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La place de l’Amazonie dans les collections d’anthropologie culturelle du Muséum National d’Histoire NaturelleThe place of Amazonia in the Cultural Anthropology collections at the Muséum National d’Histoire Naturelle

Serge Bahuchet
juin 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2190

Index   

Texte intégral   

1Au début du XXIe siècle, une importante modification des musées parisiens a eu lieu avec des conséquences majeures sur les collections ethnologiques du Museum national d’Histoire naturelle. En effet les créations successives du Musée du quai Branly à Paris puis du MUCEM à Marseille étaient en partie basées sur les immenses collections ethnographiques historiques du Musée de l’Homme, réunies à partir de 1879 par Ernest Hamy au Musée d’ethnographie du Trocadéro puis par Paul Rivet au Musée de l’Homme qui lui a succédé, à partir de 1937. Le Muséum a saisi cette situation imposée en 2002-2005, pour repenser la place des collections ethnographiques au sein de ses collections d’histoire naturelle. Près de 15 ans après, des réflexions collectives qui se poursuivent encore, associées à une inflexion des activités de recherche de plus en plus centrées sur les interrelations des sociétés humaines avec leurs environnements et avec la biodiversité, ont conduit à une réorganisation des ensembles de collections concernant les sociétés humaines.

1. Actualité des collections d’anthropologie culturelle

2Issus des activités de recherche de deux anciens laboratoires différents du MNHN, le laboratoire d’ethnologie au Musée de l’Homme (celui qui avait été amputé par la création des deux nouveaux musées, MQB et MUCEM), et le laboratoire d’ethnobotanique et d’ethnozoologie du Jardin des Plantes, plusieurs ensembles de collections coexistent sous l’appellation « anthropologie culturelle ». Leur articulation est actuellement en cours.

3Au Jardin des Plantes, le laboratoire d’ethnobotanique et d’ethnozoologie avait réuni des collections volumineuses de spécimens végétaux et animaux dits « ethnobiologiques » car liés aux activités humaines (près de 100 000 spécimens ethnobotaniques, moins de 1000 spécimens ethnozoologiques) ainsi que des objets et outils liés aux techniques associées aux plantes et aux animaux. Ces collections réunies au cours des recherches de terrain de plusieurs générations de chercheurs se sont poursuivies jusqu’à ce jour, atteignant maintenant plus de 5000 objets (sur les collections d’ethnobotanique, voir Bahuchet et al. 2019).

4Quant à eux, les ethnologues du laboratoire d’ethnologie du Musée de l’Homme ont également poursuivis leurs activités de terrain, mais après avoir redéfini les thèmes de leurs collectes, non plus sur l’ethnographie générale mais recentrées sur les relations avec l’environnement ainsi que sur les conséquences de la mondialisation sur les réalisations matérielles et sur les techniques. C’est sur ces thèmes qu’ont également été reçus des dons d’amateurs éclairés et de chercheurs extérieurs au Muséum. La collection d’objets atteint actuellement près de 7000 numéros.

5La grande similitude entre ces deux ensembles hérités des laboratoires antérieurs et sur les thèmes qui les sous-tendent nous ont ainsi conduit à les réunir sous le terme de « collections d’anthropologie culturelle », en associant ethnologie, ethnobotanique et ethnozoologie, ce qui est nommé « collections bioculturelles » dans le monde anglophone (cf. Salick et al. 2014, Bahuchet 2014). L’articulation entre les ensembles s’opère à travers la notion de « chaîne opératoire », c’est-à-dire « la série d’opérations qui transforment une matière première en un produit, que celui-ci soit objet de consommation ou outil. », selon la définition minimaliste de Robert Cresswell (2010, p. 26) [fig. 1].

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[Fig. 1]. La chaîne opératoire (©Serge Bahuchet, s/d)

6Ce qui donne tout son sens au terme de « collections bioculturelles » c’est de lier ces ensembles dans une même logique scientifique : il faut impérativement créer le lien entre l’objet et le spécimen, et mettre en commun les documents qui les concernent : la plante ayant fourni le bois pour faire tel objet ; la proie à qui est destinée telle arme ; la houe servant à telle plante cultivée... (figure. 2).

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[Fig. 2]. Objets (© Serge Bahuchet)

7Les collections ainsi réunies ne sont pas limitées à une aire géographique et concernent tous les continents (figure 3) ; en revanche elles sont contemporaines, car résolument collectées de nos jours. Elles sont conçues pour représenter la vie quotidienne des communautés humaines de notre siècle, illustrant leurs usages des ressources de la biodiversité, ainsi que leurs transformations matérielles.

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[Fig. 3]. Origine géographique des objets (n = 9348) (carte dressée par ©Flora PENNEC, 2020)

8Administrativement, les collections relèvent de deux statuts différents, des objets inscrits au patrimoine selon les termes de la loi des Musées de France (2002), et des objets relevant du « matériel d’étude » (voir Code du patrimoine Livre IV, et règlement des collections du MNHN, 2018 et Mémoire 2014). J’illustrerai ici ces thèmes à partir des objets provenant du bassin amazonien.

2. Les collections amazoniennes

9Les objets issus d’Amazonie sont maintenant au nombre de 527, provenant de sept pays : Brésil, Colombie, Équateur, Guyane française, Pérou, Surinam et Venezuela (figure 4). Ils proviennent d’une cinquantaine de groupes sociaux différents, principalement amérindiens, mais également paysans (riberinhos, caboclos) et afrodescendants (annexe 1) (figure 5).

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[Fig. 4]. Carte des collections d’Amazonie (© Serge Bahuchet, 2021)

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[Fig. 5]. Objets saramaka. Les Saramaka du Surinam et de Guyane sont réputés pour la qualité des décorations de leur production matérielle. En haut, de gauche à droite, des objets gravés : plat à vanner le riz, spatule, peigne et bol en calebasse. En bas, cape en appliqués de coton et pagne brodé. Objets collectés au Surinam par Monica Castro Cariño en 2003. (©Jean-Christophe DOMENECH, 2011 ; Nathalie IDALIE 2021).

10Ces objets concernent toutes les techniques : acquisition (chasse, pêche1, collecte), production (agriculture), consommation (alimentation et cuisine (figure 6) ; (figure 7) confort – habitat, vêtements, portage des bébés), soins du corps et parures (figure 8), (figure 9), instruments de musique (figure 10)…

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[Fig. 6]. Panier à élongation tipiti, « couleuvre » à manioc, Wayãpi, Guyane française, en fibres d’arouman (Ischnosiphon spp. , Marantacées). La vannerie est bourrée de pulpe de manioc râpé, bouchée et suspendue verticalement puis étirée pour exprimer la sève toxique du manioc par compression. Ce type de « couleuvre » est présent à peu près partout en Amazonie. Là où le manioc amer a moins d’importance, on peut employer une presse à torsion (cf. figure 7). (© Nathalie IDALIE, 2021).

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[Fig. 7]. Objets de cuisine. De gauche à droite, en haut : panier à piments wayãpi (Guyane), presse à manioc par torsion kayapo-mebêngokrê (Brésil) et spatule pour torréfier la semoule de manioc mehinaku (Brésil) ; au milieu marmite en terre caxinawa (Pérou), râpe pour les tubercules et mouvette pour les bouillies maijuna (Pérou), deux calebasses pour la bière de manioc palikur (Guyane), en bas à droite batte pour les bananes plantain (Pérou). (© Jean-Christophe DOMENECH, Pauline RAMEAU, Myriam KOURDOURLI, Nathalie IDALIE, 2014-2021).

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[Fig. 8]. Ensemble de colliers. Les créateurs contemporains emploient une large gamme de graines collectées dans la forêt, mais aussi des semences de plantes cultivées (« larmes-de-Job » Coix lacrima jobi), ou d’arbres d’ornement comme Adenanthera pavonina d’origine asiatique. Sont également présents des éléments animaux (plumes, os, dents…). Colonne de gauche : en haut, Coix lacrima jobi L. (Poacée), Parkia nitida Miquel (Fabacée), Schefflera morototoni (Aubl.) Maguire (Araliacées), Guyane française ; au milieu, Adenanthera pavonina L. (Fabacée), Brésil ; en bas, graines de Cardiospermum halicacabum L. (Sapindacée), Brésil. Colonne médiane : en haut, perles de verre et os de poisson Arapaima gigas (Osteoglossidés), Pérou ; au milieu, Schefflera morototoni (Araliacée) et plumes de toucans, Guyane, ; en bas, autour, Ormosia coccinea (Aubl.) Jacqs. (Fabacée), Leucaena leucocephala (Lam.) De Wit., (Fabacée), dedans Adenanthera pavonina, Schefflera morototoni, Sapindus saponaria L. (Sapindacée), Parkia nitida, Guyane. Colonne de droite : en haut, Canna indica L. (Zingibéracée), Leucaena leucocephala (Lam.) De Wit. (Fabacée), Thevetia peruviana, (Pers.) K. Schum. (Apocynacée), Guyane ; en bas Adenanthera pavonina, graines de palmier, dents de pécari (Pérou). (© Nathalie IDALIE, 2021).

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[Fig. 9]. Parures de plumes provenant de peuples du Brésil et de Guyane. Les coiffes de la ligne supérieure proviennent des activités des chercheurs avec des communautés du Brésil (kayapó-mebêngôkre, à gauche et au centre) ou de Guyane (wayãpi, à droite). La coiffe du centre a été confectionnée en pailles à boire de plastique, après que le stock de plumes réservé pour un rituel de nomination ait été détruit par un incendie. Les couleurs sont conformes à celles attendues des plumes naturelles. La ligne inférieure montre quelques pièces provenant d’une importante saisie judiciaire de parures de plumes du Brésil, faites d’espèces d’oiseaux protégées, et toutes confectionnées en vue d’exportations illicites destinées aux collectionneurs d’art ethnique (parures provenant ou inspirées des peuples Kayapó Yanomami et Rikbaktsa). On trouvera une présentation détaillée de l’évolution des collections plumaires amazoniennes conservées dans deux musées français dans DELAÎTRE & ROBERT (2019). (© Jean-Christophe DOMENECH, Myriam KOURDOURLI, Delphine BRABANT, 2017-2021).

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[Fig. 10]. Sonnailles de chevilles wayana (Guyane) pour rythmer les pas des danseurs, en coques de Thevetia peruviana (Apocynacées) sur fils de cotons. (© Nathalie IDALIE, 2019).

11Bien que ces objets soient assez divers en nombre et catégories, et qu’ils ne couvrent pas totalement les mêmes domaines techniques d’une région à l’autre, l’ensemble offre globalement des éléments qui peu à peu permettront une approche comparative (figure 11).

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[Fig. 11]. Diversité des formes d’éventails amazoniens. La forme résulte d’un choix culturel local, bien souvent marqueur identitaire. A gauche, trois éventails de Guyane (wayana, wayãpi, palikur), à droite en haut de Colombie, en bas du Pérou (maijuna). Qu’ils soient tressés de fibres d’arouman (Ischnosiphon spp. , Marantacées), de roseau ou de folioles de palmiers, ces éventails sont omniprésents et servent essentiellement à attiser le foyer. Sur les vanneries de Guyane, voir DAVY (2007). (© Nathalie IDALIE, 2021).

12Ces collections étant celles d’un muséum d’histoire naturelle, l’une des tâches qui nous incombe consiste à obtenir la détermination scientifique des espèces animales ou végétales employées pour la confection de ces objets. Leurs noms n’ont pas nécessairement été recueillis sur le terrain, et leur détermination peut être compliquée si le collecteur les a notés dans la langue locale ou si l’objet a été acquis en dehors de la communauté qui l’a fabriqué. Cette opération souvent difficile permet de créer les liens entre les collections d’anthropologie culturelle et celles de zoologie ou de botanique.

13L’acquisition des objets résulte de pratiques diverses, et concerne des lieux variés, ce qui mérite quelques explications. Quelques-uns ont été recueillis au cours d’études ethnographiques effectuées lors de séjours prolongés au sein d’une communauté autochtone, par exemple les Waorani d’Équateur étudiés par Gabriela Zurita Benavides (Zurita, 2014) (figure 12) ou les Maijuna du Pérou étudiés par Emmanuelle Ricaud-Oneto (Ricaud-Oneto, 2016). D’autres ont pu être récoltés au cours de séjour d’enquêtes extensives, dans plusieurs communautés (par exemple en Guyane française). Dans la majorité des cas, l’acquisition s’effectue de gré à gré avec une compensation monétaire fixée par le propriétaire de l’objet. Souvent, l’enquêteur demande qu’on lui fabrique un objet, qu’il achètera au fabricant. Mais les cadeaux et les échanges ne sont pas rares, et les objets ont pu circuler entre divers membres de la communauté, visiteurs ou chercheurs avant d’être accueillis au Museum.

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[Fig. 12]. Objets collectés par M. G. Zurita au cours de ses recherches ethnoécologiques chez les Waorani d’Équateur. De gauche à droite : en haut, sacoche tressée, petit panier, filet-épuisette pour la pêche ; en bas, sonnailles de chevilles pour la danse, hotte de portage en tiges de Rollinia ecuadorensis (Annonacées), hamac. La sacoche, l’épuisette et le hamac sont en folioles de palmier Astrocaryum chambira (Arécacées). (©Pauline RAMEAU, 2017).

14Beaucoup d’objets ont été acquis à titre onéreux dans des lieux de commerce locaux, notamment sur des marchés ou dans des boutiques. Enfin, beaucoup d’objets ont été acquis dans des lieux de commerce à destination d’étrangers à la culture qui les a produits, soit directement dans les villages visités (figure 13), dans des magasins ou marchés d’artisanat privés (par exemple le magasin associatif GADEPAM à Cayenne (figure 14) ou publics (tels que les magasins officiels de la FUNAI au Brésil ou ceux de Artesanías de Colombia) ou encore dans des salons ou foires (telle que la grande Expoartesanías de Bogotá qui permet de voir les réalisations de toutes les communautés du pays) (figure 15).

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[Fig. 13]. Objets aux formes et aux matières adaptées aux souhaits et aux besoins des clients extérieurs à la communauté des artisans. À gauche 13A, bracelets de formes modernes offerts à la vente directement dans un hameau yagua, à proximité d’un lodge touristique sur l’Amazone, près d’Iquitos (Pérou). A droite 13B, vanneries palikur proposées aux urbains ou aux touristes au hameau Norino, à Macouria (Guyane française) ; sur l’artisanat et le tourisme en Guyane, cf. DAVY (2011). (© Serge BAHUCHET, 2014).

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[Fig. 14]. Magasin d’artisanat des peuples de Guyane de l’association GADEPAM. Cette association sans but lucratif recueille des objets de qualité, directement auprès des artisans dans les villages, et les offre à la vente à Cayenne pour un prix fixé auparavant par l’artisan et qui lui sera reversé. Outre une juste rémunération, le but de l’association est aussi de faire connaître la qualité des réalisations matérielles des communautés locales méconnues. (© Serge BAHUCHET 2014).

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[Fig. 15]. Vente d’artisanat amérindien au cours de la Cúpula dos povos, le Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale, événement parallèle au cours du Sommet de la Terre Rio + 20 de l’ONU en juin 2012, à Rio de Janeiro. Outre le fait d’organiser débats et conférences, la Cúpula a été mise à profit par les communautés amérindiennes brésiliennes à la fois pour exposer leurs réalisations artisanales et pour en tirer un bénéfice auprès des innombrables visiteurs de la société civile brésilienne et internationale. (© Serge BAHUCHET, 2012).

15Cette démarche d’acquisition est intéressante en ce qu’elle nous confronte à la différence entre la production « autocentrée », destinée à l’utilisation domestique locale, et la production destinée à l’extérieur de la communauté, vers d’autres consommateurs, citadins du même pays ou étrangers de passage. Elle résulte directement de cette mondialisation, qui met en contact des sociétés différentes et provoque des modifications techniques ou stylistiques, et même sociales. Le commerce des productions artistiques s’effectue dans des lieux très divers, le village lui-même, les marchés urbains conventionnels, les magasins de curiosités ou de souvenirs, les galeries d’art…

16Les conséquences du tourisme et notamment de la « marchandisation » des objets du quotidien catégorisés comme artisanat ont fait l’objet de nombreuses discussions et analyses dont nous bénéficions pour la constitution de nos collections (COHEN 1988, 1989, DAWSON et al. 1974, GRABURN 1984). Notre projet en effet est d’assembler des objets qui témoignent de la situation contemporaine, hic et nunc, qui documentent une période spécifique, et de ce fait se placent dans la continuité des collections historiques des décennies antérieures, conservées au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac (et antérieurement conservés au Musée de l’Homme) et dans d’autres musées. Mais ils doivent surtout illustrer les diverses fonctions qui en sont attendues, tant pour les fabricants que pour les acheteurs. Ces objets, en réalité très divers, appartiennent à une sorte de continuum (figure 16). On distingue en effet :

  • des objets d’usage local revendus aux visiteurs,

  • la confection de répliques uniquement destinées à la vente,

  • la fabrication d’objets nouveaux qui s’écartent de plus en plus des règles locales, par la forme comme par la matière, pour satisfaire la demande des touristes (mais parfois aussi les jeunes générations locales).

17Les objets de cette dernière catégorie changent de fonction, et les fabricants les y adaptent. En résultent par exemple une modification des formes ou des proportions pour se rapprocher des attentes ou des possibilités des voyageurs (adaptation à la taille de la valise, par exemple !), ou encore une augmentation de la production2 de paniers ou de sacs, de colliers, avec une inventivité dans les décors ou les formes, et l’emploi de matières différentes (perles de verre ou de plastique, nouvelles espèces de graines ; fibres de métal ou de plastique…). Deux exemples bien documentés ont été réalisés, chez les Panare du Venezuela (Henley & Mattéi-Muller 1978) ou chez les Kayapo au Brésil (Gonzalez-Perez et al. 2013).

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[Fig. 16]. Le continuum des objets vendus en dehors de la communauté (© Serge Bahuchet)

18Certains objets se transforment en éléments purement décoratifs pour les intérieurs urbains, alors que d’autres formes nouvelles qui ne font pas partie de la culture des artisans (vases, bols, cuillères, paniers…), sont destinées à un usage utilitaire par leurs nouveaux consommateurs.

19Ces nouveaux artefacts ne sont pas dépourvus de valeur sociale. Certes, leurs formes nouvelles “are responding entirely to what the tourists think they ought to find in the exotic area” (Graburn 1984: 400), tout en garantissant quelque forme « d’authenticité » pour l’acheteur. D’ailleurs la notion d’authenticité fait elle-aussi l’objet de nombreuses discussions et analyses (par exemple Littrell et al. 1993, Shiner 1994). Pour l’acheteur, les objets touristiques sont d’abord des supports de mémoire, ce sont les souvenirs de l’expérience du voyageur (cf. Monterrubio & Bermudez 2014). Pour les artisans, en retour, ces « symboles transportables » peuvent exprimer les valeurs qui sont importantes pour eux, “thus telling the buyers not only what they want to hear but something about themselves that they can be proud of and that they hope will disseminate a positive image or identity to the outside world.” (Dawson et al. 1974 : 50).

20La création de ces nouvelles formes d’objets destinés à l’extérieur de la communauté peut résulter d’une initiative spontanée, décidée par les populations locales elles-mêmes en réponse à de nouvelles opportunités. D’autre part, elle peut être induite par des agences externes pour des raisons purement commerciales, ou des raisons humanitaires (Cohen 1989), dans la perspective de générer des ressources économiques supplémentaires pour des communautés locales qui en manquent, et fréquemment de favoriser la participation des femmes, en particulier à travers la création de coopératives.

21Enfin, les productions touristiques peuvent jouer un rôle important dans la réhabilitation artisanale auprès des jeunes générations locales, (“rehabilitative commercialization”) : “if there were no commercialization, the local crafts would anyway dye out” (Cohen 1989 : 164 ; voir aussi De Azeredo, 2002). En dernier lieu, la production destinée à un public externe peut tout à fait être réintégrée dans une culture locale, et utilisée par la population locale comme des symboles d’identification, de nouveaux marqueurs culturels (Cohen 1989 : 165).

22Pour toutes ces raisons, la collecte d’objets moins « ethnographiques » (au sens ancien et classique) s’impose, car ils sont caractéristiques de notre époque qui met en relation des communautés locales, qui les crée en marge de leur propre usage domestique, avec une société extérieure, dominante, qu’elle soit locale ou distante, qui les emploie dans une tout autre perspective.

Liste des peuples et communautés

BRÉSIL

GUYANE

COLOMBIE

SURINAM

VENEZUELA

PÉROU

Arawete

Asurini

Baniwa

Bororo

Galibi Marworno

Guajaja

Ikpeng

Kalapalo

Karaja

Karipuna

Kayapo

Menihaku

Panare

Rikbaksta

Tapirape

Waimiri Atroari

Waiwai

Wayana

Wayana-Apalai

Yagua

Yanomami

Aluku

Arawak

Kaliña

Lokono

Palikur

Wayana

Wayãpi

Cacua

Coyaima

Cubeo

Curripaco

Embera-Chami

Eperaara

Kankuamo

Koreguaje

Piaroa

Sikuani

Sinu

Wayuu

Wunaan

Yukuna

Saramaka

Warao

Bora

Caxinawa

Chambira

Ese’epa

Matse

Maijuna

Napuruna

Yagua

Liste des collecteurs

Bahuchet, Serge

Bernus, Caroline

Cadillac, Jean

Camargo, Eliane

Davy, Damien

Gendron, François

Gladu, Brigitte et Yves

Hurault, Jean-Marcel

Jacquemin, Henri

Katz, Esther

Laval, Pauline

Pagezy, Hélène

Ricaud-Oneto, Emmanuelle

Robert, Pascale de

Zurita Benavides, Gabriela

Bibliographie   

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Notes   

1 Les engins de pêche ont fait l’objet d’un catalogue illustré (Bahuchet et al. 2018).

2 On ne négligera pas le fait que l’accroissement éventuel de la production artisanale à partir de plantes sauvages peut avoir d’importantes conséquences sur la disponibilité voire entraîner la raréfaction des espèces employées, éventuellement conduisant à des substitutions de matières pour y remédier.

Citation   

Serge Bahuchet, «La place de l’Amazonie dans les collections d’anthropologie culturelle du Muséum National d’Histoire Naturelle», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Amazonies mises en musées. Échanges transatlantiques autour de collections amérindiennes, mis à  jour le : 12/06/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=2190.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Serge Bahuchet

Serge Bahuchet est professeur émérite d’ethnobiologie au Muséum National d’Histoire Naturelle(MNHN) à Paris, où il a créé et dirigé le département de recherche Hommes, natures, sociétés. Spécialiste de l’ethnobiologie des populations des forêts tropicales (Afrique centrale, Guyane), il a été responsable scientifique des collections bioculturelles du MNHN jusqu’en 2021.