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Capoeira, art créole

Matthias Röhrig ASSUNÇÃO
décembre 2012Traduction de Laure GARRABÉ

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.539

Résumés   

Résumé

Deux discours prédominants se dégagent au sein du débat sur l’origine de la capoeira. L’interprétation nationaliste brésilienne met en exergue tout ce qu’il y a de nouveau dans la capoeira pour en souligner l’originalité, et donc, l’originalité de la culture brésilienne. L’interprétation afrocentrique, notamment dans sa flexion la plus fondamentaliste, insiste sur les aspects « dérivés de l’Afrique » seulement pour démontrer que la capoeira est, avant tout, africaine. Je voudrais montrer ici comment l’approche à partir de la créolisation permet de dépasser l’impasse créée par le conflit entre ces deux discours. Pour ce faire, j’examinerai quelques aspects pertinents de la capoeiragem à Rio de Janeiro au XIXè siècle et de la vadiação à Bahia au début du XXè siècle, ainsi que les jeux de combat contemporains en Angola. Les sources suggèrent que la capoeira a combiné et restructuré divers jeux de combat africains au sein d’une même manifestation plus englobante.

Abstract

Two master narratives stand out in the discussion about the origins of capoeira. The Brazilian nationalist interpretation highlights everything that is new about capoeira, to emphasise its originality, and, hence, the originality of Brazilian culture. In contrast the Afrocentric discourse, particularly in its fundamentalist variant, only highlights the African-derived characteristics to demonstrate that capoeira is, above all, African. I want to show here how the creolization approach allows overcoming the conflict between these two narratives. For that aim relevant aspects of capoeira in nineteenth-century Rio de Janeiro and early twentieth-century Bahia are examined, as well as some contemporary combat games from Angola. Evidence suggests that capoeira combined and rearranged various African combat games into a more inclusive form.

Resumo

Na discussão sobre a origem da capoeira destacam-se duas narrativas-mestres. A nacionalista enfatiza tudo que a capoeira tem de novo, para ressaltar a sua originalidade, e portanto, a originalidade da cultura brasileira. A afrocêntrica, particularmente na sua vertente mais fundamentalista, ressalta apenas os aspectos « derivados da África » para demostrar que a capoeira é, antes de tudo, africana. Quero mostrar aqui como o enfoque da crioulização permite ultrapassar o impasse criado pelo conflito entre essas duas narrativas. Para isso são examinados alguns aspectos relevantes da capoeiragem oitocentista carioca e da “vadiação” baiana do início do século XX, assim como jogos de combate contemporâneos em Angola. As fontes sugerem que a capoeira combinou e re-estruturou vários jogos de combate africanos numa manifestação mais abrangente.

Index   

Index de mots-clés : Capoeira, créolisation, discours prédominants, jeux de combat, Angola.
Index by keyword : Capoeira, creolization, master narratives, combat games, Angola.
Índice de palavras-chaves : Capoeira, crioulização, narrativas-mestras, jogos de combate, Angola.

Texte intégral   

1L’histoire de la capoeira nous est contée depuis ses origines tant par les maîtres et professeurs de cet art, que par des historiens et des chercheurs de diverses disciplines. Depuis toujours, ces récits dialoguent, et s’influencent réciproquement. Parmi les nombreux discours prédominants [master narratives], deux se distinguent : le brésilien nationaliste et l’afrocentrique. Ils sont antagoniques et apparemment irréconciliables : le premier insiste sur la rupture, le deuxième sur la continuité. Le premier met l’accent sur tout ce que la capoeira a de nouveau, pour souligner son originalité, et pourtant, l’originalité de la culture brésilienne. Le deuxième souligne seulement les aspects dérivés de l’Afrique (« African-derived »**) pour démontrer que la capoeira est, avant tout, africaine. Je voudrais montrer ici comment la focale de la créolisation permet de dépasser l’impasse créée par le conflit entre ces deux discours ; et que cette approche permet vraiment de comprendre la formation de la culture populaire brésilienne dans le contexte plus large de l’Atlantique luso-noir (luso-negro).

La construction de l’histoire

2Le discours nationaliste sur l’histoire de la capoeira a prédominé dans la société brésilienne durant le XXè siècle, et il est toujours prépondérant aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à m’entraîner à la capoeira, en 1980, les professeurs nous expliquaient à nous étudiants comment la capoeira fut inventée par les esclaves dans les senzalas* et les quilombos*. Ils donnaient une série d’explications sur l’histoire de cet art en insistant sur le fait qu’il n’existait rien de semblable en aucun autre lieu de ce monde. J’étais simplement un pratiquant amateur sans intérêt académique pour la capoeira, mais en tant qu’historien travaillant sur l’esclavage au Brésil, je trouvais ces explications de moins en moins convaincantes. Ils nous disaient, par exemple, que les esclaves utilisaient les pieds pour les coups parce que leurs mains étaient attachées par des chaînes, et que la capoeira a incorporé des caractéristiques de la danse pour tromper les maîtres1.

3Il est important de noter que le discours dominant qui construit la capoeira comme authentiquement (genuinamente) brésilienne se base sur une tradition discursive qui remonte au XIXè siècle. Les histoires racontées par les maîtres et les textes écrits par les savants et les intellectuels ne constituent pas deux mondes segmentés, mais entretiennent des relations complexes d’influence mutuelle qui précèdent la constitution d’un champ académique propre, d’études sur la capoeira, à partir de la décennie de 1980, lorsque les premières dissertations et thèses dédiées à ce thème sont présentées dans des disciplines et des universités diverses.

4Cela dit, bien avant l’ère d’internet, quelques livres et articles circulaient parmi les capoeiristes, ainsi que de rares disques de capoeira enregistrés avant les années 1980. Les textes étaient généralement des photocopies, ou même des photocopies de photocopies, presque illisibles, et parfois à la paternité incertaine. De cette manière, certaines histoires sur l’origine de la capoeira étaient non seulement répétées, mais littéralement reproduites, par le biais de l’usage des mêmes expressions. Le meilleur exemple est le texte d’Annibal Burlamaqui (1928, p. 11-12). Répétant des arguments déjà avancés par quelques auteurs tels que Mello Moraes Filho ([1888] 1979), il affirma, en 1928, que les quilombolas ont développé cet art au contact intime de la nature, « fraternisant avec les animaux », développant ainsi « un jeu étrange de bras, jambes, tête et tronc, avec une telle agilité et une telle violence, capables de leur donner une prodigieuse supériorité [sur les capitães de mato*] ». Cette dernière phrase est devenue fameuse, et fut répétée d’innombrables fois par des générations entières de capoeiristes et d’auteurs (souvent sans citer la source). Je pense que nous devons donner à Burmalaqui le crédit d’avoir forgé le mythe puissant des quilombolas inventant la capoeira dans l’intérieur du Brésil.

5Les folkloristes et les intellectuels qui écrivirent sur la capoeira, dès la fin du XIXè siècle, ont collecté des informations auprès des capoeiras eux-mêmes, en suivant l’exemple de Mello Moraes (1979). D’autres étaient eux-mêmes pratiquants, comme Burlamaqui, Coelho Neto, et Raul Pederneiras (Moura, 2009). Le premier texte à nous donner une vision « émique » ou du dedans du monde de la capoeiragem*, et des maltas* cariocas, fut écrit par le poète portugais Plácido de Abreu (1886), pratiquant de l’art à la fin de l’Empire.

6Ainsi, un ensemble d’auteurs – écrivains, journalistes et politiques – directement intéressés par cette version, élaborèrent ce discours dominant qui construisit la capoeira comme art authentiquement brésilien. L’intérêt croissant des militaires, qui étaient à la recherche, dès le XIXè siècle, d’une gymnastique brésilienne pour l’enseigner aux recrues, a contribué encore plus à renforcer l’idée d’une capoeira comme art authentiquement national. L’impact de ce récit est visible, par exemple, dans l’usage important des symboles nationaux (le drapeau, et les couleurs vert, jaune et bleu) dans l’univers de la capoeira jusqu’aujourd’hui.

7Le discours qui met en exergue la contribution africaine à la formation de la capoeira a elle aussi une longue tradition, s’initiant avec les Africains réduits en esclavage en terres brésiliennes. Nous ne disposons pas, néanmoins, de témoignages directs à ce sujet, pour le XIXè siècle. Mais Manoel Querino ([1916], 1946) a déjà signalé, au début du XXè siècle, que l’art était associé aux Angolais à Bahia. Les capoeiras bahianais s’y référaient comme à un jeu [brinquedo] d’Angola. Selon la tradition orale, le professeur de Pastinha, Benedito, était Angolais. Luanda aussi est remémorée dans de nombreux chants de capoeira. Cela dit, ni les « fondements » de l’art ni l’histoire orale nous fournissent plus de détails sur d’éventuelles origines angolaises plus spécifiques, comme le font, par exemple, les nations du candomblé*.

8Édison Carneiro et Artur Ramos furent des chercheurs pionniers dans la tentative de comprendre comment la capoeira se liait à des pratiques africaines plus anciennes. À partir de sources portugaises sur l’Afrique, Ramos (1954, p. 121) a attiré l’attention sur les danses de guerre, chasse et pêche, et sur les rites de passage congo-angolais introduit par les esclaves au Brésil. Il cite en particulier la cufuinha, « danse guerrière » pratiquée dans l’Empire de Luanda au XIXè siècle. Édison Carneiro conclut la pensée de son ami en lui écrivant, en 1936 : « Je pense trouver une origine ancienne de la capoeira dans la cufuinha de Luanda que tu [Arthur Ramos] cites dans « Folclore » [Negro no Brasil] » (Oliveira & Lima, 1987, p. 89).

9Aussi bien Carneiro que Ramos, ainsi, considéraient que plusieurs manifestations africaines contribuèrent à la formation de la capoeira. En plus de cela, dans cette première élaboration académique du discours afrocentrique, les origines angolaises étaient vues, selon les mots de Carneiro, comme « lointaines » (remotas)2.

10La thèse selon laquelle la capoeira aurait surgi d’un seul jeu de combat angolais, appelé n’golo, est relativement récente. Elle fut avancée pour la première fois par le peintre Albano Neves e Souza (1921-1995), né au Portugal, mais qui a grandi et vécu jusqu’en 1975 à Luanda. Pendant les décennies de 1950 et 1960, il a beaucoup voyagé dans l’intérieur de l’Angola, dessinant et peignant des paysages et leurs habitants. Plusieurs de ses travaux constituent une source ethnographique précieuse pour une époque où l’on a peu de registres. Neves e Souza vint au Brésil dans les années 1960, où il a visité les académies de capoeira de Bimba et Pastinha. Il fut impressionné par les similarités entre la capoeira et un jeu de combat auquel il avait assisté dans le sud de l’Angola, et qu’il avait peint, le « n’golo »3.

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« N’golo ». Aquarelle de Albando Neves e Sousa, 1955-56. (© Maria Luisa Neves e Sousa).

11Comme son objectif était de prouver, à travers son art, que l’Angola était la « mère du Brésil », il en conclut que le « n’golo » était l’ancêtre de la capoeira (Neves e Souza, 1972, p. 57). Il parvint à convaincre non seulement Mestre Pastinha, mais aussi l’éminent folkloriste Luís da Câmara Cascudo, qui propagea cette théorie dans ses écrits (1967, p. 182-187 ; 1972, p. 43).

12La thèse de l’engolo a été plus largement adoptée encore par les pratiquants de la capoeira angola, le style traditionnaliste codifié par des maîtres comme Pastinha, et qui a ressurgi dans les années 1990. Elle fournissait des arguments contre la thèse nationaliste, défendue surtout par les adeptes du style regional, alors hégémonique, selon laquelle la capoeira était authentiquement nationale et que rien de semblable n’existait au monde. Cette thèse fut adoptée en même temps par des capoeiristes et des chercheurs afro-centriques aux Etats-Unis, lesquels initiaient un échange important avec les angoleiros* bahianais, contribuant de la sorte eux-mêmes à cette version des origines. L’histoire de l’engolo, ou de la « danse du zèbre », a donné de la visibilité à l’africanité de la capoeira. C’est son grand mérite, car elle a permis de construire une alternative puissante au discours nationaliste qui s’interdisait de voir et prendre en compte une quelconque contribution culturelle africaine. D’un autre côté, la manière dont la politique identitaire nord-américaine, et, à un degré moindre, la brésilienne, a orienté cette réévaluation du processus de formation de la capoeira, est remarquable, au point de nier l’historicité de l’art et de défendre des visions assez essentialistes et même fondamentalistes. Mais jusqu’à quel point cette théorie de l’origine africaine spécifique, à savoir la thèse monogénétique, correspond aux sources et est en accord avec les interprétations récentes de l’histoire de l’Atlantique Noir ?

Jeux de combat africains et brésiliens

13À partir des quelques sources dispersées et de la littérature secondaire existante, il est possible d’affirmer que les peuples africains ont utilisé une grande variété de techniques de combat dans leur histoire. Beaucoup étaient pratiquées sous forme de jeu de combat, avec des règles spécifiques (Baker, 1996, s/p). Elles peuvent être classifiées selon les techniques employées et les régions où elles avaient cours, ou bien où elles sont pratiquées encore aujourd’hui. Les luttes de prises, par exemple, sont particulièrement populaires en Afrique occidentale, mais elles existent aussi dans d’autres régions. La lutte au poing fermé prédomine dans la baie du Bénin, surtout parmi les Igbo. Les jeux de bâtons existaient et existent dans plusieurs zones, spécifiquement où il y avait des pasteurs (Coetzee, s/p). Les jeux qui utilisent les coups de pieds, comme la capoeira, existent aujourd’hui dans plusieurs régions de l’Afrique, comme dans le sud-ouest de l’Angola et à Madagascar4.

14Le contexte social des jeux de combat variait aussi beaucoup. Beaucoup d’entre eux étaient associés à des cérémonies d’initiation et de puberté. En quelques cas, les hommes mariés et même les femmes participaient, mais le plus souvent, ils étaient restreints à des groupes d’hommes jeunes et célibataires. Ils servaient à résoudre les conflits, à canaliser les rivalités, à affirmer l’identité ethnique et, presque toujours, à acquérir du prestige et établir des hiérarchies entre les hommes. Presque tous étaient associés à de la musique et de la danse, et insérés dans des cérémonies plus importantes (Paul, 1987). Cela permet de mettre en question l’idée selon laquelle la capoeira se serait travestie en jeu ou en danse sous le régime esclavagiste au Brésil. Pour moi, l’une des caractéristiques indubitablement africaines de la capoeira est justement cette combinaison, ou ambivalence, entre jeu, danse et lutte, et également son association et interaction intense avec le rythme et les chants.

15La littérature sur les jeux de combat africains date presque intégralement du XXè siècle, lorsque ces activités commençaient à être considérées comme « traditionnelles ». Ce qui paraît traditionnel est, pourtant, toujours le résultat de changements substantiels de forme, de contexte et de signification (Blacking, 1987, p. 5). Ainsi, n’importe quelle pratique « traditionnelle » ne peut être prise pour une preuve de pratiques antérieures similaires. Cependant, le pêle-mêle d’écrits d’époques différentes est malheureusement très commun dans la discussion sur les origines de la capoeira.

16En observant plus spécifiquement les sources sur l’Angola du temps de la traite, l’absence de descriptions détaillées est remarquable. L’information la plus intéressante est celle d’un jésuite qui écrivit au sujet de soldats du règne de N’Dongo au XVIè siècle que « toute sa défense consiste à sanguar, c’est-à-dire sauter d’un côté à l’autre par mille torsions et tant d’agilité qu’ils peuvent éviter les flèches et les lances » (cité dans Thornton, 1988, p. 363-364). Sur quoi, alors, l’argument monogénétique de la danse du zèbre est-il basé ?

17L’étude la plus approfondie dans cette perspective a été faite par T.J. Desch, qui affirme que « l’on peut trouver l’art martial appelé engolo au sein du peuplement des plateaux du Cunene avant le XIIè siècle » (2008, p. 38). Pour lui, la capoeira brésilienne serait seulement une forme légèrement altérée de l’engolo, comme le jiu-jitsu brésilien a surgi du jiu-jitsu japonais. Toutefois, cette théorie qui enchante beaucoup d’angoleiros traditionalistes aux États-Unis et même au Brésil, ne peut être soutenue à la lumière des sources. La thèse académique de Desch décrit une « société du Kunene » atemporelle, et en plus de cela déconsidère complètement les différences ethniques substantielles du sud-ouest angolais. Il mélange les sources de plusieurs siècles, mettant côte à côte des descriptions de l’engolo du final du XXè siècle et des écrits du temps de la traite, comme si les jeux de combat dans la région n’avaient pas été affectés par les changements historiques des deux derniers siècles. Le fait est qu’aucune source connue ne mentionne l’engolo ni un autre art utilisant des coups de pieds avant le témoignage de Neves e Souza des années 1950. L’ethnographe le plus important du sud-ouest angolais, le père Carlos Estermann (1956-1957) par exemple, ne mentionne même pas l’engolo dans ses travaux extensifs sur tous les peuples de la région.

18En même temps, les ressemblances formelles des mouvements entre la capoeira et l’engolo du XXè siècle imposent cette question : quels liens existent entre les deux, et quels ancêtres communs peuvent-ils bien avoir ? C’est cette ligne que nous suivons dans le projet interdisciplinaire « Les racines angolaises de la capoeira »5. Au lieu d’amalgamer des preuves et des indices contradictoires dans un récit apparemment cohérent, nous cherchons, à travers ce projet, à problématiser les disparités et les contradictions au sein des informations que nous obtenons. Ainsi, on est forcé de reconnaître que l’engolo actuel diffère beaucoup de la description de Neves e Sousa, et encore plus du mythe un peu machiste qui s’est créé à partir de son récit, édité et divulgué par le folkloriste Câmara Cascudo depuis les années 1960. Cascudo (1967, p. 185-196 ; 1972, p. 243) insiste sur le fait que le « vainqueur » de l’engolo pouvait choisir son épouse entre les initiées et qu’il n’aurait pas besoin de payer sa « dote », une histoire très répétée parmi les capoeiristes. Les pratiquants de l’engolo aujourd’hui, au contraire, affirment que ce n’est pas et que cela n’a pas été le cas, insistant sur le droit des femmes à choisir leur partenaire. De plus, l’engolo ne se restreint pas à une fête de la puberté féminine – celle-ci n’est seulement que l’une des nombreuses occasions de sa pratique.

19À partir de la mémoire orale, il est possible d’affirmer que l’adresse au combat entre les hommes du sud-ouest angolais se développait non seulement à travers l’engolo, mais aussi à travers d’autres jeux comme la kambangula et la lutte de bâtons, les compétitions poétiques comme la khakula, et la danse de guerre, un fait déjà distingué par Neves e Sousa. Mais alors que la kambangula et la lutte de bâtons sont largement diffusées dans tout le sud-ouest et l’est de l’Angola jusqu’aujourd’hui – sous diverses dénominations aux variations substantielles – l’engolo, au contraire, est et fut restreint exclusivement à la petite ethnie Nkumbi. Cela expliquerait, en tous cas en partie, l’omission des ethnologues missionnaires qui généralement ont traité de groupes plus importants. Plusieurs questions méritent d’être alors considérées. Les jeux de combat utilisant des coups de pied auraient-ils été pratiqués par d’autres ethnies au temps de la traite, et dans l’affirmative, pourquoi auraient-ils disparus apparemment dans tous les autres lieux de l’Angola à l’exception d’un groupe ou d’un sous-groupe ethnique ? D’un autre côté, si cette pratique corporelle existait uniquement chez un groupe ethnique minoritaire dans la vaste aire de rapt d’esclaves de l’Afrique occidentale (Kongo/Angola), comment expliquer sa large diffusion au Brésil, et même dans les Amériques ?

20Si nous regardons de l’autre côté de l’Atlantique, ayant à l’esprit les configurations angolaises, il est possible de trouver quelques réponses. Une grande variété et profusion de jeux de combat n’ont pas existé seulement en Afrique. Les cultures des Africains réduits en esclavage et leurs descendants ont donné une large gamme de manifestations de ce type dans les Amériques (à l’exception des danses de guerre). À mon avis, le terme de capoeira est un terme générique, courant au XIXè siècle, qui désigne des pratiques assez distinctes dans chaque région brésilienne – de même que le vocable « batuque » du XIXè siècle désigne des formes diverses de danses en ronde. De Belém du Pará jusqu’à São Paulo, les sources mentionnent « capoeira » depuis la fin de l’époque coloniale, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons admettre qu’il s’agissait d’une pratique homogène. Ce n’est seulement à Bahia, par exemple, qu’elle est associée au berimbau. Au-delà de cette capoeira multi-facette il existait d’autres modalités de combat, comme les jeux de bâton. Un autre jeu viril très commun consistait en la danse d’un homme, les bras levés, alors qu’un autre tentait de le faire tomber moyennant des balayages latéraux ou des coups de genoux. Cette technique corporelle est à la base de la punga dos homens au Maranhão, du batuque à Bahia, de la pernada à Rio de Janeiro (connue aussi comme samba duro ou batucada) et de la tiririca à São Paulo. La différence est dans le rythme, dans la musique et dans l’insertion de ce jeu dans des manifestations différentes de la culture régionale : le tambor de crioula dans le Maranhão, le samba de roda à Bahia, et le jongo/samba de batucada dans la région Sudeste.

Créolisation

21La variété d’expressions culturelles régionales qui utilise des recours similaires suggère qu’il y eut un processus de restructuration complexe de pratiques africaines antérieures, et que ce processus eut des résultats différents en fonction du contexte historique spécifique de chaque région brésilienne. Je pense que la créolisation est encore le meilleur concept pour décrire et comprendre ce processus.

22Quelques chercheurs ont critiqué le concept parce qu’il ne donnerait pas assez d’espace aux continuités, et insisterait trop sur les réinventions. Quand Sydney Mintz et Richard Price (1992) ont publié leur fameux texte « Naissance de la Culture Afro-américaine », leur focale a rapidement été baptisée par « modèle de créolisation », même s’ils n’ont pas utilisé ce terme. Ils ont affirmé que « les continuités formelles de l’Afrique sont plutôt des exceptions que la règle dans chaque culture afro-américaine », et que « emprunter peut ne pas refléter la réalité – « créer » ou « remodeler » serait plus exact » (1992, p. 83). Cela a soulevé une vague de critiques entre chercheurs, surtout africanistes, préoccupés à insister sur l’importance de la contribution africaine aux cultures des Amériques. Certains critiques ont suggéré que Mintz et Price analysaient le problème à partir d’une perspective trop américaniste. Paul Lovejoy a insisté sur le fait qu’ils sous-estimaient le poids des continuités africaines dans les Amériques et que leur modèle comportait « trop d’exceptions pour être convainquant » (2000, p. 4). Pour cette raison, le terme est totalement rejeté par les auteurs afro-centriques plus fondamentalistes. D’un autre côté, il a été utilisé dans les études post-coloniales comme synonyme de mélange et de fusion culturelle. Cependant, comme l’a rappelé Stephan Palmié dans une contribution récente, créole ne signifie pas hybridisme, mais « [décrit] les transformations imposées aux créatures du vieux monde lorsqu’elles devinrent natives dans les Amériques pré-colombiennes » (2007, p. 68). Il finit pourtant par rejeter le terme, parce qu’il porte « un poids idéologique profondément gênant », parce qu’il suggère « une indétermination libératrice », où il y avait, de fait, un système rigide de castes (Palmié, 2007, p. 68, 76). De plus, il a des significations différentes : « creole » désigne les noirs dans les Caraïbes anglaises (de même que le « crioulo » au Brésil), mais « criollos » sont les descendants des blancs ibères dans les Caraïbes espagnoles.

23Je suis totalement en accord avec la première partie de sa réflexion, mais j’aimerais argumenter ici que la grande variation de la signification du mot à des époques et dans des contextes locaux distincts peut aussi être une opportunité. Il vaut la peine de rappeler que le terme est bien plus probablement d’origine portugaise, et fut déjà inscrit au dictionnaire Bluteau (1712-1728) au début du XVIIIè sècle : « Créole, esclave, qui naît dans la maison de son maître ». Bluteau, comme, de plus, Moraes cent ans plus tard (1813), donne aussi l’exemple de la poule créole [galinha crioula] comme « née et élevée à la maison ».

24Autrement dit, l’emphase ici, ne porte pas sur le mélange, mais sur l’élevage, grandir dans la maison du maître, que nous pouvons prendre ici comme une métaphore de l’esclavage. Les productions créoles ont toujours dû reconnaître les contraintes de la condition esclave. Cette allusion aux relations de pouvoir dans la société esclavagiste, est absente de la signification de termes tels que hybridisme, fusion ou même syncrétisme. Si le terme créole est alors associé historiquement à l’adaptation à un nouvel environnement, avec une identité locale, le terme ne privilégie pas nécessairement la fusion et l’innovation au détriment de la continuité des cultures africaines.

25Le concept de créolisation, entré dans notre vocabulaire seulement dans la deuxième moitié du XXè siècle, possède également la capacité d’agglutiner dans sa signification des processus contradictoires toutefois complémentaires. Mêmes si les théories linguistiques qui donnèrent leur origine au terme ont été mises en question, l’idée selon laquelle les processus de transformation culturelle sont analogues aux changements linguistiques, me paraît toujours appropriée. L’hybridisme, au contraire, suggère des analogies avec le processus biologique du mélange, promouvant, je crois, une équivalence inadéquate entre culture et nature.

26L’adaptation et l’insertion de millions d’êtres humains du Vieux Monde aux sociétés esclavagistes des Amériques, ne peuvent être subsumées à un processus simple, linéaire, comme c’est le cas dans l’usage de termes tels que fusion ou hybridisme. Ces processus étaient extrêmement complexes, contradictoires, hétérogènes, et sont, en général, difficiles à tracer avec précision. Autrement dit, une focale permettant une analyse plus détaillée est nécessaire. Selon Sérgio Ferretti (1995), le syncrétisme recouvre quatre processus différents : la convergence, la juxtaposition, le mélange ou la fusion et la séparation de rituels spécifiques. À mon avis, la créolisation peut s’avérer un concept opératoire s’il incorpore ces processus contradictoires, au lieu d’être pris en tant que synonyme de fusion générique. Comme je vais le montrer dans le cas de la capoeira, sa créolisation ne signifie pas nécessairement une perte d’ « africanité ». Au contraire, elle a permis aux Africains réduits en esclavage une pratique qui n’était plus restreinte à un groupe ethnique spécifique, mais une forme ouverte à tous. Elle permettait d’incorporer quelques traditions propres à l’intérieur d’une forme plus large et néo-africaine. C’est pourquoi la capoeira est, jusqu’aujourd’hui, un symbole important d’identité tant panafricaine qu’afro-brésilienne. Ensuite, je tenterai d’identifier ces processus contradictoires de continuité et d’adaptation à la formation de la capoeira à Rio de Janeiro et Bahia.

La capoeira carioca au XIXè siècle

27L’Atlas élaboré par Eltis & Richardson (2012, p. 151) permet de visualiser le volume et la direction de la traite depuis le sud de l’Angola. Soixante-deux pour cent des 679 000 « Benguelas » qui arrivèrent dans les Amériques ont débarqué dans les ports du sud-est brésilien. Il y eut aussi un flux important (19 %) vers Bahia, et quelques petits groupes ont atterri à Recife, dans le Grão Pará et le Maranhão, et dans les Antilles françaises (où il existe jusqu’aujourd’hui le ladja, la manifestation la plus proche de la capoeira en terme de mouvements et de jeu dans les Amériques).

28Cependant, il est erroné de penser que tous les esclaves embarqués à Benguela venaient du Sud-ouest d’Angola. En premier lieu, les « Benguelas » étaient avant tout des Ovimbundu du plateau central d’Angola, des agriculteurs en majorité. Il y avait aussi des Ganguela et même des Lunda (ou Cokwé) de l’est angolais. Les esclaves du Cunene ont toujours été une petite minorité parmi les Benguelas, et s’il y eut des Nkumbi parmi eux, ils ne devaient pas dépasser les quelques centaines6. Ainsi, la théorie de la diffusion de la capoeira primitive uniquement à partir de ce petit groupe suppose que les chiffres ne furent pas décisifs dans la formation des cultures afro-américaines. Il est vrai que des historiens comme Morgan (1997) ont mis en lumière le rôle disproportionnellement important de la première génération (« Charter Generation ») d’esclaves. Mais dans notre cas, il s’agit de penser que quelques centaines de pasteurs du Cunene auraient été les seuls à avoir introduit des jeux de combat avec coups de pieds au Brésil. Cela ne me paraît pas très convaincant, vu les nombreux indices sur la circulation et la juxtaposition de jeux de combat qui existaient sur les terres brésiliennes. Une autre hypothèse serait qu’il existerait des jeux similaires parmi les pasteurs réduits en esclavage du sud-ouest, mais que ceux-là auraient disparu ultérieurement dans leurs communautés d’origine, l’engolo ne survivant que parmi les Nkumbi.

29Au Brésil, les premières sources à mentionner la capoeira apparaissent avec la création de la police à la Cour, en 1808. Les esclaves africains et crioulos* étaient détenus pour inconduite dans les rues de Rio. Le terme capoeira se référait, ainsi, tant aux membres des groupes qu’à la pratique. Malheureusement, les sources policières et judiciaires s’intéressaient seulement à la répression de la capoeira et des capoeiras, et non à la description de la pratique. Mais des indices d’autres sources, surtout iconographiques, permettent d’affirmer que la « capoeira esclave » avait quelques caractéristiques de la capoeira moderne.

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« Noirs luttants, Brésil ». Aquarelle de Augustus Earle, 1820-1824. (© Australian National Library).

30Il y avait un pas basique, la ginga, et les capoeiras usaient de coups de pieds et de coups de tête qui sont encore utilisés aujourd’hui. Mais les capoeiristes du XIXè utilisaient aussi des armes, surtout des matraques, et ensuite des rasoirs (navalhas) également. L’usage des bâtons et des armes blanches a été associé à l’arrivée des Portugais dans la capoeira, mais en réalité les matraques et les gourdins (porrinhos) étaient beaucoup utilisés chez les peuples pasteurs des savanes africaines. La combinaison des « bâtons » avec les chutes et les coups de tête, cependant, semble être une réinvention créole, suggérant l’incorporation de diverses techniques africaines de combat.

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« A Peneiração ». Revista Kosmos, n° 3 (Mars 1906). (© Biblioteca Nacional, Rio de Janeiro).

31Les sources policières ont fourni une information précieuse, car elles indiquaient l’origine ethnique des prisonniers pour cause de capoeira. Carlos Eugênio Soares, dans son analyse minutieuse, montre que parmi les détenus de la période entre 1810 et 1821, on comptait déjà une proportion de 12 % de crioulos, et d’autres venus du Mozambique et de l’Afrique occidentale. La grande majorité provenait du centre-ouest de l’Afrique. La distribution reflète, grosso modo, la proportion de chaque groupe dans la population des Africains et des esclaves à Rio (2001, p. 131, 124, 144)7. En analysant plus spécifiquement la provenance des capoeiras africains centre-occidentaux, Soares déduisit que 40 % venaient du Congo, presque un tiers du Nord de l’Angola, et 23 % de Benguela. En d’autres termes, dans un moment historique pendant lequel la prédominance de Benguelas dans la ville est notoire – approximativement un tiers des Africains – la proportion des capoeiras prisonniers de cette région est inférieure à sa proportion dans la population. Pour cette raison, Carlos Eugênio en conclut qu’il serait plus adéquat de chercher les origines de la capoeira à l’embouchure du fleuve Congo et à Cabinda, et que la capoeira « est le fruit de la combinaison de traditions africaines dispersées avec des « inventions » culturelles crioulas » (2001, p. 25).

32Le problème, précisément, est à quel point ces traditions étaient, où non, « dispersées ». Les sources iconographiques représentent ces jeux de combat de manière très diverse, avec ou sans accompagnement musical.

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Esquisses tropicales du Brésil – Extrait. Aquarelle de Paul Harro-Harring, 1840. (© British Library).

33Les instruments utilisés variaient beaucoup aussi. À ce propos, il est intéressant de noter que le berimbau n’est jamais associé à la capoeira, même s’il apparaît souvent dans l’iconographie. En réalité, l’instrument représenté dans la fameuse gravure de Debret n’est pas exactement un berimbau, comme beaucoup le croient.

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Vieil Orphée africain. Oricongo – Détail. Aquarelle de Jean-Baptiste Debret, 1826. (© Biblioteca Nacional, Rio de Janeiro).

34La manière dont l’Africain tient l’arc musical est typiquement angolaise, et utilisée tant dans le hungu que dans le m’bulumbumba contemporain.

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M. Kituxi tenant l’arc musical “hungu” (Luanda, 2006). (© M. Cobra Mansa e Matthias Röhrig Assunção, 2006).

35Le berimbau est déjà un développement créole, car il change la posture de la main et introduit le dobrão*. De même, on utilise un bottleneck* dans le hungu moderne. Or le hungu est une tradition du nord de l’Angola, alors que le m’bulumbumba de la province de Benguela est joué latéralement, et n’apparaît pas dans l’iconographie. Autrement dit, tout indique que plusieurs traditions ont contribué aux jeux de combat pratiqués dans les rues de Rio de Janeiro.

La vadiação bahianaise de la première moitié du XXè siècle

36À partir de la fin du XIXè siècle environ, la densité des sources se référant à la capoeira bahianaise augmente considérablement. Les premiers rapports ethnographiques de Manuel Querino (1946), Édison Carneiro (1937) et António Vianna (1979, 1984), les reportages les plus fréquents dans les journaux ainsi que l’histoire orale nous permettent de tracer un cadre plus précis et détaillé de cet art durant la période post-émancipation (1890-1950) à Salvador et dans le Recôncavo bahianais. Les descriptions disponibles montrent clairement que la capoeira était, avant tout, une activité récréative. Les participants se référaient à elle comme à un jeu ou un divertissement (brincadeira), et même comme à un loisir oisif – « a vadiação ». Jouer la capoeira (jogar capoeira) était également appelé « vadiar »*

37Tous les coups ont évolué à partir du pas syncopé basique, ou ginga, qui maintenait tous les joueurs en mouvement permanent et toujours en syntonie avec le rythme exécuté par la l’orchestre (bateria). La ginga, le pas basique de la capoeira, est un mouvement toujours identifié comme étant d’origine africaine. De fait, il est très différent des mouvements des luttes occidentales. Comme beaucoup de danses et de jeux de combat africains, il explore la syncope et la polyrythmie qui permettent des mouvements lents et nonchalants, mais aussi rapides et justes. Les divers jeux de combat que nous avons vu en Angola usent aussi de mouvements basiques à partir desquels les coups sont donnés. Mais nous n’en avons encore trouvé aucun qui soit réellement très proche de la ginga de la capoeira. Il est intéressant de noter que, dans ce contexte, la fameuse gravure faite à partir des dessins de Rugendas, de 1835, reproduit une ginga plus archaïque, où les bras et les jambes se meuvent parallèlement, et non de manière croisée. Cela peut suggérer que la ginga soit passée par des transformations importantes au Brésil – ou que Rugendas n’ait pas réussi à capter ce mouvement si étrange pour lui.

38Quelques coup de capoeira, surtout ceux qui sont effectués à partir du sol ou d’un « aú* », sont très rares dans les autres arts martiaux. En réalité, ils semblent n’exister qu’au centre-ouest et centre-est (Madagascar inclus) de l’Afrique et dans les régions de plantation où les Africains bantous ont été raptés, comme à la Réunion et à la Martinique. Cette coïncidence est réellement impressionnante et suggère l’existence de connections ancestrales. Sans aucun doute, de nombreux coups de la capoeira peuvent trouver leur origine dans des jeux de combat du centre de l’Afrique. Grâce aux dessins et aux aquarelles de Neves e Sousa, il est possible d’identifier dans l’engolo du siècle passé un grand nombre de coups similaires à ceux de la capoeira bahianaise.

39Cependant, tout indique qu’il y avait une circularité entre les nombreux jeux de combat pratiqués par les Africains et leurs descendants dans les différentes régions brésiliennes. Voyons, par exemple, la description bien connue de James Wetherell (1856, p. 120) :

« Une scène qu’on voit beaucoup dans la partie basse de la ville est celle des noirs qui luttent avec les mains ouvertes. Rarement ils en arrivent aux coups de poing, en tous cas, à des gifles capables de leur causer de sérieux dommages. La pointe du pied dans le tibia est le coup le plus douloureux que l’un puisse donner à l’autre. Tout est mouvement, sautant et remuant les bras et les jambes sans arrêt, pareils à des singes lorsqu’ils se battent. C’est réellement un spectacle ridicule ! »8 .

40Tous les chercheurs considèrent ceci comme une description de la capoeira. Mais comme Fred Abreu (2005, p. 43) l’a déjà mis en lumière, il s’agit d’une capoeira bien différente, basée sur une lutte aux mains ouvertes. Cette description acquiert une signification nouvelle quand elle est interprétée à la lumière de manifestations angolaises comme la kambangula, lutte aux mains ouvertes, pratiquée sous diverses dénominations en plusieurs régions de l’Angola.

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Kambangula. Augusto Tchiputo e Manuel Baltazar, Province de Huila, août 2010. (© M. Cobra Mansa e Matthias Röhrig Assunção, 2010).

41La lutte aux mains ouvertes existait aussi dans les rues de Rio de Janeiro, conformément au témoignage de Mestre Celso do Engenho (Entretien, 02.04.2011).

42Des innovations, en particulier l’introduction de nouvelles techniques corporelles, pouvaient affecter le caractère lui-même du jeu. Ainsi, dans l’engolo, les joueurs n’utilisent jamais les mains ni la tête pour des mouvements offensifs. C’est pourquoi le thorax des joueurs peuvent rester proches l’un de l’autre. Tandis que dans la capoeira, ayant incorporé autant de coups de tête que de jeux de mains ou coups de coudes, il n’est pas possible de laisser le corps aussi « ouvert ». Cela a résulté en une rupture importante. La capoeira, avec son répertoire de coups de tête, de pieds et jeux de mains, se distingue ainsi de tous les jeux de combat africains qui recourent seulement à l’une de ces trois modalités d’attaques.

43Les balões [prises, projections] et les chamadas [appels] constituent un autre exemple de créolisation. Le balão est un mouvement acrobatique utilisant ce que Bimba a appelé la « cintura desprezada » [taille dédaignée]. Il peut seulement être effectué à partir de la collaboration entre deux joueurs. Les balões sont pourtant régis par une logique distincte du jeu normal, où chaque joueur doit maintenir son corps fermé, toujours attentif à la contre-attaque de l’autre. Les chamadas offraient une autre opportunité d’interrompre momentanément le jeu pour exécuter ce qui est considéré aujourd’hui comme l’un des rituels centraux de la capoeira traditionnelle. L’un des deux joueurs initiait une chamada, adoptant l’une des cinq ou six positions conventionnelles – par exemple, tendant le bras droit ou ouvrant les deux bras, dans une posture quasiment fixe – et ce faisant, « appelait » l’autre. C’était un signal d’interruption du jeu « normal ». Le joueur « appelé » initiait alors une espèce de présentation solo, exécutant des mouvements acrobatiques, retournant parfois aux pieds du berimbau, et enfin s’approchait avec une grande prudence de celui qui l’a appelé, pour établir une forme de contact physique avec la (les) main(s) ou avec la tête. Lewis (1992, p. 120-127) a interprété les chamadas comme une espèce de « routine subalterne » ou « jeu dans le jeu », dans lequel les règles du jeu commun étaient rompues, et qui imposait un nouvel ensemble de sous-règles. Les anciens maîtres insistaient sur le fait que les chamadas permettaient une démonstration complète de la malice, considérée – à l’époque et aujourd’hui – une compétence essentielle à la capoeira. Ce qui est intéressant est que plusieurs chamadas rappellent des postures initiales de défi de la kambangula.

44Tous ces exemples suggèrent qu’il y eut une juxtaposition de divertissements (brincadeiras) distincts dans la capoeira. Jusqu’à aujourd’hui il existe des controverses sur ces mouvements et quelques autres techniques, par exemple, s’il est permis de saisir ou non l’adversaire. Cela montre qu’il y a une coexistence difficile entre ces sous-jeux, permis selon les uns, mais interdits selon les autres. L’importance de cette controverse réside dans le fait qu’ils peuvent changer la caractéristique du jeu de la capoeira, et c’est pourquoi son inclusion ou son exclusion sert jusqu’à aujourd’hui à différencier les styles modernes, comme l’angola ou la regional.

45Il y a les mêmes indéfinitions et controverses au sujet des instruments utilisés dans la roda. Le berimbau est toujours considéré comme l’ « âme » de la capoeira, à tel point que pour de nombreux capoeiristes, il ne peut y avoir de capoeira sans berimbau. Mais l’atabaque*est et était lui aussi très utilisé, et parfois sans berimbau9. Au point que des maîtres, comme Bimba, qui utilisaient seulement un berimbau et des pandeiros [tambourins], furent parfois accusés d’avoir supprimé cet instrument africain, blanchissant de ce fait la capoeira. En réalité, il n’existe aucune tradition monolithique par rapport à l’orchestre de capoeira. On remarque qu’aucune des sources connues du temps de l’esclavage associe la capoeira au berimbau, même si des arcs musicaux figurent de manière éminente dans l’iconographie du Brésil du XIXè siècle. Tout indique que le berimbau ne fut incorporé à la capoeira bahianaise – et seulement celle-ci – qu’au début du XXè siècle, comme l’affirme Édison Carneiro (1975, p. 20). Quelques décennies plus tard, cependant, toutes les sources s’accordent sur le fait qu’on n’utilisait plus d’atabaque, mais seulement les berimbaus et les pandeiros. De temps en temps, ils étaient remplacés par d’autres instruments de percussion, comme le reco-reco*et l’agogô*10. On jouait même de la guitare et du cavaquinho* dans les rodas de capoeira, ce qui est un indice de plus qu’à cette période, la capoeira n’était pas encore un art entièrement formalisé. De plus, les berimbaus n’étaient pas obligatoirement restreints à trois. Les premières photographies et les dessins des baterias de capoeira confirment cette flexibilité du nombre de berimbaus et de pandeiros. Il est alors possible de dire que, à des époques de plus grande répression policière, il était difficile de fuir avec un tambour lourd, d’où l’introduction du berimbau.

46En somme, les changements rapides dans la composition de l’orchestre suggèrent, encore une fois, des processus de créolisation intenses : circulation, juxtaposition et innovation. Pas nécessairement dans le sens d’un « blanchissement », étant donné que la plupart des instruments introduits dans la capoeira sont aussi africains. Or en Afrique, les arcs musicaux n’accompagnent pas les jeux de combat. Ainsi, la combinaison du berimbau à un jeu de combat constitue une autre innovation fondamentale, qui symbolise bien le caractère créole de la capoeira.

47Passons maintenant des instruments aux rythmes qu’ils jouent. Des ethnomusicologues comme Gerhard Kubik (1979, 1987) insistent sur la continuité des rythmes africains dans les Amériques. La capoeira possède une série de rythmes (toques), chacun consistant en un patron rythmique et mélodique basiques, et leurs variations. Il n’y avait pas de cohérence rigoureuse quant aux noms et au patron rythmique de chacun. Chaque maître exécutait son propre ensemble de rythmes, composé d’une combinaison des plus connus, utilisés par quasiment tout le monde, et d’autres, créés par lui-même ou son maître, et cet ensemble était l’expression de son style personnel. Chaque rythme exigeait un type de jeu déterminé, par exemple le rythme de Angola un jeu lent et ritualistique, et le São Bento Grande un jeu rapide et antagonique11. Le nom lui-même des rythmes est déjà révélateur. La plupart se réfère aux nations néo-africaines du Brésil : Angola, Benguela, Angolhinha, Samba de Angola, mais aussi Jeje. D’autres portent des noms de saints : São Bento Grande, São Bento Pequeno, Santa Maria. D’ailleurs, les saints et les nations néo-africaines ont précisément constitué deux formes puissantes d’identité pour les esclaves au Brésil, et dans les Amériques, que ce soit au sein des confréries religieuses ou dans des manifestations plus profanes. Je ne veux pas suggérer ici que chaque rythme provient réellement de l’aire d’origine suggérée par son nom, mais je pense que cela fournit un modèle imaginaire de la façon dont les rythmes et les jeux de différentes origines finirent par se rencontrer dans la capoeira. En d’autres termes, dans les rythmes créoles de la capoeira nous trouvons, encore une fois, circulation, juxtaposition et restructuration de pratiques africaines distinctes.

48Bien que la capoeira aie pu être jouée à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit, trois situations semblent avoir eu une importance particulière dans la pratique du début du XXè siècle : au port, pendant les intervalles de travail, dans les quartiers populaires, les dimanches, et sur les places, pendant le cycle annuel des commémorations religieuses. La capoeira était encore plus visible pendant les différentes festas do largo [fêtes sur la place publique à côté de l’église paroissiale] de décembre à janvier, entre d’autres célébrations pratiquées en rondes et accompagnées de musique et de danse afro-bahianaises, comme le samba de roda et le batuque. Autrement dit, les changements de contexte social plus importants n’ont pas laissé d’impacter sur les pratiques spécifiques introduites par les Africains, réorganisant leurs structures rituelles et langages symboliques.

49Des changements substantiels se révèlent, par exemple, dans les paroles des chansons. Dans les années 1930, seulement quelques corridos se référaient à Luanda (« Aruandê »), quelques autres à la réalité de l’esclavage. Mais la grande majorité des chansons considérées « traditionnelles » reflète la société post-abolition. Elle célèbre les valentões [valeureux bagarreur] fameux, dont certains d’entre eux luttèrent dans les guerres que le Brésil a affrontées au Paraguay ou en Europe. Autrement dit, il y eut une rupture profonde par rapport au référentiel africain : l’univers mental des capoeiristes cessa d’être « africain », pour devenir afro-brésilien. La circulation des harmonies et des paroles entre diverses manifestations est de nouveau remarquable : on trouve dans la capoeira des vers du samba de roda, du maculelê*, du candomblé de caboclo* et jusqu’au cordel*du sertão (Assunção, 2007).

50Si une grande partie du signifiant religieux originel des jeux de combat africains s’est perdu dans la vadiação, quelle importance transcendantale avait-elle pour ses pratiquants ? Il est difficile de donner une réponse sans équivoque à cette question. Sans aucun doute, la religion approvisionnait la base de la spiritualité exprimée dans la capoeira. Mais le Brésil, et Salvador en particulier, accueillait diverses traditions et pratiques religieuses. La capoeira était un espace où des visions conflictuelles pouvaient s’exprimer et s’intégrer dans la pratique. Si les croyances centre-africaines fournissaient le cadre original de ce que cela signifiait que de jouer de la capoeira dans une roda, d’autres systèmes religieux avaient un fort impact sur la pratique, sur la spiritualité et sur le signifiant culturel de la vadiação.

51L’impact du catholicisme populaire est relativement facile à identifier, par l’appel fréquent à la protection des saints, par le signe de croix fait par les pratiquants avant qu’ils ne commencent le jeu, ou par l’introduction des rodas dans le cycle des commémorations catholiques. De nombreux pratiquants de capoeira entretenaient des liens forts avec des groupes de candomblé, souvent par le biais des femmes de leur famille.

52Les ressemblances formelles entre le candomblé et la capoeira sont faciles à établir. Les deux, par exemple, se basent sur des « fondements ». La fonction de chacun des trois berimbaus de la bateria de capoeira reflète l’usage des trois atabaques dans le candomblé (rum, rumpi, et ), d’ailleurs tenus pour être d’origine prédominante jeje (Pinto, 1991, p. 188-190). Ainsi, la capoeira tisse-t-elle des relations très complexes avec le candomblé de prédominance jeje-nagô et le catholicisme populaire.

53Certains chercheurs afro-centriques des États-Unis soutiennent au contraire que le jeu de capoeira comme un tout a surgi d’une seule pratique centre-africaine. Ils affirment que le cercle ritualistique (la roda), ainsi que les cosmogrammes tracés sur le sol par les joueurs de capoeira ou leurs tours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, exprimaient la cosmovision de l’Afrique centrale, liant le combat au culte des ancêtres et à « la traversée du Kalunga* » (Desch, 2000). Toutefois, même s’ils reconnaissent son ancestralité angolaise, les capoeiras bahianais du début du XXè siècle ne transmettaient plus ce type de signifiant centre-africain. Aucun vieux maître ni observateur n’a mentionné quelque chose de semblable avant la « ré-africanisation » de la capoeira qui s’est initiée dans les années 1990. Il est fort possible que les pratiques religieuses des Angolais au Brésil aient initialement orienté le cadre rituel de la capoeira, mais, dans la période examinée ici, la capoeira s’était déjà transformée en une « vadiação » plus syncrétique et mondaine.

54Tout ceci nous éloigne singulièrement du contexte africain du temps de la traite négrière. D’après ce que nous savons, en Angola, les arcs musicaux n’étaient pas joués lors de jeux de combat comme la bassula, l’engolo ou la kambangula. Mais il existe un autre lien très fort, de nature spirituelle, entre ces instruments et quelques jeux de combat. Des instruments comme la phuita* et l’arc musical m’bulumbumba étaient joués très souvent pour satisfaire les désirs des esprits ancestraux qui se manifestaient. Ne pas les jouer et ne pas les honorer résultait en la maladie et la mort. Les jouer et les écouter, au contraire, soignait. Cela valait aussi pour l’engolo : quelques pratiquants incorporaient un esprit ancestral pendant le jeu. C’étaient des instruments de cure, et les jeux n’étaient pas seulement des instruments de combat, mais aussi de guérison.

55La capoeira du XXè siècle continua d’avoir une fonction thérapeutique, mais elle a perdu ce signifiant religieux. Elle s’est sécularisée en même temps que la société bahianaise et brésilienne. Quel était, alors, le signifiant culturel de la vadiação dans ses différents contextes sociaux ? Luís Renato Vieira (1995) a suggéré que les expressions utilisées par les vieux maîtres montraient qu’ils s’identifiaient à un esprit diamétralement opposé aux valeurs morales qui prédominaient dans la société bahianaise. « Vadiagem* » et « malice » n’avaient pas pour eux une signification négative, mais, au contraire, aidaient à construire une « seconde réalité », opposée à la conception occidentale de la rationalité et de l’efficacité. Dans l’espace de la roda, une conception différente et cyclique du temps prévalait, contrastant avec le temps linéaire qui régissait les rapports de travail.

56L’identification des capoeiristes à un modèle de comportement condamné par les élites révèle à quel point la capoeira était, au fond, un refus d’endosser l’éthique du travail dominante. La vadiação fournissait, de plus, un commentaire ironique sur ce modèle. Cette éthique a davantage à voir avec une sous-culture de résistance à la rationalité de la société esclavagiste et ensuite capitaliste au Brésil, qu’avec les éthiques africaines pré-capitalistes. En Afrique, les jeux de combat étaient également pratiqués dans les intervalles du travail, agricole ou pastoral, mais ces activités étaient régies par d’autres rythmes et logiques. Néanmoins, des systèmes de travail obligatoire pouvaient reproduire des logiques très similaires en Afrique. Nous trouvons ainsi des jeux de combat parmi les « contractés » de l’époque coloniale en Angola, après l’abolition de la traite transatlantique des esclaves. En opposition à l’image de la « Mère Afrique » éternelle et immuable, le processus historique en Angola a résulté en des transformations sociales au moins autant profondes qu’au Brésil, ce qui accroît notre difficulté à remonter le temps du trafic transatlantique à travers la mémoire orale.

Conclusions

57Même en n’ayant pas de sources substantielles sur les jeux de combat africains de l’époque du trafic, les minces indices dont nous disposons suggèrent qu’ils fournirent des éléments basiques pour la capoeira du XIXè siècle, tant sur les aspects formels (techniques corporelles, leur association avec les rythmes et les instruments) que rituels. Les jeux de combat angolais contemporains présentent quelques parallélismes significatifs avec la capoeira pour leur association avec des rythmes et l’environnement de la ronde, leur caractère ambivalent entre jeu, lutte et danse, et leur exécution dans des contextes tant sacrés que profanes.

58Le nouveau contexte de la société coloniale ou néocoloniale a donné lieu à des changements profonds du signifiant de la capoeira depuis le temps du Major Vigidal*, de la même manière que les jeux angolais ont dû beaucoup évoluer ces deux cents dernières années. Cela a résulté en des différences fondamentales entre la capoeira et les jeux de combat centre-africains. La coexistence de l’esclavage et des restrictions de la vie dans la diaspora a exigé les adaptations et la combinaison de plusieurs pratiques plus anciennes. Leur survivance dans la période post-abolition a résulté en de nouvelles adaptations et changements, exigeant des pratiquants un bricolage créatif et permanent. Alors qu’en Angola, de grandes reconfigurations politiques et ethniques du post-trafic ont également dû redessiner l’univers des jeux de combat.

59Ce bref examen de la vadiação a révélé combien la formation de la capoeira bahianaise s’est basée dans la circulation, la juxtaposition, la fusion, la combinaison et la coïncidence de pratiques africaines. Instruments, formes poétiques, paroles et harmonies d’origines diverses circulaient entre la capoeira et d’autres pratiques culturelles africaines et créoles. Des techniques corporelles de divers jeux de combat et d’autres traditions d’expression corporelle furent incorporées au jeu de la capoeira. Des pratiques religieuses très distinctes furent utilisées par les capoeiras pour se protéger et fermer leur corps, sans la nécessité d’un syncrétisme ou d’une fusion, mais en juxtaposition avec la roda. Une telle juxtaposition découle aussi des diverses modalités de mouvements et de jeux, particulièrement dans le cas du « jeu dans le jeu » [« jogo de dentro do jogo »], c’est-à-dire, les appels [chamadas] et les projections [balões] qui étaient régis par une logique distincte du jeu principal. Les rôles du genre africains et ibériques se sont renforcés mutuellement et ont résulté en la construction d’une identité hyper-masculine, le valentão. La réinvention créole devient également très évidente dans les paroles des chants et dans les signifiants culturels de la capoeira.

60C’est un anachronisme que de considérer l’engolo ou quelconque autre jeu de combat de l’actuelle Afrique comme « mère » de la capoeira. Pour cela et d’autres raisons, aujourd’hui, quelques maîtres angoleiros plus importants ont relativisé leur position par rapport à l’origine monogénétique africaine. Comme le dit Mestre Moraes : « La capoeira n’est pas seulement l’engolo. La capoeira du Brésil est la fusion de plusieurs manifestations culturelles, de nombreux lieux différents de l’Afrique » (Entretien, 07.04.2011). Pour autant, penser la capoeira et quelques-uns de ces jeux comme « cousins » – pour rester dans la métaphore de la famille – permet une comparaison pouvant mettre en lumière non seulement le processus de formation de la capoeira, mais aussi d’autres manifestations afro-brésiliennes, et de même que l’histoire des religions afro-brésiliennes pourvoit des modèles et une inspiration pour comprendre la formation de la capoeira.

61La capoeira a recouru à une large gamme de processus de restructuration durant son développement au Brésil, et ainsi a développé une capacité surprenante à s’adapter aux nouvelles circonstances et aux nouveaux contextes. À mon avis, le processus permanent de créolisation par lequel la capoeira est passé depuis ses débuts, explique, en grande partie, pourquoi cet art est parvenu non seulement à se moderniser, mais à devenir un modèle de transnationalisation si réussi dans notre société globale.

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Notes   

1  Pour plus de détails sur les mythes d’origine de la capoeira, voir Assunção (2005, p. 5-9).

2  « On donne le nom de capoeira à un jeu d’adresse qui a ses origines lointaines en Angola », (Carneiro, 1975, s/p).

3  Neves e Souza écrit n’golo, mais je suis ici l’orthographe officieuse pour les langues nationales angolaises, utilisant « engolo ». Pour plus de détails sur cet épisode, voir Cobra Mansa e Assunção (2008).

4  Pour le cas de Madagascar, voir Powe (2001).

5  Pour plus d’informations, voir : http://www.essex.ac.uk/history/research/Angolan_Roots/home.aspx ; et

6  Le travail le plus substantiel sur le trafic d’esclaves depuis Benguela est Candido (2006). Rodrigues Ruiz (1996, p. 33, 37) suggère, à partir de quelques indices, que des esclaves NKumbi furent emmenés aux Amériques.

7  Étant donné que les Africains de l’ouest étaient seulement une minorité, leur présence dans ces registres peut indiquer qu’ils ont aussi contribué depuis le début à la formation de la capoeira.

8  L’anglais original dit « ludicrous », ce qui signifie bien davantage « ridicule », que drôle.

9  Selon Ed Powe (2002, p. 30), quand Mestre Pastinha apprenait la capoeira à la fin du XIXè siècle, on utilisait qu’un seul atabaque.

10  Sur cette question voir Carneiro (1937, p. 149), Landes (1947, p. 102), Vianna (1979, p. 9), Rego (1968, p. 87) et Almeida (1999, p. 78), ainsi que les témoignages de maîtres décédés.

11  Édison Carneiro pensait réellement qu’il s’agissait d’ « espèces » variées de capoeira (Negros Bantus, 1937, p. 149).

Notes de bas de page astérisques :

*  [NdT] : L’astérisque signale les notes du traducteur, alors que les chiffres sont celles de l’auteur.

*  En anglais dans le texte.

*  « Quartiers » des esclaves dans les grandes propriétés rurales coloniales.

*  À l’époque coloniale et impériale, peuplement d’esclaves fugitifs (esclaves marrons ou quilombolas). Aujourd’hui, le terme désigne des territoires peuplés par les descendants des esclaves qui ont su préserver leurs traits culturels spécifiques.

*  Litt., « capitaines de la forêt » : mercenaires chargés de chasser les esclaves fugitifs, qui trouvaient en général dans les forêts des refuges où se cacher.

*  Autre nom donné à la capoeira, vieilli, mais désignant davantage la pratique dans l’intégralité de ses réseaux symboliques, historiques et socioculturels, le genre de vie et l’attitude du capoeiriste, que la pratique restreinte à elle-même.

*  À Rio de Janeiro, bandes ou gangs urbains d’esclaves et/ou noirs libres appelés « ganhadores » ou « de ganho », parce qu’ils gagnaient de l’argent en échange de services ponctuels les plus divers que contractaient les citoyens des classes supérieures, et qui divisaient la ville en s’attribuant un territoire dans lequel ils opéraient.

*  À Bahia, religion de matrice africaine caractérisée par le culte et la possession par des divinités d’origine africaine.

*  Désigne les joueurs de capoeira angola.

*  Litt. « créoles », désigne les esclaves d’origine africaine nés au Brésil.

*  Pièce de métal ronde, généralement en bronze ou en cuivre – ou un galet, une pierre arrondie – poussée plus ou moins fortement par le joueur sur l’arame – le fil métallique tendant l’arc du berimbau et sur lequel est tenue par une cordelette la calebasse, caisse de résonnance de l’instrument – pour le faire vibrer. En résulte au contact de la baguette (baqueta) ce son métallique « doublé » si caractéristique du jeu sur le berimbau.

*  (« Gargalho ») Anneau ou cylindre glissé sur le pouce qui est en fait taillé dans le goulot d’une bouteille en verre.

*  Litt. errer, vagabonder, vaguer sans occupation.

*  Sorte de roue effectuée les jambes plus ou moins pliées et les genoux plus ou moins serrés contre la poitrine.

*  Tambour oblong à une peau à l’extrémité la plus large. Dans les cultes afro-brésiliens, ils sont toujours trois (rum, rumpi et )

*  Percussion dont le bois (bambou généralement) présente des striures qui sont frottées à l’aide d’une baguette en bois.

*  Idiophone en métal pourvu de deux campanules battues à l’aide d’une baguette en bois ou métal.

*  Petit instrument à quatre cordes joué avec les doigts, d’origine portugaise.

*  Jeu de combat au bâton et/ou machette alliant danse et art martial, accompagné de chants et percussions.

*  Il s’agit d’un culte de possession dit syncrétique alliant le panthéon des divinités africaines des Orixás au panthéon des esprits Caboclos, semi-divinités dites d’origine « indigène » mais en fait souvent proches des cultes centre-africains.

*  Tradition orale de la littérature de colportage propre aux zones arides (sertão) du Nordeste du Brésil.

*  Le Kalunga est, dans le système linguistico-culturel bantou, la mer à laquelle se substitue l’entité divine du même élément, parfois orthographiée Calunga, déesse puissante associée à la mort ou aux enfers. La traversée de l’océan était, pour les esclaves déportés aux Amériques, identifiée à cette traversée infernale qui les menait ou bien à une mort certaine, ou bien aux chaînes et à l’assujettissement à vie.

*  Tambour à friction qui n’est pas utilisé dans la capoeira mais souvent considéré comme l’ancêtre/variante de la cuíca.

*  Synonyme de capoeira et capoeiragem.

*  Chef de la police militaire de Rio de Janeiro au début du XIXè siècle (1809-1824), connu pour ses persécutions et répressions violentes des pratiques afro-brésiliennes, notamment de la capoeira carioca.

Citation   

Matthias Röhrig ASSUNÇÃO, «Capoeira, art créole», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Capoeiras – objets sujets de la contemporanéité, mis à  jour le : 16/12/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=539.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Matthias Röhrig ASSUNÇÃO

Matthias Röhrig ASSUNÇÃO est Professeur au Département d’Histoire à l’Université d’Essex (Angleterre). Il est notamment l’auteur de travaux sur l’histoire du Maranhão (A Guerra dos Bem-te-vis. A Balaiada na memória oral. 2è ed., São Luís, EDUFMA, 2008). Ses recherches portent actuellement sur l’histoire de la capoeira (cf. Capoeira. The History of an Afro-Brazilian Martial Art. London : Routledge, 2005) et des jeux de combat dans l’Atlantique Noir. Il coordonne le projet “Raizes angolanas da capoeira” (Racines angolaises de la capoeira), soutenu par l’Arts and Humanities Research Council (AHRC) britannique. Voir :www.essex.ac.uk/history/staff/profile.aspx ?ID =1064www.essex.ac.uk/history/research/Angolan_Roots/home.aspx

Quelques mots à propos de :  Laure GARRABÉ

Laure Garrabé (Universidade Federal de Santa Maria, MSH Paris Nord)