Mise en perspective des articles du dossier : cinq pistes de réflexion

Index

Mots-clés

gilets jaunes, ethnographie, anthropologie, sociologie, rassemblement

Keywords

yellow vests, ethnography, anthropology, sociology, rallying

Texte

Une hétérogénéité d’approches peut se révéler féconde à condition de prendre le temps de l’explorer. Notre dossier montre qu’il est possible d’esquisser un espace commun et des points de fuite qui s’interpellent et s’interrogent au fil des pages, se font écho et se rejoignent, d’un article à l’autre. Voyons lesquels1.


LA PERSISTANCE
— Les enquêtes présentées dans ce dossier relatent des mobilisations locales aux durées assez différentes, qui dépassent souvent le fameux « tournant de janvier2 » et se poursuivent parfois tout au long du printemps 2019, et même bien au-delà. Comme le montrent plusieurs auteurs, les vagues de démantèlements massifs des premiers mois et la répression policière et judiciaire ont atteint et fragilisé le mouvement, mais celui-ci n’a pas été anéanti. Il nous a donc paru important de revenir sur l’analyse de la persistance du mouvement en lien avec le problème de la définition de ses temporalités et de leurs implications.

Or, si la baisse progressive des effectifs est indéniable et sans doute plus sensible à certains moments3, se baser sans précautions sur la chronologie des « tournants » et sur la fluctuation des courbes comporte au moins trois risques. Le premier est celui d’inscrire le récit du mouvement dans la seule chronologie des démantèlements et des évacuations. Autrement dit, de suivre une temporalité imposée par le gouvernement, tout en étant peu attentif à l’hétérogénéité des situations locales. Le deuxième risque consisterait à réduire la « véritable » essence du mouvement au nombre d’individus mobilisés et aux réalités observables pendant ses deux premiers mois d’existence, à leur attribuer une importance prépondérante. De là, il ne reste qu’un pas à franchir pour signifier que ceux qui étaient présents à ce-moment-là seraient « plus gilets jaunes » que les autres (plus nombreux, plus combatifs, plus représentatifs), et à leur accorder une place de choix tout en laissant planer une ambiguïté et une contradiction de fond : les plus représentatifs seraient aussi les moins engagés dans le temps, ceux pour qui cette mobilisation aura été plus éphémère4 ; en réalité, et au risque de tomber dans un truisme, les temporalités adoptées reflètent bien souvent les problématiques retenues par les observateurs du mouvement et leurs propres questionnements. Le troisième risque est celui de conforter un récit globalisant, étriqué et simplificateur. Comme le rappelle l’article d’Aldo Rubert5, pour l’ethnographe, la recomposition de ces collectifs et la démobilisation des individus représentent des objets de recherche en soi et doivent être étudiées comme des processus étalés dans le temps, aux issues multiples et incertaines, plutôt que comme des moments distincts et précis, indexés sur une chronologie d’ensemble6.

Au sujet de ces recompositions, mon article7 invite à ne pas confondre la présence de gilets jaunes mobilisés dans le temps sur un secteur donné avec leur visibilité sur la voie publique et, plus précisément, avec leur capacité d’occuper durablement et spectaculairement des lieux stratégiques devenus emblématiques : les images auxquelles nous nous sommes accoutumés (des ralliements, des ronds-points, des baraquements – bondés, euphoriques, en ruine) ne sont pas toujours les plus adéquates pour décrire et penser les reconfigurations successives de l’engagement. Rappelons que les gilets jaunes ont aussi été confrontés à la lassitude et à la fatigue, à des tensions et à de nombreux conflits internes ; tous ces éléments ont joué un rôle non négligeable dans la baisse des effectifs, comme dans la recomposition des groupes. Pour en rendre compte, il faut plutôt suivre ces femmes et ces hommes sur leur chemin, dans des endroits – parfois sur des ronds-points – moins visibles, vers d’autres lieux et d’autres situations, vers d’autres horizons aussi8. S’il est à tout à fait indispensable de revenir sur les premiers mois, il ne faudrait pas pour autant négliger la suite et tomber dans une sorte de « piège quantitatif » qui, ne l’oublions pas, est en bonne partie l’expression de l’empêchement massif d’occuper les ronds-points causé par les autorités. Après tout, la résistance et l’endurance sont des caractéristiques importantes de la part d’inattendu de ce mouvement ; elles méritent toute notre attention et sont étroitement liées à un autre aspect de la galaxie jaune largement sous-estimé… Qui a dit que chez les gilets c’est toujours la pagaille ?!


L’ORGANISATION
— En raison de son caractère protéiforme et de son horizontalité, des difficultés à cerner une mobilisation pour certains aspects différente d’autres mouvements sociaux, l’idée d’une « absence d’organisation » presque constitutive du mouvement s’est installée au fil des mois dans le paysage : on la retrouve notamment dans un certain nombre d’interprétations et d’analyses – citées par les auteurs – qui ont ainsi souligné « les manques » des gilets jaunes et avancé à leur égard des définitions « en négatif » ; certes, cette idée n’a pas été la seule à être mobilisée pour décrire leur vie collective : les contributions et la distribution des tâches sur les sites occupés, où les savoir-faire des uns et des autres ont trouvé à s’exprimer, ont été souvent présentées comme des formes d’organisation informelles à haut potentiel d’agrégation. Or, plusieurs auteurs du dossier montrent que ces formes méritent d’être explorées comme matrices de « scènes communes », pour citer Benoit Hazard9. Dans un tout autre registre, on peut également noter que les réactions et les commentaires ordinaires face au surgissement des « ovnis jaunes » résonnent parfois avec cette idée d’inorganisation constitutive. De l’extérieur, les habitants et les élus des territoires concernés ont parfois décrit ces occupations comme des « bordels », des « bazars » et « du grand n’importe quoi »… D’ailleurs, peut-être certains gilets jaunes en rupture de ban ne leur auraient-ils pas donné tort…

Soyons claire, il ne s’agit pas ici de nier les difficultés bien réelles rencontrées par les gilets dans leur fonctionnement interne : leur incapacité à endiguer le délitement des groupes et la baisse du nombre de participants, ou encore à se constituer en « contre-pouvoir durable », comme le rappelle à juste titre Quentin Ravelli. Les auteurs du dossier invitent plutôt à rompre avec une approche descriptive surplombante, en négatif, parfois visiblement peu informée, à opérer un renversement de perspective, afin de considérer les gilets jaunes pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils ne seraient pas, ou pour ce que certains auraient voulu qu’ils disent ou fassent ; cela implique bien évidemment de montrer aussi les tensions, les difficultés et les impasses des collectifs. Les articles proposent de déplacer la focale sur les réalités propres aux gilets jaunes, sur l’organisation qu’ils se sont donnée eux-mêmes et – point très important – sur ce qu’ils ont voulu exprimer, signifier et élaborer au fil du temps à travers cette organisation. Les ethnographes le savent, il est sans doute plus facile de la nier, de la critiquer, ou même de la rêver, que de se frotter à elle et de la décrire.

Des plaines picardes à l’ancien bassin houiller de Lorraine, les articles de Benoit Hazard et de Karine Clément nous mènent dans l’univers sensible des gilets jaunes et se font écho ; partant tous les deux de la description et de la prise en compte des caractéristiques du vivre ensemble ordinaire sur les ronds-points, ils nous permettent de mesurer à quel point l’organisation de la vie quotidienne (entendue comme la mise en commun des savoirs et des expériences, l’agir et le travailler ensemble) dépasse la simple résolution de questions pratiques, pour exprimer et façonner les catégories de pensée des gilets jaunes. Dans l’Oise, ils ont permis l’émergence de véritables « scènes communes » où les « sans-parts » ont produit de nouvelles catégories populaires du politique ; en Moselle, sur un rond-point particulièrement résistant, ils ont appuyé le développement d’un imaginaire social mettant en scène le « peuple du commun » : l’image d’un peuple ordinaire qui retrouve sa dignité et sa force collective.

Les sociologues Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec, dans leur article consacré à l’analyse croisée de deux ronds-points du Sud-Ouest, « Arenc » et « Rambail », montrent bien à quel degré ces lieux peuvent fonctionner comme un « dispositif organisationnel décentralisé », qui permet aux gilets jaunes de s’ancrer dans l’espace et dans le temps. En alliant sociologie et géographie, Barbara Doulin, Elsa Koerner et Isabelle Siffert10 décrivent cet ancrage à travers une habile et originale comparaison multi-sites11. La mise en parallèle de cinq « baraquements12 » nous permet de saisir les similitudes et les différences des stratégies et des logistiques déployées pour faire vivre et animer ces lieux, en lien avec leurs dimensions fonctionnelle, symbolique et affective.

Les ronds-points peuvent être comparés, mais l’étude de leurs systèmes de fonctionnement montre qu’ils peuvent aussi être reliés et, si l’on peut dire, se comparer eux-mêmes les uns aux autres. En s’appuyant sur une enquête dans le Loiret chez les gilets jaunes de Montargis, Quentin Ravelli pousse encore plus loin le renversement de perspective en suggérant de penser l’organisation d’une façon ouverte et le fonctionnement des ronds-points comme une « structure politique à la fois souple et vivante » : plus précisément comme une organisation en « grappes giratoires », des ensembles dynamiques de ronds-points interconnectés. Pour les décrire, il introduit un principe de fluidité organisationnelle particulièrement stimulant pour les observateurs de l’univers jaune, capable de mettre en lumière les interactions et les allers-retours, les relations et les échanges, matériels et symboliques, entre des sites comparables aux îles d’un archipel.

Sur ces bases, le renversement de perspective se poursuit et se tourne désormais vers le caractère délibératif du mouvement13. Les auteurs s’accordent pour souligner que la mobilisation s’est définie principalement dans l’action ; que ce soit dans l’importance accordée aux blocages et aux occupations ou dans le recours aux affrontements, les gilets jaunes apparaissent comme une force plus « agissante » que délibérante, mais encore faut-il s’entendre sur le sens de ces mots. L’absence (relative) d’assemblées, entendues comme dispositifs délibératifs formalisés, sur les ronds-points a été souvent pointée comme une limite, un signe de faiblesse et même « une tare », comme l’écrit Quentin Ravelli14. En réalité, le sociologue nous fait remarquer que, dans le fonctionnement par grappes, les collectifs peuvent atteindre un niveau de sophistication bien supérieur à celui des assemblées générales (AG). Au lieu de montrer du doigt leur absence ou leur faiblesse, il invite plutôt à analyser les raisons de la méfiance à leur égard, du manque d’intérêt et parfois même du rejet observable chez de nombreux groupes de gilets jaunes. En effet, les AG se sont imposées comme une référence15 et un modèle incontournable des luttes sociales, mais dans mon article, je montre comment l’évocation de ce modèle dans les manifestations de curiosité ou les critiques vis-à-vis des gilets jaunes a surtout fonctionné comme un révélateur de l’ethnocentrisme de certains milieux militants, en particulier à gauche.

Aussi, à force de se référer au « modèle » des AG et d’évaluer l’organisation et l’efficacité du mouvement en fonction des paramètres de celles-ci, on risque de tomber dans un double piège : postuler une contraposition stérile entre action et délibération et se rendre aveugle à la présence d’autres formes de réunion et de discussion, de prise de parole et de décision ; chez les gilets jaunes de Montargis on pourrait les définir comme des « assemblées non générales permanentes » et à y regarder de plus près, elles sont loin de représenter une exception…

En effet, les pratiques et les dispositifs délibératifs évoqués dans les différents articles semblent s’inscrire dans trois configurations principales, qui ne s’excluent pas l’une l’autre et se distinguent par leur degré de structuration ou de formalisation, comme par leur fréquence et le nombre de participants. Je distinguerai schématiquement 1) les AG « classiques » ou assemblées citoyennes proche des AG dans leur fonctionnement ; 2) des rendez-vous plus ou moins réguliers qui sont souvent décrits comme de simples réunions, parfois spontanées, ou encore comme des assemblées différentes des AG dans leur forme16 ; 3) des pratiques délibératives plus informelles et horizontales, « diffuses et continues ». Elles doivent être entendues dans un sens large et ouvert : il s’agit de discussions, de débats et d’échanges, souvent en petit comité ; dans la prédilection qu’on leur accorde, dans leur fréquence et dans leur intensité, elles semblent représenter une caractéristique du fonctionnement des collectifs qu’on aurait tort de négliger. Sophie Wahnich fait remarquer que ce côté « très souvent délibératif » des gilets jaunes résonne avec celui du moment révolutionnaire de 1789-1794, qui fut décrit à l’époque comme « constamment délibérant », dans le sens d’un défaut. Comme dans les assemblées non générales permanentes de Montargis, on retrouve l’image d’une discussion perpétuelle, d’une confrontation incessante rythmant la vie collective des groupes, tout comme le souci partagé par les auteurs de souligner la « forme politique des ronds-points », pour citer Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec, le caractère politique (sous-estimé) de ces pratiques.

Cette façon ouverte et fluide d’appréhender l’organisation des gilets jaunes et de souligner les interactions et les échanges permanents, nous conduit tout droit à considérer un autre aspect peu connu, mais à mon avis très porteur pour cerner le fonctionnement et les évolutions de ce mouvement bigarré et mouvant…


LES CIRCULATIONS
— Presque intuitivement, on se représente les gilets jaunes comme des groupes qui bloquent, filtrent et empêchent des circulations et des flux, qu’ils soient automobiles, piétons ou marchands17. Le caractère souple et vivant des « grappes giratoires » permet de nuancer et d’interroger une représentation trop figée et statique de la galaxie jaune, comme de ses composantes. Après tout, cette flexibilité et cette tendance à la circulation ont été observables dès le début du mouvement et notamment dans l’articulation assez inédite entre des sites occupés, des opérations de blocage et les manifestations hebdomadaires dans la capitale, qui se sont ensuite imposées dans certaines villes de province et surtout dans les rues des nouvelles métropoles du désir18. Les circulations se sont faites dans l’espace, mais aussi (et les deux choses sont bien évidemment liées) à l’intérieur des manifestations et dans les têtes…

À travers une observation participante précise et rigoureuse, Violaine Chevrier nous donne un aperçu éclairant du déroulé des manifestations marseillaises à partir de décembre 2018. Elle fait le lien entre ses observations précédentes, relatives à l’émergence des « cortèges de tête » à Marseille depuis la mobilisation contre la loi travail de 2016, et les manifestations de gilets jaunes. Elle nous permet ainsi de saisir les circulations, la cohabitation et les influences réciproques entre des militants différents, individus participant aux tactiques de black blocs et gilets, dans le cadre des rassemblements et des défilés qui ont eu lieu à l’initiative de ces derniers.

Les manifestations des gilets jaunes ont été aussi un espace privilégié pour mettre en circulation des images, des symboles et des références, mais aussi des pratiques, renvoyant à différents évènements de l’histoire de France. À travers une enquête au croisement d’observations menées dans les manifestations et les assemblées, en mobilisant des matériaux recueillis sur les réseaux sociaux et parmi les productions visuelles et écrites des gilets, Sophie Wahnich nous propose d’analyser ces références multiples à la Révolution française comme un « scénario inactuel pour les gilets jaunes » : dans ce scénario défilent des symboles et des répertoires d’action qui ont fonctionné comme des leviers et une scénographie partagée encourageant l’union dans la différence propre à cette mobilisation, mais aussi comme un repoussoir qui lui aura été préjudiciable. En effet, certains de ces éléments ont pu générer des conflits internes et des malentendus ; aussi, ils ont parfois nourri des méfiances et empêché des rapprochements, notamment chez des individus et des militants situés à gauche de l’échiquier politique.

Appréhender les multiples circulations des gilets jaunes permet également de rendre compte de façons de vivre et de concevoir la mobilisation assez répandues, mais souvent occultées par l’omniprésence des références à des groupes localisés : aux « équipes », aux « ronds-points », aux « QG », aux « familles »19, etc. Tout en pratiquant le mouvement de façon assidue, certains gilets jaunes ont évité, refusé ou cessé d’être « affiliés » exclusivement à un site ou à un collectif, bref à une unité de référence et d’appartenance plus ou moins fixe. Quentin Ravelli les définit comme des gilets jaunes « trans-ronds-points » et précise qu’ils sont dotés d’une conscience particulière, mais il ajoute aussitôt qu’on peut retrouver cette « conscience “trans-ronds-points” » chez la majorité de ses interlocuteurs, à des niveaux différents. Il note que cette façon de pratiquer le mouvement recèle un potentiel de convergence parmi les ronds-points et de coordination parmi les grappes tout à fait remarquable. Dans un autre contexte, je les appelle « les nomades », selon leur propre façon de s’autodésigner. Le « portrait du gilet jaune en nomade » que je propose dans mon article souligne le caractère à la fois plus sélectif, plus ouvert et plus endurant de ce type d’engagement par rapport à celui de participants plus « sédentaires » et « enracinés ». En ce sens, la façon de rester mobilisés des « nomades » transcende un type d’engagement local ou localisé qui, dans un contexte tendu, se révèle plus exposé à toute une série de limites, de contraintes et souvent de frustrations ; surtout, cet engagement s’inscrit dans une vision et une pratique du mouvement et des luttes qui le concernent bien plus larges, « trans-ronds-points », mais aussi « trans-territoriales ».

Une dernière correspondance dans les façons de décrire et d’interroger le fonctionnement de la mobilisation mérite d’être mentionnée : elle se tisse autour de la notion de « rhizome », évoquée par certains auteurs, dont Barbara Doulin, Elsa Koerner et Isabelle Siffert ; les doctorantes rennaises proposent cette notion pour penser les évolutions spatio-temporelles des baraquements retracées dans leur enquête, en les rapprochant de l’engagement citoyen « rhizome » esquissé par la sociologue Christine Guionnet. En parcourant la description des « grappes giratoires » de Quentin Ravelli, il sera en effet difficile aux lecteurs de Deleuze et Guattari, de ne pas entendre l’écho des pages sinueuses de Mille plateaux, de ne pas y retrouver une assonance intrigante avec les principes de connexion et d’hétérogénéité, de multiplicité, de rupture asignifiante et de cartographie du rhizome. Mais cela ne doit pas nous surprendre, car les gilets jaunes sont un très bon exemple pour penser les tensions de plus en plus exacerbées entre le molaire et le moléculaire20 et les tentatives (surprenantes, titubantes, fragiles) de ce dernier pour faire émerger un horizon démocratique alternatif à celui de la politique dominante, de plus en plus débordée face à la complexité des défis contemporains. Un horizon où les singularités et les différences trouvent à s’exprimer, se confronter et se heurter, vacillent et sont mises à dure épreuve, mais peuvent se retrouver durant des mois dans un front commun autour du « pouvoir vivre » : des revendications inclusives qui, comme le montre Benoit Hazard, ne peuvent pas être réduites à un problème de pouvoir d’achat et rassemblent à la fois des exigences sociales, « le droit à une expression citoyenne » et l’exigence d’un « contre-pouvoir ».


LES CORPS ET LA SUBJECTIVATION POLITIQUE
— Pour décrire les efforts et les tentatives des gilets jaunes pour construire une démocratie alternative en actes, on pourrait partir des corps et des sensibilités. Les corps qui occupent, qui sortent de l’isolement et secouent des frontières imaginaires dures comme pierre, se guettent, se touchent et se tiennent, s’exposent à des risques considérables acte après acte, parce que sinon, les blessures des autres corps et tout le reste n’auraient pas servi à grand-chose ; les corps retrouvés et métamorphosés par des habitudes et des regards nouveaux, qui trouvent sur un rond-point ces nouvelles façons d’« habiter le monde » dont nous parle Karine Clément. À « Saarville », en Moselle, la sociologue observe et décrit finement « un enracinement des pratiques, dires et actions dans le monde terre-à-terre, au double sens du corps et du sensible » qui a permis aux personnes engagées une « réhabitation du monde » façonnée par « l’esprit gilet jaune ». Un monde ordinaire, prosaïque et imparfait, mais où l’on peut redéfinir sa place, « reprendre ses marques », s’ouvrir aux autres et subvertir les hiérarchies, non sans une bonne dose d’humour et d’autodérision. L’expérience de ce monde « terre-à-terre », profondément marquée par son caractère horizontal, redessine les frontières entre les individus et ouvre à un imaginaire social21 entendu comme « le sentiment de faire partie d’un “nous” glorifié où chacun se reconnaît dans un commun, dans une communauté d’expériences de vie ». Une redéfinition du « nous » très inclusive, où le collectif retrouve sa dignité et où se formulent des aspirations politiques nouvelles, mais dont il ne faut pas perdre de vue l’aspect pragmatique : en tant que lieux de vivre-ensemble, les ronds-points représentent une préfiguration concrète et durable de l’idée de société qui se construit dans les désirs et les revendications des gilets jaunes. Aussi, c’est dans ces deux mouvements, l’enracinement et le développement d’un imaginaire, que s’est construite une subjectivité sociale et politique particulière. Elle s’exprime dans une critique sociale ordinaire populaire de bon sens forgée par les gilets jaunes eux-mêmes, sans intermédiaires, et dont Karine Clément nous invite à découvrir dans son article une première élaboration.

Nous retrouvons cette articulation, entre ancrage dans l’ordinaire et le sensible et production de nouveaux cadres interprétatifs par les acteurs, dans la description des processus de subjectivation politique à l’œuvre chez les gilets jaunes de l’Oise. La « resocialisation du politique » des ronds-points, dont Benoit Hazard formule l’hypothèse, doit être avant tout comprise comme une présence, une situation de « reprise du contrôle », à la fois des émotions et de la parole, de la part d’individus que l’anthropologue nous invite à penser comme des « sans-parts », au sens proposé par Jacques Rancière. Les ralliements du 17 novembre et les événements de l’automne 2018 ont permis une prise de conscience aussi bien de leur condition d’invisibilité dans l’espace démocratique traditionnel, que des mécanismes politiques et économiques inscrits dans le paysage qui les entoure. À titre d’exemple, les occupations de péages n’ont pas été seulement des actions de blocage, des moments de partage et de fraternisation, mais aussi l’occasion d’observer le fonctionnement et de réfléchir sur la régie, le volume des flux et les chiffres d’affaire des autoroutes privatisées. Pour l’auteur, il faut comprendre et donner à voir comment l’ancrage des répertoires d’action et les formes de la mobilisation travaillent au quotidien la compréhension de la situation et ouvrent à un véritable « dévoilement du monde ». C’est dans l’exister ensemble, dans « le frottement de valeurs et de pratiques parfois contradictoires », que l’anthropologue voit l’émergence et le développement de ces « construits d’être au monde à vocation heuristique22 » que sont les ralliements, les ronds-points, les différentes assemblées, etc. La « resocialisation du politique » a été alimentée et façonnée par de multiples expériences partagées : construction de cabanes à habiter, récupération et préparation de nourriture, affrontements et bien d’autres encore. Ces expériences représentent le creuset où s’élaborent de nouvelles catégories politiques « de sens commun », qui ont comme particularité de contrecarrer les divisions traditionnelles du monde social et politique.

Les deux auteurs mettent en évidence un aspect fondamental des processus de subjectivation politique à l’œuvre dans le mouvement : l’attachement des gilets jaunes au principe d’horizontalité, intimement lié à leur refus de désigner des représentants attitrés, à leur goût prononcé pour l’inversion des hiérarchies et au rejet des oppositions entre catégories de manifestants (les casseurs et les autres) véhiculées par une partie des médias et le gouvernement. À ce sujet, Violaine Chevrier nous donne à voir comment ce principe d’horizontalité s’est déployé au sein de l’espace des manifestations marseillaises, notamment dans le refus de la dichotomie entre manifestants « violents » et « non violents ». L’expérience des affrontements a eu pour conséquence de bouleverser en profondeur les valeurs de certains d’entre eux ; la dénonciation des fins de mois difficiles et des inégalités économiques a déplacé l’attention des pratiques violentes vers le « caractère violent de la société » et la répression des forces de l’ordre. Paradoxalement, c’est l’arbitraire des méthodes de ces dernières, dans leur façon de considérer la foule comme un ensemble homogène et de l’exposer tout entière aux mêmes dangers, qui a contribué à souder des manifestants aux profils très différents et à légitimer pour certains l’usage de pratiques violentes. Si elle a largement contribué à la baisse des effectifs, l’expérience des ralliements et des affrontements a effectivement joué un rôle déterminant dans la cohésion des groupes et dans l’émergence d’un horizon partagé, celui d’un combat que l’on mène à armes inégales, où la vulnérabilité des corps est celle de tout un chacun23 et se confond avec la précarité des conditions d’existence que l’on veut dénoncer.

Plus profondément peut-être, et en lien avec les considérations précédentes sur les formes d’organisation du mouvement, la mobilisation des gilets jaunes, dans son caractère foisonnant et inattendu, pose la question des formes de résistance qui reconfigurent aujourd’hui l’espace politique des sociétés contemporaines. Malgré toutes ses spécificités et sans vouloir les dissoudre dans un chaudron contestataire, cette mobilisation prend sens non seulement dans le contexte national, mais en regard d’autres expériences qui, de par le monde, ont marqué la dernière décennie. À propos de ce qu’elle désigne comme « rassemblements », la philosophe Judith Butler24 propose de revenir sur la conception de l’espace politique qui prévaut généralement et qui place la parole au cœur du dispositif. Cette conception se reflète dans la manière dont Hannah Arendt définit l’espace public comme « l’espace de l’apparaître25 », en l’opposant à la sphère privée ou à l’univers domestique. L’action politique est caractérisée par la prévalence de la parole publique, et l’assemblée devient en quelque sorte le paradigme de l’agir politique. Or, à y regarder de plus près, il est clair que les gilets jaunes brouillent les lignes. Les ronds-points, comme les ralliements et les manifestations, sont une affaire de corps qui exposent leur précarité, mais aussi leur vitalité et leur « bien-être-au-monde », pour citer Karine Clément. Les corps ainsi rassemblés expriment leur « droit à persister26 » ; selon Butler, ils « redéploient l’espace de l’apparaître afin de contester et de nier les formes existantes de légitimité politique27 ». L’ethnographie des ronds-points invite à prendre au sérieux cette dimension du sensible, de l’antéprédicatif et à réaménager nos conceptualités du politique, à partir de la matérialité du quotidien, de cet ancrage dans l’ordinaire28, de ces collectifs flexibles et fluctuants, mais déterminés à persister. En même temps, elle nous donne à voir aussi les défis et les limites, les obstacles et les vicissitudes des groupes ainsi constitués.

C’est tout l’intérêt de la démarche d’Aldo Rubert et de son suivi ethnographique d’un petit groupe de gilets jaunes normands encore mobilisés deux ans après le soulèvement du 17 novembre. Dans son article, il donne à voir les stratégies de ce collectif pour faire face à une phase de déclin et de désenchantement, comme les recompositions politiques et sociologiques survenant après l’arrivée d’individus proches de l’activisme de gauche et attirés par la combativité des gilets jaunes. Leur « remobilisation » sur le rond-point donnera lieu à toute une série d’interactions, d’influences et de tensions qui mèneront à l’effacement graduel d’une partie du collectif (je ne vais pas vous dire laquelle…). C’est justement dans les différentes assemblées, réunions informelles ou AG que refont surface les asymétries et les différentes attitudes devant la prise de parole, le débat argumenté et le choix des thématiques traitées. Le principe d’horizontalité se crispe aussi face au resurgissement de schémas anciens, de réflexes profondément enracinés, de frontières sociales temporairement écartées dans l’euphorie et l’élan initial des protestations. S’ils se sont embarqués dans une aventure singulière, pour certains aspects en rupture avec des comportements et des habitudes bien établis, les gilets jaunes sont le fruit de conditions de vie matérielles particulières29, des expériences sociales et professionnelles des individus qui ont décidé de revêtir un gilet de haute visibilité ; ils charrient inévitablement des idées et des visions du monde profondément ancrées dans des parcours et des contextes locaux, dont il ne faudrait pas sous-estimer le poids30


LA QUÊTE DE DIGNITÉ ET LA RESPECTABILITÉ — La dimension morale du soulèvement des gilets jaunes est rapidement apparue aux observateurs et au grand public, notamment dans ses revendications de justice fiscale et sociale : juste rétribution du travail, équité de la contribution fiscale, blocage des prix des biens de première nécessité, droit à la retraite, à la santé et à un logement digne ; les gilets jaunes ont demandé aussi du respect en tant que citoyens et en tant qu’ « êtres humains31 », pour eux-mêmes, pour leurs vies et pour leurs familles, face à un pouvoir perçu comme déconnecté et méprisant dans ses actes et dans son langage.

Les articles de Benoit Hazard et de Karine Clément montrent à quel point les expériences des ralliements, des ronds-points et des assemblées ont exprimé et façonné la quête de dignité des individus mobilisés, comment elles ont contribué à la reconnaissance en acte de « l’utilité sociale » de chacun. À « Saarville », le « peuple du commun » a été capable de s’unir dans les différences et de recouvrer sa dignité morale dans le partage d’un esprit inclusif, qui n’implique pas la négation de la différence des opinions et des parcours, mais plutôt de les faire passer au second plan, derrière le gilet ; cette même dignité morale se retrouve au cœur de la redéfinition des frontières sociales entre « eux » et « nous »32 dans les « construits d’être au monde heuristiques » des groupes de l’Oise dont Benoit Hazard souligne le caractère bigarré et la dimension transcatégorielle et trans-sectorielle. Parallèlement, d’autres articles, comme celui d’Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec, attirent notre attention sur une « exigence de dignité » différente qui s’exprime également au sein du mouvement ; elle est intimement liée à une autre quête, celle de la respectabilité. Les deux sociologues posent la question des ambivalences d’un mouvement dont différents auteurs ont souligné l’« exigence de justice et de respect33 » et la mise en valeur d’une solidarité populaire retrouvée qui s’adresse aussi aux plus fragiles et aux plus précaires, mais qui présente néanmoins en son sein des visions différentes de cet esprit de cohésion et d’entraide, de ces manières de « faire corps », comme des destinataires légitimes de cet élan fraternel. Ils voient s’opposer deux logiques : celle de la respectabilité sociale acquise par le travail34 et celle d’une « solidarité entre toutes et tous, quelle que soit leur condition ». Cette ambivalence a été rapidement relevée par Benoît Coquard, dans ses observations sur l’émergence du soulèvement dans les campagnes en déclin du Grand-Est, qu’il présente à travers une image très évocatrice comme « la partie fluorescente de l’iceberg ». L’auteur de Ceux qui restent rappelle que la frange « respectable » des classes populaires a certes trouvé dans le mouvement une occasion inédite d’interpeller les pouvoirs en place, mais qu’au niveau local, la quête de respectabilité se définit le plus souvent comme un « travail constant pour rester ‘‘bien vus’’ et éviter d’avoir un jour ‘‘une sale réputation’’ » (Coquard, 2019, p. 34). En ce sens, elle implique une vigilance constante dans ses fréquentations et une recrudescence des grandes et petites frontières entre des individus issus d’une même classe sociale35. Ces attitudes se traduisent souvent par une course à la distinction et par la mise à distance des franges les plus précaires. Reste à savoir comment ces frontières et ces mises à distance ont persisté au sein d’un mouvement pluriel comme celui des gilets jaunes, si elles ont persisté.

En inscrivant l’enquête dans le sillage de mes recherches précédentes dans le Pas-de-Calais36 et en parcourant les trajectoires biographiques, j’invite à penser le soulèvement des gilets jaunes et ses façons de s’ancrer dans la durée également comme une réaction complexe à cette hantise de la respectabilité et à la violence des stigmatisations des individus les plus précaires et marginalisés. Mon enquête localisée prend aussi en compte les regards des habitants et des élus sur les gilets jaunes et suggère que ces derniers ont été capables de secouer, et même de fissurer, le granit des représentations courantes, de bousculer les frontières sociales habituelles, de provoquer des questionnements profonds, parfois même au-delà des cercles jaunes, mais sans pour autant remettre totalement en cause ces représentations et ces frontières. Pour comprendre les processus de subjectivation sociale et politique à l’œuvre, je m’attache à décrire non seulement l’émergence et les facettes d’un « nous » plus inclusif, où les individus retrouvent une dignité à la fois individuelle et collective, mais aussi la persistance des stigmatisations, les limites de ce « nous » à géométrie variable, les tensions et les paradoxes inscrits dans les trajectoires, les représentations et les sociabilités du quotidien.

Plusieurs auteurs montrent comment la peur de la « sale réputation » au niveau local et la question de l’image du mouvement travaillent les groupes ; d’ailleurs les enquêteurs sont parfois pris à témoin de la respectabilité des gilets jaunes. Sur tous les sites observés par les doctorantes rennaises, les enquêtrices constatent une volonté marquée des acteurs de distinguer leurs propres installations et leurs façons d’habiter l’espace de celles de certaines populations stigmatisées, comme les gens du voyage ou les personnes exilées. Les gilets jaunes opposent la dégradation et la privatisation abusive de l’espace public imputées à ces groupes, à leur propre occupation, pensée comme ouverte, accueillante et soucieuse de rester attractive vis-à-vis de l’extérieur. Les auteures montrent aussi le paradoxe observé dans la production artistique d’un collectif, qui ne veut pas « ‘‘faire précaire’’ tout en rappelant que les gilets jaunes sont avant tout des personnes qui souffrent de leur situation de précarité ».

Sur le rond-point normand, Aldo Rubert observe à son tour la préoccupation constante de la réputation locale, le souci de donner une image respectable de soi et les efforts pour rendre le collectif plus attrayant et endiguer son déclin. Les enquêtés craignent en permanence d’être assimilés à des « fainéants », à des « alcoolos », se savent surveillés et, dans leurs opérations de communication, insistent beaucoup sur l’interdiction d’alcool sur le rond-point. Si celle-ci peut se révéler plus théorique que pratique, on affiche néanmoins la mise à distance de certains groupes ou sous-groupes de gilets accusés de se rendre sur le site en état d’ivresse et d’y avoir des comportements déplacés et compromettants pour son image… C’est que les normes qui définissent les seuils de ce qui est convenable ou acceptable changent souvent d’un petit groupe à l’autre, d’un rond-point à l’autre, comme le montrent Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec pour « Arenc » et « Rambail », où la place des SDF et la consommation d’alcool cristallisent la différenciation des normes internes aux deux sites, comme leur façon de concevoir leur image vis-à-vis de l’extérieur. Sur le « rond-point des femmes » d’ « Arenc » on se montre bien plus soucieux de contrecarrer les préjugés véhiculés par les médias ; dans le rejet de ces images et dans la mise à distance de certaines pratiques et comportements de « Rambail », s’affirme une « norme de la respectabilité sociale du groupe », partagée par des gilets jaunes qui se conçoivent comme des travailleurs dignes des « classes moyennes », pas très en phase avec les habitudes et les styles de vie d’individus plus jeunes et plus précaires.

Tous ces exemples montrent, comme l’écrit Nicole Lapierre, que « la fabrique de la vie autre ne va pas de soi37 », que là où l’assemblement prime par rapport à la ressemblance, « sur fond de pluralité et sans l’arrière-fond d’une nature commune ou d’une identité, la co-construction d’un devenir commun devient possible. Mais sans garantie, ni certitudes a priori. L’histoire n’est pas écrite, son cours est incertain. Ce monde du prochain ne trace pas un destin. Car c’est dans la dynamique du rassemblement que le collectif émerge, prend forme, se mobilise, définit ses aspirations et ses raisons communes d’agir » (Lapierre, 2020, p. 196). Si à l’heure où nous écrivons ces lignes le devenir des gilets jaunes est incertain, durant ses deux premières années d’existence le mouvement aura eu le mérite de rappeler cet aspect négligé, « en particulier dans les partis se réclamant de gauche » : les mobilisations et « irruptions sociales » qui « jaillissent d’un sentiment d’injustice, d’une indignation morale, d’une révolte contre une situation inacceptable » montrent souvent que « la conscience d’une condition ou de valeurs partagées est la conséquence de cette impulsion, non sa cause » (Lapierre, 2020, p. 199).

Le vent tourne, l’opinion se lasse, la recherche continue ; à travers ces cinq pistes de réflexion et bien d’autres, à découvrir dans les pages du dossier, sans idéaliser les gilets jaunes, ni banaliser les fruits de leur mobilisation, les auteurs tracent des voies, suggèrent des hypothèses, poursuivent leur quête de l’intelligibilité du mouvement. Sur le site d’une nouvelle revue, ils offrent en partage ce que nous avons encore à dire sur les gilets jaunes.

1 Nous allons évoquer des aspects, avancer des rapprochements et donner un aperçu des assonances, mais cette présentation ne se veut pas

2 L’expression « tournant de janvier » est communément utilisée par certains journalistes et autres observateurs du mouvement pour signifier un moment

3 Selon le ministère de l’Intérieur, après un regain de participation entre la fin du mois de décembre 2018 et la première moitié du mois de janvier

4 Ce qui revient aussi à gommer les effets de rotation, les allers-retours et, de façon plus générale, le fait que l’adhésion et la participation à ce

5 L’article d’Aldo Rubert paraîtra dans le second volet de ce dossier.

6 Pour une approche ethnographique des recompositions du mouvement, lire aussi l’article « La banlieue jaune. Enquête sur les recompositions d’un

7 À paraître dans le second volet du dossier.

8 Dans un univers jaune très complexe et, comme nous allons le voir, plus mouvant qu’il n’y paraît, il ne faudrait pas non plus confondre la durée d’

9 Chemin ouvert par le livre-témoignage Sur la vague jaune. L’utopie d’un rond-point, de Bernard Floris et Luc Gwiazdzinski, paru en 2019 aux Éditions

10 Pour des raisons pratiques de lisibilité, avec leur accord, nous les appellerons aussi les « doctorantes rennaises ».

11 Cet article paraîtra dans le second volet du dossier.

12 Les auteures précisent que le terme « baraquement » a été préféré à ceux de « cabane », « QG », « zone » et à bien d’autres, pour « son caractère

13 Nous précisons que, dans l’ensemble des articles de ce dossier, les assemblées des assemblées (ADA) sont plutôt absentes et nous faisons

14 La stigmatisation des participants au mouvement moins enclins à se réunir en assemblées structurées est aussi un des aspects de la distinction

15 Le modèle d’AG auquel font grosso modo référence les différents auteurs est celui d’un dispositif délibératif formalisé, où les membres d’un groupe

16 L’article d’Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec, comme ceux de Benoit Hazard, des doctorantes rennaises et d’Aldo Rubert, montrent bien

17 Passons sur les innombrables manifestations de mépris à leur égard qui renvoient le plus souvent à une sorte de « zombisme » et à une prétendue

18 En référence au livre de l’anthropologue et écrivain Éric Chauvier, Les nouvelles métropoles du désir, paru en 2016 aux éditions Allia.

19 Omniprésence observable dans le discours des gilets jaunes comme dans celui des observateurs, dont je fais partie.

20 Voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie 1 et Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2.

21 Au sens donné à ce terme par Cornelius Castoriadis (1975).

22 Tels que les entend Pierre Bouvier (2011).

23 Pour une analyse de la « performativité des corps » dans des émeutes observées dans différentes mobilisations françaises de la dernière décennie

24 Judith Butler, Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, Paris, Fayard, 2016.

25 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calman-Lévy, 1961, texte également publié dans Hannah Arendt, L’Humaine condition, édition

26 Butler, Ibid., p. 106.

27 Butler, Ibid., p. 108.

28 Également souligné par le sociologue Michalis Lianos dans ses analyses sur la « politique expérientielle » des gilets jaunes, publiées sur

29 Voir en particulier l’article de Pierre Blavier, « Que nous apprennent les sciences sociales sur les gilets jaunes et ceux-ci sur la société

30 Voire l’article de Raphaël Challier « Rencontre aux ronds-points. La mobilisation des gilets jaunes dans un bourg rural de Lorraine », publié dans

31 Cette référence récurrente à la condition humaine dans les paroles des gilets jaunes est analysée dans la description du « monde terre-à-terre » de

32 Selon l’ancien clivage observé par Richard Hoggart au sein des classes ouvrières anglaises du siècle passé (1970, 1988) entre « nous », le peuple

33 Je fais particulièrement référence ici au livrede Thibaut Cizeau, Brice Le Gall et Lou Traverse, Justice et Respect. Le soulèvement des gilets

34 Que de jeunes chercheurs ont proposé d’analyser dans un dossier intitulé « En bas à droite », coordonné par Amélie Beaumont, Raphaël Challier et

35 Déjà décrites par Richard Hoggart, comme par Norbert Elias et John L. Scotson, dans leurs travaux sur les classes ouvrières britanniques du xxe

36 « Ethnologie de l’ancien Bassin minier du Pas-de-Calais. Contribution à l’étude des métamorphoses sociales et politiques d’un territoire français

37 Dans ce paragraphe je fais en particulier référence au chapitre « Empathie et réciprocité » de son dernier livre Faut-il se ressembler pour s’

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Notes

1 Nous allons évoquer des aspects, avancer des rapprochements et donner un aperçu des assonances, mais cette présentation ne se veut pas représentative de la richesse des sujets et des approches présentés dans un dossier si volumineux.

2 L’expression « tournant de janvier » est communément utilisée par certains journalistes et autres observateurs du mouvement pour signifier un moment de bascule vers une phase déclinante de la participation, qui s’installe à partir de la mi-janvier 2019. Elle correspond à un moment d’intensification des évacuations et des démantèlements, de la part des forces de l’ordre, sur les ronds-points et sur d’autres sites occupés.

3 Selon le ministère de l’Intérieur, après un regain de participation entre la fin du mois de décembre 2018 et la première moitié du mois de janvier 2019, où le nombre de gilets jaunes mobilisés en France est estimé à environ 84 000 personnes pour la manifestation du 19 décembre 2019, une baisse constante s’installe. Rappelons au passage que les chiffres du ministère et ceux qui ont été publiés par Le Nombre jaune – une page Facebook créée par un groupe de gilets jaunes qui se donne pour objectif de centraliser des recensements volontaires pendant les manifestations – divergent. Dans ses estimations, Le Nombre jaune a régulièrement enregistré une participation plus élevée. Toujours selon le ministère, le 17 novembre 2018, l’appel à manifester des gilets jaunes lancé sur les réseaux sociaux avait rassemblé plus de 280 000 personnes. Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que ces estimations concernent le nombre de personnes mobilisées pendant des manifestations, essentiellement celles du samedi.

4 Ce qui revient aussi à gommer les effets de rotation, les allers-retours et, de façon plus générale, le fait que l’adhésion et la participation à ce mouvement ont souvent été fluctuantes et ne se prêtent pas facilement à un mesurage linéaire dans l’espace et dans le temps.

5 L’article d’Aldo Rubert paraîtra dans le second volet de ce dossier.

6 Pour une approche ethnographique des recompositions du mouvement, lire aussi l’article « La banlieue jaune. Enquête sur les recompositions d’un mouvement », de Jean-Baptiste Devaux, Marion Lang, Antoine Lévêque, Christophe Parnet et Valentin Thomas, publié dans La Vie des idées, le 30 avril 2019.

7 À paraître dans le second volet du dossier.

8 Dans un univers jaune très complexe et, comme nous allons le voir, plus mouvant qu’il n’y paraît, il ne faudrait pas non plus confondre la durée d’une mobilisation locale avec la disponibilité du chercheur et ses possibilités réelles d’en suivre les composantes multiples au gré des conflits internes, des démantèlements, des doutes et des bifurcations.

9 Chemin ouvert par le livre-témoignage Sur la vague jaune. L’utopie d’un rond-point, de Bernard Floris et Luc Gwiazdzinski, paru en 2019 aux Éditions Elya.

10 Pour des raisons pratiques de lisibilité, avec leur accord, nous les appellerons aussi les « doctorantes rennaises ».

11 Cet article paraîtra dans le second volet du dossier.

12 Les auteures précisent que le terme « baraquement » a été préféré à ceux de « cabane », « QG », « zone » et à bien d’autres, pour « son caractère hybride renvoyant à la fois à une infrastructure précaire à visée d’habitat, et à un espace de résistance, dans sa définition institutionnelle militaire ».

13 Nous précisons que, dans l’ensemble des articles de ce dossier, les assemblées des assemblées (ADA) sont plutôt absentes et nous faisons principalement référence ici au caractère délibératif des ronds-points et des assemblées locales de gilets jaunes. Pour une analyse des assemblées des assemblées, nous renvoyons à l’article publié dans la revue Mouvements par un collectif de chercheurs : « Le Gilet et le Marteau. L’Assemblée des assemblées organise l’aile gauche des ronds-points ».

14 La stigmatisation des participants au mouvement moins enclins à se réunir en assemblées structurées est aussi un des aspects de la distinction subreptice entre « bons » et « mauvais » gilets jaunes que j’analyse dans un article consacré aux gilets jaunes d’un secteur du Pas-de-Calais, à paraître dans le second volet de ce dossier.

15 Le modèle d’AG auquel font grosso modo référence les différents auteurs est celui d’un dispositif délibératif formalisé, où les membres d’un groupe sont régulièrement convoqués pour des réunions qui structurent la vie du collectif et qui répondent à un certain nombre de règles reconnues par lui : désignation d’un président et d’un secrétaire de séance, et éventuellement de délégués pour représenter le groupe au sein d’autre instances, suivi d’un ordre du jour préétabli, alternance de tours de parole et de votes pour acter des décisions, de présentations et de discussions de motions, et rédaction d’un compte rendu.

16 L’article d’Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec, comme ceux de Benoit Hazard, des doctorantes rennaises et d’Aldo Rubert, montrent bien les caractéristiques, les enjeux et les équilibres, parfois fragiles, de ces configurations.

17 Passons sur les innombrables manifestations de mépris à leur égard qui renvoient le plus souvent à une sorte de « zombisme » et à une prétendue immobilité communément associées dans ce pays aux « classes populaires » et à certains territoires par des gens qui vivent ailleurs, et notamment à Paris, des vies trépidantes…

18 En référence au livre de l’anthropologue et écrivain Éric Chauvier, Les nouvelles métropoles du désir, paru en 2016 aux éditions Allia.

19 Omniprésence observable dans le discours des gilets jaunes comme dans celui des observateurs, dont je fais partie.

20 Voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie 1 et Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2.

21 Au sens donné à ce terme par Cornelius Castoriadis (1975).

22 Tels que les entend Pierre Bouvier (2011).

23 Pour une analyse de la « performativité des corps » dans des émeutes observées dans différentes mobilisations françaises de la dernière décennie, voire le livre de Romain Huët, Le vertige de l’émeute. De la Zad aux Gilets jaunes.

24 Judith Butler, Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, Paris, Fayard, 2016.

25 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calman-Lévy, 1961, texte également publié dans Hannah Arendt, L’Humaine condition, édition établie sous la direction de Philippe Raynaud, traductions de Georges Fradier, Marie Berrane et Guy Durand, Paris, Gallimard, 2012, p. 219. J’ai opté pour la traduction de Christophe Jacquet, le traducteur de Judith Butler, légèrement modifiée par rapport à celle de Georges Fradier (« l’espace du paraître »).

26 Butler, Ibid., p. 106.

27 Butler, Ibid., p. 108.

28 Également souligné par le sociologue Michalis Lianos dans ses analyses sur la « politique expérientielle » des gilets jaunes, publiées sur Lundimatin (https://lundi.am).

29 Voir en particulier l’article de Pierre Blavier, « Que nous apprennent les sciences sociales sur les gilets jaunes et ceux-ci sur la société française ? Une entrée par les enjeux socio-économiques », paru dans la Revue française de socio-économie, et le livre de Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin.

30 Voire l’article de Raphaël Challier « Rencontre aux ronds-points. La mobilisation des gilets jaunes dans un bourg rural de Lorraine », publié dans La Vie des idées, le 19 février 2019.

31 Cette référence récurrente à la condition humaine dans les paroles des gilets jaunes est analysée dans la description du « monde terre-à-terre » de Karine Clément et dans ce que j’appelle « l’universalisme incompris et contrarié » de certains gilets jaunes.

32 Selon l’ancien clivage observé par Richard Hoggart au sein des classes ouvrières anglaises du siècle passé (1970, 1988) entre « nous », le peuple, les petits, « ceux d’en bas », et « eux », « ceux d’en haut », les puissants, les élites.

33 Je fais particulièrement référence ici au livre de Thibaut Cizeau, Brice Le Gall et Lou Traverse, Justice et Respect. Le soulèvement des gilets jaunes, où les auteurs allient photographie sociale et enquête sociologique dans un périple au milieu des gilets jaunes de l’Oise. La démarche du photographe-enquêteur et la restitution de son travail dans le contexte particulier de cette mobilisation font l’objet d’un article de Brice Le Gall à paraître dans le « cahier Image » du second volet de ce dossier.

34 Que de jeunes chercheurs ont proposé d’analyser dans un dossier intitulé « En bas à droite », coordonné par Amélie Beaumont, Raphaël Challier et Guillaume Lejeune et publié dans la revue Politix en 2018, avant le soulèvement des gilets jaunes.

35 Déjà décrites par Richard Hoggart, comme par Norbert Elias et John L. Scotson, dans leurs travaux sur les classes ouvrières britanniques du xxe siècle.

36 « Ethnologie de l’ancien Bassin minier du Pas-de-Calais. Contribution à l’étude des métamorphoses sociales et politiques d’un territoire français contemporain » (titre provisoire), thèse en voie d’achèvement, sous la direction de Marc Abélès à l’EHESS.

37 Dans ce paragraphe je fais en particulier référence au chapitre « Empathie et réciprocité » de son dernier livre Faut-il se ressembler pour s’assembler ?, paru aux Éditions du Seuil.

Citer cet article

Référence électronique

Serena Boncompagni, « Mise en perspective des articles du dossier : cinq pistes de réflexion », Condition humaine / Conditions politiques [En ligne], 1 | 2020, mis en ligne le 25 novembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=264

Auteur

Serena Boncompagni

Serena Boncompagni est doctorante en anthropologie sociale et ethnologie à l’EHESS, à Paris. Elle termine une thèse sous la direction de Marc Abélès : « Ethnologie de l’ancien Bassin minier du Pas-de-Calais : contribution à l’étude des métamorphoses sociales et politiques d’un territoire français contemporain » (titre provisoire).
Contact : serena.boncompagni [at] ehess.fr

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