La BD photographique, un objet de narration sensible pour documenter les prémices de la colère des gilets jaunes

DOI : 10.56698/chcp.300

Résumés

Vincent Jarousseau est photographe documentaire. Depuis plusieurs années, il a entrepris de s’installer dans différents territoires en déprise démographique et marqués par la désindustrialisation. À partir de l’automne 2016, ce travail de documentation l’a notamment mené à Denain, une petite ville du Nord parmi les plus pauvres de France, située à côté de Valenciennes. Pendant deux ans, il y a suivi le quotidien de plusieurs familles populaires. Il a voulu interroger la place de la mobilité dans leur vie. Pour mener à bien ce travail, il s’est associé au Forum Vies Mobiles qui l’a accompagné et soutenu dans sa démarche. Par ses observations, il a cherché à nuancer la représentation mécaniquement positive qui est faite de la mobilité dans le contexte du début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il en est sorti un livre, plus précisément une BD photographique, Les Racines de la colère, deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche (Paris, Les Arènes). Cet ouvrage sorti en mars 2019, quelques mois après le début du soulèvement des gilets jaunes, nous invite à nous départir d’une vision morale surplombante de la mobilité géographique. Il nous ouvre les yeux sur l’espace de celles et ceux qui vivent pleinement les tensions et les risques du marché du travail.

The Photographic Comic Book, a Sensitive Narrative Object to Document the Presages of the Yellow Vests’ Anger”

Vincent Jarousseau is a documentary photographer. For several years, he has taken on to exploring various territories in decline
demographically and marked by deindustrialization. Starting in the autumn of 2016, his documentation work has led him to Denain, a small town in the North of France, one of the poorest in the country and located near Valenciennes. For two years, he followed the daily life of several working-class families who lived there. He intended to question the place of mobility in the lives of these families. To carry out this work, he joined the Forum Vies Mobiles, which accompanied and supported him in his work. Through his observations, he sought to nuance the mechanically positive representation of mobility in the context of the beginning of Emmanuel Macron’s five-year term. The result was a book, a photographic comic book to be precise, Les Racines de la colère (“Roots of Wrath”): it presents his two-year investigation in the France that does not “move forward”. This volume, published in March 2019, a few months after the beginning of the yellow vests’ uprising, invites to relinquish the moral vision overhanging geographical mobility. It is eye-opening regarding the territories of those whose lives are fully ensnared in the tensions and risks of the labour market.

Index

Mots-clés

photographie, documentaire, mobilité, bassin minier, classes populaires, gilets jaunes

Keywords

photography, documentary, mobility, mining basin, working class, yellow vests

Texte

La photographie raconte le monde, les sciences humaines et sociales nous aident à le comprendre. Mon approche consiste justement à tendre vers une réciprocité de ces deux univers. Force est de constater que la passerelle entre eux est de plus en plus souvent empruntée dans les deux sens par les artistes et les scientifiques, chacun trouvant chez l’autre des ressources qui structurent différemment l’interprétation du réel.

Depuis 2014, j’ai souhaité entreprendre un travail de documentation sur les « fractures françaises », qu’elles soient politiques, sociales, territoriales et/ou éducatives. Dès le départ, j’ai voulu engager cette démarche avec des universitaires. Ainsi, pour l’écriture de L’Illusion nationale, j’ai travaillé avec l’historienne Valérie Igounet (Institut d’histoire du temps présent (IHTP), dépendant du CNRS). C’est à partir de cette exploration au long cours du quotidien de trois communes gérées par le Front national que nous avons adopté la forme revisitée du roman-photo documentaire ou de la BD photographique. L’idée était alors de concilier représentation par l’image, comme objet de preuve documentaire (postures, costumes, expressions, décors ou intérieurs), et par les dialogues enregistrés et retranscrits, présentés dans des bulles empruntées à la bande dessinée. Un système narratif original, qui amène en douceur le lecteur à partager la vie des gens – ici des électeurs du Front national. Durant cette immersion de deux ans à Beaucaire (30), Hayange (57) et Hénin-Beaumont (62), nous avons recueilli la parole des habitants de ces petites villes, qui sont nombreux à exprimer un sentiment de relégation vis-à-vis des grands centres de décision, nous avons partagé beaucoup de temps avec ces personnes souvent en rupture avec les cadres habituels de la représentation politique.

C’est à partir de cette expérience que je me suis intéressé à Denain, dans le Nord, petite ville du bassin minier comptant parmi les plus pauvres de France. Certaines connaissances à Hénin-Beaumont m’en avaient parlé. Au départ, c’est la curiosité et l’envie d’en savoir plus qui m’ont amené à aller à sa rencontre. Lorsque je décide de travailler dans un territoire, je me fie aussi à mes premières impressions visuelles. À Denain, je suis immédiatement marqué par la forme de la ville, et aussi par ce qu’expriment les corps. J’arrive dans le quartier du « Nouveau Monde », l’ancien quartier Usinor. Certaines maisons sont murées, à l’abandon, la voirie est dégradée, une immense friche industrielle longe l’Escaut. Certains quartiers ont été réhabilités le long du tramway, mais il y a comme un goût d’inachevé. Surtout, je ne vois pas de lieux où se réunir, si ce n’est le centre commercial et l’hypermarché qui, curieusement, est localisé en plein centre-ville. Nombre de gens qui déambulent dans la ville présentent un surpoids ou un handicap. Ce sont des corps qui donnent l’impression d’être abîmés par la vie. D’autres marchent souvent la tête baissée, le dos voûté et les mains dans les poches. Je suis saisi par ces premières impressions. À l’automne 2016, la campagne électorale pour l’élection présidentielle n’en était qu’à ses prémices. C’est durant cette période que j’ai commencé à arpenter ce territoire et à y rencontrer quelques familles. Documenter leur quotidien et raconter leurs modes de vie s’est rapidement imposé à moi comme une évidence. J’avais envie de comprendre comment et pourquoi cette ville ne s’est jamais relevée après l’écroulement de l’industrie sidérurgique, quarante ans auparavant. Dans un premier temps, il m’a fallu plusieurs mois pour déterminer précisément à partir de quel angle j’allais poursuivre ce travail. Dans le contexte de l’élection présidentielle, c’est l’émergence de la candidature d’Emmanuel Macron qui m’a montré la voie. L’ancien ministre de François Hollande a tout de suite positionné son projet comme une rupture avec ceux de ses prédécesseurs. Son discours, marqué par une nouvelle forme d’injonction morale à l’endroit des classes populaires (cf. Révolution, le livre qu’il a publié en 2016), a immédiatement résonné comme s’il les interpellait. Il considère l’adaptation à un monde en pleine mutation, où la compétition fait rage, comme un impératif de survie.

La philosophie d’un mouvement comme En marche, corporate et mobile, détonnait dans cette ville de 20 000 habitants. Emmanuel Macron y a d’ailleurs réalisé un de ses plus mauvais scores. Fleuron nordiste du début du xxe siècle, berceau de la production d’acier et de charbon, où Zola était venu se documenter pour Germinal, Denain a perdu de sa superbe à l’annonce de la fermeture d’Usinor – ancêtre d’ArcelorMittal et plus grosse usine de la ville jusqu’en 1978. Elle a vu alors sa population diminuer d’un tiers, entre les années 1970 et 1980, dans un effet boule de neige. 50 000 emplois ont disparu. Un tiers des habitants a fui la région. Ceux qui restent sont les plus pauvres. Le taux de chômage oscille entre 30 % et 55 % chez les jeunes, et le taux de pauvreté approche les 45 %, selon l’Insee. Un territoire emblématique de cette France ayant subi de plein fouet les conséquences de la destruction de l’emploi industriel. Je décide alors de documenter la vie de ceux dont j’obtiens la confiance, à travers le prisme de l’injonction à la mobilité, si présente dans le discours présidentiel, et si problématique dans le quotidien des habitants de Denain. Emmanuel Macron a érigé la mobilité en valeur positive : « Il faut bouger pour s’en sortir. » Mais d’une certaine manière, il a essayé de vendre aux classes populaires, en particulier à ceux qui ont du mal à vivre de leur travail, une utopie morale à laquelle ils n’ont pas cru, tout en les culpabilisant : « Si vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute. » La question de la mobilité ou de l’immobilité est centrale dans nos vies. C’est une entrée qui permet de documenter les modes de vie, le rapport au travail, et de saisir la perception du monde extérieur.

C’est aussi durant cette période que je suis sollicité par le Forum Vies Mobiles (FMV). Cet institut de recherche financé par la SNCF interroge et étudie les mobilités, qu’il entreprend d’évaluer qualitativement, afin de préparer la transition mobilitaire des prochaines décennies. Cette démarche passe par une exploration des modes de vie mobiles s’appuyant sur des équipes de recherche interdisciplinaires et des artistes. Au départ, le forum me propose de travailler sur d’autres projets. De mon côté, je suis convaincu que travailler sur la relation des classes populaires à la mobilité dans un territoire post-industriel miné par le chômage et la pauvreté comme le Denaisis est pertinent. Je propose donc un synopsis détaillé de ma démarche à partir des premiers jalons posés depuis plusieurs mois à Denain. Après la validation du projet par la direction du FVM, il s’ensuit de nombreux échanges avec plusieurs universitaires ayant mené des recherches sur des thématiques similaires : Leslie Belton-Chevallier, sociologue des mobilités et des modes de vie à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), Arnaud Le Marchand, maître de conférences en sciences économiques à l’Université du Havre et Sylvie Landriève, co-directrice du Forum Vies Mobiles et géographe. Les travaux de ces chercheurs nourrissent ma réflexion et nos échanges réguliers me permettent de mieux définir la représentativité des personnes mises au premier plan dans l’ouvrage.

Ainsi, nous établissons ensemble une liste de protagonistes – certains sont déjà identifiés et d’autres, pas encore – correspondant aux catégories sociales représentées dans ce territoire. Sur le terrain, je m’efforce de rechercher ces personnes sans passer par des intermédiaires (« fixeurs », mairie, institutions ou associations). Cette démarche repose, selon moi, sur la qualité et les circonstances de chaque rencontre. Je tiens à faire en sorte que lors d’une rencontre, même fortuite, les gens soient disponibles pour me parler, d’où l’importance de l’environnement où l’on se parle. Les circonstances dans lesquelles ces rencontres ont lieu sont parfois dues au hasard, mais un hasard que je provoque, toujours. C’est la raison pour laquelle, j’ai fait le choix d’être seul sur le terrain. Par exemple, je rencontre pour la première fois Loïc et Tatiana (les deux premières personnes qui apparaissent dans le livre) dans le tramway qui relie Denain à Valenciennes. Ce n’est pas le fait du hasard. J’ai délibérément pris ce mode de transport dans le but d’y rencontrer l’un de ses usagers. Je sais que le tramway est principalement emprunté par des étudiants ou des lycéens (à 75 %). Les autres passagers sont généralement des personnes en recherche d’emploi, ne disposant pas du permis de conduire, mais habituées à utiliser les transports en commun. C’est exactement le profil d’usager que je cherche à rencontrer. Une fois le contact établi, c’est le temps et la répétition des rencontres qui me permettent de gagner la confiance des uns et des autres. Dans un premier temps, j’explique au calme ma démarche : qui je suis, d’où je viens, quelles sont mes attentes, quel est mon projet. Par la suite, les différents protagonistes « se racontent », se dévoilent. Certains le font tout de suite, d’autres attendent plusieurs mois avant de commencer à « se livrer ». La photographie vient dans un second temps.

Dans ce travail de documentation, je m’efforce de montrer des scènes de la vie quotidienne, là où on habite, dans les rues, les transports en commun, les voitures et les scooters qui permettent d’accéder aux lieux de travail, de formation, à Pôle emploi, à la campagne environnante ou encore aux ronds-points de la contestation des gilets jaunes. Des jeunes du coin au bord de la route sous le soleil d’été, un homme attendant à l’arrêt de bus à 6 heures du matin, une mère et sa fille dans la cuisine d’une maison de briques rouges, un père accompagnant sa fille en voiture sur son lieu d’étude en Belgique, une friche industrielle le long de l’Escaut. Comme dans mon précédent ouvrage, je veux proposer une expérience sensible et immersive pour le lecteur, afin de mettre en évidence les conditions de vie objectives et subjectives de ces familles populaires qui vivent dans la précarité économique et, pour certaines, la pauvreté.

Ce que met en évidence ce travail, c’est l’importance de la mobilité quotidienne de celles et ceux dont on dénonce, souvent à tort, l’immobilisme et les réticences à accéder à une formation ou à un emploi éloigné de chez eux. Denain est une petite ville située à une quinzaine de kilomètres de Valenciennes, près de la frontière belge. Le niveau global de qualification y est bas. Ainsi, les emplois peu qualifiés nécessitent des temps de déplacement accrus. C’est particulièrement le cas pour les métiers de la route, de la logistique, ou du BTP. Des jeunes consacrent trois heures par jour à leurs déplacements pour se rendre à l’école ou à une formation, d’autres dépensent 280 euros par mois pour se déplacer, alors que le budget de la famille est très modeste. L’importance de cette mobilité se mesure donc au temps qui lui est consacré dans la journée, à son coût excessif relativement au budget des ménages, aux difficultés (parfois insurmontables) que représente le fait d’obtenir le permis de conduire et de pouvoir le financer, d’acheter une voiture d’occasion, une voiture sans permis, ou un scooter. Enfin, le coût de cette mobilité se mesure à ses effets sur la vie familiale et conjugale, en particulier du fait de l’absence durant la semaine, ou des horaires de travail décalés, alourdis par le temps de transport. Le travail de représentation par la photographie montre qu’à Denain, les habitants sont depuis longtemps contraints à la mobilité : l’emploi industriel y a disparu, l’emploi tertiaire est encore peu développé, à l’exception des métiers du service aux particuliers, il est diffus géographiquement, le coût et le temps de déplacement sont importants, comme c’est le cas dans de nombreuses zones périphériques ou périurbaines. Les lieux de travail et de formation sont variés et reflètent l’hétérogénéité des conditions populaires, leur caractère genré et leur diffusion géographique : employée d’aide à domicile, ouvrier dans la logistique, bénévole d’une maison de retraite, chauffeur routier, ouvrier dans les travaux publics.

Dans mon travail, il m’a paru essentiel de nuancer la représentation mécaniquement positive qui est généralement donnée de la mobilité géographique pour l’emploi. Dans Les Racines de la colère, on voit des personnes qui travaillent, mais restent pauvres ou précaires, qui se déplacent ou tentent de le faire pour se former ou accéder à un emploi, mais échouent, d’autres sans emploi et sans moyen de transport, qui vivent dans la pauvreté, centrées sur un espace nourri par les liens d’entraide familiaux et amicaux. Ainsi, en montrant que même ceux qui sont mobiles ont des vies difficiles, l’ouvrage révèle que ce n’est pas la mobilité en tant que telle qui pose problème, mais les réalités du travail aujourd’hui, surtout quand celui-ci est peu qualifié. La mobilité ne permet pas de sortir systématiquement du faisceau de contraintes économiques, sociales et domestiques dans lequel les familles sont prises. Le cas de Loïc, travailleur intérimaire au RSA, dont on suit les galères de déplacement dans le livre, montre les limites d’une politique publique qui ne peut que constater les inégalités sans les résoudre.

Lorsqu’on lit ce livre et qu’on découvre le quotidien de ces personnages, la résonance avec les récits de vie exposés par les gilets jaunes depuis le début du mouvement est manifeste. Ainsi, dans les derniers mois de cette enquête, à la fin du printemps 2018, j’ai pu mesurer combien la colère qu’ont ensuite manifestée les gilets jaunes s’exprimait déjà jusque dans le secret des cuisines. Avant ce mouvement sans précédent, durant les dix-huit premiers mois du quinquennat d’Emmanuel Macron, les différents personnages avaient largement témoigné du sentiment d’humiliation causé par la parole présidentielle. Au-delà de cette parole, plusieurs mesures prises par l’exécutif ont été vécues comme de véritables injustices. Ainsi, dans les bulles du roman-photo, Guillaume dénonce par exemple la suppression de l’aide personnalisée au logement (APL) et des emplois aidés, Christian s’insurge contre la disparition de l’impôt sur la fortune, et Brahim a de plus en plus de mal à faire face à l’augmentation du prix du carburant… Logiquement, plusieurs protagonistes se sont engagés dans ce mouvement. On le voit à la fin du livre quand le routier Michaël, l’ouvrier dans le BTP et Adrien rejoignent le rond-point de Somain à quelques kilomètres de Denain. C’est la première fois qu’ils prennent part à un mouvement social. Michaël et Adrien, qui ne sont encartés dans aucun parti politique ou syndicat, se sont immédiatement reconnus dans les revendications des premiers gilets jaunes, ceux présents autour des ronds-points, dans les zones semi-rurales ou périurbaines. À la différence des autres personnages du livre, ils disposent d’une situation professionnelle relativement stable et de revenus plus importants que celles et ceux qui survivent grâce aux aides sociales ou au travail intérimaire. Pour autant, tous les deux disent avoir du mal à vivre de leur labeur. Leur engagement dans le mouvement correspond au soulèvement en masse qui est né en novembre et en décembre autour des ronds-points, et non aux manifestations du samedi dans les centres-villes. Travaillant du lundi au samedi, Michaël n’avait ni les moyens matériels ni les ressources physiques nécessaires pour s’inscrire durablement dans le mouvement. Sébastien, intérimaire dans le BTP était dans une situation similaire. Même s’il était très présent les premières semaines, il a été contraint de reprendre les missions d’intérim pour subvenir aux besoins matériels de sa femme et de ses enfants.

L’ouvrage et, plus encore, le contexte du mouvement des gilets jaunes, nous invitent à nous interroger sur l’apparent consensus politique lié à la question de la mobilité géographique des travailleurs : la démocratie peut-elle s’emparer d’un sujet largement gouverné par les logiques économiques de marché ou les dispositifs publics centrés sur la responsabilisation individuelle ? Peut-on prendre en compte le point de vue de celles et ceux qui vivent dans les espaces désindustrialisés et posent la question de l’ancrage ? Ces réflexions nous invitent à nous départir d’une vision morale et socialement surplombante de la mobilité géographique. On ouvre ainsi les yeux sur l’espace de celles et ceux qui vivent pleinement les tensions et les risques du marché du travail.

Les Racines de la colère est sorti en librairie le 13 mars 2019, quelques mois après le commencement du mouvement des gilets jaunes. Avant sa sortie, j’avais tenu à solliciter la maire de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini (PS), afin de pouvoir organiser une restitution de ce travail ouverte à tous les habitants de la ville, dans un lieu public. Elle en avait accepté le principe. Après que je lui ai envoyé un exemplaire du livre, elle a réagi dans la presse en me reprochant de donner une image faussée de la ville. La présentation publique a néanmoins été maintenue, le 30 mars 2019 à la médiathèque de Denain, mais sans que la mairie relaie l’information auprès de ses administrés. En revanche, les protagonistes du livre ont largement contribué à faire connaître cette rencontre en passant par les réseaux sociaux et en en parlant à leur entourage. Plus de 150 personnes se sont déplacées, parmi lesquelles les protagonistes et leurs amis, des habitués de la médiathèque, le député (Sébastien Chenu – RN), des élus locaux de toutes sensibilités (mais pas la maire), des gilets jaunes du rond-point de Somain, des syndicalistes de la CGT. La directrice de la médiathèque a dit n’avoir jamais vu un public aussi nombreux se déplacer pour la présentation d’un livre. Ce qui est ressorti de cette rencontre, c’est l’expression d’un sentiment de fierté. Fierté de se voir représenté dans un livre, fierté de pouvoir lire ses paroles restituées. Cette fierté a été publiquement exprimée par plusieurs protagonistes du livre – je pense à Loïc, Michaël et Fatma. Ce n’était pas rien de prendre la parole avec un micro devant tant de monde. Une directrice d’école à la retraite a dit combien elle avait été méfiante en ouvrant le livre. Mais, selon ses mots, à la méfiance a succédé un sentiment de « dignité retrouvée ».

Après cette rencontre, quatre-vingts autres se sont succédé en onze mois. Beaucoup ont eu lieu dans les Hauts-de-France, mais aussi partout ailleurs, dans des librairies, des médiathèques, des universités populaires, des lycées, des grandes écoles, des festivals. Une rencontre a été organisée avec un groupe de quinze détenus de la prison de Nanterre. Ils avaient préalablement reçu le livre et l’avaient lu. J’ai été surpris de la longueur et de la qualité de nos échanges. À l’occasion de plusieurs présentations, j’ai croisé la route d’anciens habitants de Denain, notamment à Paris. Ces personnes avaient pour la plupart quitté leur ville natale dans leur enfance ou à la fin de leur scolarité secondaire.

Ce livre a généré beaucoup de presse, bien au-delà de la période de promotion habituelle. Les Racines de la colère a été traduit en allemand et publié en mars 2020 aux éditions Blessing.

À partir du mois de septembre 2020, je vais coréaliser avec Laurence Delleur un film documentaire pour l’émission Infrarouge, diffusée sur France 2. Ce film se veut être un prolongement du livre. Nous allons suivre le quotidien de plusieurs jeunes de vingt ans. Ce sont les enfants de Michaël, Guillaume et Manu, trois protagonistes du livre. Pendant un an, nous allons essayer de montrer ce que c’est que d’avoir leur âge, dans un territoire parmi les plus pauvres de France, comment on cherche ou non à s’en sortir, avec ou sans enfant, avec ou sans permis de conduire, à Denain ou ailleurs…

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  • Ces images sont extraites du livre de Vincent Jarousseau (textes et photographies) et Eddy Vaccaro (dessins), Les Racines de la colère : deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche, Paris, Les Arènes, 2019.
    Nous remercions Les Arènes d’avoir autorisé Condition humaine / Conditions politiques à les reprendre dans cet article.



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Couverture du livre Les Racines de la colère : deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche.

▪ Crédits : Vincent Jarousseau / Éditions Les Arènes. Tous droits réservés.




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Citer cet article

Référence électronique

Vincent Jarousseau, « La BD photographique, un objet de narration sensible pour documenter les prémices de la colère des gilets jaunes », Condition humaine / Conditions politiques [En ligne], 1 | 2020, mis en ligne le 25 novembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=300

Auteur

Vincent Jarousseau

Né à Nantes en 1973, Vincent Jarousseau est diplômé d’histoire de l’art et d’histoire (université Paris I Panthéon-Sorbonne). Il est photographe documentariste, membre de l’agence Hans Lucas depuis août 2015 et du collectif de journalistes indépendants Les Incorrigibles. Ses photos sont régulièrement publiées dans la presse nationale et internationale (Libération, Le Monde, La Croix, Le Pèlerin, L’Obs, La Vie, les Échos, Society, Marianne, Phosphore, Le Monde des ados, XXI, Harper’s Magazine, Dissent, Das Magazin, Süddeutsche Zeitung, Focus…).