Les objets ethnographiques et les musées amérindiens. Notes d’un chercheur sur le terrainEthnographic Objects and Native American Museums. Notes from a field researcher
Renato AthiasDOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.2128
Résumés
Résumé
Ce texte aborde des questions relatives aux objets des Amérindiens, aux choses des « enchantés » qui sont ces êtres non-humains avec lesquels communiquent les chamanes, aux artefacts des ancêtres. La réflexion porte sur des objets de la région du haut Rio Negro qui ont suscité depuis longtemps l’intérêt de chercheurs venus de l’ethnologie ou de la muséologie, de collectionneurs et de spécialistes des cultures matérielle et immatérielle des peuples autochtones. Les éléments présentés dans ce texte sont centrés en même temps sur ces objets chamaniques utilisés lors des rituels et largement reconnus par les Amérindiens qui s’intéressent aussi actuellement à leurs aspects symboliques. On discute également certains éléments clés des processus de « patrimonialisation » des objets et des lieux amérindiens, dans la politique culturelle au Brésil comme ailleurs. Nous cherchons ainsi à étudier la circulation des objets chamaniques dans les villages et musées, en interface avec les rituels et certaines connaissances traditionnelles de ces peuples.
Abstract
This text seeks to discuss questions relating to the objects of the Amerindians, to the things of the « enchanted » who are non-human beings with whom the shamans communicate, to the artifacts of the ancestors. The reflection focuses on objects from the upper Rio Negro region that have always been a source of interest for ethnologists, but also museologists and specialists in the material and immaterial cultures of indigenous peoples. The elements presented in this text are centered on shamanic objects used during rituals and widely recognized by Native Americans who are also currently interested in their symbolic aspects. The question is also centered on certain key elements of the processes of “heritagization” of Amerindian objects and places, in cultural policy in Brazil as elsewhere. We thus seek to study the circulation of shamanic objects in villages and museums, in interface with the rituals and certain traditional knowledge of these peoples.
Resumo
Este texto busca discutir questões relativas aos objetos dos índios, às coisas dos « encantados » que são seres não humanos com os quais os xamãs se comunicam, aos artefatos dos ancestrais. A reflexão centra-se em objetos da região do alto Rio Negro que sempre foram fonte de interesse de etnólogos, mas também de museólogos e especialistas nas culturas materiais e imateriais dos povos indígenas. Os elementos apresentados neste texto estão centrados nos objetos xamânicos usados durante os rituais e amplamente reconhecidos pelos nativos americanos que também se interessam atualmente por seus aspectos simbólicos. A questão também está centrada em alguns elementos-chave dos processos de “patrimonialização” de objetos e lugares ameríndios, na política cultural no Brasil como em outros lugares. Buscamos, assim, estudar a circulação de objetos xamânicos em aldeias e museus, em interface com os rituais e certos saberes tradicionais desses povos.
Index
Index de mots-clés : chamanisme, objets rituels, Rio Negro, enchantés, patrimonialisation..Index by keyword : shamanism, ritual objects, Rio Negro, enchanted, heritage..
Texte intégral
Préambule
1En 2004, j’ai organisé1 un atelier avec plusieurs kumuá et baiaroá, termes désignant les sachants ou spécialistes détenteurs de savoirs parmi les amérindiens de plusieurs groupes linguistiques2 de la région du haut Rio Negro, à Iauareté, à la frontière de la Colombie et du Brésil. Durant cet atelier, certains participants racontaient une histoire plutôt intrigante. Je pense qu’elle est bien connue des habitants de Iauareté, sur le fleuve Uaupés (Athias, 2007). Ce récit a suscité chez moi une grande curiosité pour les faits et l’histoire que les Amérindiens racontent à propos de chercheurs venus sur le terrain.
2Après avoir écouté leurs récits, je me suis davantage intéressé à reconstituer l’histoire du déplacement des objets ethnographiques qui se trouvent hors de cette région dans différents musées et institutions muséales. Comment ces objets sont-ils partis ? Qui les a emportés ? Où se trouvent-ils aujourd’hui ? Toutes ces interrogations ont motivé un projet de recherche dans les musées en France et à travers le monde, portant sur les objets originaires de cette région (Athias, 2017).
3Je dispose aujourd’hui d’une bonne connaissance des institutions nationales et internationales où se trouvent ces objets qui appartenaient auparavant aux peuples amérindiens de la région du haut Rio Negro, dans l’État de l’Amazonas au Brésil. De nombreux objets collectés dans cette région, en particulier à partir de 1830, se trouvent actuellement dans les principaux musées européens.
4Un récit m’a été rapporté par les kumuá, détenteurs des savoirs et spécialistes des guérisons chamaniques, à Iauareté : il parle d’un chercheur européen qui a caché un trocano dans cette région, et personne d’autre ne pouvait retrouver. Le trocano est une sorte de grand tambour confectionné à partir d’un tronc d’arbre creux d’environ deux mètres de long et un mètre de diamètre, frappé avec deux bâtons (un dans chaque main), et utilisé pour émettre un son particulier, signal destiné à avertir les gens. Habituellement, cet objet était placé devant la porte principale des maisons collectives malocas (Fig.1).
5Une version de la même histoire circule parmi les plus anciens de Iauareté et dit que cet Européen a emmené le trocano à Manaus pour le vendre à un prix très élevé, et que cet énorme objet se trouve aujourd’hui dans la collection du Musée de l’Indien à Manaus3. Une autre version dit encore que l’Européen n’avait pas pu le prendre personnellement car il ne trouvait pas de pirogue adaptée pour traverser la grande cascade d’Ipanoré, puisque le trocano devait être plein d’or et donc très lourd. L’Européen aurait alors enterré l’objet quelque part à l’extérieur de Iauareté, afin de le récupérer plus tard, mais serait décédé avant. Par conséquent, celui qui le trouverait pourrait devenir très riche ! En faisant ce récit, les Amérindiens ont débattu de façon animée de la manière de chercher cet « or ».
6Après de nombreuses recherches pour localiser l’année et le nom de l’Européen évoqué dans ce récit oral circulant à Iauareté, j’ai pu déterminer qu’il s’agissait du Comte Ermano Stradelli qui avait visité les lieux à la fin du XIXe siècle et avait été gardé dans la tradition orale des Tariana de Iauareté. Bien sûr, cette anecdote ressemble à de nombreux récits sur les non-autochtones qui sont passés dans la région et se sont emparés d’artefacts appartenant aux Amérindiens. Aujourd’hui, ces objets n’appartiennent plus à cette population parce qu’ils ont été emmenés hors de leur région d’origine. Comme ils font partie des collections des musées, ils appartiennent aux institutions où les collections sont déposées. Les détenteurs de savoirs les plus anciens affirment que la plupart de ces objets ont été emmenés … et ils ne savent souvent pas exactement où ils se trouvent. De fait, au Musée de l’Indien mis en place par les sœurs salésiennes de Manaus, il y a un trocano et un nombre important d’objets pris dans les villages amérindiens du haut rio Negro par les missionnaires qui les considéraient alors comme faisant partie d’un « culte du diable ». Aujourd’hui, ces pièces dérobées sont exposées dans ce musée à Manaus (Fig. 5) ou ailleurs.
Fig.1. Photo d’un trocano réalisée par Koch-Grünberg, publiée dans son livre : Zwei Jahre bei den Indianern Nordwest-Brasiliens, 1921.
7Ce texte cherche à débattre de questions relatives aux objets des Amérindiens, aux choses des « enchantés » qui sont des êtres non-humains avec lesquels communiquent les chamanes, aux artefacts des ancêtres. La réflexion porte sur des objets de la région du haut Rio Negro qui ont toujours été une source d’intérêt pour les chercheurs du domaine de l’ethnologie, mais aussi de la muséologie et pour les spécialistes des cultures matérielle et immatérielle des peuples autochtones.
8En général, tous ces objets sont à prendre comme des éléments d’une compréhension du monde beaucoup plus large liée à l’organisation sociale et politique ainsi qu’à des connaissances très spécifiques, communes à tous les peuples, voire à tous les clans de cette vaste région du Nord-Ouest de l’Amazonie. C’est particulièrement le cas pour les objets de nature rituelle étant entendu que les différentes dimensions d’un objet chamanique ne peuvent être perçues qu’au sein du modèle cosmologique correspondant. Dans le contexte social et politique régional, ces objets sont nommés et associés à un territoire donné, mais aussi à des pratiques chamaniques spécifiques de chaque groupe des familles linguistiques Tukano, Arawak et Nadahup4.
9Chacun de ces objets spécifiques a une vie propre et vit pour toujours. Ceci car ils ont été construits au départ par des ancêtres fondateurs d’un clan, dans un lieu précis et pour les besoins des pratiques et rituels chamaniques de chaque clan. Dans ces cérémonies, les ancêtres sont présents par l’intermédiaire de ces objets qui ont leurs propres pouvoirs, et incarnent la présence des ancêtres dans le monde actuel. Par conséquent, ils sont dotés d’un nom spécifique. Les récits mythologiques, en particulier, sont eux aussi territorialisés, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à un lieu et ont été élaborés pour vivre dans ce lieu précis et parmi les gens d’un clan particulier. En effet, chaque clan possède un ensemble de connaissances qui le caractérise, définit son identité, ses relations aux ancêtres et ses interactions avec les autres clans du même groupe linguistique. Lorsque des cérémonies sont exécutées avec de tels objets, qu’il s’agisse d’ornements corporels ou d’instruments de musique appartenant à des membres du clan, c’est le contexte culturel de toute cette région du haut Rio Negro qui est représenté, le monde des ancêtres pour l’ensemble des Amérindiens de la communauté. Il est revitalisé dans le présent dans une cérémonie ritualisée par une musique particulière connue comme kahpivaiá.
10Cette connaissance spécifique réside dans l’emploi d’une tonalité musicale, « toante » musical5, comme ils la nomment. Il s’agit d’une harmonie propre à chaque clan, qui est utilisée dans les cérémonies de Miniã-ponã (ou Jurupari), avec un répertoire musical spécifique. Dans le processus actuel de revitalisation culturelle, les Amérindiens de cette région cherchent à retrouver les toantes qui composent leur Kahpivai, ainsi que leurs ornements corporels pour recomposer l’ensemble des frères ancestraux se manifestant lors des fêtes entre deux groupes linguistiques parents. Certains recherchent non seulement la musique originale Kahpivaiá à travers laquelle leurs ancêtres se sont manifestés, mais aussi l’ensemble des objets, instruments de musique et ornements corporels transmis par leurs ancêtres.
Un kahpivaiá appartient à un clan particulier, qui est également nommé et disposé dans un espace géographique spécifique au sein de cette région. Il est présent dans des récits et des histoires orales, et pendant des générations il est également transmis dans les mythes qui racontent le grand voyage du Pa’múri Masã de chaque clan formant ensemble un groupe linguistique. (Guilherme Maia, Tukano du clan Oya-ponã, 2009, Iauareté)
11Les connaissances et les objets rituels sont étroitement liés. Bien conservés dans des vanneries soigneusement élaborées, ils sont rattachés à une maloca spécifique dite wi’i, maloca ou maison commune (Fig.2) et ne sont montrés au public que pendant les fêtes ritualisées. La boîte d’ornements en vannerie était gardée à l’intérieur de chaque maloca, dans un endroit approprié représentant le noyau central extérieur de l’identité culturelle d’un clan particulier. Les Amérindiens racontent que lorsque la boîte était ouverte, le baià ou maître des toantes, devait jouer, avec une flûte fabriquée en os de cerf, la musique Kahpivaiá qui montrait l’identité propre du clan (Athias, 2007, 2015). Mais ces boîtes en vanneries, dérobées dans les malocas avant que celles-ci ne soient brûlées par les missionnaires qui les décrivaient comme des lieux de culte du diable depuis la fin du XIXe siècle, se trouvent donc maintenant dispersées dans de nombreux musées en Europe.
12Les éléments présentés dans ce texte sont centrés sur ces objets chamaniques utilisés lors des rituels et largement reconnus par les Amérindiens qui s’intéressent aussi actuellement à leurs aspects symboliques. La question est également centrée sur certains éléments clés des processus de « patrimonialisation » des objets et des lieux amérindiens, dans la politique culturelle au Brésil comme ailleurs. Nous cherchons ainsi à étudier la circulation des objets chamaniques dans les villages et musées, en interface avec les rituels et certaines connaissances traditionnelles de ces peuples.
Les collectionneurs
13La circulation d’objets amérindiens du haut Rio Negro (Amazonas, Brésil) hors de leur zone spécifique, pour autant qu’on le sache, a été très fréquente depuis le XVIIIe siècle. Dans le cas du Rio Negro, je citerai ici quelques noms comme référence, puisque nous savons que les voyageurs les plus connus ont visité ces populations : c’est le cas, entre autres, du Portugais Alexandre Rodrigues Ferreira (1776), de l’Autrichien Johann Natterer (1835), du Britannique Alfred Wallace (1853), des Italiens Illuminato Coppi (1880) et Ermanno Stradelli (1890) et de l’Allemand Theodor Koch-Grünberg (1906) ainsi que de Curt Nimuendajú (1927). Ils ont tous visité les malocas de cette région et les ont décrites dans leurs récits de voyages, nous informant de leurs utilisations et de la manière dont ils ont connu ces objets ramenés ensuite dans leur pays d’origine. Alexandre Rodrigues Ferreira, dans Voyage Philosophique au Rio Negro, mentionne des objets de pêche et de chasse. Alfred Wallace, dans Voyage sur le fleuve Amazone, décrit les objets qu’il a vus utilisés dans les malocas et a déclaré qu’il était impressionné par l’architecture de ces grandes maisons communes et par les objets qui s’y trouvaient et servaient à la préparation des aliments. Johann Natterer cherche toutes sortes d’objets pour sa collection et se rend compte de l’intérêt très spécifique de la « collection » actuelle. Dans son journal de voyage, Coppi donne des informations précises sur les objets rituels et raconte comment il s’est indûment approprié du masque et a commis un « sacrilège » en le montrant aux femmes. Il y consigne également ses notes sur la Fête des Masques, qu’il associe à un rituel démoniaque appelant « la présence du diable chez les Tariana de Iauareté ». Mais c’est peut-être malgré tout un compte-rendu ethnographique important sur la danse des Masques, qui de nos jours n’a plus lieu telle qu’il l’a décrite dans cette région. Le masque en question est aujourd’hui une pièce importante du Musée Pigorini à Rome (Fig. 3). Dans plusieurs musées d’Europe et des États-Unis, certains objets des ancêtres figurent dans des expositions permanentes, mais la plupart se trouvent dans des réserves techniques et ne sont pas exposés.
Fig.2. Photo d’une Maloca en 1903, maison communautaire avec des masques de danse, chez les Indiens de la rivière Aiary, de Koch-Grünberg, publiée dans son livre : Zwei Jahre bei den Indianern Nordwest-Brasiliens, 1921.
14Bien sûr, nous ne prétendons pas ici parler de tous les objets collectés par ces missionnaires, voyageurs et naturalistes qui sont passés dans la région du haut Rio Negro. Nous souhaitons montrer leur existence, et en particulier en lien avec la pratique d’une muséographie qui s’approprie les objets, mais aussi faire connaître les récits des Amérindiens eux-mêmes à propos de ces objets exposés. En effet, les récits rapportés dans les expositions muséales sont bien souvent biaisés. Certains des musées que j’ai visités au cours de la période 2016/2017 en Europe commencent cependant à incorporer les récits amérindiens aux collections et à leurs documentations, tandis que d’autres doivent encore faire évoluer leurs pratiques. Dans cet article, je me base principalement sur la narration muséale du Museu do Índio de Manaus, qui présente un nombre important d’objets auxquels s’intéresse le débat centré sur la notion de musée et abordé lors des différentes réunions des musées amérindiens qui se sont tenues récemment au Brésil.
15En 2011, j’ai débuté une enquête en lien avec les peuples autochtones du bassin du fleuve Uaupés, sur des objets chamaniques qui se trouvent dans les musées européens au sein de collections spécifiques et, surtout, dans des expositions. Depuis, j’ai trouvé des objets rarissimes qui permettent de réfléchir à la portée d’une telle recherche. Nous n’avons pas de liste exhaustive de ces objets mais, faisant partie des collections de musées nationaux ou de musées privés des missionnaires catholiques, ils sont aujourd’hui déjà patrimonialisés. Ceci implique un profond changement dans le statut de ces pièces. En réalité, ce ne sont plus des objets rituels amérindiens mais des objets d’art détenus par un État national. Bien souvent, la documentation les accompagnant au musée ne permet pas d’identifier réellement leur provenance, le groupe ethnique ou la famille linguistique de ceux qui l’ont élaboré. Et de plus, nombreux sont les objets qui sont aujourd’hui exposés avec un récit muséal n’intéressant, en premier lieu, que le musée lui-même.
16Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que ces objets, collectés par des personnes qui se trouvaient dans la région, font désormais partie d’importantes collections appartenant à divers pays européens. Ils circulent dans et entre les musées, dans des expositions permanentes et temporaires destinées à produire des connaissances sur les peuples des Amériques. Un exemple très significatif de ce type de circulation a été visible à l’occasion de l’organisation de l’exposition « Brésil Indien. Les arts des Amérindiens du Brésil » au Grand Palais à Paris, pendant l’année du Brésil en France en 2005. Le masque des Tariana (Fig.3) de Iauareté a été largement médiatisé comme un objet central de cette exposition. À aucun moment, il n’a été clairement mentionné que ce masque avait été volé par le franciscain Illuminato Coppi et amené en Italie à la fin du XIXe siècle. Ainsi, un objet volé devient-il un symbole important d’une exposition, sans qu’aucune mention ne soit faite à sa véritable signification pour le peuple Tariana du bassin du fleuve Uaupés (Calávia, 2008).
Fig.3 Photo du Masque Tariana qui se trouve au Musée Pigorini à Rome.
(Source : catalogue de l’exposition « Brésil Indien », Paris, 2005)
17Cependant, s’il est notoire que l’expropriation de ces objets venus des aires indigènes a été très importante, la plus importante de toutes semble avoir été menée par les Salésiens au début du XXe siècle. Comme je le disais plus haut, avec la destruction de la maloca, maison communautaire nommée wí’i par les Tukano, des milliers d’objets cérémoniels ont été retirés, puis transportés à Manaus ou dans d’autres pays européens d’où provenaient ces missionnaires. Outre les musées nationaux, ces objets se retrouvent aussi dans les collections privées des musées missionnaires en Europe.
18En menant mes recherches dans le Musée National d’Anthropologie de Madrid6 en 2011, j’ai été surpris du nombre important d’objets amérindiens du Rio Negro dans une collection ethnographique collectée et organisée par le capitaine Francisco Iglesias Brage, qui, dans les années 1933 et 1934, a servi de médiateur dans un conflit frontalier, entre le Pérou et la Colombie. Cette collection met en valeur des pièces issues des cultures Ticuna, Kubeo et Baniwa. On y trouve des ornements, des masques, des armes, des équipements domestiques et des instruments de musique.
19À Madrid, la maison provinciale des salésiens abrite également un musée privé. J’ai pu faire un inventaire de ces objets en lien avec les pratiques traditionnelles des peuples du Rio Negro. Ils proviennent sûrement de ces boîtes enchantées contenant les ornements et objets des différents clans Tukano, qui avaient la capacité de redonner vie aux ancêtres représentés par les personnes qui savaient danser avec leurs parures enchantées et chanter leurs chants spécifiques.
20Tous ces objets ont été utilisés d’une manière ou d’une autre dans les célébrations rituelles, puis collectés par les missionnaires salésiens en échange de boîtes d’allumettes et autres biens manufacturés, mais aussi de l’assurance de services de santé introduits par ces mêmes missionnaires dans toute la région. En brûlant les malocas et en retirant les objets cérémoniels, les Indiens renonçaient à la pratique du « culte du diable » et acceptaient les boîtes d’allumettes, haches, machettes, couteaux, pots en aluminium et tout un style de vie aseptisé, du point de vue des Salésiens. Ils abandonnèrent leurs maisons communautaires pour vivre dans de petites maisons destinées à des familles nucléaires, de façon à « éviter les orgies », comme le décrit Giaccone (1949) ou Dom Pedro Massa. Les légendes des photographies de son livre Pelo Rio Mar laissent transparaître d’énormes préjugés (Fig.4), également quand il décrit les stratégies développées par les missionnaires pour tenter de changer la façon de vivre des Amérindiens.
Fig. 4. « Voici un petit Tucano qui va donner satisfaction aux généreux amis et bienfaiteurs des Missions salésiennes. Il était sauvage, parcourait les bois, sans parents, vivait la vie des singes. Maintenant entretenu par les Missions, c’est un garçon attentionné et serviable, il travaille bien et il sera un grand brésilien ! ».
Objets et Récits Amérindiens
21Avec la Collection Ethnographique Carlos Estevão de Oliveira (CECEO) du Musée de l´État du Pernambouc à Recife, nous avons réalisé un projet qui a permis une restitution virtuelle d’objets dans plusieurs villages amérindiens de la région (Athias, 2008). Cela a commencé par la création d’une plateforme numérique qui devait permettre de transporter les images des objets de la CECEO dans les villages, et de favoriser de nouvelles expériences incluant les peuples autochtones à ce processus. Les activités menées sur cette collection ont également conduit à l’élaboration d’une méthodologie, un diagnostic muséologique participatif, mis en œuvre en 2012 dans les terres des Amérindiens du Pernambouc, avec le soutien du secteur des Services de l’Extension Universitaire (PROEXC), de l’UFPE (Université Fédérale du Pernambouc) et de la Fondation Nationale de l’Indien (Funai, Coordination de Maceió).
22Ce diagnostic nous a conduit à lancer les premières Rencontres des Musées Autochtones du Pernambouc en 2013 dont on peut lire la description et l’évaluation des activités dans l’ouvrage organisé par Gomes et Athias (2016). Pour information, nous énumèrerons ci-dessous quelques actions importantes à documenter pour tirer des enseignements du processus de collaboration avec les Amérindiens. Dans le cas de la région du haut Rio Negro, il s’agissait principalement de travailler sur les photographies de Curt Nimuendajú, appartenant à la CECEO7 et prises en 1927 lors d’un voyage dans cette région, puis de publier un livre qui regroupe aussi ses textes ethnographiques et linguistiques (Athias, 2015).
23Cependant, cela a déjà été souligné, les objets des peuples amérindiens du haut Rio Negro ont été dispersés dans différents musées du monde entier. La plupart ont été retirés des territoires indigènes de la région au XIXe siècle et au début du siècle dernier. Nombreux sont ceux qui appartenaient à un clan particulier, et à une maloca spécifique, ils sont en cela des personnages vivants toujours dotés de noms et associés à des musiques spécifiques dites toantes.
24À partir de 2010, j’ai commencé à rechercher ces objets dans les musées européens et cette recherche se poursuit encore aujourd’hui. À chaque déplacement dans différents pays, je me suis attaché à répertorier des objets, et après avoir contacté les musées, je me suis rendu sur place dans leurs réserves, pour examiner et photographier les pièces des collections afin de construire un projet de rapatriement virtuel vers la région du haut Rio Negro (Athias, 2016). L’objectif ultime de ce projet consiste également à organiser une exposition virtuelle de ces mêmes objets trouvés dans les musées situés hors de la région où vivent les peuples autochtones qui les ont produits.
25Il convient de noter, à titre d’information, les expériences menées lors d’expositions organisées en collaboration et avec l’implication des Amérindiens, soit sous forme de partage de commissariat, soit dans le processus de documentation, car elles constituent des expériences riches et uniques. Pour travailler avec les peuples amérindiens dans les musées, il faut avoir un vif intérêt pour le musée, mais aussi disposer des ressources nécessaires pour mener à bien ce type de projet collaboratif. Dans ce cas précis, il n’a pas été possible de réaliser ces activités parce que la CECEO, dont le projet avait été approuvé par la Fondation de Soutien de l’État de Pernambouc (FACEPE), ne disposait pas de ressources suffisantes pour financer la participation de représentants autochtones.
Objets et Récits Muséographiques
26Dans la continuité d’un texte antérieur abordant cette question (Athias, 2017), je m‘attacherai plus spécifiquement maintenant aux aspects muséographiques de l’exposition / installation que nous avons organisée au Musée de l’État de Pernambouc à Recife, intitulée « Mythes, Danses et Rituels des Peuples Amérindiens ». Ceux-ci donnent des éléments pour problématiser la recherche ethnologique, la documentation, la patrimonialisation des objets chamaniques, mais aussi favoriser le processus de collaboration avec les représentants autochtones dans les collections ethnographiques des institutions muséales, en incorporant leurs récits dans les expositions.
Fig.5. Photographie d’une des salles du « Museu do Índio » à Manaus, avec une exposition mise en place dans les années 1970 par les sœurs salésiennes.
27Lors de la réalisation de l’exposition / installation mentionnée plus haut, nous avons cherché à nous centrer sur un projet muséographique associant la musique, la danse, les objets chamaniques et les photographies de la collection. Ils interagissent les uns avec les autres, comme dans un dialogue, et donnent ainsi vie aux objets ethnographiques, en montrant la relation des peuples autochtones avec leurs pratiques chamaniques dans les communautés amérindiennes d’où les objets étaient partis pour intégrer les musées. Pour réaliser cette exposition / installation, et donner une certaine ampleur à ce dialogue auprès du public, nous avons sélectionné, dans la collection ethnographique du musée, un ensemble d’objets utilisés dans les rituels liant les humains aux « enchantés » qui sont ces entités invisibles de la cosmologie, en faisant intervenir des chamanes et thérapeutes traditionnels, capables d’interagir avec la musique, essentiellement constituée de « torés » spécifiques aux rites, et en choisissant des photographies qui représentent les différents peuples.
28Dans ce contexte, nous avons utilisé les photographies prises par Curt Nimuendajú, ainsi que celles de Carlos Estevão de Oliveira, sur les danses rituelles, telles que le toré, et des prises de vue montrant l’usage cérémoniel de la boisson préparée à base de jurema8, également appelée vin d’ajucá. La collecte de tous ces objets n’était possible que parce qu’une recherche anthropologique était effectuée avec les représentants autochtones, venus au musée pour présenter leurs récits et compléter la documentation faite sur ces objets appartenant à la Collection Ethnographique.
29Réaliser l’exposition dans le Musée de l’État de Pernambouc avec ces objets ethnographiques toujours liés aux pratiques chamaniques actuelles, constituait une tentative destinée à accroître la visibilité et à représenter les peuples autochtones d’aujourd’hui. En effet, ces objets, collectés pour le musée il y a des dizaines d’années, restent par ailleurs présents dans les territoires où vivent les Amérindiens qui maintiennent leurs pratiques de guérison traditionnelles médicinales et chamaniques. Le résultat du travail participatif avec ceux qui ont assisté aux séances de préparation de l’exposition / installation pour en organiser le récit dans cette optique a été frappant. Nos collaborateurs amérindiens révélaient le lien fort entretenu avec de nombreux objets de la collection. Au cours de ce processus de co-commissariat, nous avons constaté que les búzios (sorte de flûte rituelle en bois creux) appartenant aux Fulni-ô, intégrés à la collection, étaient complètement détériorés, et ne permettaient pas de restituer le son du búzio Fulni-ô actuel. Ils ne pouvaient plus produire le son typique du búzio. Nous avons donc suggéré aux Fulni-ô de préparer une nouvelle paire de búzios, afin de l’incorporer à la collection du Musée en remplacement de ceux qui s’étaient détériorés au fil du temps. Le projet, mené par le collègue Wilke Melo lui-même Fulni-ô, a suscité de nombreuses discussions car la paire de búzios originale n’avait jamais quitté leur village, de sorte que les nouveaux búzios fabriqués dans ces circonstances devaient nécessairement être reconnus comme une copie autorisée et authentifiée (Fig.6).
30Le jour de l’ouverture de l’exposition, un groupe de danse Fulni-ô a présenté les chansons appropriées utilisées dans leurs fêtes. À cette occasion, les búzios endommagés ont été remplacés par des copies certifiées conformes par les experts Fulni-ô. En introduisant ces nouveaux búzios dans l’exposition, un objectif du projet a été atteint, car l’exposition rendait à nouveau contemporaine la participation amérindienne à la fois dans le projet muséographique, la fabrication, la documentation et le montage des objets à exposer, mais aussi dans la présentation de leurs pratiques médicinales et chamaniques actuelles.
Fig. 6. Au premier plan, nous pouvons voir le masque du rituel Kokrit et en arrière-plan, les deux copies authentifiées des buzios Fulni-ô placés aux côtés des anciens dans l’exposition / installation du Musée de l’État de Pernambouc, Recife, 2010.
31Ainsi, lors de la réalisation de cette exposition / installation composée d’objets collectés par Carlos Estevão au début du siècle dernier, les suggestions des Amérindiens, suscitées par des aspects très spécifiques des objets à usage chamanique, a permis de montrer que l’utilisation de ces objets conserve un rôle important aujourd’hui. L’exposition et l’ensemble du processus de création des espaces d’exposition réaffirment l’importance d’un débat méthodologique semblable à celui qu’avait amorcé Franz Boas (Stocking, 1982) sur les questions ethnologiques et l’importance de telles études pour une meilleure compréhension des pièces des collections ethnographiques.
32Certes, lorsque Carlos Estevão a commencé sa collecte personnelle, il n’avait pas en tête cette même conception de la collection, ni peut-être même d’intérêt spécifique pour les aspects ethnographiques d’un objet en lien avec les pratiques chamaniques, même s’il expose les connaissances sur les « enchantés » (Encantados) brièvement dans son article de 1938. Cependant, une recherche anthropologique partant des problématiques théoriques et méthodologiques déjà largement discutées par José Reginaldo Gonçalves (1990), Arjun Appadurai (1986), et James Clifford (1988 : 215-25) permet d’aborder différentes interfaces des questions posées par les objets des collections ethnographiques, et mener des recherches avec des représentants amérindiens dans une posture de collaboration interculturelle.
33Les objets et images photographiques de cette exposition / installation, auxquels nous faisons référence ici, ont été sélectionnés dans le but de mettre en relation des objets sonores ethnographiques de cinq peuples autochtones qui habitent les États de la région du Nord-Est du Brésil. Dans cet ensemble de photographies prises par Curt Nimuendajú et Carlos Estevão de Oliveira, les clichés et la musique présentés montrent les relations de ces peuples avec la nature, avec les « Encantados » et avec la spiritualité. Différents peuples sont ici représentés. Les Rankokamekrá du Maranhão ont participé à la présentation du rituel Kokrit notamment en fabricant des masques spécialement pour cet événement. Les Tremembé de Almofala, venus du Ceará, ont montré la danse du Toré et l’utilisation du « Mocororó », une boisson à base de cajou importante pour leurs cérémonies. Les Tuxá, de Rodelas, ont présenté les danses et le rituel accompagné de la boisson préparée avec la plante jurema. Les Fulni-ô, d’Águas Belas, ont dansé le Toré avec les búzios, ces instruments à vent produisant la musique appropriée pour ce rituel dans le village. Enfin, les Pankararu, du Brejo dos Padres dans le Pernambouc, ont donné leur présentation de la danse du toré accompagné du vin d’ajucá, fabriqué également à base de jurema et consommé tout au long du rituel. Les photographies exposées ont été prises entre 1935 et 1942 et font partie d’une collection d’images qui est étudiée dans le cadre du projet « Mémoire, Recherches et Documentation de la Collection Carlos Estevão de Oliveira ».
Les Musées Amérindiens
34Le débat croissant parmi les peuples autochtones sur la présence de leurs objets dans des collections ethnographiques des musées et la création de musées amérindiens, ou de centres culturels issus de processus autochtones, est actuellement visible sur les scènes nationales et internationales aussi bien au Brésil, qu’au Canada, Australie, Mexique, Pérou, Colombie, États-Unis et d’autres pays. En constituant des collections et en leur attribuant du sens, les peuples autochtones mettent fin au sempiternel discours colonial des musées nationaux officiels et demandent que les expositions qui y sont organisées soient représentatives de leurs véritables traditions. Ainsi, s’instaure une construction narrative à la première personne. Cela s’intègre à l’examen du rôle ou de l’importance des collections dites ethnographiques (Athias, 2010) tout en renforçant l’organisation des musées de peuples autochtones, insérés chacun dans un contexte spécifique.
35Outre le fait de raconter d’autres versions de l’histoire, les musées amérindiens deviennent un instrument de la « cause amérindienne » (Chagas, 2007, 181). Ils assument un certain rôle social par la construction de récits désormais orchestrés selon les projets propres aux gestionnaires autochtones. Un processus collectif se forme alors au sein du village. Ces institutions, qui n’ont pas été créées « pour » la communauté, constituent le musée « de » la communauté (Lersch et Ocampo, 2004 :4).
36Les musées amérindiens témoignent d’une grande diversité du fait que la notion de « musée », en tant qu’institution ou processus, est réappropriée et réinventée selon chaque réalité. L’identification ethnique peut être affirmée à travers des objets ancrés dans des processus muséologiques, liés à l’éducation interculturelle, à la mobilisation politique et à l’organisation sociale. Ils ne se constituent pas eux-mêmes comme « un musée sur les Indiens, mais par les Indiens » (Vidal, 2008 :3) présentant « leurs propres points de vue sur leur culture » (Chagas, 2007 :176). « Ces collections ne proviennent pas d’un butin mais d’un acte de volonté », de « l’initiative d’un collectif de ne pas montrer la réalité de l’autre, mais de se défendre » (Lersch et Ocampo, 2004 :3).
37À travers ces processus, la sauvegarde d’un patrimoine commun se fait par l’appropriation d’outils techniques et conceptuels servant à la gestion des processus de représentation, qui ont des significations multiples. Les musées autochtones sont profondément liés aux formes d’organisation sociale et de mobilisation politique de leurs populations.
38Les pratiques de collecte à des fins de préservation, de classification et d’exposition présentes dans les recherches des anthropologues s’effectuent de manière différente dans le cadre de l’action muséologique amérindienne. La mise en œuvre de pratiques de collecte visant à la sauvegarde muséologique et à la communication est orientée vers la construction de représentations sur eux-mêmes.
39L’action muséologique amérindienne est liée à la réalité de peuples distincts et à la traduction des procédures qui leur permettent de construire des auto-représentations fondées sur le patrimoine, la culture et la mémoire. La diversité des modes de traduction représente la multiplicité des possibilités de muséalisation, en tant que représentation à la première personne, réalisée par les peuples autochtones eux-mêmes (Gomes, 2012). Cette « découverte » des musées par les Amérindiens (Freire, 1998 p. 5-29) intervient dans un contexte fondamental de mobilisation et de lutte politique contemporaine. Autrefois « représentés » classiquement dans les musées nationaux par le biais de leurs objets ethnographiques, les processus actuels de muséalisation autochtones peuvent aboutir jusqu’au rapatriement de collections formées dans des contextes coloniaux ou impérialistes, comme au Canada et en Australie (Clifford, 1988).
40Cette rupture politique et conceptuelle a ouvert un espace de révision du regard anthropologique sur « l’autre », construit par ladite culture matérielle. Les peuples autochtones du Pernambouc et d’autres états brésiliens se sont appropriés différents outils de représentation exprimés dans diverses langues, dont la construction de musées et d’autres espaces associés à l’administration et à la gestion de la mémoire et du patrimoine culturel. Les actions de formation tirées des expériences de processus muséaux dans les territoires amérindiens répondent à la demande croissante des peuples autochtones. Ces derniers cherchent à se qualifier pour gérer efficacement les processus muséologiques en adaptant les outils techniques et conceptuels aux réalités de leurs propres expériences.
41Nous appliquons une stratégie méthodologique en opérant une analyse portant sur les processus muséologiques et leurs relations sociales en fonction des interactions entre société, culture et nature dans le cadre des différents systèmes de pensée. Située dans le domaine des sciences humaines, elle se lie en permanence à d’autres sciences sociales comme la philosophie, l’histoire de l’art, l’archéologie. Les études de muséologie se réfèrent au concept de patrimoine culturel, soit l’ensemble des références matérielles et immatérielles qui définissent l’identification de groupes humains dans le temps et dans l’espace. À partir de la reconnaissance du patrimoine qui les identifie, les différentes sociétés créent, développent et entretiennent des musées. Comme les sociétés s’articulent de diverses manières, elles créent et développent différentes formes de musées. Le musée apparaît ainsi comme l’une des représentations les plus fascinantes de la société humaine. Étudier le savoir, son histoire, son développement, son importance dans les différentes sociétés est l’une des tâches de la muséologie.
42L’étude des musées, des objets et des collections, développée par Gomes et Athias (2016), engage un dialogue fructueux sur les questions relatives au patrimoine et à la gestion des collections ethnographiques. Ces enjeux deviennent centraux dans la recherche menée auprès des peuples autochtones. À cela s’ajoutent les problèmes culturels qui jouent aujourd’hui un rôle central dans le développement, la croissance et l’amélioration des individus dans la société et, surtout, dans la compréhension et la capitalisation de la pluralité des expressions culturelles qui caractérisent le pays. Par conséquent, les études sur les collections et les processus de création de musées au sein du développement autochtone mettent en évidence les questions du débat des activités collaboratives avec les Amérindiens. Elles doivent être clairement articulées pour ne pas orienter ce processus vers un folklore culturel amérindien.
43Ces recherches posent aussi des questions sur l’exacte compréhension des dimensions politiques et techniques dans le domaine de la muséologie contemporaine. Une formation et une qualification supplémentaires des personnes impliquées dans ces processus sont nécessaires. Cela s’est avéré important dans le développement des « maisons de mémoires », des « centres culturels », des projets de « musées amérindiens ». Si, il y a bien une demande urgente de spécialisations d’un côté, nous observons de l’autre une meilleure compréhension, en particulier technique, des processus de muséalisation au sein des territoires amérindiens. En ce sens, les expériences présentées dans ce dossier sont assez probantes pour identifier de telles demandes, mais aussi apporter des réponses significatives et donner une orientation adéquate à de tels processus.
44Une forte demande concerne aussi les musées locaux et régionaux qui cherchent à promouvoir la mémoire historique des minorités ethniques, les mouvements sociaux, les mouvements d’identité, des marqueurs de genre, contingents d’immigrants qui ont contribué à l’histoire récente de l’état (par exemple, Japonais, Marranes, etc.). Le Pernambouc est en avance dans le domaine culturel et fait office d’avant-garde et de référence, ce qui doit être valorisé à l’heure où les musées se développent et qui justifie pleinement les initiatives de recherche dans les collections ethnographiques et pour les musées autochtones.
45Notre base heuristique comprend le musée comme un lieu de communication construit socialement et culturellement. Il est composé de collections expressives qui traduisent des modes de vie socialement saisis par certains groupes humains, embrassant leurs valeurs, leurs motivations, leurs pensées et leurs comportements. Nous pensons que le concept de patrimoine culturel a été systématiquement élargi dans sa dimension sémantique, pour inclure des principes de sélection d’objets susceptibles d’être « patrimonialisés » et « muséalisés ».
46Ainsi, dans ce cadre, nous cherchons à saisir et apprécier les différents agents par la compréhension des concepts et significations que certains groupes attribuent à leurs objets, réalisations tangibles et intangibles, qui, à leur tour, donnent lieu à diverses formes de musées, classifications ou collections. Bien que l’anthropologie en constitue le noyau dur, les directives théoriques qui nous guident sont basées sur un dialogue réciproque avec différents domaines de connaissance. La perspective actuelle des études en muséologie nécessite un dialogue interdisciplinaire appliqué à un vaste domaine d’activités pratiques, notamment celles liées à la chaîne de sauvegarde (conservation-restauration et documentation), à la communication muséologique (expographie et action éducative), à la gestion du patrimoine culturel et aux outils de gestion de la mémoire.
47Soutenir les processus de création de ces espaces muséaux par les Amérindiens reflète, de manière combinée, les défis de la formation théorique alliée à la formation appliquée, à l’interface entre anthropologie et muséologie. L’étude des objets et des collections ethnographiques (Athias, 2010), ainsi que celle des musées autochtones (Gomes, 2012) nécessitent de plus en plus un dialogue interdisciplinaire. La culture prend une dimension centrale dans la compréhension des différentes langues développées par les individus et les groupes sociaux. Elle exige notamment une compréhension plus approfondie des matériaux ethnographiques exposés dans les collections de musées et des nouvelles formes de collecte développées avec les populations autochtones.
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Notes
1 Avec le soutien de l’Associação Saúde Sem Limites (SSL). Les résultats de ces ateliers ont été publiés dans un livre intitulé : Pa’muri Masa, A Origem dos Nosso Mundo, Revitalizando as Culturas dos Povos Indigenas do rio Papuri e Uaupés (Athias et al., 2006).
2 Tukano, Tariana, Uanano, Waikhan, Tuyuka, Desana et Arapaso.
3 Le Museu do Índio à Manaus est une institution entretenue par les sœurs salésiennes (Fig.5). Les collections de ce musée proviennent des malocas dont la destruction avait été promue par les missionnaires du haut Rio Negro jusqu’en 1933.
4 Acronyme de la famille linguistique des peuples parlants les langues : Nadëb, Dâw, Hup, Yohup.
5 Une harmonie, un ensemble des notes musicales spécifiques à un kahpivaiá d’un certain clan.
6 Recherche réalisée avec le soutien de la Fondation Caroline, avec l’appui de Javier Rodriguez et Inmaculada Ruiz du Museo Nacional de Antropología.
7 CECEO : Coleção Etnográfica Carlos Estevão de Oliveira
8 La jurema est une plante de la famille des légumineuses, aux propriétés psychoactives, commune dans le Nord-Est du Brésil.