10 mai 2021. Tandis que la tension monte de jour en jour, notamment (mais pas seulement) à Jérusalem dans le quartier de Sheikh Jarrah et autour des lieux saints, durant ce mois de Ramadan ponctué également de quelques festivités juives et/ou israéliennes1, je me rends à Lod en compagnie de mon ami Benji Boyadgian, artiste palestinien d’origine arménienne, en vue d’y réaliser un tableau destiné à une future exposition. C’est aussi l’occasion d’y retrouver Tawfik Da’adli, maître de conférence à l’Université hébraïque, issu de cette ancienne ville à l’histoire tragique et assez méconnue, dont il est l’un des spécialistes. Une discussion s’engage, comme souvent désabusée, tant sur le sort de la localité que, plus généralement, sur celui de l’espace israélo-palestinien voire, au-delà, de la région post-ottomane. Il s’agit d’une belle rencontre, entre fidèles (relatifs ?) des trois monothéismes, à l’ombre de l’arbre, en marge de la vieille ville. En nous raccompagnant à la nouvelle gare, ultra-moderne et quelque peu surdimensionnée, Tawfik nous narre l’histoire de sa famille, qui travaillait justement pour la compagnie ferroviaire. C’est ce qui l’avait « sauvée » lors de la guerre de 1948, au cours de laquelle l’écrasante majorité des milliers de résidents palestiniens d’al-Lydd, le nom arabe de la ville, fut contrainte à l’exode, à la suite de massacres de plusieurs centaines d’entre eux (sans doute l’un des pires épisodes de la Nakba2). Lorsque nous repartons, en cette fin d’après-midi déjà chaude de printemps, nous sommes loin de nous douter qu’à peine quelques heures plus tard une vague de violence va venir submerger Lod, comme jamais depuis soixante-dix ans.
La situation bascule pendant la soirée puis la nuit de ce 10 mai. Cette date correspond aussi en 2021 à Yom Yerushalayim (« jour de Jérusalem »), une fête nationale israélienne instaurée à partir de la guerre des Six Jours (1967), destinée à célébrer la « réunification » de la ville après la conquête de sa partie orientale par l’État hébreu. Alors que cette célébration y donne lieu à des provocations de la part de militants sionistes religieux, le Hamas adresse un ultimatum demandant l’évacuation des forces de l’ordre israéliennes des lieux saints, avant de débuter l’envoi de salves de missiles, dont certaines jusqu’à Jérusalem, ce à quoi Tsahal répond par des bombardements de Gaza. À la différence de la guerre de l’été 2014, le conflit ne se limite pas à cette confrontation ni à cette géographie. Très vite, en particulier via l’instantanéité des réseaux sociaux (ou « intifada Tiktok »), les villes dites « mixtes3 » s’embrasent. Déjà le 18 avril, deux résidents palestiniens (de citoyenneté israélienne) de Jaffa avaient attaqué des sionistes religieux désireux d’étendre leur emprise foncière sur la localité, en proie également par ailleurs aux dynamiques tel-aviviennes de gentrification. Cependant, l’acmé de ces tensions intervient à Lod, ville paupérisée, jusque-là davantage connue comme plaque-tournante des trafics de stupéfiants, ou encore pour son groupe de rap palestinien, Dam.
Dans la soirée du 10 mai, des groupes de jeunes Palestiniens israéliens descendent dans les rues des alentours de la vieille ville, commencent à mettre le feu aux poubelles, aux voitures, et à saccager quelques lieux identifiés comme juifs, dont une synagogue. Ils ne tardent pas à se trouver face-à-face avec des sionistes religieux, implantés à Lod depuis quelques années pour y redynamiser/judaïser la ville, considérée par eux comme menacée. Des jets de pierres et de cocktails Molotov s’ensuivent. Débordée par ces incidents, la police reste étrangement passive. Parmi les sionistes religieux, que les Palestiniens locaux qualifient de « colons », certains sont armés. Vers une heure du matin, ces derniers finissent par tirer sur eux : Moussa Hassouna, jeune père de famille de 32 ans, s’écroule4. Le lendemain à quinze heures, le cortège funèbre qui emmène sa dépouille au cimetière musulman entraîne de nouvelles émeutes, d’abord avec la police cette fois avant que celle-ci ne se retire. C’est le début d’un déferlement de violences tous azimuts : des passants juifs agressés, des habitants effrayés, évacués par la police et dont les logements sont ensuite parfois pillés voire détruits, des véhicules brûlés, le nouveau musée des mosaïques d’époque romaine partiellement endommagé, etc. En rage, les émeutiers s’en prennent aussi à un automobiliste, Igal Yehoshoua, un électricien de 56 ans vivant à Lod depuis de nombreuses années (dans le quartier majoritairement russe de Ganei Aviv), qui rentrait chez lui. Ceux-ci lui barrent la route et balancent des briques sur le pare-brise de sa voiture. Pensant qu’il serait reconnu, il ouvre la fenêtre, mais se fait lyncher ; dans un état critique, il succombera à ses blessures une semaine plus tard5.
En quelques heures, le fragile équilibre de cohabitation quotidienne, qui avait semblé prévaloir depuis des décennies, paraît bel et bien rompu. Des groupes de sionistes religieux se constituent en milices vigilantistes, dans une atmosphère qui s’apparente de plus en plus à une guerre civile. Ils bénéficient de renforts venus, via leurs réseaux, depuis les colonies de Cisjordanie et se substituent pour partie à la police. Celle-ci se montre incapable de s’interposer, bien qu’elle ait reçu le renfort de supplétifs de l’unité des gardes-frontières. Subitement, la localité s’est trouvée subdivisée par la mise en place de checkpoints sauvages imposés par les différents belligérants. L’état d’urgence est décrété à Lod le 12 mai. Néanmoins Benny Gantz, le ministre de la Défense, n’y autorise pas l’intervention de l’armée réclamée par Benyamin Netanyahou, alors Premier ministre. Le couvre-feu en vigueur de 20 heures à 4 heures du matin ne parvient pas à faire baisser le niveau de violence. Répondant aux appels belliqueux du muezzin, les petites frappes de la criminalité organisée, jusque-là peu politisées, s’impliquent dans les affrontements avec les forces des gardes-frontières, tirant à balles réelles ici et là, atteignant un Juif demeuré en dehors des émeutes. Les milices d’extrême droite juives ne sont pas en reste, agressant un Palestinien à coups de pierres et blessant une femme enceinte à la tête, celle-ci devra être hospitalisée et accoucher d’urgence. Pour rajouter encore à cette confusion généralisée, un missile lancé par le Hamas depuis Gaza, soumis à d’intenses bombardements israéliens, s’abat sur Dahmash, un village6 près de Lod, tuant deux Palestiniens : Khalil Awwad, 52 ans, et sa fille de 16 ans, Nadeen. Le chaos semble régner.
Ces turbulences vont s’estomper au bout d’une semaine, l’état d’urgence est levé le 17 mai. Cependant, un tel climat aura mis Lod sous les projecteurs médiatiques nationaux et même internationaux, suscitant des commentaires politiques assez délirants, des responsables israéliens comparant les attaques anti-juives à des pogroms, le maire Yair Revivo allant même jusqu’à les qualifier de « Nuit de cristal ». En Israël/Palestine, la cité est devenue l’épicentre d’un conflit d’un type nouveau, entre voisins. Pourquoi al-Lydd/Lod ?
La séquence de violences du printemps 2021 a, de façon inédite, placé les villes dites « mixtes » au cœur des hostilités. Certes, au début des années 2000, durant la seconde Intifada, quelques heurts étaient survenus à Jaffa ou encore à Saint-Jean-d’Acre, mais rien de comparable avec les affrontements et la répression subie par les Palestiniens en Cisjordanie. Là, en revanche, ce sont ces entités urbaines binationales7, héritées de la guerre de 1948 et situées au sein des frontières reconnues de l’État hébreu, qui se sont retrouvées au centre de l’échiquier des tensions israélo-palestiniennes. La surprise fut grande, tant le statu quo imposé par les autorités israéliennes, sur des bases ethnico-religieuses ségrégatives, leur paraissait acquis. De Haïfa (dans le nord du pays) à Ramla (jouxtant Lod), l’une et l’autre pourtant réputées pour leurs dynamiques de coexistence supposées apaisées, c’est dans l’ensemble des « villes-mixtes » que ce modus vivendi a semblé voler en éclat. Cependant, confrontées après la Nakba aux difficultés d’une mitoyenneté forcée et asymétrique8, ces agglomérations devenues hybrides sont, depuis 1948, soumises à d’importantes tensions entre Juifs et Palestiniens (de citoyenneté israélienne) pour le contrôle de l’espace habité et des lieux symboliques, sur fond de nostalgie nationalitaire et d’un manque de reconnaissance historique. Cet état de fait a été plus ou moins occulté par le déplacement des lignes du conflit en Cisjordanie occupée. À la suite de la guerre de 1967, le contentieux généré par la colonisation a comme recouvert celui, plus profond et resté latent, de la Nakba.
La guerre de 1948, d’« indépendance » pour les sionistes et « catastrophe » (Nakba, en arabe) pour les Palestiniens, a suscité de nombreuses controverses, en particulier quant à l’ampleur des exactions perpétrées par les forces armées qui allaient devenir israéliennes après leur victoire. Toutefois, la chute d’al-Lydd via l’opération « Dani », ponctuée notamment d’une fusillade dans une mosquée où s’étaient réfugiés des dizaines d’habitants, en apparaît sans conteste comme le tournant le plus dramatique, un désastre quasi synonyme d’urbicide de cette cité plurimillénaire.
Au cœur d’une région fertile et à la croisée des chemins, peuplée depuis l’époque cananéenne, Lod fait partie de ces rares localités qui offrent un condensé des strates historiques qui se sont succédé dans le pays. Évoquée dans la Bible puis dans le Talmud, Lydda est conquise par les Romains en l’an 70 de notre ère, puis en devient une colonie en 200, sous le nom de Diospolis, et se christianise. Au vie siècle, la cité est rebaptisée Georgiopolis, en référence à saint Georges, qui y aurait été inhumé (en 303) et auquel un sanctuaire est consacré dès l’époque byzantine. La conquête islamique, en 636, marque un tournant dans l’histoire de la ville puisque les musulmans fondent Ramleh en 716 et en font la capitale de la Palestine. Dès lors, al-Lydd et ar-Ramlah, distantes de seulement quelques kilomètres, vont entretenir une relation de concurrence, et ce jusqu’à nos jours, où elles ne forment plus qu’une seule agglomération. Reprise par les croisés (1099), qui lui redonnent son importance en raison de saint Georges, al-Lydd passe à nouveau sous contrôle musulman, celui des Mamelouks (1267), qui en font un centre administratif régional (wilaya). Néanmoins, l’incorporation à l’Empire ottoman (1517) redonne le primat à ar-Ramlah, cette dernière étant désignée capitale du sous-district (nahiya). Vers le milieu du xixe siècle, al-Lydd compte plusieurs milliers habitants (un tiers de chrétiens, deux tiers de musulmans et quelques marchands juifs), ceux-ci vivant principalement des nombreux vergers qui entourent la localité. La ville connaît alors une période d’essor, en particulier à partir de la création de la gare ferroviaire (1892), la première de toute la région. Cette dynamique s’accroît encore durant le mandat britannique, notamment avec la création de l’aéroport international (1935). La guerre de 1948 va briser la trajectoire urbaine de cette ville plurimillénaire.
« Lod s’était quittée elle-même en demeurant prostrée dans un deuil perpétuel », écrit Elias Khoury dans Les enfants du ghetto (2018, p. 245). « Lod est tombée les 11 et 12 juillet 1948. En écrivant le verbe “tomber”, j’ai l’impression que la ville est tombée dans un gouffre, aussi, je ne pense pas que ce verbe convienne pour décrire l’occupation des villes en temps de guerre. Les armées envahissent les villes, mais en principe, elles ne les font pas tomber. Lod n’a pas été occupée mais elle est pourtant tombée, a été démantelée et elle a disparu », poursuit l’écrivain libanais à travers son narrateur (ibid., p. 245). Ce surnom de « ghetto » est donné par les soldats israéliens à propos du périmètre dans lequel est cantonnée la minorité de Palestiniens qui n’a pas fui les massacres. Pour eux, la douleur est terrible, d’autant qu’ils voient leurs biens situés en dehors de ce périmètre confisqués par l’État récemment créé9. Ainsi les champs d’oliviers et d’orangers, qui avaient fait la richesse de la localité, sont-ils alors considérés comme abandonnés, tandis que leurs propriétaires sont enfermés à quelques centaines de mètres de là. Protestant contre cette injustice, il leur sera conféré un statut absurde et paradoxal : celui de « présents absents ».
En juillet 2021, je retourne à Lod pour une visite organisée par Zochrot, une association israélienne destinée à sensibiliser les publics juifs à la mémoire de la Nakba. Vers la fin de la journée, après un certain nombre d’explications historiques in situ, deux habitantes palestiniennes prennent la parole : d’abord une chrétienne de classe et d’âge moyens, qui vient rappeler la trajectoire de sa famille à l’issue du tragique été 1948, de l’impossible oubli et des difficultés à recommencer leurs vies ; puis une jeune fille musulmane d’origine plus populaire mais éduquée qui relate, quant à elle, la façon dont elle a subi les événements de mai 2021, durant lesquels elle ne pouvait sortir d’un tronçon restreint de son quartier, établissant en filigrane un parallèle avec les récits de l’expérience du « ghetto » de 1948. Ce sentiment d’impuissance face aux violences de mai 2021 paraît assez largement partagé par les habitants de Lod, pris en étau entre les groupes belligérants. En effet, croiser ce dernier témoignage avec ceux de la plupart de mes interlocuteurs juifs sur place permet de comprendre comment, pendant ces événements, l’immense majorité de la population locale a été littéralement otage des affrontements, faisant écho, chez eux aussi, à des mémoires endolories. Il en va ainsi de Bernard et de son épouse, venus voir leur fille, qui a le malheur d’habiter dans le même immeuble que le sioniste religieux qui avait tiré sur Moussa Hassouna, le palestinien tué dans la nuit du 10 mai. Les voilà bloqués pour plusieurs jours, réveillant chez Bernard les pénibles souvenirs de son adolescence durant la guerre d’Algérie (1956-1962). Pour Jonathan, trentenaire franco-israélien dont une partie de la famille originaire de Tunisie est installée à Lod depuis les années 1950, la situation ranime son trauma lié aux trois guerres (à Gaza par deux fois, en 2008-2009 et en 2014, et au Liban, en 2006) auxquelles il a participé comme fantassin, et à leurs lots d’atrocités (commises et/ou subies).
À Lod s’amoncellent (les défaites et) les défaits. Depuis 1948, la localité cumule les groupes hétérogènes de populations subalternes. À côté d’al-Lydd en ruines, une ville nouvelle, à vocation juive et dite « de développement », a commencé à être édifiée (1950). Cette agglomération bicéphale et claudicante a alors « accueilli » des Palestiniens venus des villages alentours, eux-mêmes rayés de la carte, et des Juifs issus des campagnes, surtout du Maghreb, établis là sous la férule de l’État sioniste naissant. Ces Juifs dits « orientaux » ont parfois été installés, dans un premier temps, dans les maisons habitées jusqu’il y a peu par les Palestiniens contraints à l’exode, participant d’emblée à leur double relégation : socio-ethnique et spatiale10. Les constructions de logements de masse puis de lotissements ont ensuite entraîné une dynamique résidentielle de « push and pull »11, faite d’évitements en cascade. Les anciens quartiers neufs, d’abord « machines à habiter » modernisatrices pour les Juifs « orientaux », se sont délabrés au fur et à mesure, avec l’arrivée de populations paupérisées, notamment palestiniennes, concomitamment à la propension des moins démunis et des nouvelles générations à déménager vers les maisons individuelles des classes moyennes, voire à quitter Lod dès que possible. Alors qu’une partie des Palestiniens vit dans de l’habitat informel autoconstruit, délaissé par les pouvoirs publics, la municipalité a tenté de se (re-)développer par la construction toujours plus centrifuge de nouveaux quartiers juifs dans une optique clientéliste. Seule exception (géographique) à cette logique, le soutien accordé par celle-ci, à partir des années 2010, à l’implantation de familles de militants sionistes religieux dans les secteurs centraux, en particulier ceux de la vieille ville. Ce mouvement à contre-courant, déstabilisant un édifice social très précaire, a sans doute contribué à mettre le feu aux poudres.
Pour la première fois dans la courte histoire de Lod, un groupe social a, de son plein gré, choisi de résider dans la localité. Jusqu’alors, les populations avaient été placées là ou s’y étaient repliées, faute de mieux, puis s’étaient peu ou prou résignées à y demeurer. D’une manière ou d’une autre, mais à des degrés divers, il est possible de considérer ces strates sociales hétéroclites comme un empilement de vaincus, d’exclus, de dominés ou de neutralisés12. Cela va sans dire pour les Palestiniens, qui représentent un tiers de la population locale (environ 25 000 sur plus de 75 000 habitants), et qui sont d’ailleurs loin de constituer un bloc homogène : quelques centaines de chrétiens et une majorité de musulmans, mais comportant d’importantes subdivisions internes, avec notamment de nombreux Bédouins sédentarisés venus du sud, ou encore d’anciens collaborateurs de l’armée israélienne discrètement exfiltrés au cours des années 1990, avec maison sous protection offerte à la clé, etc. Du fait de sa proximité avec l’aéroport, Lod joue un rôle de sas pour ceux qui arrivent en Israël. La localité a ainsi vu se succéder toutes les principales vagues migratoires juives (aliyot), cependant ceux qui y sont restés comptent parmi les moins intégrés ou les plus défavorisés : les « Orientaux » (1950-1970), Mizrahim en hébreu, perçus par l’historiographie critique comme « victimes du sionisme13 » ; ceux qui ont fui l’ex-URSS (1970-2000), en particulier les Géorgiens refusant de se trouver dispersés tel que préconisé par la politique migratoire dite « d’absorption » ; ceux d’Éthiopie (1980-1990), en pleine rupture générationnelle (anciens/jeunes), inquiétant les services sociaux. Plus récemment (depuis 2010) des migrants de travail (non juifs), notamment ukrainiens et subsahariens, se sont ajoutés au bal des perdants dans cette arrière-cour interlope du capitalisme telavivien.
Si toutes ces populations disparates, pour certaines parfois antagoniques parfois complémentaires, ne forment guère un ensemble harmonieux et consensuel, elles participent néanmoins d’une forme de régulation socio-urbaine par le bas, s’accommodant tant bien que mal les unes les autres, en particulier à travers les activités commerciales. L’entrée en scène de nouveaux voisins (au nationalisme exacerbé), issus du sionisme religieux, va contribuer à détricoter ce tissu complexe et ténu de relations entre perdants et semer la zizanie par polarisation judéo-centrée. Cette nouvelle composante, en général d’origine ashkénaze et dont la plupart des membres sont affiliés au groupe Garin Torani (« Graine de Torah », en hébreu), se veut conquérante. Économiquement opportuniste, elle rachète appartement après appartement pour contrer la présence « arabe » et nourrir ses ambitions religieuses expansionnistes auprès des Juifs locaux, le plus souvent orientaux. Il s’agit d’une véritable colonisation de l’intérieur, multidirectionnelle, dans un contexte de vaincus relatifs, infligeant à ces derniers une nouvelle humiliation14. À l’instar de la colonisation en Cisjordanie, avec laquelle elle entretient des liens, elle s’appuie sur un imaginaire de société de frontières sans fin, avec cette fois pour horizon les périphéries internes, en l’occurrence à al-Lydd/Lod, en plein centre de l’espace israélo-palestinien, où la plaie toujours béante de la Nakba continue à se lire dans le paysage des terrains vagues de la mémoire, dans le vacuum d’une ville dite « mixte » en décomposition.