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Comme un chemin dehors

Kokoti Kayapó
juin 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2177

Index   

Texte intégral   

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Kokoti Kayapó (©Kokoti Kayapó, 2023)

1Akati mex, bonjour dans ma langue.

2C’était il y a longtemps...

3Il y a plusieurs années, je suis allée visiter des musées en France. Nous avons vu de grands musées avec des expositions importantes qui présentaient des petites et des grandes choses, et avec de grandes réserves, beaucoup d’objets stockés ensemble. On a travaillé là-bas, nous tous de l’équipe, avec des masques en papier, des gants en plastique, on a beaucoup étudié, surtout des choses très anciennes : des paniers de plusieurs sortes, des labrets tembetas, des coiffes de plumes, des ornements en perles de verre, des presses à manioc, des porte-bébés qui s’appellent ai dans ma langue, des écarteurs de lobe d’oreille, beaucoup de choses des Mebêngôkre mon peuple. Je me souviens aussi d’une grande coiffe krokroti ancienne avec des plumes d’ara, un peatijamy de plumes jaunes. J’ai aimé connaître ces musées, travailler ensemble, étudier et organiser ces choses anciennes. Maintenant, je pense aussi à rassembler pareillement des objets anciens ici.

4De cet autre musée, je me souviens bien aussi1. C’était assez loin, on y est allé en minibus, toute l’équipe. Quand nous sommes arrivés, j’ai eu l’impression que c’était un petit musée, mais non ce n’est pas le cas. On entre et à l’intérieur, il y a plusieurs maisons, de nombreux chemins, des jardins, des arbres… tout comme si c’était un village. Il y avait même une « maison de pain ». Je dis maison de pain parce que chez nous il y a des « casas de farinha2 », mais les Français mangent du pain, donc le four est ici dans la maison de pain. Nous avons même vu travailler le boulanger, il vit dans sa maison en ville mais vient certains jours cuire le pain comme on faisait avant, ici à l’intérieur du musée.

5J’ai aimé ce musée pour les plantes et les champs cultivés, ça c’était vraiment bien. Là, on peut regarder chaque plante, et même cueillir des feuilles si on veut. Il y a plusieurs champs, abattis ou jardins comme nos roças, des jardins d’aujourd’hui et d’hier avec différentes plantes qui poussent là, des plantes d’avant et des plantes de maintenant. Parce que les cultures changent avec le temps, c’est cela qu’on voit dans ce musée. On suit les chemins et on voit les différences. En marchant, on trouve d’abord une très vieille maison en bois, et puis après il y en a d’autres en pierres. L’exposition est comme ceci, des chemins, des champs, des grandes maisons et des petites maisons. Et puis on peut entrer. Au début, tout est sombre, et frais parce que dehors le soleil tape. A l’intérieur de ces vieilles maisons, il y a aussi beaucoup de choses anciennes : des poteries, des cuillères en bois, de vieux bancs et une horloge en bois, des assiettes anciennes sur la table...

6Nous nous sommes assis à l’intérieur d’une cheminée pour discuter, on peut même faire une petite sieste sur le lit, c’est un matelas en paille. Le chemin continue avec d’autres maisons plus anciennes ou plus récentes, des jardins avec les plantes que les gens mangeaient dans le passé, des fleurs bleues pour faire une toile, et des plantes pour la teindre. Je me souviens d’un petit champ que j’ai appelé puru ngritere et qui avait plusieurs sortes de patates de là-bas, je m’en souviens un peu, certaines que je connaissais, d’autres pas. Et il y avait aussi une friche avec des plantes médicinales que je ne connaissais pas. Il y en avait beaucoup et de ces remèdes, je me suis souvenue longtemps. J’ai vu qu’il y avait beaucoup de plantes différentes à manger et à guérir, il y avait une feuille pour les maladies du poumon, et ils vendaient des tisanes avec de ces plantes qui améliorent la santé.

7Dans ce musée, il y a aussi plusieurs objets anciens dont je me souviens, un panier paneru qui est utilisé pour nettoyer les châtaignes, des fleurs pour décorer, des graines, beaucoup de semences de différents types conservées ici, les cultures d’autrefois et maintenant. Il y a des machines pour travailler dans les champs, de l’artisanat, des vidéos qui expliquent comment font ceux qui savent faire, comment on récolte des fruits et des noix. Ici les femmes font aussi des paniers, chez moi c’est un travail réservé aux hommes… C’était très bien de visiter cet endroit, nous avons regardé ensemble, parlé avec les gens qui étaient là. Dans ce musée, on peut toucher, ramasser, essayer des outils et ainsi comprendre comment on faisait pour enlever l’écorce des châtaignes ou pour moudre des grains.

8Finalement, il y a du changement et pourtant c’est toujours la même chose. Chez nous les Mebêngôkre aussi, et c’est important pour nous de voir comment vous faites un musée pour raconter votre histoire. J’ai le projet de faire quelque chose un peu comme ça chez nous, avec aussi une maison des femmes où on pourrait peindre et montrer nos graphismes traditionnels, comme nos peintures corporelles mais faites sur du tissu.

9C’est ainsi que je me souviens de l’écomusée de Cuzals, c’était il y a longtemps ! On a marché au milieu de beaucoup de plantes cultivées. C’est un musée avec une exposition, mais comme un chemin dehors.

Notes   

1 Il s’agit de l’écomusée de Cuzals dans le département du Lot (voir Bergues, dans ce dossier). L’auteur l’a visité en 2018 dans le cadre du projet franco-brésilien Colam. Là, elle a aussi participé à une table ronde organisée pour le public avec les visiteurs amérindiens dans l’esprit des Rencontres Plantes et Cie. Ce témoignage a été recueilli a posteriori au Brésil (en 2021 et 2023).

2 C’est le lieu où on fabrique la farine de manioc torréfiée, un aliment de base en Amazonie.

Citation   

Kokoti Kayapó, «Comme un chemin dehors», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Amazonies mises en musées. Échanges transatlantiques autour de collections amérindiennes, mis à  jour le : 12/06/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=2177.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Kokoti Kayapó

Kokoti Kayapó est née à Kubenkrãken dans la Terre Indigène Kayapó et sa famille compte parmi celles qui ont fondé le village de Moikarakô. Aujourd’hui, elle travaille au centre de santé d’Ourilândia do Norte mais aussi à la Cooba’y, coopérative Kayapó des produits de la forêt. Elle a représenté les femmes Mebêngôkre dans divers événements à l’intérieur et à l’extérieur du pays, participant aux marches des femmes à Brasilia, à la rencontre des femmes amérindiennes sur les pratiques alimentaires et agricoles dans l’Amapá…. Elle est membre de l’équipe des chercheurs du projet Colam.