Le baraquement comme espace de résistance du mouvement des gilets jaunes

DOI : 10.56698/chcp.524

Résumés

Au cours du mouvement social des gilets jaunes, initié au mois de novembre 2018, sont apparues, aux abords de ronds-points sur l’ensemble du territoire français, des cabanes construites de bric et de broc. Cet article restitue une recherche ethnographique exploratoire réalisée par des doctorants géographes et sociologues sur cinq cabanes situées à Laon (Aisne), Carcassonne (Aude), Rennes (Ille-et-Vilaine), Molsheim (Bas-Rhin) et Pérignat-lès-Sarliève (Puy-de-Dôme) environ six mois après le début du mouvement. À partir d’observations et d’une vingtaine d’entretiens individuels et collectifs, il s’intéresse à l’évolution et à l’inscription dans le temps et l’espace de ces baraquements et s’interroge sur leur rôle dans la résistance du mouvement des gilets jaunes. Si les termes sont nombreux pour désigner ces cabanes, celui de « baraquement » a été préféré en raison de son caractère hybride, renvoyant à la fois à une infrastructure précaire destinée à l’habitat, et à un espace de résistance, dans sa définition institutionnelle militaire.
L’observation de plusieurs sites nous a permis d’envisager différentes manières d’être gilet jaune et de « faire baraquement ». Les baraquements apparaissent sur les territoires comme des espaces de vie bricolés et aménagés de manière collective pour se protéger des intempéries et des destructions extérieures. La participation active des militantes et militants et la négociation, qu’elle soit institutionnelle ou informelle, sont essentielles au maintien du baraquement. La production d’œuvres d’arts et de symboles militants révolutionnaires dans les baraquements et autour d’eux participe par ailleurs à la persistance de la visibilité du mouvement dans l’espace, ainsi qu’à son ancrage dans l’histoire des luttes sociales à l’échelle locale et nationale.
Le baraquement est un détournement de l’espace du rond-point, qui devient ainsi une proposition faite à celles et ceux qui ne faisaient que le traverser, de s’interroger, s’arrêter, échanger et soutenir le mouvement en cours (par des dons et des klaxons, par exemple). Lieu de vie et d’expérimentation citoyenne, le baraquement se transforme selon les saisons, le calendrier politique (les manifestations du samedi, les réformes étatiques), les évènements festifs ou d’autoformation politique organisés par les militants : jour de l’an, anniversaire du mouvement, soirées électorales, visionnage de films sur les mouvements sociaux, etc. L’expérience du baraquement témoigne à la fois d’une volonté d’inscrire dans le temps un mouvement contestataire, subversif, « extra-ordinaire » et de renouer avec un ensemble de pratiques ordinaires d’habiter, de sociabilité et de solidarité. Dès lors, l’ancrage des baraquements dans le paysage social et dans le quotidien des individus semble associé au développement de sociabilités et convivialités dépassant largement le cadre de la mobilisation citoyenne. Les baraquements sont des refuges, des lieux de (re)socialisation et (re)politisation de toutes et tous, où l’on vient pour partager sa colère, parfois sa solitude, et lutter pour un monde meilleur.
Enfin, nous émettons l’hypothèse que le baraquement comme répertoire d’action des gilets jaunes matérialise l’engagement citoyen « rhizome » dans l’espace et dans le temps : il peut disparaître d’un territoire, puis renaître spontanément, ou encore se transformer en « QG mobile ». Le baraquement comme lieu d’organisation politique, mais aussi de vie quotidienne, dépasse les revendications des premiers jours et s’installe dans les répertoires des luttes actuelles pour devenir le symbole d’une convergence de tous les « gilets » en lutte (écologistes, sans-papiers, cheminots).

The ‘Shack’ as a Locus of Resistance in the Yellow Vests Movement”

During the French social movement called « les Gilets jaunes » (the Yellow vests), shacks were built on the outskirts of several roundabouts where the protests began, on November 17th, 2018. This article recounts the ethnographic and exploratory research, conducted by geographers and sociologists, on those precarious constructions. In order to question their social and spatial characteristics, we studied five of those shacks, across the national territory. The fieldwork took then place in Laon (Aisne), Carcassonne (Aude), Rennes (Ille-et-Vilaine), Molsheim (Bas-Rhin), and Pérignat-lès-Sarliève (Puy-de-Dôme) six months into the movement. We chose to describe those buildings as shacks (« baraquements »), as it refers, especially in French, to a roughly-built cabin for residential purposes, as well as to a military construction, thereby underlining its role as a locus of resistance.
As we observed a multiplicity of sites, we came to understand several ways to define oneself as a Gilet jaune and to ensure community-building in the shacks. First, we examine how it was built collectively and secured against the weather and dismantlement by police force. Through negotiation and active participation of all members, the shacks gained the (uncertain) right to remain. Then, we identify the functions of the shacks and try to define them. The shack is an organising space for political action; civic experiments are carried out. It became a home for demonstrators, to ensure a daily reception point and to keep the mobilisation alive over time. Graphic creations, militant symbols soon covered the shacks and their whereabouts, ensuring their visibility, which contributed to the entrenchment of the shacks in the (material and political) landscapes, as landmarks embodying the fight for social justice.
The Gilets jaunes altered the function of roundabouts by building political shacks on their outskirts. By doing so, they transformed a place one would merely pass by, into a space with strong political and cultural identity. They blended their protest and their subversive practices into the revival of local, ordinary yet warm-hearted socialisation customs. Thus, the shack takes root in the local, and makes local and national history, through the use of references and the bonding of a diverse community of people.
For most of them, the shack grew into a refuge, where people who face the same problems, share a same anger would gather. They would therefore find empathy, understanding and strength there, to address their daily struggles, in this common sense of injustice.
The complexity of the effects of this phenomenon on the individuals who took part in the Gilets jaunes movement, as well as on the French activism’s landscape lead us to suggest that the shack works as a rhizome for political engagement. Within a national network of shacks, the Gilets jaunes have discussed the construction of a new society. Depending on spatial and political opportunities, the shacks move and transform themselves, disappear and crop up again in other social movements.

Index

Mots-clés

gilets jaunes, rhizome, baraquement, expérimentation citoyenne, recherche exploratoire multi-sites

Keywords

yellow vests, rhizome, precarious construction, civic experiment, exploratory multi-sites research

Plan

Texte

Cet article restitue une enquête de terrain que nous avons réalisée toutes les trois avec Christophe Demichelis, également doctorant au sein de l’UMR ESO. Dans une démarche collaborative et exploratoire, nous avons souhaité utiliser nos formations en géographie et sociologie pour mieux nous saisir de la mobilisation des gilets jaunes, alors même que les mouvements sociaux ne sont pas l’objet habituel de nos travaux de recherche. L’objectif de ce travail est moins de produire des analyses de recherche que de restituer et conserver des observations, des récits et des expériences d’un mouvement qui a représenté un moment fort de l’actualité politique.


C’est à partir d’avril 2019 que nous nous rendons sur cinq sites de mobilisation répartis sur le territoire national. Le mouvement n’est plus aussi impressionnant qu’à ses débuts. Les gilets jaunes sont moins nombreux dans les rues et sur les ronds-points. Malgré tout, le mouvement est toujours présent dans le paysage et dans les mémoires, à travers « le baraquement », « la cabane », « le QG », « la zone ». Si les termes sont nombreux pour désigner ces installations, celui de baraquement a été préféré pour sa polysémie : il renvoie à la fois à une infrastructure précaire destinée à l’habitat et à un espace de résistance, dans sa définition institutionnelle militaire. Quel que soit le nom qui lui est donné par les militantes et militants1, le maintien de cette construction faite « de bric et broc » témoigne d’un mouvement qui s’est ancré dans l’espace et dans le temps.


Notre recherche exploratoire a comme objectif d’interroger spatialement et socialement le rôle des baraquements construits aux abords des ronds-points dans la persistance du mouvement des gilets jaunes, plus de six mois après son démarrage.

Le mouvement des gilets jaunes s’inscrit dans un contexte de crise aiguë du politique depuis quelques années, en France et à l’étranger, due à une perte de confiance dans les institutions et le personnel politique, perçu comme autoritaire et déconnecté des réalités quotidiennes. Face à cette insatisfaction, des citoyens et citoyennes expérimentent et investissent l’espace public comme lieu démocratique. Après les places publiques du mouvement Nuit debout, les zones à défendre (Barbe, 2016), c’est sur les ronds-points qu’elles et ils se sont installés, à l’automne 2018, pour y construire des espaces d’organisation militante. Après dix mois de manifestations, après la présentation de listes de gilets jaunes aux élections européennes et la mise en place du « vrai débat » pour concurrencer le Grand Débat national, le mouvement persiste, autour de certains baraquements restés debout. Moins médiatisés que les manifestations en ville et les ronds-points occupés, mais plus visibles dans le paysage social quotidien, les baraquements apparaissent alors comme des points névralgiques du mouvement.

Notre article s’intéresse à l’évolution et l’inscription dans le temps et l’espace de cinq sites de mobilisation situés à Laon (Aisne), Carcassonne (Aude), Rennes (Ille-et-Vilaine), Molsheim (Bas-Rhin) et Pérignat-lès-Sarliève (Puy-de-Dôme). Il s’appuie principalement sur des observations ethnographiques et des entretiens individuels et collectifs2 avec des gilets jaunes encore présents ou antérieurement mobilisés sur ces cinq sites. Au total, 24 entretiens ont été réalisés. Notre démarche visait à comprendre l’expérience de l’espace des baraquements vécue par les gilets jaunes. Pour rendre compte de cette expérience, nous avons adopté une méthodologie – proche des parcours commentés – utilisée en géographie et sociologie urbaines (Thibaud, 2001 ; Croset et al., 2013). Cette approche, nous a permis d’interroger les dimensions non seulement fonctionnelles, mais aussi affectives du baraquement à travers un itinéraire choisi et commenté par les occupants des lieux.


Ce travail analyse l’évolution des cinq baraquements comme le fruit de processus d’adaptation et de négociations dans l’espace et le temps, entre les gilets jaunes eux-mêmes et différents acteurs et actrices extérieurs. Il s’agit également de montrer comment la production de symboles militants, d’une part, et l’aménagement des lieux, d’autre part, participent à la structuration et à l’ancrage des baraquements comme espaces de lutte sur leur territoire. Dans une seconde partie, notre regard se porte sur l’organisation de la vie quotidienne et les interactions sociales de celles et ceux qui ont participé à la recherche, afin de partager leurs perceptions, leurs représentations et leurs pratiques des baraquements, en tant que lieux d’expérimentation démocratique.

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La cabane de Carcassonne.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.


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La cabane de Pérignat-lès-Sarliève.

▪ Crédits : Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.


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Le « QG » de Molsheim.

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.


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La « Zone » de Rennes.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos et Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.


1. Les baraquements, espaces dynamiques dans le temps et l’espace

1.1 Se positionner dans l’espace : négociation, adaptation, construction/(auto)destruction du baraquement


Une installation pérenne permise par la négociation pacifiée d’un terrain à Carcassonne et Pérignat

Lorsque nous nous sommes rendues sur les sites de Pérignat et Carcassonne, les baraquements n’étaient plus installés sur l’espace public du rond-point initialement occupé, mais sur des terrains négociés au cours de la mobilisation. Dans les deux cas, des relations institutionnelles et/ou personnelles des gilets jaunes ont permis qu’une négociation qualifiée de « pacifiée » ait lieu, plus ou moins à huis-clos. 

La cabane3 du rond-point Charlemagne de Carcassonne, située auparavant sur le péage de Trèbes, a été déplacée grâce aux contacts politiques des « porte-parole4 », tous deux engagés dans la vie politique et associative de la région. Ces relations ont permis un accord tacite avec les représentants et représentantes de la Région, qui leur ont accordé l’accès « illimité » au rond-point Charlemagne et à son parking gratuit d’une quinzaine de places, sous réserve qu’il n’y ait ni débordements ni actions violentes. Stratégique par son emplacement, ce rond-point touristique permet d’accéder à la Bastide et au centre-ville à pied, de se montrer auprès des travailleurs et travailleuses qui partent chaque matin vers les villes alentours, des familles et touristes qui se rendent le week-end ou pendant les vacances sur la côte languedocienne (à Montpellier, Narbonne, etc.). À la suite d’un avis d’expulsion de l’occupation du péage Vinci de Trèbes émis un mois auparavant et après avoir obtenu l’autorisation de s’installer sur le rond-point Charlemagne, les gilets jaunes ont démonté leur cabane et déménagé leurs affaires, comme le raconte André, retraité :

Chercheuse : Comment vous êtes arrivés ici [sur le rond-point Charlemagne] ?

André : Bah, on a demandé à tout le monde de ramener leurs voitures, leurs camionnettes, surtout les artisans, puis dans les bagnoles, on a tassé un max de trucs pour se réinstaller. Notre porte-parole, il s’était arrangé pour avoir ce coin, avec une autre porte-parole, ils se sont arrangés pour qu’on ait ça. On a délimité notre terrain et, là, on n’est pas emmerdé. On ne voit plus personne. Avant, on voyait la police nationale et les CRS tous les jours. On a démonté rapidos [chambre, salle de vie] et, le soir, on pouvait se mettre à l’abri. En 24 heures, on a démonté et mis la structure !

En avril 2019, lors de l’enquête, la cabane était toujours présente et avait même été agrandie, contrairement à ce qu’on observait sur les autres ronds-points de l’Aude. Selon les gilets jaunes du site, notamment Nathalie, l’une des porte-parole du mouvement, c’est parce qu’ils étaient pacifiques et menaient uniquement des actions non-violentes. 

Nathalie : Nous, notre objectif, c’est construire ! Nous, on s’aperçoit de la difficulté de l’avenir ! La majorité d’entre nous a des petits-enfants et des enfants. Nous, on ne s’arrête pas aux manifs, on veut construire l’avenir [contrairement aux jeunes]. […] Dans le département de l’Aude on est le seul rond-point qui reste. Ça fait cinq mois, et l’un des seuls sur le territoire. Nous, on ne peut pas être délogés, normalement, car nous ne sommes pas violents. Nos actions, nous, on les fait dans la légalité. Tu vois, on peut manifester pacifiquement. Dans les gilets jaunes, les violents sont la minorité. […] Nous, on a fait des blocages de banques, etc. On était une dizaine, on faisait fermer les banques de manière pacifique et non violente pour la matinée [rire]. On tracte aussi, ou on fait signer des pétitions. En plus, on ne fait pas de manif dans le centre de Carcassonne.

La rhétorique du bon et du mauvais militant est utilisée par les gilets jaunes de Carcassonne pour se maintenir dans l’espace. Cela s’explique non seulement par l’accord tacite passé avec la Région et son droit de regard sur les actions menées, mais aussi par leur volonté de contrebalancer les représentations étatiques et médiatiques délétères.


À Pérignat-lès-Sarliève, un premier baraquement avait été construit fin novembre 2018 entre deux axes de circulation d’un rond-point de la sortie sud-est de Clermont-Ferrand. Détruit par les forces de l’ordre après un mois, un second baraquement avait alors été immédiatement reconstruit sur le même rond-point. Au bout de quelques semaines, alors qu’il était à nouveau menacé de destruction, le baraquement a été déplacé de quelques mètres sur un terrain privé. C’est un agriculteur, se définissant comme un allié des gilets jaunes, qui leur a permis de s’installer sur une parcelle de son terrain qu’il n’utilise pas. Lors de l’enquête, celui qui se présente comme un « paysan à faible retraite » aidant encore sa femme sur l’exploitation est fier d’affirmer qu’il est le « garant du maintien du mouvement sur le rond-point », en nous rappelant que sur sa propriété privée, « les gilets jaunes sont protégés, [...] ils peuvent faire ce qu’ils veulent ». C’est aussi grâce à lui que le nouveau baraquement a une structure plus résistante, constituée d’un ancien silo à grains dont il a fait don. Au printemps 2019, les gilets jaunes de Pérignat décrivent par ailleurs une relation apaisée avec les services de la Direction départementale de l’équipement (DDE) ainsi qu’avec les forces de l’ordre. Des membres de la DDE les auraient même aidés à déplacer le baraquement. Comme à Carcassonne, elles et ils revendiquent le pacifisme de leurs actions. « Je crois qu’on est un peu perçu comme des Bisounours » explique Patricia, une militante retraitée qui, pour autant, affirme qu’ils continueront à faire des actions contre le gouvernement.


Détruire soi-même ce que l’on a construit, pour ne pas subir, à Molsheim

À Molsheim, à 26 kilomètres à l’ouest de Strasbourg, le rond-point dit « du Trèfle » a été occupé pour la première fois le 14 novembre 2018. Son nom lui vient de sa proximité avec la zone de loisirs Le Trèfle et il est le premier rond-point après la sortie de la nationale vers Molsheim. Le 20 novembre a eu lieu la première évacuation par les CRS, qui a conduit les gilets jaunes à s’installer sur le bas-côté de la route départementale, à proximité du rond-point où elles et ils ont construit leur premier baraquement, fait de palettes et de bâches. Délogés à la mi-décembre par les gendarmes, les gilets jaunes ont dès le lendemain interpellé le maire (LR), qui leur a attribué un terrain longeant la voie ferrée et situé à l’entrée d’un parcours de santé, à proximité du lycée. Le baraquement qui y est construit est terminé le 8 janvier 2019. Le 18 janvier, il est inauguré par le maire. Il semble alors que celui-ci les soutienne, mais les militants et militantes rencontrés rappellent le rapport de force à l’œuvre dans l’obtention du droit de construire un baraquement pérenne. Elles et ils ont également conscience que le choix du lieu répond aux intérêts de la mairie, comme en témoigne cet échange entre Sylvaine, 56 ans, et Adrienne, 67 ans.

Sylvaine : S’il y a un problème et que le maire nous retire le droit de rester là, il sait que le lendemain on est tous dans sa mairie. Ici, on n’est pas super visibles, mais bon, c’est agréable, comme lieu.

Adrienne : Oui, oui, et puis ça les arrange qu’on soit là, avant, ici, y’avait les gitans et les dealers.

Lorsqu’a eu lieu l’enquête, fin avril, les gilets jaunes s’attendaient à voir le baraquement tenir encore longtemps. Cependant, début mai, le maire annonce la prise d’un arrêté d’expulsion pour la fin du mois. Cet arrêté se justifie par la crainte d’un incendie volontaire sur le site, après une vague de destructions par le feu de baraquements dans la région (à Erstein et en Moselle…).

Le site est démantelé le 15 mai par les gilets jaunes eux-mêmes, qui annoncent la mise en place d’un « QG mobile » à partir du 19 mai5.

Sur le groupe et la page Facebook des gilets jaunes de Molsheim, elles et ils expliquent que ce « démantèlement » est dû à la présence de « rôdeurs nocturnes irrespectueux » de leur QG. Pour eux, l’obligation de le démonter est la preuve que « le gilet jaune dérange » et que « la haute sphère a peur ». Dans la description des faits, le registre de l’émotion est également mobilisé : c’est avec « le cœur lourd » qu’ils ont détruit le baraquement. Toutefois, le message concernant cet événement annonce immédiatement, dans un registre plus positif, qu’on ne « lâche rien », que s’ouvrent un « troisième chapitre » et de « belles aventures ».

Les gilets jaunes de Molsheim avaient l’obligation de quitter les lieux mais ont décidé de le faire bien avant la date qui leur a été fixée. Ils et elles disent l’avoir fait pour se prémunir contre des incendies répressifs. Cette logique de prévention du risque peut se comprendre comme une volonté d’être acteur et maître « chez soi » : au lieu de subir un acte malveillant ou d’être contraints de respecter le délai imparti, elles et ils ont préféré agir de leur propre initiative. Cela marque l’aboutissement du processus d’appropriation6 de l’espace du baraquement, dans un acte qui paraît matérialiser la lutte contre la « désappropriation » de l’espace urbain, conceptualisé par Chombart de Lauwe (1979). Par ailleurs cet événement est l’occasion d’introduire une interprétation politique de la fin du QG et de montrer l’utilité de leur persévérance, puisqu’ils continuent de déranger. Elles et ils revendiquent également le caractère dynamique de leur mouvement, leur adaptabilité et leur résilience. La fin de ce baraquement peut être mise en parallèle avec ce qui s’est passé sur le site de Laon où l’un des baraquements a été brûlé par des gilets jaunes en janvier avant l’arrivée des forces de l’ordre « pour qu’[elles] n’aient pas le plaisir de le faire [elles]-mêmes », selon Aline, 40 ans.


D’un baraquement sur un rond-point à un squat de zadistes et de jeunes en situation précaire à Rennes

À la Maison du citoyen gilet jaune, à Rennes, nous avons été accueillies au milieu des jappements de chiens par des gilets jaunes d’une vingtaine d’années. Nous avons été frappées par leur jeunesse, contrastant avec l’âge des gilets jaunes présents sur les autres sites. La Maison du citoyen est un hangar désaffecté de 200 mètres carrés, entouré d’un grand jardin et d’un parking pouvant accueillir une cinquantaine de voitures. Très vite sa grande capacité d’accueil et son emplacement, proche d’une des principales zones commerciales de Rennes-Nord, en ont fait un lieu de référence pour organiser des assemblées générales (AG) locales et régionales des gilets jaunes. Les récits expliquant l’arrivée des gilets jaunes sur le site ne concordent pas toujours. Nous avons retenu le témoignage de Maewenn, ancienne étudiante de l’une d’entre nous, qui a dormi quatre mois dans la zone à la suite de la perte de son logement, survenue avant la trêve hivernale.

Chercheuse : Comment êtes-vous arrivées dans ce hangar ?

Maewenn : À la base, on était sur les ronds-points, puis on s’est fait virer des ronds-points. En parallèle, il y a deux gilets jaunes, un homme et une femme, anciens zadistes, qui avaient ouvert le lieu pour passer l’hiver. Ici, quand on est arrivé, plus personne ne nous voyait. Heureusement, avec les mouvements sociaux, on a réussi à se refaire connaître et, du coup, avec les réunions, les AG, on arrive à se faire des sous, et on a toujours des dons.

À Rennes, la Maison du citoyen, contrairement aux autres baraquements, est un squat rebaptisé « la zone » par les jeunes qui y vivent, et pas seulement un QG pour celles et ceux qui y viennent quotidiennement pour participer aux AG et aux autres événements relatifs à la mobilisation. Au mois de juin 2019, ce squat était menacé d’expulsion. Les gilets jaunes sans-abri préparaient une riposte administrative et espéraient un soutien de leurs alliés pour que le lieu ne ferme pas. Fin octobre, les derniers militants et militantes ont été expulsés avant le début de la trêve hivernale. Aussi, depuis septembre 2019, les gilets jaunes de Rennes et des environs ont du mal à se retrouver, faute de lieu, comme nous l’a expliqué Maewenn.


L’évolution spatiale des sites témoigne de déplacements, de stratégies de reconstruction privilégiant les baraquements rapidement démontables et déplaçables, en raison de l’expérience partagée de continuelle négociation, répression, destruction (Castells, 1975) et de défense collective (Dorlin, 2019). 

À Carcassonne, comme à Pérignat, entretenir de bonnes relations avec les voisins, les forces de l’ordre, les services municipaux et régionaux, est apparu comme essentiel au maintien du baraquement. Les négociations peuvent s’engager grâce aux initiatives individuelles, aux carnets d’adresses bien fournis ou par l’intermédiaire d’alliés. La rhétorique du bon militant est de mise pour apparaître comme pacifiste. 

Les exemples de Carcassonne et de Molsheim interrogent par ailleurs le rôle des élus locaux et régionaux dans la légitimation de l’ancrage territorial des baraquements des gilets jaunes. Les élus, du fait de leurs fonctions, recueillent au quotidien les colères, les expériences négatives de leurs administrés et apparaissent comme les premiers qui puissent légitimer le mouvement avec la mise à disposition d’espaces publics. Ils ont pu, à différents niveaux, proposer aux gilets jaunes des instances de négociation qui ont permis d’aboutir à des accords plus ou moins formels et durables. Dans ces villes moyennes, les élus et les administrés appartiennent souvent aux mêmes réseaux. Ainsi, les négociations sont possibles car elles s’appuient sur des relations préexistantes au mouvement, comme l’indique une gilet jaune à Carcassonne : « On a une autorisation délimitée du président du Département : un de nos porte-parole le connaissait et lui a demandé. Puis on a monté ce qu’on avait à Trèbes, et on l’a agrandi, et là on est très bien. »


Les gilets jaunes qui sont parvenus à négocier, ont acquis la possibilité de s’installer plus durablement sur un espace en dehors de la « ville » où la légitimité de leur présence n’est provisoirement plus contestée. Les autres ont préféré détruire leur baraquement plutôt que de laisser les forces de l’ordre ou d’autres opposants le faire. 

1.2 Se rendre visible et s’approprier l’espace de mobilisation


Des banderoles, des pancartes pour mobiliser les troupes et afficher les revendications politiques

Sur tous les sites où nous sommes allées, de nombreuses banderoles et pancartes arboraient divers slogans et messages tracés à la main, en lettres capitales, destinés à celles et ceux qui étaient de passage ou cherchaient le site. Ces messages habillent l’espace du baraquement et ses alentours, de manière à donner une visibilité politique au mouvement au-delà du lieu d’organisation. À Molsheim, des militants avaient placé des banderoles sur les ponts à l’entrée de la ville pour indiquer où trouver le QG, bien que la majorité d’entre elles aient été retirées au moment de l’enquête. À Pérignat et Carcassonne, de nombreuses pancartes et banderoles ont été installées devant le baraquement, sur les ronds-points, et les panneaux de signalisation.

Les militantes et militants envisagent ces pancartes, politiques et accueillantes, comme des moyens de redorer l’image du mouvement ternie par les médias et de maintenir la mobilisation. Dès le mois de février7, les gilets jaunes de Carcassonne déploraient une baisse de soutien de la part des automobilistes sur les ronds-points par rapport à l’engouement qui s’était manifesté au mois de décembre, lors des blocages et ouvertures de péages. Cette baisse de soutien était attribuée au discours dévalorisant du gouvernement et des médias. À la suite d’une assemblée générale, les militants avaient alors décidé de créer des pancartes aux slogans rassembleurs, pour montrer aux automobilistes que les gilets jaunes sont « gentils et pas méchants », ni « racistes » ou « casseurs comme essaye de faire croire le gouvernement ». Elles et ils voulaient inviter les automobilistes à s’arrêter pour boire un café et échanger sur les difficultés sociales communes à tous, et humaniser le mouvement. En avril, lors de notre deuxième visite, de nouveaux slogans invitant à rejoindre le mouvement étaient affichés sur le rond-point et autour du baraquement : « Éteignez vos télés et rejoignez-nous » ; « Venez échanger autour d’un café » ; « Ensemble construisons un avenir commun ». Pour les militants et militantes de Carcassonne, cette stratégie de reconquête à l’aide de banderoles s’avère décevante au regard de la démobilisation, comme en témoigne un militant interrogé au printemps : « Tu vois cette affiche “Éteignez la télé rejoignez-nous”, pour faire comprendre – c’est visible en face, en plus –, pour leur faire comprendre qu’ils ne doivent pas rester que devant la télé pour avoir des informations… Mais malheureusement, ça ne touche pas. »

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Des pancartes et banderoles sur les ronds-points et à l’entrée des baraquements pour rassembler, mobiliser et dénoncer (Carcassonne, Molsheim, Pérignat-lès-Sarliève).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, Elsa Koerner, Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Une partie importante des slogans affichés portent sur des revendications économiques et sociales, nous rappelant que la crise du pouvoir d’achat est à l’origine du mouvement. À Pérignat, une banderole indique : « Pouvoir d’achat, stop aux taxes abusives. Carburants, salaires, retraites… On lâchera rien ! » Sur une autre, il est écrit : « STOP à la fiscalité abusive ». Comme en témoigne un militant de Carcassonne, ces pancartes sont créées dans une démarche de sensibilisation des consommateurs et de dénonciation du coût de la vie auprès des pouvoirs publics : « On a mis ces affiches pour l’électricité en hausse, pour dire que ça augmente partout, pareil pour les APL8 en baisse, la mutuelle en hausse et la sécu en baisse… »

Enfin, d’autres messages, généralement plus temporaires car relatifs à des événements spécifiques, visent à afficher les revendications des gilets jaunes liées à l’actualité politique. Au moment de l’enquête à Pérignat, des pancartes avaient ainsi été réalisées dans le cadre des élections européennes, pour inciter au vote et rappeler les enjeux associés. Pour les militants et militantes, ce renouvellement des messages au rythme de la vie politique est très important pour montrer que le mouvement « vit encore ».

À Rennes, les banderoles ont envahi l’espace intérieur et prennent une fonction différente de celles des pancartes extérieures. Il s’agit de rappeler à chacun et chacune les raisons de sa présence, pour « tenir », rester mobilisé. Ces banderoles sont également décoratives et participatives, comme nous l’explique une militante au sujet d’une grande fresque accrochée au mur : « Tout le monde met un petit mot pour dire ce qu’il veut. Pour laisser les personnes qui ne connaissent pas écrire, et puis voir ce qu’ils pensent du mouvement. Tu vois, révolution, on le dit souvent en manif, donc on le rappelle ici. On met un peu les grandes idées, pour dire : on lâche rien ! Ça fait un peu plus gai dans un local comme ça. » Le terme « révolution » est ici un signal rassembleur, plus qu’un mot décrivant un processus bien défini politiquement, comme il peut l’être au sein de groupes anarchistes ou communistes. Il rappelle pour les gilets jaunes la détermination à aller jusqu’au bout de leur lutte.

Au-delà des slogans politiques, cette volonté de maintenir la mobilisation tout en construisant un espace agréable et attractif nous renvoie à l’importance des œuvres décoratives à l’intérieur et autour des baraquements et lors des manifestations.


Des œuvres d’art et des décorations pour rendre le lieu attractif et symboliser une démarche collaborative

La décoration des lieux, sous toutes ses formes, contribue à l’appropriation de l’espace, et à la construction d’une identité du site, entre militantisme et créativité. Ces œuvres décoratives sont également des manifestations de l’esprit collaboratif du mouvement. Partout, les gilets jaunes ont ainsi insisté sur la dimension participative de leurs réalisations. « Tout le monde y mettait du sien, pas de groupe en particulier », rappelle un militant de Laon, alors même que certaines œuvres ont été réalisées de façon plus personnelle. Les compétences mobilisées par les militants et leurs performances, puisque ces œuvres sont destinées au public (Segaud, 2010), témoignent de cette appropriation collective de l’espace du baraquement.

Ces réalisations ont différentes fonctions. Il s’agit d’abord pour les gilets jaunes de ne pas être comparés aux occupants de campements précaires, à des « clodos » (Carcassonne), des « gueux » (Pérignat), en construisant un bel espace. Ainsi, à Pérignat, peindre l’extérieur du baraquement en jaune a été important, à la fois pour montrer qu’il s’agissait de la maison des gilets jaunes et pour en faire « quelque chose de joli et d’attirant ». À Carcassonne, un militant, ancien sculpteur à la retraite, a décidé de réaliser des œuvres d’art en bois représentant des modes de transports doux : vélo, trottinette, voiture à pédales. Ces œuvres sont fièrement exposées, non seulement pour « faire joli », mais aussi pour « se différencier des camps de manouches », explique leur auteur. Cette volonté de se distinguer des populations précaires a été constatée sur l’ensemble des sites de notre enquête. Nous pensons que ces propos relèvent de l’intériorisation d’un discours national stigmatisant et ostracisant envers ces groupes sociaux (gens du voyage, personnes exilées, etc.), dont la simple présence dans l’espace public est perçue comme une dégradation. En opposition à ces représentations, les gilets jaunes souhaitent embellir et améliorer l’espace du baraquement pour le rendre plus accueillant et encourager les passants à les rejoindre. Le baraquement doit se présenter comme un nouveau lieu d’activités politiques ouvert à toutes et tous, quand les campements précaires sont perçus comme une privatisation de l’espace public.

Les différentes œuvres des militantes et militants sont aussi des représentations symboliques de la mobilisation. À Pérignat, des gilets jaunes ont réalisé trois constructions collectives exposées autour du baraquement. Celle dont ils sont le plus fiers est une « galère » en bois de plus de deux mètres de long, dont les rames sont à l’effigie des principaux groupes que le mouvement entend représenter : « Artisans », « Paysans », « Étudiants », « Retraités », « PME »9. Pour eux, cette œuvre d’art symbolise le mouvement, et leur « galère dans la vie ». D’abord conçue dans un but esthétique, elle illustre le paradoxe de ne pas vouloir « faire précaire » tout en rappelant que les gilets jaunes souffrent précisément de leur situation de précarité. Elles et ils expriment un attachement symbolique à cet ouvrage et ont prévu de l’offrir à l’agriculteur propriétaire du terrain où ils sont installés.

La volonté de faire perdurer des symboles au-delà de la mobilisation a été ressentie sur plusieurs sites et correspond à une dynamique d’ancrage du mouvement dans l’espace. À Pérignat, les gilets jaunes ont également réalisé une ancre de bateau « pour montrer [qu’ils sont] ancrés sur le rond-point ». À Carcassonne, la volonté d’ancrage s’est traduite par une autre action symbolique : planter un arbre sur le rond-point, comme le raconte une militante retraitée : « C’est le chêne qu’on a planté le 17 [avril] pour les cinq mois de lutte : on a mis un chêne. On a demandé l’autorisation pour le faire, on n’a jamais eu de réponse, donc on s’est dit “qui ne dit rien consent”, et on l’a planté. On a mis des jonquilles à côté pour rappeler les gilets jaunes. […] Moi, j’espère que mes enfants, mes petits-enfants pourront le voir grandir, car je pense qu’on restera dans l’histoire quand même. Après cinq mois de lutte pour rien. Mais la lutte n’est peut-être pas finie. » La plantation de l’arbre a été relayée par la presse locale dans un article au titre évocateur – « Le mouvement des gilets jaunes s’enracine » –, qui reprend les propos d’une militante au sujet de l’inscription du mouvement dans la transmission d’un héritage local : « Cet arbre démontre qu’on s’inscrit dans la tradition des luttes. Les mineurs de Salsigne avaient posé un rocher sur le boulevard Jean-Jaurès, à Carcassonne. Nous, on plante un arbre. » Cette volonté de s’inscrire dans une filiation et une histoire locale a également été retrouvée à Pérignat-lès-Sarliève. « Ici Vercingétorix a tenu J. César en échec. Refaisons l’histoire », peut-on lire sur un panneau exposé sur le rond-point, faisant référence à la victoire remportée par le chef gaulois contre les légions romaines, à Gergovie, en 52 avant J.-C. Pour le gilet jaune qui présenta à l’une d’entre nous l’ensemble des panneaux, c’était celui qu’il préférait : « car il parle d’ici », disait-il.

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Un chêne planté par les gilets jaunes pour célébrer l’anniversaire du mouvement (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

La lutte est tournée vers l’avenir autant qu’elle est menée en souvenir de celles et ceux qui y ont péri. Ainsi à Laon, onze croix jaunes ont été installées sur le rond-point, en hommage à ceux qui sont morts depuis le début du mouvement : ce cimetière symbolique témoigne à la fois du caractère national du mouvement, les décès étant survenus sur l’ensemble du territoire, et d’un devoir de mémoire des gilets jaunes.

De l’installation des premières pancartes à la plantation d’un arbre, en passant par la réalisation d’œuvres collectives, les moyens déployés par les gilets jaunes sont divers et créatifs pour rendre visible le mouvement et le baraquement, ainsi que pour se différencier d’autres groupes occupant habituellement l’espace public et largement stigmatisés. Entre revendications politiques, messages et décors accueillants, recherche d’esthétique et symboles révolutionnaires (Wahnich, 2019a), il s’agit d’affirmer un mouvement militant pacifique, inscrit dans un univers culturel accessible à tous et toutes, de montrer une ouverture vers l’autre, mais aussi d’affirmer l’identité spécifique des gilets jaunes. Le recours à des symboles, à des faits et figures historiques semble exprimer une volonté forte de s’inscrire dans l’histoire nationale, en tant qu’héritiers du mouvement révolutionnaire émancipateur du peuple français (Wahnich, 2019b), mais aussi dans l’histoire des luttes locales, celles qui relient les familles et les générations. 

1.3 Aménager l’espace : entre équipements de première nécessité, accueil et organisation de la vie politique


Un aménagement fonctionnel mais convivial, pour vivre et accueillir

Au-delà de la mise en valeur de l’espace de lutte, les baraquements sont, au printemps 2019, le fruit d’un aménagement progressif, pensé pour organiser la vie quotidienne, l’accueil et la mobilisation politique de manière durable. À Laon, Molsheim, Pérignat, et Carcassonne, nous avons découvert des lieux de vie méthodiquement bricolés et équipés avec « les moyens du bord » pour des usages concrets, incluant même parfois de quoi dormir et cuisiner, mais également pensés comme des espaces de convivialité où le confort n’est pas oublié. Parce qu’il est situé dans un ancien hangar, le QG de Rennes semble un peu à part, mais présente également un aménagement fonctionnel et pensé pour l’accueil.

Si au moment de notre enquête, le froid n’était plus une problématique prioritaire, il occupe une place importante dans le témoignage des personnes mobilisées. Dès les premières semaines, les gilets jaunes se sont organisés pour affronter l’hiver : sur tous les sites, le poêle et les réserves de bois ont été décrits comme indispensables. Le mouvement perdurant, les baraquements ont été consolidés pour permettre aux militants de tenir, en se protégeant du froid et des intempéries. Des savoir-faire techniques ont été mis en œuvre pour isoler le plafond – par exemple au moyen de « trois épaisseurs de bâches » à Carcassonne, de tôle à Pérignat et à Laon, de laine de verre et de ouate à Molsheim –, surélever le plancher avec des palettes afin d’avoir les pieds au sec (Laon, Carcassonne). À Carcassonne, il a paru nécessaire de construire des toilettes lorsque les militantes en ont réclamé pour pouvoir occuper le QG 24 heures sur 24 comme les hommes, ce qui rappelle que les espaces de mobilisation politique ne sont généralement pas pensés pour les femmes.

S’il vise d’abord à protéger ses occupants du froid, l’aménagement du baraquement remplit par ailleurs deux fonctions principales : accueillir les gilets jaunes et les visiteurs, et faciliter l’organisation de la mobilisation. Sur l’ensemble des sites, quel que soit l’espace disponible, les militants et militantes ont insisté sur l’importance du « coin à vivre », où l’on accueille chacun et partage le café. Elles et ils l’ont équipé de tables, de chaises, de quelques rangements pour les réserves de nourriture et la précieuse cafetière. À Carcassonne, Rennes et Molsheim, c’est presque une cuisine tout équipée, alimentée par une bouteille de gaz et un générateur, qui a été installée. À l’extérieur, le barbecue est de rigueur sur tous les sites, pour organiser des repas collectifs aux beaux jours. La communication et l’organisation politique occupent également une place centrale. Des tableaux d’affichage où s’accumulent des messages de revendication, d’information sur les prochaines manifestations, des articles de journaux locaux portant sur le baraquement et les actions des gilets jaunes sont présents sur tous les sites. Et il y a bien sûr de quoi suivre l’actualité : à Carcassonne et Molsheim, les militants se sont procuré une télévision, tandis qu’à Laon et Pérignat, elles et ils se rassemblent autour d’une radio ou d’un téléphone mobile.

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Le poêle, indispensable dans tous les baraquements (Carcassonne, Pérignat-lès-Sarliève).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.


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Le coin café, un espace central du baraquement (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Là où le baraquement est suffisamment vaste (principalement à Rennes, Molsheim et Carcassonne), son aménagement doit rester modulable pour s’adapter aux rassemblements qui y sont organisés. Lors des assemblées générales ou d’autres événements collectifs, des tables sont retirées pour ajouter des chaises stockées à l’extérieur, qui sont placées en rond pour faciliter les échanges. Devenu un espace de vie quotidienne pour certains, le baraquement doit rester avant tout un lieu d’accueil que tous peuvent s’approprier. 

Si tous les baraquements des gilets jaunes ont en commun d’accueillir et de rassembler autour d’un équipement de première nécessité, le site de Rennes s’est distingué en remplissant pour les jeunes la fonction d’une véritable maison. Ainsi, une douche, des chambres y ont été entièrement construites pour accueillir des personnes sans logement. Un « coin enfants » a même été aménagé pour celui d’une jeune mère qui vit sur ce site et pour ceux des personnes qui viennent assister aux AG et participent aux manifestations. Les enfants sont gardés par les jeunes habitantes.


Un aménagement collaboratif et « 100 % récup’ »

Une grande tente blanche à Molsheim, un silo à grain à Pérignat, un assemblage de panneaux et de palettes à Carcassonne et à Laon… La construction des baraquements s’est faite en fonction du matériel que l’on avait sous la main. Partout, les gilets jaunes ont insisté sur son caractère à la fois collaboratif et bricolé, et sur l’importance des dons. Ceux-ci proviennent de militants et militantes, mais aussi de personnes de passage et d’entreprises, comme en témoigne fièrement Michèle, à Laon : « Alors, tout ça, c’est fait maison, c’est construit ici. On nous a ramené des grands morceaux et on a coupé tout ça, on a fabriqué. […] La cabane, tout part d’un abri de caddies que Leclerc nous a donné. La structure, c’est Leclerc, et on a construit autour. […] Et le bois, là, pour le feu, ce sont des gens qui s’arrêtent et qui nous le donnent. Les chaises, c’est pareil : au lieu d’aller jeter à la déchetterie, ils s’arrêtent, ils demandent si ça nous intéresse et puis ils nous le donnent. » Une partie du matériel a également été glanée sur d’autres sites gilets jaunes démantelés et non reconstruits, à l’image du poêle du baraquement de Pérignat, récupéré en décembre sur un autre rond-point. Tout est de la « récup’ », mais il ne s’agit pas non plus de tout prendre, car la place est limitée. Un tri minutieux est effectué. Par ailleurs, celles et ceux qui sont les plus présents sur le site ont apporté à l’aménagement du baraquement leur touche personnelle, rappelant leur espace domestique. À Molsheim, Marcel, 70 ans, explique avoir installé deux bars, car il en a un chez lui et voulait que le QG en ait un. Nous nous rappelons alors les mots d’Henri Lefebvre, dans La révolution urbaine, sur le quotidien le plus dérisoire et sa poésie. L’aménagement du baraquement, dans ses moindres détails, raconte la construction de ce lieu conçu comme un « chez-soi » collectif, c’est-à-dire comme le produit du processus d’appropriation (Segaud, 2010) :

Nathalie : Pour moi le plus important [sur le rond-point] c’est le QG : c’est un foyer ! La première chose que nous avons, c’était le bidon de feu avec deux palettes. Je pense vraiment que tout le QG s’est construit autour du foyer extérieur, il faisait tellement froid au début, tout le monde se retrouvait là. Puis on a mis des flammèches pour nous cacher du vent. Puis, à l’intérieur, pareil : tout s’est construit autour du poêle. Souviens-toi, autrefois, les bancs devant les cheminées, tu te souviens de ces bancs en pierre, eh bah c’est pareil. Et quand tu réfléchis, la vie se construit autour du feu, c’est toujours la même chose.

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Un aménagement collectif et « 100% récup’ » (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Enfin, il est également apparu que l’aménagement sommaire des baraquements était une manière pour certains d’exprimer un rejet de la consommation et de laisser place à une écologie populaire. À Pérignat, une militante était fière de montrer « qu’on se suffit de pas grand-chose ». La maîtrise de « la débrouille » est alors l’expression d’une conscience environnementale, mais aussi, pour certains, un signe de leur précarité. À Rennes par exemple, elles et ils sont nombreux à glaner des invendus dans les poubelles du supermarché voisin et à jardiner pour se nourrir. Le message est également politique, car il s’agit de renvoyer l’image d’un mouvement qui se soucie de l’environnement. À Carcassonne, les gilets jaunes ont monté un groupe pour acheter des produits locaux et bio directement auprès du producteur afin que « tout le monde s’y retrouve : on mange mieux avec un bilan carbone neutre et des produits payés au juste prix pour le producteur ». Car pour eux, il est impossible d’acheter bio dans les supermarchés : « ça ne colle pas avec notre pouvoir d’achat ». De plus, une gilet jaune était fière de nous présenter les gobelets réutilisables conçus spécialement dans le cadre du mouvement : « T’as vu, chez nous chacun à son verre, on ne gaspille pas les verres en plastique... Tu vois, les gilets jaunes sont écolos, ce n’est pas comme ils disent dans les infos. » Néanmoins, sans eau courante sur les sites, il ne leur était pas possible d’utiliser ces verres comme elles et ils le souhaitaient, et les gobelets jetables leur étaient souvent préférés. 

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Une étagère de verres réutilisables a été installée par les gilets jaunes de Carcassonne pour des raisons écologiques et économiques.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

2. Les baraquements, des espaces d’expérimentations citoyennes

Celles et ceux qui ont participé à notre recherche nous ont permis d’envisager différentes manières d’être gilet jaune, de s’enraciner dans le paysage social et de « faire baraquement », celui-ci étant conçu comme un lieu d’organisation politique, d’alternatives citoyennes, mais aussi un lieu de vie et d’accueil, après plus de six mois d’expérimentation démocratique. Cette seconde partie décrit la vie sociale dans les baraquements à travers l’inscription de pratiques militantes dans le détournement (Ripoll, 2005) de l’espace des ronds-points. Les pratiques des gilets jaunes témoignent en effet de leur volonté ambivalente d’inscrire dans le temps un mouvement contestataire, subversif, « extraordinaire » tout en renouant avec un ensemble de pratiques d’habiter et de sociabilité ordinaires (Guionnet, 2005).

2.1 Organiser le quotidien sur un lieu de contestation politique


Vivre sur un lieu de contestation politique : le cas de Rennes et Carcassonne 

À Molsheim, Pérignat et Laon, le site est « ouvert » à des horaires variables, selon les besoins et les disponibilités des personnes mobilisées. L’occupation est rythmée par les horaires des travailleurs et travailleuses : le café du matin, la pause de midi, la sortie du travail et le week-end sont des moments où le campement reprend davantage vie, envahi par une dizaine de gilets jaunes et leurs voitures. La situation est différente à Rennes et Carcassonne, où l’occupation du site est continue. Le discours est unanime à Carcassonne : si la cabane est tenue 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, c’est grâce aux retraités, qui représentent les trois quarts des militants restés mobilisés. Tandis qu’à Rennes, ce sont les jeunes d’une vingtaine d’année, « inactifs », « en galère » et souvent sans domicile fixe qui y vivent. Sur les deux sites, des stratégies de surveillance sont mises en place afin de ne pas perdre la cabane, pour le collectif et pour soi.

À Carcassonne, le baraquement est gardé la nuit, grâce à un système de roulement des volontaires : les militantes et militants s’inscrivent pour le mois afin « qu’il y ait toujours du monde sur le QG, pour pas qu’il brûle ou disparaisse », nous dit André, jeune retraité. À Rennes, ce sont les chiens des gilets jaunes qui accueillent les visiteurs et gardent la zone la nuit venue. Ils permettent à leurs maîtres de dormir. Les jeunes ne sont jamais dehors pour surveiller le site, contrairement aux gilets jaunes de Carcassonne, qui ont installé « deux Abribus, avec deux poêles, comme sur le péage, on s’en sert pour ne pas s’endormir et avoir froid, pour surveiller le site, et voir les nouveaux venus, la nuit ». À Rennes, il a été décidé d’accueillir les gilets jaunes et leurs alliés à des horaires fixes et lors de rencontres militantes, afin de préserver l’intimité des jeunes qui vivent à plein temps sur le campement. L’occupation de l’espace intérieur et extérieur se modifie en fonction des arrivées, des demandes des jeunes majeurs (« pas de mineurs, on ne veut pas les mettre dans la merde et nous mettre dans la merde ») et des événements. En effet, lors de l’ouverture de la Maison du citoyen, ils n’étaient que quatre gilets jaunes, alors qu’en juin, une dizaine de personnes habitaient la zone. Elles et ils ont construit également un espace « interdit au public » où ils peuvent se retrouver entre eux ou s’isoler lors des AG, auxquelles ils et elles n’aiment pas toujours participer car « c’est souvent la même chose qui est dite ». Les jeunes vivent en autogestion, elles et ils partagent leurs revenus, leurs aides sociales et les plans « glanés » pour se nourrir.

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Une chambre aménagée pour occuper le baraquement la nuit (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Les modalités d’occupation de l’espace diffèrent en fonction des besoins, du statut et de la place des gilets jaunes dans la société, ainsi que des opportunités perçues. D’un côté, on trouve des retraités et des actifs qui ont des fins de mois difficiles et peinent à subvenir aux besoins de leurs enfants et petits-enfants. Elles et ils cherchent dans leur cabane un lieu de solidarité afin de rompre la solitude face aux difficultés et de se mobiliser ensemble pour s’en sortir. De l’autre, on retrouve des jeunes en galère (Dubet, 1987) qui ont tiré parti d’un mouvement qui les prend en compte pour occuper un lieu et y vivre. Dans tous les cas, le QG n’est pas uniquement un local politique où l’activité se limiterait à l’organisation de la mobilisation : la vie quotidienne « envahit » le lieu de mobilisation politique, on y mange, on y dort, on tricote, on joue à la pétanque ou aux jeux vidéo, etc. Sur tous les sites, des parkings sauvages apparaissent pour que les gilets jaunes et leurs alliés puissent y accéder. Les gilets jaunes savent que cette occupation est éphémère et qu’un jour il faudra partir. En attendant, elles et ils profitent des sites pour s’investir, se mobiliser et emmener un peu de « chez eux » dans leur cabane partagée pour créer un « chez nous ».


Vivre ensemble, dans la convivialité et le respect

Même dans les baraquements occupés uniquement pendant la journée, la quotidienneté apporte son lot d’enjeux. Inscrire dans la durée un mouvement et l’occupation d’un site suppose de régler les conflits mineurs occasionnés par la cohabitation d’une multitude de personnes aux habitudes variées. Le fonctionnement du baraquement doit garantir des relations conviviales et apaisées entre les militants et militantes, ce qui passe généralement par un partage informel des tâches. Les pratiques quotidiennes des gilets jaunes traduisent une organisation horizontale et leurs discours insistent sur des valeurs comme le respect et l’inclusion. Par exemple à Rennes, une pancarte au mur indique que chez les gilets jaunes « on partage », « on met la table », « on fait des erreurs », « on dit bonjour », « on est vrai », « on pardonne », « on s’écoute ».

Ces règles de vie se construisent par les interactions quotidiennes entre les gilets jaunes, comme l’illustre un échange entre Sylvaine et Adrienne à l’extérieur du baraquement de Molsheim, lors de l’allocution d’Emmanuel Macron, à l’issue du Grand Débat :

Adrienne : Ils sont calmes hein ! [Rires] Ils sont bien élevés !

Sylvaine : Non mais c’est parce que Gérard il est sourd de l’oreille gauche, alors si les gens parlent pendant qu’il écoute la télé, il ne comprend plus rien et ça l’énerve. Et puis de toute façon s’ils s’agitent ils vont m’entendre ! Ah faut les tenir hein, mais moi j’y arrive ! [Rires] J’suis unique, moi ! Et puis, de toute façon, ceux qui ne suivent pas, ils n’ont rien à manger.

Adrienne : Ah oui, et ça en fait plus pour nous ! [Rires]

Sylvaine : Voilà ! Ma mère elle m’a toujours dit : « Ne te laisse pas faire. » Et ça, je l’ai toujours gardé, je ne me laisse pas marcher sur les pieds.

Cet échange, qui témoigne de l’organisation de l’inclusion d’une personne malentendante et du rapport de ces femmes au groupe (responsabilité de la cuisine et importance de s’affirmer), introduit une conversation sur la notion de respect, centrale pour le bon fonctionnement du baraquement, selon elles. Sylvaine nous raconte : « L’autre jour y’en avait un qui était bourré, ou enfin disons fatigué… Je ne vous raconte pas… On mangeait, il s’installe là et il rote sa bière sur son assiette ! J’étais en face de lui, je te jure, j’ai cru que j’allais changer de place. Je lui ai dit : “Tu ne fais plus ça ! Si tu veux roter tu vas là-derrière !” » Elle explique : « Non mais c’est une histoire de respect et d’éducation. On accepte tout le monde ici, seulement voilà, y’a des limites. » Au lieu de céder et de se déplacer, elle a affirmé sa position.

Alors que Sylvaine nous quitte pour ajouter du bois dans le feu, Adrienne, plus réservée, se présente elle aussi comme une femme qui « ouvre sa gueule ». Elle nous raconte son 17 novembre. C’est la présence de quelques autres femmes qui l’a décidée à sortir de sa voiture et à rejoindre l’attroupement sur le rond-point. On lui a offert un café mais elle a été choquée de voir les personnes présentes, hommes comme femmes, consommer du crémant en milieu de journée, avant de repartir en voiture. Ce comportement l’a décidée à ne plus revenir chez les gilets jaunes. Ce sont des rencontres ultérieures qui l’ont fait changer d’avis. Dans son récit, nous pouvons lire la même volonté d’affirmer ses principes, même si sa première réaction a été de quitter les lieux face à plusieurs inconnus dont elle réprouvait le comportement.

La consommation d’alcool et les « mauvaises manières » heurtent ces militantes qui se présentent comme des femmes fortes, respectables car engagées dans leur travail (domestique et professionnel), ne buvant pas, accueillantes mais fermes. Ce dialogue montre que pour les gilets jaunes impliqués sur le site, des compromis sont nécessaires pour permettre la convivialité et la cohésion.

À Molsheim, Sylvaine et d’autres militantes font « tourner le baraquement », en se chargeant de la cuisine, de recycler le verre tous les soirs. Elles se plaignent de cette charge mentale (« Ils pourraient quand même y penser, y’a une benne pas loin ! »), mais leur implication est reconnue par autrui. Dans les autres baraquements visités, nous avons noté que certains, hommes ou femmes, jouaient un rôle similaire et que les militants les consultaient pour des conseils ou des informations concrètes. 

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Pancarte rappelant les valeurs des gilets jaunes au quotidien (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Ainsi, le baraquement est un lieu d’expérimentation de la vie en communauté, et donc de construction de valeurs, de principes, de règles pour le partage des tâches et la bonne conduite des occupants. La régulation du fonctionnement du baraquement doit répondre aux besoins d’organisation politique et créer une ambiance conviviale entre les gilets jaunes et les visiteurs.

2.2 De l’espace de lutte au lieu de convivialité (a)politique


Un espace d’opportunité politique contestataire 

Nous avons été invitées à participer à des assemblées générales. Que ce soit une ou plusieurs fois par semaine ou par mois, la vie sur le baraquement est rythmée par les réunions politiques à l’occasion desquelles les cabanes se remplissent de gilets jaunes et de leurs camarades. Elles et ils discutent, s’organisent et résistent ensemble contre des politiques gouvernementales et locales qui les précarisent et/ou les déclassent (Boumaza et Pierru, 2007).

À Rennes, la « Zone », est avant tout un squat, un lieu de vie où de jeunes gilets jaunes vulnérables, précaires, sans domicile, cohabitent avec d’autres militants et militantes. Pour certains il ne s’agit pas du premier essai de vie dans un squat. Qu’ils portent ou non le gilet jaune, du seul fait de leur présence, cet espace de (sur)vie est contestataire. Certains témoignent de l’opportunité qui leur a été donnée d’apprendre à ouvrir un squat, à éviter l’expulsion et à vivre en autogestion. Ces jeunes de moins de vingt-cinq ans sentent qu’ils sont les premiers touchés par la politique familialiste de l’État (Van de Velde, 2009) et la hausse des prix (loyer, alimentation, etc.) qui rendent difficiles leurs fins de mois. Ce mouvement leur a permis de créer d’autres réseaux de solidarité comme en témoigne Sabine :

Chercheuse : Qu’est-ce que ça t’apporte, le mouvement ?

Sabine : [...] Ça fait du bien, parce qu’il y a des gens qui sont dans ta situation, t’as des personnes qui ne sont pas dans la même situation que toi, qui sont dans des logements, qui sont en études, ou qui bossent et ça te permet d’avoir une vie en communauté, de partager, ça permet de te dire « voilà, je suis dans telle galère », et de voir d’autres galères, et dans les débuts c’est vachement intéressant, parce que ce sont plein de points de vue différents. Il y a des papis et des mamies, ce sont les plus jeunes avec les plus anciens, je kiffe, en vrai. » 

Les gilets jaunes habitant le squat, comme celles et ceux qui n’y vivent pas, voient dans cet espace une occasion de poursuivre la déconstruction du clivage « jeunes militants violents versus vieux militants sages », « actions violentes versus actions non-violentes » qui pour les gilets jaunes interrogés dessert le mouvement.

La Maison du citoyen, à Rennes, est un espace « sans couleur politique » où les militants et militantes de tout bord, « excepté les fachos », peuvent expérimenter la convergence des luttes, à travers l’accueil des gilets jaunes. L’emploi du temps militant du QG va dans le sens d’une convergence et d’une formation de toutes celles et tous ceux qui les soutiennent.

Le lundi, les jeunes militants se retrouvent pour pouvoir mener des actions directes : « les AG, bah, on s’ennuie, c’est plus pour les vieux », disent-ils. Certains « vieux » militants participent parfois à ces AG pour « partager des expériences » ou « surveiller de loin, si jamais ça se passe mal le jour J », et pour « être entre personnes de confiance ». À Rennes comme sur d’autres sites, les gilets jaunes se méfient de ceux qu’ils appellent « les Renseignements généraux » ou « RG », des membres des forces de l’ordre qui se font passer pour des militants lors des AG afin d’obtenir des renseignements sur les actions organisées. Ainsi, certaines « commissions action » étaient fermées aux inconnus pour éviter le sabotage de leurs actions.

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Les chaises en cours d’installation pour l’assemblée générale, un « coin enfants » au fond (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Cette organisation de la mobilisation témoigne de l’expérience militante des individus et de leur volonté de partager les compétences acquises lors des précédents mouvements sociaux. En effet, nombreux sont celles et ceux qui étaient présents dans les espaces de mobilisation contestataires qui ont précédé le mouvement des gilets jaunes à Rennes, notamment lors de l’occupation de la Maison du peuple10 au cours de la lutte contre la loi travail, en 2015, et celle de la place du Peuple pendant Nuit debout, en 2016.

Dans les autres baraquements les gilets jaunes expliquent cette convergence des luttes par des difficultés socio-économiques identiques – finir le mois à découvert, devoir aider leurs enfants et leurs petits-enfants – tout en exprimant leur impression de ne pas faire partie « des plus mal lotis ». Le témoignage de Nathalie, à Carcassonne, va dans ce sens : « Nous on a vécu la guerre, on avait des parents qui ont vécu la guerre. On l’a tous vécue, on est les enfants d’après-guerre. On a su ce que c’était de ne rien avoir. [...] Aujourd’hui, on a un certain confort, ils ne savent pas [les plus jeunes]. Et ce confort, tu peux vite tout détruire si tu ne fais pas attention. Je ne suis pas sûre, qu’ils [les jeunes] aient envie de vivre dans le dénuement. C’est vrai qu’à mon époque, certains l’ont fait, comme au Larzac. On doit juste trouver la juste mesure, pas tout détruire ». Certains gilets jaunes réclament la démission du gouvernement, plus de justice sociale, une démocratie plus inclusive et participative, sans forcément remettre en cause le capitalisme. Les temps de rencontre, AG et commissions, sont organisés dans le but de créer de nouveaux outils démocratiques et plus participatifs, à l’échelle locale et nationale, et de sensibiliser les citoyens à l’usage de ces outils. Lors des AG, les discussions portent sur les actions non-violentes ou de sensibilisation à mener à l’échelle locale et à l’échelle nationale (notamment la pollution des terres dans les anciens bassins miniers). Par exemple, à Carcassonne, la cabane devient un espace d’accueil pour que les citoyens puissent répondre à la consultation nationale lancée par des gilets jaunes de plusieurs régions (parmi lesquels on trouve certains Carcassonnais) pour proposer une alternative au Grand Débat d’Emmanuel Macron. Elles et ils veulent proposer une autre manière de faire démocratie sans être associés à une couleur politique (Guionnet, 2005). L’objectif affiché, tant dans leur discours que dans les actions politiques proposées dans le baraquement, est la massification du mouvement. À Carcassonne, Laon, Molsheim et Pérignat-lès-Sarliève, cela passe par l’accueil de tous sans aucun jugement, y compris s’agissant des propos, par exemple racistes ou sexistes, qui pourraient être un motif d’exclusion dans certains mouvements. Les gilets jaunes encouragent plutôt au dialogue : « Au moins ils viennent et on en discute. On leur dit que ça ne se dit pas, [...] et qu’ils savent bien que ce n’est pas la faute des immigrés mais celle des dirigeants. »

Les expérimentations politiques qui ont lieu dans les baraquements sont variées, tant en ce qui concerne les modes d’actions que les revendications. À Rennes, la zone est perçue comme une opportunité éphémère pour s’organiser et se former. Les militants pensent que « si ce n’est pas cet espace, ça en sera un autre ». Ailleurs, la perception de cet espace est différente : pour certains, si le mouvement se termine, et si le baraquement est détruit, «  il n’y en n’aura plus jamais, il ne faut pas lâcher, parce qu’un mouvement comme ça, ça n’arrive qu’une fois » (Carcassonne) ; pour d’autres, l’occupation du baraquement n’est qu’un début, mais cela reste un moment fondateur dans leur parcours.


L’importance des moments festifs

L’organisation d’événements festifs occupe une place majeure dans la mise en récit par les gilets jaunes de leur expérience des baraquements. Sur tous les sites, ces festivités sont décrites comme marquantes – au-delà de leur caractère exceptionnel – et particulièrement fédératrices, en raison du rôle qu’elles ont joué dans la construction d’une expérience collective et de souvenirs communs. Nous distinguons trois types d’événements festifs qui illustrent l’imbrication de la vie quotidienne et de la vie politique sur le baraquement.

Il y a tout d’abord ceux que nous avons appelés les événements festifs « de la vie ordinaire », comme les anniversaires des militants, le réveillon du 31 décembre ou, sur certains sites, le réveillon de Noël et la fête de Pâques. La célébration de ces événements sur les ronds-points, parfois après quelques semaines de mobilisation seulement (Noël et le nouvel an), confirme que le mouvement a très rapidement pris une place majeure dans l’agenda des individus mobilisés, et donné un nouveau souffle à la sociabilité11. Il a alors permis de fêter des moments que certains célébraient autrement, et que d’autres n’avaient pas ou plus l’habitude de célébrer, comme en témoigne Michèle, à Laon, en parlant du réveillon du 31 décembre organisé sur son rond-point : « Alors vraiment, je ne me suis jamais autant éclatée de ma vie. C’était génial. [...] Ça a duré jusqu’à 7 heures du matin et, tout au long de la soirée, on a eu des gens qui étaient sur la route, qui voyaient qu’on était là et qui, du coup, s’arrêtaient avec une bouteille, ils venaient dans la cabane, on les invitait, on buvait un verre avec eux, ils étaient contents de nous voir, puis ils partaient. On a eu des gens qui sont passés comme ça tout du long de la nuit. On a même eu un monsieur d’une agence de sécurité. [...] Le gars, il est rentré dans la cabane, il est ressorti 3-4 heures après, il a dit : “Depuis le temps que je travaille je n’ai jamais fait un nouvel an, je suis heureux.” […] Il nous a un peu raconté sa vie, qu’il avait fait la sécurité dans des concerts de Johnny, des trucs comme ça. Vraiment, c’était sympa. »

Le baraquement est ensuite le lieu de ce qu’on pourrait qualifier de « soirées politiques » : soirée passée à écouter un discours d’Emmanuel Macron (Molsheim) ou soirée des élections européennes (Pérignat). Il s’agit de vivre collectivement l’expérience politique, de prendre connaissance ensemble de l’actualité politique, de la commenter et de se soutenir face à ce qu’elle représente. Ce sont aussi des événements que l’on vit habituellement chez soi, seul devant son téléviseur, et qui sont ici vécus collectivement, grâce à l’existence d’un lieu partagé.

Enfin, les militants et militantes ont évoqué les événements visant à célébrer le mouvement lui-même. Sur plusieurs sites, il a été question de fêtes organisées à chaque « anniversaire » du mouvement pour se féliciter, mois après mois, de la ténacité des militants. À Pérignat, par exemple, un « barbecue géant » a été organisé en avril, pour fêter les cinq premiers mois de mobilisation. Ces événements ont pour but d’entretenir la motivation des militants et des militantes, tout en montrant à tous la résistance du mouvement. Sur les différents sites, certains de ces événements festifs et commémoratifs ont été relayés par la presse locale, perçue comme un outil permettant de contrecarrer le discours de la presse nationale, évoquant l’essoufflement du mouvement.

L’ensemble de ces activités contribue à valoriser les individus au sein du groupe (lorsqu’on célèbre l’anniversaire d’une militante ou d’un militant), mais permet surtout de se connaître davantage, de « souder les troupes » face à la menace d’un arrêt du mouvement, en se félicitant de sa persistance. Elles participent à la construction d’une mémoire individuelle et collective du mouvement ainsi qu’à l’ancrage du baraquement dans le paysage social.


Au quotidien, un café politique et solidaire ?

Si les événements festifs ont une importance particulière dans la vie du baraquement, les interactions et sociabilités se construisent au quotidien, y compris pendant les « temps morts » de la mobilisation politique. L’inscription du lieu dans la durée et le développement de pratiques routinières sur le baraquement ont multiplié ces moments passés non pas à organiser l’action politique, ni à la célébrer, mais à échanger, débattre, commenter l’actualité, ainsi qu’à se conseiller les uns les autres, s’entraider, etc.

Les gilets jaunes présentent eux-mêmes le baraquement comme le lieu où renaît une sociabilité perdue, où l’important est de se retrouver. À Carcassonne, une militante nous a fait une description du baraquement proche de celle d’un café de village, où l’on recherche une convivialité, au-delà de l’engagement politique : « Pour moi, la mobilisation sur les ronds-points, c’est une resocialisation dans les villages. Avant, les gens, surtout dans le Sud, sortaient leurs chaises, devant le pas de la porte, discutaient, faisaient des grillades devant leur porte, les voisins arrivaient et prenaient l’apéritif. […] Aujourd’hui, t’as plus ça. Avec les ronds-points, tu retrouves les gens qui discutent, prennent le temps d’échanger, de grignoter, de partager leurs problèmes. […] C’est pour ça que les gens aiment se retrouver, reviennent le soir à la sortie du travail, et le samedi se retrouvent. Tu vois, ici, il y a un espace spécialement pour les jeux de boules. Tu ne les as plus partout, maintenant, dans plein de villages, ça a disparu. » Il s’agit bien de recréer du lien, de lutter contre une société jugée individualiste en renouant le contact avec ses voisins, mais aussi son territoire et ses traditions locales. Nous avons retrouvé cette manière d’envisager le baraquement surtout sur les sites de Laon, Pérignat, Molsheim et Carcassonne.

Parler de « café politique » renvoie à l’expérience et à la formation politiques des militants et militantes dans le baraquement, qui est un lieu pour échanger sur l’actualité politique et ses acteurs et actrices, pour partager son expérience vécue, agir et prendre des décisions. C’est ainsi que nous avons observé que le politique ne cesse de resurgir dans les conversations. À Pérignat, un gilet jaune raconte comment la soirée de la veille a pris la tournure d’un débat politique lorsqu’un groupe a rejoint le baraquement après avoir participé à une marche pour le climat en centre-ville : « On était une grosse dizaine, on s’est mis à parler de tout et de rien et ça a terminé en débat. » Il insiste alors sur la place importante des femmes dans les échanges ce soir-là, ce qui selon lui est un fait récurrent : « C’est les femmes surtout, hier elles étaient six et quand elles sont nombreuses, elles débattent toujours. » De même à Molsheim, une conversation entre trois femmes retraitées attire notre attention. La discussion porte sur le fils de l’une d’entre elles, « qui a obtenu un CAP qui lui plaît », mais dont le véhicule a percuté un renard sur la quatre-voies et dont il va falloir payer les frais de réparation. Très rapidement, l’exemple est généralisé : « Imagine ceux que les parents ne peuvent pas aider ! » Il donne lieu à une discussion politique sur les perspectives et les aspirations des jeunes, où s’expriment de fortes émotions : sentiment d’injustice, colère, crainte mêlée à la détermination, amertume. L’une des femmes déclare que, si elle perd son logement, elle montera « sur une grue et [que] le premier qui approchera [la] verra sauter », une autre annonce que, dans de pareilles circonstances, elle irait vivre dans sa voiture et la troisième acquiesce. Elles poursuivent en mentionnant les insultes qu’elles sont capables de proférer à l’encontre du gouvernement. Elles disent leur colère qui « explose » et concluent : « c’est comme ça, ils nous ont rendues amères », avant d’aborder des sujets plus légers. L’irruption du politique s’accompagne ici de l’expression de registres émotionnels présents dans d’autres mouvements sociaux (Traïni, 2009) : la colère, la rupture, les éclats après l’usure, face au sentiment d’injustice. 

Le baraquement est ainsi le lieu du partage de l’expérience, où se construit autour de cette intersubjectivité (Stern, 2005) une identité collective, basée sur la violence vécue et la rébellion, mais aussi sur la camaraderie et la solidarité. Déjà évoquée, la notion de solidarité est au centre de la réflexion sur l’ancrage du mouvement. Derrière le fameux « on lâche rien », il y a une volonté de ne pas laisser s’éteindre la rébellion, la contestation du pouvoir en place, mais aussi la solidarité et la sociabilité recréée. « Il n’y a que la solidarité qui nous fera gagner », tel est le mot d’ordre inscrit sur la porte du baraquement de Pérignat, et c’est aussi la raison de leur résistance. Les expériences de solidarité y sont d’ailleurs relatées avec une certaine fierté, comme le fait que de jeunes chômeurs ont réussi à trouver un emploi par l’intermédiaire de personnes rencontrées sur le rond-point. 

Si le baraquement est d’abord un lieu de mobilisation contestataire, son ancrage dans le paysage social et dans le quotidien des individus témoigne du développement de sociabilités dépassant largement l’organisation du mouvement politique. Le baraquement s’enracine comme un lieu de vie et de resocialisation – politique et apolitique – et apparaît finalement comme un refuge, où beaucoup viennent trouver de la compagnie, des gens qui leur ressemblent, partagent les mêmes conditions de vie et la même colère. Cette solidarité permet de retrouver le courage d’affronter le quotidien et les difficultés liées aux luttes sociales. 

2.3 Le QG et « les autres » 


Le baraquement, lieu de matérialisation du soutien au mouvement

Nous sommes arrivées sur le baraquement poussées par la curiosité et la volonté de soutenir le mouvement. Nous voulions déconstruire le stéréotype du gilet jaune violent relayé par les médias mainstream. Dès notre arrivée sur le site du baraquement, nous nous sommes présentées, nous avons expliqué les raisons de notre venue et évoqué les questions que nous nous posions. Du fait de notre présence, les gilets jaunes se sont sentis soutenus, reconnus. Nous avons été accueillies à bras ouverts : café, croissants et sourires. Les gilets jaunes nous ont alors parlé du soutien reçu de la part des passants, et en particulier des nombreux dons. Les gilets jaunes de Laon ont ainsi énuméré les dons d’un sapeur-pompier, de la direction d’un hypermarché, d’automobilistes, ou encore d’un boulanger, s’arrêtant pour distribuer son excédent de pain. Il s’agit de nous montrer l’ampleur de l’intérêt pour le mouvement et que le baraquement tient non seulement grâce aux gilets jaunes présents, mais également grâce à leurs nombreux sympathisants et sympathisantes. Il est un repère, un point de contact pour tous les électrons libres qui se rapprochent ponctuellement du mouvement des gilets jaunes. Ces soutiens sont considérés comme des marqueurs de l’utilité du mouvement et de la résilience des militants, qui ont consacré une énergie et un temps considérables au fil des mois à tenir le baraquement. Sur l’ensemble des sites étudiés, les klaxons et signes de la main des automobilistes sont vivement appréciés par les militantes et militants présents. Même dans le cas de Molsheim, où le baraquement est en retrait d’environ cinquante mètres par rapport à la chaussée, les klaxons sont importants. Ils font même l’objet d’un jeu : lorsqu’on entend un train arriver, il faut se dépêcher de se rendre visible et faire un geste au conducteur ou à la conductrice pour espérer obtenir un klaxon. 

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Étagères de dons de nourriture (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

La rhétorique du « bon militant », qui permet de négocier l’usage du lieu, est également employée par les gilets jaunes pour s’assurer du soutien de la population. À Pérignat, c’est pour cette raison que les militants choisissent d’être « pacifiques ». À Molsheim, à l’issue de l’allocution d’Emmanuel Macron, une femme s’oppose à l’idée de bloquer des ronds-points : « Ce n’est pas les gens qui rentrent du boulot qu’on veut faire chier, c’est eux là-haut ! Et à cette heure-ci, à la préf’, y’a plus personne ! » Les modes d’action sont choisis en fonction du message qu’ils véhiculent et de manière à ne pas amoindrir le soutien au mouvement.

Il y a des « ennemis » déclarés et identifiés et des soutiens potentiels. Dans ce contexte, les rapports des gilets jaunes avec les forces de l’ordre sont ambivalents et variables selon les sites. À Carcassonne, ils sont cordiaux avec les policiers et les gendarmes, même si l’institution ne voit pas la chose d’un bon œil, comme nous l’explique André, un militant retraité :

« La police nationale et la gendarmerie, tous les matins ils venaient nous voir, à Trèbes, ils discutaient avec nous, prenaient le café. Tous les jours ils venaient, sympathiques. Il y en a beaucoup qui étaient avec nous. Depuis qu’on est là [sur le rond-point de Carcassonne], ils nous ont apporté aussi les croissants, c’était sympa. Un jour qu’ils passaient par le rond-point, je leur ai dit : “On vous voit plus.” Et là ils s’arrêtent : “Bah non, on s’est fait remonter les bretelles, car des gens ont vu la camionnette, et on s’est fait remonter là-haut, et ils nous ont dit qu’on n’avait rien à foutre ici, et depuis on ne vient plus.” Tu vois, les gens bien intentionnés, ça les emmerdait de voir les flics ici, quoi. »

À Laon et Pérignat également, les discours décrivent des forces de l’ordre « plutôt de leur côté » et on se félicite de l’absence d’incident. Lors d’une discussion de groupe, des militants de Pérignat confient leur impression que certains policiers les comprennent, sont « comme [eux], à ne pas se faire payer toutes leurs heures, à avoir du mal à finir les mois ». À Laon, la police nationale de passage en camionnette sur le rond-point n’hésite pas à klaxonner et saluer de la main les gilets jaunes présents. Mais quand un convoi de gendarmes passe par le rond-point pour se rendre à Paris en prévision d’une manifestation, l’ambiance est beaucoup plus tendue et un gilet jaune fait ce commentaire au sujet des jeunes gendarmes : on « les envoie au front » et ce sont de « bons petits soldats », alors que les gendarmes plus anciens sont, selon lui, « plus intelligents  et soutiennent le mouvement ». Au passage des camionnettes, lesdits gendarmes, tous très jeunes, saluent pour certains les militants, d’autres leur adressent des gestes obscènes et obtiennent des sifflets et des huées en retour.

Le baraquement est donc un lieu où se matérialise le soutien au mouvement. Les gilets jaunes peuvent observer des manifestations symboliques ou concrètes de ce soutien, au fil des mois. Comme un baromètre de la considération de la population locale pour le mouvement, les actes de soutien nourrissent également la motivation des militants du baraquement. À Carcassonne, six mois après le 17 novembre, les personnes rencontrées évoquent leur nostalgie des débuts : « Ça a baissé, on voit plus de gilets jaunes sur les pare-brise, il y en a quelques-uns qui klaxonnent, mais au début c’était sans arrêt et là, ça s’est vachement arrêté. » Celles et ceux qui tiennent le baraquement le reconnaissent : « Il y a des jours, c’est pesant. »

En effet, le soutien de la population a des conséquences directes sur le fonctionnement du baraquement, d’une part dans son organisation concrète, la réduction des dons rendant plus difficiles les activités quotidiennes, et d’autre part pour le maintien du moral et de la détermination des militants. Sur l’ensemble des sites étudiés, on nous a parlé de ces gilets jaunes absents : des jeunes qui ne se mobilisent pas ou plus, des personnes qui ont quitté le mouvement, par usure, des militants occasionnels qui ont abandonné le combat… On parle de l’attente du soutien de la population et de la difficulté à « faire bouger » les gens. Devenus sujets politiques, militants aguerris, parfois même à plein temps, sur de longues périodes, ils et elles constatent combien il est difficile de provoquer un sursaut massif et une implication profonde dans une lutte qui dure. Car eux-mêmes sont aussi, du fait de leur engagement sur le baraquement et dans le mouvement, souvent absents de leur propre foyer, et il leur faut négocier des arrangements familiaux. Elles et ils trouvent dans leurs convictions, dans le soutien d’autrui et dans la solidarité construite sur place le moteur de leur endurance. Et ainsi, le baraquement résiste au temps qui passe, l’enjeu étant qu’il ne devienne pas un simple élément du décor, mais que subsiste son caractère dérangeant et mobilisateur.


Le baraquement, un QG pour d’autres groupes politiques

Le quartier général, le QG, comme beaucoup de gilets jaunes rencontrés qualifient leur baraquement, n’est pas seulement un lieu où se rassemblent des membres du mouvement, mais réunit aussi divers groupes pour l’organisation de la lutte politique. Ainsi, sur trois des sites étudiés, il est apparu que le baraquement accueille des militants d’autres organisations politiques et de collectifs, dans le cadre d’assemblées générales, de formations, ou d’événements organisés à l’initiative de personnes qui cherchent simplement à s’informer ou à agir ensemble.

À Rennes, par exemple, la fresque intérieure montre les logos d’organisations anarchistes ou du mouvement Extinction Rebellion, et la table où l’on vient s’informer, à l’entrée, présente un éventail de publications de militantes et militants autonomes, appellistes, anarchistes, écologistes. Des formations juridiques sont dispensées, notamment par un collectif autonome appelé Défense Collective, que les gilets jaunes présents tiennent en bonne estime car il les aide, les soutient, notamment lors des manifestations du samedi et pour faire face à leurs conséquences (blessures, interpellations). D’autres organisations politiques et syndicales ont été représentées à la Maison du citoyen gilet jaune, parmi lesquelles la CGT, La France insoumise, le Mouvement des Jeunes communistes de France. Cependant, au moment de l’enquête, les militants qui s’y impliquent encore ponctuellement le font à titre personnel ou à distance, via le groupe Facebook. La proximité des modes d’action et d’organisation, la volonté commune de démontrer le conflit avec l’État et les forces de l’ordre dans la rue, et les mots d’ordre visant l’insurrection ou la rébellion, peuvent expliquer que les gilets jaunes aient entretenu des relations soutenues avec les groupes libertaires et autonomes rennais qui ont trouvé à la Maison du citoyen une nouvelle Maison de la grève12 dans laquelle elles et ils s’organisent et expérimentent la convergence des luttes avec plusieurs organisations dans un même espace politique.

Si, à Rennes, les militants et militantes d’autres organisations ou collectifs rejoignent le baraquement avec des savoir-faire militants à partager, à Carcassonne, des professeures du secondaire, non encartées, non syndiquées, sont aussi venues sur le rond-point demander conseil aux gilets jaunes pour organiser des actions de sensibilisation et de lutte avec leurs collèges et des parents d’élèves, dans le cadre des mobilisations contre la loi Blanquer sur la réforme du lycée et du baccalauréat13. Ainsi le baraquement a été identifié par ces militantes en devenir comme un lieu où elles pouvaient trouver des ressources et des compétences pour mener à bien leur mobilisation, dans une logique de partage des savoirs et de convergence des luttes. En s’inscrivant dans le paysage, de manière bien visible et accessible, au fil des mois, le mouvement des gilets jaunes est devenu un point de repère politique, dans un contexte d’éloignement et de méconnaissance croissants des organisations politiques et syndicales traditionnelles.

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Les autocollants d’organisations politiques à l’entrée de la Maison du citoyen gilet jaune (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Dans le cas de Pérignat, alors même qu’au moment de l’enquête, les personnes interrogées pouvaient s’inquiéter du manque d’actions politiques sur le site et de la démobilisation, le maintien du baraquement sur le rond-point a permis, le 12 octobre 2019, qu’une action en faveur d’un référendum d’initiative partagée concernant l’avenir des aéroports de Paris ait lieu. L’ensemble des gilets jaunes du Puy-de-Dôme y ont participé, au-delà du seul cercle du baraquement de Pérignat. La plupart n’ayant plus de QG, la résistance dans le temps du baraquement de Pérignat en fait le dernier bastion départemental du mouvement. De ce fait, le baraquement est reconnu comme un lieu d’action militante commune. Si le rond-point pouvait déjà être un lieu de barrages filtrants pour la diffusion de tracts lors de grèves ou de blocages économiques, dans le cadre de pratiques militantes d’organisations syndicales et politiques, il a acquis depuis décembre 2018 le statut d’espace politique. L’enracinement du mouvement des gilets jaunes dans l’espace et le temps grâce au baraquement lui a conféré, à Pérignat et à Carcassonne, cette capacité d’accueillir des initiatives politiques contre les réformes du gouvernement, rassemblant au-delà du cadre inter-organisations habituel ou, plus largement, des routines militantes d’organisations instituées.

Conclusion

Le temps passé sur le baraquement avec celles et ceux qui le tiennent, nous a permis d’échanger, d’apprendre des voix, des regards, des odeurs, des émotions et des expériences du quotidien, loin du portrait stéréotypé et méprisant brossé par le gouvernement et la plupart des médias. Nous avons vécu de la solidarité collective, construite de bric et de broc, avec les compétences de chacune et chacun.

Le baraquement, par sa construction, son apparence et son implantation à l’extérieur des villes, est la manifestation de la relégation socio-spatiale de celles et ceux qui n’ont pas accès aux salles chauffées de la politique institutionnalisée. Elles et ils font de la politique dans des espaces précaires, où le vent, la pluie et le froid pénètrent.

Les gilets jaunes viennent sur les baraquements pour faire entendre leur voix, créer un collectif, s’organiser contre les réformes néolibérales qui détricotent leurs acquis sociaux et les touchent de plein fouet. Ainsi, elles et ils mettent un terme à l’attente de réponses venant d’un État imprévisible qui ne leur donne plus aucune prise sur l’avenir. Le baraquement est un lieu de résistance qui leur permet de sortir de la soumission qu’impliquait cette attente et, de fait, ils ne sont plus suspendus aux décisions étatiques autoritaires, mais bien des acteurs et actrices qui comptent sur l’échiquier politique (Bourdieu, 2012). Et même si elles et ils ne sont plus dans une situation de « désobéissance civile », le baraquement est la matérialisation concrète et symbolique de leur engagement. Il est la partie visible de la précarité14 toujours plus grande de citoyennes et citoyens prêts à tout pour se faire entendre, comme le résume une militante : « T’as vu où en est arrivé le gouvernement, pour que des gens abandonnent leur foyer, leur famille, leurs amis pour tenir, ça depuis plus de six mois ! »

Nous émettons l’hypothèse que le baraquement, comme répertoire d’action des gilets jaunes, a pour spécificité de s’apparenter à l’engagement citoyen formant un « rhizome » tant dans l’espace que dans le temps. Les caractéristiques du rhizome paraissent en effet particulièrement fécondes pour penser le baraquement : « contrairement à une organisation verticale où chacun doit jouer un rôle précis dans une forme de rigidité́ organisationnelle, le rhizome tisse un lien fédérateur linéaire de proche en proche entre des éléments mobiles, qui peuvent tantôt entrer dans le système, tantôt en sortir, de façon non prévue » (Deleuze, 1980 in Guionnet 2021a).

Le baraquement, malgré les disparités et spécificités locales, est le symbole matériel d’une résistance citoyenne nationale face à un État autoritaire. Tant que la cabane tient, elle donne de la visibilité au mouvement et nourrit l’engagement citoyen. Par sa présence à l’entrée des villes, le baraquement représente la colère du peuple et sa détermination à se faire entendre. D’une certaine manière, il est la matérialisation du chant des cheminots15 repris par les gilets jaunes lors des manifestations : « On est là, on est là, même si Macron le veut pas, nous on est là, pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, nous on est là ! »

Le baraquement est maintenu pour les gilets jaunes eux-mêmes et leurs enfants, mais également pour celles et ceux, absents, qui sont dominés au quotidien : « C’est sept millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, on ne les voit pas, pour ceux qui manifestent tous les samedis et qui sont victimes de la violence policière, toutes ces vies gâchées ! Quand on a perdu des mains, des yeux, qu’on a été sali, humilié ! Si on arrête maintenant, ils auront souffert pour rien. [...] Les matraquages gratuits de Castaner. Quand on va sur place, et quand on voit les vidéos de nos propres enfants. On ne peut pas s’arrêter avec toute cette violence. On n’est rien que du bétail, ils ne veulent pas du petit monde, ils veulent le monde de premiers de cordée et nous on n’est rien. »

Le baraquement représente le besoin vital des individus de faire de la politique. Il est le garant de la « vraie » parole du peuple. C’est un forum citoyen facilitant la prise de parole collective et la pratique quotidienne de la démocratie et participant ainsi à la relocalisation de la politique (Jeanpierre, 2019). Comme l’engagement citoyen, il n’est pas nécessairement pensé comme un espace militant par celles et ceux qui l’occupent : il a été avant tout créé pour se (re)connaître, (ré)apprendre à vivre ensemble et s’organiser afin de construire une société en dehors des organisations politiques et syndicales traditionnelles. Pour nous, la construction et l’enracinement de baraquements dans toute la France témoignent de l’absence d’agora, de forum citoyen, dans les communes, les villes, les villages. Les cabanes communiquent entre elles et tissent sur le territoire, via les réseaux sociaux et routiers, des liens avec différentes organisations favorisant les solidarités collectives.

En fonction des opportunités spatiales perçues par les militantes et militants, le baraquement s’agrandit, disparaît, se déplace, se jumelle avec les cabanes d’autres villes, se métamorphose en « cabane mobile » pendant les vacances estivales, avec des temps de latence et de réactivation liés à l’actualité comme en témoigne cette retraitée rennaise, devenue militante gilet jaune sur le tard : « Tu vois, quand Geneviève Legay a été blessée à Nice et que la seule réponse du gouvernement a été que les vieilles dames comme elle ne devraient pas être en manif, bah, je suis devenue gilet jaune. Puis, avec les copines, on a monté une caravane des femmes gilets jaunes, et une page Facebook aussi pour les vieilles comme nous [rire]. On a pour projet de partir sur la côte ouest de la Bretagne, à Saint-Jean-de-Luz ». Le baraquement, comme l’engagement, est rhizome. Il peut disparaître d’un territoire, renaître et évoluer pour rassembler toutes les luttes. Ainsi, les 7 et 8 octobre, en pleine capitale, place du Châtelet, une cabane des convergences a été installée16 pour tous les « gilets » – noirs (pour les sans-papiers), verts (les écologistes), jaunes, rouges (les cheminots) – dans le cadre des deux semaines de désobéissance civile organisées par les militants d’Extinction Rebellion pour dénoncer l’inaction des gouvernements en matière de lutte contre le changement climatique. Cette cabane des gilets à Paris symbolise un idéal de convergence des luttes et témoigne de relations étroites entre les différentes organisations citoyennes contestataires et les gilets jaunes.

1 Tout au long de cet article nous nous efforcerons de féminiser la plupart des termes désignant les personnes rencontrées afin de ne pas

2 Les prénoms de l’ensemble des personnes interrogées ont été modifiés.

3  « Cabane » et « QG » sont les noms donnés par les militants et militantes de Carcassonne à leur baraquement.

4  Les gilets jaunes de Carcassonne ont recours à la notion de porte-parole plutôt que de référent, qui exprime pour eux des rapports sociaux

5 « Un QG mobile pour les gilets jaunes de Molsheim », Dernières Nouvelles d’Alsace [En ligne], 19 mai 2019, URL : https://www.dna.fr/actualite/2019/

6 Pour définir l’appropriation, nous nous référons à l’entrée correspondante de Marion Segaud, Jacques Brun, Jean-Claude Driant (dir.), Dictionnaire

7 Nous nous y sommes rendues dès le mois de février avant d’y retourner au printemps, parallèlement au déroulement de l’enquête sur les autres sites.

8 Aides personnelles au logement.

9 Une photographie de cette galère est visible sur le groupe Facebook des gilets jaunes de Pérignat à l’adresse suivante : https://www.facebook.com/

10 Le 1er mai 2016, après une manifestation dans le centre contre la loi travail, un groupe de manifestants et manifestantes a occupé une salle

11 Cf. Philippe Robert, « Le 1er janvier avec les Gilets jaunes de Pérignat-lès-Sarliève (Puy-de-Dôme) », La Montagne [En ligne], 1er janvier 2019

12 Collectif et espace de mobilisation pour les associations rennaises, très important dans la mobilisation contre la loi travail en 2016, notamment

13 Les mobilisations contre cette réforme se sont principalement déroulées à partir de février 2018, en réponse aux premières propositions du

14 Voir par exemple Christine Guionnet qui montre comment le vécu individuel précaire peut se transformer en posture collective valorisant la

15 Les paroles de ce chant, créé lors de la mobilisation des cheminots contre la privatisation de la SNCF en 2018, étaient à l’origine : « On est là

16 Gaspard d’Allens et Alexandre-Reza Kokabi, « Extinction Rebellion installe une Zad en plein Paris », Reporterre [En ligne], 8 octobre 2019, URL :

Bibliographie

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Notes

1 Tout au long de cet article nous nous efforcerons de féminiser la plupart des termes désignant les personnes rencontrées afin de ne pas invisibiliser l’engagement dans la mobilisation des femmes, majoritairement présentes sur les sites où nous nous sommes rendues. Nous partageons les conclusions d’autres chercheuses et chercheurs concernant l’engagement des femmes dans le mouvement des gilets jaunes (cf. Jean-Baptiste Devaux, Marion Lang, Antoine Lévêque, Christophe Parnet, Valentin Thomas, « L’engagement des femmes dans le mouvement des gilets jaunes. D’une situation favorable au contournement de la norme de militantisme virile », Congrès de l’AFSP, Sciences Po Bordeaux, 3 juillet 2019, ST 19 « Genre et formes d’organisation dans l’action collective »).

2 Les prénoms de l’ensemble des personnes interrogées ont été modifiés.

3  « Cabane » et « QG » sont les noms donnés par les militants et militantes de Carcassonne à leur baraquement.

4  Les gilets jaunes de Carcassonne ont recours à la notion de porte-parole plutôt que de référent, qui exprime pour eux des rapports sociaux hiérarchiques.

5 « Un QG mobile pour les gilets jaunes de Molsheim », Dernières Nouvelles d’Alsace [En ligne], 19 mai 2019, URL : https://www.dna.fr/actualite/2019/05/19/un-qg-mobile-pour-les-gilets-jaunes-de-molsheim.

6 Pour définir l’appropriation, nous nous référons à l’entrée correspondante de Marion Segaud, Jacques Brun, Jean-Claude Driant (dir.), Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 2003 : pour l’autrice, il s’agit de « rendre propre quelque chose, c’est-à-dire de l’adapter à soi et, ainsi, de transformer cette chose en un support de l’expression de soi. L’appropriation est ainsi à la fois une saisie de l’objet et une dynamique d’action sur le monde matériel et social dans une intention de construction du sujet » (Serfaty-Garzon, 2003, p. 27).

7 Nous nous y sommes rendues dès le mois de février avant d’y retourner au printemps, parallèlement au déroulement de l’enquête sur les autres sites.

8 Aides personnelles au logement.

9 Une photographie de cette galère est visible sur le groupe Facebook des gilets jaunes de Pérignat à l’adresse suivante : https://www.facebook.com/groups/1922657674508335/.

10 Le 1er mai 2016, après une manifestation dans le centre contre la loi travail, un groupe de manifestants et manifestantes a occupé une salle municipale au cœur de la ville de Rennes, à côté de place Sainte-Anne, vers laquelle ont convergé différents groupes politiques rennais (syndicats étudiants, chômeurs, citoyens Nuit debout, AG interprofessionnelle, etc.). Les occupants l’ont appelée « la Maison du peuple occupée ». Au bout de quelques jours, les derniers militants présents sur le site ont été délogés par le RAID.

11 Cf. Philippe Robert, « Le 1er janvier avec les Gilets jaunes de Pérignat-lès-Sarliève (Puy-de-Dôme) », La Montagne [En ligne], 1er janvier 2019, URL : https://www.lamontagne.fr/perignat-les-sarlieve-63170/actualites/le-1er-janvier-avec-les-gilets-jaunes-de-perignat-les-sarlieve-puy-de-dome_13097290/.

12 Collectif et espace de mobilisation pour les associations rennaises, très important dans la mobilisation contre la loi travail en 2016, notamment, et désormais inactif, sa dissolution ayant été annoncée au printemps 2020.

13 Les mobilisations contre cette réforme se sont principalement déroulées à partir de février 2018, en réponse aux premières propositions du gouvernement, jusqu’à la signature des décrets, en juillet.

14 Voir par exemple Christine Guionnet qui montre comment le vécu individuel précaire peut se transformer en posture collective valorisant la précarité comme forme d’engagement (« Précaires en politique. Études de parcours biographiques à Nuit Debout Rennes », in Guionnet Christine et Wieviorka Michel, Nuit Debout des citoyens en quête d’une réivention démocratique, Rennes, PUR, 2021).

15 Les paroles de ce chant, créé lors de la mobilisation des cheminots contre la privatisation de la SNCF en 2018, étaient à l’origine : « On est là, même si vous n’le voulez pas, nous on est là, pour l’honneur des cheminots et pour l’avenir de nos marmots/pour un monde plus beau, nous on est là. »

16 Gaspard d’Allens et Alexandre-Reza Kokabi, « Extinction Rebellion installe une Zad en plein Paris », Reporterre [En ligne], 8 octobre 2019, URL : https://reporterre.net/Extinction-Rebellion-installe-une-Zad-en-plein-Paris.

Illustrations

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La cabane de Carcassonne.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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La cabane de Pérignat-lès-Sarliève.

▪ Crédits : Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Le « QG » de Molsheim.

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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La « Zone » de Rennes.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos et Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Des pancartes et banderoles sur les ronds-points et à l’entrée des baraquements pour rassembler, mobiliser et dénoncer (Carcassonne, Molsheim, Pérignat-lès-Sarliève).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, Elsa Koerner, Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Un chêne planté par les gilets jaunes pour célébrer l’anniversaire du mouvement (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Le poêle, indispensable dans tous les baraquements (Carcassonne, Pérignat-lès-Sarliève).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, Isabelle Siffert, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Le coin café, un espace central du baraquement (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Un aménagement collectif et « 100% récup’ » (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Une étagère de verres réutilisables a été installée par les gilets jaunes de Carcassonne pour des raisons écologiques et économiques.

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Une chambre aménagée pour occuper le baraquement la nuit (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Pancarte rappelant les valeurs des gilets jaunes au quotidien (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Les chaises en cours d’installation pour l’assemblée générale, un « coin enfants » au fond (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Étagères de dons de nourriture (Carcassonne).

▪ Crédits : Barbara Doulin-Dimopoulos, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

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Les autocollants d’organisations politiques à l’entrée de la Maison du citoyen gilet jaune (Rennes).

▪ Crédits : Elsa Koerner, 2019. Licence : CC BY-NC-SA 4.0.

Citer cet article

Référence électronique

Barbara Doulin-Dimopoulos, Elsa Koerner et Isabelle Siffert, « Le baraquement comme espace de résistance du mouvement des gilets jaunes », Condition humaine / Conditions politiques [En ligne], 2 | 2021, mis en ligne le 20 juin 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=524

Auteurs

Barbara Doulin-Dimopoulos

Barbara Doulin-Dimopoulos est doctorante du laboratoire Espace et Société (UMR ESO 6590), rattaché à l’Université Rennes 2. Elle travaille sur les expériences scolaires et les parcours de vie d’élèves et d’ancien.ne.s élèves des écoles secondaires et lycées publics alternatifs en France et au Québec.

Barbara Doulin-Dimopoulos is a PhD candidate at the research laboratory Espace et Société (UMR ESO 6590) with Université Rennes 2. She investigates school experiences of students and formers students in secondary schools and public alternative highschools, in France and Quebec.

Elsa Koerner

Doctorante du laboratoire Espace et Société (UMR ESO 6590), rattaché à l’Université Rennes 2, Elsa Koerner réalise une thèse sur la transversalisation des politiques locales d’égalité de genre, en particulier dans la production et la gestion des espaces verts ou en cours de végétalisation.

Elsa Koerner is a PhD candidate at the research laboratory Espace et Société (UMR ESO 6590) with Université Rennes 2. She is writing a PhD thesis on gender policies implemented by municipal authorities, especially in the production and management of green spaces

Isabelle Siffert

Isabelle Siffert est doctorante du laboratoire Espace et Société (UMR ESO 6590), rattaché à l’Université Rennes 2. Ses travaux portent sur l’accès aux soins des personnes en demande d’asile sur un territoire de la grande couronne francilienne.

Isabelle Siffert is a PhD candidate at the research laboratory Espace et Société (UMR ESO 6590) with Université Rennes 2. She carries out her doctoral research on healthcare access of asylum seekers living in the Parisian suburbs.