RHC : Vous êtes un chercheur en astrophysique. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la science-fiction. Considérez-vous que ces deux activités sont complémentaires ou alternatives ?
J’ai commencé à lire de la science-fiction à l’adolescence, en piochant dans la bibliothèque de mon père. J’ai dévoré Isaac Asimov, Jack Vance ou Robert Heinlein. Plus jeune, j’avais lu Jules Verne bien sûr, les classiques 20 000 lieues sous les mers, et De la Terre à la Lune, mais j’ai surtout été fasciné par L’île mystérieuse. Mon goût pour les sciences est néanmoins antérieur, né avec l’acquisition d’une lunette astronomique chez un opticien de Rodez, l’été de ma dixième année. Il a trouvé un complément naturel dans les œuvres de science-fiction de l’âge d’or, très orientées vers les grands espaces et l’exploration de mondes nouveaux. Depuis, je n’ai jamais arrêté même si ma « pile à lire » s’est aujourd’hui diversifiée.
Je suis loin d’être un cas particulier. Il me semble que l’intérêt pour la science-fiction est assez répandu dans le milieu scientifique1. Peut-être cela vient-il d’un goût commun pour la spéculation : en science comme en science-fiction, l’imagination et les idées nouvelles, même les plus extravagantes, jouent un rôle essentiel, même si les critères d’appréciation sont évidemment différents. La validité d’une proposition scientifique est jugée à l’aune de sa cohérence avec le réel, de son adéquation aux expériences ou aux observations dont elle prétend rendre compte. Explicative, une proposition scientifique doit aussi être prédictive, capable de suggérer des phénomènes nouveaux qui, faute d’être observés, invalideront la proposition. La science-fiction n’a évidemment pas les mêmes contraintes et c’est le privilège des artistes de pouvoir jouer avec des idées folles ou dont la maturation technique n’est pas atteinte parce que les enjeux sont ailleurs.
RHC : L’un des premiers spécialistes, Darko Suvin, a caractérisé la science-fiction par l’association de deux critères : l’estrangement (étrangement ou distanciation) et la cognition (connaissance), capables de créer un novum2 : une radicale nouveauté, différente cependant du conte, du mythe ou du récit fantastique. La science-fiction plonge dans un monde insolite supposé obéir aux lois du réel donc de la physique. Est-ce dans ce double critère – estrange et savant – que réside la double lecture possible, littéraire et scientifique, de ces œuvres ?
Lire un roman de SF, c’est entrer dans un monde nouveau, radicalement différent du nôtre grâce à ce que Darko Suvin appelle un novum : une époque lointaine ou un lieu éloigné, une technologie insolite, une mutation biologique, une amélioration sensorielle, un ordre social différent ou une transformation psychologique. Selon Suvin, ce mélange de vraisemblance et de nouveauté crée l’effet de « distanciation cognitive » propre à la science-fiction. C’est l’équivalent de la « défamiliarisation » (traduction du russe остранение, ostranénie) proposée par le théoricien russe Viktor Chklovski pour désigner la capacité du langage artistique ou poétique à exprimer des choses communes dans une forme non familière, voire étrange. En liant ce concept au cognitif, Suvin met l’accent sur les facultés logiques et rationnelles de l’esprit, complémentaires des facultés affectives ou sensorielles visées par le langage poétique. L’effet de distanciation cognitive permet de raviver les schémas de la perception et de la pensée. Pour y parvenir, il faut donner au novum d’une œuvre de science-fiction une cohérence, une base rationnelle, qui s’oppose au surnaturel typique du fantastique et de la fantasy. Maurice Renard avait exprimé un point de vue semblable en qualifiant de « merveilleux scientifique »3 le genre littéraire européen qui allait se développer aux États-Unis quelques années plus tard sous le nom de science-fiction. Renard affirme qu’en mettant en scène des merveilles radicalement novatrices, jouant sur des variations possibles des lois physiques, le merveilleux scientifique permet d’observer notre monde, comme avec une loupe ou sous un angle différent.
Les anglophones font plus volontiers référence au sense of wonder pour caractériser la réaction émotionnelle du lecteur soudainement confronté à un concept ou à un contexte nouveau. John Clute et Peter Nicholls4 associent le sense of wonder à l’expérience d’une percée conceptuelle ou d’un changement de paradigme qui transforment l’intelligibilité du monde. Une notion également invoquée par l’historien des sciences Thomas Kuhn pour expliquer que les théories scientifiques procèdent par ruptures : le nouveau paradigme initialement étrange s’avère plus efficace et plus pertinent pour décrire le réel5.
L’un des procédés souvent utilisés pour « faire science » et déclencher le sense of wonder est le recours aux mots-fiction : entités nommées aux consonances exotiques (noms propres fictifs), mots nouveaux construits à partir de mots existants (néologismes de forme), noms communs dotés d’une majuscule pour indiquer qu’ils désignent un objet bien précis plutôt que leur sens premier (antonomases), nouveaux sens affectés à des mots existants (néologismes de sens) ou, enfin, de purs néologismes. Certains ont été ensuite réutilisés par les sciences. Tel est le cas de termes comme téléportation (Charles Hoy Fort), astronautique (J.-H. Rosny aîné), robot (Joseph et Karel Čapek) et du préfixe cyber (William Gibson). D’autres sont au contraire d’inspiration scientifique : hyperespace, singularité, distille, midichlorien. Ils aident les auteurs à bâtir leurs mondes fictifs en les fondant scientifiquement6.
1. Médiation scientifique
RHC : Vous utilisez fréquemment la science-fiction à des fins de vulgarisation scientifique. Pourriez-vous expliquer de quelle manière et dans quel but ?
Comme praticien de la vulgarisation, ma « marque de fabrique » est effectivement l’usage de la science-fiction pour expliquer et pratiquer les sciences. Prenons un exemple concret : l’analyse d’une scène du film Avatar, film à succès de James Cameron sorti en 2009, faite à plusieurs reprises avec des classes de collégiens7.
Nous sommes en 2154. Le vaisseau interstellaire Venture Star termine son approche de Pandora, un des nombreux satellites de la planète Polyphème. Bleutée, cette dernière est balafrée par un immense anticyclone qui ressemble étonnamment à la grande tache – rouge – de Jupiter8. Cette scène d’Avatar est magnifique et frappe l’imagination. Elle peut être le support d’une initiation à la méthode scientifique qui repose sur le questionnement de la mécanique physique de ce monde fabriqué. On peut par exemple se demander quelle est la direction de la source de lumière qui éclaire la scène. Les élèves affirment généralement qu’elle vient « de gauche », puis élaborent progressivement une réponse plus précise et universelle : la source de lumière est située sur la droite perpendiculaire à la limite jour-nuit, du côté éclairé de Pandora. Pour chacun, nul doute que la source de lumière est l’étoile autour de laquelle orbitent Polyphème et son satellite Pandora.
De même, on peut tenter d’interpréter l’origine de la tache noire que l’on voit à la surface de Polyphème. Les réponses fusent : « C’est un autre satellite ! C’est l’ombre du petit satellite ! C’est un trou dans Polyphème ! ». La discussion et l’argumentation permettent d’écarter ces premières hypothèses et d’en faire émerger une nouvelle : il s’agit de l’ombre d’un satellite qu’on ne voit pas sur l’image. Cette intéressante prédiction, qui permet d’expliquer un effet visible par une cause invisible, est l’occasion de faire remarquer que cette situation s’est déjà produite en physique, par exemple lorsque les irrégularités observées du mouvement de la planète Uranus ont été justifiées par l’existence d’une planète inconnue, découverte ensuite et baptisée Neptune, ou quand l’apparente non conservation de l’énergie lors d’une désintégration beta fut expliquée en invoquant une fantomatique particule, le neutrino, mise en évidence quelques années plus tard.
L’analyse de cette séquence du film Avatar est, grâce à l’émerveillement qu’elle provoque, un prétexte à pratiquer la physique. La démarche permet de remplacer des conceptions initiales erronées ou fragiles par des connaissances plus solides en les ancrant dans un questionnement et une pratique active proche de celle des chercheurs. Par leurs expériences et leurs observations, ceux-ci élaborent une représentation cohérente de la réalité, capable de décrire une grande variété de phénomènes avec un minimum de concepts, de modèles ou de théories. L’enquête se rapproche aussi de la pratique des astrophysiciens qui doivent se contenter d’observer les phénomènes qui les intéressent depuis une position quasiment fixe dans l’espace et dans le temps. Pour tenter d’en savoir plus, il faut poser des hypothèses et chercher à les valider par une réflexion fondée sur les outils scientifiques disponibles ici et maintenant.
RHC : Le caractère éducatif de la science-fiction a d’emblée été remarqué, de même que ses liens avec la littérature de vulgarisation scientifique, mais il s’agit aussi d’un genre littéraire qui mobilise des thèmes littéraires traditionnels. Quel sens attribuer à cette fictionnalisation de thématiques scientifiques ?
Cette nouvelle forme de fiction scientifique est née en Europe, sous la plume d’auteurs fascinés par le progrès technique comme Jules Verne, Rudyard Kipling, ou J. H. Rosny Aîné. Hugo Gernsback, le rédacteur en chef de la revue Science Wonder Stories où le terme science fiction apparut pour la première fois en 1929, avait fondé en 1908 une revue de vulgarisation scientifique, Modern Electrics, avant de créer en 1913 un magazine similaire, The Electrical Experimenter, qui devint Science and Invention en 1920. C’est dans ces magazines que Gernsback commença à inclure des histoires relevant du merveilleux scientifique européen, puis américain, à côté d’articles de vulgarisation scientifique et technique. Réciproquement, la vulgarisation scientifique avait déjà emprunté la forme de la fiction. Ainsi, le Russe Konstantin Tsiolkovski, l’un des pères fondateurs de l’astronautique moderne, recourt-il à la fiction scientifique dans deux romans, Rêves de la Terre et du Ciel (1895) et Au-delà de la Terre (1920) pour faire connaître ses idées sur la conquête de l’espace et ses propositions techniques pour y parvenir. Plus tard, la science-fiction a largement contribué à populariser ce thème.
Depuis les débuts de la science-fiction, les auteurs sont renseignés sur le développement des sciences et des techniques9. Ils s’en approprient les mots, les idées et les images, en les déformant, les transformant, les exagérant, les outrant parfois, pour rendre l’intrigue plus intéressante ou plus spectaculaire. Ainsi, bien qu’elle emprunte à la science, la science-fiction n’est-elle pas toujours scientifiquement exacte, car elle poursuit le discours de la science au-delà de ce que celle-ci peut assurer. Elle présente donc une vaste gamme d’œuvres plus ou moins en accord avec la science de leur temps, allant de la fantaisie la plus échevelée, à l’extrapolation scientifique la plus rigoureuse. Les concepts qu’imagine la science-fiction n’ont cependant pas vocation à s’incarner dans le réel. La science y est plutôt utilisée comme instrument de la narration et les objets techniques y sont souvent introduits pour faire avancer le récit. En ce sens, elle peut renouveler les thématiques littéraires traditionnelles à l’aune de situations totalement neuves : relations amoureuses entre êtres d’espèces différentes (Les Amants étrangers, de Philip José Farmer) ou avec une machine humanoïde (La fille automate de Paolo Bacigalupi), relation père-fille avec un père plus jeune que sa fille (Interstellar de Christopher Nolan), définition de l’humain (Ghost in the Shell de Masamune Shirow) ou rapport entre humain et robot humanoïde (Blade Runner de Ridley Scott), etc.
RHC : Il y a un plaisir particulier à placer les futurs possibles sous le scalpel de l’expertise scientifique. Est-ce parce que l’opération réactive le plaisir de la projection dans un futur réaliste, en confiant à la science moderne le soin d’en évaluer leur degré de possibilité ?
En tant que scientifique, je confirme qu’au plaisir de la découverte d’un nouvel univers s’ajoute celui de son analyse. Ce monde est-il plausible, voire possible ? Si non, peut-on faire la même chose en restant plus près des connaissances actuelles ? Si oui, est-il possible de mener une enquête scientifique sur ce monde pour en déduire des informations non explicitées ? À la satisfaction de trouver la réponse à une question (Quelle est la puissance d’un sabre-laser ? Quelle est la taille de l’Étoile de la Mort ? Quelle est l’orbite de Pandora ?) il y a le plaisir de partager sa réponse, en conférences ou en cours. Ce jeu ressemble beaucoup à celui que les scientifiques pratiquent avec leurs théories. Changeant la valeur d’une constante ici, ôtant ou ajoutant un terme là, ils jouent avec les équations et poussent les théories qu’elles décrivent dans leur retranchement. C’est un véritable bac à sable dans lequel les scientifiques évaluent la robustesse de leurs théories et testent des idées nouvelles, parfois folles, et font pleinement usage de leur imagination. Ainsi, certaines idées de physique théorique moderne ne dépareraient pas dans un ouvrage de science-fiction (la théorie des cordes et ses dimensions spatiales supplémentaires, ou la gravité quantique à boucles et ses quanta d’espace-temps) tant leur étrangeté les place loin de nos représentations communes. C’est là où les idées grouillent, où les scientifiques jouent eux aussi au jeu du « Et si… ? », aux confins des théories acquises et de celles en construction, que la science-fiction puise des idées.
RHC : A-t-on une idée du profil des publics de la science-fiction ?
Le seul public que je connaisse bien est celui des Utopiales, le grand festival de SF de Nantes, sans doute le seul à mêler intimement l’imaginaire et les sciences — naturelles et humaines. Depuis 2012, année de mon arrivée à la présidence du festival, nous constatons que le public est quasiment à parité (45 % de femmes et 55 % d’hommes), plutôt jeune (60 % des festivaliers ont moins de 35 ans) et socialement assez mélangé (38 % de cadres, 24 % d’employés ou d’ouvriers et 22 % d’étudiants). Il apprécie largement les conférences et les tables-rondes littéraires et scientifiques. L’un de mes objectifs est de rendre les sciences attractives pour le public plutôt attiré par la science-fiction, et de montrer aux plus scientifiques que la science-fiction est un outil extraordinaire pour explorer les conséquences sociales et politiques du progrès scientifique et technique.
2. Science et science-fiction
RHC : Certains chercheurs en sciences sociales utilisent la science-fiction comme une source capable de documenter le monde actuel, « une voie par laquelle le changement social se trouve réengagé dans une appréhension réflexive […] permettant de remonter vers des enjeux présents10 ». L’analyse est-elle transposable à l’astrophysique et comment, en tant qu’astrophysicien, lisez-vous la science-fiction ?
Paradoxalement, la science-fiction que je préfère n’est pas la hard science fiction, celle qui vise à être aussi scientifiquement exacte que possible, mais celle qui est plus politique, qui permet de redécouvrir l’enjeu et les conditions de l’habitabilité terrestre comme je le fais avec mes étudiants de Sciences Po et du M1 « Approche sociale de l’énergie et de l’environnement ». Dans son essai Hors les décombres du monde (Champ Vallon, 2018), Yannick Rumpala, que vous citez, dresse un panorama de la SF sous l’angle écologique et environnemental et s’attache justement à passer en revue les œuvres « éprouvant l’habitabilité des mondes », tant du côté des désastres écologiques que des solutions pour les régler (quitte à modifier la nature, l’environnement ou l’humain, pour ne pas avoir à changer de modèle économique). De ce point de vue, on est frappé par la capacité de la science-fiction à créer un répertoire des possibles, à se placer dans le temps long (comme la recherche fondamentale) et à envisager les conséquences de la situation actuelle. Cela fait écho à une phrase de Liet Kynes, le premier planétologiste d’Arrakis : « La plus haute fonction de l’écologie est la compréhension des conséquences »11.
Certaines œuvres intéressent aussi directement l’astrophysicien que je suis, comme Diaspora (Greg Egan) ou le film Interstellar qui présentent des concepts d’astrophysique (les sursauts gamma pour le premier, les trous noirs pour le second) mais aussi des mondes nouveaux. Les planètes imaginées par la science-fiction sont ainsi porteuses de riches discussions scientifiques, à l’aune des plus de 4 300 exoplanètes déjà découvertes et dont on ne peut qu’imaginer les conditions.
RHC : Dans cette optique, pourrait-on faire l’hypothèse d’une valeur expérimentale du récit de science-fiction, opérant comme une « expérience de pensée12 » exploitable par une science non expérimentale comme l’astrophysique ?
J’adhère tout à fait à l’idée d’interpréter la SF comme une expérience de pensée. C’est là une voie que la science-fiction partage avec les sciences naturelles qui en donnent de nombreux exemples. Le jeune Einstein, alors âgé de 16 ans, se demandait quelles seraient ses impressions s’il pouvait chevaucher un rayon de lumière. Expérience impossible à réaliser en pratique, mais que son esprit put concevoir et analyser. Quelques années plus tard, il en découla certaines des idées les plus profondes sur la cinématique de la lumière, dont les prolongements modifièrent radicalement notre conception de l’espace et du temps. Einstein réutilisa l’expérience de pensée lors de son travail sur le champ de gravitation durant lequel il eut, selon ses propres termes, l’idée la plus heureuse de sa vie. Que ressent un observateur en chute libre ? Einstein répond que, pour celui-ci, il n’existe aucun champ gravitationnel et conclut que la gravitation n’a qu’une existence relative. C’est le point de départ de sa théorie de la relativité générale, publiée en 1915. Science et science-fiction sont liées par cette capacité à interroger le réel par la pensée, en se posant la question « Et si… ? ». C’est aussi ce que pensait Robert A. Heinlein, grand auteur américain de l’âge d’or de la science-fiction. Lors d’une conférence donnée le 8 février 1957 à l’University College de Chicago, celui-ci déclara : « Au moyen de la science-fiction, l’humanité peut procéder en imagination à des expériences trop dangereuses pour être réalisées dans les faits. Par le biais de telles expériences de pensée, la science-fiction peut mettre en garde contre des solutions dangereuses et en promouvoir de meilleures. C’est pourquoi je soutiens que la science-fiction est la plus réaliste, la plus sérieuse, la plus significative, la plus saine et la plus humaine des formes de fiction publiées aujourd’hui. »
3. Visualisation du cosmos : entre science et science-fiction ?
RHC : Du cinéma à la bande dessinée, une bonne part de la science-fiction relève des arts visuels. Cette capacité à donner figure au cosmos est-elle susceptible d’intéresser l’astrophysique ? Est-il important, du point de vue cognitif, de pouvoir visualiser les objets astronomiques ?
Image et science sont indissociables : l’une explicite ce que l’autre produit. L’astrophysique produit des images (de nébuleuses, de surfaces planétaires, de virus, de la Terre vue de l’espace, etc.) et des représentations (système solaire héliocentrique, nuage électronique d’un atome vu comme un système planétaire, l’ordinateur comme analogue du cerveau, etc.) mais dans sa pratique, elle s’appuie bien plus sur des observations et des mesures chiffrées produites par les instruments (spectroscope, magnétomètre, collisionneur de particules, microscope à effet tunnel, etc.) et des raisonnements mathématiques abstraits (modélisation informatique de la structure du Soleil, équations dynamique de l’univers, équations de propagation de la lumière ou des interactions entre particules, etc.). Ce sont souvent ces représentations scientifiques qui, après avoir emprunté les voies de la communication scientifique, vont nourrir l’imaginaire du grand public en général et des auteurs de science-fiction en particulier. Ces derniers produisent en retour d’autres images, d’autres représentations. Détaillons un exemple : la machine à fusion inventée par le professeur Otto Octavius dans le film Spiderman 2 (Sam Raimi, 2004). Lors de sa démonstration publique, Octavius annonce qu’il a mis au point « une nouvelle source d’énergie, sûre et renouvelable », reproduisant le discours vulgarisé autour de la fusion thermonucléaire contrôlée. Une fois le processus de fusion déclenché, une sorte de Soleil miniature se forme au cœur de sa machine, sur lequel des éruptions en forme d’arches et des régions sombres sont nettement visibles. Si la ressemblance avec notre étoile n’est pas évidente pour le spectateur, pour un astrophysicien il est clair que le réalisateur s’est inspiré d’images scientifiques du Soleil, non pas en lumière visible mais en lumière ultraviolette ou en rayons X, comme celles obtenues par les satellites d’observation solaire Soho, Yohkoh ou Solar Dynamics Observatory. Ces longueurs d’onde donnent accès à la chromosphère, une région plus chaude et plus active que la photosphère visible : les images sont si spectaculaires13 qu’il paraît logique de les avoir choisies pour représenter notre étoile dans un film14, d’autant plus que la fusion thermonucléaire est toujours présentée comme la source d’énergie des étoiles. Si la machine d’Octavius relève de l’« impossible » au regard de ce qu’est réellement un réacteur à fusion comme le projet ITER, actuellement en construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône), elle est clairement inspirée par la vulgarisation scientifique qu’elle ne fait finalement que mettre en images.
RHC : Les artistes jouent-ils un rôle dans ces processus de visualisation des phénomènes ?
Pour que nous puissions visualiser les informations captées par nos instruments et se présentant souvent sous forme chiffrée, il faut d’abord transposer en images directement visibles les interactions qu’ils ont eu avec l’objet observé. Cette étape est indispensable pour se faire une idée de phénomènes radicalement hors de nos perceptions. Elle permet de montrer l’invisible, qu’il soit microscopique, macroscopique ou en dehors de la gamme de perception de nos sens, mais aussi de le rendre intelligible au plus grand nombre. Cette couche de transposition s’ajoute à la couche instrumentale qui s’interpose entre nos sens et le réel et elle relève pour partie de choix esthétiques15. Et c’est sans doute à cet endroit que se nichent nos biais culturels. Il est donc assez logique que les artistes aient produit des images d’inspiration scientifique, notamment pour la diffusion des sciences vers le grand public, mais aussi pour élaborer des formes visuelles qui n’ont jamais existé. C’est justement le thème du remarquable livre16 d’Elsa De Smet, traitant de la mise en image de l’astronomie et de l’astronautique à la fin du 19e siècle. Au moment où émerge l’idée d’une science pour tous, avec d’ardents promoteurs comme les astronomes François Arago et Camille Flammarion, les sciences s’allient aux arts pour mettre ces récits en image, avec une volonté didactique et de divertissement. Elsa De Smet analyse toute l’iconographie de la culture populaire, des astronomies populaires européennes aux pulps américains, pour comprendre comment et par quelles voies ces images sont devenues si efficaces et si souvent reprises. Elle montre aussi que ces images sont les témoins privilégiés de l’histoire des sciences et des techniques ainsi que de la communication à leur propos : pour scénariser les promesses d’un futur dans l’espace les images sont d’autant plus précises que les techniques d’observation le sont. Des premiers dessins de la Lune par Galilée aux photographies prises depuis le sol de notre satellite par les astronautes de la mission Apollo 11, on suit la façon dont ces images ont été absorbées par l’imaginaire collectif, ainsi que l’émergence du space art et de ses liens étroits avec les sciences. La descendance artistique de Lucien Rudaux et de Chesley Bonestell est nombreuse, notamment quand il s’agit de représenter les recoins les plus fascinants de l’univers comme les trous noirs17 ou les planètes lointaines18.
La recherche des exoplanètes est aussi friande de vues artistiques de mondes que l’on ne voit jamais directement. C’est l’occasion d’allier rigueur scientifique et imagination pour montrer ces mondes aux mieux des connaissances actuelles. Il est désormais possible d’explorer le zoo des planètes extrasolaires – géantes gazeuses, « super-Terre » et « mini-Neptune », et exo-Terre – et de voyager dans ces mondes étranges, de les rendre concrets alors qu’ils ont été découverts comme d’infimes variations de la vitesse radiale de leur étoile.
RHC : Les spécialistes utilisent une typologie des images scientifiques selon les variations des formes d’objectivité distinguant la vérité d’après la nature de l’image naturaliste, la saisie objective de l’image mécanique (photographie), l’image structurale (non figurative comme graphiques etc.), le jugement exercé qui réintroduit la part subjective du lecteur de l’image19. Aujourd’hui comment caractériser l’imagerie astrophysique ? Quelle est la part de l’hypothèse ou des possibles ?
L’astrophysique est une science de l’observation dont les progrès sont directement reliés aux évolutions techniques. L’imagerie astronomique a commencé par le dessin au crayon pour aboutir à des prises de vues argentiques, puis électroniques20 et désormais réalisées en plusieurs longueurs d’onde grâce à des télescopes au sol ou dans l’espace. L’invention de la spectroscopie au 19e siècle a marqué la naissance de l’astrophysique en donnant aux astronomes les moyens d’accéder, grâce à l’analyse de la lumière, à certaines caractéristiques physiques des astres comme la température, la composition ou la vitesse relative. D’abord photographiés, les spectres lumineux furent ensuite représentés sous forme de graphique représentant le flux en fonction de la longueur d’onde de la lumière. Ce type d’information (imagerie structurale) est devenu plus importante que l’image naturaliste. Enfin, nous avons depuis 2015 accès à une nouvelle fenêtre d’observation grâce aux trois détecteurs d’ondes gravitationnelles actuellement en service : ils mesurent l’amplitude de la déformation de l’espace-temps local en fonction du temps…
Depuis une trentaine d’années, la simulation numérique (calcul à haute performance) est devenue un outil essentiel et s’est généralisée à toutes les disciplines au point de devenir le « troisième pilier » de la recherche scientifique, aux côtés de la théorie et de l’expérimentation/observation. La simulation numérique permet notamment de remplacer les expériences qui ne peuvent être menées en laboratoire. En astrophysique, elle permet de simuler des phénomènes de temps trop longs (formation ou collision de galaxies, flambée de formation d’étoiles, évolution d’une étoile, …) ou trop courts (explosion d’une supernova, coalescence de deux trous noirs etc.) Elle est aussi productrice d’images synthétiques qui permettent de peaufiner le cahier des charges d’un instrument en cours de réalisation et d’optimiser le processus de traitement des images une fois celui-ci opérationnel. La simulation numérique vient aussi compléter le traitement des informations reçues sous forme lumineuse : les « cartographies » de la matière noire21 sont parfois présentées comme l’observation indirecte d’une réalité, alors qu’il ne s’agit, en toute rigueur, que d’une représentation obtenue par simulation numérique de ce que l’hypothèse impose pour rendre compte des observations. Enfin, l’informatique permet de manipuler et de représenter plus aisément des corpus de données qui deviennent gigantesques22. Un exemple emblématique est la mission européenne Gaia qui a produit en 2018 un catalogue comprenant la position, l’éclat, la distance et le mouvement propre de près de 1,7 milliard d’étoiles23. Prévue pour être lancée en 2020, la mission Euclid (2020) observera 10 milliards de galaxies sur les 100 milliards que compte l’univers observable. Nous sommes en train de recréer des vues anciennes en les constituant littéralement pixel par pixel…
4. Une astroculture ?
RHC : En 1969, après la mission Apollo 11, on dit qu’Hergé envoya une copie personnelle à Neil Armstrong d’un dessin publié par Paris Match dans lequel Tintin, le Capitaine Haddock, le Professeur Tournesol et Milou accueillent l’astronaute interloqué avec des fleurs et une bulle en plein centre du dessin : « Bienvenue sur la Lune, Mr. Armstrong ! ». Est-ce que la littérature d’anticipation prépare aux transformations du monde réel ?
La science-fiction a, au fil des découvertes, toujours accompagné le développement scientifique dans de nombreux champs disciplinaires : physique, informatique, biologie, génétique, écologie, etc. Elle a bien sûr largement contribué à populariser l’exploration spatiale mais ce n’est pas son but principal. Sous couvert d’évasion, voire de divertissement de masse, elle est plutôt un laboratoire d’expérimentations qui interroge notre monde et envisage les conséquences humaines et sociales des techniques. En développant un imaginaire rationnel, la science-fiction fait la pédagogie du rôle des sciences et des techniques et de leur importance fondamentale dans l’évolution des sociétés. De ce point de vue, elle est un discours qui peut préparer ou acclimater les lecteurs à l’impact social des techniques, comme chez Jules Verne, ou à l’idée qu’une culture scientifique fait partie intégrante de la citoyenneté future, comme chez Robert A. Heinlein.
Elle est aussi source de questions métaphysiques. Par exemple, le film Blade Runner (Ridley Scott, 1982) pose la question de la définition de l’humain, Matrix interroge notre définition de la réalité, Minority report (Steven Spielberg, 2002) traite du problème du libre arbitre, du déterminisme et de la prédictabilité des comportements, etc. D’après Serge Lehman, auteur de SF, scénariste de BD et critique, la science-fiction serait même métaphysique par essence24. De son côté, la science semble s’être débarrassée des questions métaphysiques depuis qu’au 18e siècle elle s’est engagée dans un processus de « purification ». De Pascal estimant la probabilité de l’existence de Dieu à Laplace affirmant à son propos « je n’ai pas besoin de cette hypothèse », une infinité d’arrière-mondes ont été liquidés par la pensée rationnelle. L’instrument de cette purge – l’exigence d’une vérification expérimentale ou observationnelle – semble pourtant s’être retourné contre ses inventeurs, particulièrement en physique quantique ou relativiste qui utilisent plusieurs notions contre-intuitives : superposition d’états, non localité, interaction entre observateur et observé, redéfinition de l’espace et du temps, non universalité de la simultanéité, etc. La physique fondamentale revient parfois sur le terrain de la métaphysique, par exemple à la jonction de la cosmologie et de la physique des particules : qu’y a-t-il avant le Big Bang ? Y a-t-il des dimensions spatiales supplémentaires ? Notre univers n’est-il qu’un sous-ensemble d’une structure plus vaste encore ? Science-fiction et science semblent avoir dépossédé la philosophie de la métaphysique, en tout cas quand il s’agit d’en parler en public.
RHC : Il y a aussi la question des catégories et des systèmes de valeurs. Pourrait-on dire que la science-fiction interroge, ou même qu’elle réaffirme car elle reste finalement assez classique dans ses conclusions, la pérennité de nos valeurs mises à l’épreuve des nouvelles connaissances, ou qu’elle questionne les transgressions possibles ?
La science-fiction défend souvent des positions assez classiques sur nos valeurs, mais elle pose aussi de nouvelles questions qui ne prennent leur sens que dans un contexte technique : peut-on laisser une machine tuer un humain de façon autonome ? Une intelligence artificielle peut-elle avoir des droits ? Avons-nous le droit de terraformer25 une planète ? Comment interagir avec des aliens ? La nouveauté technique, même si elle est peu plausible ou impossible, permet de créer des situations inédites.
RHC : Certains chercheurs en histoire ou en littérature considèrent que science et science-fiction participent conjointement à une élaboration intellectuelle et cognitive de l’espace (outer space), qu’elles seraient ensemble constitutives d’une « astroculture » (Alexander Geppert)26. Que pensez-vous de telles propositions ?
J’adhère à l’idée que sciences et SF construisent une culture commune, notamment sur la question de l’espace. Cette alliance est peut-être utilisée par Elon Musk quand il conçoit ses projets, et elle l’est explicitement quand il communique autour des réalisations de sa société SpaceX. Par exemple, en février 2018 la fusée Falcon Heavy réussissait son vol inaugural et mettait en orbite solaire un roadster rouge, ayant pour passager un mannequin en combinaison spatiale nommé Starman, en hommage à la chanson éponyme de David Bowie. Les références SF ne manquaient pas : tandis qu’en fond brillait la Terre et que jouait Life on Mars, l’écran du tableau de bord affichait le « Don’t panic ! » du Guide du Voyageur Galactique de Douglas Adams, la boîte à gants contenait un exemplaire du Fondation d’Isaac Asimov et l’un des circuits imprimés de la voiture portait l’inscription « Fabriquée sur Terre par des humains ». Cette mise en scène évoque irrésistiblement la première séquence du film d’animation Heavy Metal (Gerald Potterton, 1981) : une Corvette décapotable blanche, pilotée par un personnage en combinaison d’astronaute, sortait de la soute d’une navette spatiale avant de se précipiter vers la Terre au rythme endiablé de Radar Rider des Riggs. Cela n’avait aucun sens, c’était physiquement impossible et incroyablement excitant. Le message était clair et dans le ton de l’époque : on s’en moque, on le fait quand même.
La Falcon Heavy ne faisait qu’ouvrir la voie à la Big Falcon Rocket dont l’objectif est de remplacer les actuels vols longs courrier, d’abaisser le coût d’un voyage vers la Lune (SpaceX a signé un contrat avec le milliardaire japonais Yusaku Maezawa pour en faire le tour avec 6 à 8 autres personnes) et de réaliser un vol vers Mars dans un avenir proche. Musk veut faire de l’humanité une espèce multiplanétaire pour assurer la pérennité de notre espèce. Son volontarisme en matière spatiale pourrait alors être interprété, en écho à la séquence de Heavy Metal, comme une incitation à une fuite en avant totalement décomplexée : inutile de changer notre mode de vie, profitons-en au maximum car le progrès technique résoudra tous nos problèmes. Il semble d’ailleurs poursuivre sur cette voie avec son projet Starlink, une méga-constellation de 42 000 satellites pour accéder à internet depuis toute la surface de la Terre27. L’utilisation de l’imaginaire lié à l’aventure spatiale se comprend alors aisément : puisque la Terre est désespérément finie, allons trouver dans l’univers infini les ressources et la place qui nous manquent ! Mais remplacer le Go west young man ! de la conquête de l’Ouest par un Go up young man ! ne sera pas chose facile tant nous sommes loin d’être capables d’investir massivement l’espace interplanétaire comme dans la série télévisée The Expanse. Quitter la Terre ne sera pas une échappatoire pour l’humanité, sauf peut-être l’infime fraction de super-riches à la manière de ce que montre le film Elysium (Neill Blomkamp, 2013).
RHC : À vous entendre, l’imaginaire d’Elon Musk est ancré dans la culture rock et geek des années 1980, bien plus que dans la culture de l’anthropocène des années 2000. Que sait-on des lieux de formation et des circulations de cette astroculture ?
Elon Musk est né en 1971 et, vu ses centres d’intérêts, il doit parfaitement connaître la culture geek des années 80, notamment la science-fiction. Il est logique qu’il s’en serve pour que le monde s’« émerveille » devant ses projets, peut-être aussi afin de convaincre ses investisseurs et de créer une communauté autour de lui. Je n’ai pas de connaissances particulières sur les lieux de formation actuels de ces astrocultures, mais à l’époque de mon adolescence, sans internet alors que le moindre lancement de fusée était médiatisé, elles se formaient au double contact des clubs scientifiques (astronomie et micro-fusées) et de la science-fiction littéraire et cinématographique.
5. Évolutions récentes de la science-fiction
RHC : Certains travaux, comme ceux d’Irène Langlet, décrivent une alternance entre des phases d’autonomie des productions culturelles et des moments d’échanges avec l’astrophysique ou les nouvelles techniques spatiales. Serions-nous actuellement, selon vous, dans un de ces moments ? Est-ce que cela se traduirait par un retour à la hard SF (le mot date de 1957) ? Y a-t-il une concurrence de la science-fiction écologique du type collapsologie ?
La SF est une littérature-éponge qui s’imprègne et se nourrit des sciences et des techniques de son temps ainsi que des promesses et des peurs qui y sont liées. La SF de l’âge d’or (1930–1960) s’est développée, à une époque où les applications de la science et l’accroissement des moyens de production pouvaient paraître riches en potentialités. Les écrits d’auteurs comme Isaac Asimov dans les années 1950-1960 reflètent une large confiance dans les promesses techniques de l’énergie « atomique » — dans la ligne du programme des États-Unis Atoms for Peace — jusqu’à l’assistance des tâches humaines par une multiplicité de robots. Dans ce cadre, l’environnement naturel ne suscitait pas un intérêt autre que passager. Les années 1970 ont vu l’émergence d’une SF plus sensible aux questions écologiques et deux romans sont devenus des classiques : Make room ! Make room ! de Harry Harrison (1966) dont est tiré le film Soleil vert (Richard Fleischer, 1973) et Tous à Zanzibar (John Brunner, 1968) décrivent les effets de la surpopulation et les conséquences de la surexploitation des écosystèmes28. La même année que la publication du rapport commandé par le Club de Rome sur les limites de la croissance (The Limits of Growth, 1972) et que la première grande conférence de l’ONU sur l’environnement à Stockholm (1972), paraît Le troupeau aveugle (John Brunner) qui donne un condensé des angoisses imaginables. La SF poursuivit sa mutation en traitant des problématiques liées à l’informatique et aux réseaux (années 1980) et aux manipulations génétiques (années 1990). Maintenant, ces thématiques se combinent et le voyage dans l’espace est, me semble-t-il, nettement moins mis en scène, sans doute parce qu’il est désormais difficile de parler d’un avenir proche sans réchauffement climatique, sans disparition des écosystèmes, sans réfugiés climatiques, sans surveillance généralisée ou sans lutte pour l’eau ou d’autres ressources.
RHC : Par ailleurs, la science-fiction confronte traditionnellement les possibilités du futur à la subjectivité du héros, plus rarement de l’héroïne. La question du voyage spatial s’ouvre aujourd’hui à de nouvelles sciences, comme la psychologie, l’anthropologie, ou même le design, justement pour réfléchir aux enjeux subjectifs du projet. Comment la SF réagit-elle à ces transformations des savoirs de l’espace ?
J’ai l’impression que la SF a anticipé cette ouverture. Ce qui intéresse ses auteurs n’est pas tant la technique de propulsion d’un vaisseau interstellaire ou la construction d’une colonie spatiale que l’adaptation et l’organisation des humains aux conditions de vie dans ces structures artificielles. En 2002, l’agence spatiale européenne (ESA) a publié, avec la Maison d’Ailleurs29, une étude intitulée Innovative Technologies from Science Fiction30 dont le but était de passer en revue les œuvres passées et actuelles de science-fiction pour y rechercher des inventions et des innovations techniques méritant d’être développées plus avant pour être utilisées dans le domaine spatial, mais ce qui intéressait l’ESA concernait plus les scénarios d’usage que la solution technique promues par les œuvres. J’aurai donc tendance à dire que les agences spatiales se sont vraiment intéressées aux questions humaines une fois tous les points techniques parfaitement maîtrisés, tandis que la SF mit d’emblée l’humain au cœur de ses récits, n’utilisant la technique que comme moyen de placer ses personnages dans une situation nouvelle.
RHC : Finalement, à côté du savoir sérieux qui serait celui des astrophysiciens, comment pourrait-on caractériser les savoirs de science-fiction ?
Pour paraphraser Clausewitz31, je dirai que la science-fiction n’est peut-être rien d’autre que la simple continuation de l’imaginaire scientifique par d’autres moyens.