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Présentation

Laure Garrabé
décembre 2012

Index   

1Pour son premier numéro, Cultures-Kairós s’intéresse à une pratique en particulier et dans une perspective plutôt monographique – en soulevant des questions de genre, politiques, institutionnelles, sociales, stylistiques et historiques – précisément parce qu’elle exige une approche englobante et traduit la diversité des enjeux au cœur d’une anthropologie de l’esthétique : la capoeira.

2Les contributions composant ce premier Théma expriment un ensemble de tensions en jeu dans l’actualité politique brésilienne, mais aussi et surtout, des tensions qui produisent et révèlent ses manières de s’en distancier ou d'en disqualifier les mécanismes. Elles montrent que ces tensions lui sont d’une part constitutives et structurelles depuis sa formation au Brésil, notamment à partir de ses partages africains et brésiliens – parfois irréconciliables et lourds d’une violence insidieuse, souvent atténuée du brillant habit du spectacle ou de la solidarité et de la communauté de valeurs –, et confirment, d’autre part, une complexité trop souvent réduite à ses binarismes explicites : noir/blanc, africain/brésilien, tradition/modernité, homme/femme, salle d’entraînement/lieu de création, académie/famille, espace fermé/la rue, Brésil/l’Étranger, discours populaire/discours académique, nationalisme/traditionalisme, préservation/dynamique, l’imaginaire rural/la réalité urbaine etc. C’est-à-dire, des polarités toutes savamment emboîtées dans le couple infernal capoeira angola/capoeira regional et qui l’édifient en « deux » mondes.

3Pour traiter les enjeux d’une contemporanéité et d’une réalité mouvantes et polyphoniques, des perspectives historique, folklorique et patrimoniale précèdent des analyses ethnographiques dans des contextes ou à partir de points de vue traditionnellement inattendus dans les approches des capoeiras : une ville brésilienne « blanche », un groupe français, l’examen de ses éventuelles racines angolaises, le point de vue émique depuis l’institution patrimoniale, celui des capoeiristes dans ce dialogue institutionnel, une archéologie de sa genèse iconographique – toujours pérenne dans les imaginaires – conforme à sa genèse folklorique, une politique de ses cosmologies « africaines ».

4Pour dépolariser les tendances national-brésilianistes et afrocentriques de l’analyse du débat sur l’origine de la capoeira, Matthias Röhrig Assunção propose d’observer, et ce de manière inédite, sa formation en tant que processus de créolisation. Il montre que la pratique s’est construite en tant que telle au Brésil mais à partir d’une combinaison de codes et d’arts de faire passés ou actuellement présents dans diverses formes dansées et jeux de combat de l’Angola contemporain. À partir des écrits ethnographiques d’Édison Carneiro dont elle met en évidence les pratiques sélectives orientées vers sa « préservation », Lygia Segala examine une dimension du processus de folklorisation de la capoeira angola, qu’elle rapproche des mises en scène photographiques de Marcel Gautherot, ayant contribué, elles aussi, à sa fixation symbolique et matérielle. Vivian Fonseca et Luiz Renato Vieira nous plongent au cœur de la complexité du processus du registre patrimonial de la capoeira selon et depuis le Ministère de la Culture brésilien, après avoir ré-historicisé son appréhension par les organes gouvernementaux depuis la période républicaine. Simone Pondé Vassallo fait une autre lecture du même registre patrimonial en exposant certains mécanismes institutionnels selon lesquels l’écoute donnée à la parole de ses principaux acteurs, les capoeiristes, et la promesse d’actions consécutives, sont dissonantes, discordantes ou toujours attendues. Renata de Lima Silva, José Luiz Cirqueira Falcão et Cleber Dias reviennent sur les constructions et les conceptions foncièrement binaires de la capoeira (discours populaire comme expression contemporaine d’une ancestralité africaine vs discours académique comme manifestation urbaine et moderne codifiée au XXè siècle) et les déconstruisent à partir d’une observation de la ritualisation et des codifications de la capoeira angola. Ces dernières prolongeraient et condenseraient la « vérité » des discours traditionnalistes, autrement dit, le sensible est identifié ici comme étant au service de la tradition. À partir d’une ethnographie d’un groupe de capoeira dite « de rua » dans une ville « blanche » du sud du Brésil, Lucrecia Greco montre comment les structures traditionnelles de genre, de race, d’ethnicité et de classe sociale de la capoeira sont redéfinies en fonction du positionnement des membres du groupe. D’autre part, elle montre comment celui-ci met à profit ces redéfinitions dans des politiques publiques au service du social, en tentant d’extirper la substance marginale de la capoeira, laquelle résiderait dans la malandragem. Ensuite, à travers les modes d’appropriation de la pratique et des discours de la capoeira angola d’un groupe à Lyon (France), Celso de Brito et Bernardo Lewgoy montrent que le phénomène de globalisation et de transnationalisation de la capoeira angola ne l’uniformise pas pour autant ni ne supprime les singularités locales de son expression, de ses imaginaires et de ses discours. Enfin, Marco Antonio Sarreta Poglia rapporte les discours relatifs aux cosmologies africaines issues de son terrain dans l’école Africanamente (Porto Alegre, RS) et tente, à partir de leurs constructions, d’en ex-primer une cosmo-logique de la politique (une « cosmopolitique ») angoleira, établie en particulier non sur une transcendance mais sur son inventivité et ses matérialités concrètes.

5Propositionnelles pour la plupart d’entre elles, ces contributions ébauchent également quelques enjeux méthodologiques qui tiennent dans l’expérience simultanée du chercheur capoeiriste, où les préférences sensibles (musicales, de style, de jeu, d’« école », d’imaginaires etc.) inclinent le pratiquant à sélectionner un prisme épistémologique et méthodologique. Que ce prisme, dans son approche, le mène vers une idéologisation est certain, que celle-ci le rende aveugle l’est moins.

6Ces textes affirment l’impossibilité d’une approche simplificatrice de la capoeira, enfermée dans des stéréotypes déjà sédimentés et qui circulent de par le monde. Ils la rendent définitivement plurielle. Ils se révèle, par là, une réflexion polyrythmique qui ne vaut que pour son actualité. Un état des lieux contextualisé mais dont la situation ne promet aucune direction particulière. Sinon un sentiment d’imprédictibilité à l’approche de confluences et de leurs divisions en branchements.

Citation   

Laure Garrabé, «Présentation», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Les numéros, mis à  jour le : 17/12/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=602.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Laure Garrabé

Laure Garrabé (Universidade Federal de Santa Maria, MSH Paris Nord)