J’ai connu le désert d’Atacama, à l’extrême nord du Chili, à la frontière avec la Bolivie, en creusant ses sables avec une équipe d’anthropologues et d’archéologues du musée archéologique de San Pedro de Atacama. Nous étions une poignée d’étudiant.e.s en licence d’anthropologie venus travailler sur les fouilles aux côtés des ouvriers du musée. Nous y avons trouvé des sites funéraires précolombiens : des squelettes entiers, bien disposés, ornés selon le rang social des morts. Dans ce désert, des momies soigneusement enveloppées dans des tissus polychromes, ont également été déterrées.
Dans cette immensité, multicolore et lunaire à la fois, haut lieu touristique, la « bonne mort » – à l’image d’une « bonne vie » –, celle qui honore et offre une sépulture, coexiste avec la « mauvaise mort » ou l’impossibilité de la mort, car on ne meurt pas quand on disparaît1. La mauvaise mort du prisonnier politique exécuté et que les propriétés du sol ont transformé en une sinistre momie. Ainsi en est-il de Manuel Sanhueza, leader communiste de 31 ans, exécuté le 10 juillet 1974 et retrouvé dans une fosse clandestine avec dix-neuf autres corps le 2 juin 1990, les yeux bandés, la poitrine mitraillée et la bouche ouverte. Manuel Sanhueza, comme toutes les personnes retrouvées dans cette fosse, avait été pendant quinze ans porté disparu. De ces disparu.e.s qui sont inlassablement recherché.e.s par leurs proches, devenus des traqueurs dans cette immensité aride (Guzmán, 2010).
Le désert d’Atacama a été l’un des sites témoins des crimes d’une dictature (1973-1990) qui, dans le période de la guerre froide en Amérique latine, persécutait celles et ceux qu’elle avait transformés en « ennemis internes » d’un monde « libre »2. Dans la fosse clandestine où a été retrouvé Manuel Sanhueza, il y avait d’autres militants politiques, mais aussi des gens ordinaires, sans aucun engagement politique ni aucun lien avec le gouvernement renversé d’Allende (1970-1973). Cela indique peut-être que, pour la machine répressive chilienne, tirer sur de mauvaises cibles permettait d’alimenter la terreur.
Caravanes de la mort3, camps de prisonniers (comme ceux de Chacabuco et de Pisagua, au nord du Chili), exécutions extrajudiciaires, fosses clandestines, restes humains, momifiés ou réduits à l’état de micro-fragments, et disparus. Ce désert a fait partie d’une politique de terreur exercée sur les corps de ces « ennemis », affectant de longues lignées et inaugurant une forme de vie avec les disparus (Díaz, 2018).
Dans le cas du Chili, ce qui devait être anéanti, en éliminant le corps de l’ennemi, c’était la possibilité d’un projet de société plus égalitaire. Ainsi, cette terreur inaugurait un nouveau type de capitalisme qui a fait du Chili un laboratoire précoce de ce qui est aujourd’hui condensé sous les mots de « néolibéralisme » et « démocraties néolibérales » (Gárate Chateau, 2012 ; Tyner, 2016).
Telles des strates géologiques, les traces de ces violences politiques des années 1970 s’accumulent sur les violences d’autres temps et d’autres types : l’esclavage de Chiliens et de migrants asiatiques travaillant pour l’industrie minière (Segall, 1968), les massacres d’ouvriers, comme celui, célèbre mais loin d’être unique, de l’école Santa María de Iquique en 1907.
À ces formes de violences sociales et politiques d’un passé proche et plus lointain s’ajoutent aujourd’hui les villages abandonnés sans eau, ou empoisonnés par des eaux contaminées par l’arsenic de l’industrie minière, parce que dans ce désert se cristallise avec une intensité particulière un capitalisme extractiviste qui s’accompagne de façon consubstantielle de dégradations éco-humaines (Morales, Richard et Garcés, 2018). Dans ce désert meurent aujourd’hui, de manière presque anonyme, des migrants sans visa qui tentent d’arriver au Chili, un pays devenu un nouveau Nord à l’extrême sud du continent pour les migrants (majoritairement vénézuéliens) dont le seul moyen de transport est la marche (Stefoni et al., 2021 ; Verdejo, 2021).
Mines, machines, capitaux, télescopes, scientifiques, migrants, contrebande, transhumance et commerce se croisent, bifurquent, se heurtent ou entrent en friction dans cet espace aride qui cependant apparaît aussi comme une mer de sable paisible et immaculée. La combinaison de l’impassibilité lisse du désert multicolore et des traces de multiples violences fait de ce lieu un inquiétant paysage politique.
Le désert d’Atacama, au sud des Amériques, ouvre cet article comme la scène d’un prologue pour montrer que le désert de Sonora, au nord de l’Amérique latine, sur lequel je centrerai mon regard dans ce qui suit, est un site de mort et de disparition parmi d’autres. Il s’agit de déceler une dynamique générale tout en préservant la singularité des lieux vécus, parcourus, sentis et pressentis. Cette dynamique est ce que j’appellerai un lieu-assemblage d’une inquiétante étrangeté (« unheimlich » est le mot allemand utilisé par Freud). Avec Gieryn (2000), je distingue l’espace (construction abstraite et décontextualisée) du lieu (vécu, senti, touché). Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas passer de l’un à l’autre : du concret à l’abstrait et d’une carte à un souvenir incarné. Mais je pars ici des lieux vécus par les personnes que j’ai rencontrées et par moi-même, et c’est depuis cette position que je décris le désert de Sonora comme un assemblage (Dodier et Stavrianakis, 2018 ; Anderson et al., 2012), c’est-à-dire, un agencement d’entités hétérogènes. Composé de différents dispositifs de souveraineté politique et économique, de propriétés et d’appropriations de la terre, du sous-sol, des routes et des personnes, qui fonctionnent ensemble, sans avoir nécessairement des connexions organiques, cet agencement présente une stabilité dans le temps et une certaine consistance normative. Elle est fondée sur des normes et des codes légaux et illégaux dont la transgression est clairement sanctionnée par ceux qui détiennent le pouvoir, que ce soit l’État (mexicain ou étasunien selon le côté de la frontière où l’on se trouve) ou les chefs des mafias du côté mexicain.
Un immense pan de terre et d’histoire sépare le désert d’Atacama au Chili et le désert de Sonora à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, mais tous deux sont des paysages d’une beauté naturelle sublime et des lieux de morts et de disparitions massives tout à la fois (Melenotte, 2021). Taussig (1984) appelle cela des « espaces de mort ». Je choisis de les appeler lieux-assemblages d’une inquiétante étrangeté car ils peuvent être perçus et décrits comme des lieux doubles. Comme lorsque Freud (1988) prend peur en croyant voir un homme entrer soudainement dans la cabine de son train couchette avant de se rendre compte qu’il s’agit de son reflet dans un miroir, l’inquiétante étrangeté « implique souvent la hantise de la présence d’un “autre” expérimenté comme un “double” » (Muehlmann, 2020, p. 330).
Dans le cas du désert d’Atacama ou de Sonora, le double de chaque lieu fait partie du lieu lui-même. Beaux et touristiques, voire exotiques pour le visiteur, ces déserts sont, pour les habitants, des lieux familiers, toujours là, qui font partie de leur vie et de leurs souvenirs, comme la chaleur et le froid extrêmes qui décident de la manière de s’habiller, de manger, de se déplacer et de dormir. À l’opposé de cette familiarité, ces terres sont aussi des lieux de surveillance, de trafics multiples et variés, de danger, de mort et de disparition. Humains et non-humains y constituent un paysage politique qu’on peut bien appeler nécropolitique (Mbembe, 2006), une forme de souveraineté qui gouverne à partir de la production de la mort, physique ou sociale, et qui est fondée sur une hiérarchisation des vies.
Je décrirai ces lieux-assemblages en commençant par le désert de Sonora aux États-Unis dans l’État d’Arizona pour passer ensuite du côté mexicain dans l’État du Sonora. Cet ordre correspond au sens de mes propres traversées entre 2017 et 2019, lors de trois séjours de recherche et de volontariat de deux mois et demi chacun des deux côtés de ce désert.
Le désert de Sonora dans l’Arizona : entonnoir mortifère
Le désert s’étendant du Sonora à l’Arizona est aussi beau et violent que le désert d’Atacama. Aujourd’hui, il fait partie de la mégazone économique qui s’étend sur les deux États (Arizona et Sonora), où opèrent plus de 1 800 entreprises dont 140 mines (Sandoval, 2019). Ce désert, terre ancestrale du peuple Tohono O’odham, jouxte, du côté étasunien, le mur érigé pour contrôler la migration indésirable venant du sud. Un désert où vautours et scorpions cohabitent avec des emballages de Doritos (chips). Où des migrant.e.s sans visa parcourent de longues distances avec des guides, qu’on appelle coyotes et, dans le langage officiel, à présent qu’ils sont criminalisés, « passeurs ». Où de jeunes gens (appelés localement « points ») surveillent les territoires contrôlés par des groupes relevant de l’économie illégale. Où les burreros (mules) passent de la drogue dans de lourds sacs à dos, où les membres de la Border Patrol (police des frontières étasunienne), avec une haute technologie et des chiens, « protègent [le pays] des menaces terroristes, de l’immigration illégale et du trafic de drogues » (agent de la Border Patrol, dans un entretien réalisé par Paola Díaz et Maria Martínez à Tucson, 2017). À côté de tous ces acteurs et objets, il existe sur ce même territoire une population dense d’organisations humanitaires qui défendent les migrant.e.s vivants, morts et disparus (Díaz, 2020).
Ces terres, comme celles d’Atacama, se sont progressivement peuplées de restes humains et de personnes disparues. Je me concentrerai ici sur les personnes qui y sont mortes ou disparues ces vingt dernières années : des personnes en situation migratoire, pour la plupart, mexicaines et centraméricaines.
En septembre 2017, lors d’une enquête de terrain que j’ai réalisée à Tucson, nous nous sommes rendus à environ sept heures de cette ville, dans le désert, avec l’ONG Humane Borders/Fronteras Compasivas, pour remplir les bidons d’eau que cette organisation laisse sur les routes empruntées par les migrant.e.s.
Après quelques heures de route dans un véhicule à double traction climatisé, les volontaires, pour la plupart étasuniens, s’arrêtent devant une croix. En bois, elle a été soigneusement peinte en blanc et décorée de petits motifs. Devant celle-ci, les volontaires font acte de contrition, car c’est à cet emplacement qu’ils ont trouvé les restes d’une personne qui, selon eux, essayait très probablement de traverser la frontière.
Plus loin, on trouve quinze ou vingt autres croix, éparpillées sur le flanc d’une colline. Le bois a été marqué par le soleil, il est sombre et se fendille. Certaines croix sont à terre, d’autres sont brisées. Une volontaire nous dit : « Ici, il y avait une mine et on enterrait les mineurs dans le désert. » On ne sait pas si ces enterrements ont été organisés par les mineurs eux-mêmes ou par les patrons, mais on sait que la plupart des mineurs, au début du xxe siècle en Arizona, étaient mexicains, mexicano-américains et immigrés européens et qu’ils accomplissaient des tâches dangereuses dans des conditions de travail déplorables (Mellinger, 1992).
Dans l’histoire récente, le désert de Sonora, s’est peuplé de ces croix blanches. Elles sont réalisées par différents groupes d’activistes étasuniens, comme les Samaritans, No More Deaths et la Coalición de Derechos Humanos, qui chaque 1er novembre, jour de la commémoration des morts au Mexique, organisent une procession avec ces croix, certaines portant les noms des migrant.e.s mort.e.s dans le désert, d’autres sans inscription, dans l’attente qu’un nom soit rendu et une identité restituée aux mort.e.s.
Certains de ces restes humains anonymes, retrouvés dans le désert de Sonora, par des associations ou par la Border Patrol, arrivent au Pima County Office of the Medical Examiner (PCOME), la morgue cantonale située à Tucson, qui assure le service médico-légal des cantons situés au sud-est de l’État d’Arizona.
Le Dr Bruce Park4, ancien directeur du PCOME me dit que les restes de ce qu’il appelle en anglais les border crossers (migrant.e.s traversant le désert à pied) sont plus nombreux depuis 2001 :
« Je crois que c’était en 2001. Il y a eu quatorze personnes qui sont mortes en venant du Mexique, et elles ont toutes été amenées à la morgue (PCOME). Quatorze personnes d’un coup, c’était beaucoup. Une personne a survécu à la traversée de la frontière, mais elle est morte à l’hôpital. [...] C’était le premier indice que peut-être quelque chose était en train de se passer, le début de quelque chose. » (Dr Bruce Park, entretien réalisé à Tucson en 2017.)
En effet, en 2001, l’arrivée simultanée de ces quatorze personnes, qui ont pris alors le statut de « cadavres » ou de « restes humains », marque le commencement de « quelque chose ». Quelque chose qu’aujourd’hui, nous pouvons bien appeler la mort en masse de migrant.e.s.
Rétrospectivement, nous pouvons constater que 2001 est une année critique, qui a eu des répercussions à la fois planétaires et locales. Dans la partie du désert de Sonora s’étendant sur l’État d’Arizona, cette année a sonné le début du renforcement du contrôle militarisé de la frontière sud des États-Unis, transformant l’immigration depuis les pays du Sud global en une question de sécurité nationale. Cela, dans un pays dont le gouvernement entrait alors dans une nouvelle guerre contre le terrorisme après les attaques du 11 septembre 2001 (Cornelius, 2005).
Cette politique de frontière, déjà entamée au milieu des années 1990, est appelée « prevention through deterrence » (prévention par dissuasion) par les autorités étasuniennes (Cornelius, 2014). Ces dispositifs de contrôle migratoire rendent de plus en plus difficile la traversée de la frontière par les points urbains que les migrant.e.s utilisent depuis toujours, et ils provoquent ce que les chercheurs appellent un « funnel effect » (effet d’entonnoir) (Rubio-Goldsmith et al., 2006), un entonnoir qui oblige les migrants sans visa à traverser la frontière en empruntant des routes de plus en plus dangereuses où ils subissent également les effets mortifères de la surveillance technologique de la frontière (Chambers et al., 2019).
Des migrant.e.s comme Carolina (il s’agit d’un nom fictif), une jeune Guatémaltèque de 17 ans que j’ai rencontrée à la gare routière de Greyhound à Phoenix, en Arizona, à environ deux heures de Tucson, et qui me demande où nous sommes. Dans la salle d’attente de la gare routière, Carolina semble avoir très peur de me parler, mais elle en prend le risque parce que dans cette gare, nous devons changer de bus et elle ne sait pas lequel prendre. Comme moi, elle va à Los Angeles, où elle a de la famille. Elle me raconte que les coyotes l’ont laissée dans le bus à Tucson avec un billet pour Los Angeles, et qu’il lui a fallu quatre jours pour traverser le désert. Elle soulève son pantalon et me montre ses pieds et ses mollets enflés par le voyage. Elle ouvre son sac et me dit : « Voici les vêtements avec lesquels j’ai marché dans le désert, ils sont tous sales, je n’ai rien pu laver, j’étais dans une maison fermée à clé, ils m’ont seulement emmenée dehors pour prendre ce bus. » Carolina a survécu au voyage à travers le Mexique, au désert, à la soif, à la migra (Institut national de migration du Mexique, INM), aux groupes criminels, à la Border Patrol, aux animaux du désert, tous ces périls étant redoublés par sa condition de jeune femme. Avec Carolina, nous arrivons à Los Angeles le lendemain à 7 heures du matin (Cahier de terrain, septembre 2017).
Mais les personnes qui traversent ce désert à pied ne survivent pas toujours à ces épreuves et, parfois, marchent plus de quatre jours et se perdent dans ce désert où tout semble pareil, la terre, le ciel, les arbustes, le lit des fleuves asséchés. Elles sont retrouvées mortes, très souvent, dans un état de décomposition avancée. Ainsi les organisations humanitaires et les agents de l’État retrouvent des restes humains ou des os dispersés par les animaux et les éléments naturels (De León et Wells, 2015). La plupart de ces personnes disparaissent à jamais, quelque part dans ce désert.
Il est difficile de donner le nombre exact de personnes mortes et disparues sur ce territoire. Les statistiques, au départ inexistantes, se sont ensuite multipliées, mais avec différentes méthodes et divers objectifs (Díaz, 2020). Selon le décompte de la Border Patrol, entre 1998 et 2021, ses agents ont trouvé les restes de 8 878 personnes dans cette zone, et le PCOME a traité ceux de 3 359 personnes enregistrées comme border crossers entre 1990 et 2020 (Martinez, Reineke, Anderson et al., 2021).
Selon les estimations du Missing Migrant Projet mené par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), entre 2014 et 2020, 2 709 migrant.e.s seraient mort.e.s et/ou disparu.e.s, le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
À Tucson, la ville étasunienne la plus proche de cette route migratoire meurtrière, il existe un ensemble complexe d’ONG et de bénévoles qui recherchent les migrant.e.s perdu.e.s dans le désert (Aguilas del Desierto, Armadillos Binacional, No More Deaths). D’autres tentent de retrouver les disparu.e.s parmi les mort.e.s, en comparant les données ante-mortem fournies par les familles (Colibrí Center for Human Rights) avec les données post-mortem recueillies par le service médico-légal (PCOME).
La catégorie de disparu.e n’est pas très souvent utilisée par ces agents gouvernementaux et non-gouvernementaux. Le terme le plus répandu (Martinez et Díaz, 2020) est celui de missing (« manquant » ou « perdu ») et non celui de disappeared (« disparu »). Colibrí Center for Human Rights représente une exception, qu’il est important de signaler : cette organisation revendique l’utilisation du terme « disparu.e » à la fois pour les migrant.e.s non localisé.e.s et les restes sans nom, donc non-identifiés, en associant ce mot à l’histoire des disparitions politiques en Amérique latine. L’usage du mot disparu.e (disappeared) par cette organisation, devient un acte politique quand les activistes relient la mort et la disparition de migrant.e.s aux politiques migratoires et de frontière mises en place par les États-Unis. Cet usage de la catégorie « disparu.e » laisse entendre que la disparition n’est ni fortuite ni naturelle, mais que ce sont des décisions politiques qui font du désert un espace de disparition et de mort pour les personnes préalablement illégalisées (De Genova, 2005 ; Reineke, 2016 ; Schindel, 2019).
Des milliers d’histoires sont arrivées et continuent d’arriver chaque jour aux oreilles des volontaires de Colibrí qui, à Tucson, au téléphone ou derrière un ordinateur, écoutent les parents de migrant.e.s disparu.e.s. Ils écoutent des récits déchirants et tentent d’obtenir des informations précises sur la personne disparue et les circonstances de sa disparition, afin de compléter un dossier numérisé, en anglais, qui sera partagé avec le service médico-légal (PCOME) pour tenter de la retrouver parmi les restes humains enregistrés dans ce service.
L’une des voix qu’ils entendent est celle d’une femme originaire du Chiapas, dans le sud du Mexique, qui parle avec difficulté l’espagnol et qui cherche son fils, disparu alors qu’il essayait de traverser cette frontière du nord du pays :
« Aujourd’hui, il aurait vingt-huit ans, il a disparu alors qu’il n’en avait que quatorze. J’ai appelé le coyote, mais, ivre, l’homme m’a insultée et m’a dit qu’il n’était pas là pour s’occuper des mômes. Je ne perds pas espoir qu’un jour, il m’appelle. » (Cahier de terrain, Tucson, juillet 2019.)
La disparition de ce garçon de 14 ans s’est peut-être produite du côté américain de la frontière. Aux États-Unis, les mécanismes de contrôle des frontières sont le monopole de l’État, bien qu’il puisse y avoir des groupes civils armés qui s’attaquent aux migrant.e.s, comme les Minutemen, créés en 2005, ou les Vigilantes, qui tirent régulièrement sur les bidons d’eau que Humane Border distribue dans le désert. Néanmoins, ces groupes armés n’entrent pas en concurrence avec la souveraineté étatique qui s’exerce sur cette frontière. De plus, en Arizona, le cadastre est compatible avec les stratégies étatiques de contrôle des frontières (Mendoza, à paraître), car dans ce secteur frontalier, la propriété privée (ranchs) est minoritaire. Le reste du territoire comprend la réserve des indiens Tohono O’odham, des parcs naturels protégés, des réserves zoologiques et botaniques et un camp d’entraînement militaire (Barry M. Goldwater Air Force Range).
Comme nous le verrons dans ce qui suit, les acteurs en présence et le lieu-assemblage sont très différents du côté mexicain de cette frontière, et les façons de mourir et de disparaître beaucoup plus hétérogènes.
Le désert de Sonora au Mexique : trouver un crâne sur les terres d’un ranch
Comme les photos de promotion touristique d’Atacama, celles de la Réserve de biosphère El Pinacate et le Grand désert d’Altar, « merveille du Mexique » d’après la plaque que le gouvernement mexicain y a installée en août 2008, nous présentent un espace éblouissant qui nous invite à rêver. Et, comme à Atacama et en Arizona, cette « beauté exubérante » est aussi une « terre de sang » (Snyder, 2010) où s’accumulent les strates de violence : de la persécution et de la dépossession de la population autochtone (Gentry et al., 2019), à la ghettoïsation et au massacre d’immigré.e.s asiatiques (Gomez Izquierdo, 2019), en passant par la violence révolutionnaire du début du xxe siècle (Aguilar Camín, 2017) et la sanglante répression des ouvriers de la mine de Cananea en 1906, un an avant le massacre de Santa María de Iquique, au nord du Chili.
J’arrive à Altar, village mexicain situé à 116 km de la frontière avec les États-Unis, en août 2019, pour visiter le Centre communautaire de service aux migrant.e.s et aux nécessiteux (Centro comunitario de atención al migrante y el necesitado, CCAMYN).
Depuis les années 2000, le village de 7 000 habitants s’est transformé en un lieu de passage où se concentrent les migrant.e.s, notamment originaires d’Amérique centrale, avant de continuer leur chemin vers la frontière. Le CCAMYN est une organisation créée en 2001 par l’Église catholique. Ici les migrant.e.s peuvent se loger quelques jours, manger, recevoir une orientation psychologique, migratoire, et quelques soins de premiers secours, comme se faire désinfecter leurs ampoules aux pieds, ce qui est littéralement vital pour quelqu’un qui s’apprête à marcher dans le désert.
Mais tou.te.s les migrant.e.s ne parviennent pas à trouver refuge auprès de cette organisation (Cahier de terrain, Altar, 2019). Auparavant, ils et elles pouvaient louer une chambre chez l’habitant (casa de huéspedes). Aujourd’hui, la traversée à l’aide d’un coyote (ou pollero, « guide » ou « passeur ») est contrôlée par la mafia locale, et les migrant.e.s sont souvent enfermés dans ce qu’on appelle des « maisons de sécurité ». En fait, il s’agit de maisons gérées par la mafia, généralement clôturées de barbelés, où les migrant.e.s attendent de pouvoir traverser la frontière et où ils s’exposent à l’extorsion, à la torture ou à la séquestration (Mendoza, 2017 ; Cahier de terrain, 2019).
À mon arrivée à Altar, je revenais d’un autre terrain avec les différents groupes d’activistes en Arizona, qui se dévouaient tous « corps et âme » pour la défense des migrant.e.s en vie, morts ou disparus. Je demande au prêtre qui dirige ce centre communautaire s’il a entendu parler de migrant.e.s perdu.e.s dans le désert du côté mexicain. Il ne me dit rien, mais m’emmène visiter un ranch, non loin du village. Nous passons plusieurs heures, sous une chaleur écrasante de 50 °C, à manger et à boire du café, assis sur une terrasse pleine de plantes : une oasis dans le désert. Sur cette terrasse est exposé un crâne humain et, plus loin, celui d’un bovin. Après plusieurs heures, je demande au fils du propriétaire du ranch de me parler de ce crâne. Il me dit qu’un jour, il est parti loin sur les terres du ranch pour réparer les clôtures et qu’il y a trouvé un squelette dont il a récupéré le crâne, qu’il a placé là, à côté de ceux des vaches retrouvées mortes dans des zones reculées de la propriété. Je lui demande à qui ce crâne peut appartenir selon lui. Il me dit qu’il s’agit peut-être de celui d’un.e migrant.e :
« Beaucoup [de migrant.e.s] passent par cette partie du ranch et se perdent. On leur dit que la frontière est juste là, pas loin, mais ils se font avoir et ils meurent sans même passer de l’autre côté. » (Cahier de terrain, Altar, 2019.)
Ces restes humains n’ont jamais été signalés aux autorités par les propriétaires du ranch et aucune organisation humanitaire, aucun groupe de secours, aucune police n’a signalé ce squelette, ni ne l’a déposé auprès des services médico-légaux. Cette personne ne sera donc jamais enregistrée dans un dispositif de comptage des décès, des restes humains non identifiés, aucune tentative de prélèvement d’ADN ne sera faite, aucun numéro ne lui sera attribué. Du point de vue de l’économie morale des groupes humanitaires d’Arizona, où je venais de travailler, cela m’a paru, dans un premier temps, surprenant, mais en buvant un café sur cette terrasse, j’ai réalisé que personne ne s’étonnait (ou ne se montrait étonné) de voir le crâne de cette personne exposé sur la terrasse du ranch, à côté de crânes de vaches. Cet après-midi-là, ce crâne humain et cette histoire semblaient faire partie du paysage familier (la terrasse et notre moment de convivialité) et inquiétant à la fois (la mort rôdant tout près). Ainsi, la question de savoir pourquoi ces restes humains n’avaient pas été signalés ne pouvait pas être posée. Il était tacitement interdit de poser cette question, ce que je me devais de respecter, sans quoi j’aurais commis une « ethno-gaffe », c’est-à-dire provoqué une situation intenable pour les personnes présentes, c’est-à-dire, ruiné leurs efforts pour maintenir dans le brouillard différentes formes de violence.
Cela ne m’a pas empêchée de me poser plusieurs questions sans les énoncer : est-il courant de trouver des restes humains dans ces ranchs ? Est-il courant de ne pas les signaler ? Ou encore est-il courant de ne pas les signaler si l’on présume qu’il s’agit de migrant.e.s ? Peut-être le prêtre s’est-il posé lui aussi ces questions sans les énoncer.
Bien que cette histoire singulière ne puisse être généralisée, elle peut nous aider à réfléchir à la manière dont ces lieux, du côté mexicain, participent à la production de la mort et de la disparition dans un assemblage qui inclut une économie (il)légale et une situation politique différentes de celles de l’Arizona.
Est-il envisageable que cette famille propriétaire des terres et d’un bétail de haute qualité ait un accord avec les groupes criminels qui contrôlent le territoire (la plaza) puisque la route vers la frontière passe par leur ranch ? Que se passe-t-il si cet accord volontaire, ou sous contrainte, implique un échange d’argent, de sécurité et de silence ?
Et si, dans le cadre implicite de cet accord, amener la police ou le service médico-légal pour emporter des restes humains constitue quelque chose d’interdit, risquant d’attirer l’attention sur ce terrain ? Ou si, au contraire, cette famille n’a aucun accord avec aucune mafia locale mais sait, par expérience, qu’appeler les autorités – suspectées d’être corrompues – sur leur propriété n’apporte jamais rien de bon ? Peut-être encore la mort d’un inconnu n’est-elle finalement pas assez importante pour être signalée ?
Nombre de ces questions n’ont pas de réponse simple. À mon sens, cette situation spécifique invite à relier les morts et les disparitions survenues localement à des dynamiques plus globales de territorialisation dans ce désert frontalier pour tenter de comprendre comment le lieu (comme acteur social et politique) participe de la multiplicité des formes de mort et de disparition dans cette zone (Schindel, 2020). Cela veut dire que les agencements et enchevêtrements de pouvoirs politiques et économiques, légaux et illégaux, qui opèrent dans ce désert, comme la politique frontalière des États-Unis et le fait que certains territoires (plazas) appartiennent à des groupes criminels, font de ce lieu un espace où la mort et la disparition se (re)produisent.
Si nous observons ces lieux comme un territoire d’un point de vue étatico-centré, nous pourrions dire qu’il s’agit d’une large « zone grise » où deux types de souverainetés et d’économies fleurissent : légales et illégales, étatiques et non-étatiques. Mais, si nous décentrons le regard pour penser à des formes de pouvoirs hétérogènes et à leurs effets sur les sujets (DelVecchio Good et al., 2008), cette zone frontalière dans le désert de Sonora, gagne à être pensée en tenant compte de l’ambiguïté et de la complexité qui lui sont propres et pas comme un territoire déviant par rapport à la norme des États de droit (Slack et Campbell, 2016).
Ainsi ne se laisse-t-elle pas définir uniquement en négatif, comme une zone d’ombre au sein d’un État de droit, un espace d’exception, ni comme un no man’s land. Au contraire, de tels lieux sont régis par une surabondance de normes légales et illégales qui coexistent : titres de propriété, droits d’accès à l’eau, permis d’exploitation forestière et de pêche, concessions minières, droits exercés sur le sol par des groupes criminels propriétaires des plazas (Mendoza, à paraître).
Penser cette zone frontalière comme un lieu-assemblage implique de ne pas le considérer uniquement comme le contexte ou l’arrière-plan de la mort et de la disparition de personnes en grand nombre, mais comme un « agent » de la production et de la reproduction de la violence. Cela ne signifie pas l’attribution d’une agentivité autonome à la géographie, comme peuvent le faire certaines perspectives post-humanistes (Sundberg, 2011). Mon hypothèse est que ces lieux-assemblages « sont agis » par des pouvoirs politiques et économiques (politiques frontalières, migratoires, guerres contre les drogues, guerre entre groupes criminels, formes de propriété et d’appropriation de la terre, etc.), donc par des actions humaines organisées selon des normes qui font de ces lieux des agents de mort et de disparition.
À la différence du versant étasunien de cette frontière, le désert de Sonora du côté mexicain peut être défini comme un lieu socio-politique réticulaire (Deleuze, 1988). Le contrôle de la frontière n’est pas le monopole exclusif de l’État et les formes de propriété et d’appropriation du territoire sont beaucoup plus hétérogènes.
Mendoza (2017) indique que, durant les deux dernières décennies, au Sonora et plus spécifiquement dans le désert, s’est constitué ce qu’elle appelle un « nouveau régime territorial », dans lequel se juxtaposent la propriété collective de la terre (ejidos) avec de grandes propriétés latifundistes, la location de la terre par l’agro-industrie, les concessions d’exploitation minière et la propriété (au sens premier du terme) ou l’appropriation par des groupes criminels, de routes servant au trafic de drogue, de personnes, de ressources naturelles, etc. Dans cet article, j’ai appelé cet ensemble de normes, dispositifs et agents un assemblage pour souligner le caractère composite et non totalisé, ni tout à fait intégré, de certains de ses éléments – notamment différentes formes de souveraineté –, ce qui me semble être à l’origine de la production et de la reproduction de la mort comme de la disparition dans ce lieu.
En fait, au Sonora, le pouvoir de tuer ou de laisser vivre est exercé par les différents corps de la police et de l’armée ainsi que par la mafia. Celle-ci est composée de multiples groupes locaux, en lien plus ou moins étroit avec des organisations criminelles régionales (ou ce que l’on nomme des « cartels »), chacun ayant une armée de sicarios (tueurs à gages), véritables « travailleurs de la violence », c’est-à-dire la chair à canon du « crime autorisé » selon l’expression de l’avocat spécialiste de l’immigration Carlos Spector, qui veut signaler que, si la mise à mort et la disparition de personnes ne cesse de se (re)produire dans cette zone frontalière, c’est parce que les agents de l’État, et in fine l’État lui-même, le permettent, selon les convenances politiques et économiques qu’impose chaque situation ou moment (Arteaga, 2019).
Entre les acteurs qui composent les dispositifs souverains (étatique et mafieux, politique et économique) formant cet assemblage, les connexions sont sinueuses : ils peuvent conclure des accords ou entrer en conflit, voire en guerre ; ils peuvent collaborer ou devenir concurrents. Les relations existant sur ce territoire se présentent comme des plis (Deleuze, 1988), car il ne s’agit pas uniquement d’une compartimentation de ces lieux en différentes parties, mais de multiples interactions entre les différentes composantes de l’économie (il)légale, du pouvoir souverain étatique et du pouvoir mafieux. Dans ces plis se produisent, notamment depuis une décennie, la mort et la disparition en masse des travailleurs de la violence, de petits trafiquants de drogue locaux, de consommateurs de drogue, de citoyen.ne.s lambda et de migrant.e.s, tous pour la plupart jeunes. C’est dans ce sens que j’avance ici que ce lieu participe à la production de la violence ou est un agent de production de la violence.
Cette participation est certainement liée à l’action directe d’acteurs armés. Tantôt agents de l’État, tantôt machines de guerre des mafias, qui en confrontation ou en collusion, peuvent tuer ou faire disparaître le commerçant du coin ou le chef du groupe criminel ennemi, enlever une fille dans un marché en pleine journée ou kidnapper un garçon qui fait la fête, juste par erreur, ce qui ne lui épargnera pas la disparition (Cahier de terrain rassemblant 15 entretiens, 2020).
Mais cette participation du lieu dans la production de la mort et de la disparition résulte aussi de l’impunité due à la corruption des autorités locales, régionales ou nationales, notamment les représentants politiques, les corps de police et les procureurs. Les morts et les disparitions ne font que rarement l’objet d’enquêtes en bonne et due forme, quand les familles osent porter plainte (Colectivo Vs Impunidemia, 2020).
Le phénomène consistant à « ne pas voir, ne pas entendre, ne pas savoir », fréquent sous les dictatures du cône sud latino-américain (Calverio, 2004 ; Taussig, 1984), contribue également à la létalité de cet endroit. Comme sous ces régimes dictatoriaux, dans cette zone désertique du nord du Mexique, la terreur devient une forme de gestion des populations et s’installe dans les gestes quotidiens, chargés de silence, de crainte et de méfiance. Par peur, du fait des menaces ou des connivences entre les autorités politiques et les groupes mafieux, il arrive souvent que les habitants de villes et de villages au Sonora ne « puissent » voir ni les « maisons de sécurité » des groupes criminels ni les séquestrations, ils ne savent pas quel agent officiel travaille pour la mafia et ne signalent pas nécessairement aux autorités (auxquelles ils font rarement confiance) les restes humains qu’ils retrouvent parfois dans les champs, comme le squelette découvert par le fils du propriétaire du ranch, à Altar, dont le crâne est exposé sur la terrasse.
En guise de conclusion
« Le multiple, ce n’est pas seulement ce qui a beaucoup de parties, mais ce qui est plié de beaucoup de façons » (Deleuze, 1988, p. 5)
Dans ce texte, qui recueille une série d’observations ethnographiques, d’extraits d’entretiens et des données secondaires, j’ai voulu déplier certains plis du désert de Sonora à travers des descriptions et en faisant appel à la comparaison contrastive. Le désert d’Atacama, au sud de l’Amérique latine, témoin des violences du passé dictatorial, qui connaît aujourd’hui celles d’un désert-frontière et d’un désert minier, nous montre l’étendue temporelle et géographique de ces violences sur le continent. Le désert de Sonora au nord, en Arizona, où la frontière divisant le Sud du Nord prend la forme concrète de murs, d’un corps policier spécifique et d’une haute technologie de surveillance, montre que ces lieux dits « naturels » sont saturés de souveraineté étatique, que ses agents exercent à travers leurs tâches quotidiennes d’arrestation de migrants, de saisie d’un certain nombre de produits issus du trafic (drogue, armes, combustibles, etc.) et, quand ils en croisent sur leur chemin, le ramassage de restes humains. Du côté du Mexique, le désert de Sonora garde la mémoire d’anciennes violences, comme Atacama, mais ne peut compter sur la technologie de pointe de son voisin du nord, dont les prothèses visuelles perfectionnées s’arrêtent à la frontière (Chambers et al., 2019). Cela ne veut pas dire que, du côté mexicain, il n’y ait pas de surveillance. Comme je l’ai noté, l’État est bien présent, comme les yeux des mafias locales qui postent ici ou là des enfants et des adolescentes pour surveiller leurs domaines. Ainsi, au Mexique, le désert de Sonora n’est pas organisé, de façon prédominante, par la souveraineté étatique. Il est, peut-être plus que celui d’Atacama et qu’en Arizona, un site pouvant se décrire par la notion d’assemblage, par l’agencement de différentes souverainetés (étatique et criminelles) et de pouvoirs s’exerçant de facto à travers la puissance économique (principalement celle des mines et de l’agro-industrie), ou encore la puissance de feu des militaires et des armées criminelles.
J’ai souligné le fait que la mort et la disparition en masse de mexicain.e.s et de migrant.e.s dans ce lieu-assemblage se produit dans les plis complexes de ces souverainetés, obéissant à des intérêts politiques et économiques, légaux et illégaux, dans une impunité presque totale.
C’est ainsi que, lorsqu’il n’y pas de guerre ouverte, comme celle qui a frappé les villes et villages où j’ai fait ces terrains durant toute l’année 2020, la vie tente de se dérouler normalement : on rentre du base-ball sans regarder les morts parsemés sur le chemin, et on oublie vite, pour continuer à travailler, faire les courses, emmener les enfants à l’école, aller à l’église, au bar ou jouer sur la place (Entretiens menés auprès d’habitants de Caborca, 2020). L’ordinaire de la vie quotidienne et l’extraordinaire de la violence extrême se côtoient, l’un est l’envers de l’autre, faisant de ces lieux des paysages d’une inquiétante étrangeté.