Condition humaine / Conditions politiques http://revues.mshparisnord.fr/chcp fr Les espaces pluriels d’une revue d’anthropologie du politique http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1151 De quoi se nourrit l’anthropologie politique ? Quel rapport entretient-elle avec l’actualité politique des sociétés à partir desquelles elle construit son savoir et ses réflexions, et quel(s) sens y puise-t-elle ? Dans l’introduction au premier des deux numéros consacrés aux gilets jaunes1, Marc Abélès, Serena Boncompagni et Sophie Wahnich remarquaient que la revue naissait en abordant cet évènement majeur qui aura bouleversé la société française, s’inscrivant d’ailleurs dans un mouvement plus large, au niveau global, de remise en question des formes traditionnelles du politique. Les « ronds-points », qui ont symbolisé ce mouvement, ont donc servi de repère pour s’engager dans l’aventure d’une nouvelle revue d’anthropologie. Le texte fondateur de notre ligne éditoriale exprimait l’ambition de construire un espace pour intercepter et analyser, d’une part, les transformations planétaires (écologiques, sociales, numériques, économiques, etc.), qui reconfigurent l’être au monde de l’humain et, par conséquent, l’idée de l’humain comme sujet politique individuel et collectif et, de l’autre, l’émergence de nouvelles formes du politique, qui demandent de repenser cet objet au-delà de ses frontières mêmes2. Pour imaginer cette nouvelle revue, il fallait partir de certains constats sur l’état actuel de l’édition scientifique en France et ailleurs, mais aussi de la réflexion menée ces dernières années sur l’histoire de l’anthropologie politique en France et son positionnement à l’intern sam., 20 mai 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1151 Tristes techniques ? Pour une connaissance anthropologique des faits techniques. Entretien avec Andrew Feenberg http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1000 À l’inverse du naturalisme et du juridisme de la pensée habermassienne, Andrew Feenberg a renouvelé la tradition critique par un examen du réel au plus près des pratiques, attentif aux rapports de force économiques et à la plasticité des objets techniques. Ses concepts d’« intervention démocratique », de « vie sociale de la raison » et le désencastrement entre technique et capitalisme que prône sa philosophie dessinent des capacités d’agir très différentes de celles de La théorie de la justice de John Rawls (1971). Dans cet entretien avec la philosophe Valérie Charolles, Andrew Feenberg revient sur son œuvre et sur la « modernité alternative », titre de son ouvrage de 1995, qu’elle permet de concevoir en particulier au prisme du réchauffement climatique. “For an Anthropological Knowledge of Technological Facts. Interview with Andrew Feenberg”In contrast to the naturalism and legalism of Habermasian thought, Andrew Feenberg has renewed the critical tradition through an examination of reality as it engages with practices, attentive to economic power relations and to the plasticity of technical objects. His concepts of “democratic intervention”, “the social life of reason” and the disengagement between technology and capitalism that his philosophy advocates is quite different from that of John Rawls’ The Theory of Justice (1971). In this interview with the philosopher Valérie Charolles, Andrew Feenberg returns to his work and to the “alternative modernity”, the title of his 1995 book, which we must now conceive in the light of global warming. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1000 Quelle histoire de la Révolution française pour notre temps ? À propos de Claude Mazauric, 1789. Sur la Révolution de France. Compte rendu http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1008 Né d’une conférence intitulée « Pourquoi s’intéresser à la Révolution aujourd’hui ? » (octobre 2018), Sur la Révolution de France est un texte court et se veut, pour l’historien Claude Mazauric, une tentative d’investir l’espace public. « L’Université permanente », où cette conférence a été prononcée, est un espace qui a pour partenaires la Fondation Gabriel-Péri et la revue Cause commune. Il se présente comme « un lieu d’éducation populaire qui s’adresse à tous les curieux qui entendent approfondir leurs connaissances ». Ancien cadre du Parti communiste français (PCF), Mazauric est une figure importante de l’historiographie « jacobine » de la Révolution française. Il est notamment connu pour ses travaux sur Gracchus Babeuf et sur les relations entre marxisme et Révolution française. Ce compte rendu revient sur sa volonté d’étayer, dans ce livre, une approche critique située au croisement de trois domaines : l’historiographie de la Révolution, la théorie du monde social et historique, et la diffusion des savoirs historiques dans l’espace public. Une lecture marxiste orthodoxe de la Révolution française L’analyse de la Révolution menée dans cet ouvrage se fonde sur le modèle marxiste des relations entre la base et les superstructures1. Pour l’auteur, la temporalité de la Révolution française s’inscrit dans la longue durée de la « généralisation transformatrice du modèle capitaliste marchand, puis industriel qui a accompagné puis stimulé le processus d’expansion […] de la domin jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1008 Russie : des nationalismes au prisme du social. À propos de Karine Clément, Contestation sociale à bas bruit en Russie : critiques sociales ordinaires et nationalismes. Compte rendu http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1015 Le nationalisme russe, comme un nationalisme parmi d’autres, a déjà fait l’objet de nombreuses études. L’originalité et la valeur euristique de l’ouvrage de Karine Clément résident avant tout dans son angle de vue : un prisme social lui permet de distinguer plusieurs déclinaisons du discours nationaliste selon la position sociale et économique de la personne qui le formule. Il offre une explication possible de l’omniprésence de cette idéologie « à la carte » où beaucoup peuvent se retrouver au-delà des fractures sociétales. Issu d’une enquête de terrain effectuée entre 2016 et 2018 dans six régions ou villes de Russie qui reflètent la diversité tant socio-économique que culturelle du pays, le livre s’appuie sur 273 entretiens ethnographiques centrés sur le récit de la vie quotidienne (source privilégiée de l’enquête). Ces entretiens ont été complétés par une cinquantaine d’observations ethnographiques « d’événements à teneur patriotique » (p. 142), les échanges de groupes de discussion et des entretiens avec des experts. Sur cette base empirique, la sociologue dégage « les différents types de configurations changeantes entre nationalisme, imaginaire social et sens critique » (p. 6). Cette démarche analytique aboutit à la construction de trois idéaux-types dont chacun combine une certaine version du nationalisme avec un imaginaire social et avec une forme particulière de la critique ordinaire. Sont ainsi distingués un nationalisme d’État – l’attachement à la nation « une et u jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1015 Les faux-semblants du discours sur l’état de droit : les visages de la paix en Haïti http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1023 Les justifications de l’ingérence internationale dans les affaires domestiques haïtiennes qui dominent les espaces politiques, médiatiques et diplomatiques prennent le plus souvent la forme de discours portant sur la « construction de la nation », « l’état de droit » et le « maintien de la paix ». Au cours des deux dernières décennies, le vocabulaire de l’État social, de la solidarité, de l’égalité économique, de la justice sociale, a fait place à celui de l’État de droit, de la stabilisation et de la sécurité. Cette logique est claire : la loi garantit l’ordre, l’ordre assure la sécurité, et la sécurité la stabilité ; celle-ci mène à la paix, et la paix facilite la transition vers une nation démocratique, prérequis d’un commerce international avantageux. Cependant, cette rhétorique légitime des pratiques guerrières. En effet, les Nations unies se sont mises à occuper le terrain institutionnel et géographique de ce pays connu pour avoir enduré l’une de forces de maintien de la paix les plus importantes et longues de l’histoire. En adoptant une nouvelle stratégie réglée par le chapitre VII, « Actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression » de la Charte des Nations unies, la présence internationale a souvent pris la forme d’offensives militaires contre-insurrectionnelles menées conjointement par la police et l’armée. Dès lors, il semblerait plutôt que, dans les faits, la paix promue ait le visage de la violence. Cet article, rédigé à partir d’une recherche ethnographique sur la relation entre la justice d’État et différentes formes de justice alternative, menée en Haïti entre 2016 et 2021, prend position et vise à faire entendre un autre récit de la violence et de la paix en Haïti. Sa vocation critique consiste à démêler, d’une part, les discours qui justifient des formes de violence spécifiques au nom de la paix et, d’autre part, les discours culturalistes qui dépeignent la violence et l’anarchie en Haïti comme des caractéristiques à la fois culturelles et endémiques. Parce que la souffrance qu’endure la population n’est ni fortuite ni propre à sa culture, et que l’extrême instabilité politique qui mine Haïti aujourd’hui n’est pas accidentelle : elles sont le produit d’une histoire où la communauté internationale est impliquée au plus haut point. “The Fallacy of the Rule of Law Discourse: The Faces of Peace in Haiti”The justifications for international interference in Haitian domestic affairs that dominate political, media and diplomatic spaces most often take the form of a rhetoric about “nation building,” “rule of law” and “peacekeeping.” Over the past two decades, the vocabulary of the social state, of solidarity, of economic equality, of social justice, has given way to that of the rule of law, of stabilization and security. The logic is clear: law guarantees order, order ensures security, and security ensures stability, which leads to peace, and peace facilitates the transition to a democratic nation, a prerequisite for beneficial international trade. However, this rhetoric legitimizes warlike practices. Indeed, the United Nations began to occupy the institutional and geographical terrain of this country, known for having endured one of the largest and longest peacekeeping forces in history. Adopting a new strategy regulated by “Chapter VII: Actions with Respect to Threats to the Peace, Breaches of the Peace, and Acts of Aggression” of the UN Charter, the international presence has taken the form of counterinsurgency military offensives conducted jointly by the police and the army. It would seem, therefore, that in reality, the peace being promoted has the face of violence. This article, based on ethnographic research conducted in Haiti between 2016 and 2021 on the relationship between state and non-state justice, aims to voice an alternative narrative of violence and peace in Haiti. Its critical vocation is to disentangle, on the one hand, the discourses that justify specific forms of violence in the name of peace and, on the other, the culturalist discourses that portray violence and lawlessness in Haiti as both cultural and endemic. Because the suffering that the population endures is neither accidental nor culturally specific, and the extreme political instability that undermines Haiti today is not accidental: it is the product of a history that involves the international community to the greatest extent. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1023 Le Brésil, entre la catastrophe et la nouvelle composition du travail http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1029 L’article propose un bilan de la situation politique brésilienne, c’est-à-dire de la catastrophe qui a mené Jair Bolsonaro à gagner les élections présidentielles en 2018. L’essor de l’extrême droite au Brésil est analysé dans la perspective de ses dynamiques globales, d’une part, et des facteurs propres au Brésil, d’autre part. Ces deux processus sont vus comme des phases spécifiques de l’émergence générale d’un fascisme de type nouveau. Notre approche consiste donc à situer le débat dans le contexte de deux inflexions majeures : tout d’abord, la dérive qui affecte les conflits sociaux, et ensuite, les transformations de la composition du travail. La société contemporaine est traversée par de profonds processus de fragmentation sociale, dont le moteur est la mise en place de dispositifs de mobilisation du travail qui perpétuent et amplifient la crise du salariat. Un émiettement croissant de la société rend la composition sociale de plus en plus floue. Les clivages traditionnels qui définissent les figures de l’ami et de l’ennemi se brouillent. Mais, loin de disparaître, ces figures circulent et multiplient les conflits dans toutes les directions. La violence qui en découle aboutit, d’une part, à une demande croissante de désignation de l’ennemi et, d’autre part, à une nouvelle dynamique de guerre. Un fascisme de type nouveau se propage sur ce terrain, avec sa capacité à conduire des guerres culturelles, et même réelles. Or, la véritable impasse que connaît le Brésil se trouve du côté des difficultés à appréhender la nouvelle composition du travail. Pour contribuer à renouveler l’effort de compréhension des transformations du travail et de recomposition urgente des politiques d’émancipation, cet article propose de rappeler les termes du débat sur l’énigme de la nouvelle composition du travail. Dans les années 2010, au Brésil, ce débat aujourd’hui oublié s’articulait autour de la notion de « nouvelle classe moyenne ». Nous en analysons les enjeux, notamment du point de vue du rapport entre le travail hors salariat et la distribution du revenu. “Brazil, between the Catastrophe and the New Composition of Labour”The article offers an assessment of the Brazilian political situation, namely the disaster that led to Jair Bolsonaro’s winning the presidential elections in 2018. The rise of the far right in Brazil is analyzed, on the one hand, in the perspective of its global dynamics and, on the other hand, of the specific Brazilian context. Both processes are envisaged as idiosyncratic phases of the emergence of a new type of fascism. The aim is therefore to situate the debate in the context of two major trends: first, the slippery slopes where that social conflicts are evolving and, second, the transformations in the composition of labour. Contemporary society is increasingly impacted by profound processes of social fragmentation, whose driving force is the establishment of labor mobilization mechanisms that perpetuate and amplify the crisis of salaried employment. The growing social fragmentation makes the social composition more and more fuzzy. The traditional divisions that produce the figures of friend and foe are blurred. But, far from disappearing, these figures circulate and prompt the outbreak of multidirectional conflicts. The resulting violence mutates, on the one hand, into a growing demand for who the foe is and, on the other hand, into a new dynamic of warfare. The new type of fascism is growing on this terrain, with its renewed ability to wage culture wars and even real wars. However, the real impasse where Brazil stands lies with the difficulties of apprehending the new composition of labour. A contribution to renewing efforts for understanding the transformations of labour and an urgent recomposition of emancipation policies, the article proposes to reconstruct the debate on the conundrum of the new composition of labour. In the 2010s, in Brazil, this now forgotten debate revolved around the notion of the “new middle class”. We reconstruct the issues at stake, particularly from the point of view of the relationship between non-salaried work and the distribution of revenue. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1029 Le bolsonarisme, une anomalie historique ? Le préjugé progressiste face au vote d’extrême droite http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1035 Cet article s’intéresse aux causes profondes du vote en faveur de Jair Bolsonaro, leader d’extrême droite devenu président du Brésil en 2018, à la stupéfaction de nombreux commentateurs, et candidat malheureux à sa réélection en 2022. Il repose sur deux enquêtes de terrain, l’une réalisée par les étudiants du Département d’anthropologie de l’Université de Campinas, l’autre, qui portait sur un quartier d’habitat précaire à Rio de Janeiro, par l’auteur. L’article part des hypothèses suivantes, contraires aux convictions progressistes : 1) le bolsonarisme ne se réduit pas à un phénomène transitoire, produit d’une conjoncture économique et politique très particulière, mais plonge ses racines dans l’histoire et la culture politiques brésiliennes ; 2) l’identification du bolsonarisme au fascisme nous empêche de comprendre les raisons du vote en sa faveur. En effet, l’analyse des discours de Bolsonaro et de ses électeurs révèle que ce vote met en œuvre un certain imaginaire démocratique, qui place la liberté au centre de ses valeurs, assigne une signification ethnoculturelle à la notion de majorité et considère l’État interventionniste comme une menace. Comble du paradoxe, cet imaginaire peut inspirer des tentatives de coup d’État et d’installation de régimes autoritaires prétendant protéger la démocratie contre ce qui serait son principal ennemi : le socialisme. L’article souligne enfin la difficulté épistémologique que pose le fait d’approcher un imaginaire politique si contraire aux convictions progressistes que partagent de nombreux anthropologues, pour des raisons personnelles et professionnelles. “Bolsonarism, a Historical Anomaly? Progressive Prejudice Grappling with the Far-Right Vote”This paper focuses on the root causes accounting for the vote for Jair Bolsonaro, the far-right leader who —to the amazement of many commentators— became president of Brazil in 2018 but lost his re-election bid in 2022. The analysis is based on two fieldworks: one carried out by students from the Department of Anthropology of the University of Campinas, the other by the author of this article, which focused on a working-class neighbourhood in Rio de Janeiro. This paper relies on the following assumptions, in opposition to progressive beliefs: 1) Bolsonarism should not be reduced to a transitory phenomenon, deriving from a very particular economic and political situation, since it has its roots in Brazilian political history and culture; 2) the identification of Bolsonarism with fascism is a hindrance to understanding why people cast their ballot for this movement. Indeed, the analysis of Bolsonaro’s speeches and of his voters’ ideas suggests that Bolsonarism mobilizes certain democratic imaginary, which places freedom at the core of its values, assigns an ethnocultural significance to the notion of majority and considers state intervention as an existential threat. And the greatest paradox is this imaginary may very well inspire coups and authoritarian regimes for the sake of safeguarding democracy against its allegedly enemy: socialism. The paper concludes on the epistemological difficulty of approaching this political imaginary so contrary to the progressive beliefs shared by many anthropologists, for personal and professional reasons. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1035 Se professionnaliser dans l’exil par la musique. Le cas d’un musicien de l’orchestre Orpheus XXI (Jordi Savall) http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1041 Orpheus XXI est un orchestre créé par le chef d’orchestre et gambiste catalan Jordi Savall en 2016 grâce à une subvention du programme Europe Créative de l’Union européenne. Cet orchestre s’adresse à des musiciens et musiciennes en situation de migration. Il leur permet de continuer à exercer leur métier d’interprète dans l’exil, et de l’enrichir par une activité de transmission auprès de jeunes et d’enfants rencontrés à l’occasion d’ateliers pédagogiques. Ces ateliers fonctionnent comme des instances de transmission des répertoires musicaux dont ces artistes sont les maîtres. Le projet s’est implanté en France, en Espagne (Catalogne) et en Norvège, de 2016 à 2018. Depuis 2018, des ateliers pédagogiques se développent en Allemagne (Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, NRW) sous le nom d’Orpheus XXI NRW.Cet article étudie le parcours, la biographie et la carrière d’un musicien réfugié de l’orchestre Orpheus XXI NRW, Azad Helez. Ces trois notions sont des outils pour tenter de mettre à jour la manière dont les institutions qu’il rencontre en Allemagne traitent la question de l’altérité. Le parcours s’intéresse aux chemins qu’une personne emprunte dans les espaces privés ou publics qui font la trame de son existence et aux environnements (professionnel, personnel, familial, institutionnel) qu’elle traverse. Cette notion permet de prendre en compte la capacité d’agir du musicien. La carrière ne vise que le monde du travail et analyse le trajet d’une personne dans ce monde. La biographie est la construction d’un récit, l’instauration d’une continuité après coup par la réflexivité de l’acteur à destination d’un public. Il s’agit d’observer, d’une part, comment Azad s’ajuste aux dispositifs de sa société d’accueil et, d’autre part, comment les dispositifs structuraux appréhendent la musique : comme un outil culturel pour la société ? Comme un outil d’inclusion pour les personnes en situation de migration ? Une approche biographique permet de prendre en compte cette articulation entre l’échelle individuelle et les échelles institutionnelles.À partir d’un terrain ethnographique mené auprès de ce musicien, cet article aborde la question du rôle joué par la musique dans la manière dont une personne en situation de migration peut élaborer une carrière professionnelle dans son pays d’accueil. Azad se professionnalise par la musique tout au long de son parcours depuis le Kurdistan syrien et dans son pays d’accueil, l’Allemagne. Comment la musique peut-elle être un vecteur d’inclusion pour des personnes en situation de migration forcée ? En construisant sa biographie – son enfance, l’apprentissage de la musique, les étapes de son exil – et en analysant la façon dont il conduit son existence en Allemagne, nous pouvons faire apparaître les processus qui amènent Azad à développer aujourd’hui ses activités musiciennes, et à faire de la musique un outil d’inclusion professionnelle, dans une tension constante entre intérêts professionnels et préoccupations personnelles pour sa famille proche.Car tout au long de son parcours d’exil, Azad devient musicien. Il enseigne la musique, compose, réalise des projets, participe aux ateliers pédagogiques d’Orpheus XXI NRW, et à ses concerts, joue par ailleurs dans plusieurs groupes. Il reçoit différentes preuves de la reconnaissance de ses pairs, qui lui permettent d’accéder au statut de musicien. Il s’engage dans une pratique musicienne qu’il veut de qualité, et considère aussi ses compétences comme une source de revenus. Il entre en contact avec des dispositifs musicaux sur lesquels il peut s’appuyer, comme l’ensemble Orpheus XXI NRW et la Landesmusikakademie de Cologne où il est en situation d’apprentissage, ainsi que la Musikschule de Bochum et le magasin Salar Music où il enseigne à son tour. Dans le cas d’Azad, la professionnalisation par la musique est un vecteur d’inclusion sociale autant que professionnelle en Allemagne, dans le Land de NRW. D’un autre côté, Azad se heurte à l’instabilité du métier de musicien qui l’amène à réfléchir à d’autres possibilités professionnelles et à renouer avec ses intérêts passés. “Professionalization in Exile through Music. The Case of a Musician in the Orchestra Orpheus XXI (Jordi Savall)”Orpheus XXI is an orchestra founded by Catalan conductor and gambist Jordi Savall in 2016 upon receiving a grant from the European Union’s Creative Europe programme. The orchestra targets migrant musicians. It allows them to continue to practice their profession as performers in exile and they are also mobilized in the framework of workshops where they teach to children and teenagers. These workshops are places of transmission of musical repertoires of which these artists are the masters. The project was implemented in France, Spain (Catalonia) and Norway from 2016 to 2018. Since 2018, pedagogical workshops have spread into Germany under the name Orpheus XXI NRW.This article examines the life course (parcours), biography and career of a refugee musician playing with the Orpheus XXI NRW orchestra, Azad Helez. The three notions evoked above are tools meant to uncover how the German institutions he evolves in deal with the question of alterity. The life course (parcours) pertains to the paths that the person takes in the private or public spaces that make up his or her existence, as well as the environments (professional, personal, familial, institutional) that he or she encounters. The musician’s agency is thus highlighted. The career focuses solely on the work environment and analyses a person’s path within this world. The biography is the construction of a narrative, the establishment of continuity a posteriori by the actor’s reflexivity, for an audience. The issues are thus to observe, on the one hand, how Azad adjusts to the structures of his host society, and on the other hand, how the structures apprehend music: as a cultural device at the service of society? as a device for the inclusion of people who find themselves in a situation of migration? A biographical approach allows us to take into account this articulation between the individual and institutional scales.Based on an ethnographic fieldwork conducted with this musician, this article addresses the role of music in the way a migrant person can build a professional career in his host country. Azad engages in professionalization through music in the different stages of his journey from Syrian Kurdistan to his host country Germany. How can music be a vector of inclusion for people in a situation of forced migration? By constructing his biography – his childhood, the learning of music, the different stages of his exile – and by analysing the way he leads his life in Germany, we can uncover the processes accounting for Azad’s conducting his musical activities today, and for making music a tool for professional inclusion, in a constant tension between professional interests and personal concerns for his family.Indeed, throughout his exile, Azad arises as a musician. He teaches music, composes, carries out projects, participates in the workshops of Orpheus XXI NRW with whom he gives concerts, plays in several ensembles. His peers offer him recognition, which allows him to achieve the status of musician. He is committed to practising highly quality music, and views his skills as a source of income. He engages with musical structures on which he can rely, such as the Orpheus XXI NRW ensemble and the Landesmusikakademie in Cologne, where he has the status of a learner; the Musikschule in Bochum and the Salar Music shop, where he is a teacher. In the case of Azad, professionalization through music is a vector for social and professional inclusion in Germany, in the land of NRW. On the other hand, Azad is confronted with the instability of the profession of musician, which prompts him to ponder over following alternative careers and to rekindle past interests. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1041 Reconnaissance et formes subjectives de résistance à la violence, en habitant le monde des Autres. À propos de Veena Das, Voix de l’ordinaire. L’anthropologue face à la violence. Compte rendu http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1047 L’expérience d’un texte, comme l’écrit Veena Das dans la postface de son premier livre traduit en français, est un « millefeuille composé de plusieurs couches de langage », et consiste pour elle à entendre « sa polyphonie, des langues et de[s] voix multiples, des variations de tons et des tonalités » (p. 208). Cet état intérieur de l’anthropologue fait écho aux timbres et aux expressions corporelles des gens, dans les rues des quartiers défavorisés de Delhi qu’elle bien connaît. En même temps, on peut y retrouver des résonances des « formes de vie », présentes dans l’œuvre de Ludwig Wittgenstein et des affinités électives avec Stanley Cavell – deux philosophes avec qui elle dialogue constamment dans ces pages. Un livre n’est donc pas tout entier dans son manuscrit, du fait qu’il contient un tourbillon d’émotions qui façonne toute notre vie commune (p. 215). Partir de l’épilogue pour commencer cette note de lecture pourra paraître insolite, mais ces dernières lignes constituent, en quelque sorte, la clôture (ou l’origine) d’un cercle émotif ouvert par la philosophe Sandra Laugier dans sa préface, qui accompagne la lectrice, le lecteur pas à pas dans l’exploration des « terres inconnues de l’ordinaire » (p. 9). Ces terres sont celles du quotidien telles qu’elles sont définies par la violence envers les femmes et leur vulnérabilité, notamment dans « des familles citadines à bas revenu », où Veena Das été « témoin des luttes colossales que les gens mènent pour accéder au logemen jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1047 La crise socio-sanitaire aux Antilles. Entre défiance généralisée et exacerbation des affirmations identitaires http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1053 La pandémie mondiale de maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) a incontestablement agi aux Antilles comme le révélateur et le catalyseur de malaises profonds. Sur une toile de fond où plusieurs crises et scandales se télescopent, elle a plongé la Guadeloupe et la Martinique dans une situation de crise aux dimensions et aux prolongements multiples. Au-delà des enjeux lui préexistant, elle a contribué à relancer une interrogation récurrente sur le rapport à l’État et à la République, et à exacerber des affirmations identitaires qui tendent désormais à s’imposer comme une forme privilégiée d’expression politique. “The Socio-Health Crisis in the French Antilles. Between General Mistrust and Exacerbation of Identity Affirmations”In the French Antilles, the global pandemic related to Covid-19 has, undoubtedly, worked as an eye-opener and a catalyst of more profound malaises. Against a backdrop of numerous prior crises or scandals, Guadeloupe and Martinique has then undergone a deepening, multi-faceted crisis situation. Unfolding upon pre-existing issues, it has been the driving force in rekindling the questioning around the relationship with the French state and the Republic, as well as exacerbating identity affirmations which are emerging as privileged forms of political expression. jeu., 20 avril 2023 00:00:00 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1053