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Muséifier le patrimoine immatériel sous forme virtuelle. À propos du projet « Mission Brésil » du Museum de ToulouseMuseumize the intangible heritage in virtual form. On the project “Mission Brésil” of the Museum de Toulouse

Sylviane Bonvin-Pochstein et Anouk Delaître
juin 2024

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2183

Index   

Texte intégral   

1Dans ce projet, le Muséum se présente comme dépositaire et passeur de patrimoines menacés, œuvrant également à la sauvegarde, la conservation et la valorisation d’un patrimoine « vivant ». Grâce au travail de collecte sur le terrain, la diversité des stratégies, réponses, résistances et résiliences des sociétés amérindiennes face aux changements devrait-elle pouvoir être mieux mise en scène avec l’utilisation notamment de matériaux immatériels ?

2Le fonds acquis de 2010 à 2016 dans le Brésil central par le Muséum de Toulouse en témoigne. La « Projet Brésil Central » a permis l’acquisition d’une collection aussi bien matérielle, de 500 artefacts, qu’immatérielle avec des milliers de fichiers photos, vidéos et sons. Il s’agit d’une banque de données d’archives contemporaines importantes pour et sur ces sociétés amérindiennes. Les deux fonds font sens conjointement : la seconde étant la documentation de la première, elle la contextualise et l’enrichit. Son format numérique, cependant, la décline comme un fonds aux logiques de conservation à part entière.

3En retournant sur le terrain pour constituer de nouvelles collections réactualisant le fonds existant, le partenariat effectué par le Muséum a pour but de rencontrer les producteurs pour écouter ce qu’ils ont à dire (sur leurs objets, leurs histoires, ce qui fait le patrimoine), et les faire entendre depuis leurs terres au Brésil jusqu’au musée français. C’est sous la forme de témoignages photographiques et vidéographiques que ces derniers font leur entrée au musée. Ce fonds numérique donne une voix, et personnalise les collections jusque-là matérielles.

4En pensant le musée sur le modèle relationnel comme « zone de contact » (Clifford 1997), il revient de considérer les collections d’ethnographie, ainsi que les pratiques développées à leur égard en termes de gestion et valorisation. Héritage lié de près ou de loin au contexte colonial, elles représentent un patrimoine partagé qui dépasse les frontières nationales. La communauté muséale est actuellement marquée par la question des restitutions patrimoniales (Saar et Savoy 2018), difficile à résoudre en raison du principe d’inaliénabilité juridique enclavant les collections nationales (loi « Musée de France » de 2002). Sans parler de restitution matérielle, les musées français ont le devoir de rendre accessible les collections dont ils sont les gestionnaires au public le plus large. Faisant écho au Code de déontologie de l’ICOM, ils doivent faire preuve de transparence et rendre visible leurs collections. Ces perspectives sont plus importantes encore pour qui est culturellement lié à ces fonds, mais géographiquement éloigné comme par exemple les communautés amérindiennes du Brésil Central. Comment leur rendre accessible ce patrimoine qui les concerne, voire les y associer (en termes de mise en valeur mais aussi de restitution matérielle ou virtuelle) ?

5Si la numérisation des collections facilite l’identification, l’accès, voire la circulation des collections via leur duplication, cette pratique n’est ni systématique à travers le réseau muséal, ni même systématisée au sein d’un même musée. Par ailleurs, certains musées comme le Muséum de Toulouse sont gestionnaires de fonds virtuels (photos, vidéos, enregistrements sonores), conservés sous le statut de collection ou celui d’archive documentant une collection. Leur format numérique facilite une diffusion hors-les-murs.

6Cependant, la mise en ligne des collections ethnographiques, telle que recommandée par le rapport Saar-Savoy, soulève des craintes (Pavis ; Wallace 2019) et nécessite un besoin de concertation, voire de consultation, ainsi qu’une étude du cadre juridique. En écho au Protocole de Nagoya (Aubertin ; Nivart 2017), il convient de respecter les savoirs potentiels liés aux collections acquises directement auprès de leurs producteurs comme c’est le cas pour des collections issues de campagnes de collecte contemporaines.

Bibliographie   

AUBERTIN, Catherine ; NIVART, Anne. “Musée et collections sous le protocole de Nagoya”. Communication au Colloque international : Définir le musée du 21e siècle, Sorbonne Nouvelle, Paris, 9-11 juin 2017.

CLIFFORD, James, 1997. Routes, Travel and translation in the late twentieth Century. Cambridge : Harvard University Press.

PAVIS, Mathilde ; WALLACE, Andrea. Response to the 2018 Sarr-Savoy Report : Statement on Intellectual Property Rights and Open Access relevant to the digitization and restitution of African Cultural Heritage and associated materials. Zenodo, 2019. Disponible en ligne : http://doi.org/10.5281/zenodo.2620597

SARR, Felwine ; SAVOY, Bénédicte, 2018. Restituer le patrimoine africain. Paris : Seuil.

Citation   

Sylviane Bonvin-Pochstein et Anouk Delaître, «Muséifier le patrimoine immatériel sous forme virtuelle. À propos du projet « Mission Brésil » du Museum de Toulouse», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Amazonies mises en musées. Échanges transatlantiques autour de collections amérindiennes, mis à  jour le : 12/06/2024, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=2183.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Sylviane Bonvin-Pochstein

Sylviane Bonvin-Pochstein est formée en histoire de l’art, anthropologie de l’art, patrimoine et muséologie à l’École du Louvre, et en conservation préventive à l’Université de Paris-Sorbonne. Actuellement, elle est chargée des collections ethnographiques/anthropologie culturelle du MHNT, le muséum d’histoire naturelle de Toulouse. Elle a participé à plusieurs travaux de recherche et de collecte sur le terrain dans le Brésil central entre 2011 et 2016.

Quelques mots à propos de :  Anouk Delaître

Après un Master en muséologie au MNHN sur l’histoire de collections Kayapó dans le cadre du projet COLAM, Anouk Delaître termine actuellement sa thèse de doctorat en anthropologie à l’Université de Toulouse Jean Jaurès sur les enjeux de la diffusion virtuelle de collections issues d’Amazonie brésilienne (objets numérisés et fonds audiovisuels) en suivant les projets portés par le Muséum de Toulouse. Elle est également missionnée sur le chantier lié à l’indexation de Keepeek et œuvre sur les fichiers du Museum produit en partenariat avec les villages amérindiens concernés par les collectes.