Joan Pieragnoli, Le prince et les animaux. Une histoire zoologique de la cour de Versailles au siècle des Lumières (1715-1792) / Alexandre Maral et Nicolas Milovanovic (dir.), Les animaux du roi

Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2021 / Paris, Lienart éditions et Château de Versailles, 2021

Référence(s) :

Joan Pieragnoli, Le prince et les animaux. Une histoire zoologique de la cour de Versailles au siècle des Lumières (1715-1792), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2021, 295 p.

Alexandre Maral et Nicolas Milovanovic (dir.), Les animaux du roi, Paris, Lienart éditions et Château de Versailles, 2021, 463 p.

Texte

Extrêmement développée désormais dans la production académique anglophone, la réflexion historique sur les rapports entre hommes et animaux gagne de plus en plus en importance dans les écrits francophones également. En témoignent ces ouvrages : une étude monographique et un gros catalogue d’exposition traitant tous deux de la place de l’animal à Versailles – ce qui n’est pas sans intérêt du point de vue de l’histoire culturelle.

Le livre de Joan Pieragnoli (à qui l’on doit un précédent opus sur La cour de France et ses animaux (XVIe-XVIIe siècles), paru en 2016 aux P.U.F.) prend en considération cette fois-ci la période allant de 1715 à la Révolution, censée être marquée par une sensibilité nouvelle et davantage de bienveillance à l’égard des créatures ne relevant pas de l’humain. Situer son travail dans le cadre d’une « histoire zoologique » amène l’auteur à aborder toutes sortes de sujets : de la chasse à la ménagerie royale, des animaux de compagnie à l’architecture des écuries et des chenils, par exemple.

Ce qui se dégage à travers la prise en compte de ces différentes facettes est une assez nette impression d’ambivalence. Omniprésents à la cour de Versailles (mais aussi dans d’autres résidences dont il est amplement question), les animaux sont parfois choyés, parfois cruellement traités. Ils peuvent contribuer à l’imaginaire de la toute-puissance royale, notamment via le fait de réunir une « collection vivante » exceptionnelle ; mais ils sont aussi amenés à jouer un rôle majeur dans le cadre d’une quête grandissante de l’intimité et du bonheur privé. D’aucuns pâtissent d’architectures ostentatoires et mal adaptées (à l’instar de prestigieuses écuries) tandis que d’autres jouissent de bâtiments chauffés et confortables. Nombre de petits compagnons résident dans les appartements de leurs maîtres alors que bien des bêtes se voient reléguées loin des demeures pour éviter toute nuisance sonore ou olfactive. Certains animaux participent activement à la concurrence distinctive entre élites, soit en raison de leur caractère exceptionnel, soit parce qu’on les entoure d’accessoires onéreux (bijoux, meubles précieux leur étant dédiés, etc.).

Les chapitres se révèlent assez denses et regorgent de descriptions instructives. Ils pourront sembler plus ou moins originaux. Beaucoup de pages sont consacrées à la chasse, à ses pratiques et rituels, aux différentes meutes mobilisées. L’on trouve ici des propos assez attendus sur son importance symbolique ou encore sur son rôle en matière de dons. L’on note cependant des cas de désintérêt voire d’aversion pour ce « loisir », y compris au sommet de la pyramide aristocratique. Plus surprenant, mais pouvant se justifier, est le chapitre très détaillé sur « le renouveau de l’alimentation carnée » qui étaye les thèses de Jean-Louis Flandrin relatives à « la distinction par le goût »1. A partir de deux sources (dont les menus servis à Choisy), il est clairement démontré en quoi la valeur gustative de certains animaux (notamment les volailles à chair fine) prend désormais le pas sur le prestige particulier qui était attaché à d’autres viandes (le cerf en premier lieu), tandis qu’une attention extrême se voit attachée aux « meilleurs morceaux » s’agissant de la viande de boucherie éventuellement servie.

Les chapitres consacrés à la ménagerie royale, mettant l’accent sur l’importance de combler des lacunes en cas d’absence de certaines espèces, les difficultés d’approvisionnement et de transport, pourront sembler également assez convenus pour qui connaît un tant soit peu l’abondante littérature anglophone sur le sujet. Il faut admettre toutefois que le récit des vicissitudes de cette ménagerie, de son repeuplement sous Louis XV aux difficultés de financement sous le règne suivant, jusqu’aux massacres de la période révolutionnaire, sont bien retracées et dignes d’attention. Il en va de même de la troisième partie du livre, consacrée aux animaux de compagnie, qui semble redécouvrir maints aspects abordés depuis longtemps par l’historiographie consacrée à l’avènement des « pets ». Il n’en reste pas moins que les propos très précis sur les petits chiens, les divers types de perroquets, d’oiseaux chanteurs ou de singes sont extrêmement éclairants à bien des égards. En dépit d’une écriture laissant parfois un peu à désirer, la lecture de ce livre est en ce sens recommandable.

L’on conseillera vivement, à titre complémentaire, la consultation du catalogue du musée de Versailles (qui, lui, concerne une plus longue période). Il va de soi que les deux ouvrages se recoupent largement, le second traitant également, par exemple, de la ménagerie, de la chasse, des écuries, des animaux de compagnie ou du hameau de Marie-Antoinette, entre autres. Fruit surtout du travail de conservateurs et d’historiens de l’art, la perspective générale s’avère cependant assez différente, attachant plus d’importance aux représentations (de peintres animaliers, d’illustrateurs, de sculpteurs) ainsi qu’aux arts décoratifs. Les textes sont ici plutôt courts (avec beaucoup de notices accompagnant les très nombreuses illustrations). Certains aspects (tels que le thème du coq à Versailles ou la réception de la thèse cartésienne de l’animal-machine) sont originaux.

Il est à noter que les deux ouvrages dialoguent quelque peu. Le goût prononcé de Joan Pieragnoli pour les typologies se voit légèrement critiqué (au regard de son livre précédent). Ainsi un auteur du second volume de se demander (p. 321) si la distinction opérée entre « les auxiliaires de chasse » (le chien, le cheval) et « les animaux de compagnie » est toujours pertinente, sachant que les chiens ne relevaient pas nécessairement d’une meute indifférenciée mais pouvaient posséder une singularité synonyme d’affection. Celle-ci était susceptible d’ailleurs de recevoir un témoignage dans un portrait avec son nom en lettres d’or. Par ailleurs, l’on signalera que la lecture éliassienne (selon laquelle les pensionnaires de la ménagerie, fort placides dans l’ensemble, participeraient de l’image d’une cour très policée sous l’égide de son souverain, ou encore que l’engouement pour les animaux de compagnie serait lié au besoin de combler un déficit d’affection généré par le processus d’autocontrainte exigé des courtisans) se trouve fermement rejetée par Joan Pieragnoli – ce qui n’est pas vraiment le cas dans l’ouvrage collectif.

1 In Roger Chartier (dir.) Histoire de la vie privée, vol. 3, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, 1999 [1985], pp. 261-302.

Notes

1 In Roger Chartier (dir.) Histoire de la vie privée, vol. 3, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, 1999 [1985], pp. 261-302.

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Référence électronique

Jean-Pascal Daloz, « Joan Pieragnoli, Le prince et les animaux. Une histoire zoologique de la cour de Versailles au siècle des Lumières (1715-1792) / Alexandre Maral et Nicolas Milovanovic (dir.), Les animaux du roi », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 15 mars 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=1176

Auteur

Jean-Pascal Daloz

Directeur de recherche au CNRS (UMR SAGE, Strasbourg) – Faculty Fellow, Center for Cultural Sociology, Yale University

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