Jean-François Condette, Véronique Castagnet-Lars (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 1 : Parcours scolaires, genre et inégalités (XVIIe-XXe siècles) / Jérôme Krop, Stéphane Lembré (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 2 : Ordres, désordres et engagements (XVIe-XXe siècles)

Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020.

Référence(s) :

Jean-François Condette, Véronique Castagnet-Lars (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 1 : Parcours scolaires, genre et inégalités (XVIIe-XXe siècles), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020, 563 p.

Jérôme Krop, Stéphane Lembré (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 2 : Ordres, désordres et engagements (XVIe-XXe siècles), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020, 374 p.

Texte

L’Histoire des élèves en France constitue la dernière grande production collective en date issue de la dynamique école française d’histoire de l’éducation. Dirigés par Jean-François Condette et Véronique Castagnet-Lars pour le premier volume, et par Jérôme Krop et Stéphane Lembré pour le second, les 25 auteurs et autrices de cet ouvrage choral de plus de 900 pages participent à l’exploration d’un champ encore largement vierge de l’historiographie. Si tous les aspects de l’éducation aux époques moderne et contemporaine ont pu jusque-là être défrichés, la question des élèves restait encore largement sous-étudiée, en dépit de quelques études pionnières – fait quelque peu paradoxal, alors qu’ils constituent la raison d’être même d’un système scolaire dont les dirigeants n’ont cessé ces dernières années de rappeler qu’ils en étaient même le centre. Les pratiques pédagogiques, les institutions scolaires, l’administration de l’enseignement, les établissements de tous niveaux, les maîtres et professeurs sont, depuis plus ou moins longtemps, des thèmes privilégiés : restait à s’attaquer résolument aux élèves eux-mêmes. C’est désormais chose faite avec cet ouvrage. On n’y trouvera pas cependant un panorama complet, qui devra encore attendre un peu : les textes qu’on y lit sont, rappelle l’introduction, « une sélection des communications prononcées lors de six journées d’études organisées par le laboratoire CREHS de l’Université d’Artois, entre octobre 2016 et octobre 2018 » (vol. 1, p. 15-16) dans le cadre du projet « Pour une histoire renouvelée des élèves ». Mais grâce à des textes introductifs et conclusifs pertinents, et à une sélection et une organisation rigoureuse des contributions, la cohérence d’ensemble est solide et le panorama des situations particulièrement représentatif.

La démarche de l’ouvrage est ancrée dans les problématiques traditionnelles de cette branche à part entière de l’historiographie que constitue l’histoire de l’éducation. Les « parcours scolaires des élèves en contextes » (vol. 1, p. 25) constituent la problématique centrale du premier volume, tandis que le second interroge « plus spécifiquement les modes de participation des élèves à la vie des établissements scolaires » (vol. 2, p. 19). Derrière ces deux perspectives, une même question qui sous-tend toute l’entreprise, « celle de la marge ou de la liberté d’action – on sait la difficulté à rendre en français la richesse du concept d’agency – des élèves » (vol. 2, p. 21). Partant « de l’hypothèse de la capacité d’action » de ces mêmes élèves, l’ouvrage cherche à « en vérifier historiquement la variété et les modalités » (vol. 2, p. 22).

Pour répondre à ces divers enjeux, chacun des deux tomes est décliné selon trois grandes thématiques rassemblant chacune quelques contributions. Dans le premier volume, ce sont les déterminants sociologiques des élèves ainsi que leur rapport (et celui de leur famille) aux logiques institutionnelles qui sont appréhendés, en même temps que les effets de l’expérience subjective du cadre scolaire. Dans le second, sont interrogées les formes de la participation des élèves à ce milieu, la vie scolaire elle-même, enfin les contestations qui s’y développent. Il serait vain de vouloir entrer dans le détail des 31 communications qui se succèdent, toutes liées à des enjeux et des perspectives spécifiques, et qui sont autant d’études de cas particuliers, centrées sur des espaces-temps relativement limités couvrant la période de la Renaissance à nos jours – même si l’essentiel du propos porte sur la période allant du XIXe siècle aux années 1960. Le résultat est d’une riche diversité, des écoliers fauteurs de troubles dans les collèges jésuites des années 1550-1570 (Véronique Castagnet-Lars) à la participation des élèves dans leurs lycées entre 1968 et 2018 (Sylvie Condette), en passant, pêle-mêle, par les élèves des petites écoles lyonnaises des XVIIe-XVIIIe siècles (Aurélie Perret), par les élèves-adultes des cours du soir au XIXe (Carole Christen), par les mutineries des élèves des arts et métiers de Lille en 1901-1902 (Stéphane Lembré), par le portrait sociologique des élèves des lycées Michelet et Voltaire des années 1930 (Pierre Porcher), ou encore par les mobilisations des lycéens de Roanne en 1968 (Elsa Neuville).

L’histoire de l’éducation, discipline depuis longtemps institutionnalisée dans le champ historiographique, a ses logiques et paradigmes propres, que l’on retrouve dans les diverses problématiques abordées. Elles ne sont pas toutefois – comment pourrait-il en être autrement ? – sans emprunter aux autres approches. De la même façon que l’école n’est pas, est-il besoin de le préciser, un monde clos, hermétique aux influences du monde extérieur (l’ouvrage réaffirme du reste « l’impossibilité d’isoler l’institution scolaire de son environnement social et culturel » [vol. 2 p. 15]), l’histoire de l’éducation, « histoire carrefour1 », prend en compte des questionnements plus globaux que ceux directement liés au système scolaire et à ses acteurs et actrices. L’ouvrage propose ainsi « de systématiquement insérer [les] élèves dans les contextes à la fois socio-économiques et politiques du moment » (vol. 1, p. 15) et de s’intéresser « aux déterminismes sociaux, aux héritages socio-économiques, culturels, voire idéologiques dans le parcours scolaire des élèves » (vol. 1, p. 25).

Quant aux aspects culturels, qui intéressent plus particulièrement les lecteurs et lectrices de cette revue, ils ne sont donc pas ignorés, même s’ils ne sont abordés que de façon tangente. On remarque même qu’ils sont particulièrement présents dans les questionnements globaux de l’ouvrage. La problématique des représentations revient régulièrement, à commencer par celle de la figure de l’élève, enjeu central et presque initial de l’entreprise, qui pose dès le départ la question méthodologique matricielle de la « difficulté de définir » ce qu’est un élève (vol. 1, p. 19). Selon qu’on le considère comme « un "personnage" littéraire sympathique », « une entité générique (l’"élève dans les textes officiels ou les ouvrages de pédagogie") » ou « comme une suite statistique » (vol. 1, p. 16), selon que l’on envisage « les figures du "bon" et du "mauvais" élèves » (vol. 1, p. 18), on ne peut faire abstraction de « la puissance des représentations collectives » (vol. 2, p. 16) dans une société où tout le monde ou presque passe par l’école, où tout le monde ou presque a été élève et a sa propre image de ce qu’il est ou de ce qu’il doit être.

Plusieurs des communications intéresseront donc particulièrement les amateurs et amatrices d’histoire culturelle, par les problématiques qu’ils proposent et les sources qu’ils étudient, lesquelles renvoient à des supports médiatiques qui sont depuis longtemps au cœur des centres d’intérêt de cette discipline. Deux articles de Jérôme Krop sont ici particulièrement pertinents, l’un consacré à la représentation du lycée autogéré d’Oslo à la télévision française entre 1975 et 1982, l’autre au traitement, par cette même télévision, des contestations lycéennes de 1968-1969. De son côté, Marie-Thérèse Duffau étudie un journal, Les Droits de la jeunesse, publié en 1882 et rédigé par des lycéens. Pierre Porcher lui exploite quelques cartes postales de sorties des lycées. On notera également la présence dans l’ouvrage de dessins de presse et d’œuvres d’art, mais à vocation purement illustrative.

Surtout, la question des représentations est présente, en filigrane, dans un ensemble de textes renvoyant à la question du corps, du genre et des normes qui y sont liées, dont l’institution scolaire est partie prenante, qu’elle en soit le réceptacle ou la fabrique. Être un garçon, être une fille, a longtemps – pour ne pas dire toujours – été un élément déterminant, discriminant même, dans les parcours d’élèves. On pourra par exemple lire à ce sujet, et avec profit, le texte de Maryse Cuvillier sur l’enseignement des mathématiques pour les filles dans les écoles primaires de la Somme sous la IIIe République, celui de Jauris Cichanski sur « Les inégalités de l’offre scolaire publique dans le Pas-de-Calais » à la même époque, celui aussi d’Audrey Leleu sur le système des bourses des mines dans le Nord (1947-1970), ainsi que celui de Stéphanie Dauphin sur les « demoiselles » élèves des lycées parisiens entre 1880 et 1914. L’article de Séverine Parayre, quant à lui, interroge les normes liées au corps et au bien-être dans les écoles primaires de cette même région au XIXe siècle. Dans tous ces articles se retrouve la question de l’influence déterminante des représentations genrées dans l’organisation même de l’institution et de la vie scolaires.

Si l’Histoire des élèves est donc logiquement et clairement ancrée dans les problématiques traditionnelles de l’histoire de l’éducation, celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire culturelle y trouveront aussi de quoi satisfaire leur curiosité intellectuelle. L’ouvrage confirme les liens forts, intrinsèques, qui existent entre ces deux cousines historiographiques. Maurice Crubellier posait dès 1978 « en axiome qu’il n’y a pas d’éducation qui n’exprime un système culturel, qui ne vise à le fortifier ou le pérenniser ; et qu’il n’est pas de culture qui ne s’enseigne, qui ne soit contrainte à s’enseigner sans risque de suicide2. » Dans cette perspective, de nombreux rapprochements ont déjà été effectués. De l’étude de la culture scolaire à celle de la place de l’école dans l’imaginaire social, en passant par le rôle du monde de l’enseignement dans les processus de création, de médiation et de réception culturelles, ou par les liens entre politiques éducatives et culturelles, les liens sont nombreux et anciens entre les deux approches. L’Histoire des élèves permet, à son tour, d’envisager des terrains de rencontre fertiles et prometteurs.

1 Jean-Noël Luc, « Éducation, école », dans C. Delporte, J.-Y. Mollier, J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France

2 Maurice Crubellier, « Éducation et culture. Une direction de recherche », Histoire de l’éducation, 1978, n°1, p. 39.

Notes

1 Jean-Noël Luc, « Éducation, école », dans C. Delporte, J.-Y. Mollier, J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010, p. 268-270.

2 Maurice Crubellier, « Éducation et culture. Une direction de recherche », Histoire de l’éducation, 1978, n°1, p. 39.

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Charles Geslot, « Jean-François Condette, Véronique Castagnet-Lars (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 1 : Parcours scolaires, genre et inégalités (XVIIe-XXe siècles) / Jérôme Krop, Stéphane Lembré (dir.), Histoire des élèves en France. Vol. 2 : Ordres, désordres et engagements (XVIe-XXe siècles) », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=815

Auteur

Jean-Charles Geslot

UVSQ/CHCSC

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