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Fabriquer le funk à Cidade Tiradentes, São Paulo: la performance d’une ethnofiction

Alexandrine BOUDREAULT-FOURNIER, Sylvia CAIUBY NOVAES et Rose Satiko Gitirana HIKIJI
décembre 2016

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.1439

Résumés   

Résumé

Cet article porte sur l’expérience de production de Fabrik Funk, une ethnofiction sur le genre musical le plus écouté et dansé dans la périphérie de São Paulo. Le but de l’article est de penser autant à la performance des participants du film – les producteurs de musique, les DJs, les MCs, les producteurs audio-visuels et les fans du genre Funk – qu’aux stratégies adoptées par les anthropologues comme réalisatrices d’une ethnofiction. Parmi les questions que nous abordons : Comment est-ce que les habitants de Cidade Tiradentes se définissent comme artistes et producteurs liés au monde du Funk? Quelles sont les idées, les éléments visuels, corporels et de son qui mobilisent la représentation de la vie des participants du film, des vies qui sont plus ou moins près de la leur? Comment s’établit le processus de production du film (de la scénarisation à la direction des acteurs, en passant par la construction des scènes et des personnages)? Comment penser l’ethnographie à partir d’une mise-en-scène? Quels sont les stratégies et les avantages d’une ethno-fiction dans le travail anthropologique? Comment comprendre la consommation, les conflits de génération et la position de la femme dans l’univers funk? Le cinéma (ethnofiction), la photographie, la musique et l’anthropologie représentent des formes expressives qui font parties de cette production, et nous les abordons conjointement dans cet article.

Abstract

This article discusses the experience of producing Fabrik Funk, an ethnofiction about the most danced and listened musical genre in the periphery of São Paulo. The goal of this article is to reflect upon the performance of the protagonists – music and audio-visual producers, DJs, MCs, and fans of funk music – as much as upon the strategies that were adopted by the anthropologists to produce the ethno-fiction. Some of the questions that we raise in this article: How do the inhabitants of Cidade Tiradentes construct their identity as artists and producers of the funk universe? Which ideas, visual, corporeal, and sonic elements are mobilized to represent the life of the participants, a representation that more or less corresponds to their real life? How did the film production take place (from the storyboard to the direction of the actors, in including the construction of the scenes and the characters)? How can we think the ethnography as a mise-en-scène? Which strategies and advantages of an ethno-fiction can be integrated in the anthropological work? How can we understand issues of consumption, generational conflicts and the position of women in the funk universe? Cinema (ethnofiction), photography, music, and anthropology are expressive forms that are part of this endeavour, and we wish to discuss these components conjointly in this article.    

Resumo

O artigo discute a experiência da produção de Fabrik Funk, uma etnoficção sobre o gênero musical mais ouvido e dançado na periferia de São Paulo. O objetivo é pensar tanto a performance dos protagonistas do filme – produtores musicais, DJs, MCs, produtores audiovisuais e apreciadores do gênero Funk – como as estratégias das antropólogas enquanto realizadoras de uma etnoficção. Algumas questões norteiam a análise: de que modo os moradores de Cidade Tiradentes constroem-se como artistas e produtores ligados ao universo do Funk? Que ideias, elementos visuais, corporais e sonoros são mobilizados para a representação de vidas mais ou menos próximas às suas próprias? Como se dá a organização da filmagem (desde a roteirização até a direção dos atores, passando pela discussão de cenários e figurinos)? Como pensar a etnografia a partir da mise-en-scène? Quais as estratégias e vantagens de uma etnoficção num trabalho antropológico? Como entender o consumo, conflitos entre gerações e a posição da mulher no universo do funk? Cinema (etnoficção), fotografia, música e antropologia são formas expressivas constitutivas desta produção, e que pretendemos discutir neste artigo.

Index   

Index de mots-clés : musique, performance, ethnofiction, funk, Cidade Tiradentes.
Index by keyword : music, performance, ethnofiction, funk, Cidade Tiradentes.
Índice de palavras-chaves : performance, etnoficção, funk, música, Cidade Tiradentes.

Texte intégral   

En tant qu’ethnographe et cinéaste, je pense qu’il n’y a presque aucune frontière entre documentaire et fiction. Le cinéma, l’art du double, est déjà le passage du monde réel au monde de l’imaginaire, et l’ethnographie, science des systèmes de pensée des autres, est une traversée permanente d’un univers conceptuel à un autre, gymnastique où perdre pied est le moindre des risques.

Jean Rouch1

1L’expérience de Jean Rouch, anthropologue et cinéaste maîtrisant la traversée entre des univers parfois très éloignés, nous a permis d’éclairer l’avenue que nous avons choisi d’emprunter. Au début de 2014, deux anthropologues brésiliennes et une canadienne – les auteures de cet article – décident de réaliser un film ethnographique. La production naîtra d’un projet de collaboration sur l’implication d’anthropologues dans la « mise en scène » des sujets étudiés2.

2Dans cet article, nous présentons l’expérience entourant la production de Fabrik Funk, un court-métrage d’ethnofiction sur le funk, genre musical le plus écouté et dansé dans la banlieue de São Paulo. Nous soulevons certains éléments du point de vue théorique, épistémologique et méthodologique qui ont capturés notre attention lors de la production et de la post-production du film. Nous nous intéressons autant à la performance des protagonistes du film – producteurs musicaux, disques-jockeys (DJ), MC3, producteurs audiovisuels et amateurs du genre funk – qu’aux stratégies des anthropologues en tant que réalisatrices d’une ethnofiction. Nous explorons d’abord la façon dont les résidents de Cidade Tiradentes se construisent comme artistes et producteurs liés à l’univers du funk et sur les idées et les éléments visuels, corporels et sonores mobilisés pour la représentation de vies plus ou moins semblables à la leur. Ensuite, nous abordons l’organisation de la création du film, du scénario à la direction des acteurs, en passant par les échanges entourant le scénario. Enfin, nous nous interrogeons sur la manière de penser l’ethnographie à partir de la mise en scène. Le cinéma et plus précisément l’ethnofiction, la photographie, la musique et l’anthropologie sont les formes expressives constitutives de la production et de la postproduction de Fabrik Funk que nous abordons dans cet article.

3Fabrik Funk est réalisé par des anthropologues et interprété par des jeunes qui font partis de la scène funk à São Paulo. Le film a comme décor Cidade Tiradentes, arrondissement de São Paulo considéré comme le plus grand quartier de logements sociaux en Amérique latine et comptant plus de 300 000 habitants, qui est, selon les dires de ses résidents, une véritable « usine de funk ». Daniel Hylario, un artiste du quartier, se joint aux anthropologues en tant que coscénariste et producteur local. Le musicien cubain Noedy Hechavarria Duharte complète l’équipe de production en tant que preneur de son.

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Cidade Tiradentes

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6403).

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Daniel Hylario

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6491).

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Noedy Hechavarria Duharte

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6098).

4Fabrik Funk relate l’histoire de Karoline, une jeune fille habitant Cidade Tiradentes qui travaille dans une compagnie de télémarketing, mais qui rêve de devenir une MC de musique funk. Après avoir échoué une audition de danse aux locaux de la maison de production Funk TV, elle se rend au salon de coiffure où travaille son ami Daniel. Il lui lui conseille alors de ne pas abandonner ses rêves. Après réflexion, et malgré la réticence de sa mère, Karoline décide d’enregistrer une chanson qu’elle a composée dans le studio d’un DJ qui lui a été référé. C’est avec sa chanson en main, qu’elle remet aux producteurs de Funk TV, sa composition. Le fin du film révèlera si Karoline a réussi ou non à percer dans le monde du funk. Depuis le mois de mai 2016, Fabrik Funk est disponible en version originale sur la chaîne YouTube de Funk TV. Il peut également être visionné en version sous-titrée en français et en anglais et portugais (pour malentendant) sur la page Vimeo du Laboratório de Imagem e Som em Antropologia de l’Université de São Paulo.4

Dans les coulisses du tournage

5Le projet de recherche qui sous-tend la production de Fabrik Funk repose sur plusieurs collaborations. La première est celle qu’établissent les anthropologues brésiliennes et canadienne. Celles-ci se rencontrent d’abord en avril 2014, moment où les anthropologues de l’Université de São Paulo, Rose et Sylvia, se rendent à Victoria (Canada). Le défi initial était de définir une thématique à développer dans un film ethnographique. En prévision de la venue d’Alexandrine au Brésil pendant la Coupe du monde de football, les anthropologues brésiliennes répertorient quelques sujets possibles pour le film.

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Rose Satiko Gitirana Hikiji

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6387).

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Sylvia Caiuby Novaes

© Rose Satiko Gitirana Hikiji, 2015.

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Alexandrine Boudreault-Fournier

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6359).

6Alexandrine, dont les recherches portent sur l’univers du hip-hop et du reggaeton à Cuba, démontre un grand intérêt pour l’une des idées proposées : celle d’un documentaire sur le funk ostentatoire, genre très présent dans la banlieue de São Paulo5, précisément dans le quartier de Cidade Tiradentes, où Rose effectue des recherches depuis 2009 sur l’univers du hip-hop. La familiarité des deux anthropologues avec l’univers artistique lié à la jeunesse – le hip-hop – fournit une base de dialogue commune, à partir de laquelle le processus créatif débute.

7Quelques semaines avant l’arrivée d’Alexandrine à São Paulo, Rose rencontre Daniel Hylario, résident de Cidade Tiradentes interviewé à maintes reprises par l’anthropologue dans le cadre de ses recherches sur ce quartier6. Cette première discussion vise à connaître davantage les impressions sur le funk de ce penseur de Cidade Tiradentes. Dans un centre commercial, Daniel et Rose parlent pendant des heures de ce style et abordent des thèmes comme la consommation, la jeunesse, le genre et la sexualité. L’idée du film lui est alors présentée. Or, Daniel (qui a participé aux stages Kinoforum de Realização Audiovisual, à la réalisation de quelques documentaires7, à d’autres films en tant que protagoniste et à la production d’œuvres cinématographiques) doute de l’intérêt de produire un documentaire sur le funk puisque selon lui, ce langage cinématographique est perçu négativement par les jeunes vivant à Cidade Tiradentes. Il propose plutôt de réaliser une fiction. Rose, motivée par ce défi, présente l’idée à ses partenaires de projet qui acceptent la mission – une première pour chacune d’elles – consistant à réaliser non pas un documentaire ni une fiction, mais un film qui combinerait ces deux genres : une ethnofiction.

8Ce choix de genre oriente nos besoins de collaboration pour la production de Fabrik Funk. Les premières ressources de Cidade Tiradentes que nous consultons sont Negro JC et Montanha, propriétaires de Funk TV, réalisateurs et aujourd’hui acteurs du marché de l’audiovisuel associé au phénomène du funk. Rose avait rencontré ces réalisateurs 10 ans auparavant dans le cadre de ses travaux de recherche entourant le film Cinema da Quebrada (2008). Les échanges avec les réalisateurs permettent d’approfondir nos connaissances de la culture des jeunes associée à la musique funk. Nous y apprenons que le funk se compare au football en ce sens qu’il représente une possibilité d’ascension sociale pour les jeunes de la banlieue. Selon nos interlocuteurs, « tous les garçons [de Cidade Tiradentes] rêvent d’être MC » et Cidade Tiradentes serait devenue en quelque sorte une « usine de funk ».

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Negro JC

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6287).

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Montanha

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6295).

9Negro JC et Montanha ont une trajectoire intéressante : ils débutent en tant que réalisateurs de vidéos indépendants, offrent ensuite leurs services à titre de producteurs de vidéos d’anniversaires et de mariage, et trouvent finalement leur place comme producteurs de funk ostentatoire. Certains clips qu’ils ont réalisés avec Funk TV ont déjà été visionnés des milliers de fois sur leur chaîne YouTube, ce qui a permis d’engendrer l’une des principales sources de revenus de la maison de production. La réalisation des vidéoclips des artistes locaux de la scène funk génère également une autre part des revenus.

10Les bureaux de Funk TV sont situés dans un immeuble de la principale avenue commerciale de Cidade Tiradentes. Dans l’une des pièces, toujours en rénovation, se trouve un studio équipé de matériel sophistiqué comprenant des caméras professionnelles, une mini grue et des équipements d’éclairage et d’enregistrement sonore. Des ordinateurs destinés au montage vidéo sont installés sur une table dans une autre pièce. Une aire d’accueil pour le public a été aménagée dans une troisième pièce et des tables accueillent les stagiaires de Funk TV dans la dernière pièce. La simplicité de l’immeuble contraste avec la sophistication du matériel de la maison de production et avec la qualité technique des vidéos produits.

11Après avoir pris connaissance de notre projet d’ethnofiction, Negro JC et Montanha nous recommandent l’une des artistes diffusées par Funk TV, Karoline, alias MC Negaly, qui deviendra la protagoniste principale du film. MC Negaly est entre autres l’animatrice de l’émission Funk TV Visita, qui dépeint la scène funk en présentant quelques-uns des principaux MC actifs actuellement à São Paulo. C’est au cours d’une discussion enregistrée dans le studio de Funk TV, à l’aide du matériel d’éclairage monté et prêté par la maison de production, que nous présentons le projet de film à Karoline, qui accepte sur-le-champ d’interpréter le rôle de la jeune qui rêvera de devenir une MC.

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Karoline, MC Negaly

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6210).

12Après de courtes séances pendant lesquelles nous déterminons la distribution artistique principale du film, nous écrivons le scénario de base avec Daniel. Nous identifions onze scènes à enregistrer, chacune d’elles ayant son lieu et sa thématique particulière qui sera travaillée et improvisée ultérieurement avec les acteurs dans les différents lieux de tournage.

Le funk à Cidade Tiradentes

13Selon Daniel, c’est pendant les années 1970 que le funk (nord-américain) se fait connaître au Brésil, aux côtés de la musique disco. Le funk était alors écouté à la maison, en famille et à l’occasion de fêtes. Dans les années 1980, les « bals black » prennent de l’importance. Dans les années 1990, c’est au cours de concerts que le funk est principalement diffusé et apprécié par la population. Aujourd’hui, ce genre gagne la rue : de grandes scènes sont installées dans la rue, des « rolezinhos »8 ont lieu dans les centres commerciaux où le funk est chanté à haute voix par des centaines de jeunes, des « fluxos »9 bloquent les rues de la banlieue au son du funk. En juin 2014, moment du tournage de Fabrik Funk, le style ostentatoire n’était déjà plus la principale référence. Il partageait l’espace avec un style appelé « putaria », dont les paroles font explicitement référence au sexe.

14Le milieu du funk est caractérisé par des MC presque toujours très jeunes, dont certains sont assez populaires pour donner jusqu’à six concerts par soir. Même avec à peine un ou deux morceaux enregistrés, ils jouent pendant vingt minutes les principaux succès d’autres MC. Ils gagnent entre trois cents et mille cinq cents euros par concert. Les concerts ont lieu du jeudi au dimanche, en banlieue et au centre-ville.

15Les principaux moyens de diffusion de cette musique sont YouTube et les portails Internet de funk. Un MC peut atteindre la gloire du jour au lendemain et avec un seul morceau. Le processus de diffusion démarre quand le MC publie un morceau (par vidéoclip ou enregistrement sonore) sur YouTube. Il n’est pas rare d’entendre des morceaux à peine téléchargés sur YouTube jouer le jour même à plein volume dans des voitures sonorisées. Le nombre de vues est l’indicateur du succès d’un morceau et devient la référence pour engager les MC et définir leur cachet lors des concerts. La Radio Transamérica (qui offre une émission hebdomadaire sur le funk) diffuse les morceaux qui font un tabac sur YouTube.

16Paradoxalement, il existe des artistes qui n’ont jamais enregistré de disque, mais seulement une ou deux compositions, et qui deviennent une référence nationale, voire internationale (quelques-uns résonnent dans des pays du Mercosur et dans d’autres états brésiliens; les plus réputés enregistrent même leurs vidéoclips aux États-Unis).

17Autre caractéristique intéressante, l’usage des studios maison : grâce aux nouvelles technologies, toutes les musiques sont enregistrées dans de petits studios domestiques, y compris des succès compilant des millions de vues, par exemple « País do Futebol » de MC Guimê dont le clip a été vu plus de 60 millions de fois10. Notons que ce morceau a été pressenti pour être le thème musical de l’ouverture de la Coupe du monde de football en 2014 et que ce MC reçoit un cachet mensuel équivalent à 118 000 euros.

18Le thème de la consommation apparaît comme la grande caractéristique de la culture associée à la musique funk. Chantée et pratiquée à tout âge, cette musique devient un « moyen d’insertion » des pauvres dans le monde selon Daniel. Ainsi, la consommation peut être abordée sous l’angle de l’élévation du pouvoir d’achat des classes populaires11.

19Dans ce contexte apparaissent les objets de désir. Certains sont des produits de luxe dont tout le monde rêve, mais que seuls les rares MCs qui ont atteint la gloire peuvent se procurer (par exemple les voitures Audi, Veloster, Captiva et Hyunday, et les motos Hornet et Hayabusa). D’autres produits désirés sont chers mais accessibles, même si leur coût représente deux mois de salaire (comme le « Mizuno mil », une sorte d’espadrille qui fait partie de l’imaginaire de tous les adolescents). Dans un article sur le funk ostentatoire, Alexandre Barbosa Pereira (2014, p. 8, notre traduction), attire l’attention sur l’importance de l’imagination liée aux nouvelles technologies de la communication pour comprendre ce style. S’imaginer n’implique pas seulement être dans un autre lieu ou pays, mais « s’imaginer dans une autre classe sociale, dans un autre contexte socioculturel, dans une autre réalité matérielle, dans un autre monde de consommation ».

20À ce sujet, il est pertinent de noter ce que Daniel Hylario perçoit comme une double relation entre les pauvres et les riches du milieu funk. Pendant que les pauvres désirent s’approprier les biens accessibles aux riches, par la consommation de produits de luxe à prix élevés (chaussures, vêtements, voitures), les riches, en écoutant le funk, ont l’impression de s’approprier un « vocabulaire de pauvres ».

21À la différence du rap, qui isole le ghetto et réaffirme une identité marginale, le funk incorpore les habitants de la banlieue et leur donne une identité par rapport à la classe dominante. Il sous-entend la possibilité d’être à égalité par la consommation.

22L’univers du funk soulève diverses questions de nature anthropologique. Dans notre film, notre objectif a été de montrer cette pratique à partir d’une histoire qui, bien que caractérisée par des personnages précis, est extrêmement récurrente dans les banlieues des grandes villes brésiliennes depuis les dix dernières années.

23Le film aborde le funk à partir de l’histoire d’une jeune fille qui, comme beaucoup d’autres en banlieue, travaille dans une entreprise de télémarketing caractérisée par le tintamarre d’opératrices parlant au téléphone simultanément et l’ennuyeux travail lié à un poste sans exigences professionnelles. Il traite de la question des conflits entre générations et modes de vie : les conflits concernent les goûts musicaux (nos protagonistes écoutent, en plus du funk, de la samba, du pagode, du gospel et du rap), les habitudes de loisir et de consommation, les formes de communication, les rêves et les utopies de chaque génération. Être une femme dans l’univers du funk est un autre défi que notre scénario désire souligner. Par l’ethnofiction, nous abordons des questions chères à l’anthropologie, de manière plus sensible et partagée. Grâce à la participation d’acteurs qui improvisent des vies plus ou moins semblables à la leur, nous parcourons des mondes imaginés et réels et nous nous approchons de l’énorme créativité qui s’exprime aux abords de la ville de São Paulo.

Anthropologie, fiction et créativité

24La recherche implique un processus de création certes, mais elle est également régie par des normes associées à la discipline à laquelle nous appartenons. Assumer la création d’une fiction dans un contexte de recherche est relativement peu commun en anthropologie. Seuls quelques anthropologues se sont « risqués » à s’aventurer dans la fiction par le médium de l’écriture. L’un des rares exemples est Alejo Carpentier, anthropologue cubain passionné par la musique, qui a écrit entre autres le roman Le partage des eaux publié en espagnol au début des années 195012. Le roman raconte le voyage d’un musicien arpentant un pays d’Amérique du Sud à la recherche d’instruments dits « primitifs ». Sans se détacher du thème de la musique, le roman de Carpentier décrit avec soin les instruments et leurs sons. En lisant le roman, nous avons l’impression que la fiction permet à l’auteur d’entrer en relation avec les instruments par les sens, d’un point de vue réflexif et artistique, une approche que Carpentier n’adopte pas dans ses textes « scientifiques » ou descriptifs13.

25Dans une note à la fin de son premier roman intitulé Jaguar : A Story of Africans in America (1999), l’anthropologue Paul Stoller nous confie que sans ses trente-trois ans de recherches ethnographiques sur le terrain au Niger, ce roman n’aurait jamais vu le jour. En écrivant Jaguar, Stoller (1999, p. 212) désire amplifier l’histoire dramatique en abordant les thèmes de l’amour, du regret et de l’obligation sociale, qui, selon lui, se portent bien à la fiction. En préface de son second roman Gallery Bundu (2005), Stoller annonce que son livre est une œuvre de fiction. Les personnages représentent un composé de plusieurs autres personnes qu’il aurait rencontrées durant ses recherches sur le terrain; ils proviennent tous de l’imaginaire ethnographique de l’auteur.

26Tout comme Stoller, nous avons inclus une note dans le générique annonçant le caractère fictif de Fabrik Funk tout en suggérant que certains éléments proviennent de nos observations ethnographiques sur le terrain ou ressemblent à la vie réelle. Nous avons inclus l’avertissement suivant : « Les personnages et événements de ce film ne sont pas tous fictifs. Toute ressemblance avec des personnes ou des événements réels n’est pas fortuite. » La fiction nous a donc permis de nous aventurer vers certains sujets bien connus en raison de nos recherches, tout en adoptant une esthétique narrative et un genre d’écriture autres que ce qui est commun dans le domaine de l’anthropologie. Ainsi, par la fiction, des thèmes tels que les sens, les émotions et l’affect ont pu être abordés.

27Il faut noter que depuis Writing Culture (Clifford et Marcus, 1986) et la crise de la représentation des années 1980 qui s’en est suivie, la majorité des avancées expérimentales ont été réalisées dans le domaine de l’écriture et de l’ethnographie14. Jusque dans les années 1990, les anthropologues n’avaient pas exploré d’une manière cohérente la notion d’esthétique en rapport avec le contenu ethnographique. George Marcus (2010) affirme qu’une appropriation radicale du visuel aurait le potentiel d’élargir les avenues de recherche dans notre discipline (Calzadilla et Marcus, 2006, p.96; Marcus, 2010). En ce qui nous concerne, nous sommes convaincues que l’ethnofiction, dans la production filmique, a le potentiel de générer de nouveaux questionnements par rapport au terrain ethnographique, plus particulièrement en ce qui a trait au thème de la performativité.

28L’ethnographie peut être considérée comme un acte de performance (Calzadilla et Marcus, 2006, p.98), une symbolique sociale imaginaire, une mise en scène (Marcus, 2010; Calzadilla et Marcus, 2006). L’imaginaire ethnographique se crée par des associations, des connexions et des relations que les anthropologues observent et considèrent comme importantes pour expliquer un ensemble ou un phénomène social. La mise en scène du terrain ethnographique signifie donc la disposition d’éléments, d’objets, de personnes, d’événements, de lieux et d’artefacts culturels dans l’optique de créer une compréhension d’un phénomène quelconque (Marcus, 2010, p.268). La notion de mise en scène, empruntée par Marcus au théâtre et au cinéma, s’applique naturellement au processus de la réalisation d’une ethnofiction.

29Dans notre cas, le processus de création de la trame narrative nous a permis d’identifier des composantes clés de la musique funk, mais aussi de la vie de ceux et celles qui en consomment. Sans nous détacher du « réel », notre intention était de représenter une situation reliée au phénomène du funk, telle qu’elle est vécue aujourd’hui dans la périphérie de São Paulo, en créant une atmosphère, pour ne pas dire une histoire, qui serait représentative d’une situation possible et réaliste. Le slogan « La réalité d’un rêve » que nous avons adopté pour promouvoir le film Fabrik Funk (Fig. 10) propose la juxtaposition du réel et de l’imaginaire, non pas comme une dichotomie, mais comme une complémentarité. Sans nous éloigner de l’un, nous nous rapprochons de l’autre pour créer de cette façon une nouvelle approche, une nouvelle interprétation de notre thème et des protagonistes avec lesquels nous collaborons.

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Affiche du film

30Daniel et les participants ont agi en tant que baromètres de la réalité de la périphérie en nous indiquant les pratiques communes de langage, d’attitude, de relation sociale, de pensée, etc. qui caractérisent la vie des jeunes de São Paulo d’aujourd’hui. C’est grâce à ces échanges, qui ont eu lieu avant, pendant et après la production du film, que nous avons approfondi notre connaissance de la culture des jeunes associée à la musique funk. Autrement dit, le processus global de production du film est devenu notre terrain ethnographique. L’ethnofiction est un genre cinématographique, mais il correspond également à une approche méthodologique (Stoller, 1992; Sjöberg, 2008). Suivant les traces de Jean Rouch, Sjöberg (2008, p. 232) décrit l’ethnofiction comme un genre s’appuyant sur une anthropologie partagée, adoptant un esprit de collaboration, parfois de réflexivité, et utilisant des éléments d’improvisation pour guider les actes improvisés des protagonistes. S’interroger sur la nature même de l’ethnofiction constitue une partie intégrale de notre approche de recherche.

31Selon David MacDougall (2006), Jean Rouch et John Marshall auraient choisi de créer un discours filmique plutôt que d’utiliser le visuel pour décrire l’expérience humaine. Leurs travaux invitent la participation active des spectateurs dans un imaginaire géographique et dans un espace social créé par le film (MacDougall 2006, p. 67). Toujours selon MacDougall, et en comparaison avec les films de style observationnel, la valeur première des films de Rouch et Marshall réside non seulement dans son contenu ethnographique, mais aussi dans l’exploration des émotions, de l’intellect, des désirs, des relations et des perceptions mutuelles des spectateurs (ibid.). L’aventure de la chasse concerne à la fois la façon dont les protagonistes parviennent à abattre leur cible, et en quoi la chasse représente une entreprise collective, une institution sociale (ibid.).

32Notre slogan « La réalité d’un rêve » nous encourage également à penser en termes de désir et de fantaisie. La confection du discours filmique nous a amenées dans l’espace du ressenti, un espace que nous n’aurions pas pu explorer autant si nous avions abordé la question du funk d’une perspective documentaire. Sans négliger le fait que les styles filmiques observationnels et de type documentaire du réel sont généralement perçus comme des récipients de sens et d’information contribuant à leur manière au développement de la discipline. Nous croyons que l’ethnofiction, de par son discours filmique et sa trame narrative, invite plutôt le spectateur à s’identifier aux protagonistes et au thème du film d’une manière ressentie. Ainsi, tout comme MacDougall, nous croyons que le genre de l’ethnofiction contribue à la discipline de l’anthropologie en s’attardant en profondeur à la performativité des sentiments, de l’imaginaire et de la fantaisie vécus par les protagonistes du film.

Personnes et personnages : processus de création en ethnofiction

33Le travail de création d’une ethnofiction avec des acteurs non professionnels15 qui jouent des rôles très proches de leur propre identité dans la vie réelle est un processus riche en réflexivité.

34Dans Fabrik Funk, les personnages sont interprétés par des habitants de Cidade Tiradentes qui ont tous une quelconque relation avec l’univers du funk. L’actrice qui incarne la protagoniste principale travaille dans une entreprise de télémarketing, tout comme le personnage de Karoline qui apparaît dans la première scène du film. Si dans le film elle rêve d’être chanteuse de funk, dans la réalité, Negaly est déjà une MC diffusée par la Funk TV. De plus, dans le film ainsi que dans la vie réelle, c’est cette entreprise qui s’occupe de sélectionner les danseuses qui apparaissent dans les vidéoclips. Enfin, le coiffeur avec qui Karoline discute des différents genres musicaux est Daniel Hylario, qui possède réellement un salon de coiffure « afro » à Cidade Tiradentes. Dans la vie réelle, ce « philosophe de la périphérie » est aussi un passionné de musique qui, toutefois, pose un regard critique sur le funk.

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Daniel Hylario dans son salon de coiffure afro

© Sylvia Caiuby Novaes, 2014.

35Aux fins du film, ces personnes ont prêté leur corps, leur voix, leur histoire, leurs pensées et leur imagination. Les réalisatrices ont expliqué à chacun des acteurs principaux l’histoire qu’elles voulaient filmer. Le scénario, conçu par Daniel et les trois anthropologues, indiquait l’action générale qui devait être développée dans chaque scène. Cependant, il ne comptait aucun dialogue et le scénario était présenté aux acteurs qui pouvaient le modifier selon leur entendement. Après avoir pris connaissance de chaque scène, les acteurs devaient improviser la situation filmée, en s’inspirant de leur expérience personnelle.

36La réalisation de Fabrik Funk a mis en évidence que ce n’est pas le compromis avec le réel qui permet de créer un sentiment de réalité. Dans les films de fiction, et plus encore dans ceux d’ethnofiction, les personnages profitent du réel en le modifiant – par des ajouts, des soustractions, des déformations ou encore par l’action même de jouer un rôle. Que ce soit en littérature, au théâtre ou au cinéma, le personnage de fiction n’est jamais dissocié complètement de sa propre réalité. Comme le montre Antonio Candido (1968) dans son analyse de la construction du personnage en littérature, en procédant ainsi, il serait impossible de capter la façon d’être d’une personne dans sa totalité et, en outre, il serait possible de contourner la création artistique. La « copie » ne permettrait en aucun cas la connaissance spécifique, ce qui est en fait la raison d’être et l’enchantement de la fiction.

37Candido soulève un autre aspect évident et fondamental pour les anthropologues désireux de créer un film de fiction : bien que dans la vie tout soit pratiquement possible, dans le roman (tout comme dans le film à notre avis), la logique de la structure impose des limites plus serrées que dans la réalité, ce qui, paradoxalement, rend « les personnages moins libres et [exige] que la narration soit plus cohérente que la vie réelle » (1968, p. 76, notre traduction). Il y a présence d’un critère esthétique qui gouverne de l’intérieur les personnages, l’intrigue et la narration.

38La fiction suppose, du moins en théorie, une intention plus importante, une plus grande possibilité de définir un scénario et de le suivre avec les personnages créés spécialement pour le film. En tant qu’anthropologues, nous nous heurtons parfois à des sujets considérés comme tabous ou illégaux, qui nous empêchent de mettre à contribution directement des gens. Traiter la thématique sur le plan fictionnel peut se révéler une stratégie permettant d’approfondir une exposition et une réflexion sur des conflits, des activités illégales ou des sujets tabous sans compromettre directement les éventuels collaborateurs, ce qui s’avérerait impossible dans le cadre d’un documentaire.

39Dans Fabrik Funk, ni l’illégalité ni le tabou n’ont été les principales motivations du recours à la fiction. Ces éléments n’ont pas non plus empêché l’héroïne d’emprunter la voie menant vers la « gloire » sur le marché musical. Les conflits vécus par le personnage sont exprimés avec force – ce qui serait très difficile à obtenir, par exemple, s’ils étaient uniquement verbalisés dans le cadre d’une entrevue. Les scènes du film sont présentées dans un contexte d’action dramatique, par exemple les scènes de la dispute avec la mère, de l’attente pour une audition et de la présentation d’une composition à un DJ.

40D’autre part, la fiction, comme toute œuvre d’art, permet davantage de couper et de sélectionner les thématiques et, en reconstruisant synthétiquement la réalité, de les présenter de manière plus efficace et sensible, ce qu’explique bien Rosenfeld lorsqu’il affirme que « [...] la fiction est l’unique lieu – dans le sens épistémologique – dans lequel les êtres humains deviennent transparents à notre vision, car il s’agit d’êtres purement intentionnels sans référence à des êtres autonomes […] ici, les êtres vivent des situations exemplaires de manière exemplaire » (1968, p. 35-45, notre traduction). À ce sujet, Rouch est emphatique : « La fiction est l’unique mode de pénétrer la réalité » (Rouch, in Gonçalves, p. 76). En créant le cinéma-vérité, Rouch a emprunté à Vertov l’idée d’une vérité particulière accessible par le cinéma : la vérité filmique. Entre le théâtre et l’anthropologie, Richard Schechner, a aussi parié sur le potentiel de l’art pour accéder au réel : « La performance est une illusion d’une illusion et, en tant que telle, peut être considérée comme plus “véritable”, plus “réelle” que l’expérience ordinaire » (1988, p. XIV).

41D’un autre côté, nous savons que le documentaire est le genre le plus utilisé par les anthropologues qui réalisent des films. Le documentaire expose habituellement des arguments cohérents, le réalisateur sachant en principe ce qu’il veut montrer et quel auditoire cibler. Dans un sens, le documentaire s’apparente davantage à la démarche traditionnelle adoptée par les anthropologues dans le cadre de leurs travaux écrits. Rares sont les anthropologues qui se consacrent à la réalisation d’un film de fiction.

42Dans le film, de type fiction ou documentaire, le réalisateur doit construire les personnages autour desquels tourne le thème qu’il veut aborder. Cette construction semble représenter une énorme difficulté pour les anthropologues, à l’exception de ceux qui choisissent le film pour exposer la trajectoire intellectuelle d’une figure quelconque en évidence dans une discipline. Dans plusieurs cas, les anthropologues recourent à la présence omnisciente du narrateur, soit la voix du directeur ou celles des autorités, ce qui transforme radicalement les documentaires anthropologiques en films moins susceptibles de capter l’intérêt du spectateur et qui donnent fréquemment l’impression d’être obligatoirement pénibles.

43Outre la construction des personnages, les anthropologues doivent surmonter une autre difficulté : investir le film d’action. Notons toutefois que l’action, au théâtre comme dans un film, « n’est pas nécessairement mouvement, activité physique : le silence, l’omission, le refus d’agir, présentés dans un certain contexte, mis en situation, fonctionnent aussi dramatiquement » (Almeida Prado, 1968, p. 92). Le défi pour le réalisateur de l’ethnofiction est de définir, concomitamment avec les participants du film, les situations dans lesquelles les personnages sont « mis en action ». Il est pertinent de penser que dans le cas de Fabrik Funk, un tel défi s’est avéré particulièrement stimulant dans le cadre du processus de création et, en conséquence, de compréhension ethnographique.

44Dans notre ethnofiction, les personnages qu’interprètent les acteurs leur ressemblent à divers degrés. Tous les MC qui apparaissent dans le film le sont aussi dans la vie réelle. Ils dominent la performance du funk, composent des morceaux qu’ils interprètent et ont déjà enregistré en studio ou dans des vidéoclips qui sont diffusés sur YouTube. Cependant, les situations qu’ils ont été invités à « représenter » ne sont pas nécessairement des faits qu’ils ont déjà vécus. Ainsi, bien que vraisemblable, la scène de l’audition de danse filmée dans les locaux de Funk TV a été créée sur mesure pour le film. Pour cette scène, l’équipe de Funk TV ainsi que les MC, danseuses et directeurs se sont convertis en acteurs qui, pour arriver à reproduire la scène visée, ont dû se laisser guider par les orientations des réalisatrices.

45Dans le scénario initial, cette scène était indiquée comme suit :

Scène 6 – FUNK TV

Negaly entre dans les locaux de Funk TV. Elle peut passer à côté des monteurs de vidéo qui sont en train de faire un clip de funk à saveur sexiste (images du clip pour situer le spectateur). Dans les couloirs menant au studio, elle rencontre les modèles de style « paniquete »16 qui attendent pour passer le test. Les « paniquetes » la regardent de haut en bas, avec un air désapprobateur. Triste, Negaly décide de partir.

46Lors de l’enregistrement de la scène, les actrices incarnant les danseuses étaient un peu gênées. Nous leur avons suggéré d’agir comme sielles allaient vraiment passer une audition pour figurer dans un vidéoclip de funk. Nous leur avons précisé qu’elles pouvaient répéter les pas de danse dans le couloir de Funk TV et qu’à l’appel des réalisateurs, elles devraient aller danser devant les caméras. L’héroïne du film, Karoline, devait quant à elle observer les jeunes filles d’un air critique pour ensuite s’apercevoir qu’elle n’était pas « à sa place ».

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Audition à Funk TV (1)

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6343).

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Audition à Funk TV(2)

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6352).

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Negaly se rend compte qu’elle ne veut pas passer l’audition

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6352).

47Les indications des réalisatrices étaient suffisamment générales pour que les actrices et acteurs (dans ce cas, les directeurs de Funk TV qui jouaient des rôles très semblables à leur vie réelle) puissent improviser leurs actions à partir de leur imagination et de leurs connaissances du milieu auquel appartient leur personnage.

48La scène obtenue à partir de ce processus est l’une de plus puissantes du film, entre autres, en raison de la sensualité exacerbée de la danse des jeunes filles, si caractéristique de l’univers du funk. Les actrices, initialement gênées, expriment par leur danse un savoir incorporé17, que le film, à son tour, partage en créant des sensations. Le réalisateur de Funk TV, ici représenté par le personnage/la personne de Montanha, joue le rôle d’un réalisateur de vidéoclip dont le but est d’exprimer la sexualité chantée dans le funk de MC Mini – la pièce en question est une vraie composition qui existait déjà avant le film, qui associe la sexualité féminine à la consommation d’alcool (« fou de Tequila »). Pour son personnage, Montanha, qui compte à son actif plusieurs vidéoclips, a opté pour une posture renforçant le caractère érotique de la chanson : derrière les caméras, il dirige les jeunes filles en suggérant qu’elles « sensualisent » leur mouvement.

49Karoline assiste à la scène d’un regard méfiant et réprobateur. Malgré son désir de faire du funk, d’être MC, son personnage ne s’identifie pas avec la performance des danseuses. La scène culmine ainsi vers son objectif dramatique en suggérant que l’héroïne devra suivre un autre chemin pour réaliser son rêve, chemin que connaît bien l’actrice pour l’avoir personnellement emprunté dans la réalité.

50La performance pour le film permet le jeu continu entre le « non-moi », personnage incarné par l’acteur, et la personne au cours de sa propre vie. Comme l’analyse Richard Schechner, l’acteur/performeur est, simultanément, un « non-moi » et un « non non-moi » (1985). L’acteur de l’ethnofiction vit aussi cette dualité, d’être autre, sans cesser d’être « soi-même ».

51Parmi les ethnofictions réalisées par des anthropologues, nous pourrions citer les classiques de Jean Rouch, Moi un Noir (1958), La pyramide humaine (1961) et Jaguar (1967). Dans Moi un Noir, Rouch décrit un groupe d’adolescents africains de Treicheville, quartier populaire d’Abidjan. Ils sont ouvriers, vendeurs de journaux et font de petits travaux. Nous les découvrons dans leur quotidien, au travail ou pendant leur temps libre. Très influencés par les mythes du cinéma, ils se dénomment eux-mêmes Eddie Constantine, Edward G. Robinson et Tarzan. Ils racontent leur histoire à partir de leur personnage, des personnages qui, selon les mots de Gonçalves, « étaient capables d’assurer leur propre existence » (Gonçalves, 2008, p.115, notre traduction) en parlant d’eux à partir d’un tiers. « Cette condition de l’ethnographie, d’avoir accès au monde d’autrui par des paroles de cet autrui et de celui qui le questionne sur son univers, permet à l’ethnographie de considérer comme vrai ce que les personnes imaginent, c’est-à-dire, la vérité de l’ethnographie » (Ibid.). La méthode de Rouch, qui consiste à enregistrer les témoignages et les commentaires post-tournage des personnes du film, à l’occasion de sa projection, permet que le film soit, en quelque sorte, recréé dans la phase d’édition, en intégrant l’improvisation de ces commentaires au film lui-même.

52Jaguar, à la fois documentaire et fiction, est le premier long-métrage de Rouch. Ce film raconte l’histoire de trois jeunes qui laissent leur maison située en zone rurale pour tenter leur chance, la vie, le travail et l’aventure dans la ville de Gana. Jaguar est typiquement une ethnofiction, avec des improvisations et une structure étudiée, qui cherche à comprendre la mobilité et le changement social en Afrique occidentale. Les aspirations, peurs et frustrations des personnages sont directement exprimées, donnant une authenticité à la voix d’une génération plus jeune qui cherche le succès et le sens de sa vie. Il est important de noter qu’ici la construction de la réalité ethnographique passe nécessairement par l’imagination18.

53Plus récemment, l’anthropologue suédois Johannes Sjöberg réalise au Brésil le film Transfiction (2007). Il s’agit d’une proposition d’ethnofiction, dans laquelle les participants collaborent avec le cinéaste en jouant leur propre rôle et en combinant l’expérience de vie d’autres personnes au moyen de l’improvisation. Le film a pour objet l’identité et la discrimination dans le quotidien des transsexuels vivant à São Paulo.

54Bien que réalisés à des époques très diverses et dans des pays très différents, tous ces films produits par des anthropologues ont une caractéristique commune : ce sont des films de fiction joués par des acteurs non professionnels. De plus, autre point commun notable, tous les acteurs de ces films font d’une manière ou d’une autre une représentation d’eux-mêmes. En jouant, ils demeurent toujours dans leur « vie réelle ». Ils ne se transforment pas en « un tiers » par l’imagination, ils n’incarnent pas un rôle qui diffère radicalement de leur propre identité.

55« Car Je est un autre »19. Dans cette phrase de Rimbaud réside peut-être la grande puissance de l’ethnofiction. En jouant un rôle qui correspond beaucoup à ce qu’il vit dans sa vie réelle, l’acteur peut, tout comme fait le poète, être témoin de l’éclosion de sa pensée, s’écouter, se percevoir lui-même à partir de son action pour le film. L’altérité se transforme quand le moi propre se transforme en autre, ce qui constitue, probablement, le grand intérêt de l’ethnofiction pour les anthropologues et la clé pour comprendre l’anthropologie partagée.

56Rimbaud a été, comme nous le savons, l’un des auteurs les plus importants du surréalisme, courant qui fut à son tour très présent dans l’ensemble des travaux de Jean Rouch, pour qui la relation entre le réel et la fiction était intrinsèque. Très proche de l’esthétique surréaliste20, Jean Rouch intégrait dans ses films l’inattendu dans le familier, les rêves dans la réalité toujours pénétrée par l’imaginaire, l’émotion de ses non-acteurs dans la scène enregistrée.

57Dans l’anthropologie partagée proposée par Jean Rouch, l’ethnographie et le film sont « le résultat de l’interaction des personnages, de lui-même [Rouch] avec la caméra et de ses collaborateurs qui [produisent] la réalité filmique » (Gonçalves, 2008, p. 63). Ce qui tombe avec le cinéma de Jean Rouch, comme le remarque Jean-André Fieschi (2010, p. 19-20), « c’est tout le jeu des oppositions conventionnelles (confortables, fausses) par lequel, dès l’axe inaugural Lumière-Méliès, étaient pensées les catégories documentaire, fiction, écrit, improvisation, naturel, artifice, etc. » Ainsi, « ce que Rouch filme, en premier lieu, ce ne sont plus les comportements et les rêves, ou les discours subjectifs, mais le mélange indissociable qui les lie les uns aux autres » (idem, p. 29).

Pour conclure : La fabrication de la fiction

58Au cours du processus de production de l’ethnofiction, le rôle de l’anthropologue est transformé et des éléments traditionnellement exogènes à la discipline y sont intégrés. Plus que des participants observateurs, nous devenons des anthropologues créateurs qui jonglent avec la fiction. Nous avons élaboré et dirigé un projet de collaboration qui nous a permis de créer un texte audiovisuel qui ne cadre pas avec les conventions associées à notre discipline. Nous avons consciemment réalisé une ethnofiction à partir de faits observés combinés à une trame narrative que nous avons créée.

59Un exercice en particulier nous a permis de comprendre comment la création de la trame narrative suppose une synthétisation de l’expérience du terrain ethnographique. Au cours du processus, nous avons eu l’idée d’intégrer au film des textos envoyés ou reçus par Negaly. Nous cherchions ainsi à créer une trame narrative continue et parallèle au déroulement du film, laquelle nous permettrait d’apporter de l’information supplémentaire sur certains éléments de la vie de Negaly. L’idée nous est venue en filmant Negaly, lorsque nous nous sommes aperçus de « l’omniprésence » de son téléphone. Lors du tournage, elle utilisait activement son téléphone intelligent pour envoyer des messages, répondre à des amis, partager des photos et commenter des publications sur les réseaux sociaux. Son utilisation, qui nous sembla d’abord excessive, n’était pourtant pas exceptionnelle en comparaison avec l’usage général de la jeune génération brésilienne. C’est pourquoi nous avons eu l’idée d’augmenter la visibilité du téléphone et de l’utiliser pour apporter un deuxième contenu narratif.

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Negaly utilisait son téléphone portable fréquemment

© Sylvia Caiuby Novaes (2014, photo 6113).

60Il a été difficile au début de s’imaginer le contenu des messages que Negaly pourrait envoyer ou recevoir de ses amis. Se mettre dans sa peau n’était pas évident en raison de l’écart générationnel, culturel et linguistique nous séparant. La solution a naturellement émergé lorsque nous avons décidé d’associer, pour chaque scène, un thème aux textos. Par exemple, pour les scènes de Negaly au travail, nous avons décidé de créer un échange portant sur des biens matériels qu’elle voudrait acquérir, ce qui nous a permis d’aborder le thème de la consommation et de l’intérêt accru des adeptes du funk pour les marques. Cet exercice nous a poussées à nous interroger sur les éléments particuliers de la culture des jeunes associée au funk, un aspect clé de notre terrain ethnographique, et à créer par la suite de courtes discussions synthétisant nos observations, un exercice davantage associé à la fiction. Cet exemple démontre d’une part comment nous nous sommes constamment retrouvées entre deux eaux, tentant d’intégrer notre approche ethnographique à celle de la fiction, et d’autre part, comment l’ethnographie et la fiction impliquent des processus d’associations, de connexions et de relations menés par les anthropologues.

61Bruno Latour (2005) explique que la fiction est une solution pour rendre visibles les traces que laissent les objets sur les relations sociales. Il est d’avis qu’en ce sens, les sociologues ont beaucoup à apprendre des artistes (2005, p. 82). Nous croyons également que la fiction nous a encouragées à nous questionner sur les composantes de la culture brésilienne, sur la façon dont les objets, humains, lieux et pensées s’assemblent pour former le phénomène social et esthétique associé au funk. En assemblant les différents éléments, nous avons réfléchi en termes relationnels, et ce, tant du point de vue ethnographique que fictionnel.

62Le processus de montage permet de relier et d’assembler les éléments ciblés. Le montage peut être défini comme la technique de juxtaposition de clips visuels et sonores visant la production d’une trame narrative (Marcus, 1994, p.45). Mais le montage est plus qu’une technique, il réfère à un tissage d’images et de sons, « il suscite des virtualités relationnelles et affectives propres à engendrer de la connaissance » (Boukala 2009, p. 24-25).  Il est donc au cœur du récit filmique parce qu’il établit des significations entre des clips apparemment sans rapport. Par exemple, le montage parallèle est utilisé pour obtenir un effet de simultanéité temporelle et de relation. L’exploration de la façon dont le montage peut transmettre des significations et des métaphores précises est au cœur du développement d’une approche expérimentale au cinéma, car elle suppose une intention de créer des récits alternatifs qui rompent avec les conventions universitaires (Schneider 2011). En ce sens, le montage est souvent décrit comme une forme d’illusion, voire de transformation du réel et de mise en forme « d’un » réel. Il s’agit d’un élément central du processus filmique puisque c’est par le découpage et l’assemblage d’images et de sons que la trame narrative est constituée, et même parfois inventée.

63Le monteur quant à lui joue un rôle primordial dans la mise en forme des personnages et la création d’un « réel » filmique. Nous avons travaillé en collaboration serrée avec le monteur Leo Fuzer associé au Laboratoire de l’image et du son en anthropologie de l’Université de São Paulo pour créer une histoire d’apparence vraisemblable. Leo a collaboré à l’essor de la trame narrative en choisissant les séquences des scènes ainsi que les prises assez fluides pour permettre à l’histoire dramatique d’évoluer. Pour le montage de Fabrik Funk, nous avons travaillé d’une scène à l’autre principalement de façon chronologique. Contrairement à la démarche documentaire, nous avions une idée assez précise de l’histoire complète du film et de son dénouement. Bien que nous nous entendions sur le déroulement des scènes, l’une d’elles nous a posé problème : la scène où Negaly pose devant son téléphone tout en s’enregistrant, au sommet d’une colline. Nous avions placé la scène à la fin, une apothéose qui laissait comprendre que Negaly était heureuse d’avoir pu réaliser son rêve. La scène la montrait en train de confier à son téléphone (et à ses amis sur les réseaux sociaux) qu’elle venait d’enregistrer son premier vidéo-clip. Malheureusement, cette scène ne collait pas. Leo a proposé d’éliminer les parties de cette scène dans lesquelles Negaly s’enregistrait à voix haute. Il a ainsi transformé la scène en un moment de réflexion profonde : Negaly est seule au sommet d’une colline, elle s’interroge sur son futur (plutôt que de se réjouir sur ce qu’elle vient d’accomplir). La magie était complète. Nous avons intégré la scène à la mi-temps du film. Elle procure un point d’arrêt, un moment de réflexion qui permet aux auditeurs de se lier avec Negaly à travers ses pensées, ses désirs et ses craintes. La scène catalyse les émotions. Nous n’aurions pas obtenu la puissance de cette scène sans le découpage soigné de Leo. Nous comprenons par cet exemple que le montage est un processus d’illusion et que plusieurs significations peuvent émerger à partir d’une même scène. La performance des anthropologues liée à celle du monteur a permis de créer la trame dramatique du film en amplifiant certaines émotions et en complexifiant les personnages. Notre performance en tant qu’anthropologues se lie donc à la fabrication de sens et à la conception de la trame narrative, mais aussi au façonnage des sentiments.

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Filmographie

A Arte e a Rua. Réalisation: Carolina Caffé e Rose Satiko Hikiji. (46’, 2011).

Defina-se. Réalisation: Kelly Regina Alvez, Claúdio N. de Souza e Daniel M. Hylario. Oficinas Kinoforum. (4', 2002).

Jaguar. Réalisation: Jean Rouch (89' 1967).

Moi un Noir. Réalisation: Jean Rouch (80’, 1958).

La pyramide humaine. Réalisation : Jean Rouch (90’, 1961).

Segredos da Mata. Réalisation: Dominique Gallois e Vincent Carelli (37’, 1998).  

Transfiction.  Réalisation: Johannes Sjöberg (57’, 2007).

Notes   

1 Dans Stoller, 1994, p. 96-97.

2 Ce projet intitulé « Images and Sound Making: A Comparative and Collaborative Approach to Visual Anthropology » a reçu l’appui de l’Université de Victoria et de la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo (FAPESP 2013/50222-0). La FAPESP appuie aussi le projet thématique « A Experiência do filme na antropologia » (2009/52880-9), qui a fourni d’importants fonds pour cette recherche. Une première version du film Fabrik Funk a été présentée lors du séminaire « Visual Anthropology and Materiality » à l’Université de Victoria, en janvier 2015.

3 MC est un diminutif de « master of ceremony ». Dans l’univers du hip-hop et du funk, il s’agit de celui ou celle qui chante et qui, en général, compose les chansons. Dans le funk pratiqué aujourd’hui à São Paulo, le MC est habituellement accompagné uniquement du DJ, qui compose les bases électroniques.

4  La version originale du film sur la chaîne Youtube de Funk TV (https://www.youtube.com/watch?v=XyT0uHAdjdo) a été visionnée à plus de 2500 reprises (en date du 23 septembre 2016). Le film est également disponible en version sous-titrée (français et anglais) sur la page Vimeo de LISA : https://vimeo.com/121590835; https://vimeo.com/121777735.

5 Ce genre a eu un retentissement national avec « País do Futebol », interprétation de MC Guimê, comme thème musical du feuilleton télévisé « Geração Brasil » de la chaîne de télévision Rede Globo.

6 Daniel Hylario est entre autres protagoniste, producteur local et réalisateur (caméscope Handycam) du film A Arte e a Rua (2011), coréalisé par Carolina Caffé et Rose Satiko Hikiji, qui aborde l’expérience d’artistes de Cidade Tiradentes du point de vue de leur relation avec le territoire.

7 Parmi lesquels Defina-se, court-métrage de 2002, sélectionné pour le Toronto Film Festival (2003) et le Tampere 36th Short Film Festival (2006).

8 Pour une réflexion sur le phénomène du « rolezinho », voir Pereira (2014) et Pinho (2014).

9 Rencontres sans rendez-vous préalables qui réunissent des milliers de personnes autour de puissants chars sonorisés.

10 63 640 730 vues en date du 21 septembre 2016, à l’adresse : www.youtube.com/watch?v=bWnS2dIDgQA

11 Selon les donnés de 2013 de l’Instituto Data Popular (Alvarenga, 2015), la classe « C » (familles dont les revenus mensuels per capita varient de 320 à 1120 réaux brésiliens, et qui relèvent principalement des catégories professionnelles liées aux services de beauté, aux caisses de supermarchés et de magasins, aux représentants commerciaux, aux vendeurs et aux agents d’accueil) a dépensé plus de 1,17 milliard de réaux brésiliens en 2013 et représente 58 % des mouvements de crédits au Brésil.

12 Version originale intitulée Los pasos perdidos publiée à Cuba en 1953.

13  Par exemple, voir La música en Cuba (1946).

14  Voir l’article « Yellow marigolds for Ochun: An Experiment in Feminist Ethnographic Fiction » écrit par Ruth Behar (2001).

15 Kelen Pessuto, dans son analyse du cinéma iranien, choisit l’expression « non » acteur (avec le non entre guillemets) pour appuyer sa conviction selon laquelle « dans les films, bien que les acteurs ne soient pas professionnels, ils sont des acteurs qui jouent leur propre identité ou qui représentent des personnages […] Si un acteur est celui qui agit, joue ou représente, alors tous sont des acteurs dans les films, parce que tous s’affairent à représenter un rôle identique ou différent de celui qu’ils jouent dans la vie quotidienne » (Pessuto, 2013 : 201, notre traduction).

16 Paniquete réfère aux modèles féminins peu habillées qui travaillaient dans un programme de télévision brésilien « Pânico na Band ».

17  Selon Richard Schechner, l’incorporation renvoie à « l’expérience comme base de la connaissance native partagée au moyen de la performance » et aux « épistémologies et pratiques natives qui réalisent (enact) l’unité du sentir, du penser et du faire » (2013:39). Pour Diana Taylor (2013:10), les « pratiques incorporées (embodied practice) […] proposent un mode de connaissance ».

18 Ou, comme le montre Deleuze : « C’est le devenir du personnage réel, quand il se met lui-même à “fictionner”, quand il rentre dans un “flagrant délit de créer des légendes”, et ainsi contribue à l’invention de son peuple. C’est pourquoi le cinéma peut s’appeler cinéma-vérité, d’autant plus qu’il aura détruit un certain modèle de vérité pour devenir créateur, producteur de vérité : ça ne sera pas un cinéma de la vérité, mais la vérité du cinéma. C’est ce que Jean Rouch entendait par “cinéma-vérité” » (Deleuze, 2005, p.183, dans Gonçalves, 2008, p.144, notre traduction).

19 « Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène » (Rimbaud, Lettre du Voyant, 1871).

20 Pour la relation entre Jean Rouch et le surréalisme, voir Gonçalves, 2008.

Citation   

Alexandrine BOUDREAULT-FOURNIER, Sylvia CAIUBY NOVAES et Rose Satiko Gitirana HIKIJI, «Fabriquer le funk à Cidade Tiradentes, São Paulo: la performance d’une ethnofiction», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Théma, mis à  jour le : 23/12/2016, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=1439.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Alexandrine BOUDREAULT-FOURNIER

Alexandrine Boudreault-Fournier (Département d’anthropologie, University of Victoria, Colombie-Britannique, Canada) enseigne l’anthropologie visuelle et sonore. Elle a réalisée Golden Scars, un film ethnographique sur les peurs et les défis de deux jeunes rappeurs vivant à Santiago de Cuba. Plus récemment, elle a codirigé les films ethnographiques The Eagle et Fabrik Funk. En 2015, elle a reçu une bourse du Conseil Canadien de recherche en sciences humaines du Canada pour poursuivre ses recherches sur la musique électronique à Cuba..

Quelques mots à propos de :  Sylvia CAIUBY NOVAES

Sylvia Caiuby Novaes (Département d’anthropologie, Universidade de São Paulo) coordonne trois projets thématiques financés par la FAPESP, tous reliés à l’image d’un point de vue anthropologique. Elle a édité le recueil Entre Arte e Ciência – a Fotografia na Antropologia, et co-organisé O imaginário e o poético nas Ciências Sociais. Elle est réalisatrice de trois films ethnographiques(dont Fabrik Funk) et est auteure de plusieurs essais sur la photographie. Elle est chercheure au CNPq.

Quelques mots à propos de :  Rose Satiko Gitirana HIKIJI

Rose Satiko Gitirana Hikiji (Département d’anthropologie, Universidade de São Paulo) est auteure des livres Imagem-violência, A música e o risco, Lá do Leste, et co-éditrice de Bixiga em Artes e Ofícios, Antropologia e Performance, Escrituras da Imagem e Imagem-Conhecimento. Elle a réalisé plusieurs films ethnographiques, dont Fabrik Funk et A Arte e a Rua.  Elle est coordonnatrice du Laboratoire en images et sons en anthropologie de la USP et de la PAM (Recherche en anthropologie musicale).