Like-minded people. Ethnographie d’une convention prepper aux États-Unis

DOI : 10.56698/chcp.1505

Abstracts

Comment affronter la fin des temps ? Aux États-Unis, le mouvement survivaliste, ou prepper, développe depuis la fin des années 1960 des stratégies et des techniques de « préparation » pour survivre aux (nombreux) périls qui menaceraient la société – catastrophe nucléaire, éruption solaire, nouvelle guerre civile, dérèglement climatique, etc. Ce mouvement s’est progressivement développé au fil des décennies ; aujourd’hui, il réunirait plusieurs millions de personnes, qui ont en commun une volonté affirmée de « se préparer » à la possibilité d’une (ou plusieurs) catastrophes mettant un terme « au monde tel que nous le connaissons ».
Centré sur l’observation d’une convention prepper qui s’est tenue en 2022 dans le Sud des Etats-Unis, l’article décrit les enseignements et les savoirs variés dispensés au fil des sessions : cours de cuisine, techniques d’autodéfense, présentation de systèmes agricoles autonomes, etc. Mais au fur et à mesure des trois jours de salon, la description ethnographique montre que la « preparedness » est aussi, plus qu’un simple temps d’alerte et de formation, un moment privilégié où se formalise, s’affermit et se diffuse une pensée (ultra-)conservatrice et réactionnaire.
Que veut-dire « se préparer » lorsque les participants n’ont de cesse de s’armer contre une supposée invasion migratoire, qu’ils se plaignent de l’affaiblissement croissant de la nation américaine et de la dilution de son identité blanche, se lamentent au sujet de la pensée woke, du péril transgenre ou de la dépravation généralisée des élites de Washington ? Que signifient anticiper, prévoir et agir, lorsque ces actions sont motivées par le sentiment d’une dégénérescence nationale ? Comment penser les mises en garde et les alertes lorsqu’elles glorifient la « résistance », voire appellent à la violence armée contre des institutions incompétentes ou criminelles ?
Aux États-Unis, le « survivalisme » et la « préparation », aussi dénommés parfois l’« autonomie » ou la « résilience », sont désormais une activité hautement politisée, où l’on apprend les « solutions » à apporter à des problèmes bien particuliers. Pour le dire autrement, la preparedness, aux États-Unis, est moins le résultat du désir d’acquérir des techniques ou des compétences de « survie » qu’une véritable activité sociale, organisée et codifiée, où se forme et se diffuse une idéologie politique. Et l’ethnographie de montrer que l’inquiétude quant à l’avenir et ses dangers supposés n’est jamais une préoccupation extérieure au politique. Bien au contraire, fondée sur une critique du temps présent, elle est une ressource pour penser et fortifier des projets alternatifs de société.

Like-Minded People. Ethnography of a Prepper Convention in the United States”

Since the late 1960s, the survivalist (or “prepper”) movement in the United States has been developing strategies and techniques for “surviving” various threats to society —nuclear catastrophes, solar eruptions, civil war, climate disruption amongst others. This movement has expanded steadily over time and reportedly unites several million people today in their commitment to “preparing” for the possibility of one or more catastrophes that may bring an end to “the world as we know it”.
Centred on the ethnography of a prepper convention held in the southern United States in 2022, this article explores the diverse teachings and the knowledge shared during the event: cooking tips, self-defence techniques, presentations on autonomous agricultural systems, etc. However, the ethnographic account reveals that the three-day event’s focus on preparedness goes beyond mere vigilance and training. It is also an occasion for the formalization, consolidation and dissemination of (ultra-)conservative and reactionary ideologies.
Indeed, what does “prepare” mean when participants arm themselves to combat an alleged immigrant invasion, lament the perceived weakening of the American nation, and decry the dilution of its white identity? How are we to interpret the rejection of the “woke ideology,” the transgender “threat,” and the widespread condemnation of Washington elites as corrupt? What does it mean to anticipate, foresee, and act when action is driven by the sense of
national degeneration? How are we to understand warnings and alarms that extol the “resistance” or even advocate armed violence against institutions deemed criminal and incompetent?
In the United States, “survivalism” and “preparedness,” sometimes referred to as “self-reliance” or “resilience,” have become highly politicized activities. “Like-minded people” gather together to share solutions to (very) specific phenomena they themselves frame as existential threats. In other words, preparedness in the US is less about acquiring survival techniques or skills but rather about engaging in a structured social activity in which a particular political ideology is shaped and disseminated. This ethnography thus illustrates that anxiety about the future and its perceived perils is never apolitical. On the contrary, because it is rooted in a critique of the present, it serves as a resource for conceptualizing and advancing alternative social projects —especially ultra-conservative and reactionary ones.

Index

Mots-clés

États-Unis, conservatisme, ultra-droite, extrême-droite, survivalisme, préparation

Keywords

United States, conservatism, alt-right, survivalism, preparedness

Outline

Text

À l’entrée de l’Oakwood Campground1, un grand panneau fleuri accueille les campeurs : « Welcome. “Come to me all we are weary and heavy laden and I will give you rest”. Jesus ». Une fois le portail dépassé, le visiteur roule pendant une centaine de mètres avant d’arriver au vallon bucolique au fond duquel se niche un étang brumeux. Sur la droite, des camping-cars imposants s’alignent à l’ombre des pins. Sur la gauche, de grandes étendues herbeuses fraîchement tondues s’apprêtent à recevoir le millier de visiteurs attendu. Des volontaires nous aident à nous garer [Image 1]. Ma Kia Soul de location se faufile entre des pick-ups aux roues crantées ; elle semble ridiculement petite, fragile et inadaptée. Habillé d’un blue-jean, de chaussures de marche usées et d’un blouson noir léger, le visage fermé par une casquette kaki et des lunettes de soleil, je prends place dans la file d’attente. L’événement est complet. « Comment avez-vous entendu parler de la convention ? », me demande la femme blanche et ronde, d’une cinquantaine d’années, qui s’assure de mon inscription. Brièvement, pour ne pas trop dévoiler mon fort accent, je marmonne : « Je suis dans le survivalisme. » Elle me fixe, hoche la tête, sourit et ouvre les bras en direction des tentes blanches qui s’alignent derrière elle en annonçant, théâtrale : « Welcome to The Survivalist Expo ! »


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Arrivée à The Survivalist Expo (jour 1).

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.


The Survivalist Expo – ou TSE – est aujourd’hui l’une des principales conventions prepper des États-Unis, voire du monde. Durant trois jours, elle réunit près d’un millier de participants à quelques miles de Brath – une petite ville de la Bible Belt, cette zone du Sud des États-Unis dont la population blanche se retrouve autour d’une interprétation rigoriste et identitaire du protestantisme. Au cœur des vallons de la chaîne des Blue Ridge, TSE réunit celles et ceux qui désirent se former à la « préparation ». Pour un peu moins de 100 dollars le pass (sans l’hébergement), la convention offre une série de « classes » ou des instructeurs dispensent des savoirs et des techniques choisis pour affronter le ou les bouleversements futurs qui, pensent les preppers, détruiront notre quotidien.

En se concentrant sur cet événement particulier2, l’article aborde le monde prepper à partir des compétences qu’il valorise. Conserver la nourriture, apprendre à tanner, défendre son domicile, organiser des groupes et des communautés… autant de savoir-faire promus comme « utiles » et « nécessaires » pour affronter « TEOTWAKI » (The End Of The World As We Know It). Pour autant, la convention n’est pas qu’un événement pédagogico-commercial où les intervenants profitent souvent de leur enseignement pour promouvoir un produit sponsorisé ou un livre récemment écrit. TSE est aussi un événement social où les preppers nouent des relations, cimentent des certitudes et travaillent collectivement à la définition d’un groupe et d’une communauté. Les organisateurs invitent d’ailleurs explicitement les participants à penser l’événement comme tel :

« Venez en famille, rencontrez des personnes qui partagent vos opinions [like-minded people], écoutez de la musique prepper et repartez en ayant acquis des connaissances, rencontré des experts et vous être fait de nouveaux amis qui pourront vous aider en cas d’urgence3. »

Au-delà des savoirs, des techniques et des compétences, participer à TSE est aussi l’occasion de se réunir entre like-minded people – une expression fréquemment employée pour désigner celles et ceux qui, supposément, partagent les mêmes croyances et valeurs politiques. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, être prepper, ce n’est pas seulement « se préparer ». C’est aussi, et d’abord, se lamenter de la dégénérescence raciale, détester les libéraux qui sapent la démocratie, moquer les minorités sexuelles, prier – en chrétien convaincu – pour soutenir les militaires qui se sacrifient à l’étranger, être fier d’arborer sa casquette MAGA4 ou Thin Blue Line5 et, plus récemment, refuser les masques, les vaccins contre le Covid-19 ou toute autre stratégie du gouvernement fédéral visant à entraver la « liberté » et les fondements sacrés de la Constitution. Pour le dire autrement, la preparedness n’est pas qu’une peur, une anticipation ou une manière de concevoir l’avenir ; elle est aussi, si ce n’est surtout, l’opportunité de diffuser des valeurs, de solidifier une pensée et de travailler, au présent, à la mise en place d’une alternative politique. Ainsi, à partir d’un événement particulier, cet article montre comment l’univers prepper pense aussi la catastrophe comme un espoir et une chance – faisant de la « fin du monde », moins qu’une interruption, l’opportunité d’une révolution.

Une histoire politique de la survie

La « préparation » est née aux États-Unis dans les années 1960, au début de la guerre froide. Cette pratique est encouragée par certaines congrégations religieuses, notamment l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (Église mormone). Craignant avant tout la possibilité d’un accident ou d’une guerre nucléaire, des communautés rurales encouragent la construction de bunkers privés, réforment l’éducation des enfants ou plaident pour la constitution de réserves à domicile – posant les premiers jalons techniques, matériels et discursifs de la preparedness américaine (Mitchell, 2001). Cette influence chrétienne se traduit par la promotion d’initiatives collectives, centrées autour de la famille. Elle s’accompagne d’une réflexion sur le partage, l’entraide et la division du travail, encourageant la constitution d’unités domestiques autonomes et autosuffisantes.

Or, dès ses prémices, la préparation est une activité qui attire l’ultradroite suprémaciste et réactionnaire, pour qui la catastrophe apparaît comme une juste damnation et une opportunité de refondation. Dès les années 1960, Kurt Saxon – un ancien membre du Parti nazi américain (ANP) et de groupuscules « anticommunistes » – défend la préparation comme une discipline de soi (et des autres) et un rempart face à la « dépravation » qui souillerait l’Amérique. Il aurait d’ailleurs inventé le terme « survivalisme », dont il exalte la connotation darwinienne : le monde à venir serait réservé à celles et ceux (mais surtout ceux) qui seraient capables de résister à la mollesse, à la dégénérescence ou à la déliquescence. Le projet éducatif de protection civile que promeuvent les communautés religieuses se voit ainsi progressivement remplacé par l’exaltation de la preparedness comme réforme morale et politique. Dans les années 1980, dans un contexte marqué par le renouveau des milices paramilitaires aux États-Unis, la préparation américaine s’enracine définitivement comme discours et pratique conservateurs (Coates, 1987).

Au fil des ans, les angoisses initiales, liées au nucléaire, laissent place à celles causées par d’autres possibles catastrophiques. Dans les années 1970, la violence des chocs pétroliers et les difficultés que rencontrent les États-Unis face au bloc soviétique suscitent des alertes récurrentes quant à la probabilité d’un effondrement économique. Dans les années 1980, le sursaut reaganien effraie ; on cherche davantage à se prémunir contre les dangers du renouveau militariste que l’administration républicaine déploie face à une URSS affaiblie. Dans les années 1990, l’élection d’un président démocrate suscite de vives réactions, principalement dues aux limitations qu’il souhaite imposer au port d’arme. Dans les années 2000, les épidémies de grippes zoonotiques inquiètent, notamment les virus du Nil occidental et de la fièvre porcine. Plus récemment, les crises écologique et climatique avivent de nouvelles angoisses, nourrissant la croyance en un possible effondrement systémique induit par la destruction des milieux (Ford, 2021). Or, si leurs motivations peuvent différer et évoluer, les preppers n’en restent pas moins unis autour d’un faisceau de savoirs et de techniques partagés, s’appuyant sur un imaginaire guerrier : constitution et gestion des stocks de vivres et d’énergie, plans de défense et d’évacuation, formation de groupes d’entraide, maîtrise des armes à feu, techniques de pêche, de chasse ou de braconnage, aguerrissement, etc. (Roux, 2021). Ces compétences et cette rhétorique rencontrent un certain succès aux États-Unis ; à la fin des années 2010, plus de 3,5 millions d’Américains se disaient prepper (Garrett, 2020).

Distance et participation

J’enquête sur le mouvement prepper depuis la fin des années 2010. En 2019, j’ai d’abord initié une recherche sur le mouvement survivaliste français, en procédant principalement par observations et entretiens auprès d’individus engagés dans une démarche qu’ils qualifiaient de « résilience », de « préparation » ou d’« autonomie » (Roux & Lévêque, 2024)6. J’ai ensuite développé un volet supplémentaire de ce travail aux États-Unis, plus particulièrement en Arizona. En février 2020, je me suis rendu à Tucson et Phoenix pour rencontrer quelques groupes militants et négocier la possibilité d’une observation dans des milieux méfiants, suspicieux, voire fermés. Mais le Covid-19 ayant bouleversé mes projets d’enquête, j’ai dû rentrer en Europe peu de temps après cette prise de contact.

Confiné en France, j’avais le sentiment de manquer l’essentiel. Les preppers se préparent à une rupture majeure depuis des années, suscitant le plus souvent railleries et moqueries. Or, paradoxalement, c’est au moment même où je commençais l’enquête à leurs côtés que les événements semblaient leur donner (pour partie) raison, tout en m’empêchant d’observer leurs réactions. Les mois enfermés me paraissaient d’autant plus vains que 2020 était une année d’élection présidentielle américaine, suscitant une intense activité politique que je ne pouvais appréhender in situ. Pourtant, je me suis efforcé de ne pas rompre avec ce terrain nord-américain. Lors de mon premier séjour arizonien, j’avais identifié certains groupes, que j’ai rejoints sur les réseaux sociaux auxquels ils participent. Malgré les distorsions qu’induit la distance, j’ai observé pendant plus d’un an leurs échanges, leurs conseils ou leurs propos. Progressivement, j’ai pris la mesure de leurs convictions politiques et de la radicalité conservatrice des contributeurs les plus prolixes. Qu’il s’agisse de leurs réactions racistes au mouvement Black Lives Matter, de leurs commentaires ulcérés au sujet des politiques sanitaires imposées par les gouverneurs démocrates, de leur enthousiasme trouble à l’égard de la visibilité nouvelle des factions de l’alt-right (Simi et Futrell, 2015), de leur amertume après la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle, de leur fierté restaurée lors de l’attaque du Capitole, le 6 janvier 2021, ou de leurs théories conspirationnistes autour de Q7, j’ai mieux compris, à travers leurs mots sur mon écran, ce qu’être prepper signifiait – moins en termes de pratiques et de techniques que d’identité politique.

À l’été 2021, j’ai pu me rendre à nouveau aux États-Unis, où je réside désormais. Autorisé à renouer avec une pratique ethnographique off line, j’ai pris conscience des bénéfices de la veille numérique à laquelle je m’étais astreint – aussi contrariante et incomplète qu’elle ait pu m’apparaître lorsque je la vivais. Les mois passés à lire des posts et visionner des vidéos m’ont permis d’acquérir un certain sens pratique ethnographique que j’ai pu mettre en œuvre : comment me tenir ? Me comporter ? M’habiller ? Me présenter ? Ce savoir m’a été utile dans un temps encore marqué par la crise sanitaire et, surtout, par les divisions que sa gestion a accentuées aux États-Unis. Cette familiarisation à distance a notamment facilité mon intégration (partielle) au sein d’un groupe « résilient » que je fréquente deux fois par mois, ARTS – Autonomy and Resiliency in the Southwest (Roux, 2022). Les heures passées en ligne m’ont également convaincu des bénéfices d’une stratégie d’enquête multipliant les points de vue et les espaces observés. Outre ARTS, je participe ponctuellement à d’autres événements de la communauté prepper, dont certaines réunions d’une église mormone, des gun shows et des salons (à l’instar de TSE autour duquel cet article s’organise). Et ce temps en ligne préalable m’a suffisamment familiarisé avec le monde prepper pour que je puisse identifier la plupart des personnes invitées à y présenter un ouvrage, un podcast ou une technique de survie, et que je me repère rapidement dans un espace qui valorise l’entre-soi.

Ces milieux restent des univers fermés, suspicieux et souvent racistes ; mes expériences online et offline m’ont aussi appris la nécessité de déjouer les empêchements causés par mon accent, mon hexis ou tout autre stigmate lié à mon extériorité. Auprès d’ARTS, une fréquentation régulière a permis de faire accepter ma présence comme celle d’un « universitaire français en sciences sociales de l’environnement ». Mais, dans les autres lieux et événements que je fréquente, je m’en tiens le plus souvent à une position d’observateur mutique – une attitude relativement bien perçue, d’ailleurs, dans des espaces constamment préoccupés de ne « jamais dire à autrui plus qu’il ne faut ». Cette enquête sur la préparation m’a ainsi enseigné une pratique ethnographique singulière, où je me tais et j’observe, sans nécessairement interroger ni commenter.

Bien sûr, cet ajustement soulève des questionnements éthiques – que je ne peux aborder dans le cadre de cet article, mais qui interrogent la pratique ethnographique, et qui feront l’objet de réflexions ultérieures. Cette stratégie souvent inconfortable m’a permis de vérifier en situation la haine que mes identités ne cessent de générer (Français, Européen, universitaire, gay, « libéral », athée, etc.). Mais elle m’a aussi confirmé les privilèges que certaines propriétés m’assuraient. Concrètement, si je tais ma sexualité, mes convictions politiques ou mes croyances religieuses, ma blanchité et ma masculinité, elles, m’aident à occuper une place pour partie autorisée – dans les limites qu’imposent une discrétion forcée et une vigilance constante.

Ce bricolage méthodologique, s’il suscite des interrogations déontologiques, épistémologiques et personnelles, défend aussi la conviction qu’il est utile d’enquêter sur des univers inhospitaliers, où la recherche n’est ni acceptée ni bienvenue, où la critique est rejetée et où l’objectivation est systématiquement contestée. Comme le démontrent les pages suivantes, l’univers prepper reste soucieux de s’adresser en priorité, si ce n’est exclusivement, aux like-minded people. Cette restriction est en réalité le produit d’une stratégie réfléchie, visant à cimenter une communauté, à solidifier ses rangs et à affermir un sentiment d’appartenance et de supériorité. Or, contre des univers qui font du secret une arme et de l’exclusion une stratégie, témoigner et s’imposer ont aussi des vertus. Donner à voir ce qui n’aurait pas dû être vu devient une action conjointement scientifique et politique. Cette contribution valorise le mode de description ethnographique lié aux contraintes méthodologiques qu’impose ce terrain singulier, certes. Mais ce choix résulte aussi de la volonté de défendre la description comme technique d’objectivation et d’affirmer la potentialité critique de l’exposition.

Présentations

The Survival Expo s’organise principalement autour de deux zones : un espace commercial, où une trentaine d’exposants tiennent des stands, et un espace plus pédagogique, organisé autour de sept tentes blanches de taille variable. Une fois passé le portique, je m’oriente grâce au planning affiché à l’entrée. Le visiteur peut composer son programme en choisissant parmi les dizaines de classes offertes, qui se répètent pendant les trois jours [Image 2]. On y trouve des enseignements sur l’utilité de la préparation (Getting Off Grid – Now!, Prepping Priorities…), sur la production et la conservation de nourriture (Mushrooms, Beekeeping, Wild Edible Survival…), sur l’épargne et l’économie (Gold & Silver, Entrepeneurship for Survivalists), sur la santé (Pandemic Survival, Colloidal Silver) et, pour près d’un tiers, sur la sécurité (Survival Groups, Urban Survival, etc.).


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L’une des tentes dédiées aux cours et enseignements.

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.


Je suis le public qui converge vers la tente centrale. « Ellie the Survivor » est annoncée : elle doit nous initier aux « stratégies prepper » pour une « préparation efficace ». Plus des trois-quarts des 500 sièges à disposition sont déjà occupés. Ellie the Survivor est une figure connue de l’univers survivaliste. Elle est l’une des rares femmes à avoir accédé à la notoriété, dans un monde majoritairement masculin. Ellie a auto-édité quatre ouvrages sur la préparation (orientés vers l’hygiène et la cosmétique) ; elle anime aussi un site Web reconnu par la presse spécialisée, que complète une chaîne YouTube (peu active – 630 abonnés seulement) et un fil Twitter (davantage suivi, avec plus de 17 000 followers). Elle est également associée à l’émission de téléréalité Doomsday Preppers8, à laquelle elle a participé. Surtout, elle est connue à TSE comme la compagne de John Perry (« Farmer John ») – l’un des organisateurs de l’événement.

Ellie, en treillis militaire, apparaît sur la scène affublée d’un micro-casque, casquette trucker vissée sur la tête. Dynamique et engageante, elle captive son auditoire dès ses premiers mots d’introduction.

« Ici, on est entre nous ! […] Pas de médias, pas de libéraux ! [Rires] Vous me connaissez, n’est-ce pas ? Yeah ! Vous connaissez mon histoire ? Yeah ! Vous savez qu’avant j’étais naïve, que je vivais sans savoir, que je ne me posais pas de questions. Mais ça a changé. J’ai changé. Et si moi, “girly girl”, y suis arrivée, vous pouvez aussi ! On peut tous changer ! »

Ellie développe ensuite ses idées. D’après elle, il faudrait « un plan pour toutes les situations ». C’est « en devenant autonome » qu’on devient « résilient ». Mais il ne faut pas tarder, car leur existence même est en danger : « Vous croyez avoir le temps ? Mais il est déjà tard ! Quand les zombies9 arriveront, vous serez contents d’avoir appris à ne dépendre que de vous-même. » Le ton est alarmiste, mais le propos assez vague ; et Ellie d’encourager chacun à trouver « les raisons pour lesquelles il se prépare », et à « agir » sans perdre son temps à « disserter sur la catastrophe qui arrivera la première ». « Peu importe, dit-elle, ce qui compte, c’est l’état d’esprit [mindset] ».

Sans détailler les dangers les plus pressants, l’oratrice insiste sur l’urgence de la situation. Paresser, procrastiner ou ne pas dédier dès à présent son temps et ses ressources à la préparation du monde d’après, ce n’est pas seulement se fourvoyer – l’enjeu est autrement plus sérieux. C’est aussi se condamner – « If you don’t learn, you gonna die. » Heureusement, ici, à Brath, les participants démontrent déjà par leur présence, leur attention et leur investissement qu’ils ont pris la mesure de la « situation » – premier pas vers l’action à laquelle les instructeurs souhaitent les encourager, vers laquelle ils vont les guider durant les jours à venir.

Défense et attaque

Plus tard dans la journée, après une classe sur les avantages de l’or physique, une introduction à la lactofermentation et un cours de radio amateur, je me rends à la session animée par Ben Wild – intitulée « Survival Groups » (Groupes de survie). Ben Wild est lui aussi une figure médiatique du monde prepper. Son intervention se déroule devant un public nombreux et captivé. Il est l’un des fondateurs et principaux animateurs de PrepWeb – un réseau qui se présente comme une « organisation de like-minded people qui croient en la responsabilité, qui défendent les libertés individuelles et qui se préparent aux catastrophes de toutes origines ». Il est venu en voisin. Si PrepWeb a aujourd’hui une ampleur nationale, revendiquant plus de 25 000 membres et fédérant plus d’une cinquantaine de groupes aux États-Unis, le réseau a historiquement émergé depuis une communauté proche dans laquelle Ben Wild s’est engagé et continue de travailler.

Il s’est spécialisé dans la préparation selon la Bible et les « MAGs » (ou Mutual Assistance Groups [Groupes d’assistance mutuelle]). S’il enseigne aujourd’hui les vertus de la préparation collective, il ponctue régulièrement son discours de références aux Évangiles et affirme n’agir qu’en « bon chrétien », suivant les « attentes de Dieu ». En guise d’introduction, il engage d’abord les participants à « rejoindre PrepWeb » où sont disponibles « plein de ressources en libre accès », même si, bien sûr, une « souscription à la formule avancée donne droit à d’autres informations, pour seulement 40 dollars par an ». Rapidement, il précise son propos. Pour lui, « se préparer seul à la survie » serait « une erreur fondamentale ». Il plaide au contraire pour des groupes structurés et organisés, avec une division des tâches bien définie. Il suggère de « démarrer à trois ou quatre », puis de mettre en place une stratégie de développement. Son propre « groupe d’assistance mutuelle » atteindrait aujourd’hui 200 personnes. Il faut des gens de confiance, assène-t-il, mais surtout des compétences :

« Être entre like-minded people, c’est bien, mais ça ne suffit pas. […] On n’a pas besoin de vingt gars armés qui ne connaîtraient rien d’autre que leur fusil automatique. Dans votre groupe, il vous faut plutôt un médecin, des infirmières, un agriculteur, un cuisinier, un apiculteur, une blanchisseuse, etc. Il vous faut planifier ; ceux que vous recrutez doivent gagner leur place. »

Au fil de sa présentation, le propos se radicalise. Si Ben Wild avait commencé sur un ton enjoué, sourire aux lèvres, son visage se ferme progressivement. Il consacre près d’une vingtaine de minutes à expliquer comment échapper aux « excès et abus de pouvoir des autorités ». Devant une assistance fascinée, il promeut l’utilisation systématique de téléphones jetables et de cartes SIM prépayées, encourage la désactivation des GPS, défend le recours à des VPN et à des réseaux alternatifs cryptés, explique l’intérêt des cartes bancaires virtuelles à usage unique ou détaille les meilleures stratégies pour constituer des réserves d’essence, des dépôts de munitions et des caches d’armes. L’orateur ponctue toujours ses suggestions martiales d’une phrase qui, si elle n’atténue pas la violence de son propos, rappelle qu’il est attentif à ne pas dépasser le cadre de sa « liberté d’expression » : « Je n’ai rien à cacher, c’est juste que cela ne regarde pas l’État [fédéral] », « c’est ma liberté d’Américain de protéger ma famille, mes biens et ma vie privée »10, « je dis ce qui me semble le mieux, mais c’est votre choix et votre responsabilité », etc.

Ses dix dernières minutes de présentation prennent une tournure glaçante. À un membre de l’auditoire qui lui demande s’il vaut mieux préparer dès à présent une ferme-citadelle ou envisager la mobilité et le mouvement, Ben Wild répond comme suit :

« Le mouvement. Tout le monde ne pense pas comme moi ici, mais il faut du mouvement. […] Mais il vous faut repérer un lieu dès à présent pour l’après. Avec des membres de mon groupe, on a loué des Airbnb pendant plusieurs week-ends pour du repérage. Les gens sont stupides de mettre autant de photos sur internet ; avec Google Maps, on peut tout repérer [Rires]. On a trouvé une grande maison isolée, en montagne, quelque part – mais je ne dirai pas où. Les membres du groupe savent quoi faire et où aller lorsque je donnerai le signal. On a fait des exercices, on est armé, on est prêt.

– Mais Ben, s’il y a les propriétaires ?

[Sourire] J’ai dit qu’on était prêt. On fera ce qu’on a à faire. On a les armes. Tu préfères sauver un étranger ou sauver ta famille ? La Bible est très claire là-dessus ; et moi, je suis la Bible. »

L’auditoire rit. Quelques-uns prennent des notes. Lorsque la classe s’arrête, nombreux sont ceux qui veulent s’entretenir avec Ben Wild, certainement l’une des figures les plus populaires de ces journées.

« Survival Groups » n’est pas le seul temps dédié aux questions de sécurité et de « défense » auquel j’ai pu assister. J’ai également participé à « Trained Protection Dogs », où le dresseur a soulevé des cris enthousiastes lorsqu’il a fait une démonstration des capacités d’attaque de ses bergers allemands [Image 3]. J’ai écouté l’instructeur de « Home Defense » nous enjoindre de connaître la loi de nos États respectifs pour s’assurer que l’on était en droit de tirer sans sommation sur toute personne qui entrerait par effraction dans notre domicile. J’ai pris part à « Patrol Movement and Formation » pour apprendre à me déplacer en équipe en cas de « menace ». À chaque fois, les formateurs ont employé le même type de discours. Il faut apprendre à « se protéger », « protéger sa famille », « protéger ses biens », « défendre sa propriété », « être en capacité de réagir ». Mais cette rhétorique de la défense sert en réalité une politique de l’attaque. « Protéger » signifie se procurer la maison convoitée « avec ses AK-47 », dresser les chiens à « ne jamais lâcher prise », se battre en « orientant ses coups vers les points vitaux », se déplacer « comme l’apprennent les corps d’élites ». Souvent, les ennemis, sans être désignés explicitement, restent reconnaissables ; les orateurs évoquent tour à tour les Afro-Américains, les immigrés, les urbains, les drogués, les pauvres, les libéraux ou les naïfs… – autant d’individus dont les preppers pourraient paradoxalement se débarrasser en s’en « protégeant ». Systématiquement, la menace de l’après et de ses dangers supposés sert ainsi une logique similaire : il s’agit de s’aguerrir, non pas pour « survivre » dans un monde que régirait la loi du plus fort, mais pour y régner.


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Démonstration des capacités de « défense » de chiens entraînés.

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.

Les vrais patriotes

À TSE, les soirées du vendredi et du samedi sont réservées à des temps de convivialité. À partir de 18h, celles et ceux qui sont venus pour la journée quittent les lieux ; seuls restent les membres qui ont souscrit au pass pour l’ensemble de l’événement. Le premier soir – le vendredi – les organisateurs projettent Armageddon, un blockbuster déjà ancien11. Outre son thème apocalyptique, les valeurs nationalistes, militaristes et viriles exaltées par le film ont certainement contribué à son choix. Le public est toutefois resté clairsemé, les personnes présentes s’étant pour la plupart dispersées en petit groupes réunis autour de tables de camping et de barbecues. Lors de la seconde soirée, à l’inverse, près de 200 participants se retrouvent pour un temps collectif annoncé comme un moment fort de la convention.

À 19h30 environ, la soirée commence. John Perry prend la parole sous le regard approbateur de son épouse, Ellie. John commence par projeter une vidéo du Daily Show se moquant des preppers libéraux. D’une dizaine de minutes, le clip présente de façon humoristique les incapacités supposées de ceux qui prétendent se préparer sans adhérer aux valeurs conservatrices. Les rires fusent, dans une ambiance détendue. John reprend ensuite la parole pour dire son bonheur de « se retrouver entre amis » (like-minded friends), malgré les événements sanitaires. Sur un ton humoristique, il déroule ensuite la liste de quelques médias ayant demandé à assister à TSE mais auxquels l’accès a été refusé : « Le New York Times a essayé de venir, mais on l’a repéré ! » L’audience hue. « On a eu des demandes de médias étrangers ! – Bouh ! – Même Channel 5, la chaîne la plus regardée de France [sic]. – Bouh ! – Et quelqu’un d’Australie – Bouh ! [...] – Vous savez quoi ? Un journaliste nous a même demandé : [adoptant un ton geignard] “Mais si je ne viens pas, comment je vais me préparer ?” – Eh ben mec, c’est ton problème ! [Rires.] Mais vous savez quoi ? Il y en a même qui ont essayé de se pointer sans rien demander, ici, à Oakwood ! Ceux-là, on les a refoulés à l’entrée ! » Une voix derrière moi s’exclame : « Pour eux, John, on a une balle ! » Rires dans l’assistance. Je me tasse au fond de mon siège.

Suit une seconde vidéo, un montage mettant en scène un personnage animé qui figure Bill Gates. La parodie se fait violente. La voix prêtée au milliardaire explique sur un ton efféminé, nasal et compassé :

« J’ai passé ma vie a essayé de subjuguer l’humanité. J’y suis arrivé avec le Covid et la peur. Vous êtes désormais asservis volontairement. […] J’ai un plan pour contrôler l’humanité et faire d’une soi-disant entreprise de philanthropie l’outil ultime pour contrôler et restreindre vos libertés. Avec le soutien de Joe Biden, de Nancy Pelosi, de Kamala Harris et de Gretchen Whitmer12. »

D’un peu plus de 5 minutes, la vidéo enchaîne les propos outrageants sur un ton de plus en plus agressif, pour le plus grand plaisir de l’assistance. Lorsque s’arrête la séquence, la vidéo laisse place au logo Microsoft Windows s’affichant sur l’écran de l’ordinateur de John, sans que personne semble relever le paradoxe. Celui-ci reprend la parole et demande, sur un ton de chauffeur de salle : « Est-ce qu’il y a encore de vrais Américains dans ce pays ? » Tous se tournent alors vers le drapeau placé à gauche du pupitre, se lèvent, se découvrent et entonnent d’une voix forte le Pledge of Allegiance, la main sur le cœur.

Viennent ensuite une série de jeux, dont un quiz basé sur les différents enseignements dispensés à TSE. Les questions sont simples et visent à amuser l’auditoire. Quelques cadeaux sont offerts : une bouteille d’argent colloïdal13, du vin artisanal, une pièce d’argent… Le résultat d’une autre compétition est ensuite annoncé, celui du meilleur tin foil hat (chapeau en aluminium) confectionné au cours de l’après-midi. Dans la culture populaire, les tin foil hats sont devenus un symbole des conspirationnistes, des paranoïaques ou des adeptes des théories les plus farfelues. En se les réappropriant, les preppers retournent les attaques et la dérision dont ils font l’objet vers ceux qui les moquent. Une petite fille de 4 ans attendrit l’assistance et remporte tous les suffrages. Ce long temps introductif se termine par un dernier montage vidéo saluant la mémoire de deux instructeurs décédés depuis la dernière édition de TSE. Ils seraient morts du coronavirus. Mais lorsqu’il prononce le mot « Covid », John emploie un ton suspicieux. Il souligne ce nom en faisant le geste de le mettre entre guillemets. Et l’organisateur d’ajouter : « C’étaient de bons chrétiens ; je suis certain qu’ils reposent désormais auprès du Seigneur. »

Enfin, John introduit un conférencier, William Greenburg, qu’il présente comme un « militant et un intellectuel de premier ordre » ; il doit « prononcer un discours d’importance ». Un homme blanc d’une cinquantaine d’années monte sur l’estrade. D’une voix un peu chevrotante où transparaît le trac, il flatte d’abord l’assistance, en faisant l’éloge du « chant patriotique le plus vibrant qu’[il lui ait] été donné d’entendre ». « J’ai su alors, ajoute-t-il, que j’étais ici entouré d’amis. » William Greenburg est un lobbyiste conservateur, à la tête d’un think tank basé à Washington dont il est l’unique membre actif. Sur sa page LinkedIn, il se présente comme « l’un des partisans les plus fervents de la liberté individuelle, de la libre entreprise, de la propriété et de l’éducation traditionnelle du pays, [qui] se bat contre l’oppression du gouvernement depuis plus de trente ans ». En réalité, William Greenburg s’est fait un nom (modeste) dans la dénonciation systématique de l’« Agenda 21 », ce plan d’action intergouvernemental pour la défense de l’environnement, adopté au sommet de la Terre à Rio en 1992. William Greenburg répète à longueur de livres autopubliés et de vidéos postées sur les réseaux sociaux les mêmes idées conservatrices, qui considèrent les politiques fédérales de protection environnementale comme des « prétextes » pour « attaquer la liberté d’entreprise et l’identité américaine ». Ainsi écrit-il, par exemple, sur son site Web que l’Agenda 21 résulte de « forces internationales [qui] transforment les communautés américaines en petits soviets », que la protection de la planète est un « programme pour contrôler la population », que les agences fédérales américaines de protection de l’environnement ont pour objectif de « détruire l’industrie », que le changement climatique est « un prétexte pour renforcer les réglementations juridiques », etc.

Sans surprise, il reprend les mêmes arguments devant l’assemblée réunie à TSE. Pourtant, malgré ses invectives, William Greenburg apparaît ce soir-là comme un piètre orateur. Souvent confus, il peine à captiver l’auditoire. Seules les saillies qui visent directement à défendre l’industrie et le travail rencontrent une approbation nourrie. Lorsqu’il désigne la Chine comme la nouvelle menace mondiale, il suscite aussi quelques applaudissements. C’est elle, éructe W. Greenburg, qui se placerait aux commandes du « complot environnementaliste mondial » pour « détruire les bons emplois et notre mode de vie ». Mais l’orateur se perd parfois dans ses notes, se trompe souvent de ton et se répète. Mes voisins bâillent. Les rangs du public s’éclaircissent. Après une heure d’un monologue peu convaincant, la deuxième journée s’achève.

Le sermon

Le dimanche, je me rends d’abord à l’office religieux prévu à 8 heures. Je prends place dans la tente centrale, à moitié remplie. Face à nous, le pasteur se tient droit et fixe l’assemblée d’un œil austère. Cet homme d’une soixante d’années porte une barbe blanche, une chemise à carreaux rouges et un blue-jean. Au début de l’office, nous chantons Amazing Grace, puis il nous invite à ouvrir notre Bible. Je n’en n’ai pas apporté, mais je ne détonne pas ; seules quelques personnes sortent un iPad ou un livre, déjà surligné et griffonné. Le pasteur commence par un commentaire du Livre d’Isaïe. « Les fléaux s’abattent, ils arrivent. La pestilence ? Le Covid ! Les tremblements de terre ? N’avez-vous pas vu, encore récemment, aux Philippines ? Et les menaces toujours plus grandes. Et la luxure ? Et la dépravation… C’est la première fois de ma vie, la première fois, insiste-t-il, que tout ce qu’annonce la Bible se réalise en même temps. » L’auditoire acquiesce ; lui-aussi, semble-t-il, a lu dans l’actualité l’imminence du Jugement.

Suivent une dizaine de minutes un peu confuses durant lesquelles le pasteur commente vaguement l’instabilité internationale en s’appuyant sur l’Épître aux Romains. Systématiquement, il cherche à dénoncer ce qu’il lit comme un affaiblissement des États-Unis ou, plus exactement, de l’Amérique blanche qu’il chérit14. Selon une rhétorique éprouvée, les menaces extérieures font écho à une fragilité intérieure que le pasteur attribue aux « démocrates », aux « libéraux », à la « luxure », à l’« avortement » et à la « dépravation » (allusion aux minorités sexuelles). S’il peut parfois énumérer celles et ceux qu’il vise, il n’a souvent pas besoin de les nommer – ce sont juste « they » (ils/elles), catégorie fluide, mais utile, agrégeant celles et ceux qui sont perçus comme des ennemis et des dangers politiques. « Mais pourquoi ? Pourquoi allons-nous être punis ? s’énerve soudain le pasteur. Parce que nous sommes pêcheurs. [...] Le seul moyen de survivre aux temps à venir, c’est de trouver le Christ dans votre cœur. Le Gospel [le Nouveau Testament] est la seule voie. Vous devez vous débarrasser de vos péchés. Comment ? En renaissant à Dieu [to be born again] ! Sans laisser place au doute. Vous donner totalement à Lui et devenir un soldat du Christ [a soldier of Christ] ! »

Son regard se fait menaçant. Le pasteur s’écarte de plus en plus de ses notes et improvise, tenant ses lunettes dans sa main droite, qu’il pointe désormais vers l’assemblée.

« Oh, vous vous préparez ; c’est bien. Mais attention… Ceux qui amassent [hoarders], ceux qui planifient, ceux qui anticipent sans la foi n’ont rien compris. Rien. Ce qu’il faut, avant toute chose, c’est faire place à Dieu dans son cœur. […] Soit on est chrétien, soit on ne l’est pas. Il n’y a pas de demi-mesure. Il y a le vrai ou le faux, le mensonge ou la vérité, le Bien ou le Mal, Dieu ou le démon. Rien n’existe au milieu. Rien ! C’est à vous de chercher, au plus profond de vous-mêmes, ce que vous êtes. »

Son sermon se termine par une nouvelle invitation à renaître. Après un temps de silence et d’hésitation, un couple lui fait discrètement signe. Le pasteur demande un air de guitare et fait monter ces deux personnes sur l’estrade. Il nous invite à prier. Je baisse la tête et l’entend marmonner un temps avant de s’exclamer : « Ça y est ! Ça y est ! » Le couple est en pleurs. Tour à tour, ils prennent tous deux la parole et nous remercient. « C’est ici, disent-ils, à TSE, avec vous, entre like-minded people, que nous avons trouvé les amis et la famille qui nous permettent de donner au Christ sa place dans notre cœur. »

Systèmes et raisons

Une fois le prêche terminé, je reste dans la tente centrale pour assister au cours de Farmer John (John Perry). Ses traits sont tirés ; il enchaîne les enseignements depuis le début de TSE et la fatigue se lit sur son visage. John rappelle en quelques mots qu’il travaillait auparavant dans l’industrie cinématographique, qu’il a quittée il y a une quinzaine d’années pour créer sa « ferme autonome » dans les montagnes avoisinantes. « Mais vous me connaissez, dit-il, vous savez ce que je suis, n’est-ce pas ? Et qu’est-ce que je suis ? » L’auditoire, familier du personnage, de ses écrits, de ses nombreuses vidéos et de ses podcasts conservateurs, répond d’une seule voix : « Un S.O.B. ! » [A Son Of a Bitch – littéralement, un « fils de pute »]. « C’est ça, un vrai S.O.B., et je vais vous apprendre des trucs de S.O.B. » Pour John, « être un S.O.B. », c’est « avoir beaucoup en en faisant le moins possible ». À l’aide d’un support visuel travaillé, il présente pendant près de 45 minutes quelques-uns des « systèmes » qu’il a mis en place dans sa ferme. Il rappelle à son public qu’il trouvera des renseignements plus précis dans ses ouvrages (autopubliés), en vente sur Amazon.

John explique d’abord que « sortir du monde » (going off grid) est un choix rationnel, permettant non seulement de vivre « comme la nature l’a prévu », loin d’un monde capitaliste « toxique, empoisonneur et menteur » [Image 4], mais aussi de réaliser des économies et d’améliorer sa qualité de vie.


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Extrait de la présentation de Farmer John critiquant l’industrie agro-alimentaire et ses liens avec les agences gouvernementales.

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.


Puis viennent un certain nombre de tableaux où il présente un système rodé de production de nourriture et d’énergie. Il initie l’auditoire à l’élevage de chèvres – « trois suffisent pour 1,5 gallons de lait par jour ». Il recommande la constitution d’une « forêt alimentaire », capable d’abriter des espèces productives (comme des mûriers, des framboisiers, des châtaigniers ou des pommiers), tout en étant « moins visible qu’un jardin » et en permettant de « dissimuler l’habitat ». Il promeut l’élevage de canards plutôt que de poules pour la production d’œufs, les palmipèdes étant réputés « moins bruyants » et moins destructeurs pour les jardins. Il explique longuement la conception de son clapier et la manière dont il l’a automatisé pour limiter l’intervention humaine et bénéficier d’un « apport de protéines de qualité ». Il décrit son rucher, où il « produit l’équivalent de 2 537 dollars de miel par an, pour un investissement initial de 700 dollars ». Les exemples se succèdent : système de récupération d’eau de pluie, porcherie, élevage de poissons d’eau douce… Régulièrement, Farmer John fait réciter à l’auditoire qu’il est « un S.O.B. » cherchant à en « faire le moins possible » ; d’ailleurs, si lui « y est arrivé, tout le monde peut y arriver ». Mais loin de l’image de paresse et de facilité qu’il cherche à instiller, ses diapositives rendent compte d’un système pensé, réfléchi, calculé, où l’investissement de départ est élevé, les calories comptées, la productivité mesurée et la rentabilité testée. Enfin, comme Farmer John le répète, il ne s’agit pas seulement de produire, il faut aussi « protéger ». Il invite alors l’auditoire à dissimuler les entrepôts, à cacher les plantes et les animaux ou à mettre en place des systèmes de défense et d’alerte. Le public semble fasciné par la solidité de son propos. Une dernière fois, Farmer John insiste : « Je suis un S.O.B. Mais, dans ma ferme, on ne survit pas. On prospère. [We are not suviving. We are thriving.] »

Une identité politique

Les enseignements dispensés et les scènes décrites rendent compte d’un univers codifié aux valeurs homogènes. Certes, cela résulte pour partie de la position d’enquête et des observations conduites : parce qu’elles se concentrent sur des formations proposées lors d’une convention, elles accordent une place prépondérante à des discours publics préalablement sélectionnés. Lorsque c’était nécessaire, les enseignants ont dû être invités par les organisateurs à se conformer à des attentes formulées lors d’échanges auxquels je n’ai pas eu accès. Par exemple, au cours d’une classe sur la récolte de plantes sauvages, en réponse à une question sur le « meilleur remède naturel pour lutter contre le coronavirus », l’instructrice, gênée, a indiqué qu’il lui avait été demandé « de ne pas se prononcer sur un sujet relatif à la pandémie », d’autant plus, a-t-elle ajouté, que c’était la première année qu’elle était « invitée à organiser un cours ». Cette information, donnée en passant et d’apparence anodine, traduit l’existence de coulisses où s’affirme, hors du temps observé, une vigilance vis-à-vis du discours produit et diffusé. Mais cette homogénéité des valeurs morales et politiques rencontre aussi une attente de l’assistance, venue écouter davantage que des techniques et des savoir-faire. Pour beaucoup de participants, TSE s’avère aussi un moment privilégié où leurs convictions sont « librement exprimées », entendues, répétées et fortifiées, ce qui tend à prouver que la preparedness est une activité politique où s’affirme le rejet du libéralisme politique et où se « prépare » son remplacement tant espéré. Ainsi, aux États-Unis, si la préparation se pense et se présente comme un aguerrissement et une encapacitation face à la possibilité – voire la probabilité – d’une disruption majeure, elle est aussi une matrice conservatrice, particulièrement séduisante pour certaines franges de la population.

Les contraintes de sécurité liées à TSE m’ont empêché d’accéder à une compréhension fine des positions sociales des participants. Mais il reste possible d’appréhender le poids des déterminants sociaux dans l’attrait que peut exercer la preparedness. Il s’agit d’abord d’un univers caractérisé par une blanchité quasi exclusive. Parmi les centaines de participants, je n’ai croisé qu’une seule personne à la peau noire pendant les trois jours qu’a duré TSE, et seulement deux de type asiatique. Ensuite, durant l’événement, plusieurs signes ont révélé une forte représentation des classes moyennes et populaires : les véhicules garés sur le parking (majoritairement des pick-ups rutilants) ; l’accent marqué des participants pendant leurs conversations ; les approbations répétées lorsque les orateurs défendaient l’industrie, évoquaient les fins de mois difficiles ou compatissaient aux difficultés causées par l’inflation et la hausse des prix ; la présence de nombreux T-shirts, autocollants ou drapeaux se réappropriant le stigmate de « redneck » ou de « white trash » (Isenberg, 2017) ; les moqueries adressées aux élites de Washington que l’on pouvait entendre ; ou encore le rejet massif des masques, de la campagne vaccinale et la sensibilité aux théories complotistes.

Le public présent à TSE ou dans d’autres conventions et salons prepper ne se limite pas aux seuls individus précarisés ou déclassés – dont l’expérience engendrerait colère et ressentiment (Hochschild, 2016). Pour autant, le succès de la manifestation – et de la préparation en général – peut aussi s’expliquer par sa capacité à interpeller ceux qui partagent le sentiment que leur place ou leur position est fragilisée. Les preppers pensent aussi l’Amérique dévoyée et corrompue parce qu’elle ne répondrait plus à certaines attentes de mobilité sociale, ni ne satisferait certains espoirs de réussite. « C’était pourtant le cas auparavant », comme ils sont nombreux à le croire et à le répéter, « lorsque l’Amérique était encore ce qu’elle était : la plus grande nation du monde, le pays béni de Dieu ». Mais, se lamentent-ils, les États-Unis sont désormais trop « faibles » pour « véritablement » privilégier les Blancs, rétribuer les chrétiens, consacrer les hétérosexuels, fermer ses frontières et enrichir ses travailleurs… Et les preppers de considérer ces manquements comme la marque cruelle du dévoiement de l’Amérique, la preuve d’une société « dégénérée » dont la fragilité sera bientôt révélée, qu’ils se préparent ensemble à dépasser et à réinventer.

La fin, un espoir

Si la « survie » requiert des compétences et des techniques, elle est aussi devenue le support d’une véritable critique politique. Pour les preppers, la fin n’en n’est pas une ; c’est une démonstration. Elle marquera le terme d’un temps, certes, mais les corps et les esprits préparés, eux, seront régénérés. Elle sera aussi la preuve que leurs inquiétudes et leurs craintes, si souvent moquées, trahissaient leur lucidité et leur supériorité. Ainsi, plutôt qu’à la fin, ils se préparent à une fin. Celle d’une société qui s’est perdue dans les dévoiements qu’ils attribuent au libéralisme : une Amérique dont la force aurait été diluée dans les politiques et les valeurs démocrates, les excès d’un supposé centralisme fédéral, la bureaucratisation, la bien-pensance, la « culture woke », l’antiracisme naïf… En bref, tous ces maux du présent qui font des États-Unis, disent-ils, un pays « en régression », assailli par une conjonction de dangers intérieurs (l’État fédéral, les ultrariches, les démocrates, Hollywood…) et de menaces extérieures (la Chine, le communisme, les hordes de migrants qui s’amasseraient aux portes du pays, etc.).

Dès lors, si la fin du monde qui s’annonce fait naître l’inquiétude, la peur, elle est aussi source d’espoir. Si la catastrophe fascine tant le monde prepper, comme de nombreux mouvements d’extrême droite, c’est qu’elle sera un temps de révolution et une opportunité de remplacement (Kaplan, 2018). Les structures sociales dévoyées ne seront pas seulement mises à mal, elles seront aussi purifiées – le moment actuel se révélant une parenthèse que l’Amérique aura refermée (du moins celles et ceux qui survivront). Ensuite, et surtout, cette fin annoncée, prévue et attendue sera une démonstration. Ceux qui surmonteront les épreuves prouveront le bien-fondé de leurs préoccupations (et de leurs investissements), comme la supériorité de leurs valeurs et de leurs convictions – tant individuelles que collectives. La catastrophe apparaît ainsi comme une preuve qui, pensent-ils, ne saurait tarder à apparaître – à en croire le diagnostic qu’ils portent sur la société majoritaire et sa débilité. Pour autant, l’attente qui les sépare de la confirmation de leurs convictions n’est pas un temps creux ou vide ; c’est aussi, et d’abord, un temps productif. Un temps pour acquérir des compétences, organiser un système de production autosuffisant, anticiper des stratégies, ou accumuler des biens. Un temps, aussi, pour définir les frontières du groupe dans lequel ils se reconnaissent, pour entretenir, en échangeant avec lui, la conviction de leur lucidité, de leur supériorité et de leur valeur, et pour inventer ensemble une alternative radicale qui fait de la preparedness, plus qu’une peur, une projection ou une anticipation, une critique politique du temps présent.

1 Les noms de personnes et de lieux ont été systématiquement modifiés pour garantir l’anonymat.

2 Sur l’ethnographie des foires et des salons, voir Leivestad et Nyqist (2017).

3 Site Web de The Survival Expo.

4 Acronyme du slogan “Make America Great Again”, mobilisé par le camp trumpiste lors des élections présidentielles de 2016 et 2020.

5 The Thin Blue Line est un symbole visant à afficher son soutien aux forces de l’ordre. Souvent transposé dans une variation du drapeau américain, il

6 Comme précisé dans l’article mentionné des nuances existent entre les termes survivalistes, preppers, resilients, etc., les définitions variant d’

7 QAnon est une mouvance d’extrême droite étatsunienne, réunie autour de messages anonymes publiés par « Q ». QAnon développe des théories

8 Doomsday Preppers est une série sur la préparation en 4 saisons et 54 épisodes, qui a été diffusée entre 2011 et 2014 sur la chaîne National

9 Dans le monde prepper, les « zombies » désignent celles et ceux qui auraient survécu fortuitement à une catastrophe. Sans plan ni compétence, ils

10 Sur l’histoire et la sociologie de l’intrication conservatrice entre citoyenneté, défiance vis-à-vis du gouvernement et violence armée, voir

11 Michael Bay, Armageddon, 1998, Touchstone Pictures/Jerry Bruckheimer Films.

12 Quatre personnalités démocrates. Joe Biden a été élu président en 2020, avec Kamala Harris comme colistière pour la vice-présidence. Nancy Pelosi

13 Au sein des groupes conservateurs, l’argent colloïdal a la réputation d’être un puissant médicament, à la fois préventif et curatif. Il est ingéré

14 Sur l’intrication entre blanchité, christianisme, patriotisme et classe sociale aux États-Unis, voir Crockford (2018).

Bibliography

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HOCHSCHILD Arlie Russell, Strangers in Their Own Land: Anger and Mourning On The American Right, New York, The New Press, 2016.

ISENBERG Nancy, White Trash: The 400-Year Untold History of Class in America, New York, Penguin Books, 2017.

KAPLAN Jeffrey, « America’s Apocalyptic Literature of the Radical Right », International Sociology, vol. 33, n° 4, 2018, p. 503-522.

LEIVESTAD Hege Høyer et NYQVIST Anette (éds), Ethnographies of Conferences and Trade Fairs: Shaping Industries, Creating Professionals, Cham, Palgrave Macmillan, 2017.

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ROEDIGER David, The Wages of Whiteness: Race and the Making of the American Working Class, New York, Verso, 2007 (1991).

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ROUX Sébastien, « “Vous avez 30 minutes”, ou pourquoi se préparer à la catastrophe nucléaire » [En ligne], carnet de recherche « Terrains ethnographiques nord-américains », 6 septembre 2022, URL : https://tena.hypotheses.org/2129.

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Notes

1 Les noms de personnes et de lieux ont été systématiquement modifiés pour garantir l’anonymat.

2 Sur l’ethnographie des foires et des salons, voir Leivestad et Nyqist (2017).

3 Site Web de The Survival Expo.

4 Acronyme du slogan “Make America Great Again”, mobilisé par le camp trumpiste lors des élections présidentielles de 2016 et 2020.

5 The Thin Blue Line est un symbole visant à afficher son soutien aux forces de l’ordre. Souvent transposé dans une variation du drapeau américain, il est devenu un marqueur d’adhésion au conservatisme politique.

6 Comme précisé dans l’article mentionné des nuances existent entre les termes survivalistes, preppers, resilients, etc., les définitions variant d’ailleurs en fonction des contextes. Pour autant, ces différences ne sont connues que par les plus engagés (qui les emploient notamment pour se distinguer les uns des autres). Durant les trois journées du salon The Survival Expo, les termes ont été utilisés de manière interchangeable par les participants et les exposants. Je reproduis infra la même logique.

7 QAnon est une mouvance d’extrême droite étatsunienne, réunie autour de messages anonymes publiés par « Q ». QAnon développe des théories conspirationnistes contre les élites et le gouvernement, rencontrant un écho important depuis la fin des années 2010 (Conner et MacMurray, 2022).

8 Doomsday Preppers est une série sur la préparation en 4 saisons et 54 épisodes, qui a été diffusée entre 2011 et 2014 sur la chaîne National Geographic dont elle fut l’un des principaux succès d’audience.

9 Dans le monde prepper, les « zombies » désignent celles et ceux qui auraient survécu fortuitement à une catastrophe. Sans plan ni compétence, ils chercheraient à accaparer les biens de celles et ceux qui, à l’inverse, se seraient préparés. Ils constitueraient une menace forte durant les premiers mois du monde post-apocalypse, avant de mourir du fait de leur impréparation. Les preppers les affublent souvent d’un accent afro-américain ou efféminé, jouant sur l’ambiguïté raciste et homophobe qui associe la menace et l’incompétence aux ennemis politiques désignés.

10 Sur l’histoire et la sociologie de l’intrication conservatrice entre citoyenneté, défiance vis-à-vis du gouvernement et violence armée, voir Carlson (2015).

11 Michael Bay, Armageddon, 1998, Touchstone Pictures/Jerry Bruckheimer Films.

12 Quatre personnalités démocrates. Joe Biden a été élu président en 2020, avec Kamala Harris comme colistière pour la vice-présidence. Nancy Pelosi, élue de Californie, est la présidente de la Chambre des représentants (la Chambre basse) depuis 2019 et une opposante résolue à l’ancien président Donald Trump. Gretchen Whitmer est la gouverneure de l’État du Michigan depuis 2019 ; très réactive dans sa politique sanitaire contre le Covid-19, elle s’est attiré les foudres d’une faction de l’ultradroite (les Wolverine Watchmen) qui a fomenté contre elle une tentative d’enlèvement déjouée en octobre 2020.

13 Au sein des groupes conservateurs, l’argent colloïdal a la réputation d’être un puissant médicament, à la fois préventif et curatif. Il est ingéré en petites doses, contre l’avis de la Food and Drug Administration, qui met régulièrement en garde contre sa toxicité et les risques d’argyrisme auxquels s’exposent ses consommateurs. Le produit a connu un regain de popularité durant la pandémie de Covid-19.

14 Sur l’intrication entre blanchité, christianisme, patriotisme et classe sociale aux États-Unis, voir Crockford (2018).

Illustrations

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Arrivée à The Survivalist Expo (jour 1).

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L’une des tentes dédiées aux cours et enseignements.

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Démonstration des capacités de « défense » de chiens entraînés.

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.

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Extrait de la présentation de Farmer John critiquant l’industrie agro-alimentaire et ses liens avec les agences gouvernementales.

▪ Crédits: Sébastien Roux. Tous droits réservés.

References

Electronic reference

Sébastien Roux, « Like-minded people. Ethnographie d’une convention prepper aux États-Unis », Condition humaine / Conditions politiques [Online], 6 | 2025, Online since 25 septembre 2024, connection on 23 mai 2025. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1505

Author

Sébastien Roux

Sébastien Roux est sociologue, directeur de recherche au CNRS et membre de l’IRIS à Paris (UMR 8156). Après avoir enquêté sur le tourisme sexuel, la délinquance juvénile et l’adoption internationale, il oriente désormais ses travaux vers l’étude des inquiétudes environnementales et des futurs écologiques, à partir d’enquêtes ethnographiques conduites en France et aux États-Unis.

A sociologist and anthropologist, Sébastien Roux is a Research Professor at the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), affiliated with Iris in Paris (UMR 8156). He previously conducted ethnographic research on sex tourism, juvenile delinquency, and transnational adoption. He is currently studying dystopian concerns and environmental anxieties in France and the USA.