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A propos d’une cartographie de collections amazoniennes en France : questions méthodologiques et perspectivesOn a cartography of Amazonian collections in France: methodological issues and perspectives
Margot Zinck, Pascale de Robert et Elisabeth HabertDOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2192
Texte intégral
1L’incendie du Museu Nacional de Rio de Janeiro en septembre 2018 a généré une perte évaluée à plusieurs dizaines de milliers de pièces des collections d’archéologie, géologie, paléontologie, botanique, entomologie, vertébrés, invertébrés et ethnologie, ainsi que des documents d’archives (Pacheco de Oliveira 2018). De cette collection, seulement un tiers était en ligne. Si cet événement a été un drame pour la communauté scientifique et les Brésiliens en général, il l’a été plus encore pour les populations autochtones amazoniennes qui ont vu disparaître une partie majeure de leur patrimoine matériel muséifié en Amérique du Sud. Aujourd’hui le devenir de ce musée parti en cendres mobilise de nombreux chercheurs brésiliens qui s’interrogent sur la reconstruction des collections. En lien avec eux, plusieurs projets et initiatives ont été lancés tout autour du monde ; notre note de recherche s’inscrit dans ces réflexions1.
2Des collections similaires à celles ayant été détruites sont conservées dans les musées européens mais restent pour beaucoup mal connues. Retrouver leur trace, les situer et les documenter permettrait non seulement de rendre compte de leur existence et leur importance, mais aussi, éventuellement, de connaître les lieux où sont conservées les pièces jumelles à celles ayant été détruites. Le recensement de tels objets devrait aussi ouvrir des portes à d’autres collaborations entre musées américains et européens, et favoriser leur étude par le corps scientifique, les étudiants mais aussi les membres de communautés amérindiennes ou les populations amazoniennes souhaitant avoir accès à leur patrimoine conservé en musées.
3À partir des pratiques de documentations historiques textuelles et iconographiques des musées et archives françaises, notre projet de recherche vise à localiser les collections ethnographiques amazoniennes présentes sur le territoire français. L’objectif est de visibiliser les informations sur l’histoire des collections ou la provenance des objets, ainsi que renforcer les relations entre les institutions patrimoniales françaises, le Museu Nacional de Rio de Janeiro et d’autres musées2, pour rendre accessible un maximum d’informations historiques et de données ethnographiques concernant les artefacts des peuples autochtones du Brésil. Cette recherche, principalement méthodologique, s’insère dans le projet COLAM : « Collections des Autres et Mémoires de rencontres : objets, plantes et histoires d’Amazonie » initiée avec par le laboratoire PALOC dans le cadre du programme OPUS de Sorbonne Université. Depuis 2018, le projet réunit des ethnologues, spécialistes amérindiens, muséologues, professionnels du patrimoine culturel et étudiants, avec comme objet d’étude les collections patrimoniales amazoniennes et les thèmes du renouvellement des études sur les collections, de l’intégration de nouveaux acteurs dans les études menées sur les objets, et des impacts des législations internationales sur le patrimoine.
4Dans ce cadre, il s’agissait d’abord de continuer à documenter et contextualiser les collections susceptibles d’intéresser nos partenaires amérindiens dans une démarche collaborative (Delaître 2017). En effet, les recherches sur les collections amazoniennes en France ouvrent des portes non seulement à leur partage numérique ainsi qu’à leur diffusion, mais également à leur étude en informant de l’état actuel des collections et en développant le partage de leur documentation. Nous espérons que dans un premier temps, leur localisation permette aux muséologues, amérindiens, ethnologues et autres chercheurs d’y avoir accès pour organiser leurs propres travaux, et alimenter en retour la documentation des collections. Idéalement, à plus long terme, il s’agit de rassembler toutes les informations sur les collections amazoniennes en France et de les partager, virtuellement et en privilégiant la forme cartographique pour nombres de données, de façon à collaborer à la valorisation et diffusion du patrimoine culturel amazonien conservé en France. L’usage des systèmes d’information géographiques (SIG) peut alors offrir des perspectives intéressantes pour les muséographes.
5La méthodologie développée dans le cadre d’une première étude menée en 2019 au sein de l’UMR PALOC et l’IRD3 s’est nourrie des collections online de quelques musées et des ressources bibliographiques dont nous disposions à l’aube de ce projet (Mongne 2003, Delaître 2017) et qu’il sera nécessaire d’enrichir. Il s’agissait d’abord d’inventorier les musées publics susceptibles d’abriter des collections dites ethnographiques ou archéologiques originaires d’Amazonie brésilienne. En partant d’une réflexion sur les catégories d’inventaires adaptées aux typologies de collections visées, l’indexation des données à notre disposition et l’adaptation d’outils cartographiques, nous avons obtenu des premiers résultats significatifs (figure 1).
6Un programme tel que la cartographie des collections amazoniennes en France ouvre plusieurs perspectives mais la première à mentionner est que pour continuer, il faut renforcer et systématiser les collaborations entre institutions, chercheurs, étudiants et communautés sources. Avant d’aller plus loin dans l’inventaire, la priorité serait aussi de vérifier les informations que nous avons rassemblées aujourd’hui en amorçant une phase de visite des collections, sous forme d’ateliers collectifs ou recherches individuelles, en lien avec les institutions muséales concernées. Avancer sur ce projet exige également la collaboration d’experts amérindiens pour la valorisation des connaissances autochtones, pour améliorer, compléter et corriger la documentation des pièces conservées et pour faire découvrir les collections aux populations sources qui en ignorent bien souvent jusqu’à l’existence. De cette manière, la mise en cartes d’un inventaire pourra participer à la reconstruction des collections du Museu Nacional do Rio de Janeiro, renforcer les approches collaboratives entre les différentes institutions muséales avec leurs partenaires, s’articuler aux autres initiatives similaires comme le projet « Cartographies des collections ethnographiques au Brésil » (Russi, Velthem et Cury 2019) et ouvrir de nouvelles perspectives quant aux plateformes de partage comme accès numérique aux collections ethnographiques.
[Fig. 1]. Carte des villes où des institutions muséales publiques françaises abritent des collections amazoniennes (à partir de notre inventaire actuel). On constate déjà qu’il existe de nombreuses collections en dehors de la région parisienne.
Bibliographie
CURCIO VALENTE, Renata, 2021. « Coleções digitais na reconstrução do acervo do Museu Nacional : desafios e oportunidades para os povos indígenas ». Ariés, Anuario de Antropologia Iberoamericana.
DELAÎTRE, Anouk. 2017. Derrière les collections ethnographiques. Inventaires et mises en récits de collections ethnographiques. Mémoire de Recherche, Master. Paris : MNHN.
MONGNE, Pascal, 2003. Les collections des Amériques dans les musées de France, Réunion des Musées Nationaux, Paris.
Pacheco de Oliveira, João , « Ce que le feu n’a pas détruit : mémoires, réseaux et projets », Cahiers des Amériques latines, 88-89, 2018, 13-20.
RUSSI Adriana, Lucia van VELTHEM & Marlia Xavier CURY. “Mapeamento das coleções etnográficas no Brasil: três relatos de um percurso em formação ». in Cavignac J., Abreu, R. et Vassallo,S (org.). Patrimônios e museus : inventando futuros Brasilia : ABA Publicaões ; Natal : EDUFRN, 2022, p. 377-415.
VELTHEM, Lucia Hussak Van et al. « A coleção etnográfica do Museu Paraense Emílio Goeldi : memória e conservação ». Musas : revista brasileira de museus e museologia, Rio de Janeiro, v. 1, n. 1, p. 121-134, 2004.
ZINCK, Margot et ali. 2019. « Mapping Amazonian Collections: Methodological Purpose for Transatlantic Collaborations ». Communication au II Congrès ABRE, Table Ronde E3: The Fire of the Museu Nacional in Rio de Janeiro: Global Challenges and Perspectives, EHESS Paris, 20 septembre 2019.
Notes
1 Avec le conservateur João Pacheco de Oliveira, le Secteur d’Ethnologie et d’Ethnographie du Museu Nacional de Rio de Janeiro coordonne plusieurs actions et réseaux dans ce sens avec entre autres objectifs « de fournir un accès en portugais aux informations sur les collections des peuples indigènes brésiliens dans les musées étrangers, afin de développer une base de données numérique complète sur ces peuples, accessible au public brésilien et aux communautés indigènes elles-mêmes » (« A reconstrução » sur le site du SEE https://museunacional.ufrj.br/see/index.html). Consulter aussi les travaux de Renata Curcio Valente (2021).
2 Par exemple le Museu Paraense Emilio Goeldi à Belém do Pará (Velthem 2004) qui conserve désormais des collections ethnographiques amazoniennes parmi les plus anciennes et participe au programme COLAM, mais aussi d’autres institutions muséales brésiliennes et françaises qui travaillent à la mise en ligne de leurs collections.
3 Stage de recherche mené à PALOC dans le cadre d’un Master au Museum National d’Histoire Naturelle, voir aussi Zinck et ali (2019).