Freud, l’allié incommode

Psychanalyse freudienne et histoire culturelle

Freud, the inconvenient ally - Freudian psychoanalysis and cultural history

DOI : 10.56698/rhc.3477

Abstracts

Dans cet article, rédigé du point de vue d’une philosophie des sciences humaines, nous proposons d’examiner à la fois les conditions de possibilité comme d’impossibilité d’un échange entre deux disciplines ou deux savoirs, la psychanalyse freudienne et l’histoire culturelle. Nous y développons des considérations d’ordre épistémologique touchant le régime freudien de compréhension de la culture. Notre développement part de tout ce qui semble faire obstacle à la mobilisation de thèses freudiennes par le spécialiste d’histoire culturelle, telle la typification dont fait l’objet la culture chez Freud, l’anhistoricité de son modèle explicatif, la suspension du monde social dont celui-ci procède souvent. L’objectif de la deuxième partie du propos est de déplacer ce diagnostic initial, en contestant l’interprétation de la pensée freudienne sur laquelle il repose. La troisième partie proposera de considérer certaines intuitions freudiennes, en dépit de l’existence de différends épistémologiques entre la pensée de Freud et l’histoire culturelle, comme des pistes de travail précieuses pour la seconde, comme les notions d’après-coup, de sublimation, de primat de l’affectivité, d’individualisation des conduites. Dans l’ensemble, nous soutenons la thèse selon laquelle, pour le spécialiste de l’histoire culturelle, Freud constitue certes un « allié incommode » mais un allié de taille et que cette incommodité pourrait en outre constituer une des bonnes raisons de se tourner vers le texte freudien.

In this article, written from the point of view of a philosophy of human sciences, we propose to examine both the conditions of possibility and impossibility of an exchange between two disciplines or two knowledges, Freudian psychoanalysis and cultural history. We develop epistemological considerations concerning the Freudian regime of understanding culture. Our development starts from everything that seems to hinder the mobilization of Freudian theses by the cultural historian, such as the typification of culture in Freud, the anhistoricity of his explanatory model, and the suspension of the social world from which it often proceeds. The aim of the second part of the paper is to displace this initial diagnosis, by challenging the interpretation of Freudian thought on which it is based. The third part will propose to consider certain Freudian intuitions, despite the existence of epistemological differences between Freud’s thought and cultural history, as valuable avenues of work for the latter, such as the notions of aftermath, sublimation, the primacy of affectivity, and the individualization of behaviour. On the whole, we support the thesis that, for the specialist in cultural history, Freud is certainly an “inconvenient ally”, but an important one, and that this inconvenience could also constitute one of the good reasons to turn to the Freudian text.

Index

Mots-clés

Freud, processus culturel, cercle de la culture, mœurs, affectivité

Keywords

Freud, cultural process, circle of culture, manners, affectivity

Outline

Text

Nous présentons un propos qui pourra paraître déceptif dans la mesure où il offre un cadrage méta-théorique à la question de l’articulation entre histoire culturelle1 et psychanalyse freudienne plus qu’il n’expose concrètement le profit que la première peut tirer de la seconde. Autrement dit, il commence par examiner les conditions de possibilité comme d’impossibilité de cet échange entre deux disciplines ou deux savoirs. Déceptif donc également car notre développement partira de tout ce qui semble faire obstacle à la mobilisation de thèses freudiennes par le spécialiste d’histoire culturelle. L’objectif de la deuxième partie du propos est de déplacer ce diagnostic initial, en contestant l’interprétation de la pensée freudienne sur laquelle il repose. La troisième partie proposera de considérer certaines intuitions freudiennes, en dépit de l’existence de différends épistémologiques entre la pensée de Freud et l’histoire culturelle, comme des pistes de travail précieuses pour la seconde. Dans l’ensemble, nous soutiendrons la thèse selon laquelle, pour le spécialiste de l’histoire culturelle, Freud constitue certes un « allié incommode »2 mais un allié de taille et que cette incommodité pourrait en outre constituer une des bonnes raisons de se tourner vers le texte freudien.

Une série d’obstacles épistémologiques

La théorie freudienne n’est pas aisément transposable par le spécialiste d’histoire culturelle. Ce constat peut trouver quatre grands types d’explication qui constituent des quasi-obstacles épistémologiques entravant tout apport de la théorie freudienne à l’histoire culturelle.

(1) Fait d’abord obstacle l’hypostase dont la culture est chez Freud l’objet, culture qui est peu présente dans son propos sous forme de cultures particulières mais presque toujours sous une forme unique, « la Culture », opposée à la nature. Après avoir récusé dans un premier temps la pertinence de la distinction entre culture et civilisation3, Freud déclare préférer le concept de culture entendu comme « développement culturel, que d’autres nomment plutôt “civilisation” »4. La culture se trouve définie comme ce en quoi la vie humaine s’est élevée au-dessus de ses conditions animales ou totalité des réalisations par lesquelles notre existence s’est éloignée de la vie de nos ancêtres animaux, institutions qui protègent les hommes contre la nature et règlent leurs relations. Mais s’ensuit ce qu’on pourrait nommer chez Freud le cercle de la culture : « C’est à ce procès que nous devons le meilleur de ce que nous sommes devenus et une bonne partie de ce dont nous souffrons »5. Un tel cercle s’origine dans le fait que les bénéficiaires du processus culturel en sont en même temps virtuellement les ennemis, résistant aux sacrifices que leur impose le développement de la vie en commun, le renforcement de l’intellect et la domination de la vie pulsionnelle, l’intériorisation des contraintes sociales, etc. Les institutions sont alors appréhendées comme moyens de protéger des contestations ce qui sert à contraindre la nature humaine et à produire des biens. Certes, la culture revêt chez Freud une dimension processuelle : ces institutions ne se sont pas établies en un jour. Freud présente le devenir culturel comme un arrachement très progressif à un état originaire d’animalité. Pourtant, la différence entre nature et culture possède aussi chez lui une valeur structurale, tout comme celle entre primitif et civilisé.

De ce fait, la culture est travaillée comme processus traversant et transcendant toutes les cultures, présupposant un régime ascendant ou ce que Freud nomme dans l’histoire « la montée de la culture [bei steigender Kultur] »6. Ainsi typifiée, la culture est analysée en termes de « refusements » culturels qui affectent principalement le corps dans toutes ses dimensions. La culture (die Kultur) procède, pour Freud, à un étouffement systématique de la vie du corps (vie sensitive, vie sexuelle, instincts, etc.), qu’il nomme parfois « vie animale », au profit d’une valorisation constante des occupations spirituelles plus aptes apparemment à permettre à celui qui les cultive de faire société. C’est pourquoi la névrose a si vite fait de s’emparer de ces espaces méprisés, comme l’odorat ou la sensualité.

Quel que soit l’intérêt, la grande portée et la postérité de cette analyse, elle ne ménage pas de place, ou de façon extrêmement marginale, aux différences et variations des sociétés, dont l’histoire culturelle se préoccupe. Cette dernière a en effet besoin de saisir de telles spécificités ou idiosyncrasies culturelles pour à la fois comprendre les logiques de l’identification collective et ce qui sépare les sociétés entre elles7. Or, l’hypostase du processus culturel induit une typification de la culture ainsi que la promotion d’un modèle culturel univoque inspiré par la culture occidentale européenne, au détriment de la prise en compte de ce qui distingue non seulement les époques historiques successives mais surtout les logiques culturelles entre elles8. On aurait là un Freud universaliste et ethnocentriste qui pense l’homme – « l’homme éternel9 » – de façon anhistorique comme si tout sujet était semblable au bourgeois de la Vienne fin de siècle travaillé par le complexe d’Œdipe, pétri de tabous touchant la sexualité, comme si les processus et contenus inconscients, la régulation des pulsions et des émotions, l’organisation des complexes psychoaffectifs étaient immuables10. L’inscription subreptice du discours freudien dans un espace culturel donné l’aurait souvent rendu sourd à ce que les cultures font aux processus psychiques. Des anthropologues, dont le fonctionnaliste Bronisław K. Malinowski, ont alors critiqué l’universalisme attaché à la valorisation des complexes et dénoncé la réticence de nombre de psychanalystes à intégrer la variabilité des organisations sociales, soit aussi la différence des géographies psychiques de l’esprit. Frantz Fanon a pu critiquer lui aussi l’universalisme de la théorie freudienne, défendant la spécificité des pathologies liées à la colonisation11. Dans Peau noire, masques blancs, il soutient l’inapplicabilité des schémas psychiques établis à partir de l’observation d’occidentaux à la psychologie de l’homme noir façonnée en particulier par le rapport de domination par l’homme blanc, au point qu’on ne trouverait chez lui ni mouvement pour « inconscienciser »12 son propre drame, ni Œdipe, ni névrose comme répétition d’éléments infantiles. Ainsi, note Frantz Fanon, ce que la psychanalyse estime être « constitutif de la réalité humaine »13 n’est en réalité que le fait d’un espace culturel donné, ce qui ne disqualifie pas toute explication psychanalytique mais conduit à indexer celle-ci à un contexte existentiel au sens large, à la fois social, historique et géographique.

Cela nous semble constituer un obstacle de taille pour un usage de la psychanalyse freudienne dans le champ de l’histoire culturelle, dans la mesure où cette dernière a besoin d’étudier des écarts, soit la spécificité des groupes, de leurs choix essentiels, des relations qu’ils entretiennent entre eux. Par exemple, elle « s’efforce de comprendre dans leur singularité la psychologie des époques anciennes à travers leurs manières de penser, de raisonner et de sentir »14. Ce principe de différenciation opère sur deux axes : entre les cultures ou les sociétés et au sein des manières d’inventorier les différents composants d’un outillage mental. D’où l’idée que l’histoire culturelle, suivant ce second axe, associe un cortège d’histoires particulières (langue, lettres, sciences, art, droit, institution, sensibilité, mœurs, technique, superstition, croyances, religion, vie quotidienne, goût, etc.)15. Outre le fait que Freud ne se préoccupe pas des économies singulières des différentes sociétés dans l’histoire, il adopte comme échelle d’analyse un temps à la fois très long et tout à fait indéterminé – celui de « la montée de la culture » – propre à la production d’anachronismes, quand l’histoire culturelle semble exiger de saisir des phénomènes sur le moyen terme, un siècle en gros, pour déterminer précisément « l’évolution des représentations collectives, leur cheminement d’une époque à l’autre, d’un groupe social à l’autre »16. Certes, le temps long freudien pourrait favoriser la saisie des formations inertielles que sont les comportements et les mentalités collectives, sédimentations multiséculaires. Pourtant, cette tâche exige un temps plus séquencé, présentant de véritables événements, des crises, des décrochements. Or la vision freudienne du processus culturel semble peu à même de faire saisir « les mutations brusques et les abandons, les ruptures et les survivances »17.

(2) Constitue un second obstacle de taille l’anhistoricité générale des explications freudiennes. Certaines de ses analyses de la culture suspendent en quelques sorte son historicité pour postuler une contradiction consubstantielle de la culture, une forme d’aliénation culturelle irrémédiable, au détriment de la saisie des pathologies culturelles possédant des référentiels historiquement et socialement déterminés18. Cette suspension de l’histoire découlerait de la conception structurale de l’inconscient. Hervé Mazurel a ainsi soutenu récemment la thèse selon laquelle « le père de la psychanalyse a fait de l’inconscient l’instance dominante et invariante d’une structure psychique elle-même anhistorique. Il fait de lui une donnée à jamais stable et insensible aux mouvements de l’histoire19 ». Si l’explication freudienne des pathologies, des souffrances, des troubles est plus structurale (la culture nous rend malades ou névrosés) qu’historique – ce que nous discuterons tout à l’heure –, il est difficile de voir quel profit pourrait en tirer l’historien spécialiste de la culture qui s’efforce de corréler phénomène social et contexte spécifique de production.

(3) Fait obstacle troisièmement l’asocialité du modèle freudien entendue à la fois comme naturalisation des phénomènes invoqués et comme suspension des logiques sociales spécifiques. De ce fait, ce modèle ne pourrait appréhender la culture comme une forme d’expression ou comme un ensemble donné de représentations collectives propres à une société mais l’aborderait toujours en termes de lutte contre la naturalité, celle des pulsions en particulier. Autrement dit, l’inconscient freudien opèrerait en ignorant à la fois les appartenances sociales et les rapports de pouvoir, ou pour citer une formule de Carl Schorske sur laquelle Pierre Bourdieu a eu le mérite d’attirer l’attention, « Freud oublie qu’Œdipe était un roi »20. Il nous a semblé que l’histoire culturelle impliquait une interrogation relative à l’inscription sociale des acteurs (avec des désaccords sur la façon d’attester celle-ci) et qu’elle avait pu un temps produire des classifications sociales. En tout cas, elle suppose l’étude de groupes, de leurs spécificités, de leurs choix essentiels, des relations qu’ils entretiennent entre eux sur une durée moyenne. Comprendre ces relations entre les groupes pousse à se demander d’où vient la stabilité ou pérennité de telle organisation et d’où vient, au contraire, la mobilité des hommes, des idées, des symboles qui peut aussi l’emporter sur les facteurs de stabilisation21. En effet, pour faire pièce à l’explication par l’arbitraire des choix des individualités historiques, elle réaffirme le primat explicatif accordé aux groupes sociaux22.

Or Freud, à l’inverse, ne s’intéresse pas tellement à ces différences entre les groupes mais hypostasie un modèle explicatif censé les concerner tous. Il reconnaît bien la différence économique entre les « couches supérieures aisées de la société » qui ont un accès à la psychanalyse exercée en libéral et les couches populaires pour qui il appelle de ses vœux l’édification d’établissements ou d’instituts de consultation où seraient affectés des médecins formés à la psychanalyse23, mais il ne forge pas pour autant des explications différenciées selon les conditions des uns et des autres. Bien plus, il procèderait à son insu, on l’a dit, à l’universalisation d’un modèle opératoire pour la bourgeoisie viennoise de la fin du XIXe et du début du XIXe siècles, sans se soucier, d’une part, du fait que les troubles psychiques des ouvriers de l’époque, des artistes, etc. possèdent peut-être d’autres ressorts, et sans anticiper, d’autre part, que des changements sociaux (ou d’autres formes d’organisations sociales dans d’autres sociétés) impliqueraient d’autres mécanismes psychiques que ceux qu’il décrit. On a du mal à comprendre comment l’histoire culturelle pourrait se saisir facilement d’une telle suspension du monde social. Quoiqu’elle prenne ses distances avec une histoire sociale classique attachée à la seule histoire des classes sociales pour appréhender l’ensemble des modes de fonctionnement possibles d’un groupe et bien qu’il y ait en son sein débat touchant ce qui est à même de produire des classifications sociales, elle n’en reste pas moins toujours soucieuse d’un environnement, soit d’interroger l’inscription sociale des acteurs24. C’est bien un groupe ou un collectif dont il s’agit d’identifier les pratiques culturelles. À cet égard, elle constitue une des nombreuses modalités de l’histoire sociale25.

(4) Enfin, Freud ne semble pas – en première instance – porter attention à la dimension collective des représentations, contrairement à ce qui caractérisera un peu plus tard la pensée d’Émile Durkheim qui considèrera une partie des représentations comme mode d’être sui generis de la société, ce qui lui permettra de comprendre la dimension de contrainte spécifique exercée sur les esprits par ladite société26. Or, du point de vue de l’histoire culturelle, si l’inscription sociale constitue un déterminant des pratiques, on ne part pas pour autant des groupes – les cultures ne s’étudient pas comme les classes – mais de leurs représentations, de leurs usages et de leurs interprétations, ce qui, selon la formule de Roger Chartier, en fait une « histoire sociale des usages et des interprétations rapportées à leurs déterminations fondamentales et inscrits dans les pratiques spécifiques qui les produisent »27. Selon la définition qu’en a donnée Pascal Ory : « L’histoire culturelle prendra pour objet (créera son objet) dans les limites suivantes : l’ensemble des représentations collectives propres à une société. […] En termes de pratique historienne, l’histoire culturelle sera donc une histoire sociale, l’histoire sociale des représentations »28.

Le caractère « privé » de la représentation constitue d’ailleurs pour certains lecteurs et interprètes de Freud l’innovation majeure de la psychanalyse. On en donnera pour exemple l’analyse conduite par Georges Politzer dès 1928 dans La critique des fondements de la psychologie. La psychanalyse y est présentée comme ouverture sur une psychologie nouvelle rompant d’abord avec la psychologie classique. Elle tient son « vrai sens », « son inspiration véritable », qui lui confère la valeur de révolution dans l’histoire de la psychologie, d’une compréhension particulière de l’hypothèse du sens, que Georges Politzer entend comme recherche (par l’interprétation) et affirmation de la signification individuelle du fait psychologique : « le psychanalyste organise une enquête pour obtenir les matériaux nécessaires à la constitution de la signification individuelle »29. Concernant par exemple l’oubli d’un nom, elle recherche les circonstances spécifiques de cet oubli, c’est-à-dire ce que le mot signifie pour moi, le considérant comme une activité qui me caractérise en propre. Il identifie cette démarche à l’œuvre dans l’interprétation freudienne des rêves30 : la recherche d’un sens qui ne passe pas par la proposition d’un scénario abstrait, d’une intrigue impersonnelle chez un moi abstrait, mais par la volonté de le rattacher au sujet qui rêve, à son acteur original et à la vie dramatique de celui-ci : « C’est en le rattachant au sujet dont il est le rêve qu’il veut lui rendre son caractère de fait psychologique »31.

Or il semble que l’attachement au caractère individuel de la représentation entrave singulièrement l’analyse historique des phénomènes d’illusion, qui exige de tenir compte des représentations collectives. En effet, la façon dont un groupe se représente collectivement le monde ou sa propre situation dans le monde est très souvent sublimée ou faussée, c’est-à-dire en décalage avec la réalité. Norbert Elias y a beaucoup insisté, en particulier dans Les Allemands. Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux XIXe et XXe siècles, au sujet de la nation allemande dans l’entre-deux guerres. Pour analyser non seulement comment un groupe se représente un état du monde, se représente lui-même dans ce contexte, mais pour comprendre également la dimension de leurre de ces représentations, on ne peut s’en tenir aux représentations idéales singulières que les individus ont de leur propre moi, mais, comme Norbert Elias l’a montré, il faut faire intervenir, au niveau des représentations, l’idéal du nous :

Ce sont [l’image et de l’idéal du nous] toujours des composés de fantasmes et d’images réalistes. Mais ils n’apparaissent jamais aussi nettement que lorsque fantasme et réalité se dissocient. Car alors leur contenu fantasmatique s’accentue. À cette différence près que, dans l’image et l’idéal du moi, les fantasmes représentent des expériences purement personnelles d’un processus collectif, alors que dans l’image et l’idéal du nous, ce sont des versions personnelles de fantasmes collectifs32.

L’histoire culturelle semble attachée à cette double exigence. Elle s’intéresse à la dimension collective du processus de représentation, qui exprime et structure une société33. Si les groupes sociaux tiennent leur identité à la fois de ce qu’ils pensent être et de ce qu’ils ignorent qu’ils sont, selon l’affirmation de Jean-Claude Perrot34, il convient de posséder des outils d’analyse de ces ignorances, de ces dénis, de ces illusions, ce qui implique la considération de l’image des sociétés comme « nous » ou comme groupe. Ces outils doivent être à même d’étudier la façon dont le monde peut être l’objet d’une représentation sublimée, sublimation possiblement de deux ordres. Il peut s’agir d’une mise en forme de la représentation soit par les arts (une figuration) soit par différentes formes de normativité (valeurs, constructions intellectuelles, croyances)35 ; mais, nous y reviendrons, il peut s’agir aussi et surtout d’une déconnexion de la représentation à l’égard du réel (embellissement ou dramatisation).

Freud, penseur des mœurs et des imaginaires

(1) L’idée que Freud s’en serait tenu aux seules représentations individuelles mérite d’être un peu nuancée. Il accorde en effet un poids considérable aux représentations religieuses, analysées certes du point de vue de leur caractère illusoire mais aussi de la puissance de leurs effets. Comme il l’affirme dans L’Avenir d’une illusion, la part la plus significative du fonds psychique d’une culture tient à ses représentations religieuses (et aux illusions de celles-ci). Aussi, le texte est-il essentiellement consacré à l’examen de la valeur particulière de telles représentations. On ne saurait ainsi affirmer la pensée freudienne étrangère au rôle causal des imaginaires collectifs. À cet égard, le statut psychique des symboles y est instructif. Après avoir récusé l’explication des rêves en particulier par la symbolique, Freud réintroduit en 1911 une section dans L’interprétation des rêves traitant des symboles (VI.E). Sa position reste ambigüe. Les symboles et archétypes ne sauraient, à ses yeux, livrer à l’homme moderne des outils à même d’expliquer les rêves humains (le mouvement de rationalisation qu’il opère vise à faire de l’infantile et non du fonds culturel le noyau du rêve). Pourtant, il conserve un grand intérêt pour ces matériaux venus du contexte culturel et social, pour ces mythes qui indéniablement nous renseignent sur la vie de l’esprit. Ce Freud-là confère à la sphère des représentations une certaine autonomie qui fait d’elles fût-ce au titre de leurres l’un des moteurs de l’histoire, ce qui peut intéresser l’historien soucieux de corriger une vision de l’histoire cantonnée à ses déterminations économiques et/ou politiques36 et dans laquelle la culture restait un « effet de traîne » pour reprendre une expression de Philippe Poirrier. Il livre certainement des clefs pour analyser une société via ses imaginaires et les pathologies de ces imaginaires.

(2) Deuxièmement, l’absence chez Freud d’une pensée historiquement déterminée de la causalité sociale au profit d’une causalité culturelle diffuse dépourvue de coordonnées précises mérite également d’être mise en perspective. En effet, on trouve chez Freud, en particulier chez le premier Freud, des réflexions sur la nocivité des mœurs modernes en matière de sexualité, d’éducation, etc. et un projet de réforme des mœurs. Le spécialiste d’histoire culturelle, sensible à l’histoire des mœurs et des idées davantage qu’à l’incidence traditionnellement valorisée des lois et des actes politiques, pourrait y trouver intérêt37. La vie du corps, l’état du corps et de son affectivité ont pu être appréhendés par Freud non comme des faits qui feraient autorité et s’institueraient en norme mais comme des symptômes.

Se rencontre par exemple chez Freud une analyse des refusements culturels qui affectent principalement le corps, comme le prix trop élevé payé en échange de son accès à la culture. Dans une préface qu’il donne à un livre de John Gregory Bourke, il s’associe à l’auteur pour dire que la propreté corporelle est moins une vertu qu’un symptôme :

À l’évidence ils [les hommes de la culture aujourd’hui] sont gênés par tout ce qui leur rappelle trop nettement la nature animale de l’être humain […]. Ils ont choisi le subterfuge de dénier autant que possible cet incommode résidu terrestre, de se le cacher les uns aux autres bien que chacun le connaisse par l’autre, et en le privant des soins et de l’attention auxquels il aurait droit en tant que partie intégrante de leur être. Il y aurait assurément eu plus d’avantages à en assumer l’existence et à le faire accéder à autant de noblesse que la nature le permet. Il n’est pas simple du tout d’examiner dans leur ensemble ou de présenter les conséquences qu’entraîne pour la culture cette manière de traiter le « pénible résidu terrestre » dont on peut considérer que les fonctions sexuelles et excrémentielles sont le noyau38.

À bien lire certains textes, la culture en cause dans cette mise au rencart du corps et qui impose à la vie sexuelle des restrictions excessives est davantage contextualisée qu’il y paraît. Le culturel n’est pas ainsi figé dans son caractère irrémédiablement pathogène : une plus grande tolérance est souhaitable à l’égard des désirs corporels. Freud prône une certaine reconnaissance du corps pulsionnel et tient pour dommageable et dangereux le déni dont celui-ci est victime : « Présentement, nous sommes tous sans exception, malades comme bien portants, des hypocrites en matière de sexualité. Nous ne pourrons que trouver profit à ce que, par suite de la sincérité générale, une certaine dose de tolérance dans les choses sexuelles acquiert droit de cité »39. Mais Freud met également en cause des composantes déterminées du cadre culturel qui est le sien, cessant de viser la culture en général pour mettre en cause des pratiques culturelles précises. Il faudrait en citer deux, d’abord le malthusianisme de la société européenne de l’époque ; ensuite, les graves manquements affectant l’éducation, en particulier celle des jeunes filles.

Freud est assez sensible au sort de celle qu’il nomme « la femme de notre culture ». C’est plus particulièrement l’éducation des jeunes filles qui est identifiée comme source des souffrances sociales que connaissent les femmes. Il évoque spécifiquement ces résistances édifiées chez la femme par les influences du milieu et de l’éducation40 ; et souligne que « les femmes de notre monde de la culture sont pareillement soumises au post-effet de leur éducation, de même qu’à l’effet en retour du comportement des hommes »41. Dès ses premiers textes, Freud dégage l’incidence de ce facteur éducatif. Il discute par exemple des obstacles que le médecin rencontre dans ses diagnostics auprès des jeunes filles du fait de la rigueur de leur éducation42. Par ailleurs, il bataille aussi contre la représentation courante qui fait de la pudeur la qualité féminine naturelle par excellence. Il note au contraire que la pudeur est « beaucoup plus affaire de convention qu’on ne pourrait le penser »43. D’abord, la rigueur de la façon dont sont éduquées les jeunes filles et le retardement très important que culture et éducation imposent à leur développement et activité sexuels constituent un tort considérable : « Particulièrement tangibles sont les dommages qui sont infligés à l’être même de la femme par la rigoureuse exigence d’abstinence jusqu’au mariage »44. Cette éducation met, pour Freud, le mariage en péril puisque les jeunes filles y entrent extrêmement inhibées. Enfin, il souligne que l’éducation et la culture refusent aux femmes de s’occuper même intellectuellement des problèmes sexuels45. Freud semble y voir une source de l’inhibition de pensée chez la femme qui ne tient donc, dit-il, à aucune infériorité intellectuelle mais à la répression spécifique dont la femme est l’objet et aux « organisations sociales »46 qui la cantonnent dans un état de minorité.

Il n’est pas ainsi certain que les théories freudiennes ignorent toute contextualisation. Le contexte culturel dans lequel prend sens sa théorie de l’hystérie témoigne déjà du fait que Freud saisit aussi la dimension de conjoncture qui préside aux destins psychiques des affects, en l’occurrence le degré de répression de la vie sexuelle dans certaines sociétés, le type d’éducation sexuelle des jeunes filles, etc. Il laisse en outre parfois47 entendre que ce que l’on tient pour « constitutif de la réalité humaine » possède une histoire, ce qui pourrait impliquer également une certaine historicité des processus affectifs. Ainsi, le texte de L’Avenir d’une illusion oscille entre l’idée d’une culture constitutivement pathogène et l’idée que les difficultés ne seraient pas liées à l’essence de la culture, mais « conditionnées par les imperfections des formes de culture qui ont été développées jusqu’à maintenant »48.

(3) Bien que de façon souterraine dans la théorie freudienne, les émotions sociales jouent un rôle causal déterminant, Freud possédant une conscience affirmée du caractère essentiellement conventionnel du dégoût et de la honte. Il montre que celui-ci procède du développement de l’enfant et des manières éducatives mobilisées. Ainsi, le petit enfant est-il exempt de dégoût, ne témoigne « au début » aucun dégoût mais l’apprend lentement « sous la pression de l’éducation »49. Freud nous semble appréhender le caractère conventionnel et somme toute historique du dégoût et d’autres émotions sociales :

[…] la frontière de ce dégoût est souvent de pure convention ; celui qui, par exemple, baise avec ardeur les lèvres d’une jeune et jolie jeune fille ne pourra peut-être se servir qu’avec dégoût de la brosse à dents de celle-ci, même s’il n’existe aucune raison de supposer que sa propre cavité buccale, qui ne le dégoûte pas, soit plus propre que celle de la jeune fille50.

Ces émotions sociales sont de véritables « puissances psychiques » qui connaissent un développement et une histoire :

Dès avant l’époque de la puberté, sous l’influence de l’éducation, des refoulements extrêmement énergiques de certaines pulsions ont été imposés et des puissances animiques comme la pudeur, le dégoût, la morale ont été instaurées [seelische Mächte, wie Scham, Ekel, Moral, hergestellt worden], puissances qui, tels des gardiens, entretiennent ces refoulements. Lorsque vient ensuite, à l’âge de la puberté, cette marée haute du besoin sexuel, elle trouve alors, dans ce qu’on nomme les formations de réaction ou de résistance animiques, des digues qui lui prescrivent l’écoulement sur les voies qu’on appelle normales et qui lui rendent impossible de ramener à la vie les pulsions soumises au refoulement51.

Ce Freud penseur de la causalité des émotions sociales trouve une postérité sans égale dans la pensée de Norbert Elias, spécialement dans le Processus de civilisation. Thomas J. Scheff a montré ainsi que, dans ses tout premiers travaux sur l’hystérie (1895), Freud faisait en effet de la honte le premier agent de la répression avant d’y renoncer à la faveur de la théorie des pulsions. Deux idées proposées par Freud dans ses travaux sur l’hystérie ont pu, selon lui, influencer Norbert Elias, qui a conféré tant d’importance aux modifications des seuils de honte, de répugnance, d’embarras (dont procède le mouvement de rationalisation) : le concept de répression/refoulement et l’idée que la honte et d’autres émotions constituent les agents de la répression ou du refoulement. L’influence de Freud est sensible également au fait qu’à côté de la honte figure le dégoût comme force déterminant le contrôle social, ce qu’indiquaient les Essais sur la théorie sexuelle (1905) qui désignaient honte et dégoût comme base de la répression52.

Il nous semble en réalité que cette attention portée à l’incidence des émotions sociales perdure dans la pensée freudienne bien au-delà de la première période. La lecture de Totem et Tabou signale toute l’importance de la « logique » de la honte dans les pratiques des peuples primitifs considérés53. Dans l’Introduction à la psychanalyse, Freud réaffirme également qu’un état d’angoisse hystérique nous confronte à son « complément inconscient » dont la nature affective peut être triple : « angoisse [Angst] », « honte [Scham] », « embarras [Verlegenheit] », excitation libidineuse, sentiment hostile et agressif (fureur, colère)54. Derrière bien des développements historiques, pourrait donc se trouver la honte, passion sociale par excellence…

Ces émotions sociales possèdent des formes historiques, si bien que les refoulements culturels empruntent des configurations variées selon les époques. La configuration moderne, qui prévaut chez les contemporains de Freud, a le tort d’investir comme objet de honte l’ensemble de la sexualité55. Cela ne l’empêche pourtant pas de considérer intrinsèquement certaines pratiques comme honteuses56. Le parti qui pourrait être tiré des intuitions touchant le rôle des émotions sociales est ainsi gâché par le maintien du caractère naturel d’un certain nombre de refoulements. Ainsi, selon Freud, il arrive souvent que l’éducation anticipe et accélère la formation de certains objets de dégoût et de honte qui étaient destinés à apparaître au cours du développement individuel et collectif, comme c’est le cas de l’érotisme anal57.

De l’utilité de quelques intuitions freudiennes

Outre le fait que les positions freudiennes qui semblaient faire obstacle à leur mobilisation dans le champ de l’histoire culturelle sont bien plus ambivalentes qu’il y paraît, doivent être prises en considération quelques intuitions freudiennes majeures qui peuvent inspirer le chercheur en histoire culturelle. Nous ne pouvons ici que passer en revue quatre d’entre elles, qui touchent à la connaissance du singulier, à la centralité de l’affectivité, au motif de la sublimation et à la modalité de l’après-coup.

(1) Le prisme freudien évoqué plus haut, celui d’une recherche consacrée à l’individuel ou au singulier, au point de vue spécifique du sujet de l’inconscient, s’il peut d’abord sembler occulter les logiques collectives qui façonnent la vie d’un tel sujet, peut aussi être compris comme une amorce d’interrogation sur la façon dont le social s’individualise ou se particularise, susceptible d’intéresser un chercheur soucieux de l’histoire de sujets concrets qui ne se réduisent pas à leur classe. En dépit du privilège accordé à la dimension collective du processus de représentation, l’histoire culturelle a ainsi pu s’interroger sur son vécu à l’échelle individuelle58. Elle a témoigné de son intérêt pour la sociologie culturelle, celle de Pierre Bourdieu, qui permet d’appréhender la culture comme enjeu de conflits59, mais surtout, plus récemment, celle de Bernard Lahire qui restitue la complexité des comportements culturels des agents, complexité à la fois inter-individuelle et intra-individuelle60. Il peut donc s’agir pour elle soit de s’intéresser à la façon dont le général d’une culture se subjective ou s’individualise, soit de s’interroger sur la façon dont des exceptions individuelles permettent d’éclairer l’étude des régularités culturelles historiques. Cet intérêt pour l’histoire du sujet individuel concret n’est pas nécessairement synonyme de psychologisation du social-historique mais permet de s’interroger sur différents écarts observables par rapport à la forme commune de conduite. Si l’histoire culturelle observe des règles de conduite, elle est aussi sensible au caractère pluriel des socialisations qui contredit les modèles unitaires d’explication des conduites. Il faut disposer d’outils pour comprendre ce qui fait qu’un sujet s’écarte d’une conduite statistique, dont certains sont esquissés par Freud.

L’histoire culturelle nous semble ainsi soucieuse de la complexité individuelle, d’où son intérêt possible pour ce qui permet d’explorer le point de vue de l’intra-individuel. En particulier, Freud a mis l’accent sur l’importance des premières années de la vie ou de l’enfance. Les mêmes penseurs qui ont reproché à Freud une surestimation étiologique de la prime enfance, au détriment d’autres formes de socialisation du sujet, ne remettent pas pour autant en cause l’importance des premières années de la vie. Certes, pour Norbert Elias, par exemple, ce n’est pas seulement dans l’enfance que l’individu dépend d’un processus collectif (la relation père-mère-enfant) pour structurer ses pulsions élémentaires et s’éduquer à la maîtrise de soi, mais tout au long de sa vie61. Pourtant, Norbert Elias reste toujours extrêmement attentif aux premières expériences de la petite enfance, dans son Mozart, par exemple – il juge ainsi décisive la prise en compte freudienne de l’influence de la constellation familiale62.

Pierre Bourdieu, également, dit partager avec Freud la reconnaissance du « poids de l’histoire » au sens très particulier où l’inconscient est hanté par les traces de l’enfance et l’habitus saisi comme « produit de l’expérience biographique »63. La première convergence entre leurs deux pensées tient au caractère décisif des relations familiales, des premières expériences enfantines, de la « prime éducation », ou de la « socialisation primaire ». Certes, Pierre Bourdieu met en garde contre le penchant à faire de la famille la cause ultime des malaises qu’elle semble déterminer, invoquant la façon dont les contradictions du monde social engendrent des problèmes personnels, des conflits familiaux64. Ainsi, il ne faudrait pas surestimer la détermination familiale au détriment des habitus de groupe ou de classe. Néanmoins, les premières expériences au sein de la famille constituent une détermination fondamentale pour la compréhension de l’existence et des pratiques. Si la famille n’est pas un donné naturel mais le produit d’un travail d’institution, elle n’en possède pas moins des effets pratiques sans égal65. Si l’habitus acquis dans la famille est au principe de la structuration des expériences scolaires, plus largement les premières expériences vont constituer « les structures caractéristiques d’un type déterminé de conditions d’existence qui, à travers la nécessité économique et sociale qu’elles font peser sur l’univers relativement autonome des relations familiales ou mieux au travers des manifestations proprement familiales de cette nécessité externe […], produisent les structures de l’habitus qui sont à leur tour au principe de la perception et de l’appréciation de toute expérience ultérieure »66.

(2) Le spécialiste d’histoire culturelle curieux d’« une anthropologie historique soucieuse des sensibilités et des affectivités »67 trouvera ensuite, nous semble-t-il, intérêt à une œuvre, celle de Freud, qui repose sur le primat de l’affectivité, considérée comme soubassement des conduites. L’histoire culturelle semble en effet pouvoir produire une anthropologie soucieuse des sensibilités, de l’affectivité, des niveaux et des modes de vie, du vécu, de la culture matérielle comme de sa représentation, susceptible de rejoindre l’assertion freudienne selon laquelle il faut revendiquer « sans la moindre équivoque le primat des processus d’affect dans la vie d’être »68. Freud permet de surcroît d’élaborer le soubassement affectif des conduites et la composition psychoaffective des formes de rationalité.

Les affects pourraient posséder également chez Freud un primat épistémique. Évidemment, il leur arrive souvent d’être travestis mais ils possèdent aussi valeur de signal ou d’indice probant, contrairement aux représentations. Dans l’Interprétation du rêve, Freud nous semble ainsi avoir spécifié le destin des affects à l’égard de celui des représentations. En effet, dans la section consacrée aux affects dans le rêve, il part du fait qu’on se débarrasse difficilement des manifestations d’affect dans le rêve contrairement à ses traits de contenu. Il convient en réalité de se départir de l’idée qu’existerait entre affects et contenus de représentation une unité organique, car ils peuvent être détachés l’un de l’autre. Freud suppose qu’en général l’affect résiste mieux à la censure que la représentation et indique le chemin qui conduit au contenu latent de représentation. Le plus souvent, la psychanalyse reconnaît l’affect comme « justifié », ou « l’affect ici a toujours raison, du moins quant à sa qualité… »69, dans la mesure où son intensité ou son ampleur peut, elle, être singulièrement accrue. Bien sûr, le travail du rêve peut à la fois détacher un affect occasionnant le rêve pour l’insérer en n’importe quel autre endroit du contenu du rêve mais aussi et surtout produire une répression des affects, répression favorisée par l’état de sommeil70, enfin renverser les affects en leur contraire comme il le fait des représentations71.

Néanmoins, la dissymétrie introduite par Freud entre affects et représentations subsiste car les affects sont dits « surdéterminés »72 par rapport au matériel des pensées du rêve : les affects apparaissant dans le rêve se révèlent, en effet, composés de plusieurs affluents ou les affects du rêve s’adjoignent sans cesse des affects d’autres sources, en particulier de sources d’affect jusque-là réprimées, d’où l’excédent d’affect fréquent dans le rêve. L’affect semble donc plus puissant et peut-être moins malléable que la représentation, ce qui le rend également plus lisible. Il nous semble que les affects font davantage signe ou du moins plus directement que les représentations. Les transformations des affects semblent moins importantes que celles, comme on l’a dit, des représentations. Dans la première théorie de l’angoisse, la transformation des affects est essentiellement analysée comme transformation en angoisse du fait du refoulement. Par la suite et en simplifiant beaucoup, dans la dite « seconde théorie de l’angoisse », exposée en 1926, l’angoisse ne sera plus appréhendée comme un résultat mais comme un affect-signal (Angstsignal). Dans ce cadre, l’affect n’est pas leurre, réalité manipulée, mais à la fois signal efficace et indice fiable. Cela signifie que, sur la scène inconsciente, la vérité ne fait pas signe seulement dans le symptôme ou les déformations du discours – « Dresser l’oreille aux anomalies du discours, c’est là que la vérité nous fait signe », écrivait Jean-Bertrand Pontalis – mais aussi dans certains développements d’affects73. Il nous semble que la psychanalyse puisse constituer alors un allié précieux pour l’historien soucieux de crédibiliser la valeur d’indice des affects. Quelle traduction historique dans la vie d’un groupe social possède le phénomène identifié par Freud de la surdétermination de l’affect à l’égard du contenu de représentation ? Cet historien pourrait en retour contribuer à répondre à ce genre de question.

(3) Quoique Freud l’ait insuffisamment élaboré et qu’il en ait sans doute minoré la portée, son concept de sublimation offre un outil intéressant pour le spécialiste d’histoire culturelle. En effet, il s’agit d’un destin spécifique de la pulsion : Freud nomme sublimation la capacité d’échanger le but qui est à l’origine sexuel contre un autre qui n’est plus sexuel mais dans le choix duquel notre échelle de valeurs sociales entre en ligne de compte, sans perdre pour autant l’intensité de l’investissement. Ce destin des pulsions, qui permet au psychisme de se défendre, transforme en quelque sorte l’énergie brute de la libido en une énergie inspiratrice de conduites de valeur considérées comme supérieures. Avec le motif, non pleinement thématisé ni exploité de la sublimation, Freud a l’intuition de l’existence d’un accès hiérarchisé à la culture et d’une puissance hiérarchisante de la culture, ouvrant la possibilité d’appréhender ensuite celle-ci comme enjeux de conflits et de retracer l’histoire du partage entre les biens culturels. En effet, il présente la sublimation comme une disposition sélective, lui accordant, du moins collectivement, des pouvoirs limités, le plus souvent réservés à une élite74. Il a peut-être ainsi manqué la portée anthropologique générale de la sublimation, en restant principalement attaché aux phénomènes de refoulement impliquant dans leur sillage le retour possible du refoulé. Norbert Elias verra pour sa part la répression des affects comme une forme de sublimation réussie et profitable. La question de la capacité humaine de sublimation des pulsions, note-t-il à regret dans son Mozart, a été un peu négligée par rapport à celle de sa capacité de refoulement75. On connaît le profit qu’a tiré Norbert Elias pour la pensée de la civilisation des mœurs du réinvestissement du concept de sublimation. Cela lui permet de penser le rapport de grandes institutions culturelles (sport, fêtes, création, etc.) à la violence. Mais cette dimension sélective de la théorie freudienne de la sublimation peut aussi être interprétée comme une attention à la situation sociale des individus. Très peu en effet seraient en situation (non pas par nature mais en raison de leurs conditions d’existence) de se livrer à ces activités sublimatoires.

(4) L’accent mis sur la notion d’après-coup (nachträglich ; Nachträglichkeit) comme dimension prégnante de la temporalité plutôt que sur l’expérience de la diachronie simple nous semble à même de retenir toute l’attention des historiens de la culture. Pour comprendre l’intérêt que constitue cette notion, commençons par la distinguer de l’abréaction ou de l’action différée. Il ne s’agit pas de signaler simplement l’existence d’un délai entre action et réaction, événement et effets, excitations et réponse/décharge76. L’après-coup désigne plutôt la dualité de l’événement ou le fait que, psychiquement, très souvent, un premier événement devient tel à la faveur d’un second ou d’une seconde série d’événements. C’est le remaniement dont sont l’objet les événements du passé après-coup qui leur conférera un sens, un caractère pathogène, etc. Plus précisément, est réélaboré un événement, un fait qui n’avait pu prendre sens pour le sujet au moment de sa survenue. Ce remaniement est occasionné par d’autres événements et situations. C’est ce qui reste vrai de la théorie de la séduction sexuelle et sert à comprendre la vie sexuelle même :

D’une part – premier temps – la sexualité fait littéralement irruption du dehors, pénétrant par effraction dans un « monde de l’enfance » présumé innocent où elle vient s’enkyster comme un événement brut sans provoquer de réaction de défense : l’événement n’est pas par lui-même pathogène. D’autre part, au deuxième temps, la poussée pubertaire ayant déclenché l’éveil physiologique de la sexualité, il y a production de déplaisir et l’origine de ce déplaisir est cherchée dans le souvenir de l’événement premier, événement du dehors mué en événement du dedans, « corps étranger » interne qui cette fois fait irruption du sein même du sujet77.

Cette idée d’après-coup structure la théorie du refoulement et sa théorie témoigne ainsi du fait que l’histoire du sujet n’est pas linéaire, se distinguant absolument d’un schéma dans lequel des événements passés produiraient une action dans le présent. La représentation d’événements définissant un avant et un après s’en trouve également bousculée. L’apport pour l’histoire de cette manière de revisiter le concept de temps s’est trouvé souligné déjà par plusieurs historiens78, convaincus que l’événement est ce qu’il devient, attaché à des répétitions qui en décalent à chaque fois la résonance. Il s’avère en effet que l’événement, loin d’exister sur le mode de l’en soi, advient par l’intermédiaire d’autres événements qui en modifient la signification, la portée, etc. Il ne peut donc être étudié comme une « chose » mais comme un phénomène porté par une dialectique de la mémoire, de l’oubli, de la hantise. Or, la psychanalyse freudienne a forgé toutes sortes d’outils conceptuels pour penser ces drôles de destins des événements psychiques, dans la mesure où la causalité mécanique ne permettait pas de comprendre ces reconfigurations, déplacements, retournements psychiques, ces symptômes différés, ses rémanences, survivances et résonnances animiques, bref toute une vie de l’esprit résolument non linéaire. Que l’événement tienne davantage à ses destins tortueux – et parfois silencieux – qu’à son acte – et à un acte manifeste –, indéniablement, la pensée freudienne s’est attachée à le montrer et à en produire une clinique.

Conclusions

On aimerait allonger la liste des intuitions freudiennes susceptibles d’intéresser le spécialiste d’histoire culturelle. Il faudrait développer au premier chef la contestation majeure de la conception positiviste traditionnelle du fait historique qu’on trouve chez Freud (qui intègre à la factualité au titre de la réalité psychique les productions de l’inconscient). En effet, d’une part, il conteste le partage entre le factuel et l’imaginaire en introduisant la notion de réalité psychique qui désigne un ordre de faits spécifique, qui, quoique non-advenus, n’en possèdent pas moins souvent plus de force et de valeur que les faits dits « réels »79. D’autre part, en particulier dans L’Homme Moïse, Freud a initié tout un travail de distinction entre ce qui relève de la vérité historique, qui est le réel d’un peuple, de ce qui constitue la vérité matérielle, celle de l’enchaînement des faits, intégrant à la première une dimension de retour de ce qui s’est passé ou de retour de l’oublié80.

Or au nombre des grands refus qui ont structuré la constitution progressive de l’histoire culturelle, on compte, à côté de l’identification exclusive du document à l’écrit et d’une conception gratifiante de la discipline historique chargée de légitimer le présent, celui d’une « conception positiviste du fait historique »81. Seule une certaine crédulité référentialiste permet au fond d’affirmer : « voilà comment ce fut », « voilà ce qui est arrivé ». Il ne s’agit pas ainsi de nier la réalité des faits de l’histoire, mais, pour reprendre une formule de Jean-François Lyotard, « il est juste de dire que la réalité du référent, toujours différée, ne cesse de s’établir dans la surcharge, dans la rature et l’approximation meilleure de ses preuves »82.

En dépit d’options épistémologiques parfois radicalement différentes, psychanalyse freudienne et histoire culturelle ne nous semblent pas ainsi vouées au dialogue de sourd. D’abord, comme on l’a souligné, ce qui fait obstacle à une transposition aisée des thèses freudiennes dans le champ de l’histoire culturelle, et qui fait pour elle de Freud un allié résolument incommode, est susceptible d’une double lecture. Il y a souvent plus d’un Freud ou la pensée freudienne de la culture nous semble extrêmement ambivalente, c’est-à-dire aussi susceptible d’interprétations très opposées. Si on peut identifier dans l’œuvre freudienne, à juste titre, un déni du social-historique, on peut aussi y trouver une pensée de l’incidence des mœurs, du caractère déterminant des émotions sociales, etc. Ensuite, l’œuvre freudienne amorce l’élaboration de différentes idées qui peuvent constituer des outils précieux pour le chercheur en histoire culturelle (sublimation, après-coup, primauté de l’affectivité, critique de la positivité des faits, etc.). Enfin, nous ne pouvons cependant le développer ici, l’intérêt qu’il y a pour l’histoire culturelle à puiser dans le texte freudien ne s’origine pas dans la mise au jour d’une épistémologie convergente ou compatible, mais trouve à se soutenir de véritables différends entre les deux types de savoir. Autrement dit, Freud représenterait une ressource davantage au motif qu’il constitue un allié incommode que parce qu’on pourrait lui faire préfigurer telle ou telle direction de la recherche en histoire culturelle83.

1 Nous ne sommes pas en mesure de rendre justice ici à la pluralité des courants de l’histoire culturelle, nous cantonnant à une série de

2 Jacques Le Rider choisit cette expression pour évoquer le statut de Freud dans la pensée adornienne. Voir Theodor W. Adorno, La psychanalyse révisée

3 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion », p. 141-197, OC XVIII, p. 146. Les références à Freud sont données dans l’Édition des Œuvres complètes.

4 Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre » (1932/1933), OC XIX, p. 61-8, p. 80.

5 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion » (1927), p. 141-197, OC XVIII, p. 146.

6 Sigmund Freud, « Remarques sur un cas de névrose de contrainte » (1909), OC IX, p. 131-214, p. 213/ GW VII, p. 462.

7 Pascal Ory, L’histoire culturelle, Paris, PUF, « Que sais-je ? », p. 12.

8 Voir Hervé Mazurel, L’Inconscient ou l’oubli de l’histoire, Paris, La Découverte, 2021, chap. 7. Inconscient(s) et culture(s).

9 Ibid., p 319.

10 Ibid., p. 157.

11 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, « Esprit », La condition humaine, 1952, p. 135.

12 Ibid., p. 142.

13 Ibid., p. 143.

14 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes, Année 1979

15 Philippe Poirrier, Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, « L’histoire en débats », 2004, p. 24.

16 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 14.

17 Ibid., p. 16-17.

18 Voir Emmanuel Renault, Souffrances sociales, philosophie, psychologie et politique, La Découverte, 2008, p. 297 sq.

19 Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire…, op. cit., p. 12.

20 Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 75.

21 D. Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 19.

22 P. Poirrier, Les enjeux de l’histoire culturelle, op. cit., p. 24.

23 Sigmund Freud, « Les voies de la thérapie psychanalytique » (1919), OC XV, p. 97-108, p. 108.

24 Voir Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 12-14.

25 Pascal Ory, L’histoire sociale, op. cit., p. 21.

26 Voir Émile Durkheim, « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898), Sociologie et philosophie, Paris, PUF, « Quadrige »

27 Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Les Annales, n° 44-46, « Histoire et sciences sociales : un tournant critique », 1989, p. 

28 Pascal Ory, « L’histoire culturelle de la France contemporaine, question et questionnement », p. 67-82, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1987, n

29 Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, La psychologie et la psychanalyse, Paris, PUF, « Quadrige », 2003, p. 103-104.

30 Ibid., p. 41.

31 Ibid., p. 39.

32 Norbert Elias & John L. Scotson, Logiques de l’exclusion (1964), Paris, Fayard, avant-propos de Michel Wieviorka, trad. P.-E. Dauzat, 1997, p. 61.

33 Pascal Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 11.

34 Cité par Daniel Roche, Art. cit., p. 13.

35 Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, vol. 2, Cultures, p. III.

36 Pascal Ory, op. cit., p. 40.

37 Ibid., p. 28.

38 Sigmund Freud, « Préface à L’ordure dans les mœurs, les usages, les croyances et le droit coutumier de John Gregory Bourke » (1913), OC XII, p. 

39 Sigmund Freud, « La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898), OC III, p. 215-240, p. 221.

40 Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité (Contributions à la psychologie de la vie amoureuse III) » (1918), OC XV, p. 77-96, p. 79.

41 Sigmund Freud, « Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse » (1912), OC XI, p. 127-141, p. 136.

42 Quoique, souligne-t-il, l’influence éducative des médecins ait fait reculer les préventions féminines, qui conduisaient par exemple les femmes de

43 Sigmund Freud, « Nouvelle suite des leçons d’introduction » (1933), OC XIX, p. 83-268, XXXIIIe leçon : la féminité, p. 216.

44 Sigmund Freud, « La morale sexuelle “culturelle” et la nervosité moderne »(1908), OC VIII, p. 212.

45 Ibid., p. 214.

46 Sigmund Freud, « Nouvelle suite des leçons d’introduction », Art. cit., p. 199.

47 Sigmund Freud, « Avant-propos à Problème de psychologie religieuse de Theodor Reik », OC XV, p. 215.

48 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion », Art. cit., p. 147.

49 Sigmund Freud, OC XIV, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 214-215.

50 Sigmund Freud, « Trois essais sur la théorie sexuelle », OC VI, p. 59-181, p. 85.

51 Sigmund Freud, « De la psychanalyse. Cinq leçons… » (1910), OC X, p. 1-55, p. 44/ GW VIII, p. 47.

52 Thomas J. Scheff, « Elias, Freud and Goffman: shame as the master emotion », The Sociology of Norbert Elias, Steven Loyal & Stephen Quilley (ed.),

53 Voir Sigmund Freud, « Totem et tabou » (1912-13), OC XI, p. 189-385, p. 212-213.

54 S. Freud, OC XIV, Leçons d’introduction, « XXV. L’angoisse », p. 418/ GW XI, p. 418.

55 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et analyse du moi » (1921), OC XVI, p. 1-83, p. 30.

56 L’oscillation freudienne entre l’affirmation du caractère conventionnel de la honte et celle de la naturalité de certains objets de honte, est

57 Sigmund Freud, « Malaise dans la culture » (1929-30), OC XVIII, p. 245-333, p. 286-287, Note 1.

58 P. Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 11.

59 D. Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 15-16.

60 P. Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 26.

61 Norbert Elias, Au-delà de Freud, sociologie, psychologie, psychanalyse, trad. N. Guilhot, M. Joly, V. Meunier, M. Joly (dir.), B. Lahire (postf.)

62 N. Elias & J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion op. cit., p. 53 ; 59.

63 Vincent de Gauléjac, « De l’inconscient chez Freud à l’inconscient selon Bourdieu : entre psychanalyse et socio-analyse », Pierre Bourdieu : les

64 Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Seuil, « Points », 1993, p. 1099.

65 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, « Points Essais », 1994, p. 139.

66 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, « Points Essais », 2000, p. 260.

67 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 19.

68 Sigmund Freud, « L’intérêt que présente la psychanalyse » (1913), OC XII, p. 95-125, p. 109.

69 Sigmund Freud, OC IV, L’interprétation du rêve, p. 510.

70 Ibid., p. 517.

71 Ibid., p. 520-21.

72 Ibid., p. 530.

73 L’analyse par Lacan, dans le Séminaire X, L’Angoisse, de l’angoisse comme repère, comme seul signal qui ne trompe pas, ou ayant pour formule « ce

74 S. Freud, « L’avenir d’une illusion », Art. cit., p. 154. Voir Christophe Dejours, Ce qu’il y a de meilleur en nous, Paris, Payot, 2021, p. 17-28.

75 Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie [1980/1991], éd. M. Schröter, trad. J. Étoré, B. Lortholary, Paris, Seuil, « La Librairie du XXe

76 Jean Laplanche & Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, Quadrige « Dicos poche », 2004, p. 36.

77 Jean Laplanche & Jean-Bertrand Pontalis, Fantasme originaire, Fantasme des origines, Origine du fantasme, Paris, Hachette, Textes du XXe siècle, 19

78 Voir par exemple, Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire, op. cit., Post-scriptum 1. L’après coup de l’événement, p. 105-117. Nous

79 Nous nous permettons de renvoyer à Claire Pagès, « Commençons par écarter tous les faits. Quelques réflexions freudiennes et lyotardiennes sur la

80 Voir Bruno Karsenti, Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Paris, Cerf, « Passages », 2012.

81 Introduction : « De l’histoire sociale à l’histoire des cultures » , Daniel Roche & Pierre Goubert, Les Français et l’Ancien régime, II. Cul

82 Jean-François Lyotard, Heidegger et « les juifs », Paris, Galilée, « Débats », 1988, p. 24.

83 Parmi les intuitions freudiennes à même d’intéresser un chercheur en histoire culturelle que nous avons évoquées dans le troisième temps de notre

Notes

1 Nous ne sommes pas en mesure de rendre justice ici à la pluralité des courants de l’histoire culturelle, nous cantonnant à une série de caractérisations trop générales.

2 Jacques Le Rider choisit cette expression pour évoquer le statut de Freud dans la pensée adornienne. Voir Theodor W. Adorno, La psychanalyse révisée, suivi de Jacques Le Rider, L’allié incommode, Paris, Éditions de l’Olivier, « Penser/rêver », 2007.

3 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion », p. 141-197, OC XVIII, p. 146. Les références à Freud sont données dans l’Édition des Œuvres complètes. Psychanalyse aux Presses Universitaires de France en vingt volumes sous la direction scientifique de Jean Laplanche. Pour abréger les références, nous citons le n° du volume : OC X (volume X), OC XV (volume XV), etc. De même, nous notons GW suivi du n° du volume en chiffre romain l’édition allemande des Gesammelte Werke chez S. Fischer Verlag (Frankfurt am Main) en 19 volumes (1952 -1987).

4 Sigmund Freud, « Pourquoi la guerre » (1932/1933), OC XIX, p. 61-8, p. 80.

5 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion » (1927), p. 141-197, OC XVIII, p. 146.

6 Sigmund Freud, « Remarques sur un cas de névrose de contrainte » (1909), OC IX, p. 131-214, p. 213/ GW VII, p. 462.

7 Pascal Ory, L’histoire culturelle, Paris, PUF, « Que sais-je ? », p. 12.

8 Voir Hervé Mazurel, L’Inconscient ou l’oubli de l’histoire, Paris, La Découverte, 2021, chap. 7. Inconscient(s) et culture(s).

9 Ibid., p 319.

10 Ibid., p. 157.

11 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, « Esprit », La condition humaine, 1952, p. 135.

12 Ibid., p. 142.

13 Ibid., p. 143.

14 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes, Année 1979, Volume 91, N° 1, p. 7 – 19, p. 8.

15 Philippe Poirrier, Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, « L’histoire en débats », 2004, p. 24.

16 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 14.

17 Ibid., p. 16-17.

18 Voir Emmanuel Renault, Souffrances sociales, philosophie, psychologie et politique, La Découverte, 2008, p. 297 sq.

19 Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire…, op. cit., p. 12.

20 Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 75.

21 D. Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 19.

22 P. Poirrier, Les enjeux de l’histoire culturelle, op. cit., p. 24.

23 Sigmund Freud, « Les voies de la thérapie psychanalytique » (1919), OC XV, p. 97-108, p. 108.

24 Voir Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 12-14.

25 Pascal Ory, L’histoire sociale, op. cit., p. 21.

26 Voir Émile Durkheim, « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898), Sociologie et philosophie, Paris, PUF, « Quadrige », p. 1-48.

27 Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Les Annales, n° 44-46, « Histoire et sciences sociales : un tournant critique », 1989, p. 1505-1520, p. 1511.

28 Pascal Ory, « L’histoire culturelle de la France contemporaine, question et questionnement », p. 67-82, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1987, n° 16.

29 Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, La psychologie et la psychanalyse, Paris, PUF, « Quadrige », 2003, p. 103-104.

30 Ibid., p. 41.

31 Ibid., p. 39.

32 Norbert Elias & John L. Scotson, Logiques de l’exclusion (1964), Paris, Fayard, avant-propos de Michel Wieviorka, trad. P.-E. Dauzat, 1997, p. 61.

33 Pascal Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 11.

34 Cité par Daniel Roche, Art. cit., p. 13.

35 Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, vol. 2, Cultures, p. III.

36 Pascal Ory, op. cit., p. 40.

37 Ibid., p. 28.

38 Sigmund Freud, « Préface à L’ordure dans les mœurs, les usages, les croyances et le droit coutumier de John Gregory Bourke » (1913), OC XII, p. 45-50, p. 47-48.

39 Sigmund Freud, « La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898), OC III, p. 215-240, p. 221.

40 Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité (Contributions à la psychologie de la vie amoureuse III) » (1918), OC XV, p. 77-96, p. 79.

41 Sigmund Freud, « Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse » (1912), OC XI, p. 127-141, p. 136.

42 Quoique, souligne-t-il, l’influence éducative des médecins ait fait reculer les préventions féminines, qui conduisaient par exemple les femmes de la campagne extrêmement prudes à refuser de se faire examiner même en cas d’hémorragies, il présente comme un problème le fait que les jeunes filles « sont bien sûr systématiquement éduquées à la dissimulation de leur vie sexuelle » (S. Freud, « La sexualité dans l’étiologie des névroses », Art. cit., p. 220).

43 Sigmund Freud, « Nouvelle suite des leçons d’introduction » (1933), OC XIX, p. 83-268, XXXIIIe leçon : la féminité, p. 216.

44 Sigmund Freud, « La morale sexuelle “culturelle” et la nervosité moderne » (1908), OC VIII, p. 212.

45 Ibid., p. 214.

46 Sigmund Freud, « Nouvelle suite des leçons d’introduction », Art. cit., p. 199.

47 Sigmund Freud, « Avant-propos à Problème de psychologie religieuse de Theodor Reik », OC XV, p. 215.

48 Sigmund Freud, « L’avenir d’une illusion », Art. cit., p. 147.

49 Sigmund Freud, OC XIV, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 214-215.

50 Sigmund Freud, « Trois essais sur la théorie sexuelle », OC VI, p. 59-181, p. 85.

51 Sigmund Freud, « De la psychanalyse. Cinq leçons… » (1910), OC X, p. 1-55, p. 44/ GW VIII, p. 47.

52 Thomas J. Scheff, « Elias, Freud and Goffman: shame as the master emotion », The Sociology of Norbert Elias, Steven Loyal & Stephen Quilley (ed.), Cambridge University Press, 2004, p. 229-242.

53 Voir Sigmund Freud, « Totem et tabou » (1912-13), OC XI, p. 189-385, p. 212-213.

54 S. Freud, OC XIV, Leçons d’introduction, « XXV. L’angoisse », p. 418/ GW XI, p. 418.

55 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et analyse du moi » (1921), OC XVI, p. 1-83, p. 30.

56 L’oscillation freudienne entre l’affirmation du caractère conventionnel de la honte et celle de la naturalité de certains objets de honte, est manifeste par exemple dans « Psychologie des masses et analyse du moi », OC XVI, Art. cit., p. 79-80.

57 Sigmund Freud, « Malaise dans la culture » (1929-30), OC XVIII, p. 245-333, p. 286-287, Note 1.

58 P. Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 11.

59 D. Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 15-16.

60 P. Ory, L’histoire culturelle, op. cit., p. 26.

61 Norbert Elias, Au-delà de Freud, sociologie, psychologie, psychanalyse, trad. N. Guilhot, M. Joly, V. Meunier, M. Joly (dir.), B. Lahire (postf.), Paris, La Découverte, « Textes à l’appui », 2010, p. 76.

62 N. Elias & J. L. Scotson, Logiques de l’exclusion op. cit., p. 53 ; 59.

63 Vincent de Gauléjac, « De l’inconscient chez Freud à l’inconscient selon Bourdieu : entre psychanalyse et socio-analyse », Pierre Bourdieu : les champs de la critique, P. Corcuff (dir.), Bibliothèque du Centre Pompidou, 2004, p. 75-86, p. 75-77.

64 Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Seuil, « Points », 1993, p. 1099.

65 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, « Points Essais », 1994, p. 139.

66 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, « Points Essais », 2000, p. 260.

67 Daniel Roche, « De l’histoire sociale à l’histoire socio-culturelle », Art. cit., p. 19.

68 Sigmund Freud, « L’intérêt que présente la psychanalyse » (1913), OC XII, p. 95-125, p. 109.

69 Sigmund Freud, OC IV, L’interprétation du rêve, p. 510.

70 Ibid., p. 517.

71 Ibid., p. 520-21.

72 Ibid., p. 530.

73 L’analyse par Lacan, dans le Séminaire X, L’Angoisse, de l’angoisse comme repère, comme seul signal qui ne trompe pas, ou ayant pour formule « ce qui ne trompe pas », véritable leitmotiv du séminaire, nous semble aller dans le même sens. En effet, Lacan dit radicaliser ce que Freud a dégagé de l’angoisse comme fonction de signal. Lui aussi distingue affect d’angoisse et sentiment. L’angoisse se situe avant la naissance du sentiment, c’est-à-dire avant l’émergence d’une configuration affective déterminée et relève davantage de l’antécédence portée par le pré-sentiment. Or l’angoisse n’est pas du tout un leurre, un écran, un résidu, pour Lacan, mais une certitude et même la seule certitude, certitude dépourvue d’objet ou indépendante de tout objet (Le séminaire, Livre X. L’Angoisse, Paris, Seuil, « Champ freudien », 2004, p. 270). Si Lacan peut présenter pour le clinicien l’angoisse comme un aiguillage, c’est que celle-ci possède pour substance « ce qui ne trompe pas, le hors de doute » (ibid., p. 85), quoique chez Lacan, l’angoisse signe non la présence de la réalité factuelle mais celle du Réel (ibid., p. 211). Néanmoins, l’angoisse est manifestation non manipulée, non transformée de l’inconscient. Elle relève bien de l’affect : le sujet y est en effet affecté par le désir de l’Autre « d’une façon que nous devons dire immédiate, non dialectisable » (ibid., p. 411).

74 S. Freud, « L’avenir d’une illusion », Art. cit., p. 154. Voir Christophe Dejours, Ce qu’il y a de meilleur en nous, Paris, Payot, 2021, p. 17-28.

75 Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie [1980/1991], éd. M. Schröter, trad. J. Étoré, B. Lortholary, Paris, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1991, p. 88. Voir aussi « Un parcours dans le siècle, propos autobiographiques » (1987), J’ai suivi mon propre chemin, trad. A. Burlaud, Paris, Éditions sociales, Les parallèles/ biographie, 2016, p. 62-63.

76 Jean Laplanche & Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, Quadrige « Dicos poche », 2004, p. 36.

77 Jean Laplanche & Jean-Bertrand Pontalis, Fantasme originaire, Fantasme des origines, Origine du fantasme, Paris, Hachette, Textes du XXe siècle, 1985, p. 25.

78 Voir par exemple, Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire, op. cit., Post-scriptum 1. L’après coup de l’événement, p. 105-117. Nous pensons également aux travaux de Quentin Deluermoz, ceux consacrés tant à la Commune (Commune(s), 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2020) qu’à l’histoire contrefactuelle (avec Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Seuil, « Points essais », 2019).

79 Nous nous permettons de renvoyer à Claire Pagès, « Commençons par écarter tous les faits. Quelques réflexions freudiennes et lyotardiennes sur la réalité psychique », p. 245-260, Évolution psychiatrique, n° 86 « Post-vérité », Olivier Douville & Sarah Troubé (dir.), 2021/2.

80 Voir Bruno Karsenti, Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Paris, Cerf, « Passages », 2012.

81 Introduction : « De l’histoire sociale à l’histoire des cultures » , Daniel Roche & Pierre Goubert, Les Français et l’Ancien régime, II. Culture et société, Paris, Armand Colin, 1984.

82 Jean-François Lyotard, Heidegger et « les juifs », Paris, Galilée, « Débats », 1988, p. 24.

83 Parmi les intuitions freudiennes à même d’intéresser un chercheur en histoire culturelle que nous avons évoquées dans le troisième temps de notre propos, seule la première présente une compatibilité épistémologique évidente avec la recherche historique. Nous mettions en effet l’accent sur l’existence d’une pensée du développement du sujet individuel (et solidairement de sa régression possible), spécialement dans l’enfance, parfois nommée courant historique de la psychanalyse (voir André Green, « La psychanalyse devant l’opposition de l’histoire et de la structure », p. 649-662, Critique, n° 194, 1963). Les autres pistes ne signifient pas une remise en cause de l’asocialité et de l’anhistoricité du modèle freudien. Néanmoins, le motif de l’après-coup implique une refonte de la conception de la temporalité et une prise en compte indéniable de la dimension temporelle de la vie de l’esprit.

References

Electronic reference

Claire Pagès, « Freud, l’allié incommode  », Revue d’histoire culturelle [Online],  | 2022, Online since , connection on 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=3477

Author

Claire Pagès

Agrégée de philosophie, ancienne directrice de programme au Collège internationale de philosophie, Claire Pagès est maître de conférences à l’Université de Tours. Spécialiste de philosophie sociale et de philosophie des sciences humaines principalement du domaine allemand, elle travaille à l’articulation de la philosophie, de la psychanalyse et de la sociologie. Elle est l’auteure notamment de Hegel & Freud. Les intermittences du sens (CNRS Éditions, 2015) et Elias (Les Belles Lettres, « Figures du savoir », 2017). Elle a également coordonné le volume Elias et les disciplines (Presses Universitaires François Rabelais, 2018). claire.pages2@gmail.com