Hommage à Dominique Kalifa

DOI : 10.56698/rhc.504

Résumé

Texte de l’allocution de Pascal Ory lors du Congrès de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle le 26 septembre 2020

Texte

Il n’est pas nécessaire d’être historien pour mesurer le vide que laisse derrière lui Dominique Kalifa. Mais cela aide.

Sans vouloir m’engager trop avant dans l’exégèse de cette vie que la mort transforme en destin il me paraît clair qu’on peut, à travers elle, distinguer trois cercles d’interprétation.

Le premier cercle, évident, est celui de l’œuvre. Toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans le programme d’une histoire culturelle savent que le mot final de notre discipline en est « imaginaire social » : ce n’est pas pour rien que notre collègue avait fait aussi de cette notion la clé de voûte de ses analyses, et l’accent qu’il mettait sur l’adjectif, conduisant à mettre en lumière la dialectique d’un état de la société et d’un système de représentations, résume bien, à mes yeux, l’idéal de nos investigations, où il n’avait jamais été question d’opposer, absurdement, le « social » au « culturel ».

En tant que participant, ces derniers temps, à deux de ses entreprises collectives – la dernière au début de cette année –, je peux ajouter que j’avais trouvé en lui ce que les Anglo-Saxons appellent a kindred spirit, un esprit familier. Nous nous étions ainsi découverts l’un et l’autre un grand intérêt pour les chrononymes, autrement dit pour le gouvernement de la temporalité – d’où, en 2016, une dédicace discrète, à laquelle j’avais été sensible, de son article sur la « Belle Époque » – et aussi pour les mythologies du contemporain, par un analogue cheminement en culture surréaliste, engagé chez chacun d’entre nous par le biais de la littérature, de la presse et du cinéma populaires.

Le deuxième cercle d’interprétation est celui non plus de l’auteur mais du collègue. À la Sorbonne Dominique Kalifa aura été un responsable d’unités d’enseignement ou de recherche respecté, le défenseur farouche des étudiants qu’il avait sous sa direction et, dans les arbitrages, une conscience morale rarement prise en défaut sinon toujours suivie. Là aussi nous nous étions découverts mêmement inquiets d’un lent déclin du modèle universitaire français – constat que notre fréquentation croisée de l’Institute of French Studies de l’Université de New York rendait assez cruel. Ses dernières années furent obscurcies par ce diagnostic.

Demeure un troisième et dernier cercle, le plus étroit et le plus sombre. La mort de Dominique, qui a désemparé ses collègues et ses étudiants, n’a pas été une surprise pour une petite poignée d’intimes. Mais elle est un rappel à l’ordre du désordre : attaché à l’élucidation d’une figure historique, l’historien peut accumuler toutes les données conjoncturelles qu’il pourra, suggérer tous les déterminismes qu’on voudra : son travail s’arrêtera toujours au bord de cet abîme insondable qu’est le plus profond d’un être.

Citer cet article

Référence électronique

Pascal Ory, « Hommage à Dominique Kalifa », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2020, mis en ligne le 05 octobre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=504

Auteur

Pascal Ory

Professeur émérite d’histoire à la Sorbonne (Paris-1).

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