Réceptions et publics en histoire culturelle

Text

L’histoire culturelle se propose d’analyser des circulations culturelles, par le franchissement de trois étapes, en l’occurrence la production, suivie de la médiation et, enfin, la réception. Cette dernière phase mérite une attention toute particulière de la part de notre rubrique « Épistémologie en débats » tant elle joue un rôle central dans l’histoire sociale des représentations.

Depuis l’époque moderne, les sociétés se caractérisent par l’existence de publics différents, soit pensés de façon sectorielle, soit conçus comme une seule et même entité sociale, « le » public. Dans les deux cas, un public est constitué d’un ensemble de personnes partageant un intérêt commun pour une manifestation culturelle ou pour des représentations. Dans le cadre de notre dossier, Morgan Corriou, Caroline Damiens, Mélisande Leventopoulos proposent une réflexion épistémologique sur ce concept de « public », en questionnant son épaisseur sociale. Par une ambitieuse étude comparative et internationale, les autrices se demandent comment le spectacle cinématographique créé une dynamique collective. L’objet culturel, ici le cinématographe, devient alors un dispositif, agrégeant des publics, et formant, le temps d’une séance, une « communauté ».

Les dénominations de ce public, de la « foule » aux « spectateurs », jusqu’au « grand public » sont susceptibles d’être historicisées : elles sont toujours socialement situées en fonction d’attentes, de représentations de la part des producteurs et des médiateurs culturels. Une des principales ambiguïtés demeure le lien, et souvent la disjonction, entre les intentions des producteurs et des médiateurs, en amont, et les pratiques culturelles, en aval.

Cette interrogation sur la nature des publics amène à un questionnement plus théorique sur la diversité des publics, et de possibles liens entre eux : forment-ils des ensembles cloisonnés, dont on peut faire la typologie, ou bien sécants, avec des représentations communes mais différemment appropriées ? Le dialogue entre la sociologie de la réception et l’histoire culturelle, au cours de l’entretien mené avec Jean-Marc Leveratto et Loïc Artiaga, dépasse cette interrogation. Le questionnement au sujet d’un public « ordinaire » est commun aux deux approches, tout comme le refus d’une stricte logique de « silos », segmentant les publics. Ils interrogent, enfin, les liens entre les approches, notamment sociologique et historique, en réévaluant la place des modalités pratiques et du jugement esthétique dans la réception culturelle.

En dernière instance, le dossier approfondit le raisonnement en interrogeant, non seulement les ancrages sociaux de la réception, mais aussi le processus lui-même. Par souci de clarté, la théorie culturaliste fait de cette étape le point d’arrivée de toute circulation culturelle. Cependant, l’ensemble des articles réaffirme que la réception est le lieu privilégié d’une ré-appropriation des représentations, contribuant à réactualiser les futures productions. Loin de la perspective d’une seule « consommation » culturelle, passive et figée, cette lecture plus interactionniste questionne les rythmes de la réception, erratique, continue ou encore oblique. Le modèle binaire du succès ou de l’échec de représentations laisse alors place à une interprétation socialement différenciée, et plus diachronique. Cette approche – indissociablement historique et sociale – des publics se lit dans ce dossier, notamment au sujet de la naissance et de la perpétuation de publics mouvants face à une représentation commune, en l’occurrence circassienne. Natalie Petiteau met particulièrement en évidence l’évolution des représentations du cirque, en lien avec une recomposition sociale des publics. D’un art élitaire de la modernité au cirque international plus contemporain, la diversité des représentations du cirque fait écho à celle des publics.

Longtemps reléguée au second plan de l’analyse culturelle par des études plutôt centrées sur les producteurs et les médiateurs, la réception n’est plus ce « point aveugle » de l’histoire culturelle, mais bien une focale historique sur des représentations socialement partagées.

References

Electronic reference

Les responsables de la rubrique, « Réceptions et publics en histoire culturelle », Revue d’histoire culturelle [Online],  | 2021, Online since 08 octobre 2021, connection on 20 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=511

Author

Les responsables de la rubrique

By this author