Disparues


Numéro 1 - Changement technologique et organisation : de la perpétuation à l'innovation

François Pichault

Editorial -1994


Résumé
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  Résumé

La problématique du changement technologique suscite depuis longtemps une multitude de travaux en théorie des organisations et en gestion des ressources humaines. Afin de mieux situer, sur le plan épistémologique, les différents travaux qui abordent cette question, nous pouvons recourir à deux des principales typologies de référence en la matière.

La première d'entre elles a été élaborée par Kling (1980) et porte essentiellement sur la littérature anglo-saxonne. De nombreux travaux scientifiques s'y réfèrent encore à l'heure actuelle, signe qu'elle conserve, malgré l'évolution très rapide de la recherche dans ce domaine, une grande validité. Elle repose sur l'idée fondamentale que toute technologie est un construit social : les axes qu'elle entend distinguer correspondent par conséquent à différentes manières d'appréhender et d'élaborer un tel construit en fonction de certains enjeux sociaux. Deux positions théoriques extrêmes s'en dégagent.

La première, que nous qualifierons de « rationaliste » (systems rationalism), privilégie une seule forme de rationalité dans l'évaluation des effets du changement informatique : celle qui répond aux impératifs du rendement économique. Elle présuppose l'existence d'un large consensus social autour d'un tel projet et la possibilité de dépasser toute difficulté éventuelle en cours d'élaboration par des solutions adaptées. On ne s'étonnera pas qu'elle reste, la plupart du temps, assez proche des intérêts managériaux.

La seconde position, que l'on peut désigner par le terme de « politique » (segmented institutionalism), envisage l'ensemble des implications sociales de l'informatisation, sans nécessairement chercher à promouvoir le développement du nouvel outil. Elle admet par conséquent l'existence d'intérêts contradictoires au sein des organisations informatisées. Elle ne cherche pas à privilégier les seuls critères économiques mais propose également une évaluation en termes d'efficience sociale. Enfin, elle ne se centre pas uniquement, comme la première, sur les usages de l'informatique : elle incorpore aussi les réactions de groupes qui ne sont pas encore des utilisateurs, mais qui sont potentiellement concernés. D'une manière générale, elle se montre beaucoup plus critique à l'égard des intérêts managériaux.

La seconde typologie que nous avons retenue (Maurice, 1980) concerne davantage les orientations de la recherche en langue française, plus particulièrement dans l'entourage de la revue Sociologie du Travail, qui a joué en la matière un rôle non négligeable. Toutefois, à la différence de la typologie de Kling, elle nous apparaît aujourd'hui quelque peu « datée ». Il nous semble en effet que la réflexion théorique sur les implications sociales de la technologie a considérablement progressé en France ces dernières années et que la typologie présentée ne permet pas toujours d'en rendre compte de manière suffisamment précise. De plus, le propos de Maurice n'est pas d'analyser spécifiquement le problème des implications sociales des technologies de l'information mais, plus largement, la manière dont la variable technologique est appréhendée en sociologie du travail. Notons toutefois que cette typologie constitue l'une des rares tentatives de présentation systématique de la recherche en langue française dont nous disposons à l'heure actuelle.

La thèse de Maurice consiste à montrer que le déterminisme technologique, qui a largement dominé la sociologie du travail d'après-guerre jusque dans les années soixante-dix, a été progressivement battu en brèche par une autre conception de la technologie, envisagée comme instrument de domination sociale. A travers une grille de lecture articulée autour de trois thèmes fondamentaux (l'évolution du travail, les attitudes et la conscience ouvrières, les nouvelles formes d'organisation du travail), l'auteur montre que la plupart des recherches ont d'abord été menées en termes de « phases » déterminées par le progrès technique, de « freins sociaux » à ce progrès, de « conscience de classe » directement liée au degré d'automatisation.

Les travaux ont ensuite évolué vers une critique de plus en plus aigüe des rapports de pouvoir inscrits au cœur même de la technologie. En mettant en lumière la possibilité d'autres modes de fonctionnement organisationnel, ils ont contribué à briser l'univocité du lien entre évolution technologique et modes d'organisation du travail. Les résistances au changement technique, jadis considérées comme des freins à la croissance, ont fini par être analysées comme des stratégies de contestation à part entière, face à une technologie dont la fonction « hiérarchique » est devenue de plus en plus apparente.

Maurice envisage ainsi la fin d'une sociologie du travail de type « industriel » et le début d'une nouvelle ère, plus ouvertement critique à l'égard des développements technologiques et de l'évolutionnisme linéaire qui dominait jusqu'alors l'ensemble de la réflexion. Malgré certaines « survivances » qui semblent réapparaître actuellement à propos des nouvelles technologies de l'information, Maurice estime que la tendance au changement de paradigme est irréversible.

Toutefois, la typologie proposée (technologie « déterminante », technologie « permissive ») nous semble assez simpliste dans les distinctions qu'elle permet d'opérer et dans l'évolution qu'elle entend restituer. Plusieurs orientations ont été purement et simplement ignorées, comme les analyses de la sociologie des organisations qui ont pourtant cherché, depuis les années soixante, à étudier les rapports de pouvoir et de négociation qui se nouent autour du changement technico-organisationnel (voir par exemple Salerni, 1979 ; Crozier et Friedberg, 1977, pp. 200-201 ; Pavé, 1989). De plus, les débats actuels sur les nouvelles technologies de l'information nous paraissent précisément traduire la coexistence des deux types d'approche et non la prédominance de l'un d'entre eux.

Par ailleurs, si l'on peut admettre que la tendance générale est bien au rejet du déterminisme technologique, il ne faut pas négliger le fait que l'insistance exclusive sur le rôle des facteurs sociaux peut mener à une sorte de « déterminisme sociologique » qui finit par présenter toute évolution du système comme impossible. Un tel excès a été dénoncé par plusieurs auteurs, parmi lesquels Eksl et Sole (1979). Ceux-ci estiment que la réaction anti-techniciste a conduit bon nombre de sociologues à négliger les potentialités de changement qu'implique malgré tout l'usage des nouvelles technologies de l'information. Une réflexion similaire traverse d'ailleurs plusieurs articles de ce numéro, particulièrement ceux de Hatchuel et Weil et de Harrison et ses collègues.

En définitive, la typologie de Maurice nous aide surtout à distinguer deux pôles entre lesquels oscille la recherche sociologique, plutôt qu'à repérer un hypothétique renversement de tendance qui se serait opéré dans les années soixante-dix. Elle pourrait constituer un utile complément de la typologie de Kling, qui pose d'ailleurs déjà certains jalons dans ce sens. Ainsi, certains théoriciens de l'analyse « politique » privilégient une vision très déterministe du progrès technique, considéré comme un instrument inéluctable d'exploitation des travailleurs ; d'autres l'envisagent plutôt comme un lieu d'affrontement entre groupes sociaux antagonistes, dont l'issue est fondamentalement incertaine. Il faut toutefois admettre que la plupart des analyses de type rationaliste ne parviennent guère à sortir d'une perspective essentiellement déterministe.

Quant aux études de cas présentées dans ce numéro, elles s'inscrivent résolument dans le cadre d'une conception à la fois politique et «permissive» du changement technico-organisationnel. Elles expriment en cela les tendances dominantes de la recherche actuelle. Toutes trois insistent sur le caractère nécessairement rationalisateur du changement technologique, « instrument de formalisation » (Harrisson, Doray et Rousseau), élément de « rationalisation des savoirs » (Hatchuel et Weil), facteur de « standardisation et d'homogénéisation » (Legrain).

Nul ne contestera que le développement de l'informatique, durant les années soixante, reposait fondamentalement sur la volonté de rationaliser le fonctionnement des organisations, d'en systématiser le travail, d'en codifier les procédures et d'en surveiller l'accomplissement via une centralisation fortement poussée des activités. De nombreux travaux ont illustré ces premiers pas de l'informatisation (Ballé et Peaucelle, 1972 ; Braverman, 1974 ; Jamous et Grémion, 1978 ; Pastré, 1983 ; Verdier, 1985) et les errements d'une informatique technocratique et « hyperfonctionnaliste » (Pavé, 1989).

Sans mettre en cause l'évolution considérable qui s'est produite depuis lors sur le plan technologique (miniaturisation des équipements, mise en place des réseaux, de bases de données intégrées et de postes de travail multifonctionnels, développements de l'intelligence artificielle, etc.), force est de constater que la plupart des projets de changement actuels restent conçus dans la perspective d'une rationalité unique. Dans la majorité des cas, l'enjeu est bien la réduction des sources de complexité et d'incertitude dans la vie des organisations, la meilleure circulation de l'information, le partage de données communes. Même s'ils sont évolutifs, en ne fermant pas l'horizon du possible a priori et en se montrant «malléables» en fonction des caractéristiques des sites utilisateurs, des outils tels que les systèmes experts, la GPAO, les ateliers de génie logiciel ou les infocentres ne reposent-ils pas nécessairement sur une certaine forme de structuration du comportement des acteurs, comme le soulignait ici même Pomerol (1990, p. 59) ?

L'analyse politique des systèmes d'information, développée par des auteurs comme Markus et Robey (1983), Pavé (1989), ou Scarbrough et Corbett (1992) montre que, dans ces conditions, les possibilités d'évolution du système organisationnel sont minces. Il est d'ailleurs frappant de constater que la plupart des recherches menées par les tenants du paradigme politique rapportent des situations d'échec, décortiquées avec soin (Pichault, 1993, p. 91). Les structures existantes en sortent même renforcées dans une sorte de « jeu à somme nulle » au cours duquel les velléités de changement sont progressivement diluées à travers l'opacité de la vie organisationnelle (Keen, 1981, p. 25).

Le texte de Legrain livre à cet égard une analyse exemplaire, enrichie d'apports en provenance de la théorie communicationnelle. Il porte sur l'accueil réservé à une application d'intelligence artificielle relative au traitement des télex dans une institution financière européenne. Le succès mitigé de cette application est lié, selon l'auteur, à une série de facteurs parmi lesquels :

  • l'attitude conservatrice de la hiérarchie à l'égard de la plus grande polyvalence et du décloisonnement que suppose le changement de rôle des agents (ceux-ci sont désormais davantage concernés par le contrôle et la réparation des messages — avec un taux de non-reconnaissance oscillant entre 10 et 20% — que par la préparation et la saisie proprement dites),

  • le décalage entre la nécessité, apparue sur le tas, de développer des pratiques collectives (partage des informations, liens informels entre services) pour assurer la réparation des messages et l'influence d'une politique de gestion des ressources humaines centrée sur l'individualisation du rapport salarial,

  • les lacunes dans le recueil des connaissances préalable à la constitution du module d'intelligence artificielle, conduisant à la multiplication d'initiatives clandestines, de la part des membres de la ligne hiérarchique une fois le module mis en place,

  • les tensions existant entre les cogniticiens qui, malgré leur profil pluridisciplinaire, se révèlent inexpérimentés dans la conduite de projets et les informaticiens du Centre de Traitement de l'Information (CTI), aux compétences hyperspécialisées, qui optent pour une attitude de désengagement à l'égard du nouveau système,

  • l'opposition entre l'approche pragmatique de la maintenance prônée par la hiérarchie opérationnelle, qui cherche à intégrer les multiples points de vue en présence lors de la rédaction de fascicules officieux, et celle, beaucoup plus abstraite, du «comité de crise» fonctionnel nouvellement créé, qui impose sans aucune concertation les procédures à suivre, au mépris de tous les accords existants.

La question qui se pose cependant, d'un point de vue théorique, est de savoir si les phénomènes conflictuels apparaissant autour d'un projet de changement technologique ne jouent qu'un simple rôle de « dilution », conduisant inexorablement à l'immobilisme de la structure. En d'autres termes, la prise en compte des phénomènes de pouvoir et de culture nous condamne-t-elle à une logique de la perpétuation ?

Le texte de Hatchuel et Weil tente à cet égard de se démarquer d'une analyse « stratégique » classique (Crozier et Friedberg, 1977), qui s'avère surtout pertinente pour expliquer les stratégies à l'œuvre dans un cadre formel relativement stable. L'approche développée par les auteurs les conduit à explorer les processus par lesquels une transformation s'opère dans le fonctionnement de l'organisation lorsqu'au contraire, les règles du jeu ne sont pas fixées a priori.

Les auteurs concentrent leur attention sur les conditions d'introduction d'un système expert au sein d'une entreprise spécialisée dans la métallurgie des métaux précieux. Les responsables de l'entreprise ont, au départ, une vision largement utopique et très simplificatrice du processus d'implantation, notamment à propos du stade de recueil de connaissances dont ils sous-estiment complètement la difficulté. En réalité, ce stade s'avère rapidement très complexe à gérer, dans la mesure où il conduit à l'élaboration de règles abstraites et générales — valables pour toutes les gammes de fabrication — alors que le savoir des « experts » interrogés (le bureau de préparation du travail) est par nature pragmatique et local.

Le mythe simplificateur de départ (« il suffit de recueillir les connaissances existantes ») doit donc céder la place à une importante opération de modélisation et de transformation des connaissances existantes, conduisant finalement à une nouvelle répartition des savoirs entre les préparateurs — qui continuent à réaliser manuellement les gammes trop singulières pour être formalisées — l'atelier chargé de la fabrication et l'ingénieur méthodes nouvellement engagé en vue d'assurer la gestion du projet. Une telle redistribution était bien entendu totalement imprévisible au démarrage du projet.

La réflexion de Hatchuel et Weil montre qu'il y a place, à côté de la logique de la perpétuation, pour une logique de l'innovation. Il faut toutefois souligner qu'ici, « les changements ne précéderaient pas la transformation des acteurs mais qu'au contraire cette métamorphose en serait un préalable nécessaire ». Il ne s'agit donc plus d'étudier la dilution du changement dans les jeux des acteurs d'une structure donnée, mais de privilégier une analyse de processus, dans laquelle la dynamique de redistribution des savoirs déplace constamment les règles du jeu et ouvre la voie à la métamorphose des acteurs eux-mêmes, c'est-à-dire de leur potentiel d'intervention.

Deux logiques sont ainsi face à face : celle de la perpétuation et celle de l'innovation. Le texte de Harrisson, Doray et Rousseau nous offre une occasion de réfléchir, de façon plus globale, aux conditions de leur mise en œuvre respective. L'intérêt de leur recherche est de prendre comme point de départ une même technologie — un système de gestion de la production assistée par ordinateur (GPAO) de type MRP II — et d'étudier, de façon comparative, ses conditions d'implantation dans trois contextes organisationnels différents. A l'encontre d'une démarche étroitement contingente, qui aurait mis l'accent sur le poids des seules déterminations techniques, les auteurs dégagent l'influence décisive d'au moins quatre variables :

  • le caractère ambivalent des logiques organisationnelles incorporées dans le système technique,

  • le type de stratégie d'implantation adoptée,

  • le recours plus ou moins marqué à la gestion par projet, qui court-circuite la ligne traditionnelle d'autorité et instaure de nouveaux modes de coopération,

  • la nature des relations sociales entre acteurs, plus ou moins ouverte à l'innovation.

Dans le premier cas étudié, il n'y a pas, à proprement parler, de gestion du changement (pas de stratégie d'innovation organisationnelle, pas d'apprentissage de nouveaux modes de coopération, minorisation des gestionnaires porteurs de l'innovation). Nous sommes en présence de la logique de la perpétuation. Dans le deuxième cas, on peut observer une tentative d'adaptation de la technologie à l'organisation via une stratégie d'implantation respectueuse de la culture de l'entreprise, l'apprentissage d'une plus grande coopération entre gestionnaires des différents services, et la continuité des règles d'interaction sociale existantes. Convenons de parler à ce propos d'une logique de l'adaptation. Dans le troisième cas, on constate que l'introduction du nouveau système est l'occasion d'une restructuration en profondeur de l'entreprise résultant principalement de la stratégie du consultant et de l'action de cadres promus à des postes clés, ainsi que d'une plus grande coopération entre gestionnaires. La logique à l'œuvre est ici celle de l'innovation.

Les auteurs soulignent que dans les deux derniers cas, le changement résulte de l'émergence de nouveaux acteurs, les cadres intermédiaires, et/ou le chef du projet, qui deviennent les principaux agents du changement. Cette insistance sur l'apparition de nouveaux acteurs rejoint d'ailleurs un des éléments centraux de la réflexion de Hatchuel et Weil, qui montre la nécessité d'une métamorphose des acteurs comme condition préalable à l'innovation.

Toutefois, il faut bien se rendre compte qu'une telle métamorphose n'est nullement spontanée : elle est, d'une part, liée aux caractéristiques du projet qui sous-tend la mise en place de la nouvelle technologie — par exemple, la redistribution des savoirs entre acteurs — et, d'autre part, à la façon de gérer l'émergence progressive de ces caractéristiques dont la plupart sont, il faut le rappeler, imprévisibles à l'origine du projet.

On peut opposer à cet égard deux styles de gestion du changement, en particulier lorsqu'il s'agit de faire face à des événements difficiles à prévoir. Si les gestionnaires parviennent à combiner leur projet initial avec les valeurs et les aspirations des membres de l'organisation — soit que ceux-ci soient d'emblée imprégnés d'une culture qui fasse la part belle à l'innovation, soit que l'intégration s'effectue au terme d'un processus de négociation — s'ils réussissent à réagir de façon modulée, et non de façon stéréotypée, ils obtiendront sans doute un changement porteur d'innovation, tout en devant rapidement admettre qu'ils ne sont ni maîtres du jeu qui se déroule, ni capables d'anticiper les traits particuliers que prendra leur projet. Par contre, s'ils ne sont pas à même d'assurer un tel travail d'interprétation et de traduction, s'ils ne voient dans le changement qu'un moyen de renforcer la rationalisation préexistante — ce que d'aucuns appellent la tentation « panoptique » (Bannon et alii, 1988) — ils condamnent vraisemblablement leur projet à n'avoir que peu de prise sur la réalité de l'organisation et à ne produire que des effets néfastes sur le climat de travail.

Toutefois, si nous venons d'insister sur le rôle essentiel des responsables dans la « construction » du projet de changement technologique, cela n'implique nullement que le processus d'implantation soit le simple résultat des orientations adoptées a priori par ces mêmes responsables : l'implantation doit être vue en effet comme un processus incrémental, qui prend corps au fur et à mesure des essais et erreurs pratiqués, des réactions du personnel, des problèmes techniques rencontrés, des aléas de la redistribution du pouvoir et du savoir entre acteurs, etc. Il n'y a donc pas de schéma type, de procédure toute faite, de guide pour la réussite du changement technologique. Au contraire, chaque organisation produit son propre mode de transformation ainsi que les critères pour l'évaluer : dans une telle perspective, le changement technologique ne peut être appréhendé que de façon longitudinale, à travers l'étude approfondie des processus d'implantation.

En fin de compte, on rejoint ici la démarche « contextualiste » proposée par des auteurs comme Pettigrew (1985). Les principales caractéristiques de cette démarche peuvent être formulées comme suit :

  • le changement doit être étudié en tant que processus et non en tant qu'unité d'analyse ; dans cette perspective, étudier le ou les processus de transformation, c'est reconnaître la pluralité des facteurs susceptibles de donner forme, sens, substance au changement,

  • un processus de changement ne peut être appréhendé qu'à partir de l'analyse du contexte à la fois externe (environnement économique, commercial, politique, social et technologique) et interne (structures de l'organisation, mode de gestion, culture et système de valeurs, relations de pouvoir) dans lequel il prend place,

  • le changement ne peut être exploré de façon féconde qu'en tant que système caractérisé par un passé, un présent et un futur et intégrant aussi bien des événements, des actes que des logiques d'action,

  • la causalité du changement n'est jamais unique et celui-ci peut emprunter des trajectoires variées ; il n'y a donc pas nécessairement un modèle linéaire de développement (définition, mise en place, suivi, correction).

L'analyse du changement technologique apparaît ainsi dans toute sa complexité : il s'agit, dans chaque cas, de relier différents niveaux d'analyse micro- et macro-organisationnels, en inscrivant l'examen de chaque niveau et de ses interrelations avec les autres dans une perspective dynamique et historique. L'analyste ne tente plus ici d'isoler les causes déterminantes du changement mais concentre son attention sur la multiplicité des processus et des contextes au travers desquels il émerge.

Certains ne manqueront pas de reprocher, à des démarches longitudinales de ce type, leur historicisme si du moins elles ne font qu'offrir, sous prétexte de complexité, une chronique détaillée du cours des événements. Le risque de relativisme intégral — chaque cas est un cas particulier, aucune généralisation n'est possible — est en effet bien réel, mais la réflexion peut se déplacer à un autre niveau, en tentant de préciser les conditions (de structure, d'environnement, etc.) dans lesquelles un modèle explicatif, ou une combinaison de modèles, est susceptible d'éclairer, de manière significative, les processus observés. Les trois études de cas présentées dans les pages qui suivent tentent, chacune à leur manière, d'apporter une contribution dans ce sens.

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