La sexualité au risque de la syphilis

Les photographies du musée de l’hôpital Saint-Louis dans les campagnes de prophylaxie (1900-1940)

Sexuality at the risk of syphilis. The Saint-Louis Hospital Museum’s photographies in the prophylaxis campaign (1900-1940)

DOI : 10.56698/rhc.1733

Résumés

La lutte contre la syphilis, empreinte d’une forte connotation morale et nationaliste, se recompose durant la première moitié du XXe siècle autour d’une vaste campagne de prophylaxie individuelle. Celle-ci vise à sensibiliser la population générale aux dangers de la syphilis en réaffirmant les normes reproductives, conjugales et sexuelles de l’époque. Cet article interroge le rôle spécifique de la photographie dans cette entreprise. En servant tout à la fois de lieu d’exposition et d’agence de diffusion, le musée de l’hôpital Saint-Louis, qui est alors le siège de la jeune syphiligraphie, devient rapidement le centre névralgique de la propagande imagée contre la syphilis. Ses larges collections de photographies montrant les plus impressionnantes conséquences de la maladie sur les corps sont utilisées afin de véhiculer un sentiment d’effroi face à la syphilis qui participe à sa stigmatisation. Cette stratégie du choc visuel et du dégout semble singulier par rapport aux autres médias mobilisés dans les campagnes de prévention. Néanmoins, les discours que la photographie charrie se déploient différemment selon les personnes visées. Si la syphilis touche massivement toutes les franges de la société, l’examen du corpus au prisme des questions de genre, de race et de classe montre comment les photographies répondent autant à un objectif de prophylaxie que de réaffirmation de l’ordre social.

During the first half of the 20th century, the fight against syphilis was recomposed around a vast campaign of individual prophylaxis. This campaign aimed to make the general population aware of the dangers of syphilis by reaffirming the reproductive, marital and sexual norms. This article examines the specific role of photography in this undertaking. By serving as both an exhibition space and a distribution agency, the Hospital Saint-Louis Museum, which was then the headquarters of the young syphilography, quickly became the centre of the visual propaganda against syphilis. Its large collections of photographs showing the most impressive consequences of the disease were used to convey a sense of dread about syphilis that contributed to its stigmatisation. This strategy of visual shock and disgust seems singular compared to other media used in prevention campaigns. Nevertheless, the discourses carried by the photograph are deployed differently depending on the people targeted. While syphilis massively affects all sections of society, the examination of the corpus through the prism of gender, race and class shows how the photographs respond as much to a prophylactic objective as to the reaffirmation of the social order.

Index

Mots-clés

hôpital Saint-Louis, syphilis, photographie, prophylaxie, ordre social 

Keywords

hôpital Saint-Louis, syphilis, photography, prophylaxis, social order 

Plan

Texte

La syphilis se répand en Europe depuis la fin du XVe siècle mais n’est constituée en France comme problème public1 qu’à la fin du XIXe siècle. Elle n’est alors plus perçue comme une simple condition sur laquelle on ne peut pas agir mais comme un problème qui appelle un certain nombre d’interventions des autorités légitimes, à l’aune des conceptions hygiénistes de l’époque mais aussi de l’implication accrue du corps médical en politique sous la IIIe République2. La solution s’accompagne alors d’une forte propagande qui participe à la publicisation du problème jusqu’à l’obsession3. Le « péril vénérien4 » se meut en une cause primordiale autour de laquelle se noue le mythe d’une possible dégénérescence de la Nation toute entière, la transmission sexuelle de la maladie ajoutant une forte composante morale à cette lutte.

D’abord perçue comme une maladie de la débauche, dont l’infection ne serait que la juste punition de la faute originelle ayant mené à la contamination, la lutte antisyphilitique est organisée dans un premier temps à travers le ciblage et la surveillance de certaines catégories de la population5. Au début du XXe siècle, les membres du corps médical qui se sont constitués en une jeune spécialité consacrée à cette maladie, promeuvent une nouvelle approche : la prophylaxie individuelle6. Il s’agit dès lors de sensibiliser la population générale aux dangers de la syphilis afin de l’endiguer. Pour cela, il faut communiquer auprès de tout un chacun autour d’un sujet considéré durant longtemps comme honteux. En contrepoint de la mise au ban des mœurs jugées déviantes, la prophylaxie individuelle martèle un discours visant à réaffirmer les normes reproductives, conjugales et sexuelles.

La Société française de prophylaxie sanitaire et morale fondée en 1901 est au cœur de la mise en place de cette nouvelle étape de la propagande antisyphilitique, qui s’accélère et atteint son acmé dans les suites de la Première Guerre mondiale. Les supports utilisés pour cette entreprise de prévention sont multiples : les études portant sur le cinéma7, la littérature8, les brochures ou les affiches9 tout comme les enjeux politiques10 qu’ils sous-tendent ont été nombreuses. A contrario, la place de la photographie dans cette entreprise reste assez méconnue. Dans la lutte antivénérienne, elle est pourtant un outil qui participe à la médicalisation de la sexualité, par sa capacité à exposer les conséquences des pratiques sexuelles – notamment celles jugées déviantes – mais aussi plus trivialement à donner à voir les organes génitaux.

Cette mise en image se généralise avec l’institutionnalisation de la syphiligraphie comme spécialité autonome au tournant du XXe siècle. Concomitamment, les améliorations techniques du médium photographique impliquent un coût réduit, une facilité de prise de vue, une plus grande capacité à être reproduites et donc à circuler. Cela s’ajoute à la croyance en son objectivité11, en sa capacité à créer des ensembles de documentation exhaustive12 ainsi qu’à son apparente modernité. Ce sont autant d’arguments en faveur de son emploi institutionnalisé par la jeune syphiligraphie. À Paris, l’hôpital Saint-Louis est le siège de cette nouvelle spécialité. Il concentre les moyens permettant la constitution de larges corpus iconographiques dédiés à cette pathologie, notamment grâce à son musée et son atelier de photographie créés en 1868. Les usages des images ainsi produites et conservées semblent nombreux dans le cadre de la lutte antisyphilitique : exposition dans le musée, circulation des photographies dans le cadre de publications ou encore utilisation pour des conférences avec projections lumineuses organisées par le musée ou par la Société française de prophylaxie sanitaire et morale. C’est en regardant au cœur des collections photographiques du musée de l’hôpital Saint-Louis que cet article se propose d’interroger la place et le rôle de la photographie dans la campagne de prophylaxie individuelle de l’entre-deux-guerres.

Le fonctionnement du musée de l’hôpital Saint-Louis et l’utilisation de ses collections in situ comme hors de ses murs, dans le cadre de la prophylaxie individuelle, constitue le point d’entrée de cette réflexion. Un regard porté sur ces collections fait ensuite émerger les discours portés par l’image photographique et leur singularité par rapport aux autres médias utilisés lors de la propagande antisyphilitique. La photographie semble particulièrement propice à véhiculer un sentiment d’effroi face à la maladie, ce qui participe à sa stigmatisation. Néanmoins, les discours qu’elle charrie se déploient différemment selon les personnes visées. Si la syphilis touche massivement toutes les franges de la société, l’examen du corpus au prisme des questions de classe, de genre et de race montre ainsi comment les photographies participent autant à la prévention contre les maladies vénériennes qu’à la réaffirmation de l’ordre social.

L’article s’appuie sur un corpus de plus de quatre cents photographies issues des collections du musée de l’hôpital Saint-Louis aujourd’hui versées aux archives de l’APHP13. Toutes sont annotées d’un diagnostic de syphilis, d’hérédo-syphilis ou de symptômes considérés alors comme caractéristiques de la pathologie. Elles montrent dans de très nombreux cas des corps largement affectés, dans des états de délabrement avancés. Très peu sont anonymisées et de nombreux gros plans se concentrent sur les affections des organes génitaux. Cela n’est pas le fruit du hasard, mais bien d’une recherche de l’effroi, de la stigmatisation pour ses vertus de persuasion, dans le cadre de la propagande antivénérienne comme nous en discutons dans la suite de l’article. Pour autant, la remise en circulation de ces images n’est pas anodine. Afin de ne pas réitérer la violence du geste initial, nous avons fait le choix de restreindre volontairement les illustrations de l’article à quelques photographies qui, à défaut d’être représentatives du corpus, sont anonymes et peu choquantes. Les autres sont décrites et référencées au même titre que les sources écrites, afin de ne pas entraver la possibilité de recouper les sources à l’origine de cet article.

Le musée de l’hôpital Saint-Louis, centre névralgique de la diffusion de photographies antivénériennes

Les collections photographiques du musée de l’hôpital Saint-Louis regorgent d’images montrant les conséquences de la syphilis. À Paris, cet hôpital est au cœur de l’organisation et de la spécialisation de la dermatologie depuis le début du XIXe siècle. Il devient naturellement le centre névralgique de la jeune syphiligraphie à partir de la seconde partie du siècle sous l’impulsion du célèbre Pr. Alfred Fournier, professeur de clinique des maladies syphilitiques, puis premier détenteur de la chaire de clinique des maladies syphilitiques et cutanées14. Emboîtant le pas à la dermatologie qui a systématisé depuis Jean-Louis Alibert15 la représentation graphique des pathologies de la peau, la syphiligraphie, emploie l’illustration afin de documenter les multiples manifestations de la maladie qui la préoccupe. Le procédé s’inspire largement de la botanique : il s’agit de comparer et classer les familles de symptômes à l’aune de leur apparence. À la fin du XIXe siècle, ce modèle est pourtant considéré comme relativement dépassé, étant un frein à une spécialisation qui souhaite afficher sa modernité en embrassant l’anatomo-pathologie16, qui consiste alors plutôt à trouver le siège anatomique dans lequel se loge le mal. Mais la syphilis semble s’accommoder assez mal de ce nouveau paradigme médical. En effet, la syphilis, souvent décrite comme « la grande simulatrice », se distingue par la multiplicité des formes de ses symptômes qui semblent imiter de nombreuses autres pathologies. Sans autre possibilité de diagnostiquer par des méthodes biomédicales17, la description très précise des diverses manifestations de la maladie est naturellement au cœur des préoccupations des médecins syphiligraphes, d’autant plus qu’un retard de diagnostic d’une telle maladie peut entraîner une circulation plus importante de la pathologie. Le musée et le service photographique, ouverts au sein de l’hôpital Saint-Louis dès 1868, conservent et diffusent les productions issues de cette pulsion scopique de la syphiligraphie. C’est le cas dès leur création, comme en témoigne le premier atlas photographique issu de son activité dans lequel les syphilides occupent une cinquantaine des cent-cinquante pages que comporte l’ouvrage consacré à l’ensemble des maladies de la peau18. Lors de l’accélération de la propagande antivénérienne dans les années 1910, le musée, dont l’objectif initial est de se consacrer à l’enseignement, semble se transformer pour le corps médical en un outil privilégié dans la lutte antivénérienne. Ses collections s’avèrent alors être un formidable outil pour en diffuser les discours et les illustrer.

Pourtant, malgré la pluralité médiatique de ses collections (aquarelles, dessins, gravures, peintures, photographies), le musée de l’hôpital Saint-Louis est principalement considéré comme un musée de moulages, grâce à la production de Jules Baretta qui intervient auprès des médecins dès 186319. Pour autant, la photographie a aussi toute sa place au sein de de ce musée qui en conserve, en achète et en expose20, au point que soit créé un musée annexe consacré à ce médium en 192021.

Bien qu’onéreuse et fastidieuse, la technique du moulage permet de constituer une collection d’exposition qui participe au rayonnement de l’hôpital : elle impressionne par son niveau de détail, sa virtuosité technique, sa restitution soignée des affections de la peau, en trois dimensions et en couleur. En ce sens, elle offre une vitrine des fastes et des savoirs de la dermatologie et de la syphiligraphie françaises, comme en témoignent les nombreuses utilisations du musée lors d’évènements internationaux22. La photographie paraît à ses côtés n’être qu’une technique crue et relativement sommaire23. Toutefois, la massification de la lutte antisyphilitique, que prône le monde médical à l’aube du XXe siècle et qui atteint son acmé dans l’entre-deux-guerres, ne peut pas se contenter des visites du musée de l’hôpital Saint-Louis, ni de prêts de moulages en cire difficiles à transporter.

Dans ce contexte, les médecins tirent profit de ce qui apparaissait comme des apories du médium photographique face aux moulages dans le cadre de l’exposition muséale. Au passage du siècle, à l’aune de ses nombreuses améliorations techniques, la photographie a des avantages tant pratiques qu’économiques qui la rendent particulièrement appréciable pour faire circuler les discours de prophylaxie. Les moulages de Baretta sont d’ailleurs largement photographiés par le musée pour permettre leur circulation au-delà de ses murs (Fig.1)24.

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Tirage au gélatino-bromure d’argent contrecollé sur carton, 1937, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W551

© APHP

Fig.1 - René Maire, Moulages du musée de l’hôpital Saint Louis représentant des syphilides pustulo-crustacés de la face, gommes syphilitiques et chancres syphilitiques.

De plus, l’apparente crudité des photographies qui semblait, dans le cadre du faste muséal, peu à même d’impressionner la communauté médicale internationale, se révèle être un atout dans la recherche d’un sentiment d’effroi à des fins de prophylaxie à destination du grand public.

Le musée de l’hôpital Saint-Louis disposant d’un atelier de photographie actif et d’une grande collection, tout en étant au cœur de l’institution de référence concernant la syphiligraphie, est rapidement utilisé en tant que réservoir d’images pouvant servir à la propagande. Dès 1902, la Société de Prophylaxie sanitaire et morale instaure une Commission spéciale dite de « photographie », afin de pouvoir repérer et reproduire les photographies pouvant servir à la lutte antivénérienne. Elle est composée du Dr. Renault, du Dr. Louis Wickham, qui est alors conservateur du musée de l’hôpital Saint-Louis et qui s’est notamment distingué par son implication pour augmenter les crédits alloués au service photographique, et du Dr. Sottas, qui participe alors à l’atelier de photographie de Saint-Louis25. Dès le début du XXe siècle, les collections du musée de l’hôpital Saint-Louis sont donc mises au profit de l’entreprise de prophylaxie de la syphilis par les médecins les plus impliqués.

Le mouvement s’accélère dans les années 1910, moment de grands bouleversements au musée de l’hôpital Saint-Louis. Alors que la première mention d’un musée dédié à la photographie précède la création du musée principal26 et que l’idée semble revenir comme une litanie au cours du dernier tiers du XIXe siècle, le projet refait surface avec force à partir de 1913. Cette année est charnière dans l’organisation interne du musée. Elle est marquée par l’arrivée d’un nouveau conservateur, Léon Brodier, qui porte dès son arrivée le projet de musée de photographies, ainsi que par la cessation d’activité de Jules Baretta, le mouleur de l’hôpital. La technique du moulage, alors en perte de vitesse, va perdurer de façon bien moins systématique, avec dans un premier temps M. Cordenot27, puis avec le mouleur et photographe Niclet28. De façon presque concomitante, le Docteur Brocq, éminent dermatologue et syphiligraphe, va commencer à travailler avec un nouveau photographe dénommé M. Schaller suite au départ du Dr. Sottas, et lui demander de photographier de façon systématique tous les malades de son service. À partir de 1912, ce dernier va s’employer à réunir et classer tous les clichés existants dans les collections du musée de l’hôpital Saint-Louis, en plus d’enrichir quotidiennement l’ensemble de ses productions29. Décrit dans les rapports comme un photographe amateur « zélé » et « téméraire »30, il va obtenir un local en 1920 pour y installer un musée dédié à la photographie, annexe du musée des moulages, avant qu’on ne l’honore du titre de « fondateur du musée de photographie »31 lors de son départ à la retraite en 1935. Longtemps considéré par la littérature comme un projet n’ayant jamais abouti32, les archives font au contraire état d’une institution prolifique ayant largement contribué à la production et à la circulation des photographies médicales. Lors de son ouverture en 1920, le musée conserve 4560 photographies dont 355 vues de projections33. La collection a plus que sextuplé34 lors du départ à la retraite de M. Schaller quinze ans plus tard.

De cette nouvelle dynamique émerge une intensification des visites éducatives du musée des moulages comme de ses annexes, notamment grâce à l’intervention d’un certain nombre d’acteurs intermédiaires. Si dans les décennies précédentes le musée avait déjà été utilisé par les médecins et la Société de prophylaxie sanitaire et morale à ces fins, les années d’entre-deux-guerres voient se multiplier les visites menées par des groupes spécifiques, et notamment des partis politiques ou des syndicats. Jeunesses républicaines35 ou syndicalistes36, Touring club37 ou semaines sociales38, tous publient dans la presse généraliste ou spécialisée les annonces pour les visites qu’ils organisent dans les années 1920 ou au début des années 1930. Alors qu’à la fin du XIXe siècle, lors de l’exposition universelle de 1889, le musée de l’hôpital Saint-Louis avait offert au grand public les émotions des musées de foire39, il est désormais largement utilisé pour éduquer la jeunesse aux dangers de la syphilis40.

Les vertus du musée et de sa collection se déploient également hors des murs de l’institution. Le grand nombre de prêts et de reproductions dont témoignent les archives41 semble montrer que le musée de l’hôpital Saint-Louis, et plus encore son annexe dédiée à la photographie, sont dès leur origine utilisés comme lieux de conservation et de diffusion des images, auprès desquels se tournent les éditeurs, les auteurs mais aussi les médecins et organismes désireux de faire des conférences de prophylaxie accompagnées de projection lumineuse. Ainsi dès le début du XXe siècle, et de surcroît après l’arrivée de Schaller en 1912, la collection photographique du musée va au-devant des citoyens et n’attend plus leur visite. Le musée de l’hôpital Saint-Louis et ses annexes sont des lieux dans lesquels la prévention antivénérienne se fait tant in situ, à travers la visite de ses collections, que hors de ses murs, à travers la circulation de ses collections iconographiques.

Choc visuel et effroi : la photographie comme compensation à la pondération des discours antivénériens

Lors de la seconde conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis et des maladies vénériennes de 1902 qui se tient à Bruxelles, le Dr. Burlureaux, dans une intervention consacrée à la prophylaxie individuelle, insiste sur l’utilisation de supports visuels pour susciter la « salutaire terreur »42. Au même titre que les années 1990 ont vu circuler dans les journaux les portraits de personnes atteintes du sida aux dernières heures de leur vie ou qu’aujourd’hui les photographies ornant les paquets de cigarettes montrent les atteintes les plus impressionnantes liées au tabagisme, la prophylaxie de la syphilis se fait par le prisme du choc visuel et de la peur. Pour la provoquer, la collection photographique du musée de l’hôpital Saint-Louis s’avère d’une grande richesse : un très grand nombre de photographies montrent des syphilis tertiaires, c’est-à-dire au stade terminal de la maladie quand l’infection n’épargne plus aucune partie du corps, ou des symptomatologies particulièrement impressionnantes. Cette prévalence des formes les plus graves s’explique en partie par la façon dont la collection est constituée institutionnellement : le versement de photographies au sein des collections du musée se fait systématiquement lorsqu’un chef de service demande qu’une prise de vue soit réalisée d’un de ses patients. Or, comme il est précisé dans la circulaire du Directeur Général de l’Assistance Publique au moment de la création de l’atelier de photographie, la demande de photographie pourra être faite par un chef de service pour « conserver par la photographie un cas pathologique exceptionnellement intéressant43». Chaque demande entraîne alors le versement de deux exemplaires au musée44. Dès sa création, cette disposition crée de nombreux débats entre les médecins de l’hôpital Saint-Louis : il y a ceux qui considèrent qu’il faut changer les conditions de versement pour permettre au musée d’avoir une collection représentative et exhaustive de toutes les pathologies courantes qu’un jeune médecin peut rencontrer dans l’exercice de ces fonctions45, et ceux qui préfèrent ces modalités originelles qui façonnent une collection de cas rares et exceptionnels. Faute de modification en profondeur du mode de versement, ce sont naturellement les cas pathologiques les plus graves et les plus impressionnants qui se trouvent surreprésentés dans la collection. Ainsi, c’est la spectacularité qui prévaut à la constitution de la collection photographique du fait de l’organisation administrative du musée, malgré « l’utopie encyclopédique »46 du médium photographique et les quelques campagnes systématiques de prises de vue qui auraient pu participer à produire une collection exhaustive des manifestations typiques de cette maladie aux formes symptomatiques si tentaculaires. Cela se remarque encore dans les photographies aujourd’hui conservées, lesquelles ont fait l’objet de sélections successives : celles dont les annotations sur le tirage mentionnent la syphilis représentent très majoritairement des formes extraordinaires.

C’est sur cet ensemble photographique que s’appuie une part importante des discours imagés sur la syphilis qui se déploient lors de l’accélération de la propagande antivénérienne. Si les mots se font moins durs durant cette période de prophylaxie individuelle, le corps médical se voulant plus compréhensif et parlant de maladies non honteuses et d’erreurs de jeunesse, il semblerait que la photographie permette par le choc visuel de faire perdurer la stigmatisation des malades et la prévention par la peur. « Pour vous persuader du danger, il suffira de vous montrer des faits, c’est-à-dire des clichés de projections. Les faits parleront d’eux-mêmes et vous persuaderont », peut-on lire en introduction d’une séance de projection lumineuse antivénérienne47. Dans les mêmes années, le cinéma comme la littérature participent à la propagande en multipliant les récits dramatiques de familles brisées par la syphilis, en raison de l’infidélité d’un père ou du mensonge d’un fiancé48. Le discours moralisateur cherche à faire comprendre les malheurs engendrés par l’inconséquence individuelle. Généralement, se dessine en contrepoint l’histoire d’un malade qui, suivant scrupuleusement les conseils du corps médical, vit heureux et en bonne santé49.

Les conférences avec des plaques de projection semblent ne pas s’encombrer de ces contes initiatiques qui visent à persuader par la compassion et l’empathie vis-à-vis des protagonistes de ces récits. Avec ce médium, c’est par le choc visuel que la prévention démarre, et par la croyance en la valeur probatoire de la photographie afin que le public ne puisse plus « accuser [les médecins] d’exagérer »50. Ce n’est qu’après avoir été mis en face des plus impressionnantes manifestations de la maladie, de portraits d’hommes et de femmes dont la face n’est plus qu’une plaie, que démarre le discours moralisateur et rédempteur. Le choc photographique est pensé comme un préalable nécessaire qui permet de se persuader du danger, la peur mettant en condition d’écouter les propos médicaux. En 1928, le bulletin de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale rapporte une discussion concernant les moyens de la propagande imagée en réponse au programme d’action exposé par le Dr. Gougerot51. Sicard de Plauzoles déclare :

Pour attirer le public, il faut montrer n’importe quel film, « Napoléon », etc., mais pour faire l’éducation du public, rien ne vaut l’image fixe ou la photographie, l’image qui reste sous les yeux, car le public a le temps de la graver dans sa mémoire, et le conférencier a le temps de la commenter52.

Les films prophylactiques sont décrits quant à eux par le médecin comme des produits d’appel qui « allongent la conférence sans grand résultat »53.

Dans les archives de l’APHP, parmi les nombreux tirages photographiques montrant des syphilis avancées, une boîte de plaques de projection utilisée pour une conférence de prophylaxie antivénérienne organisée par M. Schaller est conservée54. Chaque plaque de verre destinée à la conférence est surmontée d’une étiquette indiquant les acteurs de cet évènement : « Conférence de prophylaxie anti-vénérienne. Collection choisie par M. le Dr. Pautrier parmi les documents photographiques du service de M. le Dr. Brocq et les moulages du musée. Présentée par M. Schaller, Hôpital Saint Louis ». La collection du musée sert ainsi de catalogue à partir duquel construire une séance de projections lumineuses antivénériennes. Si l’ensemble n’est pas daté, il est constitué entre l’arrivée de M. Schaller au côté du Dr. Brocq en 1912, et le départ Dr. Pautrier, élève de ce dernier, qui prend la direction de la clinique dermatologique de Strasbourg à partir de 191955. Les collections et les archives ne gardent pas la trace du discours tenu durant la projection des photographies conservées dans la boîte, mais leur numérotation permet de reconstituer leur ordre et ainsi de comprendre l’organisation du propos. Dans un contexte d’intensification de la prophylaxie individuelle cherchant à éduquer la population à reconnaître et à éviter la transmission de la maladie, la conférence semble se dérouler autour d’une montée progressive du dégout, de l’effroi et de la peur.

L’ensemble est constitué de vingt-cinq images56, dont dix montrant des visages dont les yeux ont été masqués lors du tirage afin d’anonymiser les malades (Fig. 2).

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Diapositive monochrome sur verre, 1912, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W345.

© Archives de APHP

Fig. 2 - Jules Sottas, Chancre induré de la langue (énorme induration).

Ces mêmes images sont utilisées pour illustrer le Précis-Atlas que le Dr. Brocq publie en 192157. À la différence que pour cette utilisation strictement médicale, puisque l’ouvrage est à destination des médecins et des étudiants en médecine, tous les clichés ont été recadrés sur les lésions, faisant ainsi disparaître les visages déformés par la maladie pour ne laisser que les très gros plans sur les chancres, papules et autres lésions (Fig. 3). Lors de leur diffusion auprès d’un grand public, les visages sont à l’inverse volontairement conservés dans le cadre, bien que les yeux soient masqués, afin d’accentuer l’effroi et la capacité d’identification de l’auditoire au malade représenté.

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©Source gallica.bnf.fr / BnF.

Fig.3 - Louis Brocq, Précis-Atlas de pratique dermatologique, Paris, Gaston Doin, 1921, Planche LXXII.

Durant la conférence de M. Schaller, les sept premières images montrent des chancres indurés situés sur la bouche, la langue, les doigts, le mamelon ou la vulve. Ces ulcérations, dont les exemples représentés sont pour certains particulièrement impressionnants, sont des manifestations typiques de la première phase de la syphilis. Leur reconnaissance par le grand public est ici un enjeu important, car il s’agit d’un stade précoce de la maladie dont les manifestations encore peu impressionnantes doivent malgré tout conduire à une consultation. Cette délégation de l’acte premier de diagnostic aux malades eux-mêmes est une composante importante de la prophylaxie individuelle. La suite des projections montre l’aggravation progressive des atteintes, de la roséole aux atteintes osseuses, de la syphilis secondaire à la tertiaire, des petites lésions du buste aux défigurations les plus extrêmes. La vingt-deuxième plaque de verre permet de projeter une « syphilide cutanée et osseuse », autrement dit un homme dont une partie du crâne a été rongée par l’affection. Après cette vision, l’image suivante montre les jambes d’une très jeune enfant âgée de quelques mois délicatement découverte par des mains adultes. Les membres sont recouverts de petites papules squameuses (Fig. 4).

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Diapositive monochrome sur verre, 1912, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W345.

© Archives de APHP

Fig.4 - Jules Sottas, Hérédo Syphilis, Syphilides papulo-squameuses des membres inférieurs avec parésie.

Cette image inaugure la dernière partie des photographies, celle consacrée à l’hérédosyphilis, cette supposée forme héréditaire de la maladie, à laquelle les parents fautifs condamneraient leur descendance58. La dernière image est celle d’une enfant de quelques années, dont l’état de la joue est semblable au crâne du dernier adulte dont l’image a été projetée. La lésion a probablement été rehaussée par le dessin, comme cela se remarque souvent sur les tirages papier : la plaie apparaît particulièrement nette, comme creusée davantage par le trait de crayon.

L’organisation de cette conférence est relativement codifiée. Ainsi, la même montée de l’effroi et le même basculement vers l’hérédosyphilis se retrouvent dans un fascicule qui accompagne la mise en place d’autres évènements similaires au musée pédagogique de Paris59 en 1919, à destination « des femmes ouvrières »60. Le texte accompagnant chaque projection d’images a pour objectif de renforcer par les mots le choc visuel : les exclamations et les cris d’effroi se conjuguent aux propos alarmistes et aux descriptions mélangeant le registre du dégout à un vocabulaire proprement médical. Le propos opère là aussi dans sa dernière partie un déplacement de la peur, de celle concernant sa propre infection à la culpabilité d’y condamner sa progéniture. Le texte lié à ce passage prévient ainsi : « Ces nombreux faits de syphilis des adultes sont assez effrayants ; qu’allez-vous ressentir devant les ravages chez les enfants de ces syphilitiques ?61 ». Ce glissement n’est pas anodin, la lutte contre la syphilis étant largement liée à la question des normes reproductives et des politiques de natalité dans la période de l’entre-deux guerres.

La photographie antivénérienne au service de la réaffirmation des normes et de l'ordre social

La prophylaxie individuelle se veut un outil pour éviter la transmission de la syphilis. Comme le disent les slogans d’alors, ce n’est pas la maladie qui est honteuse, c’est le fait de la transmettre62. Ce qui peut apparaître comme un changement de paradigme n’est en réalité qu’une adaptation du discours médical face à l’échec de la seule stigmatisation des malades, afin de les encourager à se présenter à des dispensaires. À la condamnation de « la faute morale » qu’implique une infectation se substitue l’idée qu’une vie saine et conforme au respect de l’ordre social permet à la fois de guérir et de ne pas se rendre coupable d’une contamination. Cependant, cette responsabilisation individuelle face à la maladie et à sa diffusion n’est pas uniformément répartie dans les catégories de la population. Dans une période obsédée par la mise à mal de la vigueur nationale et de la pureté de sa supposée race63 au lendemain de la Première Guerre mondiale, le discours antivénérien contribue à la différenciation et à la stabilisation des hiérarchies de classe et de genre, en codifiant les responsabilités de chacun face à cette maladie qui met à mal les ambitions natalistes et nationalistes de la France (Fig. 5).

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Affiche lithographique, en couleur, 60 x 80 cm, 1920.

©Source gallica.bnf.fr / BnF

Fig.5 - Société française de prophylaxie sanitaire et morale, La Syphilis maladie héréditaire assassine la race. Femmes combattez la !

La lutte antivénérienne touchant à la sexualité et à sa régulation s’appuie largement sur des préconceptions morales qui ne sont pas exemptes des stéréotypes de classe, de genre ou de race. Parce qu’il s’agit d’exposer devant les yeux de toutes et tous des photographies d’organes sexuels et de parler des conséquences d’une maladie liée à la sexualité, la propagande antisyphilitique se situe toujours sur la ligne de crête64. Le choix et l’usage des photographies sont ainsi particulièrement précautionneux afin de passer outre les accusations d’atteinte aux bonnes mœurs et d’obscénité. Ils se font dès lors l’écho de ce traitement différencié et ciblé de la lutte antivénérienne. Dans le fascicule accompagnant la conférence antivénérienne réservée aux femmes, et présentée plus spécifiquement aux ouvrières, les précautions prises face au tabou que constituent l’exposition et la monstration d’organes génitaux sont nombreuses. Le Dr. Gougerot met en place et écrit cette conférence en 1919. Il pratique à l’hôpital Saint-Louis, est un utilisateur important du service photographique du musée65 et va au-devant des critiques qui pourraient lui être faites :

Un préjugé séculaire fait de ces maladies « des maladies honteuses » dont on ne doit pas parler, surtout à des femmes : n’est-ce pas une hypocrisie et un danger ? […] Le sujet est délicat et je ne m’en dissimule pas les difficultés. Peut-être serai-je critiqué d’avoir osé vous parler de ces maladies. Mais votre intérêt, celui de votre famille et de vos enfants est ma seule pensée, et je crois qu’il y aurait de la lâcheté civique et un véritable danger national à vous taire ces vérités66.

Dans les séances de projections comme celle-ci, le seul tabou n’est pas de parler mais bien de montrer, c’est pour cela que ces dernières se font en non-mixité : les discours sont adaptés à chaque sexe mais surtout les photographies sont sélectionnées en fonction de ce critère. Ainsi la Société de prophylaxie sanitaire et morale constitue, à partir des collections des musées hospitaliers et notamment de celui de Saint-Louis, deux conférences pour le Musée pédagogique de Paris : une à destination des femmes et l’autre pour les hommes67. Les images représentant des organes sexuels varient dans l’un ou l’autre cas. Dans le fascicule de la conférence de Gougerot à destination des ouvrières, il est indiqué au conférencier la consigne suivante, concernant un cliché montrant un chancre et ses complications : « Cacher par un papier opaque noir découpé et soigneusement collé la partie du cliché qui représente l’organe génital mâle68 ». La conférence organisée par M. Schaller au musée de l’hôpital Saint-Louis, quant à elle, ne comporte aucune vue de pénis, mais deux gros plans sur des vulves.

Au-delà de la monstration des organes sexuels, le discours qui accompagne les clichés s’adapte aux attendus de genre. Dans les conférences de l’après-guerre, les femmes sont visées spécifiquement par les conférences antivénériennes en qualité de mères, de procréatrices, de porteuses de la question du care dans leur communauté, de responsables du bien-être de leur famille et de leurs proches69. Le texte accompagnant les photographies dans la conférence du Docteur Gougerot débute ainsi : « Françaises, soyez averties des maladies graves et pourtant évitables. Soyez des éducatrices70 ». C’est à ce titre que la conférence entend les informer en priorité : afin qu’elles se fassent le relai de ces conseils auprès de leur communauté toute entière. À plusieurs reprises, au cours du texte aux accents dramatiques et aux emphases nombreuses, la personne donnant la conférence les exhorte donc à être « des éducatrices » devant se préserver de la maladie, mais devant aussi assumer et transmettre cette responsabilité auprès de leur « famille », de leurs « enfants » et de leur « entourage »71. La sensibilisation des femmes ouvrières est d’autant plus importante que la syphilis est perçue dans ces années d’après-guerre comme un problème démographique72. Elles font l’objet d’une attention particulière dans une époque où la reconstruction de la Nation passe par la reconstitution rapide d’une classe ouvrière en forme :

Mais nous ne vous demandons pas la continence éternelle, votre devoir de Française est de vous marier le plus tôt possible, si votre santé est bonne, afin de fonder une famille et de donner à la France de petits Français sains et vigoureux73.

La question démographique est omniprésente, comme par exemple en 1922 dans un ouvrage collectif réunissant plusieurs médecins défendant l’intérêt de l’éducation sexuelle à des fins de prophylaxie antivénérienne. Dans ce manuel, le Dr. Jeanselme, un syphiligraphe alors actif à Saint-Louis, publie un texte intitulé « Gravité et importance sociale de la Syphilis ». Dans celui-ci, il écrit :

Pour l’individu, c’est l’interruption temporaire du travail ou tout au moins l’amoindrissement de la capacité productive, à laquelle correspond nécessairement une diminution de salaire. […] Pour la société, c’est le gaspillage du capital social, l’accroissement des dépenses improductives, car tous ces éclopés, toutes ces non-valeurs, tout ce déchet humain tombent à la charge de la collectivité. Pour la patrie, c’est l’arrêt de son expansion morale et économique, c’est l’abâtardissement de la race, c’est l’indisponibilité d’une partie de nos effectifs militaires, c’est l’affaiblissement de la natalité, c’est la dépopulation74.

Le mantra sur la responsabilité nationale des femmes à produire des générations saines est repris plusieurs fois au cours des conférences. C’est au titre de la préservation et de l’augmentation de la capacité productive de leur classe que les ouvrières sont visées par les campagnes de prévention. À cela s’ajoutent des préconceptions de classe qui sont omniprésentes depuis le début de la lutte antisyphilitique : les travailleuses du sexe étant considérées comme issues de la classe ouvrière, les médecins concluent rapidement à un défaut de moralité dangereux de la part des jeunes filles issues des classes prolétariennes. Dès 1907, des visites du musée Saint-Louis sont ainsi proposées aux jeunes filles ouvrières afin de leur montrer « à quoi elles s’exposent », par des médecins qui n’hésitent pas à gloser sur leur « déplorable perversion » et leur supposée « absence complète de sens moral »75. Ainsi le ciblage des ouvrières est au carrefour de la peur des conséquences démographiques de la syphilis sur la productivité nationale, et des stéréotypes classistes dont elles sont la cible76.

L’usage des projections de clichés, comme les visites du musée pour impressionner et instruire ce public, est lui aussi entretenu par des préconceptions qui laissent à penser que les classes les moins éduquées auraient besoin d’images pour être persuadées des conséquences de la maladie. Son usage diffère cependant selon l’auditoire présent. Ainsi les notices des conférences sont adaptables en fonction des cas et des situations. Une note à destination du conférencier précise :

Il est évident que, suivant le public féminin devant lequel on se trouvera, il faudra modifier certains passages de cette conférence, et nous avons marqué “ facultatifs ” et en petits caractères plusieurs passages qui ne peuvent s’adresser qu’à un public “ spécial ”77.

Le public dit « spécial » est celui des travailleuses du sexe, pour lesquelles les textes sont adaptés. Si les envolées nationalistes comme les discours moralisateurs ne changent pas, si les propos stigmatisants et insultants à leur égard sont conservés dans la version qui leur est consacrée, si les images qui sont exposées restent les mêmes, c’est en réalité l’objectif de la projection des photographies qui évolue. Ainsi, alors que le fait d’effrayer la majeure partie des auditrices a pour objectif de les persuader de ne pas avoir de relations sexuelles ou de rapports de séduction en dehors de l’institution de mariage, le public des travailleuses du sexe reçoit quant à lui un discours spécifique lié à la réduction des risques. Y sont abordées la question des traitements préventifs (antiseptique, calomel, etc.), du port du préservatif, ou encore la préconisation de l’abstinence en cas de coupure ou de plaie. Dans cette perspective, la capacité des travailleuses du sexe à détecter les personnes à risques constitue un pan important :

Refusez tout contact avec un homme suspect porteur de taches roses sur le corps (souvenez-vous du cliché de la roséole), atteint d’érosions, d’écorchures des organes génitaux, de la bouche, des lèvres, de la langue (souvenez-vous du cliché des plaques muqueuses), se plaignant de maux de tête ou présentant une chute de cheveux diffuse en clairières (souvenez-vous du cliché de l’alopécie en clairières) […]. N’hésitez pas à faire une sorte de petit examen médical78.

Ainsi c’est la responsabilité du diagnostic et de la non-contamination qui est déléguée aux personnes jusqu’ici prises en charge par des mesures coercitives. Le rappel des photographies projetées au début de la conférence, ainsi que l’idée selon laquelle les travailleuses du sexe doivent désormais faire un « examen médical » de leur client modifient en profondeur le rôle que la photographie prend dans les conférences à destination de ce public. Dans ce cadre, les images photographiques retrouvent l’usage originel pour lesquelles elles étaient collectées au musée de l’hôpital Saint-Louis : permettre de former l’œil à l’identification des symptômes. De mêmes images peuvent ainsi servir à illustrer un traité à destination du corps médical, à effrayer une partie de la population, ou à former des travailleuses du sexe à reconnaître les clients à risque. C’est cette plasticité de la photographie qui circule et se transforme en fonction de son contexte de consommation qui la rend si propice à la lutte antivénérienne.

Le musée de l’hôpital Saint-Louis, dont l’objectif initial est de se consacrer à l’enseignement, se transforme dans les années 1910 pour le corps médical en un outil privilégié dans la lutte antivénérienne. À partir de 1920, l’ouverture du musée de photographies infléchit encore davantage cette dynamique. À travers des visites et des conférences in situ mais aussi en servant de réservoir photographique auprès duquel se tournent les acteurs de la prophylaxie antisyphilitique individuelle – notamment la Société française de prophylaxie sanitaire et morale –, le musée se positionne comme le centre névralgique de la propagande imagée contre la syphilis. Il sert à la fois de lieu d’exposition et d’agence de diffusion des discours et des images antisyphilitiques.

Les collections photographiques du musée montrent que le choix des images exposées au public semble être régi par l’aspect spectaculaire des symptômes bien plus que leur typicité. Afin de dissuader les spectateurs d’adopter une sexualité jugée dissolue, ce sont des images proprement effroyables qui sont montrées. C’est ici une singularité de la photographie par rapport aux autres médiums dans la propagande imagée contre la syphilis. Son usage est lié à sa capacité à provoquer l’effroi via la monstration des conséquences physiques de la pathologie, dans un contexte où les discours se veulent plus compréhensifs. Alors qu’il est affirmé que « la syphilis n’est pas une maladie honteuse » afin d’encourager la société à faire preuve de vigilance et à se faire soigner au plus vite, l’exposition des effets les plus spectaculaires de la maladie à travers la photographie continue l’entreprise de stigmatisation traditionnellement associée à cette pathologie.

Si la syphilis touche massivement toutes les franges de la société, la stigmatisation liée au péril vénérien se déploie différemment selon les personnes contaminées. Face à la peur d’une dégénérescence généralisée de la population française, les photographies et les discours qui les accompagnent semblent chercher à conserver l’ordre en place. Profondément ancrée dans les discours nationalistes, la lutte contre la syphilis se fait au nom du sauvetage de la Nation, de sa productivité, de la « race française ». À ce titre, les injonctions morales qui y associées sont un ressort important de la prophylaxie individuelle : chacun se doit de jouer sa partition pour assurer à la France la régénération d’une population saine et vigoureuse. Dès lors, l’exposition photographique du péril vénérien se joue dans des conditions différentes en fonction des rôles et attendus de classe, de genre ou de race. Chaque catégorie se voit délivrer un discours de prévention singulier, mais aussi des images spécifiques, qui doivent participer à éviter toute conduite délétère à la lutte antisyphilitique, sans pour autant participer au dévoiement moral de chacune et chacun. Or, en montrant des images d’organes génitaux et en parlant frontalement de sexualité, l’entreprise antivénérienne n’est pas aisée. Pour cela, la plasticité de l’image photographique, dont le rôle semble évoluer en fonction des modalités de sa consommation, permet la différenciation du discours selon les catégories de population visées, de manière à préserver l’ordre national au-delà de l’objectif de prévention médicale.

1 Elizabeth Sheppard, « Problème public » dans Laurie Boussaguet (éd.), Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée, 

2 Isabelle Cavé, Les Médecins-législateurs et le mouvement hygiéniste sous la troisième République (1870-1914), Paris, L’Harmattan, 2015.

3 Alain Corbin, Les Filles de noce : misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, Paris, Flammarion, 1982.

4 Alfred Azoulay, Le Péril vénérien : prophylaxie individuelle et générale des maladies vénériennes, Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1920.

5 Alain Corbin, Les Filles de noce…, op. cit.

6 Émile Dubois-Havenith, Conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis et des maladies vénériennes, Bruxelles, H. Lamertin, 1899.

7 Annette Kuhn, Cinema, Censorship and Sexuality, 1909-1925, London, Croom Helm, 1986 ; Thierry Lefebvre, « Cinéma et hygiène. Les débuts d’une

8 Alexandre Wenger, « Cas médical et prévention antivénérienne au tournant du XXe siècle : Les Avariés d’Eugène Brieux », Fabula / Les colloques

9 Virginie de Luca Barrusse, « Le genre de l’éducation à la sexualité des jeunes gens (1900-1940) », Cahiers du Genre, vol. 49, no 2, 2010, p. 155-182

10 Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les médecins et la procréation XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1995 ; Pierre Darmon, « Grande guerre

11 Lorraine Daston et Peter Louis Galison, Objectivité, Dijon, les Presses du réel, 2012.

12 Olivier Lugon, « L’esthétique du document », dansMichel Poivert et André Gunthert (dir.), L’Art de la photographie, Paris, Citadelles-Mazenod, 2007

13 Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP, 826W.

14 La chaire est créée en 1879.

15 Jean-Louis Alibert, Clinique de l’hôpital Saint-Louis ou traité complet des maladies de la peau, Paris, Cormon et Blanc, 1833.

16 Le débat est notamment soulevé concernant la classification des collections du musée de l’hôpital Saint-Louis : Alphonse Devergie, « Le musée de l’

17 Le dépistage ne sera possible qu’à 1906 grâce au test de Wassermann.

18 Alfred Hardy et A. de Montméja, Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis, Paris, Chamerot et Lauwereyns, 1868.

19 Henri Feulard, Congrès international de dermatologie et de syphiligraphie, tenu à Paris en 1889 : comptes rendus, Paris, G. Masson, 1890, p. 5.

20 Le musée de l’hôpital Saint-Louis conserve des photographies depuis son ouverture, comme en témoigne la circulaire de 1868 : Armand Husson

21 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1920 par Brodier le 28 décembre 1920, Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6. Le musée de

22 Le musée est notamment utilisé lors des Expositions Universelles de 1889 et 1900. Les Expositions sont des échéances mentionnées de manière

23 La différence de prestige entre les deux techniques est décrite jusque dans la littérature. Dans son ouvrage Cité de Misère, le romancier

24 La démultiplication des moulages est telle que leurs images se retrouvent sous de nombreuses formes et techniques : photographies aquarellées

25 Société française de prophylaxie sanitaire et morale, « Correspondance imprimée », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie

26 Armand Husson, « Reproductions par la photographie des cas pathologiques exceptionnels, lettre du 10 septembre 1868 au directeur de l’hôpital Saint

27 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1913 par Brodier le 15 novembre 1913, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

28 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1919 par Brodier le 31 décembre 1919, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

29 René Maire, Origine du service photographique de l’hôpital Saint-Louis, rapport dactylographié et signé, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP

30 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1928 par Brodier le 4 janvier 1929, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

31 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1934 par Brodier le 12 janvier 1935, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

32 Inventaire de la cote 826W, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP.

33 En 1920, la collection se compose des photographies de Félix Méheux, actif à Saint-Louis de 1884 à 1908 ainsi que des productions de Hardy et

34 Le rapport de 1935 fait état de 29 807 photographies, dont 1262 plaques de projection. La collection continue à s’enrichir après le départ de M.

35 « Assemblée Générale de la Jeunesse Républicaine », L’Action républicaine, 1 janvier 1932.

36 L’Humanité, 3 décembre 1922, p.5 ; « Les réunions », Le Peuple, 18 janvier 1925, p. 4.

37 « Nos excursions », La Revue du Touring-club de France, 1er janvier 1938.

38 « Conférences », La Semaine à Paris, 20 juillet 1928.

39 « L’Exposition », Le Pays, 12 juillet 1889.

40 « La syphilis est-elle guérissable ? », Marianne, 31 mai 1939, p. 12.

41 Les demandes de reproduction de photographies sont conservées ainsi que les rapports d’activité du musée de photographie à partir de 1920.

42 Professeur Burlureaux, « Rapport concernant la prophylaxie individuelle », IIe Conférence internationale de Bruxelles, 1902, p. 5, cité par Alain

43 Armand Husson, Circulaire n° 328, « Reproduction par la photographie des cas pathologiques exceptionnels », Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP

44 Armand Husson, Circulaire n° 328, « Reproduction par la photographie des cas pathologiques exceptionnels », Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP

45 Le débat est notamment soulevé par Alfonse Devergie, considéré comme le fondateur du musée de Saint-Louis dans l’Union médicale :Alphonse Devergie

46 Olivier Lugon, « L’esthétique du document », in Michel Poivert et André Gunthert (dir.), L’Art de la photographie, op. cit., p. 357-422.

47 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 7.

48 Thierry Lefebvre, « Représentations cinématographiques de la syphilis entre les deux guerres : séropositivité, traitement et charlatanisme », Revue

49 Par exemple : On doit le dire, réalisation Marius O’Galop, Jean Comandon, 7 minutes, 1918 ; Il était une fois trois amis, réalisation Jean

50 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 17.

51 Henri Gougerot, « Programme d’action », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 4 octobre 1928, p. 176-181.

52 Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 4 octobre 1928, p. 187.

53 Ibid.

54 La boîte qui semble originellement issue des collections du musée réintègre les collections suite à un don en 1988 du Dr. Antoine Puissant (

55 Cela est d’autant plus probable qu’à partir de 1920, les plaques de projection des collections changent d’étiquetage pour comporter la mention de «

56 Seule la plaque numérotée 19 semble à ce jour lacunaire.

57 Louis Brocq, Précis-Atlas de pratique dermatologique, Paris, Gaston Doin, 1921. Les mêmes images se retrouvent à nouveau dans les archives en

58 Alain Corbin, « L’hérédosyphilis ou l’impossible rédemption. Contribution à l’histoire de l’hérédité morbide », Romantisme, vol. 11, n° 31, 1981, p

59 Le fonctionnement du musée est notamment décrit dans : « Au Musée pédagogique », Revue internationale de l’enseignement 84, no 1 (1930), p. 224-26.

60 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919.

61 Ibid., p. 14.

62 Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 5 mars 1920, p. 35.

63 Virginie De Luca Barrusse, « Natalisme et hygiénisme en France de 1900 à 1940 », réf. cit.

64 Le débat rapporté dans le bulletin de la Société de prophylaxie montre bien la difficulté à organiser ce type de conférences et à trouver des lieux

65 Il donne sa collection au musée des photographies de l’hôpital Saint-Louis lors de son départ à la retraite. Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP

66 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p.4-5.

67 Henri Gougerot, « Correspondance ». Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 5 mars 1920, p. 31.

68 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 8.

69 Les campagnes de prévention à destination des femmes sont notamment pilotées par le Comité d’éducation féminin de la Société française de

70 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 2.

71 Ibid., p. 18.

72 Virginie De Luca Barrusse, « Natalisme et hygiénisme en France de 1900 à 1940 », réf. cit.

73 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 24.

74 Jeanselme, « Gravité et importance sociale de la syphilis » dans Queyrat et Sicard de Plauzoles, Manuel d’éducation prophylactique contre les

75 « À propos du rapport de M. Isch-Wall sur l’éducation morale au point de vue sexuel », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie

76 Robert A. Nye, Crime, madness, and politics in modern France: the medical concept of national decline, Princeton, Princeton University Press, 1984.

77 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 32.

78 Ibid., p. 23.

Notes

1 Elizabeth Sheppard, « Problème public » dans Laurie Boussaguet (éd.), Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 530-538.

2 Isabelle Cavé, Les Médecins-législateurs et le mouvement hygiéniste sous la troisième République (1870-1914), Paris, L’Harmattan, 2015.

3 Alain Corbin, Les Filles de noce : misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, Paris, Flammarion, 1982.

4 Alfred Azoulay, Le Péril vénérien : prophylaxie individuelle et générale des maladies vénériennes, Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1920.

5 Alain Corbin, Les Filles de noce…, op. cit.

6 Émile Dubois-Havenith, Conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis et des maladies vénériennes, Bruxelles, H. Lamertin, 1899.

7 Annette Kuhn, Cinema, Censorship and Sexuality, 1909-1925, London, Croom Helm, 1986 ; Thierry Lefebvre, « Cinéma et hygiène. Les débuts d’une fructueuse collaboration », dans Didier Nourrisson (dir.), Éducation à la santé, XIXe-XXe siècle, Rennes, Éditions de l’ENSP, 2002, p. 71-81 ; Id., « Représentations cinématographiques de la syphilis entre les deux guerres : séropositivité, traitement et charlatanisme », Revue d’histoire de la pharmacie, vol. 83, no306, 1995, p.267-278 ; Vincent Lowy, Christian Bonah , « La propagande sanitaire par le film documentaire en France et en Allemagne. Réflexions à partir de deux exemples du milieu des années 1930 : L’œuvre Grancher et Erbkrank », dans Christian Bonah, Anne Danion-Grilliat, Josiane Olff-Nathan, et al. (eds.), Nazisme, science et médecine, Paris, Glyphe, 2006, p. 85-99 ; Valérie Vignaux, « Femmes et enfants ou le corps de la nation. L’éducation à l’hygiène dans le fonds de la cinémathèque de la ville de Paris », 1895, 2002 ; Frédéric Zarch , « La caméra sanitaire », dans Didier Nourrisson (dir.), Éducation à la santé, XIXe-XXe siècle, Rennes, Éditions de l’ENSP, 2002, p. 83-89.

8 Alexandre Wenger, « Cas médical et prévention antivénérienne au tournant du XXe siècle : Les Avariés d’Eugène Brieux », Fabula / Les colloques, Littérature et écritures du cas, URL : http://www.fabula.org/colloques/document7041.php, page consultée le 20 décembre 2021.

9 Virginie de Luca Barrusse, « Le genre de l’éducation à la sexualité des jeunes gens (1900-1940) », Cahiers du Genre, vol. 49, no 2, 2010, p. 155-182 ; id., « Natalisme et hygiénisme en France de 1900 à 1940 », Population 64, no 3, 2009, p. 531-560.

10 Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les médecins et la procréation XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1995 ; Pierre Darmon, « Grande guerre et flambée de la morbidité vénérienne. L’ampleur du fléau », Gynecology, Obstetrics & Fertility, vol. 28, n° 10, octobre 2000, p. 754-756 ; Jean-Yves Le Naour, « Sur le front intérieur du péril vénérien (1914-1918) », Annales de démographie historique, n° 1, 2002, p.107-119.

11 Lorraine Daston et Peter Louis Galison, Objectivité, Dijon, les Presses du réel, 2012.

12 Olivier Lugon, « L’esthétique du document », dans Michel Poivert et André Gunthert (dir.), L’Art de la photographie, Paris, Citadelles-Mazenod, 2007, p. 357-422 ; Monique Sicard, « Entre art et science, la photographie », dans Jean-Paul Fourmentraux (ed.) Art et science, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 111-129.

13 Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP, 826W.

14 La chaire est créée en 1879.

15 Jean-Louis Alibert, Clinique de l’hôpital Saint-Louis ou traité complet des maladies de la peau, Paris, Cormon et Blanc, 1833.

16 Le débat est notamment soulevé concernant la classification des collections du musée de l’hôpital Saint-Louis : Alphonse Devergie, « Le musée de l’hôpital Saint-Louis », Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1876, p. 550.

17 Le dépistage ne sera possible qu’à 1906 grâce au test de Wassermann.

18 Alfred Hardy et A. de Montméja, Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis, Paris, Chamerot et Lauwereyns, 1868.

19 Henri Feulard, Congrès international de dermatologie et de syphiligraphie, tenu à Paris en 1889 : comptes rendus, Paris, G. Masson, 1890, p. 5.

20 Le musée de l’hôpital Saint-Louis conserve des photographies depuis son ouverture, comme en témoigne la circulaire de 1868 : Armand Husson, Circulaire n° 328 « Reproduction par la photographie des cas pathologiques exceptionnels », Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP, 780FOSS/4. Le rapport de 1892 fait mention d’une première campagne d’achat de photographies pour compléter les collections : Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1920 par Feulard, le 29 décembre 1892, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W5. Les photographies conservées représentant le musée de l’hôpital Saint-Louis démontrent l’accrochage de photographies : Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W532 et 826W551.

21 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1920 par Brodier le 28 décembre 1920, Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6. Le musée de photographie reste ouvert jusqu’au moins 1963 : lettre signée de Gabriel Solente le 18 février 1963, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W481.

22 Le musée est notamment utilisé lors des Expositions Universelles de 1889 et 1900. Les Expositions sont des échéances mentionnées de manière régulière dans les rapports d’activité du musée afin notamment de prévoir des investissements en vue de ces évènements. Voir : Henri Feulard, Congrès international de dermatologie et de syphiligraphie, tenu à Paris en 1889 : comptes rendus, Paris, G. Masson, 1890, p. 9 ; Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1888 par Henri Feulard, le 11 décembre 1888, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W5 et 826W20.

23 La différence de prestige entre les deux techniques est décrite jusque dans la littérature. Dans son ouvrage Cité de Misère, le romancier Roger-Milles dépeint l’hôpital Saint-Louis en mettant en opposition l’activité de l’atelier de moulage et celui de photographie, au bénéficie du premier : Léon Roger-Milès, Cité de misère, Paris, E. Flammarion, 1891, p. 165.

24 La démultiplication des moulages est telle que leurs images se retrouvent sous de nombreuses formes et techniques : photographies aquarellées, tirages sur papiers albuminés ou aristotypes, plaques de verre, diapositives monochromes, diapositives couleurs, ou autochrome lumière. Respectivement dans l’ordre des techniques listées : Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP 826W554 ; 271 ; 551 ; 348 ; 345 ; 353 ; 464.

25 Société française de prophylaxie sanitaire et morale, « Correspondance imprimée », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 10 février 1902, p. 34-35.

26 Armand Husson, « Reproductions par la photographie des cas pathologiques exceptionnels, lettre du 10 septembre 1868 au directeur de l’hôpital Saint-Louis », Recueil des arrêtés, instructions et circulaires concernant l’administration générale de l’Assistance publique, Montévrain, Imprimerie typographique de l’école Alembert, 1868, p. 244-245.

27 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1913 par Brodier le 15 novembre 1913, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

28 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1919 par Brodier le 31 décembre 1919, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

29 René Maire, Origine du service photographique de l’hôpital Saint-Louis, rapport dactylographié et signé, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W481.

30 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1928 par Brodier le 4 janvier 1929, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

31 Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1934 par Brodier le 12 janvier 1935, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

32 Inventaire de la cote 826W, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP.

33 En 1920, la collection se compose des photographies de Félix Méheux, actif à Saint-Louis de 1884 à 1908 ainsi que des productions de Hardy et Montméja, fondateur de l’atelier photographique en 1868, auxquelles s’ajoute le don du Dr Brocq de l’intégralité de sa collection photographique au nouveau musée de photographie. Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1919 par Brodier le 28 décembre 1929, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

34 Le rapport de 1935 fait état de 29 807 photographies, dont 1262 plaques de projection. La collection continue à s’enrichir après le départ de M. Schaller. Le dernier rapport faisant mention du nombre de photographies date de 1954 et parle de 64180 photographies. Rapport d’activités du musée et de la bibliothèque de l’année 1935 par Brodier le 31 janvier décembre 1936, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W6.

35 « Assemblée Générale de la Jeunesse Républicaine », L’Action républicaine, 1 janvier 1932.

36 L’Humanité, 3 décembre 1922, p.5 ; « Les réunions », Le Peuple, 18 janvier 1925, p. 4.

37 « Nos excursions », La Revue du Touring-club de France, 1er janvier 1938.

38 « Conférences », La Semaine à Paris, 20 juillet 1928.

39 « L’Exposition », Le Pays, 12 juillet 1889.

40 « La syphilis est-elle guérissable ? », Marianne, 31 mai 1939, p. 12.

41 Les demandes de reproduction de photographies sont conservées ainsi que les rapports d’activité du musée de photographie à partir de 1920. Respectivement les cotes sont : Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 780FOSS/4 et 826W6.

42 Professeur Burlureaux, « Rapport concernant la prophylaxie individuelle », IIe Conférence internationale de Bruxelles, 1902, p. 5, cité par Alain Corbin, Les Filles de noce…, op. cit.

43 Armand Husson, Circulaire n° 328, « Reproduction par la photographie des cas pathologiques exceptionnels », Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP, 780FOSS/4.

44 Armand Husson, Circulaire n° 328, « Reproduction par la photographie des cas pathologiques exceptionnels », Le Kremlin-Bicêtre, Archives de l’APHP, 780FOSS/4.

45 Le débat est notamment soulevé par Alfonse Devergie, considéré comme le fondateur du musée de Saint-Louis dans l’Union médicale : Alphonse Devergie, « Note sur le musée pathologique créé à l’hôpital Saint-Louis », Union médicale, VII, 1869, p. 135.

46 Olivier Lugon, « L’esthétique du document », in Michel Poivert et André Gunthert (dir.), L’Art de la photographie, op. cit., p. 357-422.

47 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 7.

48 Thierry Lefebvre, « Représentations cinématographiques de la syphilis entre les deux guerres : séropositivité, traitement et charlatanisme », Revue d’histoire de la pharmacie, vol. 83, no 306, 1995, p. 267-78 ; Alexandre Wenger, « Cas médical et prévention antivénérienne au tournant du XXe siècle : Les Avariés d’Eugène Brieux », Fabula / Les colloques, Littérature et écritures du cas, URL : http://www.fabula.org/colloques/document7041.php, page consultée le 20 décembre 2021.

49 Par exemple : On doit le dire, réalisation Marius O’Galop, Jean Comandon, 7 minutes, 1918 ; Il était une fois trois amis, réalisation Jean Benoit-Levy, 1h17, 1927.

50 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 17.

51 Henri Gougerot, « Programme d’action », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 4 octobre 1928, p. 176-181.

52 Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 4 octobre 1928, p. 187.

53 Ibid.

54 La boîte qui semble originellement issue des collections du musée réintègre les collections suite à un don en 1988 du Dr. Antoine Puissant (1926-2006), chef de service en dermatologie à l’hôpital Saint-Louis à partir de 1987. Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W345.

55 Cela est d’autant plus probable qu’à partir de 1920, les plaques de projection des collections changent d’étiquetage pour comporter la mention de « musée des photographies ».

56 Seule la plaque numérotée 19 semble à ce jour lacunaire.

57 Louis Brocq, Précis-Atlas de pratique dermatologique, Paris, Gaston Doin, 1921. Les mêmes images se retrouvent à nouveau dans les archives en plusieurs exemplaires de tirages argentiques sur papier annotés de légende et marqués de traits de crayons correspondant à des recadrages pour l’édition Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W580.

58 Alain Corbin, « L’hérédosyphilis ou l’impossible rédemption. Contribution à l’histoire de l’hérédité morbide », Romantisme, vol. 11, n° 31, 1981, p. 131-150.

59 Le fonctionnement du musée est notamment décrit dans : « Au Musée pédagogique », Revue internationale de l’enseignement 84, no 1 (1930), p. 224-26.

60 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919.

61 Ibid., p. 14.

62 Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 5 mars 1920, p. 35.

63 Virginie De Luca Barrusse, « Natalisme et hygiénisme en France de 1900 à 1940 », réf. cit.

64 Le débat rapporté dans le bulletin de la Société de prophylaxie montre bien la difficulté à organiser ce type de conférences et à trouver des lieux pour le faire voir face à la censure de certaines institutions : Henri Gougerot, « Correspondance », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 5 mars 1920, p. 30-35.

65 Il donne sa collection au musée des photographies de l’hôpital Saint-Louis lors de son départ à la retraite. Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W316.

66 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p.4-5.

67 Henri Gougerot, « Correspondance ». Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 5 mars 1920, p. 31.

68 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 8.

69 Les campagnes de prévention à destination des femmes sont notamment pilotées par le Comité d’éducation féminin de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale. Il publie tracts, affiches et organise des conférences et des projections de films. Son action se déploie massivement mais vise surtout les éducatrices et institutrices. Voir : Germaine Montreuil-Straus, « 10 années de propagande éducative : l’œuvre accomplie par le Comité d’Éducation Féminin de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale (1925-1935) », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, séance du 2 juillet 1935 ; Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 1er janvier 1927, p. 32-35.

70 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 2.

71 Ibid., p. 18.

72 Virginie De Luca Barrusse, « Natalisme et hygiénisme en France de 1900 à 1940 », réf. cit.

73 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 24.

74 Jeanselme, « Gravité et importance sociale de la syphilis » dans Queyrat et Sicard de Plauzoles, Manuel d’éducation prophylactique contre les maladies vénériennes, Paris, A. Maloine, 1922, p. 61.

75 « À propos du rapport de M. Isch-Wall sur l’éducation morale au point de vue sexuel », Bulletin mensuel de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, 10 janvier 1907, p. 3-5.

76 Robert A. Nye, Crime, madness, and politics in modern France: the medical concept of national decline, Princeton, Princeton University Press, 1984.

77 Henri Gougerot, Conférence antivénérienne faite à des ouvrières, Melun, Imprimerie administrative, 1919, p. 32.

78 Ibid., p. 23.

Illustrations

Tirage au gélatino-bromure d’argent contrecollé sur carton, 1937, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W551

© APHP

Diapositive monochrome sur verre, 1912, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W345.

© Archives de APHP

©Source gallica.bnf.fr / BnF.

Diapositive monochrome sur verre, 1912, Le Kremlin-Bicêtre, archives de l’APHP, 826W345.

© Archives de APHP

Affiche lithographique, en couleur, 60 x 80 cm, 1920.

©Source gallica.bnf.fr / BnF

Citer cet article

Référence électronique

Alice Aigrain, « La sexualité au risque de la syphilis  », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 10 mai 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=1733

Auteur

Alice Aigrain

Alice Aigrain est doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein du laboratoire d’Histoire Culturelle et Sociale de l’Art (HiCSA). Elle achève une thèse, sous la direction de Michel Poivert, consacrée aux usages de la photographie par les sciences médicales durant la IIIe République. Récemment, elle a publié : « Attraction-Répulsion, histoire de la patrimonialisation des collections photographiques Dejerine » Photographica, n° 1, 2020. Elle a co-organisé en 2021 le colloque « Photographie et Surveillance » ainsi que le séminaire éponyme. Alice.aigrain@gmail.com