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À propos du livre De acervos coloniais aos museus indígenas : formas de protagonismo e de construção da ilusão museal (João Pessoa : Editora UFPB, 2019)On the book From colonial collections to indigenous museums: protagonism and museal illusion construction forms (De acervos coloniais aos museus indígenas: formas de protagonismo e de construção da ilusão museal; João Pessoa: Editora UFPB, 2019)

Anna Bottesi
juin 2024

Index   

1Prenant possession du livre édité par João Pacheco de Oliveira et Rita de Cássia Melo Santos, intitulé De acervos coloniais aos museus indígenas : formas de protagonismo e de construção da ilusão museal (2019), la première chose qui me vint à l’esprit fut l’image familière de la grande statue en plâtre qui accueille les visiteurs à l’entrée du musée d’anthropologie et d’ethnologie de Florence. Selon la légende sur le mur, il représenterait un habitant de la Patagonie à partir des informations rapportées par un capitaine anglais qui vivait à la fin du XVIIIe siècle. Pour un œil un peu expert, il est immédiatement évident que la statue ne représente pas en réalité un Patagonien, mais sa représentation, c’est-à-dire une reproduction matérielle de l’interprétation que les Anglais avaient produit sur les habitants indigènes de la Terre de Feu.

2Cette association, sans doute liée à l’image qui domine la couverture et que le court texte au verso explique comme la superposition de trois moments différents, nous conduit directement à l’intérieur des pages du livre. Puisque c’est précisément le discours de l’arbitraire de la représentation au sein des itinéraires muséaux que traitent les différentes contributions. Les auteurs des chapitres proposant une vision critique qui démasque et déconstruit les relations et les significations sous-jacentes. A lire nécessairement dans son intégralité, compte tenu de la présence d’essais courts qui se complètent, déjà dans les premières pages les auteurs illustrent comment le collectif est le résultat d’un parcours entamé en 2009 avec l’organisation du séminaire « Experiências Indígenas com Museus e centros culturais au Museu Nacional de Rio de Janeiro, qui a duré dix ans dans le but d’encourager de nouveaux échanges et collaborations et qui ont culminé avec la publication de ce volume.

3Le fait de considérer une période aussi dilatée s’est avéré être l’occasion d’inclure dans le débat toute une série de réflexions et de discussions assez récentes, telles que des expériences partagées de conservation, la restitution numérique, la controverse sur les restes humains, la conception d’expériences dialogiques, etc. Il est extrêmement important dans le contexte actuel de repenser et de renouveler les structures muséales, leurs collections et les relations de pouvoir qu’elles intègrent.

4Une première opposition importante mise en évidence par les auteurs est celle qui caractérise deux moments centraux de la formation des musées dits anthropologiques et ethnographiques : la période coloniale, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle et la période postmoderne entre la fin du XXème et le début du XXIème siècle. Les discours qu’ils apportent se manifestent dans une dialectique qui contraste respectivement l’étouffement de la différence dans l’imposition d’une représentation unique normalisée dans les canons européens et l’exaltation d’une pluralité culturelle croissante exposée parmi les centaines d’expériences muséales qui se sont produites.

5Ces dernières décennies, comme on le sait, les premières provocations ont été lancées par William Sturtevant dans son célèbre essai de 1969 « L’anthropologie a-t-elle besoin de musées » ? Cet ouvrage peut en fait répondre à la question posée par Sturtevant. Dans l’introduction il y a des remarques liées au soi-disant « tournant interprétatif » (Geertz, 1987), à la reconnexion entre le contexte de production et le contexte de consommation d’objets (Appadurai, 1986), à la production et à la valorisation des localités présentes au sein d’un objet (Appadurai, 2001). Il apparaît que la recherche d’un dialogue croissant avec tous les acteurs du processus de production culturelle finalement reconnu dans son hétérogénéité, a conduit à la prise de conscience que le musée ethnographique devait se transformer en un »espace de contact« vital (Clifford, 1997) et dynamique, pour problématiser des questions telles que le droit de représentation. Qui a exactement le droit de représenter qui ? Quels nouveaux espaces de dialogue et de négociation devez-vous ouvrir pour rééquilibrer les relations de pouvoir et réparer les blessures laissées par l’expérience coloniale ? Comment donner de la visibilité aux voix et aux points de vue longtemps tenus silencieux ?

6Conformément au texte édité en 2003 par Laura Peers et Alison K. Brown, « Museums and Source Communities », le volume édité par Pacheco de Oliveira et Melo Santos tente également de répondre à ces questions, non seulement par le développement de notions théorico-méthodologiques, mais aussi et surtout en offrant au lecteur des témoignages d’expériences pratiques dans lesquelles conservateurs, anthropologues, responsables de diverses institutions et représentants de différents groupes autochtones se sont impliqués en relevant les nombreux défis proposés.

7Parmi ceux-ci, repenser le rapport à l’autre (Fabian, 2006) prend une importance particulière à partir d’une reconceptualisation basée sur l’arbitraire de la même notion et sur des principes de comparaison qui mettent en avant les similitudes ainsi que les différences. Il s’agit aussi, pour les peuples autochtones, de se libérer de l’insertion forcée dans les catégories de classification occidentales tendant à la réification dans un présent ethnographique (Ames, 1992), afin de promouvoir une production de savoirs polyphoniques et contre-hégémoniques (Mignolo, 2007).

8De chacune des contributions présentées émerge le plein potentiel du musée comme dispositif narratif, comme « usine d’illusions » - pour reprendre une expression inventée par les commissaires eux-mêmes dans l’essai final du volume -, également à travers la présentation d’expériences à caractère encore colonial dans lesquelles il est conçu plus comme un placard de vieilles choses et de fantômes du passé. La discussion se construit progressivement selon deux axes principaux de comparaison, acquérant, d’une part, une étendue géographique considérable grâce à l’analyse des expériences à l’échelle internationale (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique et Océanie), d’autre part, à une certaine profondeur historique grâce à la comparaison entre un premier bloc d’expériences coloniales et néocoloniales et un second d’expériences post- et décoloniales.

9La section intitulée « Os museus etnográficos como espaço político : ressignificações e possibilidades » (les musées ethnographiques comme espace politique : re-significations et possibilités), semble décrire presque une série de »tableaux du patrimoine colonial« accrochés un peu de travers, abordant de manière critique des questions telles que l’esthétisation et la romantisation des sociétés autochtones (Benoît de l’Estoile), l’utilisation de l’art comme outil de construction d’un projet colonial (Nuno Porto) ou le retour à l’histoire de populations considérées sans tradition historique (Andrea Roca). Elle montre aussi les liens entre visions primitives et construction d’un imaginaire lié à une curiosité presque macabre à travers des propositions narratives tournées autour de la question des restes humains (Edmundo Pereira) et de la diabolisation opérée par les missionnaires (Claudia Mura).

10Au contraire, la section suivante intitulée « Les expériences de musées indigènes face aux défis contemporains » tente de redresser les cadres en décrivant toute une série de collaborations visant à rééquilibrer les relations de pouvoir imposées pendant la période coloniale. De la construction du Centre culturel Jean-Marie Tjibaou en Nouvelle-Calédonie pour promouvoir une culture longtemps obscurcie et ostracisée (Alban Bensa) à des collaborations avec de nombreuses communautés sources au Weltmuseum de Vienne (Claudia Augustat et al.) en passant par des expositions conçues et construites par les mêmes groupes autochtones au Musée national des Indiens d’Amérique à Washington (Leonardo Bertolossi), nous arrivons au Brésil avec des projets de restitution numérique de certaines collections (Renato Athias) et la décolonisation à travers de nouvelles approches d’exposition sur les amérindiens (Maria Fátima Machado, Mariza Carvalho, João Pacheco de Oliveira et Rita Cássia de Melo Santos).

11En nous guidant, comme un fil rouge, sur tout le chemin dans lequel nous accompagne la lecture des différents essais, nous trouvons différentes modalités de ce que Pacheco de Oliveira et Melo Santos définissent comme une « illusion muséale » (Pacheco de Oliveira, Melo Santos, 2019 : 397), c’est-à-dire les jeux de sens et de pratiques qui construisent des représentations arbitraires souvent naturalisées par le visiteur. Démasquer cette illusion, réfléchissant précisément sur la multiplicité des points de vue, sur la dynamique de construction, ainsi que sur les responsabilités qu’impliquent un certain poids politique, est l’un des objectifs de ce volume. Réfléchir sur les processus historiques qui nous ont conduits à la contemporanéité sans cacher la poussière sous le tapis ou, pour adopter l’expression utilisée dans le texte « jogando o bebê junto com a água do banho » (Ibidem : 9), mais en mettant en évidence les rôles et les relations, en est sans aucun doute un autre. Je pense que le renouveau et la collaboration sont, à ce jour, des concepts trop galvaudés qui tendent souvent à masquer des dynamiques néo coloniales lesquelles, selon certains auteurs, ne pourront jamais être complètement surmontées (Boast, 2011).

12Par conséquent, rassembler en un seul volume différents visages de ce qui, plutôt qu’une médaille, semble être un polygone complexe, est une stratégie efficace pour montrer les possibilités et les limites d’un champ aussi large et pour encourager et inspirer de nouveaux projets à développer à l’avenir. Déconstruire le stéréotype inventé et re-proposé au fil des siècles par un regard purement occidental qui plane toujours autour des groupes indigènes du monde n’est plus un choix, mais une urgence.

13Éduquer un public encore imprégné de perspectives occidentales, savoir regarder au-delà et à travers les discours qui sont proposés dans tous les domaines de la vie quotidienne, doit devenir une priorité pour les musées ethnographiques de tous types, précisément en raison du potentiel qu’ils contiennent en termes de polyphonie et pluralisme. Comme le soutient Michael Ames (1992), cela ne fait pas référence au fait que les musées doivent cesser de parler des autres, mais au fait qu’ils doivent cesser de parler à la place des autres, parfaitement capables de s’approprier les outils de la modernité pour constituer leurs propres collections et auto-représentations.

14Il y a quelques années, Harris et O’Hanlon ont écrit un article affirmant que le musée ethnographique était mort (2013). Loin de la tombe, il s’éveille lentement et se transforme. Le texte considéré ici en est la preuve, dans l’espoir que, dans un prochain volume, l’espace dédié aux musées des communautés autochtones sera encore plus grand.

Bibliographie   

AMES, Michael, Cannibal Tours and Glass Boxes : The Anthropology of Museums, Vancouver : UBC Press, 1992.

APPADURAI, Arjun (Ed.), The Social Life of Things : Commodities in Cultural Perspective, Cambridge : Cambridge University Press, 1986.

APPADURAI, Arjun, Modernità in polvere, Roma : Meltemi, 2001.

BOAST, Robin, « Neocolonial Collaboration : Museum as Contact Zone Revisited », in Museum Anthropology, 34, 1, Mars 2011, 56-70.

CLIFFORD, James. « Museums as contact zones », in CLIFFORD James (Ed.), Routes : travel and translation in the late twentieth century, Cambridge (Massachussets) : Harvard University Press, 1997, 188-219.

FABIAN, Johannes, « The other revisited: Critical afterthoughts », in Anthropological Theory, 6, 2, Juin 2006, 139-152.

GEERTZ, Clifford, [1973] Interpretazione di culture, Bologna : Il Mulino, 1987.

HARRIS, Claire, O’HANLON, Michael. « The future of ethnographic museum », in Anthropology Today, 29, Février 2013, 8-12.

MIGNOLO, Walter, La idea de América Latina. La herida colonial y la opción decolonial, Barcelona : Gedisa, 2007.

PEERS, Laura, BROWN, Alison K. (Ed.), Museums and Source Community, London : Routledge, 2005.

STURTEVANT, William, « Does Anthropology need Museums? », in Proceedings of the Biological Society of Washington, 82, 1969, 619-649.

Citation   

Anna Bottesi, «À propos du livre De acervos coloniais aos museus indígenas : formas de protagonismo e de construção da ilusão museal (João Pessoa : Editora UFPB, 2019)», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Amazonies mises en musées. Échanges transatlantiques autour de collections amérindiennes, mis à  jour le : 20/06/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=2195.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Anna Bottesi

Historienne et spécialiste du patrimoine culturel, Anna Bottesi est docteure de l’Université de Turin, en co-tutelle avec les universités de Saint-Pétersbourg et de Pernambuco. Ses recherches portent sur la construction et la déconstruction de la représentation historiquement produites des peuples autochtones brésiliens à partir des collections d’artefacts ethnographiques. Elles se situent dans la perspective générale du renouveau et de la décolonisation des musées d’ethnographie. Membre du groupe de recherche NEPE/UFPE (Centre d’Études et de Recherche sur l’Ethnicité).