Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Dominique Poulot (dir.), 2002, genèse d’une loi sur les musées

Paris, La Documentation française, 2022

Référence(s) :

Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Dominique Poulot (dir.), 2002, genèse d’une loi sur les musées, Paris, La Documentation française, 2022, 832 p.

Texte

Quatrième opus collectif préparé dans le cadre du programme de recherche Mémoloi1, l’ouvrage consacré à la loi sur les musées de 2002 confirme – s’il en était besoin – l’intérêt et les apports de l’interdisciplinarité dans l’étude du patrimoine culturel. Des juristes et des historiens du droit, des sociologues et des politistes, des historiens et historiens d’art, des muséologues, se sont collectivement penchés sur les facteurs politiques, juridiques et culturels menant à l’adoption, en 2002, d’une loi dite « loi Musées » qui marque un jalon historique majeur dans l’histoire du patrimoine en France.

Après avoir étudié le contexte d’adoption de la loi sur les monuments historiques de 19132, puis celui de la loi sur les archives de 19793, le collectif de chercheurs s’attache désormais à une « histoire chaude » (M.C. Lavabre), dont les enjeux sont ceux du temps présent (restitutions, professionnalisation, accessibilité ou encore inaliénabilité). Ils font l’objet d’une analyse véritablement interdisciplinaire. En témoigne le texte signé par Marie Cornu et Dominique Poulot (p. 31-50), consacré à la notion d’inaliénabilité – dont les auteurs rappellent combien les interprétations par leur discipline respective, le droit et l’histoire, ont pendant longtemps été divergentes. Leur démarche rend compte de celle adoptée à l’échelle de l’ouvrage tout entier : un retour critique sur les notions, au prisme de l’histoire des institutions, des politiques publiques et du droit français, permettant de souligner à la fois l’importance des redéfinitions successives de cette notion jamais formulée explicitement en droit (domaine de la Couronne, puis de l’État, puis domaine public) devenu un principe fort, « réarmé » (p. 46) par la loi de 2002. La même volonté de proposer des lignes communes d’interprétation, mobilisant à la fois sources juridiques et archives historiques, se retrouve dans plusieurs des thématiques centrales de l’ouvrage, traitées systématiquement dans la longue durée.

En effet, l’approche adoptée a consisté à « refroidir » cette histoire très contemporaine en plaçant la focale (dans quatre parties sur cinq) sur la contextualisation historique, juridique et internationale de la genèse de la loi. Sont ainsi examinés les principes centraux de la loi de 2002 au miroir d’une histoire longue permettant de mettre en avant ce qui est véritablement neuf au tournant du XXIe siècle et ce qui ne l’est qu’en apparence ; ce qui a été préparé en amont et ce qui ne l’a pas été ; ce qui relève d’une tendance historique nationale et ce qui relève d’un air du temps ou d’un mouvement international. L’ouvrage est ainsi l’occasion de production de synthèses relativement courtes autour de trois enjeux identifiés comme centraux en 2002 : 1. la question de la propriété des biens patrimoniaux mobiliers, déclinée en plusieurs enjeux relatifs au principe d’inaliénabilité, aux circulations des collections, à la notion de domaine public ; 2. l’histoire des métiers attachés au musée, dont la diversification accrue dans les décennies précédant l’adoption de la loi ne se retrouve pourtant pas dans l’esprit de celle-ci ; 3. la question du contrôle, effectif ou souhaité, des musées français par l’État.

Sur ce dernier point, et tout particulièrement sur la question essentielle des tensions observables entre deux voies réglementaires possibles (d’une part, l’organisation d’un service public national des musées, et de l’autre, la mise en place d’une police administrative spéciale), plusieurs contributions sont particulièrement éclairantes et complémentaires : celle de Marie Cornu consacrée à l’influence de la loi de 1913, dont l’effet matriciel est souligné et les proximités fortes, à près d’un siècle d’écart, avec les réflexions des législateurs en 2002 autour des questions d’intérêt public, de cession possible et de récolement et inventaire (p. 327-330) ; celle de Marie Cornu et Noé Wagener s’attachant à présenter les strates successives de la réglementation des musées et revenant en particulier sur les années 1930-1941, avec l’évolution notable du paradigme de l’exercice du contrôle de l’État sur les musées de province et l’établissement d’un régime de droit commun des musées (p. 187-205).

L’autre aspect de cette démarche de contextualisation est le choix de consacrer une partie du livre (Partie IV) au « contexte européen et international » en questionnant l’intégration des débats autour de la loi à un mouvement plus large à l’échelle de l’UE ou des pays occidentaux. En complément de la succession de présentations par pays, on regrette l’absence dans l’ouvrage d’une synthèse résolument comparatiste qui pourrait théoriser et avancer des éléments d’explication sur les affinités surprenantes qui apparaissent à la lecture des différents « cas nationaux », entre notamment la Grèce et la Grande-Bretagne qui ont mis en place un système d’ « accréditation » des musées permettant l’établissement de critères de définition, de soutien public (Arts Council) et de légitimation. Se mesurent aussi la proximité entre la France et l’Italie, en matière d’attachement à une définition par les collections, mais aussi leur éloignement dans leur traduction respective des principes de la décentralisation dans le champ patrimonial.

L’un des principaux apports de cette enquête réside, nous semble-t-il, dans les analyses croisées des évolutions majeures des années 1990 ayant conduit à la loi, et dans la présentation des différents projets élaborés entre 1992 et 2002, dont les différences sont très significatives. En rendent compte – et c’est là une richesse et une originalité de l’ouvrage – plusieurs « sources » convoquées et reproduites : un entretien avec Jacques Sallois, directeur des musées de France entre 1990 et 1994 (p. 225-233), plusieurs documents d’archives reproduits dans un épais dossier de notes et autres rapports méconnus (« Album II, Documents d’archives relatifs à l’élaboration de la loi de 2002 », p. 651 à 733) et un tableau panoptique comparant aux différents projets de loi le texte finalement adopté en 2002 (Annexe 1, p. 738 à 761), qui permet de mesurer l’étendue des « possibles » entre lesquels a arbitré le législateur. Tel est d’ailleurs l’intérêt des analyses menées par Nicolas Thiébaut sur « le travail parlementaire » en vue de l’élaboration de la loi (p. 245-257), rendant compte à la fois de l’importance de certains acteurs, députés et sénateurs mais aussi experts et rapporteurs (Maurice Schumann, au sein de commission des Affaires culturelles ; Alfred Recours, auteur d’un rapport décisif en 2001) ; mais aussi des soucis du moment, dans le cadre de l’axe II de la décentralisation : contractualisation entre État et collectivités territoriales, autonomie budgétaire des grands établissements publics, mais aussi volet fiscal et volonté de stimuler le mécénat (entreprise parallèle de plusieurs projets de loi concomitants).

Un autre élément éclairant, au fil de l’ouvrage, concerne la définition même du « musée ». De la diversification et de la confusion croissantes qui caractérisent les années 1990, résulte, au moins en partie, la volonté forte de définir juridiquement le musée : après avoir tenté de le faire par le structurel autour de 1987 (p. 283), c’est la notion de « service public » qui s’impose, avec des enchâssements bien spécifiques liés à la diversité des types de musée (en termes de tutelle, de collections, de périmètre). In fine, les contributions réunies dans la Partie III, intitulée « Cartographie d’une loi », tendent à pointer une série d’écarts : entre le droit dur appliqué dans cette loi (qui est en réalité « un acte de police administrative visant à permettre à l’État d’exercer un contrôle scientifique et technique sur les institutions », p. 295) et le « droit souple » qui est connoté par les usages autour de la loi et en particulier l’usage (non-adéquat, au regard des définitions et des pratiques antérieures et parallèles) du terme de « label » pour désigner ce qui est bien autre chose : un agrément unificateur, une catégorie limitante, un ensemble de normes et de contraintes : à l’opposé, en réalité, de la forme positive de contractualisation non (ultra)contraignante impliquée par le processus de labellisation.

En creux, cette question permet aussi d’aborder une autre histoire des relations entre État et collectivités territoriales, non exempte de tensions (contrôle de l’État versus autonomie des collectivités et des établissements), de contradictions (domanialité publique renforcée et nouvelles possibilités de transferts de propriété) et d’impensés, pour reprendre le titre donné à la cinquième et dernière partie de l’ouvrage qui passe en revue certains points épineux de la vie contemporaine des musées pour lesquels la loi de 2002 est une « occasion manquée » : la question de la circulation juridique des œuvres (p. 523), celle des restitutions, liées aux spoliations survenues durant la Seconde Guerre mondiale ou à des collections sensibles, ou encore la question des enjeux économiques, et plus largement de l’intégration des institutions muséales aux dynamiques territoriales en matière d’emplois, de revenus et d’attractivité (p. 583).

Cet ouvrage aura sans nul doute une double utilité pour les historiennes et historiens du patrimoine culturel : comme somme de référence, il compile et analyse les principales sources autour de cette loi qui marque un jalon important dans la périodisation de l’histoire des musées en France ; comme bilan provisoire, 20 ans après l’adoption de la loi, il est aussi une invitation à poursuivre certains pans de l’enquête, notamment sur le local (quelle anticipation et quels effets de la mise en œuvre de cette loi ?) et l’international (quel impact sur les circulations d’objets, de pratiques et d’idées ?).

1 Cf. Mémoloi, Programme de recherche sur la mémoire des grandes lois patrimoniales, https://memoloi.hypotheses.org/.

2 Jean-Pierre Bady, Marie Cornu, Jérôme Fromageau, Jean-Michel Leniaud et Vincent Négri (dir.), 1913. Genèse d’une loi sur les monuments historiques

3 Marie Cornu, Christine Nougaret, Yann Potin, Bruno Ricard et Noé Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, Paris, La Documentation

Notes

1 Cf. Mémoloi, Programme de recherche sur la mémoire des grandes lois patrimoniales, https://memoloi.hypotheses.org/.

2 Jean-Pierre Bady, Marie Cornu, Jérôme Fromageau, Jean-Michel Leniaud et Vincent Négri (dir.), 1913. Genèse d’une loi sur les monuments historiques, Paris, La Documentation française, 2013.

3 Marie Cornu, Christine Nougaret, Yann Potin, Bruno Ricard et Noé Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, Paris, La Documentation française, 2019.

Citer cet article

Référence électronique

Julie Verlaine, « Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Dominique Poulot (dir.), 2002, genèse d’une loi sur les musées », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=2212

Auteur

Julie Verlaine

Professeure des universités, université de Tours

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