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Amazonie itinérante. À propos de l’exposition Waraná Guarana, art et sagesse d’un peuple amazonienItinerant Amazonia. On the “Warana/Guarana. Art and wisdom of an amazonian people” exhibition

Brigitte Thiérion et Egídia Souto
juin 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2187

Index   

Texte intégral   

1De lourdes menaces pèsent sur les peuples autochtones à travers le monde, en partie liées à l’invasion de la modernité et de valeurs marchandes contraires au respect de l’environnement. Au Brésil, les conséquences d’une politique ultralibérale et les décisions arbitraires et coercitives prises par un gouvernement ouvertement hostile sont de plus en plus visibles chaque jour. Outre leur intégrité physique, cette situation met en péril leurs cultures traditionnelles et les contraints à trouver des solutions alternatives, en dialogue avec la société non autochtone, pour préserver ou refonder des économies fragilisées par les attaques incessantes portées à l’intégrité de leur territoire. Dans un contexte de mondialisation, qui tend à une standardisation de la culture et à une uniformisation des pratiques, la défense des identités locales et régionales s’avère plus que jamais nécessaire. Ainsi, la valorisation d’une activité traditionnelle, s’intègre-t-elle dans un processus de résistance économique et culturelle. C’est le sens de la démarche entreprise par la communauté sateré-mawé autour du guarana. C’est aussi cette démarche active que nous avons souhaité mieux connaître et médiatiser par le biais d’une exposition (Figure 1).

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[Fig. 1]. Affiche de l’exposition. Dessin de Ciça Fittipaldi et Daiara Tukano ; conception de Jorge Borges (© Sorbonne Nouvelle, 2021).

2Proposée dans le cadre d’une manifestation scientifique, l’exposition Waraná/Guarana, sagesse et art d’un peuple amazonien a été conçue comme un outil de médiation et de diffusion de la culture sateré-mawé. Elle a été élaborée et présentée, dans un premier temps, dans le cadre du IIe colloque international Amérindianités, intégré au sein du IIIe Congrès des Mondes Indigènes Europe, COIMI, organisé à l’initiative de l’Université Fédérale de Campina Grande (Brésil) et de trois universités européennes partenaires où elle a été successivement exposée : la Sorbonne Nouvelle (Paris), l’Université Pablo Olavide (Séville) et l’Université Nova (Lisbonne) en novembre et décembre 20191. Ensuite, l’exposition s’est ouverte à un public plus large au sein de festivals et de manifestations muséales liés à la connaissance des peuples autochtones. Ce fut le cas lors des journées du Patrimoine au Château du Théron, à Prayssac dans le Lot, grâce à l’initiative de l’Écomusée de Cuzals, dans le cadre de son cycle de conférences « Plantes et compagnie » en 2019 ; puis lors du 12e Festival du film Documen’Terre de Montignac-Lascaux en novembre 2021. Elle sera également proposée en milieu scolaire et associatif afin de développer une démarche de vulgarisation scientifique et culturelle en direction, cette fois, d’un jeune public. Elle met en scène une plante centrale pour le peuple sateré-mawé, le guarana, et donne à voir les apports spécifiques et l’importance d’un élément relevant à la fois de l’agriculture, de l’économie et de la culture, qui témoigne d’une ample démarche de revitalisation des cultures autochtones au Brésil. Elle œuvre également pour la sensibilisation à la protection de la forêt amazonienne et de ses habitants, ainsi que de leurs savoir-faire.

3Présentée au sein d’établissements universitaires de renommée internationale, dont la vocation consiste à favoriser les échanges interculturels, l’exposition espère contribuer à décentrer la pensée encore ethnocentrique de nos institutions. L’université se doit d’être un lieu engagé, à l’écoute des problématiques actuelles et, à ce titre, s’attache à donner une voix aux peuples autochtones, victimes d’abus et de déni, en témoignant de la richesse de leurs cultures, héritières d’une sagesse ancestrale, et des savoir-faire parvenus jusqu’à nos jours.

4Cette exposition est le fruit d’une collaboration avec l’anthropologue Alba Lucy G. Figueroa et se fonde sur le travail de recherche réalisé dans le cadre de sa thèse2, auprès des Sateré-Mawé, un peuple dont le territoire se situe dans le nord-ouest du bassin amazonien, entre les fleuves Andirá et Maraú. Elle résulte d’un travail collaboratif procédant d’une démarche de muséologie participative. En effet, en dialogue avec l’anthropologue, les producteurs sateré-mawé y ont apporté leur expertise et en ont validé le contenu aux différentes étapes de sa conception et de sa réalisation. La société parisienne Guayapi, qui distribue et commercialise leur production de guarana en France depuis de nombreuses années, selon les principes du commerce équitable, nous a également apporté une contribution, ce qui nous a permis de faire connaître ce travail hors du circuit académique.

5L’exposition est structurée autour de deux axes d’égale importance : le premier, technique, décrit la plante ainsi que les étapes du processus de transformation allant de la cueillette jusqu’à la commercialisation de la poudre de guarana (figure 2). Le second développe sa dimension historique et culturelle par le biais de la narration des mythes fondateurs qui lui sont associés. Une sélection d’objets, appartenant au rituel du guarana, complète ce dispositif, ainsi que la présentation d’une vidéo axée sur le graphisme évoquant la plante, réalisée avec la participation de l’artiste Daiara Tukano et de l’activiste autochtone guyanaise Clarisse Maëlum Taulewali Da Silva.

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[Fig. 2]. Une vitrine de l’exposition (©Eugenio Prieto, Sorbonne Nouvelle 2021)

6Comme le manioc pour d’autres peuples, le guarana constitue un végétal central de la vie et de la culture du peuple sateré-mawé. Il assume le rôle de catalyseur de la civilisation au point d’être considéré, au dire de l’anthropologue, comme « un faiseur de paix ». Cette relation symbiotique, qui l’institue « peuple du guarana », est mise en évidence dans leur cosmovision, narrée dans les multiples versions des récits collectés auprès de différents conteurs par Alba Figueroa. Nous les avons réunies, pour les besoins de l’exposition, afin de produire un récit unique et détaillé du mythe des origines qui fait apparaître la richesse de l’imaginaire lié à cette plante, par ailleurs méconnue hors de son territoire traditionnel, et nous informe de ses multiples usages et vertus. L’exposition met en évidence la relation séminale entretenue par ce peuple à son territoire historique.

7La richesse et la diversité des données recueillies démontrent la relation privilégiée et fructueuse construite au fil des ans par l’anthropologue.

8Afin d’en favoriser la circulation et l’accessibilité dans le cadre de ce congrès itinérant, une attention particulière a été accordée au dispositif d’exposition (maniabilité, simplicité, robustesse), et plus particulièrement à la médiation, notamment à la rédaction des textes figurant sur les panneaux, placés en français et en portugais, et pour une partie d’entre eux en espagnol. Le catalogue a également été conçu en deux versions : l’une en français, l’autre en portugais, et témoigne également de cette attention portée à la vulgarisation et à l’accessibilité de l’information. Pour compléter ce dispositif et favoriser le dialogue avec un public peu familiarisé avec cette culture, des conférences ont été organisées lors de chaque présentation, ainsi que des visites guidées, avec la participation d’étudiants d’anthropologie, d’histoire de l’art et de littérature (figure 3). Elles se sont attachées à mettre en perspective le caractère communautaire de l’utilisation du guarana, afin de déconstruire les clichés dévalorisants associés à son usage propagé par la grande distribution.

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[Fig. 3]. Conférence au Centre Culturel du CROUS de Paris autour du guarana (©Eugenio Prieto, Sorbonne Nouvelle 2021)

9Parce qu’elle a été conçue pour être remise aux Sateré-Mawé dans une démarche de muséologie engagée, nous formulons le souhait que Waraná Guarana, art et sagesse d’un peuple amazonien sera adaptée, traduite et présentée dans leur langue originale par le biais de l’association des producteurs Nusoken, afin d’intégrer un espace muséal autogéré, actuellement en projet au sein de la communauté3.

10Cette expérience collaborative et pluridisciplinaire, depuis sa conception jusqu’à sa circulation, revêt une dimension pédagogique et intègre un ample mouvement de préservation et de sauvegarde du patrimoine à la fois matériel et immatériel, voulu par les acteurs eux-mêmes, désireux de constituer des espaces de mémoire dans leur communauté et de réécrire leur histoire. La mise en perspective historique contribue également à réaffirmer la propriété intellectuelle du peuple sateré-mawé, dépossédé de ses droits par l’industrie agroalimentaire.

11Enfin, la dimension esthétique ne peut être séparée de l’univers imaginaire et symbolique dans lequel s’intègre le guarana, à l’origine de la cosmologie des Sateré-Mawé et présent dans tous les actes de leur vie sociale et dans leurs graphismes (peintures corporelles, parures, vanneries). La participation de deux artistes et intellectuelles renommées, engagées auprès de la communauté et plus largement auprès des peuples autochtones, l’illustratrice Ciça Fittipaldi et la plasticienne Daiara Tukano, constitue une remarquable contribution qui accroît la crédibilité et la cohérence de ce travail.

12Un fait de l’histoire de cette exposition mérite d’être rapporté ici. Dans les récits collectés auprès des conteurs sateré, le personnage de « l’Empereur » tient un rôle de héros civilisateur pour avoir incité ceux qui étaient déterminés à rester sur leur terre à cultiver le guarana dans leur jardin-forêt. Bien que rappelant le souverain portugais, et plus largement le monde des Blancs, il est initialement désigné comme « Imperador índio », empereur indien, puis il devient « Imperador indígena » au cours de la réalisation de l’exposition, avant d’être finalement qualifié d’« Imperador sateré-mawé », Empereur sateré-mawé, lors de la dernière présentation de l’exposition. Doit-on n’y voir qu’un détail sans importance (bien qu’il nous ait imposé de corriger les panneaux), ou serait-ce plutôt le signe d’un mouvement de réappropriation symbolique de l’Histoire par la communauté aujourd’hui ?

13La survenue de l’épidémie de Covid 19 a retardé la dernière phase du projet, consistant à remettre l’exposition à la communauté sateré-mawé. Il a fallu attendre novembre 2022, pour que cette ultime étape se réalise. En effet, profitant d’un voyage des responsables de l’Association Guayapi, Alba Figueroa leur a confié le matériel comprenant les panneaux d’exposition, les livrets et les fichiers ayant servis à la réalisation, le tout accompagné d’une lettre d’intention, dont nous reproduisons ci-dessous quelques fragments4.

14Nous espérons maintenant que ce matériel, que nous avons voulu adaptable dans sa forme et son contenu, pourra devenir un outil de communication vers l’extérieur, mais aussi un support de mémoire pouvant intégrer le musée communautaire en projet. L’Association des producteurs a aussitôt organisé des présentations dans les différents villages (Figure 4). Et nous espérons de la sorte contribuer, même modestement, au renforcement du sentiment d’appartenance collective et d’identité, et dynamiser un processus de réappropriation de leur patrimoine culturel par les Sateré-Mawé eux-mêmes. Comme le suggère Alba L. Figueroa, à travers l’histoire de cette ethnie, nous observons que la plante a assumé depuis le XVIe siècle un rôle diplomatique. Aujourd’hui encore, elle revêt une importance centrale pour la communauté. Sa parole et sa philosophie se font entendre par-delà les frontières. Partager de tels savoirs nous aide à saisir la complexité du monde et les diversités, et à appréhender des questions citoyennes, écologiques, rituelles et diplomatiques.

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[Fig. 4]. Réunion dans le barracão de Leonson avec Nova União, où s’est déroulé le Waumat la veille (© Guayapi, 2022).

Notes   

1 Sa diffusion a bénéficié du soutien d’organismes universitaires à vocation culturelle, comme le CROUS (Paris), qui l’a accueillie dans ses murs. Le photographe de l’université, Eugenio Prieto, s’est intéressé à ce projet et a documenté le colloque et l’exposition afin de laisser une trace pour les archives de l’université.

2 FIGUEROA, Alba Lucy G., Guerriers de l’écriture et commerçants du monde enchanté : histoire, identité et traitement du mal chez les Sateré-Mawé, Amazonie Centrale, Brésil, Paris : EHESS, 1997.

3 Pour ce travail, le Centre de Recherches sur les Pays Lusophones (CREPAL) de l’Université Sorbonne Nouvelle a bénéficié du concours d’autres chercheurs du projet COLAM ‘Collection des autres et mémoires de rencontres’, conçu et coordonné par l’anthropologue Pascale de Robert (Paloc/IRD-MNHN), associant des étudiants, chercheurs et experts de France et du Brésil, Universidade Federal do Pernambuco (UFPE) de Recife, Musée Paraense Emílio Goeldi (MPEG) de Belém.

4 Extrait de la lettre adressée par Alba Lucy Figueroa le 17 novembre 2022 CARTA A LIVRE ACADEMIA DO WARA – LAW AO TUXAUA GERAL DO MARAU ANTONIO TIBURCIO NETO, AO TUXAUA GERAL DO ANDIRA AMADO MENEZES FILHO (†) E AO SEU SUCESSOR, A OBADIAS BATISTA GARCIA, PRESIDENTE DO CGTSM, A DIRETORIA DO CPSM : “Prezadas autoridades do Povo Sateré-Mawé : Pela presente venho encaminhar a vocês o material gráfico da exposição “WARANÁ – GUARANÁ Sabedoria e arte do povo Sateré-Mawé”, que realizámos em Paris e em mais duas cidades da França, em Sevilha (Espanha) e em Lisboa (Portugal). A realização dessa exposição foi submetida à consulta prévia e informada durante o mês de novembro de 2018, em reunião feita na comunidade de Simão, no rio Andirá, com a participação dos distintos integrantes da LAW, entre os quais estava o saudoso Tuxaua Geral Amado Menezes Filho. Durante essa reunião nos comprometemos a fazer uma restituição ao povo Sateré-Mawé, do material que produzimos para a exposição contando com a valiosa colaboração das amigas professoras Ciça Fittipaldi (que esteve presente em Simão) e Brigitte Thiérion e Egídia Souto, da Universidade Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Claudie Ravel, de Guayapi Tropical, Lúcia Van Velthem, do Museu Goeldi e de minha filha Daiara Tukano, entre outras pessoas cujos nomes estão citados no catálogo publicado na ocasião da exposição.”…

Citation   

Brigitte Thiérion et Egídia Souto, «Amazonie itinérante. À propos de l’exposition Waraná Guarana, art et sagesse d’un peuple amazonien», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Amazonies mises en musées. Échanges transatlantiques autour de collections amérindiennes, mis à  jour le : 12/06/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=2187.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Brigitte Thiérion

Membre du Centre de Recherches sur les Pays Lusophones (CREPAL), Brigitte Thiérion enseigne la littérature et la civilisation brésiliennes à l’Université Sorbonne Nouvelle de Paris. Ses thèmes de recherche sont liés aux représentations de l’espace américain, de l’Amazonie, dans les récits de voyage et les fictions et, actuellement, elle s’attache aux manifestations de l’empowerment des femmes autochtones du Brésil à travers l’art, la littérature et la politique. Elle coordonne le projet Amérindianités : Histoire, condition et devenir des peuples « amérindiens » et « autochtones » dans les Amériques, et a rejoint plusieurs groupes de recherche associant des institutions brésiliennes.

Quelques mots à propos de :  Egídia Souto

Egídia Souto enseigne le patrimoine, la littérature et histoire de l’art de l’Afrique à l’Université Sorbonne Nouvelle. Elle est membre au CREPAL (Centre de Recherches sur les Pays Lusophones) et du CEAUP (Centre d’études africaines de l’université de Porto), Instituto de Filosofia, « Raízes e Horizontes da Filosofia e da Cultura em Portugal » (Université de Porto). Elle a contribué à divers projets de muséologie participative et à des expositions associant des chercheurs autochtones et non-autochtones, collaboré avec le musée du Quai Branly et le Musée Dapper et est associée à l’Institut Frobenius de Franckfort (Recherche en Anthropologie Culturelle). Actuellement, elle est co-commissaire de l’exposition Prehistomania au musée de l’Homme à Paris.