombre d’établissements et de structures ont très bien su jouer de ça, au sens propre et au sens positif du terme. Ils ont commencé à élargir leur communauté, ils ont utilisé le temps qu’ils avaient pour partir à la conquête de publics qu’ils n’auraient pas forcément vu dans leurs salles. Nous avons assisté à des événements en ligne totalement inattendus. Cela a beaucoup fonctionné pour le spectacle vivant, qu’il s’agisse du théâtre ou de la musique classique notamment, qui se sont soudain démultipliés sur les fils de nos téléphones ou de nos ordinateurs. C’est une expérience sur laquelle il faut pouvoir s’appuyer, dans l’idée de créer un mouvement vertueux ; une fois qu’on y a pris goût sur les réseaux sociaux, il s’agit par la suite de venir écouter le concert ou voir le spectacle in real life.

36Nil Dinç : Merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé. Je vous souhaite une très bonne fin de journée.

Pour citer cet article

Carine Rolland et Pierre Rabadan, « L’institution politique et les enjeux de l’art-sport », L'ethnographie, 5-6 | 2021, mis en ligne le 01 juin 2021, consulté le 24 avril 2024. URL : https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=1043

Carine Rolland

Carine Rolland est Adjointe à la Maire de Paris en charge de la culture et de la Ville du quart d’heure. Diplômée de l’Institut d’Études Politique de Rennes, Carine Rolland est élue depuis 2008 dans le 18e arrondissement de Paris, au sein duquel elle fut d’abord Adjointe de Daniel Vaillant en charge de la culture (2008-2014) puis Première adjointe en charge des affaires générales, de la culture et du patrimoine d’Éric Lejoindre (2014-2020). En parallèle, elle a mené une carrière de cadre dans les domaines du marketing et de la communication au sein de diverses entreprises de médias (Groupes Lagardère, Bauer Médias, Metronews). Elle exerçait en tant que consultante spécialisée en communication et démarches participatives depuis 2017.

Pierre Rabadan

Pierre Rabadan est né le 3 juillet 1980 et a grandi à Aix en Provence. Il débute le rugby à 14 ans au club du PARC (ex - Aix Rugby Club) et arrive au Stade Français en 1998, club avec lequel il est champion de France junior en 1999. Il sera, avec le Stade Français, 5 fois champion de France (2000, 2003, 2004, 2007, 2015). Joueur international, il est sélectionné pour la première fois en équipe de France en 2004. Il disputera aussi de nombreux matchs avec les Barbarians français. Parallèlement, Pierre Rabadan a étudié le journalisme au CFPJ et suivi une formation à Sciences Po. Engagé de longue date dans le milieu associatif, il s’est investi auprès de l’association Un Maillot pour la vie, a été bénévole aux Restos du Cœur et a été très impliqué auprès de Sport sans frontières (maintenant Play International). Élu pendant 12 ans au comité directeur du syndicat des joueurs (Provale), il a aussi été entrepreneur et formateur-conférencier en entreprises. En 2015, après 17 saisons au Stade Français, il prend sa retraite de sportif et intègre le cabinet d’Anne Hidalgo en tant que conseiller sport. C’est dans ce cadre qu’il porte la candidature de Paris au JOP 2024 aux côtés de la Maire de Paris, ainsi que tous les grands événements sportifs de la première mandature d’Anne Hidalgo. En 2020, il décide de se présenter sur les listes de Paris En Commun dans le 14e arrondissement. Il est élu Conseiller de Paris et Conseiller Métropolitain le 28 juin 2020 et nommé adjoint de la Maire de Paris en charge du sport et des Jeux Olympiques et Paralympiques le 3 juillet 2020.