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(In)visibilité de la prothèse de membre et valeurs d’usage : de l’outil fantôme à l’accessoire cyborgique

Valentine Gourinat
septembre 2019

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.1835

Résumés   

Résumé

Cet article propose d’analyser l’apport non-fonctionnel que peuvent avoir les dispositifs prothétiques dans la vie des personnes amputées. Dans le champ de la réadaptation, une prothèse est communément conçue comme un outil dont l’efficacité fonctionnelle est la valeur première. Son efficacité symbolique n’est que rarement prise en compte et sa valeur esthétique est bien souvent sous-estimée. L’objectif de cette contribution est de montrer que l’apparence esthétique d’une prothèse est une valeur d’usage de premier ordre dans le processus de réadaptation fonctionnelle, identitaire et sociale. Par son efficacité symbolique réelle, la prothèse peut être en soi un obstacle ou un facilitateur d’acceptation de soi et de participation sociale. À travers quelques exemples anthropologiques, nous mettrons en lumière l’importance fondamentale de l’apparence de la prothèse, le sens que les individus concernés lui donnent (à travers les dynamiques de passing, d’empowerment, etc.), et les conséquences qu’elle peut avoir sur l’identité sociale de la personne amputée (stigmatisation, acceptation de soi, etc.).

Abstract

This article proposes to analyse the non-functional benefits of prosthetic devices in the amputees’ daily life. In the field of rehabilitation, a prosthesis is commonly designed as a tool, and its functional efficiency is considered as the primary value. Its symbolic efficiency is rarely taken into account and its aesthetic value is often underestimated. The aim of this contribution is to point out the aesthetic appearance of a prosthesis as a key use value in the functional, identity and social rehabilitation process. Through its very symbolic effectiveness, the prosthesis can be in itself a barrier or facilitator for self-acceptance and social participation. By means of some anthropological examples, we will highlight the fundamental importance of the prosthesis device’s appearance, but also the meaning that the individuals give to it (through dynamics of passing, empowerment, etc.), and the consequences it can have on the amputees’ social identity (stigmatization, se-f acceptance, etc.).

Index   

Texte intégral   

Introduction

1On a longtemps défini et abordé la prothèse de membre sous l’angle de l’usage moteur, parce que ce dispositif était conçu pour « réparer » le corps, pour l’appuyer et l’aider à agir malgré la mutilation et le handicap, et rares sont les travaux abordant la dimension symbolique ou identitaire de l’appareillage prothétique (Capitan Camañes, 2000 ; Murray, 2005, 2009 ; Schairer, 2014 ; Jefferies et al., 2018). L’histoire de la réadaptation, à travers son ancrage puissant dans le monde médical, mais aussi les chronologies martiales, a constamment cherché à réparer des corps brisés afin de les rendre à nouveau fonctionnels et agissants, notamment pour garantir un retour au travail et une participation à l’effort collectif (Fourny, 2011). Selon ces perspectives, une prothèse de membre serait donc avant toute chose un outil de réparation du corps, qui a pour visée un retour à l’action, un recouvrement de la motricité. C’est en tout cas ainsi que la compréhension commune, s’appuyant sur l’histoire prothétique et sur le cadre de la pratique médicale et réadaptative, a admis la chose jusqu’ici (les prothèses de membre sont avant tout prescrites dans le cadre d’un retour à la mobilité, elles se doivent donc d’être utiles et utilisables), suivant un paradigme collectif de remise en fonction des corps blessés (Stiker, 2013). Mais il nous semble pourtant qu’il existe une autre dimension fondamentale de l’usage prothétique, moins évidente, car hors du projet médico-social de rééducation fonctionnelle du corps. Cette dimension d’usage, c’est celle de l’image corporelle, du « jeu des apparences » (Pasquier, 2003) qu’un individu amputé appareillé peut mettre en place face aux contraintes normatives corporelles, dans le cadre des interactions qu’il pourra avoir avec le reste de la population. La présente contribution souhaite ainsi mettre en lumière le fait qu’une prothèse ne se contente pas de se substituer du point de vue moteur à un membre physique disparu, elle se substitue aussi à tout ou partie de ses enjeux perdus : elle ne fait pas que remplacer physiquement ou fonctionnellement, elle remplace aussi symboliquement et socialement.

L’esthétique prothétique : une valeur superflue ?

2Cet article a pour objectif de questionner les aspects visuel et esthétique de l’usage des prothèses de membre. Leur dimension d’usage fonctionnelle n’est plus à démontrer, mais leur apport symbolique reste encore trop peu pris en considération, en témoigne par exemple la réticence des institutions administratives à rembourser les dispositifs esthétiques non-fonctionnels (gants de main prothétique anatomo-réalistes, pieds prothétiques avec orteils réalistes, etc.), l’apparence de la prothèse étant considérée encore à ce jour comme une valeur superflue dans le cadre de la prise en charge de ces appareillages1. Cependant, il semblerait qu’au travers de la médiatisation récente de plus en plus forte et marquée de personnes amputées et de dispositifs prothétiques contemporains, cette valeur d’apparence soit plus fortement mise en avant, et influence petit à petit les amputés eux-mêmes dans leur stratégie d’appareillage et l’appréhension de leur situation. Un nombre progressif d’entreprises de customisation et de décoration de prothèses2 commence ainsi à apparaître dans le monde, et leur succès s’accroit d’année en année, la demande semblant de plus en plus forte du côté des usagers. Partant de ce constat, nous tenterons dans les lignes qui suivent de comprendre dans quelle mesure l’apparence d’une prothèse (qu’elle soit visible ou invisible) peut être considérée comme une valeur d’usage à part entière pour la personne amputée, et dans quelle mesure elle peut influencer l’utilité et l’acceptation des dispositifs prothétiques par leur porteur, notamment dans le cadre de ses interactions avec le reste de la société. Cette réflexion s’intéressant à la dimension symbolique et aux usages interactionnels et situés que la prothèse peut offrir dans la démarche d’ajustement de l’identité sociale individuelle, notre grille de lecture s’inscrit ici dans la tradition de l’interactionnisme symbolique (Le Breton, 2012 ; Riutord, 2014, p. 263-301), à travers la prise en compte de l’ « efficacité symbolique » d’un phénomène ainsi que du sens et des valeurs que les individus lui attribuent. Nous nous appuierons ici notamment sur les travaux d’Erving Goffman, tout particulièrement à travers les concepts d’identité réelle et d’identité virtuelle et leur dynamique dialectique au sein l’interaction sociale (Goffman, 1975). Notre cadre de lecture et de compréhension du handicap se réfère quant à lui à Patrick Fougeyrollas et sa notion de « Processus de Production du Handicap » (Fougeyrollas, 1998). Celle-ci nous semble la plus pertinente dans l’analyse des vécus spécifiques et relatifs de chaque situation de handicap, car elle est la seule à prendre en compte les habitudes de vie et le sens que leur donnent les personnes concernées, et propose une vision dynamique et interactionnelle des multiples facteurs en présence (personnels, environnementaux, situationnels, etc.) dans les situations de handicap.

3Nous effectuerons tout d’abord, à travers un exemple médiatique récent, une déconstruction de la hiérarchie classique entre fonctionnalité et esthétique, en suggérant qu’une prothèse inutilisable n’est pas fatalement inutile, et qu’inversement, une prothèse utilisable n’est pas nécessairement utile. Dans un second temps, nous décrypterons l’importance fondamentale et l’impact que la question esthétique peut avoir sur le processus de reconstruction et de redéfinition identitaire de la personne amputée, en analysant dans une perspective goffmanienne les dynamiques de stratégie d’acceptation et de mise en scène de soi au travers de l’apparence de la prothèse, à travers la présentation de deux dynamiques opposées et complémentaires : « l’outil fantôme » d’une part et « l’accessoire-cyborgique » d’autre part. Il s’agira tout au long de cet argumentaire de renforcer le poids de l’apparence de la prothèse face au monopole de la (non moins importante) fonctionnalité motrice dans l’estimation de la valeur d’usage de l’appareillage prothétique.

4Le matériel anthropologique présenté dans cet article provient d’observations participantes menées dans deux centres de réadaptation fonctionnelle et d’appareillage français, l’une dans le cadre d’une recherche en éthique autour des processus d’intégration des dispositifs prothétiques au sein du corps et de l’identité des personnes amputées3, effectuée dans un centre de réadaptation alsacien en 2010 (c’est-à-dire avant la mise en exergue des possibilités de visibilité de matériel prothétique décoré ou personnalisé, et la médiatisation progressive de figures amputées fortes et inspirantes), l’autre dans le cadre d’une recherche doctorale autour des représentations collectives du corps amputé appareillé4, effectuée dans un centre d’appareillage en région parisienne en 2016. Il s’est agi dans les deux cas de suivre les différentes étapes du parcours de réadaptation (consultations médicales, de soins et d’appareillage, fabrication et ajustement des dispositifs par les professionnels, réunions d’équipes, temps de repos en chambre ou de sociabilités dans les espaces collectifs, etc.), en interagissant librement avec les patients et les soignants volontaires. Ces observations ont été complétées par plusieurs entretiens libres et/ou semi-directifs menés avec des personnes amputées appareillées, rencontrées par le biais des équipes médicales ou des associations de patients. Ces entretiens ont eu lieu en centre de réadaptation (pour les personnes ayant été contactées dans le cadre de leur parcours de réadaptation), ou dans un lieu de leur choix (domicile, café, etc., pour les personnes ayant été contactées via les associations d’usagers). Une série d’entretiens aura été conduite entre 2010 et 2016, auprès d’une population de 23 hommes et 13 femmes, âgés de 23 à 85 ans, de milieux sociaux divers, dont l’ancienneté de l’amputation allait de 2 mois à 55 ans, survenue pour des raisons de tout ordre (causes vasculaires, traumatiques, cancéreuses, infectieuses, congénitales, etc.), et portant différents types de prothèses (passives, esthétiques, myolélectriques, etc.). Notre enquête portant sur la variété des représentations et expériences corporelles, nous avons tenu à ce que la variété des situations et profils d’interlocuteurs soit la plus complète possible, avec l’aide des médecins et des associations, qui ont ainsi pu nous diriger vers des situations et profils plus rares et difficilement accessibles (amputations multiples ou de très haut niveau, agénésies, prothèses de haute technologie, etc.). Les autres matériaux anthropologiques présentés ici seront des extraits de témoignages issus de documents médiatiques publics (documentaires vidéos et témoignages de satisfaction de particuliers notamment).

De l’inutilité d’une prothèse efficace à l’utilité d’une prothèse inefficace : James Young et le Phantom Limb Project 

5Afin de bien saisir les contradictions qui peuvent exister entre l’efficacité motrice d’une prothèse et son efficacité symbolique, nous utiliserons ici un cas de figure célèbre qui nous semble tout à fait éloquent et parfaitement illustratif de la tension existant entre représentation et usage. Un jeune Britannique nommé James Young, eut l’occasion de faire la une des médias internationaux en 2016. Âgé de 22 ans, le jeune homme est amputé de la jambe et du bras gauches à la suite d’un accident de train. Insatisfait de ses prothèses, qu’il trouve « hideuses et très voyantes5 » en plus d’être « inconfortables » et difficiles à utiliser, il découvre quelques années plus tard une annonce émise par The Alternative Limb Project, une entreprise spécialisée dans la création de prothèses spectaculaires, qui cherche alors un amputé prêt à s’inscrire dans le cadre d’un projet en court, intitulé Phantom Limb Project6. Dans le cadre de ce partenariat, on proposera à James Young de bénéficier d’une prothèse futuriste inspirée du jeu vidéo Metal Gear Solid7. Cette collaboration est mise en place dans le cadre de la promotion du jeu, aussi elle sera construite de sorte à constituer un produit médiatique. En ce sens, James Young sera interviewé dans la presse et fera l’objet de plusieurs reportages vidéos, dont un documentaire de la BBC3 intitulé Bodyhack : Metal Gear Man8. Les portraits faits dans la presse du jeune homme et surtout de sa prothèse sont spectaculaires et dithyrambiques, et l’on constate notamment que la mise en récit se focalise sur son apparence futuriste et sur les merveilles de technologies proposées au sein de ce dispositif étonnant : port USB, montre connectée, laser de poche, et même drone fonctionnel fourni avec sa plateforme d’atterrissage. Tout le récit construit dans le champ médiatique tourne ainsi autour d’une valorisation technologique du dispositif prothétique et de la dimension « cyborgique » de la nouvelle identité du jeune amputé.

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Images promotionnelles du Phantom Limb Project, mettant en scène James Young et sa prothèse Konami (© Omkaar Kotedia | Aternative Limb Project, 2016)

6On se trouve ici dans une construction discursive et médiatique évoquant les caractéristiques du storytelling : un drame personnel (l’accident), une rencontre décisive (avec la société Konami et The Alternative Limb Project), et enfin un dénouement heureux grâce à un produit miraculeux (une nouvelle vie grâce à la prothèse futuriste). Cependant, en analysant de façon plus attentive le contenu des propos de James Young ainsi que ses attitudes et expressions corporelles au cours des documentaires dont il a fait l’objet, on se rend compte que la valeur d’usage de son appareillage semble proportionnellement inverse à sa valeur spectaculaire, et que la résolution miraculeuse supposément apportée par l’objet n’est pas si évidente qu’annoncée. Au cours du reportage, après l’effervescence de la découverte et l’essayage du dispositif9, le jeune amputé fait part de son sentiment face caméra et il dit ceci :

The arm... It’s not ready. It’s been forced to the public eyes. And it’s just... not even ready yet. I mean it needs to take its first steps but... it can’t walk. It can’t even crawl ! (…) I was thinking this arm was gonna move me on... a kind of... accepting my disability. And the whole thing about designing one that represents a bit of my personality is that I have control. It’s something I’ve got control over. But now, when I put this on... I don’t have control, literally, I don’t control it. And so it’s been a bit like a step back. And it just makes me go “oh...”, like, I’m still powerless10.

7Cette déception est très intéressante, car le dispositif fut présenté dans la presse (avant la diffusion du reportage) comme une merveille qui allait changer la vie de son porteur. Or, on réalise en écoutant les mots de son usager que non seulement elle n’est pas fonctionnelle, mais qu’elle ne l’a pas non plus aidé à avancer du point de vue identitaire, il précise même qu’il a le sentiment d’avoir reculé sur ce point. Il semble ainsi évident que l’effet que le dispositif a eu sur son porteur n’était pas à la hauteur de ses attentes. Un point supplémentaire qui nous semble particulièrement intéressant à relever autour de ce cas se rapporte à un autre documentaire de la BBC intitulé « Can Robots Love Us »11 au sein duquel James Young participe en tant que présentateur. S’agissant d’un documentaire sur les relations homme-robot, on peut supposer que c’est sur la base de son appareillage robotisé et de sa réputation de « cyborg » que le jeune homme endosse ce rôle de maitre de cérémonie (comme ce fut le cas auparavant pour Bertolt Meyer, un autre amputé appareillé sollicité comme présentateur dans le cadre d’un documentaire sur l’« homme bionique »12). Le document s’ouvre d’ailleurs sur une mise en scène de son appareillage et un court résumé de son récit de vie. Cependant, en allant plus avant dans la vidéo, il est tout à fait frappant de remarquer que c’est finalement sans sa prothèse que Young apparaitra le plus souvent à l’écran, agissant et évoluant dans son environnement habituel sans aucun appareillage du bras. La valeur fonctionnelle de sa prothèse semble donc aux antipodes de ce que le récit public mis en scène dans le cadre de ce projet a bien voulu faire croire dans le cas de ce jeune homme : « the synthetic limb is likely to be life-changing, both in terms of its functionality and the levels of attention it will bring13 ». Précisément, ce dernier semble n’avoir ni besoin ni même envie d’utiliser sa prothèse dans les situations et actions habituelles qui régissent son quotidien. On se rend d’autant plus compte de cela en constatant que la prothèse n’est presque jamais présente sur les images que James Young poste régulièrement de lui sur ses réseaux sociaux. Ce n’est pas anodin.

8Cette prothèse visiblement inutilisée est-elle pour autant inutile ? La question peut se poser, car une prothèse est avant tout un outil corporel, et dans les circuits de soins, elle est essentiellement évaluée au travers de sa capacité à fonctionner et à faire agir son porteur (actions généralement liées à une forme d’effectivité motrice ou haptique). La prothèse de James Young semblant en tout état de fait très peu fonctionnelle, voire pas du tout, peut-elle être alors considérée comme utile, comme efficace, comme ayant une valeur d’usage, alors même qu’elle ne sert pas à agir le corps ? Dévions un peu la question afin d’en élargir le cadre : si cette prothèse « inutilisable » n’a pas changé les actions du quotidien de son porteur, n’a-t-elle pas pour autant changé son quotidien lui-même, comme le promettaient les porteurs de ce projet « Phantom Limb » ? Il semblerait que ce soit bien le cas, puisqu’elle lui a permis par le biais de sa médiatisation de reprendre confiance en lui, de rencontrer d’autres personnes amputées, de se sentir intégré dans une communauté, de construire des projets. En effet, plus loin dans le reportage, on verra qu’il commencera à apprivoiser son dispositif et à l’accepter plus facilement après avoir rencontré d’autres personnes amputées appareillées et avoir échangé avec elles, se sentant ainsi appartenir à une communauté. En d’autres termes, elle lui a permis de se construire une nouvelle vie avec enthousiasme et confiance. S’il n’utilise plus ou peu sa prothèse, elle lui a cependant permis d’ouvrir toutes ces portes identitaires et de lui donner l’assurance et les moyens de se réaliser dans la direction de son choix. Il ne s’en sert peut-être pas pour ses actions de vie habituelles, mais elle a tout de même acquis une valeur propre, comme une sorte de carte de visite, un étendard identitaire.

9Il nous semble ainsi que la problématique et l’analyse de la valeur d’usage prothétique doivent être quelque peu repensées. L’argument que nous souhaitons développer ici avance que la valeur d’usage d’une prothèse de membre n’est d’une part pas uniquement fonctionnelle, et que d’autre part elle ne dépend pas de la fréquence d’usage au quotidien. Il nous est en effet apparu au travers de nos observations de terrain que l’intérêt et l’usage d’une prothèse ne sont dans certains cas pas simplement (voire pas du tout) liés à la motricité ou à la fonctionnalité, et qu’ils ne se manifestent pas de façon automatique ni constante au quotidien. Afin d’illustrer cette hypothèse par un exemple complémentaire au précédent, nous proposons ici un autre cas de figure, qui remet quant à lui en question l’utilité inhérente de dispositifs fonctionnels et efficaces.

10Lors d’un séjour d’observation en centre de réadaptation mené dans le cadre d’une recherche doctorale autour des représentations du corps amputé appareillé14, nous avons assisté à une scène tout à fait étonnante, qui doit pouvoir nous aider à comprendre cette tension entre la nécessité motrice, la dimension identitaire et la valeur d’usage du dispositif. En service d’ergothérapie, un patient vient pour vérifier sa prothèse myoélectrique I-Limb, l’un des modèles alors les plus élaborés en prescription, que l’entreprise Touch Bionics lui a laissé en essai pendant deux semaines (c’est le protocole habituel dans ce genre de prescription, eu égard au prix de telles prothèses). Il doit faire le point avec l’ergothérapeute, afin de déterminer s’il peut conserver cette prothèse pour la suite ou s’il faut envisager une autre solution d’appareillage. Le patient arrive à contrôler et manier parfaitement son dispositif, mais nous indique tout de suite ne pas être satisfait de l’esthétique de son gant, qu’il ne trouve pas assez naturel, trop grossier, et que pour cette raison, il a cessé d’utiliser sa prothèse en extérieur. L’ergothérapeute lui indique que c’est un problème, car la prothèse est surtout là pour l’aider à l’extérieur de chez lui, là où il n’a pas ses repères et outils habituels. S’en suit le dialogue suivant :

Miroslav : Oui, mais je ne peux pas sortir avec ça ! (désignant le gant prothétique) Ça, c’est horrible. Je ne veux pas.

Ergothérapeute : Qu’est-ce qui vous déplait exactement  ?

Miroslav : Là, ça fait des bosses, c’est pas beau  ! C’est horrible. (il montre ses doigts et son poignet. Le gant fait effectivement des bourrelets quand il bouge ses articulations)

Ergothérapeute : Je comprends, mais on n’a pas le choix, ce sont des endroits fragiles, et si on ne met pas un gant épais, ça finit par se déchirer. C’est pour éviter de se déchirer, le gant est renforcé, donc il semble plus grossier. C’est pour une meilleure solidité, même si je suis d’accord que c’est moins esthétique.

Miroslav : Les ongles là aussi, c’est pas beau. Ça fait pas naturel. C’est quoi ça  ? J’aime pas moi, je veux pas la mettre dehors.

Ergothérapeute : Oui, je sais, ça pourrait être plus détaillé, mais dans ce cas c’est plus cher et ce n’est pas remboursé... On ne peut pas avoir mieux pour l’instant, je suis désolée...

Miroslav : (...) C’est la prothèse parfaite, elle fait tout, mais ça, ce gant, ce n’est pas possible, la prothèse ne sert plus à rien  ! Les gants c’est vraiment important15.

11À la lumière de cet exemple, on comprend combien une prothèse parfaitement fonctionnelle, adaptée au cadre d’action de l’usager et considérée explicitement comme étant « utile » par ce dernier, peut dans le même temps voir son utilité être brutalement neutralisée en raison d’une esthétique déficiente. Cette prothèse fonctionnelle, parce qu’elle ne convient pas à son porteur en termes d’apparence, se trouve ici totalement inutile/dysfonctionnelle, puisqu’il en vient à ne plus vouloir la porter.

La prothèse comme « outil fantôme » : passing, jeu des apparences, et reconstruction de soi face au stigmate du corps amputé

12Il nous apparaît donc essentiel de bien saisir à quel point la question esthétique est loin d’être une valeur d’usage superficielle dans le cadre de la réadaptation fonctionnelle et de l’appareillage prothétique. Elle est même centrale pour bien des usagers. À travers la perte d’un membre, c’est toute la configuration corporelle qui est engagée dans le changement brutal que subit la personne amputée. Une brisure de l’image de soi est souvent la conséquence de cette mutilation brutale qui ne se contente pas d’abimer le corps : elle le reconfigure totalement. La reconstruction progressive de l’image du corps amputé passe donc par la prothèse à plusieurs égards. Au-delà de l’apparence de l’objet-prothèse en lui-même, l’appareillage permet avant tout à la silhouette de retrouver une intégrité perdue en comblant le vide laissé par le membre amputé, et de masquer la situation de handicap en permettant à la personne d’agir comme si elle était valide (en se tenant debout par exemple, en reproduisant le mouvement naturel du bras lors de la marche, etc.).

Geneviève : Pendant longtemps j’ai eu des prothèses, ben d’une part c’était pas mou, il y avait quelque chose de très rigide, il y avait pas d’articulation non plus, au niveau de la cheville, ça c’était les toutes premières, après il y a peut-être eu les articulations, et maintenant c’est restitution d’énergie au niveau du pied, donc, voilà quoi, la marche est beaucoup plus fluide, ça c’est évident. Ça, ça contribue aussi [à mon acceptation]. Et maintenant, par rapport à l’image du corps, quand j’y repense, moi faisant les mêmes gestes, donc le soir au coucher, quand je prends ma douche, je n’ai plus cette répulsion, de ce corps qui n’est pas, qui n’est plus entier en fait, mais je peux comprendre, je peux encore comprendre que ça peut en choquer quelques-uns. (…) Ça ça m’arrive moins, parce que très souvent on me dit « on remarque rien, on remarque rien », parfois maintenant je suis obligée de dire « j’ai un souci, je peux pas faire ceci ou cela, je porte des prothèses », « ah bon  ! Jamais j’aurais cru », et voilà, donc on le voit pas forcément. Une personne qui est en fauteuil, on le voit tout de suite, chez moi on le voit pas forcément. Alors parfois on dit « ah ben oui, j’avais bien vu qu’il y avait une claudication, mais bon, on savait pas trop quoi... » donc parfois je le dis, ou en tout cas j’arrive à le dire maintenant parce que je n’y arrivais pas avant... La prothèse, ça comble, je dirais pas que ça comble à 100 %, mais je dirais presque à 90 %... quand même. Alors évidemment, moi je suis encore très insatisfaite, parce que moi j’aimerai bien porter des choses, ben, des jupes, mais ça je supporte pas  ! (elle rit)16.

13Ce que ce témoignage relate avant tout, avant même la valeur fonctionnelle et motrice de l’appareillage prothétique, c’est sa capacité d’invisibilisation du corps amputé. Car c’est aussi en grande partie le handicap et la différence que l’on cherche à cacher au travers du port de la prothèse, dans une démarche que l’on pourrait associer à la notion de passing (Bosa et al., 2019), habituellement employée en sociologie pour décrire les phénomènes et stratégies de dissimulation des minorités raciales, sexuelles ou encore religieuses (Sanchez & Schlossberg, 2001) au sein du groupe dominant, permettant de ce fait de réduire la stigmatisation et les discriminations subies (Renfrow, 2004). Une part importante des personnes amputées que nous avons rencontrées utilise des stratégies vestimentaires afin de camoufler l’appareillage, et ainsi faire en sorte que le corps amputé ne s’expose jamais. Cette occultation du handicap dans une volonté de passing (Calvez, 1994, p. 73) est, nous semble-t-il, une part pleine du processus de reconstruction de l’image de soi, dans le cadre de l’appareillage prothétique. Il s’agit d’un aspect important de l’insertion dans la norme, par l’effacement du stigmate qu’il permet (Goffman, 1975 ; Winance, 2004). Ainsi, par sa seule présence discrète (si elle est couverte ou qu’elle a une apparence naturelle), une prothèse peut permettre de rendre temporairement invisible l’amputation en cachant la nature prothétique du membre concerné, et garantir de ce fait à la personne amputée de passer inaperçue dans un groupe valide, ou de ne pas se faire remarquer dans un contexte non-souhaité. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les prothèses esthétiques non-fonctionnelles soient désignées par la profession médicale sous le terme de « prothèses de vie sociale », suggérant ainsi leur valeur et utilité symboliques.

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Prothèse de vie sociale. (© Valentine Gourinat, 2010)

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Habillages prothétiques visant à camoufler l’appareillage derrière une apparence de membre naturel. (© Valentine Gourinat, 2016)

14Les enquêtes menées auprès de personnes amputées montrent que la majorité d’entre celles interrogées souhaitent être considérées comme des personnes « comme les autres », « justes normales » (Murray, 2003 ; Jefferies et al., 2017) et tentent donc de réduire au maximum tous les aspects de leur identité qui pourraient altérer, parasiter ou compromettre cette posture. Mais ne nous y trompons pas, cacher leur situation d’amputé n’est pas une façon de ne pas assumer leur condition, il s’agit plutôt une manière d’évacuer tout stigmate dans le cadre de contextes qui ne nécessitent pas d’évoquer cette question. En invisibilisant leur handicap ou leur mutilation, les personnes appareillées laissent plus de place aux autres aspects de leur personnalité et se sentent moins réduites ou résumées à leur particularité physique.

Anastasia : Je suis restée longtemps sans prothèse, plus d’un an, donc j’ai subi le regard des gens dans la rue, et du coup j’ai pas très envie de le vivre encore. Et du coup l’habillage me permet d’être un peu plus discrète. Après ça se voit quand même parce que c’est une prothèse, mais c’est déjà ça...17

15L’exemple donné ici est celui d’une jeune femme amputée récemment, qui a encore le souvenir quelque peu traumatique de son expérience de « stigmatisée », malgré une aisance dans son corps et une acceptation personnelle de son handicap au quotidien. Cette expérience peut se prolonger parfois sur une vie entière chez certains amputés, tant le regard des autres peur s’avérer pesant en situation collective, pour des personnes qui se considèrent elles-mêmes « comme tout le monde » et aspirent à être considérées comme telles par les autres.

16Car ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement l’auto-acceptation de la personne amputée, mais bien sa considération par l’ensemble du groupe social ainsi que la possibilité d’insertion et de participation sociale qui lui est offerte. Cette notion d’apparence nous ramène en effet ici directement aux concepts d’identité sociale virtuelle et d’identité réelle développés par Erving Goffman dans son travail sur le stigmate (Goffman, 1975, p. 12), ainsi que nous l’avons suggéré plus tôt, en parlant du passing que la prothèse pouvait offrir en camouflant le stigmate de l’amputation. L’individu concerné cherche ici à faire coïncider autant que possible son identité réelle (un corps mutilé et en situation de handicap) avec son identité virtuelle (un corps normé sans limitation de participation sociale) afin de réduire les phénomènes de stigmatisation qu’il pourrait être amené à subir s’il était démasqué :

La difficulté est alors pour [l’individu discréditable par un stigmate] de contrôler l’information sociale qui le concerne pour ne pas être discrédité. Cette gestion d’une information non-révélée et discréditrice pour soi-même est le « faux-semblant ». L’individu discréditable « fait semblant » d’appartenir à la catégorie des normaux. (…) L’individu discrédité cherche à « couvrir » son stigmate, à atténuer les effets qu’il produit sur et dans l’interaction pour être « le plus normal possible » (Winance, 2004, p. 208).

17Il semble dès lors très clair que la prothèse n’est plus seulement un outil moteur ou corporel, elle est aussi un outil social, par sa seule existence et apparence, en faisant concorder au moins temporairement les caractéristiques attendues par le groupe social dominant avec les caractéristiques immédiates présentées par la personne appareillée (un corps complet et une validité apparente). Ceci s’observe tout particulièrement dans le cas des amputations de membre supérieur. Il existe, ainsi que cela a été évoqué plus tôt, une catégorie de prothèses appelées « prothèses de vie sociale », des prothèses esthétiques de main et de bras, très commune et appréciée des usagers, qui n’ont à proprement parler aucune fonction motrice réelle, et restent désespérément inertes. Ces prothèses, bien qu’elles ne soient que d’une aide très limitée dans le cadre des actions quotidiennes (nouer ses lacets, faire la cuisine, etc.), sont pourtant d’une utilité inestimable du point de vue social et identitaire, puisqu’elles ont pour but de faire à nouveau entrer le corps amputé dans une norme corporelle virtuelle. Les usagers porteurs de ces prothèses réalistes ou tout du moins discrètes ont ainsi une volonté forte de ne pas être stigmatisés par leur condition physique, car au-delà du sentiment désagréable d’être observé, l’objectif est également de ne pas gêner le déroulement des interactions sociales habituelles.

VG : De façon générale, est-ce que vous avez tendance à cacher votre prothèse ou à l’exposer  ?

Suzanne : Nan je cache.

VG : Pourquoi  ?

Suzanne : Vis-à-vis des gens. Pas pour moi, hein. Ça m’évite de donner des explications, ça m’évite... euh, ben de me faire plaindre, j’ai pas envie qu’on me plaigne... Ça m’évite euh... C’est plus ça, pour moi c’est plus ça18.

18L’enjeu décrit ici par Suzanne est d’une importance capitale en ce sens qu’il va déterminer la place que le groupe social acceptera de lui donner, la condition dans laquelle il va la placer. Nous pouvons directement relier cela aux stratégies décrites plus haut par Myriam Winance dans son analyse sur la normalisation du handicap, et les altérations que le stigmate peut avoir sur les interactions sociales et sur la façon dont la dissimulation permet de préserver la « normalité » de ces interactions. Dans les différents témoignages présentés ici, représentatifs de cette démarche de passing et de cette volonté de discrétion, la configuration de l’usage prothétique est telle que la prothèse pourrait être considérée comme une sorte d’« outil fantôme », c’est-à-dire un outil qui contribue à faire disparaître le stigmate en disparaissant lui-même, le couvrant ainsi derrière son voile d’invisibilité.

L’accessoire cyborgique : identité hors-normes, empowerment, et fierté du « bel objet »

19On réalise bien, au travers de la grille de lecture du stigmate et du jeu des apparences que les prothèses n’ont donc pas fondamentalement besoin d’être fonctionnelles pour être considérées comme utiles. Leur efficacité est en grande partie symbolique : elles sont aussi un accessoire identitaire et social, un outil de gestion de « l’information sociale ». En cela, les esthétiques ou accessorisations prothétiques justifient leur ancrage dans un usage du quotidien, même s’il ne s’agit plus d’usage habituel ou fonctionnel, dans la mesure où elles peuvent pleinement constituer un facilitateur (ou à l’inverse un obstacle) dans la démarche et la dynamique de participation sociale ou au contraire dans la constitution d’une situation de handicap. Nous nous référons ici au « Processus de Production du Handicap » (Fougeyrollas, 1998), qui met en avant la subtilité et la complémentarité des facteurs personnels, des contextes environnementaux et des habitudes de vie dans la production de ce qui sera considéré ou non comme une situation handicapante ou stigmatisante. Ainsi, un même dispositif (la structure robotisée apparente d’une jambe C-Leg, par exemple) pourra être considéré comme facilitateur pour les uns (par la connotation futuriste et performative de son apparence, par exemple) ou stigmatisant pour les autres (par sa visibilité immédiate), en fonction de l’agencement des facteurs personnels, environnementaux et des habitudes de vie de chaque personne concernée.

20Cette tension opposée entre visibilité et invisibilité, facilitateur et obstacle, identité réelle et identité virtuelle est un enjeu d’autant plus réel et fort, qu’elle reste bien souvent une dialectique sans fin, évoluant au fil des situations et du sens que les individus leur donnent. Ainsi, un amputé nous décrit ci-dessous la complexité et l’évolution de sa démarche dans la pratique du ski, cherchant parfois la discrétion (pouvoir skier en toute tranquillité sans avoir à subir le regard), et d’autres fois la visibilité (pouvoir accéder en priorité à certains services, en raison de sa situation de handicap). Cette volonté (parfois même, nécessité) de voilement/dévoilement n’est ainsi ni figée ni déterminée :

Fatih : (…) Au début, tout au début j’avais une prothèse de marche dans la chaussure, et j’aimais bien aller au ski, parce que je me sentais comme tout le monde. Je me disais voilà, il y a pas de regards, il y a pas de machins, tu boites pas, c’est.. c’est... Et donc ça permettait d’être bien. Et donc, quand on m’a dit à nouveau de remettre une prothèse visible, alors au début j’étais un petit peu... C’est pas que ça me gênait, parce que le bienfait que ça m’apportait était supérieur à la gêne, mais voilà, il a de nouveau fallu me dire « voilà, tu seras de nouveau voyant, visible ». Et... Mais bon, après c’était de nouveau passé, ces petits restes comme ça qu’il y avait de non-acceptation, de... mais qui ont été passés... Mais parce qu’au départ je me reposais un peu là-dessus, de me dire que c’est le seul moment où on verra rien. Et après de se dire à nouveau, ça va de nouveau être visible, bah c’était...

VG : C’était pas évident...

Fatih : Ouais, c’est de nouveau... j’ai de nouveau cherché des solutions pour... pour la re-cacher. Mais bon... (…) Ouais non, aujourd’hui je m’en fous complètement, ouais ouais. Et euh, et en général, quand j’ai le choix, je préfère qu’elle se voie.

VG : Pourquoi  ?

Fatih : Bah pour éviter les malentendus, pour éviter... Voilà, pour éviter ce type de situations (…) qui sont un peu gênantes. (…) Quand j’avais une prothèse qui était visible, enfin quand on voyait bien que c’était une prothèse, parce qu’il y a un vérin, que c’était articulé tout ça, bah pour faire la queue pour aller aux perches, tout ça, j’avais une facilité de passage, qui était naturelle (…) Aujourd’hui mon handicap sur les skis ne se voit plus. Et donc des fois quand je veux, euh, quand il y a trop de monde, machin et tout, je me dis... tiens, je vais passer devant tout le monde, je vais dire que j’ai une prothèse (note : un amputé, même agile sur ses jambes, reste prioritaire dans la mesure où la station debout est pénible pour lui). Bah quand on arrive et que j’explique que j’ai une prothèse, bah le fait qu’il la voit pas, il a déjà dit non, parce que t’as rien à faire là, t’as pas à doubler tout le monde, la personne t’a déjà dit non, même si tu lui expliques après, mais il l’a pas vue, donc lui, pour lui euh, il me dit « toi, pour moi, tu skies, donc t’es pas handicapé. Tu vas faire la queue comme tout le monde »19.

21Ce témoignage nous éclaire bien sur les rouages et enjeux de ce « jeu de l’apparence » goffmanien évoqué dans la partie précédente, qui va venir moduler les interactions sociales en leur donnant un sens et une portée variables en fonction du paradoxe et de la collision parfois inévitable entre « identité virtuelle » et identité réelle ». L’identité sociale virtuelle de Fatih (un sportif en apparence valide) va ici venir se heurter à son identité sociale réelle (un skieur en situation de handicap), en créant une ambiguïté et une tension dans l’interaction avec les valides. Le seul moyen d’éviter cette tension est alors le dévoilement forcé de l’identité réelle, en exposant la prothèse/la situation de handicap, ce qui le ramène à la situation de visibilité qu’il cherchait à fuir au début de son récit. On sent ici un dilemme identitaire évident pouvant mener au discrédit (ceci semble très clair dans la situation de malentendu décrite par Fatih), que les personnes concernées ne sont pas forcément toutes prêtes à affronter, favorisant alors une démarche d’« évitement », plus rassurante et acceptable (Le Goff, 2013).

22Cette démarche d’évitement consiste à faire en sorte de ne pas s’exposer aux situations pouvant générer cette tension identitaire (en refusant de passer en priorité aux caisses ou de se garer sur des places réservées, etc), ou à échapper aux situations pouvant forcer la personne à se dévoiler (ceci entraine par exemple une désertion des lieux d’exposition des corps tels que la piscine ou la plage par les personnes amputées, ou encore un renoncement de leur part aux activités physiques et de loisirs). Mais nous l’avons vu plus tôt, cette dynamique peut entrainer un risque de générer des malentendus ou des comportements discriminatoires dans la relation avec autrui. Aussi en réponse à cela, une autre démarche se fait de plus en plus courante dans le monde de l’amputation, notamment relayée par les médias ces dernières années : celle de la mise en valeur de soi et de sa prothèse. Les prothèses sans habillage, ou personnalisées et customisées, qui contribuent au contraire à visibiliser le corps amputé, l’affirmer et le faire accepter de façon proactive, sont de plus en plus courante depuis quelques années. Elles témoignent d’un changement d’état d’esprit progressif de la part des personnes concernées.

My attitude to being an amputee and wearing an artificial limb has changed with time. To begin with one is very aware of being different, of being disfigured, but as time moves on one adjusts and changes perspective. In the first few years my focus was on trying to be normal, wearing clothes that hid the fact that I was an amputee, but over the years I have become more comfortable with who I am and I now embrace having different legs for different activities and different occasions. I think losing a limb has a massive impact on one’s self esteem and body image. Having a beautifully crafted limb designed for you makes you feel special20.

23On est ici dans une démarche opposée à celle de l’ « outil fantôme », et souvent portée par des usagers plus militants et engagés, qui aspirent à faire passer un message relevant parfois de la dimension politique. On peut supposer que la médiatisation progressive et de plus en plus habituelle de figures amputées fortes, exhortant à s’accepter comme telles a permis de construire ce nouveau modèle identitaire. On peut bien entendu remettre en question la représentativité, voire le bien-fondé de cette médiatisation de modèles amputés, qui se rattache encore trop à une norme dominante (corps blancs, jeunes, beaux, en bonne santé, sportifs, minces, etc.), et que cette iconographie biaisée peut porter quelques préjudices aux personnes amputées par l’image tronquée qu’elle donne de leur situation (Dalibert, 2015 ; Gourinat, 2016a, 2016b). Mais force est tout de même de constater qu’à l’ère grandissante du Body-Positivism, les personnes à corporéité atypique et non-normée deviennent de plus en plus visibles et fières de leur condition hors-normes :elles ne cherchent plus automatiquement à se contraindre dans un modèle imposé, mais poussent au contraire la société à valoriser les modèles pluriels auxquelles elles appartiennent. Cette démarche d’engagement et d’affirmation de soi face à une norme trop contraignante et inhibante commence ainsi à se renforcer, notamment grâce aux différents dispositifs iconographiques (médiatisation de personnes amputées, produits culturels impliquant des prothèses, évolution des designs prothétiques, etc.) de plus en plus nombreux ces dernières années.

Claude : Pendant de longues années on a essayé de faire ressembler les prothèses à un membre vivant, en lui donnant une couleur chair, en cachant bien tout pour que surtout on ne remarque rien, ce qui à mon sens est totalement l’opposé de ce qu’il faudrait faire, parce que, bon je suis très connu aussi pour mes coups de gueule, mais dans de nombreuses réunions où j’ai eu l’occasion de l’exprimer, j’ai quand même dit aux personnes amputées au risque de les choquer « arrêtez de vouloir faire ressembler votre prothèse à votre vraie jambe, ça restera toujours que du plastique ». Ça peut être cruel, le fait de le dire, mais il y avait une idée derrière, c’est qu’en fin de compte, il faut passer par ça. Tant qu’on pense que c’est un membre de chair, on n’arrivera pas à faire le deuil du membre. À partir du moment ou cet objet, on arrive à l’utiliser et à le regarder comme un attribut, comme un tatouage par exemple, donc on l’accepte sur soi, car ça peut aussi devenir une arme, ça permet de se démarquer par rapport aux autres, et c’est ce que j’ai fait pendant les courses, pour moi c’est devenu une arme, et on arrive à l’accepter, et surtout on arrive à le montrer, on arrive à se montrer, on arrive donc à s’imposer, et on arrive à créer. Ce qui fait que j’étais aussi un des premiers à demander à ce que mes prothèses soient décorées21.

24Ce témoignage insiste fortement sur l’impact que cette démarche peut avoir quant à l’acceptation de sa situation d’amputé, en mettant en avant l’idée que cette acceptation passe avant tout par le dépassement du déni/deuil, et que celui-ci passe par le refus de l’illusion d’une substitution totale du membre par la prothèse. L’idée serait donc que pour être véritablement acceptable et acceptée, la prothèse ne doit pas se confondre avec le membre ou faire croire à l’absence de mutilation. Le stigmate ne doit ainsi pas être caché, mais il faut au contraire s’en saisir et le dépasser.

25Enfin, un dernier aspect complémentaire et intéressant à aborder ici concerne l’admiration liée à l’objet-prothèse lui-même. Nous avons pu constater au cours de nos observations que trois catégories de prothèses semblaient posséder une telle valeur ajoutée qu’elles étaient presque automatiquement mises en avant par leur usager, sans stratégie de camouflage aucune, et même avec un soupçon de fierté : les prothèses de sport, les prothèses robotisées, et les prothèses customisées. En effet ces prothèses semblent posséder en elles-mêmes une valeur identitaire forte, notamment au travers de la capacité d’empowerment qu’elles suggèrent (Howe, 2011). Une personne amputée pourra ainsi souhaiter porter un habillage discret sur sa prothèse de marche usuelle et laisser par ailleurs sa lame de course visible en portant systématiquement un short lorsqu’elle pratiquera une activité sportive. On peut ainsi évoquer le cas de l’ancien athlète désormais tristement célèbre Oscar Pistorius, dont la médiatisation s’est bâtie autour de la mise en scène de ses prothèses de courses très caractéristiques, et qui ont contribué à sa renommée et à son image publique. Il possédait pourtant des prothèses de marche à l’apparence naturelle qui invisibilisaient sa situation dans sa vie quotidienne (les publications de l’époque le mettant en scène avec ses prothèses de marche habituelles étant très rares, peu de gens en connaissaient l’existence même), témoignant d’une volonté de ne pas mettre en avant sa condition corporelle dans sa vie de tous les jours. Une fois encore, le contexte situationnel est déterminant quant à la forme et au sens que prend ce jeu des apparences.

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Oscar Pistorius et ses deux paires de prothèses : les lames de courses qui ont fait sa renommée, et les prothèses de marche qu’il utilise dans la vie de tous les jours, peu montrées dans les médias. (© Max Rossi | Reuters, 2011)

26Dans la même dynamique, une prothèse à l’apparence futuriste pourra ainsi être volontiers portée de façon visible, sans habillage réaliste, car considérée comme un « bel objet », un « objet de valeur » que l’on est heureux de posséder et que l’on met en avant avec un certain plaisir et une certaine fierté. Cette idée du « bel objet », de l’objet de valeur se retrouve largement dans la mise en avant des prothèses customisées par des designers, ainsi qu’on a pu le voir à travers l’exemple de James Young, et l’on peut d’ailleurs l’élargir à l’ensemble des produits réalisés dans le cadre de l’Alternative Limb Project22, ainsi que le suggèrent les témoignages suivants, issus du site de l’entreprise :

I’ve never seen the interest in having a prosthetic arm, they are heavy, uncomfortable and not at all practical. I like to be different and I love the fact that having one arm makes me effortlessly different to the majority of people – however, an alternative limb is something entirely different ; I wanted people to have to look at me twice with amazement. My alternative limb is so different to any other prosthetic limb I have ever had.I wear it with pride. (…) My alternative arm makes me feel powerful, different and sexy23 !

I want to change the way society perceives disability – showing disability can be cool, fashionable, beautiful and powerful… it’s like my body is a canvas and when wearing an Alternative Limb, I become the art. (…) Wearing these pieces helps redefine beauty and changes the image society sees when they think of disability. I hope by wearing them I can inspire others who have missing limbs – so they can feel proud and empowered by their difference knowing everything and anything is possible… These pieces are wearable art and fashion statements/accessories24.

27On constate à l’évidence qu’à travers ce type de démarche, nous ne sommes définitivement plus en présence d’un « outil fantôme » qui invisibiliserait de sa transparence, mais bien plutôt d’un accessoire, que nous définirions sous l’appellation quelque peu provocatrice d’« accessoire cyborgique ». Bien loin des possibilités de cyborgisation (Le Breton, 2008, p. 322) matérielles et physiques, que nous estimons aujourd’hui encore bien lointaines eu égard aux ajustements et résistances inévitables que le corps manifeste face aux dispositifs prothétiques (Winance, 2000, 2007 ; Gourinat, 2017), nous dirions ici que ce processus de cyborgisation est plutôt, une fois encore, symbolique et identitaire. Ces personnes ne sont bien entendu pas des cyborgs physiques, mais elles s’emparent de la métaphore et de l’iconographie cyborgique pour se créer une identité nouvelle, transgressive, qui va les aider à surmonter le stigmate en brouillant les pistes traditionnelles et en créant des possibilités normatives inédites, ainsi que le revendiquent notamment les « cyborgs » autodéfinis évoluant au sein des mouvements de bodyhacking (Nascimento-Duarte, 2016). Il est d’ailleurs à cet égard intéressant de remarquer que dans le documentaire sur James Young cité plus tôt, la première rencontre que le jeune homme fera avec des personnes amputées se déroulera au sein d’un congrès de bodyhackers auquel il a été convié dans le cadre de la promotion de sa prothèse, et que les participants considèreront Young comme une inspiration pour l’avenir du corps.

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« Brass Leg », prothèse créée pour Viktoria Modesta par Sophie de Oliveira Barata dans le cadre de l’Alternative Limb Project. Une réinvention de l’esthétique prothétique pour une réappropriation du stigmate de l’amputation. (© Omkaar Kotedia | Alternative Limb Project, 2014)

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Le dermographe prothétique créé par l’artiste Gonzal pour le tatoueur amputé JC Sheitan. Un exemple d’usage situé et de combinaison entre la spécialisation fonctionnelle et l’esthétique hors-norme. (© Lynn Art Photographer, 2014)

Conclusion : un accessoire cyborgique, ou un outil fantôme ? Valeur(s) d’usage et acceptation de soi

28À travers cet article, nous avons voulu mettre en avant le fait que la valeur d’usage d’une prothèse de membre ne pouvait être réduite à sa dimension fonctionnelle et motrice, même si c’est là sa vocation première et sa nature fondamentale. En creusant plus avant dans les subtilités des usages et appropriations des prothèses par leurs porteurs, il est en effet possible de se rendre compte de la mesure dans laquelle la valeur d’usage symbolique et sociale est prévalente pour les personnes usagères de tels dispositifs.

29Quelle que soit l’approche envisagée, qu’elle réponde à une volonté de visibilisation ou d’invisibilisation, qu’elle soit « outil fantôme » ou « accessoire cyborgique », l’apparence de la prothèse possède en soi une valeur d’usage liée à son efficacité symbolique que l’on ne saurait sous-estimer. Celle-ci a pour fonction et impact premiers de lutter contre le stigmate de l’amputation et de rendre, si ce n’est « normales », tout du moins gérables les interactions que les personnes amputées ont avec leurs interlocuteurs, notamment valides. Au travers de ces lignes, nous plaidons pour une meilleure prise en compte par l’institution médicale et administrative de l’importance du critère esthétique dans le cadre de la prescription et de la prise en charge de l’appareillage. Considérée encore aujourd’hui comme une valeur non-nécessaire et secondaire, la question de l’apparence prothétique devrait pourtant être comprise comme un facteur d’insertion et de participation sociales, donc de réduction du handicap. Elle est en ce sens fondamentale, tout autant que la question de l’ergonomie et de l’apport fonctionnel moteur, qui constituent jusque-là la principale grille de lecture et d’évaluation de ce qui fait la valeur d’usage communément admise d’une prothèse.

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Notes   

1 Voir la Liste des Produits et Prestations Remboursés par la Sécurité Sociale française (LPPR), Titre II « Orthèses et prothèses externes », Chapitre 7 « Orthoprothèses » : https://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/LPP. pdf

2 Par exemple : http://www.u-exist.com/ en France, http://www.art4leg.com/ en République Tchèque, https://alleles.ca/ au Canada, https://limb-art.com/ au Royaume-Uni, etc.

3 Gourinat V., Dialogue entre le mécanique et l’organique : Construction et reconstruction du schéma corporel et de l’identité personnelle à travers l’expérience de la prothèse, mémoire de Master en éthique (Université de Strasbourg), soutenu en 2011.

4 Gourinat V., Du corps reconstitué au corps reconfiguré : pour une compréhension éthique de l’appareillage prothétique à l’ère du techno-enchantement, thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication (Université de Strasbourg) et en sciences de la vie (Université de Lausanne), soutenue en 2018.

5 http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/ampute-il-se-fait-greffer-un-bras-bionique-version-metal-gear-solid_1795120.html 

6 http://www.thealternativelimbproject.com/project/phantom-limb/

7 https://www.konami.com/mg/mgs5/

8 Documentaire diffusé le 18 mai 2016 à 16h sur la BBC Three. Il est désormais consultable en deux parties sur le compte Youtube de la chaine BBC Three aux adresses suivantes : https://www.youtube.com/watch ?v =NZNFkMW9uFg (Partie 1) et https://www.youtube.com/watch ?v =kRxV0qw7rJg&t =64s (Partie 2).

9 Essayage qui a été présenté au jeune homme en public et devant les caméras, conditionnant cet acte intime en une monstration forcée empêchant de fait les expressions éventuelles de déception de la part de Young.

10 On peut trouver ce passage dans la Partie 2 du documentaire de la BBC3 « Bodyhack : Metal Gear Man », à partir de la 3ème minute. Consultable à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch ?v =kRxV0qw7rJg&t =64s.

11 https://www.bbc.co.uk/programmes/p05cyxtz

12 « How to build a bionic man », documentaire de Tom Coveney, diffusé le 7 février 2013 sur Chanel 4.

13 https://www.independent.co.uk/news/science/metal-gear-solid-prosthetics-arm-amputee-james-young-hi-tech-synthetic-limb-a6887071.html

14 Gourinat V., Du corps reconstistué au corps reconfiguré : pour une compréhension éthique de l’appareillage prothétique à l’ère du techno-enchantement, op.cit. Il s’agissait dans cette recherche de comparer les discours et représentations collectifs diffusés dans l’espace public (en particulier médiatique et scientifique) avec les pratiques et représentations observables dans le monde de la réadaptation. Dans ce cadre, nous avons suivi pendant un mois les consultations médicales d’un centre d’appareillage français, et avons mené des entretiens libres avec une vingtaine de patients et leurs soignants. Nous renvoyons ici à la méthodologie évoquée en introduction de cet article.

15 Propos recueillis dans le cadre d’une observation de terrain en centre de réadaptation et d’appareillage (2016).

16 Entretien (2010) avec Geneviève, 53 ans, double-amputée tibiale depuis 33 ans.

17 Entretien (2016) avec Anastasia, 37 ans, amputée tibiale depuis 2 ans.

18 Entretien (2014) avec Suzanne, 55 ans, amputée tibiale depuis 30 ans.

19 Entretien (2013) avec Fatih, 43 ans, amputé tibial depuis 4 ans.

20 Témoignage de Kiera Roche, sur http://www.thealternativelimbproject.com/project/floral-porcelain-leg/

21 Entretien (2010) avec Claude, 50 ans, amputé tibial depuis 41 ans.

22 Pour découvrir l’ensemble des pièces créées dans ce cadre : http://www.thealternativelimbproject.com/

23 Témoignage de Jo-Jo Cranfield, sur http://www.thealternativelimbproject.com/project/snake-arm/

24 Témoignage de Kelly Knox, sur http://www.thealternativelimbproject.com/kelly-knox/

Citation   

Valentine Gourinat, «(In)visibilité de la prothèse de membre et valeurs d’usage : de l’outil fantôme à l’accessoire cyborgique», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Les numéros, mis à  jour le : 17/10/2019, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=1835.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Valentine Gourinat

Valentine Gourinat est docteure en sciences de l’information et de la communication (Université de Strasbourg), docteure en sciences de la vie (Université de Lausanne) et chercheuse associée à l’UMR7367 Dynamiques Européennes (CNRS-Unistra). Ses recherches portent sur les représentations contemporaines des dispositifs prothétiques et des personnes amputées appareillées. Elle analyse en les comparant les discours publics et les usages individuels, afin de mettre en lumière les divergences et tensions existant entre une image collective quelque peu romancée de la réparation du corps par les prothèses, et les réalités et limites de ces technologies dans les pratiques et contextes quotidiens.