Apparitions, effacements, résurgences d’états modifiés de conscience (XVIIIe-XXe siècles)

Apparitions, effacements, and resurgences of modified states of consciousness (18th – 20th centuries)

DOI : 10.56698/rhc.3492

Résumés

Mon propos est centré sur la division du moi que produit un état modifié de conscience nommé « somnambulisme magnétique » découvert en 1784. Le sujet change alors de personnalité, parle et tient des discours qui, pour ceux qui l’écoutent, semblent venir d’un inconnu. J’étudie l’évolution de ce phénomène sous les trois formes qu’il prend : somnambulisme magnétique, médiumnité et hypnose jusqu’au début du XXe siècle. Selon le temps et les lieux, ces dires et leurs interprétations comme leurs formes se diversifient mais une constante apparaît, très vite remarquée et notée par ceux qui magnétisent : certaines, surtout de très jeunes femmes, acquièrent une liberté de parole impensable en état « normal ». Ces verbalisations prennent de l’ampleur à certains moments puis semblent s’effacer pour resurgir dans une discontinuité du temps. L’inscription de ces phénomènes dans l’évolution de l’histoire sociale, culturelle, médicale et politique du XIXe siècle et du début du XXe siècle, avec leurs soubassements factuels et idéels, ouvre des voies de compréhension que j’explore en tant qu’historienne.

This article explores how one’s self gets divided by a modified state of consciousness called “magnetic somnambulism”, identified in 1784. Individuals experience a change in personality, talk and say things that, for the audience that knows them, seem to come from a stranger. In this article I study how this phenomenon has evolved in 3 stages: magnetic somnambulism, mediumism, and hypnosis up to the start of the 20th century. Despite a lot of differences in what is being said in these states and their interpretation, depending on the time and location, on constant emerges, noted by those using magnetism: some, especially very young women, exercise a freedom of speech that would be impossible in a “normal” state. These discourses expand at specific times, and then seem to disappear to surface again at different times. How these episodes interact with the social, cultural, medical and political history of the 19th and early 20th century, what their factual and idealized foundations are, bring a new level of understanding that I, as an historian, explore.

Index

Mots-clés

Inconscient, hypnose, médium, hystérie, magnétisme

Plan

Texte

En 1784, à Soissons, Amand, Jacques de Chastenet, marquis de Puységur (1751-1825), met au jour un état modifié de conscience qu’il nomme « somnambulisme magnétique » en référence au « magnétisme animal » théorisé et mis en pratique par le médecin Franz Anton Mesmer (1734-1815) au cours des années 1770 à Vienne en Autriche1. Cet état en rappelle beaucoup d’autres, celui fort lointain de la Pythie, celui plus proche de certaines mystiques, de possédées, d’hystériques ou encore de médium, des femmes donc très majoritairement. Il sera renommé hypnose en 1843 et les deux appellations cohabiteront jusqu’au début du XXe siècle. Dans l’état de somnambulisme magnétique, certaines disent pouvoir connaître et soigner les maladies, les leurs ou celles d’inconnus, d’autres affirment accéder à la connaissance de l’avenir et du passé ou à la vision de mondes supranaturels et converser avec leurs habitants. Des effets plus concrets affectent leurs corps, dont des parties peuvent être anesthésiées ou encore, conséquence très spectaculaire, leur moi se scinde en plusieurs personnalités distinctes.

J’ai choisi dans ce court texte de centrer mon propos sur cette division du moi, lorsque la personne sous somnambulisme ou hypnose change de personnalité, parle et tient des discours qui, pour ceux qui l’écoutent, semblent venir d’un inconnu2. Selon le temps et les lieux, ces dires se diversifient et prennent des formes variées mais une constante apparaît, très vite remarquée et notée par ceux qui magnétisent : certaines, surtout de très jeunes femmes, acquièrent une liberté de parole impensable en état « normal ». Même bien éduquées, elles profèrent des injures, accusent des proches de violence à leur égard ou parlent de sexualité dans des termes interdits par la bienséance. Ces dires sont interprétés par ceux qui les entendent : les hommes d’Église stigmatisent souvent ces états en les diabolisant ; de nombreux médecins les attribuent à des dysfonctionnements neurologiques ; certains, peu nombreux, sont à l’écoute des paroles prononcées dont les significations demeurent problématiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Tous cherchent cependant à expliquer ces formes d’expression et de verbalisation qui prennent de l’ampleur à certains moments puis semblent s’effacer pour resurgir de manière discontinue. L’inscription de ces phénomènes dans l’évolution de l’histoire sociale, culturelle et politique du XIXe siècle et du début du XXe ouvre des voies de compréhension, que j’explore en tant qu’historienne ancrée dans mon temps. J’interroge toutes mes sources en posant des questions anachroniques, suivant en cela Nicole Loraux qui proposait d’adopter une méthode consistant à « aller du présent vers le passé avec des questions du présent pour revenir vers le présent, lesté de ce que l'on a compris du passé » 3. Ainsi dans ce texte, s’il est question d’inconscient, ce sera à travers ma connaissance de l’existence d’un inconscient psychique, tel que pensé et théorisé par Freud à partir de 1899, qui me permet, en tant qu’historienne, de questionner le passé à partir des interrogations et des hypothèses du présent. Grâce à ce savoir, je peux proposer d’interpréter les dires dissonants des femmes somnambules ou hypnotisées comme des états particuliers créant un lâcher-prise qui donne accès à un refoulé, un interdit en état normal et à la possibilité de sa verbalisation. Cette compréhension exige, classiquement, au préalable, un solide travail de connaissance sur ces ailleurs et sur la manière de penser de ces autres, mais dans un débordement du strict et seul contexte qui, « isolé en apparence du sujet, est de fait un artifice, puisque chaque sujet confronté à une réalité, quels que soient son origine, son milieu social, agit et réagit singulièrement. Ce qui compte c’est la relation du sujet au monde auquel il est confronté dans une situation donnée. La vision construit de fait le sens vers lequel est projeté un ensemble considéré en fonction d’un contexte qui ferait sens en lui-même. […] Pour comprendre un moment d’histoire, il n’est possible de l’analyser que dans la diversité de son expression […] »4.

1784 : la découverte du somnambulisme magnétique donne la capacité à certaines femmes, d’exprimer leur mal-être et leurs souffrances

Lorsque Franz Anton Mesmer invente le magnétisme animal, il propose une interprétation extrêmement simple et compréhensible de la maladie qui contraste avec celles de la plupart de ses confrères. En cette fin du XVIIIe siècle, les conceptions anatomiques et physiologiques sont en effet bouleversées par la révolution clinique mais, dans le même temps, la plupart des médecins restent liés aux visions des siècles antérieurs : néo-hippocratisme, galénisme, théorie des humeurs, vitalisme … Or, Mesmer édifie une théorie globale de la santé et de la maladie fondée sur la certitude d’une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps vivants, influence rendue possible par l’existence d’un fluide subtil et universel dans lequel baignerait l’univers tout entier et qui pénètrerait tous les corps vivants. L’origine des maladies est ainsi liée pour lui à une mauvaise circulation de ce fluide à l’intérieur du corps, le médecin (lui-même porteur d’un fort magnétisme) devant rétablir cette harmonie circulatoire grâce des mouvements – des passes – autour du corps du malade, ce qui pouvait provoquer une crise convulsive censée accélérer ce bon rétablissement. Le corps seul est donc concerné, la parole n’a pas de rôle et, si elle est présente, elle n’intéresse pas Mesmer. À cette date, l’idée de fluide n’a rien d’extraordinaire puisque la notion d’« éther », remplissant l’univers, est déjà largement admise, que Newton a montré l’existence d’une attraction universelle, que les premières montgolfières s’envolent et qu’enfin les expériences sur l’électricité débutent, bien souvent d’ailleurs à visée thérapeutique. Dans le monde savant et pour un public cultivé, le mesmérisme est donc parfaitement intelligible et crédible. Pourtant, lorsque Mesmer quitte Vienne et s’installe à Paris en 1778, son succès et ses méthodes thérapeutiques inquiètent le milieu médical parisien alors traversé par de nombreux conflits5. Aussi à l’été 1784, Louis XVI, alerté par des plaintes, fait convoquer deux commissions, l’une mixte formée par la Faculté de médecine et l’Académie royale des sciences et l’autre par la Société royale de médecine, afin d’enquêter précisément sur l’existence du fluide magnétique, clé des curations. Les commissions observent, expérimentent et … concluent à son inexistence en expliquant que les effets produits sont dus à l’imitation, à l’imagination ou à l’attouchement6. À ces conclusions s’ajoute un rapport secret de la première commission, envoyé au roi, dénonçant le danger moral de la mixité et de la promiscuité liée aux pratiques magnétiques, en particulier pour les femmes. Le magnétisme était donc dénoncé à la fois comme théorie physique et comme porteur d’immoralité. Cependant, le somnambulisme magnétique, mis au jour l’année même de la réunion des commissions, n’a été ni médicalement observé, ni condamné.

Il est donc né en 1784, lorsque le marquis de Puységur, pratiquant les passes magnétiques apprises selon les leçons de Mesmer pour soigner un de ses valets de ferme malade, provoque fortuitement cet état modifié de conscience qu’il appelle « somnambulisme magnétique ». L’homme magnétisé n’a pas de crise convulsive mais se trouve plongé dans une sorte de sommeil lucide : il parle, dit voir l’intérieur de son corps, connaître sa maladie, il se prescrit les soins à donner et raconte à Puységur certaines de ses préoccupations. Le marquis cherchant à comprendre ce qui se passe, est convaincu qu’en cet état, l’être humain dispose « d’un sens intérieur qui se développe en lui et il peut connaître et juger sciemment de la nature des maladies et des moyens secondaires à employer pour la guérir »7. Puységur reconnaît ainsi l’existence d’un savoir sur soi chez l’individu malade qui peut éclairer et guider le thérapeute.

En 1817, le philosophe Hegel, dans La Philosophie de l’esprit8, propose à son tour une interprétation et met en exergue la capacité de clairvoyance qui serait acquise en somnambulisme magnétique ; cette aptitude concernerait à la fois la vision interne du corps, le sien et celui des autres et s’étendrait aussi à une perception du passé et à une connaissance de l’avenir. Il explique donc la totalité de la clairvoyance. Hegel ne l’attribue cependant qu’à certains individus malades et considère cet état comme une maladie de l’âme qui permet d’échapper au pouvoir de la conscience.

Quelques années plus tard, le médecin Alexandre Bertrand (1795-1831)9 ajoute un ancrage médical somatique et fonde son point de vue sur les connaissances (encore balbutiantes) du système nerveux. Il rattache « toutes les facultés que présente le somnambulisme à deux phénomènes principaux : l’excitation du cerveau et l’exaltation de sensibilité propre à la vie intérieure qui de latente ou organique qu’elle est en état de veille, devient perceptible dans le somnambulisme ». L’état de somnambulisme est donc lié à la mise en retrait du système nerveux central cérébral au profit du système périphérique dont les nerfs irriguent en particulier le fameux plexus solaire, celui-ci remplissant alors « relativement à la vie intérieure, les mêmes fonctions que le cerveau relativement à la vie extérieure, et que c’est à cause que, dans le somnambulisme, l’âme y puise tous les matériaux nécessaires à la formation des jugements instinctifs que le somnambule rapporte à cette partie les connaissances qui en résultent » 10. Le moi somnambulique peut ainsi connaître ce qui perturbe l’autre moi en éveil et agir sur le corps que tous deux se partagent ! La confiance que lui donne la rémission accordée par l’état de somnambulisme, qui suspend les douleurs, les inquiétudes ou même les angoisses, met en route espérance et imagination qui agissent à leur tour sur l’état physiologique et a fortiori psychologique. Réfléchissant aussi sur les effets de l’extase et les comparant à ceux du somnambulisme magnétique, deux états qu’il juge très proches, Bertrand écrit : « Le fait principal est ici l’acquisition des idées et des notions que l’extatique n’a pas la conscience d’avoir formées ou acquises […]11 ». Distinguant volonté et intelligence, il estime que les extatiques, comme les somnambules, peuvent retrouver les idées auxquelles ils étaient arrivés en état de veille mais qu’ils n’avaient donc « pas conscience d’avoir formé », et ceci par le « simple jeu des fibres cérébrales », sans action de la volonté12. Cette interprétation tient compte des paroles prononcées par les somnambules qu’il écoute et prend en note lors des cures qu’il pratique. Ainsi, lors des soins qu’il donne à une jeune fille de 15 ans et 3 mois13 ayant toutes sortes de symptômes hystériques, il écrit : « Elle m’a dit », « Elle m’a donné force détails »14. Il souligne des « frayeurs » qu’elle a connues à la vue d’un garde champêtre « qui plusieurs fois avait voulu attenté à sa pudeur, la poursuivait avec la violence la plus odieuse depuis 15 mois. La jeune malade était l’objet des poursuites de cet homme sans oser en vouloir à personne »15. Loin de penser qu’une élucidation de cette frayeur pourrait être la cause de son état, il juge au contraire qu’elle l’en empêcherait et qu’il est nécessaire de modifier son souvenir et de lui faire oublier ce moment d’agression. Toutefois, dans l’état modifié de conscience du somnambulisme magnétique et de la protection psychique qu’il offre, elle a pu dire sa peur et la décrire en étant écoutée. D’autres femmes, qu’elles soient bourgeoises ou paysannes, soignées de cette façon lors de cures magnétiques faites par des médecins magnétiseurs16 expriment elles aussi des violences qu’elles ont pu subir.

Cette verbalisation est aussi rendue possible en raison des changements et des ruptures historiques qui ont eu lieu à la fin du XVIIIe siècle et ont permis de lever (certes momentanément) certains interdits. Ainsi, la mise en question de l’existence d’une transcendance divine, de facto, réduisait la signification d’une possession diabolique par laquelle des femmes avaient longtemps exprimé leur mal-être. La Révolution française avait, de plus, renversé certaines hiérarchies sociales et culturelles et ouvert des brèches dans l’enserrement des femmes et dans leur intériorisation des normes patriarcales.

Lors de ces cures, si une cause psychique est remarquée, elle est appuyée sur la certitude de l’influence du moral sur le physique, selon les connaissances alors dominantes. L’observation du corps et de ses organes, le physiologique, demeurent en effet primordiaux pour le savoir clinique dorénavant hégémonique. La révolution clinique de la fin du XVIIIe siècle n’observe l’être humain qu’en tant qu’objet réduit à ses organes. Aussi les normes expérimentales de répétitions dorénavant imposées par l’approche scientifique ne permettent-elles pas de comprendre ces états modifiés de conscience et leur verbalisation, l’être humain par sa fatigabilité et ses possibles simulations étant peu compatible avec des expériences répétitives. Par conséquent, ne parvenant pas à trouver des raisons physiologiques démontrables comme l’exigent ces protocoles scientifiques, la recherche médicale est mise en sourdine, surtout en France, où la médecine académique à la fin des années 1830 refuse même de continuer des travaux en ce domaine jugé trop problématique… Des croyances prennent alors le relais et tiennent le devant de la scène.

Le somnambulisme magnétique conforte l’apparition de nouvelles croyances religieuses (années 1830-1860)

Les réflexions des philosophes des Lumières puis de la Révolution française avaient rendu possible d’interpréter le monde sans référence à une transcendance, entraînant (entre autres) le déclin des croyances chrétiennes, surtout catholiques et la naissance de nouvelles religions. Les années 1830 sont celles d’une véritable ébullition intellectuelle et religieuse : les écrits de Swedenborg sont remis en lumière et commencent à être traduits en français17. Le magnétiseur Louis Alphonse Cahagnet (1809-1885) se dit swedenborgien. L’abbé Chatel (1795-1857) fonde, après sa rupture avec Rome en 1830, une Église catholique française, « la petite Église ». Abel (ou Jean Simon) Ganneau (vers 1805-1851) organise une religion évadienne dont il se déclare en 1838 être le Mapah (Maman-Papa) et se lie d’amitié avec Alphonse Louis Constant, mieux connu sous son pseudonyme d’Eliphas Lévi-Zahed (1810-1875)18. Le réformateur social Charles Fourier (1872-1837), qui invente une cosmogonie où les âmes se réincarnent ici et là dans l’espace des astres, et nombre de ses contemporains, ainsi le préhistorien Boucher de Perthes (1788-1868), partagent cette conviction. Ces croyances en un bonheur dans d’autres mondes et d’autres temps sont confortées par les échecs souvent sanglants des révolutions de 1848 qui mettent fin à bien des espoirs d’émancipation et de liberté, en particulier pour les femmes.

Le succès des tables tournantes venues des États-Unis et arrivant en Europe en 1853 ouvre encore de nouvelles voies. Les mouvements de ces tables, décodés en comptant les coups frappés, semblent en effet permettre d’accéder à l’écoute d’esprits, en particulier ceux de morts. Ces tables « tournantes » n’étonnent pas les somnambules magnétiques et leurs magnétiseurs européens qui n’ignorent ni les objets qui bougent, ni les coups frappés. En 1847, avant l’expérience états-unienne, Adèle Maginot, la somnambule que magnétise régulièrement Louis Alphonse Cahagnet, attribue aux bruits et aux déplacements d’objets qu’elle observe une origine extra-terrestre19. L’état modifié de conscience qu’est le somnambulisme semble ainsi tout à fait propice à ce type de perceptions. La vogue des tables « tournantes » se répand très vite dans toute l’Europe, dans les villes comme dans les campagnes. En 1854, Hippolyte Léon Denizard Rivail (1804-1869), qui bientôt va prendre le nom d’Allan Kardec, s’y intéresse. Instituteur, formé à l’école du pédagogue Henri Pestallozi, curieux de magnétisme qu’il connaît, il cherche à comprendre ces mouvements. Il les explique d’abord par l’existence d’un fluide électrique capable de faire mouvoir des objets mais il est aussi intéressé par la possibilité de dialoguer avec les tables. Au printemps 1855, il participe à des séances organisées par des somnambules et leurs magnétiseurs. En France, à cette date, le comptage des coups frappés par les tables, beaucoup trop lent, s’est transformé : corbeilles-toupies ou corbeilles à bec, chapeaux et saladiers sont tour à tour essayés pour finalement que soit adoptée ce que les surréalistes nommeront quelques décennies plus tard « l’écriture automatique ». Les somnambules placent tout simplement le crayon dans leur main puis attendent que l’esprit en dispose…20. Peu à peu convaincu que les messages transcrits sont bien issus d’esprits extra-terrestres, Rivail entreprend un travail de dialogue organisé avec quelques somnambules magnétiques, lui-même n’étant pas médium. Le Livre des Esprits, véritable bible de la religion spirite, publié en 1857, en est issu. Après avoir appris que tel avait été son nom de druide celte dans une vie antérieure, l’ouvrage paraît sous le nom d’Allan Kardec. Celles et ceux qui étaient appelés somnambules magnétiques, sont dorénavant nommées « médiums » à l’imitation des États-uniens mais aussi parce que Kardec pense qu’il s’agit d’un nouvel état, différent du premier. Le, et surtout la médium, est accessible à l’influence des esprits, passive, elle est un instrument tandis que la somnambule agit sous l’influence de son propre esprit, ce qu’elle exprime vient d’elle-même. Ces médiums sont prolixes et les paroles que certaines font entendre, expriment bien souvent des critiques et des revendications sociales, voire politiques et peut-être intimes ! Elles proposent une égalité entre les hommes et les femmes puisque les esprits se réincarnent dans l’un et l’autre sexe, défendent aussi l’avortement et l’instruction pour toutes et, plus tard, le droit de vote féminin. Ces revendications sont pour la plupart issues des idées des réformateurs sociaux, Fourier et Saint-Simon, les saint-simoniennes ayant joué un rôle nodal dans l’exigence d’une émancipation des femmes lors des années 1830. Puis les révolutions de 1848 brisent une nouvelle fois les carcans idéologiques favorisant des prises de paroles impossibles en temps normal.

Le spiritisme connaît un ample succès, en particulier parce qu’à toute sorte de graves questions philosophiques et scientifiques, cette religion, qui se dit scientifique, propose des réponses, certes fausses, mais d’une grande simplicité et d’une logique apparente. Il suffit d’accepter le postulat de la réincarnation et sa conséquence : une pluralité des mondes habités par des esprits. Les êtres renaissent ici ou là dans notre système solaire en fonction de leur vie, bonne ou mauvaise, avec des corps matériels ou deviennent des esprits désincarnés proches d’un état de perfection divine, selon des gradations rigoureusement établies. Cela remet en question toutes les filiations familiales et la plupart des croyances chrétiennes.

La figure de médium entre en scène sans pour autant faire disparaître celle des somnambules magnétiques et de leur magnétiseur, qui se donne toujours à voir dans des spectacles de foire ou des salons.

Reprise en main du somnambulisme magnétique par le pouvoir médical sous la forme de l’hypnose (années 1840-1890)

Ainsi, en Écosse, en 1843, après avoir vu une performance spectaculaire du célèbre magnétiseur suisse Charles Lafontaine (1803-1892) à Manchester en novembre 1841, le chirurgien écossais James Braid (1795-1860) s’intéresse à ces phénomènes somnambuliques et conclut à une origine somatique en proposant une interprétation appuyée sur la neurologie, dont les savoirs ont progressé. Il abandonne toute idée de fluide ou d’imagination pour expliquer la transformation de l’état de conscience des sujets par des causes nerveuses. Il obtient le somnambulisme en prenant un objet brillant quelconque (habituellement son porte-lancette) entre le pouce, l’index et le médius de la main gauche et en le tenant à la distance de 25 à 45 cm des yeux, dans une position située au-dessus du front telle que le plus grand effort soit nécessaire du côté des yeux et des paupières pour que le sujet regarde fixement l’objet. Très généralement, plus ou moins rapidement, le patient entre dans cet état qu’il renomme « hypnose » pour bien le distinguer du somnambulisme trop galvaudé. L’hypnose est pour lui un « sommeil nerveux » dont il décrit les caractéristiques dans son livre Neurypnology or the Rational of Nervous Sleep publié à Londres en 184321. L’hypnose ainsi définie devient parfaitement intégrable à la médecine clinique et trouve pleinement sa place dans la science expérimentale. Toute parole éventuellement proférée dans cet état devient alors anormale ou délirante. Toutefois, cette interprétation est très lentement diffusée jusqu’aux années 1860. En 1859, les médecins français Eugène Azam (1822-1899) et Paul Broca (1824-1880) mettent en exergue les effets anesthésiques de l’hypnose et ils rendent compte devant l’Académie de médecine d’une intervention pratiquée ainsi avec succès. L’année suivante, le chirurgien Alfred Velpeau (1795-1867) présente à l’Académie des sciences française les travaux de Braid qui sont dorénavant largement reconnus en Europe.

Sous ces trois dénominations, somnambulisme, médiumnité et hypnose, cet état modifié de conscience se déploie alors largement et relance les recherches médicales. Cependant, c’est à travers l’hystérie que l’hypnose est d’abord revisitée. Elle est donnée à voir en particulier dans deux grands hôpitaux parisiens, celui de La Charité avec Jules Luys (1828-1897) et surtout de La Salpêtrière avec Jean Martin Charcot (1825-1893). « L’hypnotisme qui est en train de devenir une religion qui a ses miracles, ses apôtres, ses fanatiques et ses incrédules, diffère des religions ordinaires en ceci que presque tous ses prêtres sont docteurs en médecine et non plus en théologie22 », écrit Guy de Maupassant en septembre 1887.

L’hystérie est une maladie fort ancienne mais, lors de ces décennies, elle prend de l’ampleur à travers des formes à nouveau violentes et spectaculaires que met en exergue le neurologue Jean-Martin Charcot, chargé au début des années 1870 du service des hystériques et épileptiques non aliénées à l’hôpital de La Salpêtrière. Ces nouvelles malades sont jeunes dans l’ensemble et s’ajoutent, pour l’étude des maladies nerveuses, à toutes les vieilles femmes dont il disposait déjà depuis dix ans puisque l’hôpital est un « hospice de la vieillesse femme ». Seuls le corps, la physiologie et l’anatomie le soucient et, en quelques années, à la suite du médecin hospitalier Pierre Briquet qui l’avait déjà affirmé en 1857, il fait de l’hystérie une « névrose de l’encéphale » (névrose au sens de maladie des nerfs), réduisant l’hypnose à une « hystérie expérimentale »23. Il développe cette idée dans sa communication Sur les divers états nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques, reçue en février 1882 par l’Académie des sciences, ancrant l’hypnose dans le somatique, bien loin du psychique. Selon ses observations, il détermine sous le désordre apparent de l’hystérie, un ordre caché des crises dont il démontre la régularité avec les quatre phases qui se succèdent lors d’une attaque hystérique, 1/ épiléptoïde, 2/ clownisme, 3/ attitudes passionnelles, 4/ délire. Cette hysteria major, avec ses quatre périodes, lui permet de relier étroitement cette dernière phase, en particulier celle du somnambulisme24 où les hystériques parlent, aux trois premières. Il peut ainsi expliquer leurs dires par des dysfonctionnements cérébraux et ne pas tenir compte de leurs paroles, même si certains à, ses côtés, les entendent. Le développement de l’hystérie dans ces décennies peut pourtant être lu comme un symptôme de la souffrance de certaines femmes : les malades qui sont soignées dans le service de Charcot à l’hôpital de La Salpêtrière sont toutes issues du petit peuple parisien, beaucoup sont pauvres, voire indigentes. Par ce refus d’entendre leurs dires, Charcot et un grand nombre de médecins avec lui confortent ainsi la hiérarchie sociale et la domination patriarcale de cette fin de siècle maintenant les normes sociales imposées par les pouvoirs politiques qui enserrent les femmes. L’ensemble fait barrage à la possibilité d’interpréter ces paroles comme l’expression d’un mal être d’origine psychique.

La reconnaissance de la force du psychisme ouvre un espace d’écoute (années 1880-début XXe siècle)

L’hystérie, à travers ses phases d’hypnotisme, met pourtant en pleine lumière cette dimension de libération de la parole que peut provoquer cet état. Les dires des hystériques de La Salpêtrière rapportés par le psychiatre D. M Bourneville (1840-1909), bras droit de Charcot pendant quelques années, racontent les violences qu’elles ont subies, en particulier humiliations, surtravail, violences de toutes sortes, dont fréquemment le viol, mais aussi leur désir sexuel. Geneviève, l’une des hystériques du service de Charcot a sans doute les expressions verbales et gestuelles les plus éloquentes : « Embrasse-moi [...]. Donne-moi [...]. Tiens voilà mon... »25. Tout comme Augustine : « Ôte donc le serpent que tu as dans ta culotte [...] »26. Bourneville écoute en effet, à l’encontre de Charcot, et transcrit en remarquant avec subtilité l’importance des « réminiscences » dans ces récits mais ses écrits visent d’abord à dénoncer les violences de l’Église face au traitement que ses membres ont fait subir aux hystériques des siècles antérieurs, les dénonçant et les brûlant comme sorcières. Son point de vue est donc avant tout anticlérical et politique.

Quant à l’écoute de ses autres confrères aliénistes qui transcrivent aussi parfois les paroles de leurs malades, elle est marquée par les catégories diagnostiques de folie et de dégénérescence alors dominantes, où le psychique n’a guère de place. Les dires des folles n’en expriment pas moins là aussi les violences qu’elles ont subies. L’une des internées du service de Legrand du Saulle dit à sa mère : « De quoi ? Tu es une mère infâme […] Et mon père t’a pardonné ! […] Tu es une sale femme, tu es une femme mondaine […] S’il était permis de battre sa mère, je te battrais […] Tiens flûte, sale bête… Je le dirai à papa […]. Tu sais bien ce qui te pend au nez […]. S’il t’a fait noire à mes yeux, il n’a fait que son devoir […]. Maman vas-tu finir, il me met des rats dans le derrière27. »

Combattre l’interprétation neurologique charcotienne de l’hypnose n’est cependant pas simple, en particulier en raison de l’immense notoriété de Jean Martin Charcot. L’opposition existe cependant. Elle est surtout menée par deux médecins nancéens, l’hospitalier Hippolyte Bernheim (1840-1919) et son ami le médecin rural Auguste Liébeault (1823-1904), qui pratique depuis des années avec efficacité le magnétisme et ses effets somnambuliques bénéfiques, qui a initié Bernheim à ces savoirs. Sous hypnose, l’un comme l’autre montrent la force de la suggestibilité sur quelque sujet que ce soit, hystérique ou pas. Plus encore, Bernheim entreprend une série d’expériences à travers des suggestions post-hypnotiques : un sujet reçoit un ordre sous hypnose qu’il va exécuter ensuite au moment voulu par le médecin. Le sujet s’exécute sans savoir pourquoi il fait telle ou telle chose. Ce type d’expériences n’est pas nouveau, Pierre Janet dans la ville du Havre où il avait été nommé professeur comme jeune agrégé de philosophie, les avait pratiquées en 1881 aux côtés du docteur Joseph Gibert (1829-1899) avec Mme B… (Léonie Le Boulanger)28, une femme non hystérique29.

La place considérable que l’hystérie et l’hypnose prennent alors dans les débats médicaux questionne de nouvelles façons les rapports du physiologique et du psychique et les pouvoirs de la parole et de la mémoire. Lors du Congrès international de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique en août 1889 à Paris, la question de la suggestion est centrale. Les débats sont vifs, en particulier autour de la soumission éventuelle du sujet hypnotisé à son hypnotiseur, ce rapport qui déjà interrogeait les premiers magnétiseurs… Auguste Voisin (1829-1898), psychiatre à l’hôpital de La Salpêtrière, proche de Bernheim et de Liébeault, pratique l’hypnose pour soigner certaines de ses patientes hystériques et folles30 et fait disparaître, par suggestion sous hypnose et par un ordre verbal, un à un tous les symptômes de la malade, qu’ils soient d’ordre physique ou psychique.

De même, la psychologie, qui naît en tant que discipline dans les années 1880 en se détachant de la philosophie, alimente ces débats. Dans un premier temps, elle s’inscrit dans une approche physiologique de la psyché pour rejoindre la médecine clinique et son positivisme mais les travaux autour de la médiumnité, de l’hypnose et du somnambulisme conduisent certains de ses membres sur d’autres voies31 que les succès des psychothérapies confortent32. En effet, ce type de thérapeutique et son approche psychique se développent largement, sous des formes variées : Émile Coué privilégie l’autosuggestion, Jules Déjerine (1849-1917), l’émotion. Ce grand neurologue, proche de Charcot, en collaboration étroite avec son épouse Augusta Déjerine-Klumpke elle aussi neurologue, met l’accent lui aussi sur une origine psychique des phénomènes hystériques. Pour lui, ce qui caractérise l’hystérique, c’est l’action très particulière que l’émotion exerce sur son psychisme « formé de parties mal assemblées que l’émotion est capable de dissocier, soustrayant un organe, un groupe fonctionnel, à l’action de la volonté »33. Dès 1895, il adopte la psychothérapie qui doit traiter, d’une part, l’état mental et moral de l’hystérique par persuasion autoritaire et raisonnée (et non par suggestion) et, d’autre part, les accidents physiques par une rééducation dans l’isolement et une suralimentation selon la méthode mise au point par l’américain Weir Mitchell.. Le traitement adopté par Déjerine se veut directif. En 1904, il note : « Le traitement des psychonévroses subit actuellement une transformation complète et le médecin […] cherche aujourd’hui à agir sur le moral de ses malades en s’adressant à leur raison et à leur volonté »34. Pour lui, « la psychothérapie ne peut avoir d’action que, lorsque celui sur lequel vous l’exercez vous a confessé sa vie entière, c’est-à-dire lorsqu’il a en vous une confiance absolue »35. Quand c’est chose faite, le médecin doit alors pratiquer une « réorientation de la personnalité » pour « constituer soit une éthique, soit un idéal philosophique ou religieux » puis, en fin de cure, restituer aux patients leur liberté et leur contrôle intellectuel36. Il constate, malgré tout, que « nous leur donnons envie de se guérir mais c’est par eux-mêmes qu’ils se guérissent » 37. Cette même année, paraissent Les Psychonévroses et leur traitement moral du Suisse Paul Dubois de Berne (1848-1918), professeur de neuro-pathologie et ami de Déjerine, qui préface son livre. Dans les cures psychothérapiques qu’il préconise, Dubois insiste lui aussi sur le repos, la suralimentation, l’isolement et tient beaucoup au bien-être physique de la malade qu’il fait masser tous les jours38. L’essentiel pour Dubois de Berne demeure, cependant, « le traitement moral si facile à pratiquer dans ces conditions » 39. Il souligne la nécessité de parler avec le malade, de lui faire connaître la nature de ses troubles, leur origine psychique et ses capacités à les faire disparaître tout en lui donnant confiance en lui. Il est alors nécessaire de rééduquer la raison du malade par une « psychothérapie rationnelle » et par « des petites leçons de morale rationnelle » appropriées à chacun des cas40. L’autorité du médecin est donc toujours essentielle et, face au danger de cette suggestion et de l’influence directe du thérapeute, Freud crée la psycho-analyse41 et son dispositif de cure écartant le recours à l’hypnose.

Sigmund Freud appartient pleinement à ce monde mais il s’en distancie. Cette mise à l’écart s’accomplit pendant plus de dix ans après sa nomination comme Privat dozent de neurologie en 1885. Il s’éloigne de ses premiers maîtres positivistes, en particulier de Jean Martin Charcot auprès duquel il a passé quelques mois, de la fin de 1885 au début de 1886, dans son service des hystériques et épileptiques non aliénées de l’hôpital de La Salpêtrière. En 1895, si l’importance de la neurologie marque encore sa pensée, celle du psychique prend la première place. Il publie alors avec Joseph Breuer les Études sur l’hystérie, qui marquent nettement son changement d’approche des phénomènes hystériques et de leur surgissement. C’est le moment où il décide d’abandonner le recours à l’hypnose pour donner à son patient ou à sa patiente la plus grande liberté possible de parole. Il saisit l’importance de la dimension psychique de l’hystérie en même temps qu’il appréhende l’ampleur, la complexité et la dangerosité de l’hypnose et de la suggestion que ses lectures et les travaux d’Hippolyte Bernheim lui avaient révélé après sa visite à Nancy en 1889. La lente mise au jour de la découverte d’un inconscient psychique est alors en cours, hypothèse formidable et novatrice, qu’il théorise en 1899 dans L’Interprétation du rêve, immédiatement contestée par ceux, neurologues, psychologues et penseurs positivistes, qui veulent des preuves, des expériences en double aveugle et des résultats quantifiables. Cette découverte est portée par sa pratique médicale, ses lectures, ses échanges épistolaires et ses conversations avec ses pairs dans le groupe du mercredi puis dans l’association psychanalytique de Vienne, mais aussi à travers une réflexion sur les mécanismes qui président à la mémoire et à l’oubli. Freud cherche alors à obtenir un état modifié de conscience qui permet un accès à cet inconscient et l’émergence d’un dire qui ne soit pas lié à l’hypnotisme. Il invente le dispositif psychanalytique si original du divan et de la position du médecin invisible du patient qui doit permettre un lâcher-prise de la conscience ouvrant un passage vers cet inconscient psychique, sa formidable découverte42. Freud entend le mal-être de ses premières patientes hystériques et leur permet d’accéder à la découverte des origines de leurs souffrances.

Pour que toutes ces découvertes thérapeutiques et conceptuelles aient lieu et pour que des femmes puissent verbaliser tout à la fois leur mal-être et leur désir d’émancipation, il a donc fallu des conditions historiques, des « évènements de pensée » (Michel Foucault) qui les fassent émerger.

Mon travail d’historienne a consisté à les retrouver et à les analyser, à mettre au jour les sources qui permettent de penser ces phénomènes qui ne ressortissent donc pas à un envers inconscient d’un fait social. mais sont bien ancrés dans ces soubassements factuels et idéels, certes parfois occultés, souvent refoulés ou simplement oubliés pour des raisons à la fois intimes, culturelles, sociales et politiques, pouvant toutefois resurgir à des moments qui les rendent possibles. Pendant toutes ces décennies, la domination sur les femmes est demeurée une constante tout comme l’a été le désir d’émancipation de certaines, capables à certains moments et dans certaines conditions de briser la force de l’oppression qui les enserrait et de la puissance de l’intériorisation qui leur avait été inculquée dès leur naissance. Des brèches dans le cours de l’histoire, brèches sociales et politiques et des découvertes médicales novatrices ont parfois ouvert des voies pour le dire et être (éventuellement) entendues. Ces moments d’apparitions et de réapparitions rejoignent alors peut-être ce que Freud dans Totem et tabou et dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste a nommé « inconscient de l’espèce », une sorte de « patrimoine héréditaire » qui suppose la possibilité d’une circulation psychique de certains événements de générations en générations. Il y aurait, pour lui, à la fois une hérédité des prédispositions psychiques stimulée pendant la vie et l’interprétation par chaque individu d’une manière inconsciente de tout ce qui l’entoure, quelque chose « qui, à chaque génération, eut seulement à être éveillé »43. Néanmoins, si le poids d’une domination pèse toujours de manière récurrente et changeante sur chaque génération de femmes, ce réveil d’un « inconscient de l’espèce » serait toujours, me semble-t-il, lié à des conditions historiques, sociales, culturelles, économiques ou politiques particulières.

1 La bibliographie sur ce thème est vaste. On en trouvera une dans Bruno Belhoste et Nicole Edelman (dir.), Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme en

2 Nicole Edelman, « Le somnambulisme magnétique : les enjeux d’une mise à la marge (Première moitié du XIXe siècle en France) », L’Homme & la Soc

3 Nicole Loraux, « Une helléniste à la croisée des sciences sociales », Espaces Temps, 2005, Volume 87, n° 1, p. 130.

4 Michèle Riot-Sarcey, Le Procès de la liberté, Paris, La Découverte, 2016, p. 312.

5 La Faculté de médecine connaît en effet une légitimité et un pouvoir déclinants face à ceux qui font la révolution clinique et face à la toute jeune

6 Seul Laurent de Jussieu se dissocie de ses collègues et publie son propre rapport reconnaissant, dans les effets du magnétisme, la possible action d

7 Œuvres du marquis de Puységur publiées et présentées par Jean-Pierre Peter, Un somnambule désordonné, Journal du traitement magnétique du jeune

8 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, tome III, Philosophie de l’esprit (1817), texte présenté, traduit et annoté

9 Renvoyé de l’École polytechnique au retour des Bourbons, il a étudié la médecine à Paris et a été médecin de Maine de Biran, proche de l’abbé Faria

10 Idem, p.476-477.

11 Alexandre Bertrand, article « Extase, Encyclopédie progressive, Bequest et Convens Francis, 1826, p. 377.

12 Ibid., note de la p. 383.

13 Il la soigne avec le Dr Antoine Despine (1777-1852), médecin directeur des Thermes d’Aix en Savoie.

14 Fonds Joseph Bertrand, 2030 « Documents relatifs au magnétisme et au somnambulisme », Manuscrit de la Bibliothèque de l’Institut. Il semble que

15 Fonds Joseph Bertrand, 2030 « Documents relatifs au magnétisme et au somnambulisme », Manuscrit de la Bibliothèque de l’Institut. Histoire de la

16 Voir les cures du Dr Despine père (1777-1852), médecin directeur des Thermes d’Aix en Savoie ou de Dr David Koreff (1783-1851).

17 Jacques-François Étienne Le Boys des Guays (1794-1864) ouvre en 1835 un culte public swedenborgien. Le magnétiseur Louis Alphonse Cahagnet publie

18 Ce n’est que dans les années 1850 que ce dernier prend le pseudonyme d’Eliphas Lévi-Zahed (1810-1875) et professe un occultisme prétendant aux

19 Cahagnet nous rapporte ainsi ce dialogue entre sa somnambule et Swedenborg : « – Crois-tu que ces esprits aient la force de bouleverser des meubles

20 Des dizaines de cahiers, écrits de cette façon, auraient été ainsi mis à la disposition de Rivail. Certains disent même qu’il en aurait pris

21 James Braid, Neurypnology or the Rational of Nervous Sleep, considered in relation with animal magnetism. Illustrated by numerous cases of its

22 Guy de Maupassant, « Aux bains de mer », Gil Blas, 6 septembre 1887, publié dans Chroniques, 3, Paris, Union générale des éditions, 10/18, 1980, pp

23 L’hypnose, pour Charcot, comprend trois états nerveux : la catalepsie, la léthargie et le somnambulisme, qui tous permettent de provoquer chez l’

24 La catalepsie, un bruit de gong, un flash peut provoquer une suspension complète du mouvement volontaire des muscles dans la position où ils se

25 D. M. Bourneville et Paul Regnard, L’Iconographie photographique de la Salpêtrière, 2 tomes, Progrès médical, 1877-1878,t. 1, p. 70-71.

26 Ibid., t. 2, p. 151.

27 Henri Legrand du Saulle, Les Hystériques, état physique et état mental. Actes insolites, délictueux et criminels, Paris, Baillière, 1883, p. 296.

28 Voir Jacqueline Carroy, « Une somnambule dans l’Affaire Dreyfus » dans Bernadette Bensaude et Christine Blondel (dir.), Les Savants face à l’

29 Ces expériences attirèrent des visiteurs tels les frères Myers passionnés par le paranormal et l’occulte, ou le philosophe, psychologue et

30 Auguste Voisin, De la thérapeutique suggestive chez les aliénés, Paris, Doin, 1886.

31 Voir Régine Plas, op. cit., et Jean-Pierre Peter, « De Mesmer à Puységur. Magnétisme animal et transe somnambulique, à l’origine des thérapies

32 Jacqueline Carroy, « L’invention du mot psychothérapie et ses enjeux », Psychologie clinique, « Les psychothérapies dans leurs histoires »

33 Jules Déjerine, E. Gauckler, Les Manifestations fonctionnelles des psychonévroses. Leur traitement par la psychothérapie,Paris, Masson, 1911, p.

34 Jean Camus, Philippe Pagniez, Isolement et psychothérapie. Traitement de l’hystérie et de la neurasthénie. Pratique de la rééducation morale et

35 Jules Déjerine, E. Gauckler, Les Manifestations fonctionnelles des psychonévroses. Leur traitement par la psychothérapie,op.cit., p. IX.

36 Ibid., p. 554.

37 Ibid.,p. 551.

38 Freud le fait lui-aussi avec sa patiente Emmy von N.

39 Dr Dubois, Les Psychonévroses et leur traitement moral, leçons faites à l’université de Berne, préface de Déjerine, Paris, Masson, 1904, p. 283. Il

40 Ibid., p. 284.

41 Voir Nicole Edelman, L’Avènement de la psychanalyse, Paris, Stilus, 2022.

42 Pour nuancer et approfondir, voir Nicole Edelman, L’Avènement de la psychanalyse, op. cit.

43 Sigmund Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris Gallimard, Folio essais, 1986, p. 238.

Bibliographie

Ouvrages de Nicole Edelman

Voyantes, guérisseuses visionnaires en France, (1784-1914), Paris, Albin Michel, 1995

Les Métamorphoses de l’hystérique. Du début du XIXe siècle à la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2003

Histoire de la voyance et du paranormal, Seuil, 2006

Histoire sommaire de la maladie et du somnambulisme de Lady Lincoln, présenté par Edelman Nicole, Montiel Luis et Jean-Pierre Peter, Paris, Tallandier, 2009

L’Impossible consentement : L’affaire Joséphine Hughes, Paris, Le Détour, 2018

L’Avènement de la psychanalyse, Paris, Stilus, 2022

Notes

1 La bibliographie sur ce thème est vaste. On en trouvera une dans Bruno Belhoste et Nicole Edelman (dir.), Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme en contexte, Paris, Omniscience, 2015, p. 247-253.

2 Nicole Edelman, « Le somnambulisme magnétique : les enjeux d’une mise à la marge (Première moitié du XIXe siècle en France) », L’Homme & la Société, vol. 167-168-169, no 1-2-3, 2008, p. 85-100 ; Nicole Edelman, Luis Montiel et Jean-Pierre Peter, Histoire sommaire de la maladie et du somnambulisme de Lady Lincoln, Paris, Tallandier, 2009 ; Clara Gallini, La Sonnambula meravigliosa. Magnetismo e ipnotismo nell’Ottocento italiano, Milano, Feltrinelli,1983.

3 Nicole Loraux, « Une helléniste à la croisée des sciences sociales », Espaces Temps, 2005, Volume 87, n° 1, p. 130.

4 Michèle Riot-Sarcey, Le Procès de la liberté, Paris, La Découverte, 2016, p. 312.

5 La Faculté de médecine connaît en effet une légitimité et un pouvoir déclinants face à ceux qui font la révolution clinique et face à la toute jeune Société royale de médecine, fondée en 1778, issue de la volonté de l’État de contrôler le pouvoir médical et la santé des Français. Voir Bruno Belhoste, « Mesmer et la diffusion du magnétisme animal à Paris (1778-1803) », p. 21-62 dans Bruno Belhoste et Nicole Edelman (dir.), Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme en contexte, op.cit.

6 Seul Laurent de Jussieu se dissocie de ses collègues et publie son propre rapport reconnaissant, dans les effets du magnétisme, la possible action d’une « chaleur animale ». Voir aussi Robert Darnton, Mesmerism and the End of the Enlightenment in France /La Fin des Lumières, Le mesmérisme et la révolution, Cambridge (Mass.) Harvard University Press, 1968.

7 Œuvres du marquis de Puységur publiées et présentées par Jean-Pierre Peter, Un somnambule désordonné, Journal du traitement magnétique du jeune Hébert, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1999, p. 303.

8 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, tome III, Philosophie de l’esprit (1817), texte présenté, traduit et annoté par Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 1988.

9 Renvoyé de l’École polytechnique au retour des Bourbons, il a étudié la médecine à Paris et a été médecin de Maine de Biran, proche de l’abbé Faria, ami du socialiste Pierre Leroux et journaliste au Globe. Il fréquente Arago et Ampère et connaît Joseph Despine et Joseph Philippe François Deleuze.

10 Idem, p. 476-477.

11 Alexandre Bertrand, article « Extase, Encyclopédie progressive, Bequest et Convens Francis, 1826, p. 377.

12 Ibid., note de la p. 383.

13 Il la soigne avec le Dr Antoine Despine (1777-1852), médecin directeur des Thermes d’Aix en Savoie.

14 Fonds Joseph Bertrand, 2030 « Documents relatifs au magnétisme et au somnambulisme », Manuscrit de la Bibliothèque de l’Institut. Il semble que, dans ce cas, l’écriture soit celle de Bertrand et non celle de Despine.

15 Fonds Joseph Bertrand, 2030 « Documents relatifs au magnétisme et au somnambulisme », Manuscrit de la Bibliothèque de l’Institut. Histoire de la catalepsie de Nanette Roux de Trévigny, p. 29.

16 Voir les cures du Dr Despine père (1777-1852), médecin directeur des Thermes d’Aix en Savoie ou de Dr David Koreff (1783-1851).

17 Jacques-François Étienne Le Boys des Guays (1794-1864) ouvre en 1835 un culte public swedenborgien. Le magnétiseur Louis Alphonse Cahagnet publie avec sa somnambule Adèle Maginot Les Arcanes de la vie future dévoilés.

18 Ce n’est que dans les années 1850 que ce dernier prend le pseudonyme d’Eliphas Lévi-Zahed (1810-1875) et professe un occultisme prétendant aux sciences positives.

19 Cahagnet nous rapporte ainsi ce dialogue entre sa somnambule et Swedenborg : « – Crois-tu que ces esprits aient la force de bouleverser des meubles et mille autres choses, comme on le dit ? Je ne peux accorder ce pouvoir à de l’air, un fluide léger comme tu le dis, ne peut déranger un pesant. (Swedenborg) – Sache que l’esprit peut porter les plus lourds fardeaux et […] qu’il peut faire des choses que tu ne concevras jamais », Louis Alphonse Cahagnet, Arcanes de la vie future dévoilée, Paris, Vigot, 1848-1860, p. 101.

20 Des dizaines de cahiers, écrits de cette façon, auraient été ainsi mis à la disposition de Rivail. Certains disent même qu’il en aurait pris possession de façon illicite. Voir Nicole Edelman, Voyantes, guérisseuses, visionnaires, 1785-1941, Paris, Albin Michel, 1995.

21 James Braid, Neurypnology or the Rational of Nervous Sleep, considered in relation with animal magnetism. Illustrated by numerous cases of its successful application in the relief and cure of disease, London, J. Churchill, 1843. Le livre n’est traduit en français qu’en 1883 sous le titre Hypnose ou Traité du sommeil nerveux, considéré dans ses relations avec le magnétisme animal.

22 Guy de Maupassant, « Aux bains de mer », Gil Blas, 6 septembre 1887, publié dans Chroniques, 3, Paris, Union générale des éditions, 10/18, 1980, pp. 346-347. Voir Nicole Edelman, Les Métamorphoses de l’hystérique. Du début du XIXe siècle à la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2003.

23 L’hypnose, pour Charcot, comprend trois états nerveux : la catalepsie, la léthargie et le somnambulisme, qui tous permettent de provoquer chez l’hystérique les symptômes que l’on désire étudier.

24 La catalepsie, un bruit de gong, un flash peut provoquer une suspension complète du mouvement volontaire des muscles dans la position où ils se trouvent. L'attitude qui s’en dégage est celle d'une statue ou d'un mime conservant une position figée en pleine action. La léthargie, une sorte de mort apparente, une anesthésie complète du corps. Le somnambulisme provoqué par la fixation du regard, la friction du sommet du crâne, état dans lequel il est facile de provoquer par la parole « les actes automatiques les plus compliqués et les plus variés, le sujet parle et oubli au réveil.

25 D. M. Bourneville et Paul Regnard, L’Iconographie photographique de la Salpêtrière, 2 tomes, Progrès médical, 1877-1878, t. 1, p. 70-71.

26 Ibid., t. 2, p. 151.

27 Henri Legrand du Saulle, Les Hystériques, état physique et état mental. Actes insolites, délictueux et criminels, Paris, Baillière, 1883, p. 296.

28 Voir Jacqueline Carroy, « Une somnambule dans l’Affaire Dreyfus » dans Bernadette Bensaude et Christine Blondel (dir.), Les Savants face à l’occulte, 1870-1940, Paris, La Découverte, 2002, p .125-142.

29 Ces expériences attirèrent des visiteurs tels les frères Myers passionnés par le paranormal et l’occulte, ou le philosophe, psychologue et physicien Julian Ochorowitz (1850-1917) ou encore le médecin Charles Richet qui les analyseront et les diffuseront à leur tour, chacun à leur manière. Janet avait dès cette date rendu compte des expériences dans plusieurs articles qui avaient suscité un grand intérêt parmi les psychologues. Voir Régine Plas, chap. 4 : « La suggestion mentale », dans Naissance d’une science humaine, la psychologie, Rennes, PUR, coll. Carnot, 2000.

30 Auguste Voisin, De la thérapeutique suggestive chez les aliénés, Paris, Doin, 1886.

31 Voir Régine Plas, op. cit., et Jean-Pierre Peter, « De Mesmer à Puységur. Magnétisme animal et transe somnambulique, à l’origine des thérapies psychiques », Savoirs occultés, du magnétisme à l’hypnose Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 38, p. 19-40.

32 Jacqueline Carroy, « L’invention du mot psychothérapie et ses enjeux », Psychologie clinique, « Les psychothérapies dans leurs histoires », printemps 2000, 9, p. 11-30.

33 Jules Déjerine, E. Gauckler, Les Manifestations fonctionnelles des psychonévroses. Leur traitement par la psychothérapie, Paris, Masson, 1911, p. 380.

34 Jean Camus, Philippe Pagniez, Isolement et psychothérapie. Traitement de l’hystérie et de la neurasthénie. Pratique de la rééducation morale et physique, préface du professeur Déjerine, Alcan, 1904, p. V.

35 Jules Déjerine, E. Gauckler, Les Manifestations fonctionnelles des psychonévroses. Leur traitement par la psychothérapie, op.cit., p. IX.

36 Ibid., p. 554.

37 Ibid., p. 551.

38 Freud le fait lui-aussi avec sa patiente Emmy von N.

39 Dr Dubois, Les Psychonévroses et leur traitement moral, leçons faites à l’université de Berne, préface de Déjerine, Paris, Masson, 1904, p. 283. Il s’agit de 35 leçons faites à l’université de Berne.

40 Ibid., p. 284.

41 Voir Nicole Edelman, L’Avènement de la psychanalyse, Paris, Stilus, 2022.

42 Pour nuancer et approfondir, voir Nicole Edelman, L’Avènement de la psychanalyse, op. cit.

43 Sigmund Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris Gallimard, Folio essais, 1986, p. 238.

Citer cet article

Référence électronique

Nicole Edelman, « Apparitions, effacements, résurgences d’états modifiés de conscience (XVIIIe-XXe siècles) », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 15 octobre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=3492

Auteur

Nicole Edelman

Maîtresse de conférences honoraire en histoire contemporaine, HDR (Paris Ouest Nanterre, HAR). Mes travaux ont porté sur des domaines mis aux marges par les pouvoirs politiques, scientifiques ou religieux, sur des savoirs occultés, oubliés des historiens. Il s’agit d’un faisceau de territoires situés hors des normes dominantes mais pourtant explorés par les contemporains, par des médecins en particulier qui étudient ainsi le somnambulisme magnétique, l’hypnose, les transes et autres états modifiés de conscience donnant naissance à la découverte de l’inconscient et à d’autres phénomènes culturels, intellectuels, religieux… Mon travail se recentre depuis quelques années sur l’histoire de la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse.