La pandémie de Covid-19 a rapidement mobilisé la recherche en sciences sociales. Plusieurs dispositifs – de la création de l’Institut Covid-19 Ad Memoriam1 en 2020 à l’appel Résilience Covid-19 de l’ANR en 2021 – ont structuré dans l’urgence des propositions de recherches pluridisciplinaires visant souvent à contribuer à une aide à la décision dans un contexte sanitaire inédit. Les publications2 dont les propos tendaient à figer dans le temps de l’actualité nos rapports à l’épidémie en France ou dans le monde se sont multipliés. Ainsi, cette crise qui fait figure d’« événement historique mondial » a rencontré des sensibilités d’individus déterminés, à leur manière, et au jour le jour, à trouver un sens à cette rupture de leur vécu ordinaire. Elle a produit une succession de parenthèses sociales singulières, de représentations et de pratiques de médiation propres aux interrogations des études en histoire culturelle. Au sein de cette crise globale, les temps de confinement en France, et tout particulièrement ceux débutés en mars 20203, font ici l’objet d’une mise à distance par une relecture d’archives, par la constitution et le décryptage d’initiatives mémorielles privées ou collectives, ou par la présentation d’investissements accrus dans une culture numérique présumée conserver ou incarner un lien social délité.
Au détour des connaissances acquises lors des enfermements sanitaires pendant l’épidémie de peste de la ville de Marseille en 1720, Fleur Beauvieux4 , dans l’article intitulé « Quarantaine, lazarets et hôpitaux : les enfermements sanitaires à Marseille pendant la peste de 1720 », analyse ainsi la façon dont la quarantaine s’est imposée comme fondement de prévention de la maladie et comment les hommes et femmes du XVIIIe siècle ont pu la vivre au quotidien ou l’interpréter, d’une mesure de protection légitime à une modalité d’exclusion sinon de relégation. Ce sont les archives des institutions d’enfermement - en particulier le lazaret de la cité portuaire construit dès 1477 - les écrits médicaux des médecins spécialisés dans la prise en charge de la peste ou les règles d’organisation judicaire que mobilise l’auteure afin d’évaluer le poids des mesures sanitaires et des héritages vécus. Fleur Beauvieux s’essaie en conclusion à un retour étymologique du verbe « confiner », dérivé de « confins » et des limites que l’on trace autour d’un individu jusqu’à l’enfermer : « 300 ans après l’épidémie de 1720, [ce terme] finit par triompher dans nos sociétés contemporaines. Reste à étudier et définir quelles visées tant politiques que sociales consolident ce choix, dans des sociétés peu, ou plus, habituées à vivre des épidémies de grande ampleur depuis plusieurs vingtaines d’années. »
De nombreuses démarches ont visé à collecter des traces de ces temps de confinements de l’année 2020 jusqu’à produire un stock d’archives désormais indexé dans des institutions dédiées (BNF, INA musées, …) et des sites à dimension participative citoyenne. L’idée de préserver des éclats de mémoire ou d’archives dans l’immédiateté n’est pas récente si l’on se réfère par exemple à la décision de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française d’ouvrir son fonds d’archives quasiment en temps réel aux historiens5, de fabriquer en continu une mémoire audiovisuelle6 de l’événement commémoratif ou de collecter les témoignages oraux – à ce moment-là, sur un matériel de cassettes audio – des acteurs et interprètes de la commémoration7. Autant d’initiatives perçues rétrospectivement comme des moyens de participer à la construction de l’événement et à sa portée.
Sarah Gensburger et Marta Severo dans leur texte « L'espace public du confinement. Archives, participation et inclusion sociale » se livrent à la fois à un retour contextualisé et personnalisé des pratiques d’observation au quotidien de l’espace public, à une mise en exergue des singularités de ce temps de confinement lié à la crise sanitaire et à une opération réflexive sur le projet « Vitrines en confinement »8. Ce projet qui visait à faire surgir les mots spécifiques du confinement dans l’espace public en réunissant des photographies, n’est pas sans lien avec le dispositif de collecte du Mucem, présenté par Aude Fanlo. L’intention commune est bien d’initier une pratique collaborative en un moment d’isolement individuel. Cette collecte participative numérique du Mucem, intitulée « Vivre au temps du confinement »9, pleinement en phase avec la finalité ethnographique du musée, s’est attachée à rassembler des objets familiers qui incarnaient pour les donateurs un rapport symbolique à la pandémie. La comparaison entre ces deux initiatives est d’ailleurs éclairante car elle introduit des questionnements sur les biais initiaux induits par les appels à participation et de fait, les profils et intentions des contributeurs.
Maryline Crivello, en guise de conclusion, présente l’initiative du Festival en sciences sociales et arts d’Aix-Marseille Université, « Confinement(s). Tout un monde à l’arrêt ? ». Une occasion pour des chercheurs, artistes et acteurs culturels de témoigner de leurs travaux ou d’expériences singulières ou collectives des temps de confinement.