Vincent Martigny, Laurent Martin, Emmanuel Wallon (dir.), Les années Lang. Une histoire des politiques culturelles. 1981-1993

La Documentation française, Paris, 2021

Bibliographical reference

Vincent Martigny, Laurent Martin, Emmanuel Wallon (dir.), Les années Lang. Une histoire des politiques culturelles. 1981-1993, La Documentation française, Paris, 2021, 596 p.

Editor's notes

Laurent Martin est membre du comité de rédaction de la RHC.

Text

Impulsé par le Comité d’histoire du ministère de la Culture, ce « dictionnaire critique », ainsi que le qualifie son sous-titre, explore une part de l’histoire des politiques culturelles en France dont la personnalité de Jack Lang a tracé les grandes lignes et dessiné les contours. Voilà cadré le champ qui donne son unité à ce livre collectif qu’ont dirigé Vincent Martigny, Laurent Martin et Emmanuel Wallon. Les nombreuses contributions des trois directeurs scientifiques exposent des éléments majeurs dans les différentes entrées du dictionnaire.

Alors que quatre grandes parties rythment la lecture de l’ouvrage, celles-ci constituent autant de chapitres qui les alimentent. La première partie précise le défi idéologique et politique que relève ce dictionnaire. À la fois critique et dynamique, elle présente les « débats et combats » qui ont marqué la période. Le souci de mettre en évidence le caractère démocratique des luttes qui ont marqué cette décennie est ici prioritaire. Parmi les entrées, on retiendra « Antiracisme » (Angéline Escafré-Dublet), « Controverses dans l’art contemporain » (Thomas Schlesser), « Genre » (Hélène Marquié), « Libéralisme culturel » (Mathias Bernard), pour se limiter à quelques exemples.

Une seconde partie retient les noms des principaux « acteurs » de cette période. Pour donner « de la chair » aux transformations qui ont été réalisées, cette grande fresque a choisi de désigner quelques personnalités : elle compte des hommes et des femmes politiques, des artistes, des intellectuels, parmi lesquels sont cités Pierre Bergé (Morgan Jan), Jean-Noël Jeanneney (Évelyne Cohen), Jacques Rigaud (Philippe Poirrier), et cela va sans l’écrire François Mitterrand (Vincent Martigny) et Jack Lang (Laurent Martin). Autant de noms (seize) qui ont illustré la mise en œuvre de ces politiques.

« Institutions et Pouvoirs » constitue le troisième volet de l’ouvrage. Il livre la charpente d’une période qu’animent certes des dynamiques sociales, mais qui ont aussi suscité des tensions politiques. Parmi les notices : « Aménagement culturel du territoire » (Guy Saez), « Bibliothèque nationale de France » (Thomas Hélie), « Bicentenaire de 1789 » (Sébastien Ledoux), « Cohabitation » (Jean-François Sirinelli), « Droit d’auteur et droits voisins » (Émilie Terrier), « Opéra Bastille » (Xavier Dupuis), « Le Palace » (Marie Ottavi). Bref, autant de réalisations institutionnelles majeures qui vont permettre au lecteur d’aujourd’hui et de demain de comprendre les dispositifs les plus emblématiques dont l’ouvrage rend compte.

« Champs, Disciplines et Secteurs » composent le dernier temps de ce dictionnaire critique. Parmi les titres apparaissent : « Archéologie » (Vincent Négri), « Archives » (Christine Nougaret), « Arts culinaires » (Pascal Ory), « Arts de la rue » (Gwenola David), « Bibliothèques et lecture publique » (Olivier Bessard-Banquy), « Bande-dessinée » (Jessica Kohn), « Culture numérique » (Anne Bellon), « Danse » (Guillaume Sintès), « Design » (Françoise Jollant Kneebone), « Livre (loi sur le prix unique du) » (Yves Surel), « Marionnette (arts de la) » (Sylvie Martin-Lahmani), « Musiques populaires » (Philippe Gumplowicz), « Patrimoine » (Arlette Auduc), « Pop culture » (Jean Marie Durand), « Théâtre » (Pascale Goetschel). Ils figurent en bonne position parmi les nombreux marqueurs de cette modernité à la française. Une liste des organismes et des institutions ainsi qu’un index des personnes citées complètent avec bonheur l’ensemble de l’ouvrage.

La préoccupation des directeurs et des auteurs mérite qu’on s’y arrête. La proximité temporelle de la période choisie, la présence vivante de bon nombre de ses acteurs, les effets toujours débattus des transformations ou des mutations culturelles mises en œuvre exposent en effet à une difficulté aussi périlleuse que passionnante : l’entreprise ne court-elle pas le risque « d’un éloge privé de perspective ou d’une critique dénuée de contextualisation » (p 11) ? Dit autrement : un dictionnaire exagérément critique ou excessivement élogieux. On retiendra la leçon -- et sa formule : « ni monument, ni pamphlet ». Voilà le lecteur averti du double piège que défait cette audacieuse entreprise.

Cette œuvre de grande ampleur, tant par son volume que par le nombre de ses entrées, l’est aussi en raison du panorama que les directeurs ont brossé. Ils ambitionnent de contextualiser historiquement, mais surtout politiquement, les productions mises en œuvre et les auteurs des dynamiques culturelles mises en orbite. C’est le véritable défi que relève ce livre et l’originalité qui le distingue d’autres ouvrages antérieurement parus. Car ce dictionnaire nourrit le projet de livrer au lecteur les outils de travail qui permettent de mettre à jour les politiques culturelles d’une époque, certes passée, mais qui ne cesse d’instruire les questionnements du présent. Voilà bien en quoi l’ouvrage inaugure une fonction neuve du dictionnaire.

Il convenait aussi que cette fresque ne se limitât pas à un compte-rendu de la politique culturelle d’une décennie. Auteurs et autrices ont donc tenu à mettre en lumière le projet de civilisation auquel cette politique participe. Parmi ses principes, ils soulignent le souci de doter la collectivité politique d’une identité. Dans une démocratie moderne où elle ne peut rester simple, celle-ci devient nécessairement plurielle : c’est ce qui apparaît, par exemple, avec la diversité des musiques présentées (classiques, contemporaines, traditionnelles, populaires). Dans la même geste démocratique se situe la volonté de réduire les inégalités sociales et culturelles, comme le veulent les politiques de la lecture qui vont du prix unique du livre à l’ouverture de bibliothèques nouvelles (Bibliothèque nationale de France, bibliothèques de lecture publique, municipales et départementales). Tourné vers la modernisation et vers la popularisation des modes d’expression, le dictionnaire met l’accent sur la promotion de la création artistique (arts de la rue, Cité de la musique). L’objectif fut de permettre aux Français et aux Françaises de cultiver leur capacité d’inventer et d’encourager la création. C’est ce que traduit la diversité de notices rarement réunies (Pop culture, marionnettes, mode, bande dessinée). Ce souci de démocratisation devait aussi ouvrir le dialogue avec les cultures minoritaires, la jeunesse, les cultures urbaines, et la pratique de la médiation culturelle. Plusieurs notices mettent enfin en évidence le souci de défendre la langue et la culture françaises face aux produits made in USA (antiaméricanisme, politique du patrimoine, francophonie, arts culinaires).

Voilà qui a justifié la nécessité de redéfinir la mission essentielle du Ministère devenu ainsi producteur de vie culturelle (direction du développement culturel [DDC] et direction régionale des affaires culturelles [DRAC]). En soutenant par ailleurs la notion d’exception culturelle, et en tournant le dos aux politiques d’austérité antérieures, cette politique valorise la fête, ce rayon essentiel à la sociabilité (festivals, cultures urbaines, bicentenaire de 1789). Le dictionnaire ne fait donc pas l’impasse sur les oppositions qui ont marqué la décennie et en rappelle les b.a.ba : la gauche, la droite, le Parti socialiste, le Parti communiste : autant d’entrées qui permettent de comprendre les mutations qui ont renouvelé dix années durant les politiques culturelles : elles étaient portées par la volonté de structurer une expression capitale de la démocratie en France.

De ce dictionnaire, le lecteur retiendra qu’il est à la fois une source de savoirs et une invitation à en savoir davantage sur les dynamiques qui les ont mis au jour. Un beau défi !

References

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André Rauch, « Vincent Martigny, Laurent Martin, Emmanuel Wallon (dir.), Les années Lang. Une histoire des politiques culturelles. 1981-1993 », Revue d’histoire culturelle [Online],  | 2022, Online since 15 mars 2022, connection on 20 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=1180

Author

André Rauch

Université de Strasbourg

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